Doukevienlafiche ? Mais que vois-je ?  Dans les couloirs du métro, Orsay a ressorti ses affiches, créée par l’agence Madame Bovary en octobre 2015.

 

Elles n’annoncent pas une nouvelle exposition, un événement, non elles incitent les citadins à revenir user leurs savates dans l’ancienne gare. Plus, elles appellent les parents à venir éduquer leur progéniture. Le musée, lieu d’éducation et de délectation. C’est le meilleur moyen de fidéliser un public, montrer dès l’enfance que le musée n’est pas (plus ?) un lieu poussiéreux et ennuyeux (enfin, pas tous), un lieu non scolaire (quoique les visites de primaires tendent bien souvent à n’en faire qu’une extension de l’école, où l’on y suit les mêmes règles : s’asseoir et écouter, lever le doigt, ne pas parler, ne pas courir, ne pas rire…), un lieu où l’on s’amuse.

Mais assez sournoisement, ces slogans confortent les théories de Bourdieu :« Toute la tradition culturelle des pays de vieille tradition s’exprime en effet dans un rapport traditionnel à la culture qui ne peut se constituer dans sa modalité propre, avec la complicité des institutions chargées d’organiser le culte de la culture, que dans le cas où le principe de la dévotion culturelle a été inculquée, dès la prime enfance, par des incitations et les sanctions de la tradition familiale.[1] »  La tradition familiale, déterminisme social de la fréquentation des lieux culturels.J’ignore si des études ont été menées pour évaluer la portée de cette campagne publicitaire, mais la fréquentation du musée a-t-elle vu déferler des vagues de familles primo-visiteurs ? N’était-ce qu’une piqûre de rappel pour les nouveaux parents (anciens enfants visiteurs, de fait), qui déjà fréquentent régulièrement les musées ?

 

Il y a quelques semaines, les trente années du musée d’Orsay ont été fêtées par la floraison de plusieurs nouvelles affiches aux slogans alléchants : mettez vous sur votre 31 et Aucune tenue n’est exigée (ou presque). Robe de soirée ou nu artistique, on n’est pas loin du Venez comme vous êtes d’une certaine chaîne de malbouffe institutionnalisée… mais le message sonne étrangement faux lorsque le musée est éclaboussé à la même période par plusieurs sorties manu militari de classes de banlieue et de familles défavorisées[2] qui viennent contredire le message d’ouverture baba cool si lyriquement annoncé. Sans même parler de l’artiste Déborah de Roberti, expulsée par deux fois du musée pour s’être allongée nue[3] devant L’Origine du monde et l’Olympia.

Les opérations de comm’ cherchent à attirer de nouveaux publics, moins enclins à passer leurs après-midi pluvieuses devant des Kandinsky ou des cathares grecs. La mise en place d’une carte pass étudiant au musée Fabre de Montpellier a été l’occasion de lancer à la rentrée de septembre une opération de séduction pour le public étudiant. Ces deux visuels diffusés uniquement en ligne jouent sur la même corde décalée que le musée d’Orsay, le musée étant aussi un lieu des premières sensations émoustillées (moi même...).

   

L’idée venant du musée a été soumise à une agence. Celle-ci a réalisé une petite étude du public et proposé plusieurs pistes, soumises à la Métropole dont dépend le musée avant validation. La diffusion sur les réseaux étudiants, universitaires, ou via les réseaux sociaux a ses limites, sans compter la pudibonderie aberrante de Facebook qui a censuré ces deux floutages au motif de caractère tendancieux. (Cette opération de censure d’œuvres au nom de la peau dévoilée, de ce sein que la bienséance ne saurait voir et qui vise au systématisme – on ne compte plus les photos de fontaines baroques, tableaux et sculptures centenaires interdites de séjour sur le sol pas palpable d’internet– n’est pas sans évoquer l’emballage des indécentes statues antiques du Musée du Capitole afin de protéger les chastes pupilles du président iranien en janvier 2016.) Fort heureusement, après quelques semaines de blocage, ces affiches ont tout de même pu être lancées à la conquête du réseau. Il demeure cependant que ces affiches restent très discrètes et peu diffusées hors du public ciblé directement (étudiants montpelliérains), ce qui est dommage pour une campagne publicitaire.

