Les restitutions de biens culturels ont fait l’objet de plusieurs débats ces dernières années, de nombreuses collections publiques européennes ayant été constituées durant la colonisation et le pillage des territoires africains. C’est en 2017, lors du discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, que la France a réellement entamé une démarche collaborative avec des pays africains, notamment avec le Bénin.[1] D’autres pays européens, dont l’Allemagne, s’étaient déjà engagés dans un dialogue constructif avec les autorités africaines.

 

En Allemagne, comment cela se passe-t-il ?

Depuis une dizaine d’années déjà, notre voisin s’est engagé avec les structures muséales africaines à restituer des œuvres et objets leur appartenant. En 2022, des œuvres ont été transférées au Nigeria, en Namibie, au Cameroun et en Tanzanie. Le professeur Hermann Parzinger, président de la Fondation du patrimoine culturel prussien, a d’ailleurs déclaré, toujours en 2022, qu’il était important que « les musées allemands aient une attitude très ouverte » sur ces questions, et que l’échange et la coopération étaient les clefs de restitutions réussies.[2] Si cette démarche est bénéfique aux musées africains, qu’advient-il des musées allemands ?

 

Le cas du Linden Museum

Musée d’ethnographie de Stuttgart, le Linden Museum a été fondé en grande partie durant la période coloniale. Aujourd’hui, l’équipe du musée affiche sa volonté de « prendre des responsabilités face à son passé » et suit les instructions du Deutschen Museumbundes (institution nationale des musées allemands) pour ce qui concerne les restitutions. Ces informations sont consultables sur leur site internet[3], mais dans le musée en lui-même, qu’a-t-il été fait ?

Au début de l’année 2016, le musée s’est réellement penché sur la recherche de la provenance et du contexte de l’acquisition des objets africains. Le musée est organisé de telle sorte que chaque continent a son parcours, dans des salles spécifiques. L’équipe interne a alors choisi de refaçonner les espaces concernant le continent africain afin de relater ses recherches et questionnements. Nommé Wo ist Afrika ? (en français « Où est l’Afrique ? ») ce parcours a été inauguré en 2019.

 

Wo ist Afrika ?, conçue par qui ?

Ce parcours a évidemment été pensé sur plusieurs années, le sujet étant délicat. Trois ans en amont, l’équipe interne du musée s’est entourée d’habitants de Stuttgart d’origines africaines afin d’ouvrir le dialogue avec ces communautés et ne pas créer de nouvelles erreurs d’appropriation et d’interprétation des collections. La directrice du musée, la Prof. Dr. Inés de Castro, est d’ailleurs particulièrement engagée et alertée sur toutes les questions touchant aux restitutions, c’est elle qui est à l’initiative de ce parcours.

 

Wo ist Afrika ?, conçue pour quoi ?

Le but de cette exposition n’est donc pas uniquement de présenter les objets mais de redécouvrir les contextes et les récits de ces collections africaines, de les questionner, de découvrir leurs relations avec le musée et avec les peuples africains. L’exposition n’est pas chronologique mais thématique.

La première salle Von Sammlerstücken oder einer ohrenbetaübenden Stille (en français « choses à collecter, ou un silence de plomb »), illustre le décalage entre la frénésie des collectionneurs à l’époque coloniale, et le silence sur la provenance et l’histoire des objets. Nous sommes accueillis par un diorama renommé « Vous êtes là ». Conçue dans les années 1960 à Stuttgart, cette pièce avait pour but de présenter au public un village africain. Le cartel remet en cause son exactitude et alerte sur la différence entre les faits relatés dans l’exposition et la réalité sur place. « Vous êtes là, donc, s’il vous plaît, rappelez-vous : ce n’est pas ‘’l’Afrique’’.»

