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Vous avez dit muséographie ? © CR

 

En fait, je pense que très peu de gens imaginent qu’un.e muséographe conçoit des contenus d’exposition et la manière de les médiatiser auprès du public. Et encore le terme de conception est-il trompeur car les muséographes ne fabriquent rien, du moins rien de physique. Mais alors que font-illes ? C’est simple : illes lisent, illes écrivent, illes coordonnent, illes improvisent. Pour rendre tout cela plus concret, partons d’un cas concret : l’exposition Rose Valland. En quête de l’art spolié qui se tient actuellement au Musée dauphinois. Son commissariat a été assuré par Olivier Cogne et sa muséographie par trois masterantes – Clara Pinhède, Suzy Louvet et moi-même - dans le cadre d’un stage long au Musée dauphinois.

Les muséographes lisent 

 

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Suzy Louvet à son bureau, équipée des indispensables du muséographe : des livres, un téléphone portable et un ordinateur © Denis Vinçon

 

Dans sa première phase, le travail des muséographes se rapproche de celui des chercheur/euses : pour s’approprier un sujet, les muséographes commencent par compiler de la documentation. Il s’agit souvent de littérature grise, produite par des spécialistes du sujet mais aussi de catalogues d’expositions traitant de thématiques proches, d’articles de presse mais aussi, d’ouvrages de fiction, etc. Dans le cas de Rose Valland et de l’art spolié, la littérature disponible était abondante. Elle se composait aussi bien d’ouvrages scientifiques que fiction. L’intérêt (re)naissant pour ce sujet depuis le mi-temps des années 1990 s’est également traduit par la production de documentaires et d’expositions sur le sujet.

Les muséographes s’intéressent aussi à des sources de première main – les archives – avec des objectifs un peu différents de ceux des chercheur/euses en sciences humaines. La consultation des archives peut bien entendu simplement compléter la veille documentaire. Mais le recours aux archives permet aussi de documenter un objet ou des objets à exposer, voir même de trouver des pièces à exposer. Pour préparer l’exposition Rose Valland. En Quête de l’art spolié, nous avons abondement consulté les fonds des Archives nationales et des Archives diplomatiques. Rose Valland a elle-même produit (et conservé) une documentation considérable. Sa consultation s’avérait indispensable pour comprendre en profondeur le travail de cette fonctionnaire déterminée mais discrète sur ces activités professionnelles.  Nous avons été accompagné.es dans cette tâche par le comité scientifique de l’exposition regroupant des spécialistes de différentes institutions : Ophélie Jouan (Archives nationales), Sébastien Chauffour (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères), Alain Prévet (Direction des Musées de France), David Zivie et Thierry Bajou (Ministère de la culture), Didier Schulmann (Centre Pompidou), Olivier Renodeau (Musée de l’Armée).  Jacqueline Barthay, présidente de l’Association La Mémoire de Rose Valland a également largement contribué à cette phase du projet en nous accompagnant dans le dépouillement du fond documentaire inédit rassemblé par l’association. 

Quelle que soit la qualité des sources consultées, la lecture du muséographe n’est jamais désintéressée ; lire ce n’est pas seulement gagner des connaissances, c’est construire sa connaissance d’un sujet, l’apprivoiser, le circonscrire. La forme de synthèse opérée par muséographe est relativement spécifique. Il s’agit tout autant d’un tri de l’essentiel et de l’inessentiel, du simple et du complexe que de l’attrayant et de l’inattrayant, du curieux et du convenu. Son objectif est moins de résumer un champ de connaissance que d’y trouver une porte d’entrée originale par laquelle pourra se frayer le plus grand nombre. Ce ou ces biais de lectures sont souvent appelés des « partis pris muséographiques ». 

 

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Les scénographes d’Inclusit Design se sont emparé du parti-pris de l’enquête en construisant l’espace comme un jeu de Cluedo © CR d’après une création originale d’Inclusit Design

 

Deux partis-pris muséographiques ont donné sa coloration à l’exposition du musée dauphinois. D’abord, l’insistance sur la période post 1945 de la vie de Rose Valland, soit sur son travail de recherche et de restitution de l’art spolié. Ce premier choix en a orienté un second, plus formel, celui de l’enquête.

Les muséographes écrivent

Assez logiquement une fois ce travail d’appropriation documentaire terminé – ou du moins bien entamé – les muséographes peuvent commencer à produire du contenu ou plutôt des contenus. 

