La vie n’est pas toute rose ces derniers temps. Canicules à répétition,  attentats, épidémie mondiale… Les musées en font aussi les frais et  doivent s’adapter afin d’accueillir les visiteur·euses dans des  conditions de sécurité optimales et protéger le patrimoine quelles  que soient les circonstances. Assurer la sécurité, rédiger des  protocoles, gérer des situations de crise, tout cela ne s’improvise  pas. Emmanuel Decoupigny est chargé de la sureté et de la sécurité  des Musées de Strasbourg et correspondant prévention des risques  professionnels pour la direction de la Culture. Portrait.

 

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Emmanuel Decoupigny © Damien Maurin

 

En quoi consiste votre métier ? 

 

Il y a plusieurs volets dans mes missions, j’ai d’abord un rôle de conseil technique et de coordination au niveau de l’ensemble du réseau des musées. La partie sécurité, c’est la sécurité incendie essentiellement : la gestion des installations, des contrôles annuels, les remontées d’informations, les commissions de sécurité auxquelles je participe pour tous les établissements, à titre de conseil technique et d’expertise. Pour le volet sureté, c’est-à-dire la protection des œuvres, mon rôle est de conseiller les chefs d’établissement sur les installations et le niveau de sécurité à mettre en œuvre pour telle et telle exposition. J’ai également en charge la gestion du contrat de gardiennage des loges, j’ai aussi un regard sur la partie accueil et surveillance des musées. Dans ce cadre je réalise des formations pour les agent·es.

Il m’a été confié une mission complémentaire qui est donc la prévention des risques professionnels à l’échelle des musées, pour l’ensemble des agent·es quelles que soient leurs fonctions, leurs missions et leurs postes. Je fais donc partie du réseau des préventionnistes de la culture. La prévention des risques professionnels couvre tous les domaines : problème d’organisation, de stress au travail, problème de matériel, d’équipement de protection individuel, accidents de travail, etc. C’est un pendant du CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail).

 

Quel a été votre parcours ?

 

J’ai un parcours un peu atypique… Je suis un ancien officier de l’armée de terre, où j’ai passé près de 20 ans. En fin de carrière je me suis surtout spécialisée dans la partie sécurité et sureté, j’ai passé des diplômes au niveau militaire. Au bout de 20 ans, j’ai décidé de quitter l’institution. Je suis parti pendant une année dans un centre hospitalier comme chargé de sécurité. J’y assurais des fonctions similaires (prévention des risques professionnels, sureté, sécurité) mais le travail n’était pas exaltant et ne correspondait pas à mes attentes. J’ai décidé d’en changer et j’ai donc postulé aux musées en 2013.

 

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Poste de sécurité © Damien Maurin

 

Avec qui travaillez-vous ?

 

Je suis seul mais je supervise les loges, les agent·es de surveillance dans un rapport de formateur et de conseil technique sur le travail quotidien. J’interagis avec tous les corps de métier, notamment dans la cadre de la prévention des risques professionnels. Pour le volet sureté mes interlocuteurs sont surtout les conservateurs et les entreprises de maintenance. Pour les aspects de sécurité c’est par exemple le service éducatif qui vient me voir pour les protocoles d’évacuations. C’est moi qui suis chargé d’organiser les exercices d’évacuation annuels. J’assure l’interface avec un certain nombre d’institutions : le SDIS (Service Départemental d’Incendie et de Secours), la Police Nationale et notamment l’Office Centrale de lutte Contre le trafic de Biens Culturels (OCBC), la police municipale ainsi que les visites de la Mission Sécurité du Ministère de la Culture.

 

Est-ce que la situation des musées, c’est-à-dire leur fonctionnement en réseau, amène une difficulté à votre métier ?

 

Non au contraire, c’est même plus une facilité car cela permet de mettre en place des mesures globales. C’est-àdire que là où on aurait besoin d’un élément pour un établissement, on peut le généraliser à tous, ce qui permet de faciliter sa mise en place. Le Plan de Sauvegarde du Patrimoine est le même pour tous les établissements, même s’ils ont chacun leurs spécificités, la structure de fonctionnement reste la même. Ce qui facilite le travail.

 

Quel est votre rôle dans le projet de L’Union Sociale, pôle d’étude et de conservation des musées ?

