Que faire à Calais ?

Le fameux dragon déployé sur la plage comme une bête de foire, déjà vu cinq fois ; La Cité de l’Europe, aucune envie d’achat ; le beffroi, déjà visité avec mes enfants. Alors pourquoi pas un musée ? Le prix sera toujours moins cher qu’une place de cinéma et cela me rappellera mes années de fac en histoire de l’art, bien loin du métier que j’exerce.

Image de couverture : © La Ville de Calais, juin 2021

A chaque nouvelle exposition un espace immersif est dédié. L’imagination de toute l’équipe et en particulier des médiatrices culturelles, Marieke Rollandi et Julie Parenty est  alors vivement sollicitée. 

En entrant dans le Musée des Beaux-arts de Calais, Le Klub, une sorte d’immersion dans une boîte de nuit, très réussie, me rappelle mes années d’étudiant, où l’on continuait jusqu’au bout de la nuit, pourvu qu’il y ait encore de la musique. Les douches sonores m’ont rappelé un temps malheureusement passé. Les bouteilles d’alcool sur le bar ont été minutieusement décorées d’une étiquette rappelant les couleurs des années 80.

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© La ville de Calais, Klub, espace immersif, juin 2021

Les frères Di Rosa et leurs drôles de personnages

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© Héloïse Putaud, Raoul, sculptures de Richard Di Rosa à partir des personnages inventés par son frère Hervé Di Rosa 

 

D’autres m’interpellent comme les frères Di Rosa, qui se ressemblent tant sur les clichés de l’artiste Louis Jammes. Selon la médiatrice, Hervé Di Rosa invente sa propre mythologie nommée la Diromythologie avec des créatures plus burlesques les unes que les autres ayant des caractéristiques physiques et morales. Ils sont comme des super héros peints à l’acrylique : la Péteuse, les Vagabonds, Docteur Tube, Professeur X, les Renés ou encore les Raoul. Et son frère, Richard Di Rosa, sculpteur, met en volume ses personnages. Pendant près de dix ans une collaboration étroite entre les deux frères s’établit « naturellement » selon les propos de Richard Di Rosa. Certaines sculptures sont mises à l’honneur dans le hall du musée. Selon le sculpteur « tout ce qui est parfait perd de son charme », c’est donc pour cela que les sculptures ne sont pas « parfaites », n’ont pas de symétrie, ni de proportions exactes. Quant à Hervé Di Rosa, il crée son style de narration à partir de bandes-dessinées, de science-fiction, de médias et de magazines, comme presque tous les artistes français des Libres Figurations. Il met en scène la vie et le quotidien teinté de violence. Ses peintures se caractérisent par des images hyper colorées, très illustratives. La rue du malheur, est un très bon exemple de son travail. Deux tableaux sont mis côte à côte, l’un présente une rue avec ses personnages telle la situation initiale, et l’autre montre la rue de manière apocalyptique. Un monstre rouge à trois yeux détruit tout sur son passage, un incendie s’est propagé, etc. Les œuvres d’Hervé Di Rosa sont plus complexes qu’il n’y paraît, et illustre une métaphore de la société. 

Revenons à Hervé Di Rosa, ce collectionneur compulsif qui glane dans les brocantes d’innombrables figurines, babioles et bandes dessinées. Il s’est créé des galeries de personnages : des formes esthétiques, des représentations d’amis, ou psychologiques (le méchant, l’intelligent). C’est l’un des premiers artistes à être à la tête d’une institution culturelle : le MIAM, Musée International des Arts Modestes qui a exposé plus de 600 artistes. Hervé Di Rosa définit l’art modeste comme tout ce qui n’est pas au centre de l’attention, les objets du quotidien et les créations marginales. Il refuse toute hiérarchisation des arts. Ce terme a été prononcé par une petite fille, qui a tenté de dire le Musée d’Art moderne, et qui s’est transformé en Musée d’Art modeste

A la fin des années 80, en période d’égocentrisme des artistes, Hervé Di Rosa a voyagé pour rencontrer les gens, apprendre leurs savoirs faire, leurs techniques. Il a ainsi développé plusieurs pratiques comme la sculpture, la céramique, la tapisserie ou encore le dessin animé.

Mais les Libres Figurations, ainsi nommées par l’artiste Ben, sont apparues un peu partout dans le monde, aussi bien aux Etats-Unis, qu'en Allemagne ou en Russie ou encore en Italie (même si l’exposition ne détient pas d’œuvres d’artistes italiens).  