Classiquement, illes commencent par une note d’intention, document qui rappelle le contexte de production de l’exposition et précise ses premières intentions de contenu. Cette note d’intention devient au fil des mois un synopsis d’exposition, de plus en plus développé et précis. Le synopsis d’exposition détaille le parcours d’exposition. Il met en rapport un contenu organisé, hiérarchisé et les espaces d’exposition disponible. Chaque chapitre de l’exposition est ainsi déjà plus ou moins pensé dans et en fonction de l’espace.

 

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Des formes de productions écrites diverses dans l’espace évoquant la spoliation artistique et le marché de l’art parisien sous l’occupation : mur d’acteur/trices et fiches biographiques, texte de salle, cartels © C.R

 

Dans une des dernières phases du projet d’exposition, les muséographes peuvent être amené.es à rédiger des textes d’exposition. S’il n’est pas rare que les textes principaux de l’exposition soient rédigés par le commissaire de l’exposition, le muséographe échappe plus rarement à l’écriture des cartels. 

Les textes de l’exposition Rose Valland, ont ainsi été produit.es à six mains : Olivier Cogne, le commissaire d’exposition se chargeant des textes de séquences, Suzy Louvet et moi-même nous répartissant l’écriture des cartels et de tous les autres éléments textuels de l’exposition (cartels, biographies d’acteur/trices, scénario et dialogue d’un jeu numérique, etc.). Le travail d’écriture muséographique est un travail d’équipe et donc un travail itératif. Selon les configurations, les textes sont relus au sein de l’équipe de projet et/ou par le comité scientifique de l’exposition. Ceux de l’exposition du Musée dauphinois ont fait l’objet d’une double relecture, en interne et en externe. Deux membres du comité scientifique se sont particulièrement investis dans cette vérification : dans un premier temps, la chercheuse Ophélie Jouan -  par ailleurs autrice de Rose Valland. Une vie à l'œuvre la publication qui accompagne l’exposition – puis David Zivie, chargé du patrimoine au ministère de la culture. 

Comme tous les travailleur/euses de bureau du 21e siècle, les muséographes écrivent aussi des mails, beaucoup de mails et d’autant plus de mails que leurs interlocuteur/trices sont nombreux/euses.

Les muséographes coordonnent

Qu’illes soient indépendant.es ou embauché.es par une structure muséale, les muséographes sont  des interlocuteurs privilégié.es. Illes sont en contact permanent à la fois avec tout le personnel interne à la structure dans ou pour laquelle illes exercent mais aussi avec tous les prestataires qui interviennent sur le projet. 

Les muséographes occupent un rôle pivot à l’intérieur comme à l’extérieur du musée. Pour ce projet, nous travaillions étroitement avec le service des collections, avec la chargées d’action culturelle et l’équipe technique mais aussi plus ponctuellement avec le photographe, la chargée de communication, la gestionnaire et plus globalement l’ensemble des personnels du musée. 

En externe, nous assurions les relations avec les musées et particuliers prêteurs. Le nombre de prêteurs et leur dispersion géographique a rendu cette tâche particulièrement chronophage – mais aussi réellement passionnante puisqu’il s’agissait de collaborer avec des structures très diverses, tant régionales que nationales. Nous avons également sollicité des prêts d’œuvres restituées auprès de particuliers. Le repérage des prêteur/euses potentiel.les et la prise de contact avec elle/eux n’a pas été chose facile. Néanmoins, le dialogue instauré avec ces particuliers c’est avéré particulièrement riche et nous a permis de ne pas perdre de vue les conséquences de ce double mouvement de spoliation/restitution pour les familles impliquées.

Last but not least, nous étions le contact des prestataires extérieurs intervenant sur le projet : l’agence de scénographie Inclusit design, les graphiste Jeanne Bovier Lapierre et Jérôme Foubert, mais aussi l’agence de création numérique PixelsMill, le concepteur de jeu Escape Game Bastille, l’illustratrice Cécile Becq et le cartographe Thomas Lemot. Il s’agissait très concrètement de fournir à ces différents prestataires la matière dont ils avaient besoin pour leurs créations respectives. Nous avions aussi à charge d’établir un rétroplanning cohérent permettant de coordonner au mieux l’avancement et la remise des productions de chacun.e.

