Un collectif d'artistes Gazaouis se regroupe au MuCEM afin d’échanger autour de leur nouveau projet : SAHAB, la création d’un musée virtuel de Gaza. Dans une ville ou il n’y a pas de musée (et bien d’autres institutions manquent à l’appel), cet échange relance l’espoir et l’engagement de créer un lieu de culture pour une population qui en est privée de par la guerre en Palestine.

Les Gazaouis au MuCEM

Le MuCEM à Marseille a été inauguré en 2013 suite à la nomination de la ville “Capitale Européenne de la Culture”. De par ce titre, une multitude d’actions culturelles, et surtout de chantiers de rénovations ont eu lieu à Marseille : construction du dit musée, rénovation complète du Musée d’Histoire de Marseille et construction de l’Ombrière miroir du Vieux-Port. En soi, une somme d’argent colossale pour redynamiser la 2e ville de France, et en faire le poumon culturel du bassin méditerranéen.

Revenons au MuCEM. En ses murs, un endroit dédié aux échanges entre professionnels et scientifiques, incubateur de bonnes idées : le MuCEMLab. Situé au Fort Saint-Jean, c’est un espace consacré à la recherche et la formation. Y prennent place des cours et des conférences, des séminaires de recherche, des journées d’études et des colloques ouverts aux chercheurs, aux étudiants, mais aussi à tout public curieux d’y participer.

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Présentation du projet au MuCEMLab ©AP

 

Le mercredi 1er juin, j’ai pu assister à la présentation d’un projet : SAHAB, le musée des futurs de Gaza.

Actuellement en résidence à la Cité internationale des arts à Paris, le collectif HAWAF (Mohamed Bourouissa, Salman Nawati, Mohamed Abusal et Sondos Al-Nakhala) se retrouve au MuCEM et nous fait part de la situation à Gaza : c’est un territoire sous blocus et embargo, ou toute construction physique n'échappera pas à la destruction par bombardement. C’est une ville isolée du monde. Il n’y a aucune institution culturelle, ni de musée physique. Pourtant, la topographie et l’histoire de la ville sont très intéressantes : c’est une ville historique, une ancienne plaque tournante du commerce eurasien depuis les anciennes civilisations. Sous terre, se cache un nombre incalculable de trésors. Gaza s’étend sur 365km² pour 2 millions d’habitants, qui s'intéressent à leur histoire.

Dans ce contexte particulier, une grande scène artistique contemporaine émergente existe pourtant (dont fait partie le collectif HAWAF) et propose des projets innovants, avec une forte volonté de transmission d’un héritage culturel mis à mal depuis des décennies de guerre.

D’après les artistes, c’est la rencontre de l’art et de la culture populaire qui est le meilleur moyen pour développer une société, le musée étant le garant du maintien et du rayonnement de cette culture.

Revenons à notre collectif… Le projet qu’il porte a été initié par l’Institut français, implanté à Gaza depuis 1989. Cet institut accompagne la scène artistique en proposant des échanges et des résidences en France. C’est un projet qui se veut heureux, en contraste avec la situation à Gaza. L’envie principale est de parler de la ville, et de créer un projet fédérateur qui dépasse le noyau dur des artistes.

SAHAB, le musée virtuel

C’est de ces envies que la décision de créer un musée numérique et virtuel a émergé. Il ne pourra pas être détruit physiquement et demandera un budget beaucoup moins élevé. Les outils nécessaires sont à disposition, ainsi que le savoir-faire : les Gazaouis, dispersés dans le monde de par les migrations, ont pour habitude de travailler avec des outils numériques. Les artistes ont également une formation d’art numérique.

SAHAB, le nom du projet signifie “le nuage”. Il porte la même signification que CLOUD en anglais, et est donc lié au numérique. De plus, un nuage dans le ciel appartient à tous. L’idée de construire un musée nuage est née.
Sa forme suivra le principe de la sédimentation : comme une strate, y sera présenté le passé et le présent de l’histoire de la ville. Chaque ligne de cette strate représente une histoire singulière.

