3h30 à Courtrai le 18 novembre 2015, sur la Korte Steenstraat, une vitrine métallique s’ouvre sous le regard intrigué de quelques passants. Nous sommes devant de l’installation Ceci n’est pas... de Dries Verhoeven, elle s’ouvre ici pour le 6ème jour consécutif. Le rideau se lève.

13h30 à Courtrai le 18novembre 2015, sur la Korte Steenstraat, une vitrine métallique s’ouvre sous le regard intrigué de quelques passants. Nous sommes devant de l’installation Ceci n’est pas... de Dries Verhoeven, elle s’ouvre ici pour le 6ème jour consécutif. Le rideau se lève.  Un personnage assis sur une balançoire bouge au rythme d’un bruit sourd. Il est vêtu uniquement d’un body couleur chair et d’une paire d’ailes en plumes orange. «Tu es un homme ou une femme ? » l’interroge une passante. Le personnage la regarde en souriant, muet. Cette question se répète de nombreuses fois au cours de la performance. Car il s'agit bien d'une des questions posées implicitement par l'artiste à travers ce tableau humain.

Présentée dans le cadre du NEXT Festival, cette installation est issue de la série Ceci n'est pas... de l'artiste Dries Verhoeven qui comprend dix différentes scènes dans une boîte en verre insonorisée. Il présente dans ces boîtes des personnages joués par des acteurs dans des scènes “perturbantes”. La veille, dans Ceci n’est pas de l’histoire, un homme noir enchaîné comme un esclave endossait le rôle de Père Fouettard. Le lendemain, Ceci n’est pas notre peur montrait un homme en train de faire la prière musulmane, en écho avec les attentats terroristes ayant eu lieu en France. A travers sa série, Dries Verhoeven entend montrer des situations suscitant un “malaise collectif”, des images provocantes.

L’installation du 18novembre illustre ce malaise, perceptible à travers les réactions du public que nous avons constaté.  C'est ici la notion de genre qui est abordée. A première vue, c'est une femme avec de longs cheveux blonds. Cependant, sa tenue moulante dévoile un corps androgyne, des jambes musclées et un sexe d'homme. A travers les réactions collectées, la question du genre de la personne n'est pas tranchée : tous les spectateurs hésitent entre homme ou femme mais ils envisagent rarement la possibilité des deux sexes chez une même personne. Mais avant le sujet de l'œuvre, c'est la curiosité qui attire de nombreux passants. Ils veulent voir de quoi il s'agit. : "Qu'est ce qu'il fait là ?", "Est-ce vraiment un humain ou est-ce une poupée ?" semblent-ils penser. Beaucoup d'entre eux s'arrêtent, y compris des cyclistes, pour regarder. Certaines personnes attendent quelque chose puis en voyant que "rien" ne se passe, ils repartent. Certains ne s'arrêtent pas mais se retournent plusieurs fois. D'autres prennent des photographies ou se prennent en groupe avec l'œuvre en arrière-plan. Cette installation suscite toujours une réaction, elle interpelle les passants, rarement indifférents. Sa place dans l'espace public dérange, crée une rupture. 

 

Une jeune adolescente s'approche vers nous et nous demande en flamand "C'est une femme ou un homme ?". Elle nous explique ensuite en anglais qu'elle n'aime pas vraiment ce genre d'installation dans la rue. Pas personnellement mais car l'œuvre se situe à Courtrai. "Ici les personnes jugent" précise t-elle. Pourtant, un photographe avoue qu'il a été surpris de la bienveillance et de la tolérance des gens même face aux autres "tableaux" présentés par l'artiste les jours précédents, comme une jeune fille enceinte qui danse.Plus tard, la même adolescente dit son incompréhension mais en lisant le cartel, elle y a trouvé du sens : "There is a meaning, it's different". Pour autant le discours de l'œuvre et le cartel ne répondent qu’à une partie des interrogations : un court texte accompagne l'oeuvre mais ne la commente pas vraiment. Il constate des faits liés au monde occidental, à la société belge, en lien avec la thématique de la scène du jour. Il y est écrit :

" Dans le monde occidental, la pensée s’inscrit dans la dichotomie homme/femme. Selon Freud, la première chose que nous constatons à chaque nouveau contact est si quelqu’un est homme ou femme. Quand la reconnaissance du sexe ne se déroule pas automatiquement, cela engendre de l’incompréhension, de l’irritation ou de la joyeuse confusion. En Belgique, l’état civil permet de changer de sexe si la personne en question a la conviction permanente et irréversible d’appartenir à l’autre sexe et si une intervention médicale a rendu impossible sa capacité de reproduction. Contrairement à l’Australie, par exemple, le choix de n’appartenir à aucun des deux sexes n’est pas possible en Belgique. Les personnes à l’identité de genre trouble se heurtent toujours à beaucoup d’incompréhension sur le plan social, et plus particulièrement de la part des milieux religieux traditionnels.Cependant, trouver un emploi n’est souvent pas simple non plus pour ces personnes, si ce n’est dans l’industrie du divertissement."