 

Il s’agit surtout d’épauler Ludovic Chauwin (chef du projet et régisseur des collections au sein des musées) notamment dans les tous les aspects très techniques de la partie sureté/sécurité. Parce que sur ce genre de chantier d’ampleur, s’il n’y a pas un œil d’expertise, on est soumis aux aléas d’un architecte qui prend des décisions techniques. On se retrouve donc parfois avec des chantiers livrés avec des systèmes qui finalement ne fonctionnent pas, ou mal, ou qui induisent des fonctionnements compliqués, parce que cela n’a pas été réfléchi en amont. Depuis le début je donne des préconisations, c’est le cas notamment pour le type de serrure, le type de système d’alarme, de caméra, etc. Parfois c’est suivi, parfois ça ne l’est pas, parce qu’il y a des arbitrages qui sont menés à d’autres niveaux, mais au moins il y a un avis qui a été donné. Le positionnement du poste de sécurité, les rondes, le nombre de gardiens, le type de gardiennage ou en télésurveillance complet, toutes ces choses ont fait l’objet de fiches, d’études, etc. C’est parfois frustrant parce qu’un avis n’est pas toujours suivi d’effets, mais au moins la décision a été prise en toute connaissance de cause par l’échelon supérieur.

 

Avez-vous déjà fait face à des crises ou des situations compliquées ?

 

Ah oui ! Peut-être pas autant que celle du Covid-19. Mais de toute façon en tant que militaire on est formé à la gestion de crise : on apprend à travailler en situation compliquée, dans des environnements contraints, avec des temps contraints, des manques de moyens, etc. On apprend à gérer.

 

Vous avez un exemple pour les musées ?

 

On a eu des grosses inondations. Il y a deux-trois ans au musée de l’Œuvre Notre-Dame un tuyau de chauffage avait cédé en pleine nuit, suite à des travaux. Inondation des salles qui perlait des murs, bureaux de la fondation inondés, il y avait un centimètre d’eau partout au premier étage. Je me souviens très bien du lendemain matin, avec une collègue, on essayait de trouver des cartons pour absorber l’eau. C’était folklorique ! Il y en a eu d’autre… mais c’est celle-là que je retiens.

 

Suite aux attentats, les musées ont dû appliquer le plan Vigipirate. Quel a été votre rôle ?

 

D’abord de former les agentes, parce que le plan Vigipirate, de manière générale dans l’administration, ce n’est pas quelque chose que l’on maîtrise. Au début, dans les années 2000, le plan Vigipirate était relativement confidentiel pour le grand public. Suite aux attentats en France, il y a eu un changement de posture du gouvernement qui a décidé de rendre la population et les collectivités responsables de l’application de ce plan. Dans ce cadre-là il a fallu former tous les agent·es à ses spécificités et à la mise en œuvre des consignes et des mesures. Cela a nécessité la réécriture du règlement de visite, un document qui est signé par le conseil municipal et par le maire et qui fait office de loi puisqu’il fait l’objet d’un arrêté municipal. Il a également été nécessaire de former les 130 agent·es d’accueil et de surveillance à ces procédures (comment accueillir un visiteur, comment lui demander d’ouvrir son sac, qu’a-t-on le droit de faire, de ne pas faire, où se limitent nos interventions…).

 

Et dans le cadre de l’épidémie de covid-19 ?

 

Comme toutes celles et tous ceux qui ont participé activement à la gestion globale de la crise à distance, remonter les informations sur ce qu’il se passait exactement, assure un suivi réglementaire, et puis très tôt travailler sur le Plan de Reprise d’Activité avec un certain nombre de questionnements. Comment allait-on faire ? Comment s’organiser ? Beaucoup de choses sont arrivées, avec des consignes qui tombaient régulièrement, parfois contradictoires, du Ministère de la Culture, de la Préfecture, de la Ville. Tout n’était pas toujours en concordance. Donc ce n’est pas évident de faire le tri dans tout cela et d’arriver à mettre sur pied quelque chose de cohérent.

 

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Entrée du palais Rohan avec les installations pour lutter contre le Covid-19 © Damien Maurin

 

Comment imaginez-vous l’après épidémie pour votre métier et pour les personnels des musées ?

 

Ça pourrait se résumer en un mot : Compliqué. J’étais en train de travailler sur une note à propos du plan canicule qui va arriver dans les prochains jours ou les prochaines semaines. Un point important cette année c’est que nous n’aurons pas le droit de mettre de ventilateurs dans les espaces communs. Dans les bureaux oui, dès lors que l’on est seul mais pas dans les espaces de visite et les espaces communs. Ça veut dire que les agent·es vont être confrontés à des températures élevées dans certains musées, sans possibilité de ventilation, et avec un masque. Ça va être excessivement compliqué. Je pense qu’on risque d’avoir des périodes où l’on va fermer des salles quand il fera trop chaud. Ce n’est bon pour personne : agent·es, visiteur·euses et œuvres. Donc voilà, compliqué.

 

Propos recueillis par Chloé M.

 

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