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Sahab, un musée virtuel ©AP

 

Qu’est-ce qui est important dans ce projet ?

Pour commencer, un mot : isolement. C’est leur lutte principale. Les populations sont isolées du monde. Ensuite, la notion de communauté : ils souhaitent la recréer, et la rendre visible. “Rebuild the community… Throught the immaginary museum !” disent-ils.

Après de multiples discussions avec la Cité des Arts, la discussion tourne autour des collections qu’un musée virtuel peut posséder. S’en dégagent 4 pistes : des collections plutôt archéologiques ? Folkloriques ? D’art moderne ? D’art contemporain ?

Un éco-musée de Gaza ?

Les collections autour du folklore ont provoqué le plus d’engouement. Partir de l’histoire des habitants et des objets qu’ils possèdent pour constituer une collection et permettre de créer un lien entre les communautés et le musée. Cela n’est pas sans rappeler l'avènement du musée des ATP au bois de Boulogne.

De plus, à Gaza, il y a un mélange entre les gazaoui et les Palestiniens des autres villes qui ont apporté une culture différente. Il y a donc un terreau et une richesse culturelle populaire extrêmement riche.

La première exposition pourrait être “What it means to have a museum in Gaza ?”, soit “Qu’est-ce que cela représente d’avoir un musée à Gaza ?”. C’est une collecte à partir d’enfants et ado de Gaza en leur posant cette même question.

Des réflexions sont menées notamment sur l’intégration des enfants dans ce processus de création : peut-être en ayant des jours dédiés pour eux dans le musée virtuel ? Un coin interdit aux adultes ?

De fait, l’envie principale est de stimuler l’imagination et de continuer à rêver : “Et si on avait… Et si on avait… Et si on avait…” se posent sans cesse les artistes. C’est un musée imaginaire, mais qui s'ancre dans la réalité. Celle des Gazaouis.

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Les habitants possèdent chez eux des trésors à valoriser ©AP

 

Un projet similaire avait vu le jour en 2015, le “Palestinian Museum”. Cependant, il fut énormément critiqué dès son inauguration car il n’y avait aucune collection, et que cela avait coûté une somme d’argent considérable avec son architecture monumentale. La première exposition portait également sur des interviews en format numérique car le musée était fermé à ce moment-là. Il y a peu de nouvelles de ce musée depuis. C’est l’avantage de vouloir créer un musée virtuel, c’est l’affranchissement envers le bâti. Des liens sont tout de même tissés entre différentes structures du Proche-Orient autour de ce projet.

Y ont eu lieu des coopérations entre des musées parisiens comme Orsay et L’Institut du Monde Arabe. Le projet SAHAB est un héritier de ce mouvement qui n’a pas réussi à donner fruit, et pour cause. Pour le moment.

De ce constat est né le projet d’une deuxième exposition : faire part de tous les essais de création de musée en Palestine, bien nombreux entre 1992 et 2002.

Pour l’économie du projet, des pistes sont déjà avancées : le collectif répond à des appels à projet, compte sur des subventions pour son développement, et prévoit de créer une économie autour des nft et des tokens. Cependant, avec la chute de ces derniers ces dernières semaines, il est difficile d’imaginer une économie durable autour de cette monnaie.

Pour finir, la question principale reste la façon d’intégrer des habitants de Gaza et de la diaspora palestinienne à ce projet. Pour rappel, l'électricité est disponible quelques heures par jour, et l’accès à internet non systématique. Les artistes répondent que, de toute manière, quand rien n'existe, tout est possible. C’est un projet qui donne l’opportunité à la rencontre de quelle que soit sa nature. Un musée virtuel fait sens. Surtout quand, de par la guerre qui ravage des pays et l’immigration qui s'ensuit, il est plus facile de connecter les communautés du monde entier plutôt que de se rendre à Gaza pour visiter un musée.

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Des actions dans Gaza, “online/offline” ©AP

 Alexis

Pour en savoir plus :

Il y encore peu d'informations sur ce projet. À venir !

 

#patrimoine #société #numérique