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Diorama qui accueille le public, © JD

 

Dans la deuxième séquence Von S[o]bjekten in Aktion oder kultureller Kreativität (« S[ob]jets performants, ou créativité culturelle »), c’est l’art et l’artisanat de différentes époques qui sont représentés, passant d’une reconstitution d’un atelier de sculpteur de masques à une moto décorée du XXIème siècle.

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Deuxième salle de l’exposition © JD

 

Wo ist Afrika ?, un espace qui évolue ?

Comme les recherches s’effectuent sur le long terme, le musée avait pour volonté de tenir ses visiteurs informés. Une base de données sur un écran, mise à jour régulièrement, permet aux plus curieux de s’informer des dernières découvertes. Certains espaces et dispositifs sont aussi ajoutés au fil du temps.

« Si les objets pouvaient parler » est une installation visible depuis juillet 2023. Un objet des Kikuyu est dans les réserves du musée depuis 1903 mais la base de données interne n’avait aucune information à son sujet. De quoi s’agit-il ? A quoi servait-il ? Y a-t-il encore des gens capables de l’identifier ? Deux cinéastes, Elena Schiling et Saitabao Kaiyare, sont allés au Kenya dans l’espoir de répondre à ces questions. Accompagnés de leur caméra et de l’objet représenté grâce à la réalité augmentée, ils ont interrogé plusieurs personnes. Malgré les différences de générations, les témoignages et réponses sont unanimes : aucun ne comprend pourquoi cet objet, appartenant à leur peuple, leurs ancêtres, se trouve en Allemagne. Cette expédition, présentée par un film, permet au public de faire un pas de côté et de changer de point de vue. Les restitutions ne vident pas les musées, elles enrichissent l’histoire des peuples à qui appartenaient des objets.

  

 Bande annonce "If objects could speak" 

 

Wo ist Afrika ?, et après ?

Dans la troisième et dernière salle Von Bindegliedern oder gemeinsamer Geschichte (« Objets à connecter, ou histoires communes »), les liens entre les Européens et les Africains est au cœur du propos. Par exemple, un espace compare les styles de marché alimentaire, et un autre permet de découvrir un jeu africain très pratiqué. La volonté est de susciter l’interactivité entre les visiteurs.

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1ère image : reproduction d’un stand de marché africain comparé à une photo grandeur nature d’un marché européen © JD
2ème image : dispositif pour apprendre à jouer au Mancala © JD

 

L’exposition se termine sur une vitrine originale : « Qu’est-ce nous allons collecter dans le futur ? ». Un cartel jaune trône au milieu avec un titre : restitué. Une photo d’un objet, son histoire, et c’est tout. Ce masque de chef de tribu, récemment restitué, a tout de même une place importante dans les collections puisqu’il illustre les différents statuts sociaux au sein des tribus. Alors, le musée a décidé d’en garder une trace dans son parcours.

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Dernière vitrine du parcours, © JD

 

Les questionnements autour de la restitution ne se résoudront pas tous en rendant les objets et en exposant uniquement des photos dans les musées européens. Cependant, avec un parcours comme celui du Linden Museum, le visiteur comprend que la restitution n’est pas forcément une perte de valeur pour les musées européens. Ce parcours permet de découvrir une partie du continent africain tout en explicitant les liens du passé, mais aussi le travail qui, aujourd’hui, est conduit autour de ces questions.

Les restitutions n’ont donc pas appauvri les collections, elles ont enrichi le propos, les connexions interculturelles et l’histoire du musée. N’est-ce pas là le rôle d’un musée d’ethnographie ?

 

Julie Dumontel

 

Pour en savoir plus :

 

#Allemagne #Ethnographie #Restitutions

[1] Article de Carole Assignon, juin 2022 : https://www.dw.com/fr/allemagne-restitution-des-oeuvres-culturelles/a-62293712

[2] Article publié sur le blog concernant la restitution du Trésor d’Abomey au Bénin par la France, par Éva Augustine en 2021 : https://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2299-restitution-du-tresor-d-abomey-un-acte-symbolique 

[3] https://www.lindenmuseum.de/