Qui n'a jamais rêvé de s'enfoncer sous terre, d'explorer grottes et lacs souterrains, équipé d'une lampe frontale, d'une carte, d'une combinaison et d'un harnais ? Il en est sûrement parmi vous qui ont réalisé ce rêve, amateurs ou professionnels. Mais n'importe qui ne peut pas s'improviser spéléologue, et encore moins dans un cadre urbain. Dans les milieux cataphiles¹, vous êtes un « touriste » si c'est votre première descente. La cataphilie contemporaine est proche de l'urbex, l'exploration urbaine. L'urbex consiste à explorer des lieux construits par l'homme, abandonnés ou non, interdits ou difficiles d'accès. Être cataphile ou explorateur urbain ce n'est pas la même chose, les seconds qui aiment les souterrains ne sont pas des cataphiles.

Quid du culturel dans tout cela ? Et bien, certains de ces amateurs de souterrains ont choisi de rendre accessibles ces endroits à un public, certes peu nombreux. Différentes initiatives peuvent être recensées, mais la plupart d'entre elles restent inconnues, introuvables. Festivals, expositions, lieux culturels, on trouve de tout sous terre !

 

Sous terre, tout est possible

La Mexicaine de perforation est probablement le plus connu de ces groupes, responsable des Arènes de Chaillot, salle de projection clandestine sous le palais de Chaillot. Branche « événements artistiques » de l'UX, agrégation de groupes clandestins, la Mexicaine de perforation a pour but de créer des zones libres d'expression artistique. À l'origine de plusieurs festivals de cinéma mais aussi de représentations théâtrales, LMDP n'investit pas uniquement des lieux souterrains (le Panthéon, les grands magasins,...). Urbex Movies et Sesión Cómod sont les deux festivals qui ont été organisés par LMDP. Le premier projetait des classiques sur le thème de la ville comme Eraser Head de David Lynch, Fight Club de David Fincher ou encore Ghostin the Shell de Mamoru Oshii. Le second projetait des films en lien direct avec le souterrain, comme La Jetée de Chris Marker ou Le Dernier Combat de Luc Besson. En 2004 la salle de projection fut découverte par la police, et EDF porta plainte pour vol d'électricité (il fallait bien faire fonctionner ce cinéma...).

La salle de projection clandestine à Chaillot ©Urban Resources

Directement issue de l'héritage de la Mexicaine de Perforation, la Clermontoise de Projection Underground, basée à Clermont-Ferrand, organise lors du Festival Underfestprojections, concerts et expositions. A lire dans « Urbexet culture avec la Clermontoise de Projection Underground » à paraître bientôt !

Bien sûr, tout cela est clandestin, et donc interdit. Même sans laisser de trace, pénétrer dans un lieu privé est interdit par la loi. Celui qui se fait prendre s'expose à des poursuites. C'est pour cela que tous ces événements ne concernent que quelques personnes, en général entre trente et cinquante. De plus, la communication est très limitée, il n'est pas toujours facile de savoir comment procéder pour assister à un de ces événements ! C'est le cas des vernissages de Madame Lupin, des expositions d'art contemporain dans des lieux insolites, interdits au public. Il faut réserver sa place, les instructions sont envoyées très peu de temps avant la tenue de l'exposition. Avec quatre expositions à son actif, cette association propose des lieux aussi éclectiques qu'une piscine désaffectée, le fort d'Aubervilliers, un lieu souterrain ou encore le musée des Arts et Traditions Populaires². En plus de ces expositions, l'association organise régulièrement des dîners des lieux insolites. L'exposition Hiddenunder the sand se déroulait dans un lieu souterrain inconnu, partiellement ensablé.

« Hiddenunder the sand » ©G.V.

Des événement culturels clandestins ?

Toutefois, l'occupation culturelle d'un lieu souterrain ne se fait pas forcément de manière illégale, des initiatives légales ont aussi vu le jour. En Croatie, la ville de Pula a pris l'initiative d'ouvrir ses souterrains datant de la Première guerre mondiale au public, tout en proposant régulièrementdes expositions et des manifestations culturelles.

Les souterrains de Pula ©S.B.

Le festival Art souterrain de Montréal

Encore plus développé, le festival Art souterrain se tient à Montréal tous les ans, à l'occasion de la Nuit Blanche. Le but de ce festival est d'exposer les œuvres d'environ quatre-vingt artistes dans la ville souterraine. En effet, la ville possède un réseau souterrain ultra développé (33 km sous terre) qui permet de relier les différents quartiers de la ville. De nombreux commerces et services sont implantés dans ce réseau. En 2016, pour la 8ème édition, le festival Art souterrain a proposé quatre circuits qui emmenaient le public dans treize édifices souterrains.

Doté d'un commissariat d'exposition, le festival propose aussi un parcours « satellite », dans des galeries et lieux culturels de la ville, ainsi qu'un grand nombre d'activités. Visites guidées, visites d'ateliers d'artistes ou médiations pour les scolaires sont proposées tout au long du festival, qui dure presque un mois entier. La prochaine édition se déroulera du 4 au 26 mars 2017, et aura pour thème « Jeu et diversion ».

Et même sur Google !

Sur un terrain plus institutionnel et dématérialisé, Google Arts & Culture regroupe sous le projet Curio-cité des expositions en ligne et des explorations urbaines dans des lieux normalement interdits au public, inaccessibles ou même détruits. Ainsi il est possible de « visiter » les sous-sols du palais de Tokyo, la verrière du Grand Palais, ou encore la fameuse tour 13, investie par de nombreux artistes puis démolie.

L'occupation culturelle des lieux souterrains par des collectifs est due à une convergence entre le fait de braver l'interdit, de redonner un but à des lieux désaffectés, de contrer un système « élitiste » de l'exposition, et tout simplement aussi, de partager des moments chaleureux. La plupart de initiatives sont probablement inconnues, tenues secrètes. Faut-il qu'elles restent telles quelles, ou qu'au contraire, il y ait de la communication et donc une ouverture au public ? Une normalisation, une légalisation, une institutionnalisation ? Cela ne risquerait-il pas de les faire disparaître, de déformer ces pratiques si uniques ?

Juliette Lagny

#artsouterrain

#urbex

1 Un cataphile est une personne qui aime visiter les anciennes carrières souterraines de Paris, de manière interdite.

2 Article sur l'exposition au musée des Arts et Traditions Populaires http://www.linstantparisien.com/paris-underground/