En 2005 la chorégraphe Trisha Brown confie à Rosita Boisseau, journaliste pour Le Monde : « Je suis une travailleuse, une danseuse, une sorte de machine à danser »1. Une autre  « machine à danser » est le petit prodige venu de Chambéry, Boris Charmatz qui intègre en 1986 l’école de danse de l’opéra de Paris. Il y reste jusqu’en 1989 puis rejoint le Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon. 

Depuis les années 90, les parquets de danses sont les témoins de changements importants dans la manière d’aborder cet art. Ce nouveau courant qu’est la non-danse rejette les formes spectaculaires. Les multiples collaborations et créations de Boris Charmatz font rapidement de lui le chef de fil de ce courant. Il bouleverse les codes de la danse contemporaine en mettant à l’épreuve dans des pièces originales les limites de la danse. C’est le cas pour Héâtre-élévision (2002) dont la frontière entre installation artistique et pièce chorégraphique sont abolis. Les arts communiquent et s’enrichissent mutuellement. 

Boris Charmatz accorde une importance à la transmission et à l’échange avec le public. A l’instar de Trisha Brown qui multiplie les performances dansées dans des endroits insolites, Boris Charmatz troque ainsi les traditionnelles salles d’opéra pour des étendues de macadam. Il n’est plus question de quatrième mur, la scène n’existe plus. Les spectateurs sont placés au même plan que les danseurs, ces derniers n’hésitant par à intéragir avec ceux venus les admirer silencieusement. Notre chorégraphe  multiplie actions et autres dispositifs. Comme Bocal, une école de danse itinérante sans professeur ni mur, savant mélange entre musée hors les murs et incubateur de nouveaux talents.  

Musée de la Danse

En 2009, il prend la direction du Centre Chorégraphique de Rennes et de Bretagne. Dans sa volonté de faire communiquer les arts, le centre est muté en un musée de la danse. Il remet en question la place de la danse dans l’espace public. A travers ce centre qui prend un nouveau visage, la notion de musée est également questionnée : « Je propose de fondre toutes les missions dévolues à un Centre chorégraphique national et de les agiter dans un cadre ancien et nouveau à la fois, un cadre drôle et désuet, poussiéreux et excitant, un musée comme il n’en existe nulle part ailleurs. Je voudrais opérer une transfiguration qui donne sens aux missions qui se sont façonnées au cours de l’histoire de cette institution. »2. Il souhaite ainsi concilier création et transformation dans une sorte de musée-laboratoire. 

Il prend donc l’initiative de rédiger Manifeste pour un musée de la Danse. Boris Charmatz part du constat que très peu de musées sont dédiés à cet art, même à travers le monde. Cela peut s’expliquer par le caractère pérenne du musée, une entité qui se veut fixe. Alors que la danse, par définition, s’inscrit dans un période courte. C’est un art éphémère et immatériel dans le sens de la pratique. Néanmoins selon Boris Charmatz, ces deux mondes peuvent se rencontrer voire se confronter. La nouvelle muséographie qui fait force dans les esprits et dans les institutions, ses modes de pensées, dispositifs et technologies favorisent cette union. Le manifeste conclut sur une charte de ce que pourrait incarner le musée de Danse. Il en ressort les « 10 commandements » de son musée. Je vous invite à lire, ce qui peut être pour Boris Charmatz sa bible pour un musée idéal, disponible sur le site internet du Musée de la Danse.

Fous de danse

Initié par le Musée de la Danse, Fous de Danse est une manifestation de danse dans l’espace urbain, chère aux yeux de Boris Charmatz, « Comme beaucoup de gens, j’ai été très marqué par les assemblées citoyennes dans l’espace public. » Il n’est pas à son premier essai et tend à ouvrir les frontières de la danse où l’édition 2017 s’est déroulée à Brest et à Berlin. Fous de danse fait référence au titre d’une revue publiée dans les années 90. Il souhaite l’horizontalité, la transversalité et la gratuité.  

C’est donc sur l’esplanade Charles-de-Gaulle que l’édition de 2018 a pris place, devenue le temps d’une journée un théâtre éphémère. Fous de Danse réunit des chorégraphes-danseurs venus de différents pays pour faire découvrir et faire danser près de 16 000 Rennais. Des danses traditionnelles du Maghreb avec Filipe Lourenço au fest-deiz avec les Frères Guichen et Krismenn & Alem, les formes et les pratiques se complètent pour créer un nuancier de chorégraphies. C’est évidemment sans compter sur la présence de Boris Charmatz qui ouvre le festival par un échauffement pour tous ainsi qu’une danse collective. Il guide, enseigne, entraine. Bref, il incarne plusieurs personnages, plusieurs rôles.

En 2018, Boris Charmatz fait ses adieux au Centre Chorégraphique de Rennes et de Bretagne, alias le Musée de la Danse. Dix ans se sont écoulés, et il continue d’enchaîner des projets les plus audacieux comme Fous de Danse. Et pour autant, il n’arrête pas de danser.

 

Edith GRILLAS

 

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1 Trisha Brown : "Je suis une sorte de machine à danser"

2 Citation issu du Manifeste pour un musée de la Danse : Manifeste pour un Musée de la Danse

 

image : © France 3 Bretagne - M.A. Mouchère