Orsay n’a cependant pas le monopole des affiches du métropolitain. On y croise les placards annonçant de sexpositions temporaires. À venir : le Grand Palais a lancé une campagne avec un seul mot, une seule promesse : « Bientôt ». Nulle date ni titre. Le sujet n’étant précisé que sous l’excuse d’un # en petites lettres en bas. Si on reconnaît vite le Penseur, le tableau de Klimt ne touche qu’un public averti, quant à la parure indienne…

Les couloirs nous allèchent avec des expositions en cours ou presque terminées, les affiches alors dotées d’un bandeau « derniers jours » ou « prolongation », collé de biais tel une écharpe d’élu, sous entendu : « dépêchez vous de venir, mais attention il y aura du monde ! ».

Les musées en quête de publicité

Le Château de Versailles n’est pas en reste et envahit lui aussi la lumière blafarde des couloirs métropolitains pour y ouvrir des fenêtres de couleur et de soleil. Jouant, comme  Orsay sur une série d’affiches avec pour leitmotiv une expression anaphorique suivie  de  l’emploi de l’impératif, qui n’est pas anodin et est loin d’être une nouveauté dans le domaine de la publicité, avant les variations de fin.

Un certain modèle de publicité pour musée se démarque ces dernières années. Miser sur l’humour, sur la tentation ou le besoin de vacances, bref sur le côté décontracté des institutions muséales. Se désolidariser de la poussière des salles glauques d’un vieux Louvre. Briser les barrières psychologiques dressées devant la pompe de ces lieux, nouvelle aux yeux de ceux qui ne sont pas habitués à en arpenter les allées.

L’ouverture de l’antenne de Lens jouait déjà sur cette corde (cas intéressant de publicité périssable puisque l’œuvre de Delacroix est retourné après un an d’exposition dans les galeries de peinture française du Louvre-Paris).

 

En fouillant un peu les archives publicitaires, on peut trouver des publicités totalement à l’opposé de cette vision, insistant sur le contenu de façon plus sérieuse, froide, distante, et sans doute plus rebutant : en 2012, le Musée de la Grande Guerre, à Meaux et la Cité de l’Immigration, à Paris, ont fait une proposition particulièrement austère, alors même que l’ouverture d’un nouveau musée ou la réouverture après une période de travaux est l’occasion de donner une identité particulière au musée et le ton de son discours. La sentence péremptoire à haute vertu pédagogique, associée à une photo ancienne noir et blanc éloignant encore davantage l’institution de la vision d’un musée moderne, vivant et dynamique et surtout comme lieu d’éducation non scolaire. Comment attirer ainsi un public peu enclin à franchir les portes imposantes d’un musée ?

Affiche du Musée de la Grande Guerre, à Meaux (2012)

    

Si une deuxième affiche de la Cité de l’Immigration plaçait « Ton grand-père dans un musée. » (notons la formule sans verbe, presque une apostrophe, presque une insulte délicieusement absurde), elle ne fait qu’insister sur le musée nostalgique plein de vieux albums de famille et de vieilleries poussiéreuses mais sans doute est-ce une fibre qui attire un public familial urbain, nostalgique d’un c’était mieux avant et du pittoresque des anciens métiers.

Plus récemment, en 2016, année anniversaire de nombreux musées parisiens, en particulier des dix bougies du Quai Branly (pardon, du désormais baptisé Musée du Quai Branly – Jacques Chirac), occasion d’inviter le dessinateur Riad Sattouf à réaliser l’affiche dont les traits de Bande dessinées ne sont pas sans évoquer le fétiche à l’Oreille Cassée et la pop-culture voguant sur l’esthétique de l’archéologie et des cultures non occidentales. Le médium utilisé, le personnage qui vient compléter la série (après le grand-père, voilà le gamin sous vitrine), interpellent un public plus jeune, visent même directement les enfants, contrairement à la campagne d’Orsay qui s’adresse aux parents (encore que…).

Que de raisons de se rendre au musée ! S’instruire et s’amuser, voir « des sales gosses » ou des bijoux de famille, des antiquités ou son aïeul… Encore faut-il que les musées tiennent leurs promesses. 

Jérôme Politi

#affichedemusée

#sinstruirensamusant

#métro

Merci à Marion Boutellier, Chargée des publics au Musée Fabre, pour avoir répondu à mes questions. 


[1] Bourdieu Pierre et Darbel Alain, L’Amour de l’art, Les éditions de Minuit, 1969, p. 65-66

[2] http://www.sudouest.fr/2016/12/09/des-eleves-de-banlieue-chasses-du-musee-d-orsay-leur-prof-s-indigne-sur-facebook-3013559-4699.php 

et

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/01/29/01016-20130129ARTFIG00323-une-famille-defavorisee-expulsee-du-musee-d-orsay.php

[3] http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/17/nue-musee-orsay-paris-exhibitionnisme_n_9003114.html