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On sait peu de choses quant à l’impact de manipulations répétées sur le bien-être des reptiles - © S.T.

Il est un personnage que l’on croise régulièrement dans les musées : le médiateur. Son rôle consiste à transmettre un savoir aux visiteurs en établissant un dialogue, ou tout du moins un discours, autour des collections. Dans cet article, nous considèrerons que la médiation consiste en un processus par lequel une personne interne à l’équipe du musée utilise un ou plusieurs éléments des collections pour délivrer des connaissances au public.

Ce processus revêt un aspect tout particulier lorsque le médiateur s’accompagne d’un animal vivant – cas de figure que l’on observe notamment dans les parcs zoologiques.


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Rien ne vaut une petite démonstration pour expliquer au public le comportement des crocodiles - © S.T.

Avant d’en venir à l’animal médiateur, prenons un instant pour nous interroger sur la nature de ces fameux parcs zoologiques. Est-il juste, en effet, de les identifier à des structures muséales ? La réponse est oui si l’on en croit l’ICOM (le Conseil International des Musées), dont la carte est acceptée par certains zoos. Il arrive également que ces derniers soient couplés avec un muséum d’histoire naturelle comme à Paris ou Besançon. Le zoo se distingue néanmoins par ses collections composées en grande majorité – voire exclusivement – d’animaux vivants. On parle d’ailleurs de « responsable de collections » pour désigner la personne chargée de l’acquisition ou de la cession des espèces présentées. Précisons qu’à ce niveau, les zoos reconnus par l’EAZA (Association Européenne des Zoos et Aquariums) respectent la condition de but non lucratif qui caractérise les musées puisque les animaux ne sont jamais achetés ni vendus (à l’exception des espèces domestiques destinées aux mini-fermes pédagogiques) : les parcs membres de l’association ne font que s’échanger, se prêter ou se donner des spécimens sans leur accorder de valeur monétaire. La nature des zoos rejoint également celle des musées d’ethnographie dans le sens où ces structures avaient au départ pour unique objectif de susciter la curiosité du public en montrant des « objets » exotiques – une fonction que beaucoup de parcs remplissent toujours aujourd’hui, mais à laquelle s’est ajouté un rôle dans la conservation des espèces menacées et la sensibilisation écologique.
On peut maintenant arguer que les grands zoos ressemblent davantage à des parcs d’attractions qu’à des institutions dédiées à l’éducation : shows spectaculaires, formules de visites V.I.P., séjours en lodges à plusieurs centaines d’euros la nuit… De ce point de vue, le parc zoologique apparaît comme une sorte d’intermédiaire entre le musée et l’industrie du divertissement. Mais ce débat mériterait de faire l’objet d’un article entier ; revenons donc à la manière dont les zoos font de leurs animaux de véritables acteurs de médiation, et ce que cela implique.

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L’art de la fauconnerie attire un large public ; une occasion pour le parc de délivrer son discours au plus grand nombre - © S.T.

La principale difficulté du médiateur consiste à capter (puis maintenir) l’attention d’un public plus ou moins passionné par le sujet évoqué. L’exercice est particulièrement délicat au sein des parcs zoologiques qui attirent des profils de visiteurs très variés : familles avec enfants et/ou adolescents, jeunes couples, personnes âgées, groupes scolaires, IME, touristes étrangers, etc. Rares sont les établissements culturels à accueillir un panel social aussi large, avec des attentes et des besoins aussi différents. De plus, une part importante de ce public ne vient pas forcément au zoo dans le but de s’instruire, ce qui peut la rendre hermétique au discours du médiateur si celui-ci ne parvient pas à rendre son intervention attractive. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les zoos emploient souvent des « animateurs » plutôt que des médiateurs : il s’agit en effet de divertir et pas seulement de transmettre. Or, quoi de plus divertissant qu’un animal vivant ? Ce dernier réussit à faire ce dont un outil inerte est souvent incapable en s’adressant à la sensibilité émotionnelle du public. Peu de gens restent insensibles lorsqu’on leur propose d’approcher, voire de toucher un animal sauvage – et les zoos ont très bien compris les trois mécanismes principaux qui entrent ici en jeu :

  • L’attendrissement : les animaux de petite taille et d’aspect inoffensif inspirent aux visiteurs une affection quasi immédiate.
  • La peur du prédateur : les grands carnivores fascinent les foules à la recherche de sensations fortes.
  • L’admiration : certaines espèces (rapaces, éléphants, gorilles…) sont porteuses d’une forte valeur symbolique dans l’imaginaire collectif.

Chaque parc possède ainsi ses stars qui permettent à l’animateur d’attirer le public à qui il souhaite s’adresser. Une fois que cet « hameçonnage » a fonctionné, il devient alors possible d’entrer dans le processus de médiation : l’animateur profite du fait que son auditoire soit captivé par l’animal pour lui transmettre des connaissances en présentant l’espèce et en commentant ses comportements. Ces animations s’accompagnent très souvent d’un nourrissage qui incite l’animal à se montrer (détail important dans le cas d’espèces farouches ou peu actives en journée). La médiation s’articule donc autour d’une dimension émotionnelle liée à l’animal, et d’une dimension intellectuelle liée à l’animateur humain. L’action conjuguée de ces deux canaux renforce le processus et permet de capter un public souvent considéré comme difficile.