Etant si général, le texte, tout comme l'œuvre laisse planer de nombreux doutes chez les spectateurs. Aucune médiation n'est proposée, le spectateur est seul face à ses interrogations. Des personnes se posent des questions entre elles, essayent de nous en poser, sans réponses précises. C'est justement sur cette ambivalence que joue Dries Verhoeven. Il ne répond jamais aux questions posées par l'œuvre,il suscite un débat et une réflexion chez les spectateurs. Dans la présentation de sa série, il interroge : “Why are some images considered tainted when they weretolerated just twenty years ago ? (Pourquoi certaines images sont-elles considérées comme immorales alors qu'elles étaient tolérées il y a seulement vingt ans ?) " ou "Is it good that our children do not see certain things, or have we gone to the extremes inour drive to protect? (Est-ce une bonne chose que nos enfants ne voient pas certaines choses ou sommes-nous devenus trop extrêmes dans nos attitudes de protection ?)". Toutes ces performances abordent une question d'actualité : elles touchent nos instincts et nos sentiments comme la peur, le dégoût, la honte... La neutralité est presque impossible : chaque personne interrogée donne un avis et expose une certaine vision de la société.L’artiste explique qu’il présente des acteurs comme des images commerciales pour pousser les visiteurs à avoir une relation avec ce qu’ils voient.

Les bruits qui accompagnent l'installation du 18 novembre transforment cette personne en une attraction de foire, comme dans une galerie des monstres contemporaine. À de nombreuses reprises, le rideau tombe et l'œuvre est dévoilée de nouveau. Dans son dispositif même, la notion de dévoilement et de spectaculaire est palpable.Quasi nu, le corps androgyne est exposé à la vue et au jugement de tous. "C'est original" commente un homme qui a profité de sa pause déjeuner pour se rendre sur place avec ses collègues. Mi-gênés, mi-intrigués, ils restent postés un moment face à la vitrine de verre.La force de l'œuvre réside aussi dans les débats qu'elle suscite. Cela est le cas avec toute la série Ceci n'est pas. Dans chaque ville où les œuvres ont été présentées, la presse en parlait, les réactions du public étaient recueillies, accueillantes ou hostiles. Devant, les personnes s'interrogent sur la difficulté de vivre cet entre-deux, à la fois homme et femme. Des questions éthiques, scientifiques, sociales émergent : doit-on rester comme nous sommes ?Avons-nous en nous-mêmes une nature d'homme ou de femme ? Peut-on être asexué ?Face à ces questions, les adultes s'avèrent parfois plus ouverts que les jeunes. "Moi, je n'ai aucun problème avec cela" avoue une passante tandis qu'un jeune avec son groupe d'amis explique "On doit rester comme on est (...) Tu dois rester homme parce que la nature a décidé que tu es né ainsi". Est-ce pour cette raison que l'installation s'intitule Ceci n'est pas la nature ? Le titre,comme celui de toute la série, semble plutôt être un pied de nez.Implicitement, il invite à se rendre compte de l'absurdité de nos préjugés. Tout au long de l'après-midi, le personnage se balance et les bruits sourds de la foule se poursuivent. Ce bruit festif et les plumes colorées évoquent la scène queer ou le Carnaval de Rio, où le genre n'a pas d'importance.

 

J. Deschodt, T. Rin et H. Ferrand

Crédits photo : T. Rin et J. Deschodt

#NEXTFestival 

#artcontemporain

Pour découvrir l'installation :

Vidéo réalisée par J. Deschodt :https://vimeo.com/150199389

Pour aller plus loin :

Vidéo réalisée par les fondateurs du site Ceci n'est pas Kortrijk :https://www.youtube.com/watch?v=yGzRr3APjpA

Site de l'artiste et présentation du projet (EN) :

 http://driesverhoeven.com/en/project/ceci-nest-pas/