Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne exposition, qu’elle soit artistique, scientifique, culturelle ou historique ?

Certains répondront que c’est la qualité de contenus qui fait une bonne exposition, d’autres parleront des connaissances acquises et des émotions ressenties.

Pourtant, dans les expositions temporaires et les salles de collections permanentes des musées, beaucoup de visiteurs ne semblent se préoccuper que de la possibilité de se mettre en scène pour capturer le meilleur « selfie » à partager sur leurs réseaux sociaux.

Le selfie est une pratique devenue tellement commune à travers le monde que le mot a été inscrit en 2013 dans les Oxford Dictionnaries puis en 2014 au Petit Robert français. L’emploi du mot serait exponentiel, ayant d’ailleurs augmenté de 17.000% entre 2012 et 2013, d’après l’entreprise Oxford.

Pour réussir un selfie, il faut une luminosité et un angle de vue avantageux. Mais surtout, l’environnement permet de créer une atmosphère et de raconter sa propre histoire. Les expositions sont donc devenues un espace idéal pour assouvir ce besoin de paraître. Aujourd’hui, impossible de parcourir un lieu culturel ou touristique sans se heurter à un selfie stick. Dans certains musées, le phénomène est devenu tellement viral qu’il a été interdit, pour préserver la sécurité des visiteurs et des œuvres, à l’exemple du Château de Versailles et du MoMA à New York.

Des défenseurs du selfie avancent plusieurs aspects positifs à cette pratique : l’effet de mode permet à certains d’aller dans des lieux qu’ils ne fréquentaient pas jusqu’alors, de découvrir l’art autrement, de s’approprier l’histoire et le patrimoine ou encore de s’impliquer dans l’œuvre. Pour eux, ça peut être un moyen de découvrir autrement. Jill Carlson a d’ailleurs précédemment publié un article sur les atouts des selfies sticks en visite (sur le blog L’art de Muser: http://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/1229-le-musee-ne-vous-tend-plus-la-perche?highlight=WyJzZWxmaWUiXQ== )

 

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©Instagram
Sur ces trois selfies, l’artiste est parfois référencée en légende, le titre de l’œuvre n’apparaît jamais complètement, mais plutôt évoqué (« The infinity room is always amazing »)
Yayoi Kusama, Infinity mirrored room – The souls of millions of light years away, 2013.

 

Pourtant à observer ces visiteurs préoccupés par leur image, je me demande sincèrement en quoi s’inquiéter de la bonne tenue de ses cheveux plutôt que d’observer l’œuvre en arrière plan correspond à une quelconque réappropriation de l’art. Les angles de vue comme les pauses sont quasiment identiques entre les visiteurs. La mise en scène avantageuse compte plus que le sens donné à la photographie, voire parfois à la visite même. C’est autant amusant que troublant d’aller sur les réseaux sociaux et de trouver en multiples exemplaires quasiment la même photographie publiée par autant d’utilisateurs. La créativité s’exprime-t-elle dans la prise de vue ? Rien n’est moins sûr à observer l’homogénéisation qui répond aux effets de mode.

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©Instagram
Différents selfies pris dans l’œuvre Inside the horizon, 2013 de Olafur Eliasson.
Seul le lieu est identifié, primant ainsi sur l’œuvre.

 

La conquête du cliché parfait a déjà causé des accidents, où les visiteurs peu attentifs ont endommagé, voire détruit des œuvres d’art.
L’exemple le plus connu est certainement la chute d’une femme sur un piédestal créant un effondrement en chaîne de plusieurs socles dans l’espace 14th Factory à Los Angeles en 2017. Le coût total des dégâts est alors estimé à 200 000$.
En 2017 également, au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden à Washington, un touriste a perdu l’équilibre en se photographiant dans l’installation de l’artiste Yayoi Kusama, Tout l’amour éternel que j’ai pour les citrouilles. Le coût d’une seule citrouille est estimé à un million de dollars…

 

Et malgré cela, les selfies sont de plus en plus incités par les grandes institutions, qui créent des hashtags et des concours de selfies. Une journée internationale du selfie dans les musées a même été mise en place, particulièrement relayée sur les réseaux sociaux à l’exemple d’Instagram (#museumselfieday). Le selfie devient un moyen de promotion du lieu, une nouvelle stratégie marketing cherchant à toucher un public jeune (les générations Y et Z, ou Millennials).

 

Aux États-Unis, des « musées » sont créées uniquement pour offrir aux visiteurs des espaces attractifs et originaux pour se prendre en photo, le Museum of Ice Cream en tête.

 

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©Instagram
Museum of Ice Cream, Rainbow Room.

En Europe, les installations artistiques monumentales sont souvent mises en valeur dans les outils de communication afin d’inviter les visiteurs à venir s’y faire photographier.

L’intérêt artistique, historique, technologique ou scientifique passerait-il après le gain de visibilité ? À quand une étude de la photogénie des installations ?

Même si heureusement, chacun est libre de ses actes et ses choix le reflexe du selfie pour chaque instant insolite ou extraordinaire devrait être davantage interrogé. L’instant présent, pleinement vécu et nourri d’émotions manque de succès face à la concurrence des apparences.

 

Chloé Maury

 

#museumselfieday
#selfiemuseum
#moiaumusée

http://www.mac-s.be/fr/123/Selfie-au-musée

 

NB : Les photographies ci-dessus sont uniquement des captures d’écran de profils publics sur Instagram. Les structures visitées sont toujours identifiées, à défaut du nom de l’œuvre servant d’environnement au selfie ou de l’artiste.