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Que sont les instruments de musique sans musique ? Des trucs, des bibelots certes jolis mais inutiles. Ils perdent leur raison d'être, si ce n'est pour servir de boite à cookies, de pot de fleurs, d'urinoir, de batte de baseball, de fausse mitraillette, de jouet coquin ; mais même pour cela ils sont moins aptes que d'autres objets, qu'on ne songerait même pas à exposer. Se sont les sons qu'ils produisent qui font de ces breloques aux formes incongrues des petites merveilles ; qui racontent alors l'histoire de la culture dont ils sont issus, dans ce langage universel qu'est la musique. Alors pourquoi les faire taire ? Pourquoi les enfermer au musée et en faire des bagatelles ? Qui sont ces conservateurs fous ? Ne méritent-ils pas d'être pendus par les tripes, ces gredins ? Comment le Musée des Instruments de Musique de Bruxelles ose-t-il s'enorgueillir de posséder 8000 instruments ?Juste parce qu'il expose des bidules vidés de leur substance ! Des machins en bois ou en ferraille avec des fils qui pendouillent ?!  Ah ! Les fripons !
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Voicile cri de rage et l'état d'esprit frondeur avec lequel Tomas del Torquémidi, grand inquisiteur et critique musical, vint à Bruxelles ce samedi 3 novembre 2012, prêt à en découdre avec ces mécréants. Mais bien vite il déchanta et dût remballer son zèle légendaire. D'abord il fut interloqué par les logan du MIM : « vous allez voir ce que vous allez entendre ».

« Entendre » et « voir », deux mots qui résument bien le parcours proposé par ce musée, et la façon dont il met en valeur sa collection.


Crédits : Daniel Bonifacio

Ici, point de bagatelles. Et quand bien même, ce sont des objets parfaitement conservés et fort bien mis en valeur par des lumières individuelles et des cartels complets. Tout cela dans des vitrines thématiques avec un nombre d'instruments restreint présentés de façon claire : sur 8000, 1200 ont été savamment sélectionnés. Chacun se laisse admirer comme le tableau d'un musée des beaux arts, avec une scénographie dynamique. Le volet « voir » était donc réussi, mais n'aurait pas suffit à calmer le zèle de Torquémidi.

Car cet homme aux oreilles nymphomanes avait besoin de sentir les sons vibrer. Le musée lui a permis d'atteindre de multiples orgasmes auditifs grâce à l'audioguide qu'il a reçu à l'accueil. Celui-ci déclenche automatiquement la musique liée au groupe d'instrument de la vitrine devant laquelle on se trouve. Musique qui permet à la fois de restituer le son de l'instrument, mais aussi le genre de musique lié à la période, à la situation géographique et au contexte social dans lequel il était utilisé. L'inquisiteur fut alors emporté dans une orgie sonore, il vit dans son esprit les instruments revivre.

Bien qu'il n'ait fait que la visite individuelle, il avait apprit que le musée proposait en outre des ateliers musicaux, surtout pour les enfants et les personnes handicapés. Ils permettent aux visiteurs d'essayer des instruments. Pour les sourds et mal-entendants il y a même un caisson vibrant qui leur permet de ressentir différents sons à travers tout leur corps. Encore un moyen, pensait-il, de rendre à leurs instruments leur véritable nature. Il y a aussi les visites guidées. Bien qu'il n'en fit pas, il avait écouté au loin, puis posé des questions à un des guides. Il apprit alors que les visites guidées avaient un thème précis qui changeait régulièrement, afin de révéler les multiples richesses de l'exposition et d'augmenter la probabilité de faire revenir les visiteurs pour revoir le parcours.

Et c'est bien le parcours muséographique qui acheva de convaincre Torquémidi que le MIM n'était pas le diable. Celui-ci permet en effet de remettre les instruments dans leur contexte, de raconter leur histoire ; mais mieux encore il apporte des réflexions sur la musique. Il y a d'abord quatre grands thèmes : au premier étage les traditions du monde (musiques traditionnelles du monde entier), au second la musique savante occidentale (de l'antiquité à la fin du XIXe), au quatrième les claviers et les cordes, au sous-sol les instruments mécaniques (qu'il n'a pas eu le temps de visiter). A travers ces thèmes, on y raconte l'histoire de la musique, on y fait un tour du monde, on y fait de l'anthropologie musicale.