 

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Comment présenter le verso des tableaux MNR exposés tout en sécurisant les œuvres, en permettant aux pompiers de les dégager facilement en cas d’incendie et en respectant les exigences de conservations imposées par les musées prêteurs ? Ce problème complexe a demandé plusieurs mois de réflexion collective. La solution mise en œuvre est un système sur mesure respectant les différents systèmes d’accrochages des tableaux © Denis Vinçon

 

A partir d’un certain stade, ce travail de coordination devient beaucoup plus concret. Lorsque la construction de l’exposition débute, le muséographe peut être amené à assurer le suivi de chantier. Dans cette configuration, notre rôle consistait essentiellement à faire l’interface entre l’équipe de chantier et la scénographe, basée à Saint-Etienne. Cela signifie, en pratique, recueillir les questions et demandes techniques de chacune des parties et y répondre au mieux pour faciliter le bon avancement du chantier. Cela suppose une connaissance solide du projet de scénographie et une grande disponibilité. Le muséographe n’est bien entendu pas un spécialiste de tous les métiers à qui il s’adresse : les solutions aux problèmes techniques soulevés sont donc le plus souvent trouvées collectivement.  L’équipe de muséographie du projet "Rose Valland" était d’ailleurs chargée, en coordination avec le commissaire d’exposition, d’organiser et d’animer les réunions de chantier réunissant les équipes de conception et de réalisation.

Les muséographes improvisent

De par son double rôle de conception et de coordination, le muséographe est le roi des plans B (puis C puis D…). Dans toutes les phases de son travail, le muséographe doit tenir compte de contraintes plus ou moins nombreuses imposées à la fois par le commanditaire de l’exposition et par les musées prêteurs. Ces contraintes sont liées à la qualité des espaces d’exposition, aux exigences de conservation préventives, au budget alloué à l’exposition, etc. 

 

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Les vitrines récupérées pour m’exposition Rose Valland, rassemblée dans le chantier d’exposition en vue de leur aménagement par l’équipe technique du musée © Denis Vinçon

 

En sus des exigences évoquées ci-dessus, le musée dauphinois a à cœur de favoriser le réemploi du matériel d’exposition, dans une démarche de développement durable. Pour l’exposition Rose Valland, seules quelques vitrages aux dimensions très spécifiques ont dû être commandées. L’intégralité des vitrines tables présentes dans l’exposition a déjà servi dans une ou plusieurs expositions.  Ce recyclage a d’abord nécessité plusieurs heures de repérage des éléments les plus adaptés dans les locaux de stockage du musée. L’utilisation de vitrines un peu plus grandes ou plus petites que celles prévues dans les plans de scénographie implique nécessairement des ajustements et donc un dialogue entre muséographes, scénographes et équipes techniques. Enfin, la plupart des vitrines utilisées n’étaient pas des vitrines climatiques, il a fallu prévoir les aménagements nécessaires pour pouvoir stabiliser leur climat et ainsi répondre aux exigences de conservations des centres d’archives prêteurs. La solution trouvée consiste à insérer des cassettes de gel de silice dans des doubles-fonds spécialement aménagé par les menuisiers du musée.  Cette démarche de réemploi concerne tous les éléments de scénographie, y compris le matériel numérique : tous les écrans présent.es dans l’exposition sont des réemplois. Une fois encore, cela a supposé des ajustements de format, discutés en amont avec la vidéaste Bénédicte Delfaux qui a produit les six pastilles qui ponctuent le parcours d’exposition.  

Les exemples de ce type pourraient être multipliés à l’infini. A tel point que si l’on devait ne retenir qu’une qualité requise du/de la muséographe, ce serait bien l’adaptabilité. Les muséographes sont aussi  désireux/euses de partager le fruit de leurs aventures collectives ; je ne fais pas exception : rendez-vous au Musée dauphinois, jusqu’au 27 avril prochain. 

 

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Vous avez re-dit muséographie  ? © CR

C.R

#Muséographie

#RoseValland

#Muséedauphinois

 

Pour aller plus loin : 

Le site du collectif professionnel Les Muséographes : http://les-museographes.org/museographie/les-missions-de-la-museographie/

L’exposition Rose Valland. En Quête de l’art spolié et la programmation associée : https://musees.isere.fr/expo/musee-dauphinois-rose-valland-en-quete-de-lart-spolie

…Et un excellent article que l’Art de Muser a consacré à Rose Valland, aux spoliations nazies et aux recherches de provenance.