Il convient cependant de s’interroger sur les questions éthiques que soulève l’utilisation d’animaux captifs comme outils de médiation. En effet, il arrive que ces derniers soient forcés de participer à une animation source de stress potentiel : public agité et bruyant, mains qui se tendent pour toucher, musique tapageuse diffusée par des enceintes, voix de l’animateur qui lorsqu’il ne parle pas dans un micro doit presque crier pour se faire entendre en cas de forte affluence… Si certains animaux s’habituent facilement à ces stimulations, d’autres peuvent être amenés à en souffrir – sans forcément le montrer. Nous commençons tout juste à prendre conscience du problème ; de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui contre les spectacles de cétacés depuis la diffusion du documentaire Blackfish, sorti en 20131. Mais que savons-nous par exemple de l’impact que peuvent avoir des manipulations répétées sur le bien-être d’un serpent ? Très peu d’études sérieuses se sont penchées sur la question étant donné que les reptiles inspirent moins de sympathie que les dauphins ou les orques. Il en résulte que certains animateurs de parcs zoologiques ne possèdent pas les connaissances nécessaires à l’évaluation du bien-être des espèces dont ils ont la charge. Incapables de détecter d’éventuels signaux d’alerte, ils ignorent comment se comporter face à un animal en détresse. Cette situation est en partie liée à la manière dont ces animateurs sont recrutés : il s’agit parfois de stagiaires ou saisonniers dont les connaissances scientifiques n’ont fait l’objet d’aucune vérification, et dont le discours peut contenir des erreurs. Des défaillances surviennent alors non seulement au niveau du respect des besoins de l’animal, mais aussi dans le contenu du message délivré au public. Ajoutons à ce problème le cas des zoos qui, pour drainer toujours plus de visiteurs, décident d’abandonner presque totalement leur discours scientifique pour le remplacer par des spectacles proches de ce que l’on s’attendrait à voir dans un cirque. Le show Tiger World présenté au zoo d’Amnéville en est un exemple flagrant, et a d’ailleurs amené l’EAZA à exclure ce parc de la liste de ses membres permanents2


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Les spectacles avec dauphins, souvent plus proches du numéro de cirque que de la médiation scientifique, font aujourd’hui polémique - © S.T.

Peut-on encore utiliser des animaux vivants comme outils de médiation/animation à l’heure où se pose la question de leur accorder davantage de droits, et alors que les scandales liés aux cas de maltraitance enflamment l’opinion publique ? Ce problème complexe ne trouvera pas de résolution immédiate, car il interroge une tradition solidement ancrée dans nos sociétés et remet en cause le fonctionnement d’institutions entières. Si les cirques avec animaux sauvages tendent à régresser, les parcs zoologiques, muséums et autres lieux présentant des collections vivantes sont encore largement acceptés et attirent un public nombreux. Peut-être faudrait-il donc formuler le problème de manière plus nuancée, en se demandant comment faire en sorte que l’utilisation des animaux par ce type de structures se fasse en accord avec le bien-être des espèces concernées.

Il apparaît clair que médiateurs et animateurs devraient systématiquement recevoir une formation poussée, afin de savoir appréhender le comportement des différentes espèces et adapter leurs propres attitudes en fonction des réactions de chaque animal. D’autre part, cette capacité d’adaptation ne devrait pas se restreindre aux médiateurs eux-mêmes mais valoir également pour l’ensemble de la structure, car travailler avec le vivant nécessite de toujours garder une grande souplesse dans la conception des programmes de médiation. Certains zoos l’ont déjà compris et ne font que proposer (et non imposer) à l’animal de participer à une animation. On peut citer ici le cas du parc CERZA au sein duquel deux animations particulières (le nourrissage des lémuriens et le nourrissage des girafes) permettent au public d’approcher ces espèces : dans le cas des lémuriens, les visiteurs pénètrent à l’intérieur de l’enclos puis s’installent tout autour de la zone de nourrissage, sans aucune barrière de séparation ; en ce qui concerne les girafes, le public a la possibilité de leur tendre de petites branches feuillues pour les nourrir lui-même. Bien que les animateurs précisent au début de chaque session qu’il est défendu de toucher directement les animaux, la proximité et la tentation engendrent presque systématiquement ce type de contact. Cependant, lémuriens et girafes ont le choix de rester éloignés de la zone d’animation en s’isolant dans les arbres ou dans une partie de l’enclos inaccessible aux visiteurs. Il est d’ailleurs très rare que la totalité des individus participe, et ceux qui approchent peuvent à tout moment quitter les lieux s’ils se sentent indisposés par le public. L’animateur adapte son discours en fonction de cette libre circulation. Cela lui complique un peu la tâche – notamment lorsqu’aucun animal ne répond à ses sollicitations et qu’il doit alors « meubler » en attendant que l’un d’eux se décide éventuellement à venir… Cette situation préserve cependant le bien-être des individus, faisant entrer le zoo dans une dynamique plus saine où les besoins des animaux passent avant les désirs du public, et non l’inverse.

M.T.

 

1. DAVIER, Margot. "Blackfish, la bête noire des parcs aquatiques". Télérama [en ligne], publié le 18/07/2017.[consulté le 21/02/19] 

2. MATAS Jennifer. "Le zoo d'Amnéville rétrogradé au rang de "membre temporaire" de l'EAZA". Zooactu [en ligne], publié le 2/11/15. [consulté le 21/02/19]


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