Une de ces réflexions porte sur l'origine populaire de chaque instrument. Il y a comme un effet miroir entre le premier et le deuxième étage. Les violons des ménétriers deviennent ceux des musiciens de la cour du Roi, les hautbois des fêtes populaires se retrouvent dans les ensembles baroques... Le musée pourrait presque être qualifié de musée ethnologique. 


Crédits : Daniel Bonifacio

 

Le tour du monde au premier étage débute en Belgique, puis on traverse l'Europe, l'Orient, l'Afrique, l'Asie, l'Océanie. Mais on ne voyage pas bêtement. On apprend que malgré les particularités sonores de chaque culture, les instruments et leurs usages ne connaissent pas de frontière. Par exemple, dans un même espace on trouve des cithares (instrument à corde qu'on trouve aussi en Europe) de pays extrêmement différents : Japon, Égypte, Corée, Tanzanie, Madagascar, Rwanda... On nous montre aussi des ensembles instrumentaux, tel que le gamelan de Java (groupe de percussions), un ensemble de musique rituelle tibétain, ou au deuxième un orchestre du XVIIIe en occident.


Crédits : Daniel Bonifacio

 

Ainsi, chaque instrument est rendu vivant à la fois par le son, mais aussi par son contexte, son utilisation, son histoire. Par exemple, on apprend que la plupart des instruments nous viennent d'Orient, la cornemuse était très répandue dans toute l'Europe. On apprend comment le clavicorde du XVIe est devenu le piano moderne. On peut entendre la musique des grands compositeurs tel qu'eux l'entendaient avec les instruments de leur époque.

Tout cela plût beaucoup à l'inquisiteur. Mais, épouvanté par ce sentiment bizarre d'être heureux et satisfait, il s'en alla aux toilettes (très propres et spacieuses par ailleurs), se mit de l'eau fraîche sur le visage, et remit son esprit critique en état de marche. Et là, bien que restant satisfait globalement, il commença à être irrité par certaines choses. Et remarqua que la muséographie était encore en gestation, et que quelques détails pourraient être améliorés.

L'audioguide joue certes les sons, mais aucune information sur le morceau joué : quel style, quel époque, titre ? Est-ce une musique typique de l'époque et de quel milieu social ? La musique que joue l'ensemble gamelan, par exemple, aurait mérité un développement : elle est, en effet, jouée par des musulmans mais comporte encore les formes et une spiritualité propres à l'hindouisme. Seul la photo de l'instrument apparaît sur l'écran, tant pis pour les curieux et les mélomanes, tant mieux pour Torquémidi qui est enfin redevenu un peu frustré et hargneux.

De plus le caractère automatique de cet audioguide irrita Torquémidi, qui n'avait pas forcément envie d'écouter des minutes d’accordéon et était passé devant les flûtes dont la musique avait du mal à se déclencher, il aurait préféré le faire de lui-même. Et il se trouvait ridicule avec ce gros boîtier lourd qu'il collait à son oreille depuis deux heures, alors qu'un petit casque aurait été plus pratique.

La médiation pour les visites non guidées le laissa aussi perplexe. Ce maniaque a cherché longtemps la partie numéro cinq qui n'existe visiblement pas, et il ne comprenait plus l'ordre de la visite qui était mal indiquée, passant de la partie 6 à la partie 22 puis la 15 ; mais où est donc la 5 !? Il regrettait de ne pas avoir fait la visite guidée, mais encore plus que l'audioguide ne fasse pas cet office.

Cet inquisiteur d'habitude si exalté à l'idée d'assouvir sa haine à travers des articles assassins, rentra chez lui fatigué et malheureux d'être aussi content. Le MIM n'a visiblement pas fait de ses 8000 instruments des vulgaires babioles, au contraire : ils les fait vivre, puis à travers eux nous raconte l'histoire de la musique et nous fait voyager. Il devait bien admettre que finalement la musique pouvait avoir sa place dans un musée.

 

Daniel Bonifacio

Musée des Instruments de Musique de Bruxelles : http://www.mim.be/

Du mardi au vendredi : 9h30 - 17h00

Samedi et dimanche : 10h – 17h00