Elvira Bach

L’exposition présente l’œuvre de l’artiste allemande Elvira Bach. Apparentées à des autoportraits, ses peintures sont à la fois chaleureuses et colorées. Elle impose son univers sur une scène très masculine. Ses peintures sont spontanées faites de grands coups de brosse et de pinceaux sur la toile sur des formats souvent monumentaux. Elle souhaite montrer la femme en tant qu’individu, l’image de la femme et son rôle dans la société. Ce qui l’intéresse c’est de voir comment une femme pouvait sortir seule dans les années 80. Lorsqu’elle est devenue mère de deux enfants, elle abandonne la représentation de la femme-diva et les scènes de genre (fêtes, soirées) pour représenter une femme aux fourneaux. Elle peint avec humour son changement de statut et se représente envahie par les pommes de terre, des casseroles sur la tête, le pinceau toujours à proximité. Quelques symboles alimentent la composition : chat, cerise, fraises, colliers, boucles d’oreilles, cigarette, verre de vin, chaussures à talons, palmiers, cœurs….sont liés au quotidien, à l’enfance ou aux souvenirs.

Graffiti

En poursuivant ma visite, un graffiti, celui de Futura 2000 attire mon attention. Cet artiste est le premier à produire des graffiti abstraits. Il a été longtemps comparé à Vassily Kandinsky, l’un des fondateurs de l’art abstrait. C’est grâce à Keith Haring et Jean Michel Basquiat qu’il a touché les galeristes. Selon le livret,l'une des grandes caractéristiques de ce courant est l’entraide entre les artistes. Non seulement proches, ils partagent ateliers et appartements, créent des expositions et performances ensemble. On pourrait les considérer comme une grande bande d’amis, qui vêtus de leur veste peintes et customisées, sortent le soir et consomment alcool et drogue. C’est d’ailleurs le lien qui est établi entre le Klub et les artistes. Il a aussi réalisé une performance salué dans le milieu des graffeurs, celle de bomber intégralement un train. 

Dans l’esprit de rendre accessible l’art à tous, les artistes ont au départ une même pratique du graffiti dans le métro, la rue ou les squats. Le métro est un endroit accessible à tous et par leur simplicité, les dessins peuvent être compris par tout le monde. Le graffiti est apparu dans les années 70 dans un contexte de tensions politiques : révolutions, occupation, guerre d'Algérie, mai 1968, Mur de Berlin. Des peintres qui ne sont pas issus de quartiers défavorisés et ont suivi un cursus en Arts, s'associent aux writers. Parmi-eux Crash, Futura 2000, Keith Haring, Tseng Kwong Chi, Samantha McEwen, Blade, Kenny Scharf. Ces artistes exposent ensemble, participent à des actions collectives, partagent ateliers et appartements. 

En 1981, une exposition intitulée « Graffiti et société » prend résidence au Centre G Pompidou. L’émission H.I.P H.O.P va également médiatiser ce phénomène : très populaire, elle a encouragé cette culture et créée des relations entre breakdance, graffiti et musique. 

Après 1989, le métro de New York adopte une règle, disant que tout wagon tagué devait être retiré. Le maire de New-York a fait également installer des barbelés. Il pensait qu’en combattant le graffiti, il limiterait la criminalité. La presse les considérait comme des délinquants. 

Punk

Les artistes de la Libre Figuration sont également liés au mouvement punk, style musical apparu en 1976 et  véritable manière de vivre. Les Punks crient leur haine du monde, souhaitent à tout prix choquer et sont contre cette société dite pourrie et de consommation. A la Cité de la dentelle et de la mode (car l’exposition se trouve dans les deux musées), beaucoup de signes sont évoqués par les artistes. La fameuse crête iroquoise est immortalisé par l’artiste Krikri et les VLP (Vive La Peinture) inventent un nouveau style vestimentaire.  Les jeans se déchirent, le tee-shirt se salit, le perfecto se customise à grand renfort de badges, clous, chaînes de vélo, épingles à nourrice et têtes de mort, la résille noire  est déchiquetée et la jupe en tartan rouge et noire reprend du service; collier et bracelets cloutés, piercings, tatouages et maquillage outrancier, rouge à lèvres et teint blafard ou encore bretelles pendantes terminent le style.  Certains artistes incarnent la culture punk : la peinture sur du tartan de Krikri, la crête de la peinture des VLP, leur Docs ou encore leur veste en jean peint.

Les artistes recevaient des commandes de scène de spectacle, illustraient des pochettes d’album comme le célèbre titre Téléphone – un autre monde. Ils formaient même leur propre groupe de musique , comme "Les démodés" alors que même ils ne savaient ni jouer d’un instrument, ni chanter, et qu’ils écoutaient dans leur atelier. Aujourd’hui le groupe a changé de nom et continue de jouer. Tout comme les punks, les artistes affirmaient leur liberté de penser et le rejet des valeurs établies d'une société sclérosée. 

                   Héloïse Putaud

 

Pour en savoir plus : 

https://www.lavoixdunord.fr/1024210/article/2021-06-10/l-exposition-libres-figurations-annees-80-se-devoile-dans-les-musees-calaisiens  

https://www.youtube.com/watch?v=b13rtWZwPBM 

https://www.facebook.com/watch/?v=280020797173132 

http://www.blog.stripart.com/art-urbain/martha-cooper-graffiti/ 

https://www.youtube.com/results?search_query=les+sans+pattes

 

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