Comme les articles récents du blog le prouvent, le musée et le cinéma entretiennent une longue histoire commune, des films d'Alfred Hitchcock à ceux plus récemment de Wes Anderson, le musée a souvent investi le grand écran.

Affiche du film, 2014.

 

national+galleryCette année, c'est le réalisateur Frederick Wiseman qui s'est attaché àce lieu dans son dernier documentaire. Ce dernier a consacré sa carrière de cinéaste à filmer de grandes institutions publiques comme l'Université de Berkeley aux Etats-Unis, un service de soin intensif, et des institutions culturelles telles que l'Opéra de Paris. S'immergeant dans les lieux pendant des semaines jusqu'à faire oublier sa présence, il veut dresser un portrait fidèle de l'institution et son fonctionnement... Filmer le musée était doncla continuation logique de son entreprise, et c'est la National Gallery de Londres qui a été sélectionnée pour ce documentaire. Wiseman a accumulé 170 heures de rushes pour réaliser son documentaire de 3h.

NationalGallery commence sur un plan fixe d'une des salles d'exposition du musée. Un technicien de surface passe devant la caméra. Comme tous les documentaires du cinéaste, celui-ci nous montre le fourmillement d'activités que le musée contient : restauration (de cadres, de peintures, nettoyage de toiles), analyses de tableaux, mais aussi démontage et montage d'exposition (réaménagements des salles comprenant la peinture, le changement des revêtements..), atelier de modèle vivant, médiation diverse sur divers aspects de diverses œuvres (technique, historique, artistique...), prise en photo des œuvres, scénographie (il montre par exemple une discussion sur la lumière naturelle et ses impacts sur la vision des œuvres), entretien (arrangement de bouquets de fleurs et plantes dans les espace), mais aussi les question de gestion (les questionnements de révision de dépenses dues aux restrictions budgétaires) et ainsi de suite.

Mais dans ce documentaire, une place particulière est accordée aux œuvres d'art, plus qu'à l'aspect social des institutions que Wiseman privilégie habituellement. Les tableaux sont présentés de face, morcelés parfois, pour en relever les détails, et ce parfois longuement. Il montre beaucoup ces œuvres, mais aussi le face à face entre celles-ci et les visiteurs. Il filme le regard des visiteurs vers l’œuvre. Il s'attarde ainsi sur ce jeu de regards dont l’œuvre est la cible.

Outre la rencontre directe des œuvres, Wiseman consacre une grande partie de son documentaire à présenter une autre forme de rencontre entre le public et les œuvres, à travers les médiations diverses, qui s'avèrent très intéressantes : une médiatrice fait revivre, par l'imagination, la façon dont les contemporains d'un triptyque issu d'une Église le regardaient. Une autre médiatrice révèle que l'acquisition des collections a été faite avec l'argent de la Lloyd's, et a donc été financée par la traite négrière, tout comme l'acquisition des collections de la Tate et du British Museum. Ces aspects de l'histoire des musées sont généralement tus et il est intéressant de voir des médiateurs rappeler ce qui n'est généralement pas dit.

National Gallery montre aussi les questions et les enjeux actuels qui pèsent sur l'institution muséale : surtout ceux de représentation et d'identité du musée. Comment prendre en compte le public ? Une des premières scènes nous donne à voir une discussion entre deux membres du musée. La première, chargée de la communication, rappelle que le musée est aussi une attraction touristique et que le public devrait être pris en compte dans le discours, quand l'autre interlocuteur, conservateur, dit ne pas vouloir faire une exposition à succès qui soit « moyenne », prenant le « plus petit dénominateur commun » et y préférant un échec « intéressant ».

Cela montre aussi les positions de professionnels du musée, une vision« marketing », mais plus ouverte sur le public qui rencontre une vision encore très verticale de la culture, qui oppose l'expert et le profane, et qui assimile « grand public » à « simplification ».

Aun autre moment, lors d'une réunion, la question de la participation à un événement populaire de charité (le marathon du « Sport Relief »), est posée. Celui-ci se termine devant le musée, et la population londonienne y est fortement attachée : quelle image le musée renvoie en ne s'associant pas à un projet que tout le monde apprécie ? Mais comment sera t'il perçu en s'associant à un événement populaire et non culturel ? Wiseman nous donne ainsi à voir les stratégies de communication mises en place par le musée.

Habilement, le film se termine sur une scène de danse dans les galeries, dont l'organisation a été discutée précédemment, les danseurs se retirent, la présentation est finie.

Le seul regret est que la question des démarches du musée envers les publics ne soit pas plus développée dans le documentaire, lequel est plus centré sur la rencontre avec les œuvres. L'exploration des coulisses, à part pour certains exemples évoqués ici, mettent les œuvres au centre de l'attention. Ainsi, le musée de Wiseman semble être plus tourné vers les œuvres que vers son public, comme certains le sont encore aujourd'hui. Le film reste une immersion passionnante à l'intérieur d'une institution telle que la National Gallery.

N.PPour en savoir plus : - Cliquez ici !#cinéma#NationalGallery#coulisses