Face à une thématique aussi large que le noir et blanc en photographie, comment cadrer un propos et créer une exposition dynamique sans ennuyer ou perdre le visiteur ? Une scénographie bien pensée pourrait être une solution...

 

Initialement prévue pour prendre place au Grand Palais au printemps 2020, plusieurs fois repoussée, et finalement implantée à la Bibliothèque François Mitterrand en 2023, l’exposition Noir et blanc, une esthétique de la photographie ne démarrait pas sous les meilleurs auspices. D’autant que pour une passionnée de photographie, ce titre ne présageait rien de très palpitant : un thème trop large, vu et revu, pour une exposition très dense (plus de 300 images présentées), de quoi faire une indigestion. Ma visite m’a pourtant permis de découvrir un très beau travail de sélection d’images, autant qu’un propos pertinent soutenu par une scénographie bien pensée.

 

Un projet d'exposition ambitieux (et risqué?)

A travers le texte mural introductif, l’ambition de l’exposition, dont le commissariat a été confié aux quatre conservatrices du département des Estampes et des Photographies de la BnF, est clairement présentée : montrer la richesse et la qualité des collections de photographie noir et blanc de la Bibliothèque et souligner le soutien à la création dont celle-ci fait preuve encore aujourd’hui. Cette ambition se traduit par un choix très réfléchi de photographies et en particulier de chefs-d’œuvre conservés par l’institution et bien identifiés comme tels par le public, ou au moins par les amateurs de photographie. Sur les cimaises des classiques comme la série Paris de nuit de Brassaï (1932), l’homme sautant au-dessus d’une flaque de Cartier-Bresson (Derrière la gare Saint-Lazare, 1932) ou encore les prêtres dansant la farandole de Giacomelli (Prêtres dansants, 1961).

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La transition entre la section consacrée aux jeux de contrastes (cimaise blanche) et celle sur la neige (cimaises bleues). ©J.N

 

Dès son introduction, puis par sa construction même en grandes parties thématiques, l’exposition prend le parti d’analyser et de regrouper les images à travers des catégories visuelles assez formelles. Cette façon d’organiser les quelques 300 photographies présentées permet non seulement d’éviter l’écueil de la présentation chronologique ou géographique, qui crée souvent répétition et ennui, mais invite aussi chaque visiteur à comparer des groupes d’images à l’aune de leurs similitudes : jeux de contraste, motif géométrique, paysage enneigé, photo de nuit… C’est une découverte dynamique des photos qui est ainsi créée, le regard passant d’une œuvre à l’autre en construisant un propos et pas seulement en accumulant des données visuelles. Cette construction parle autant au visiteur novice et aux plus jeunes qu’au public plus spécialisé, ravi de voir “en vrai” tant d’icônes réunies, et d’en découvrir d’autres.

 

Une sélection d’images iconiques soutenue par une scénographie de qualité

Au-delà du strict contenu, cette exposition est un très bon exemple de scénographie réussie, à la fois simple mais efficace, cohérente avec les œuvres exposées et servant leur propos. Ce travail a été confié à Maud Martinot et ses équipes, qui avait déjà créé la scénographie de l’exposition annulée du Grand Palais en 2020.

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Schéma simplifié du plan de l’exposition, avec ses différentes sections. ©J.N

 

La construction scénographique reprend un parcours général assez récurrent, celui du “couloir”, un parcours donc linéaire qui guide le visiteur, ici de manière sinueuse avec des aller-retours parallèles pour maximiser l’espace disponible (voir plan). L’écueil principal de ce type de plan, en particulier lorsque l’on présente uniquement des photographies - médium en deux dimensions, accroché aux cimaises, aux formats assez proches - est d’aboutir à un parcours très répétitif, sans relief, dans lequel le visiteur s’ennuie et dont il ne voit pas la fin. C’est ce que j’ai ressenti en visitant l’exposition en cours au Centre Pompidou Corps à corps ; à la thématique semblable, tout comme la quantité de photographies présentées et le prestige du musée. Mais là où, à Beaubourg, il me tardait d’arriver au bout de ce morne couloir aux murs gris, je ne me suis pas sentie enfermée dans Noir et blanc. D’abord parce que les espaces créés par les cimaises sont plus grands, mais aussi grâce aux larges ouvertures qui traversent l’exposition et qui permettent, dès le début du parcours, d’apercevoir la dernière salle. Ces sortes de fenêtres servent également d’assises, ce qui permet de ne pas encombrer l’espace avec des bancs et d’offrir de larges volumes très agréables. La hauteur modérée des cimaises laisse également de larges espaces vides sous le haut plafond.

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Vue en enfilade de l’exposition à travers les ouvertures de chaque mur. L’image est prise dans la première section, et l’on aperçoit déjà au bout la dernière salle de l’exposition. ©J.N

 

Enfin, comme nous pouvons le voir sur le plan présenté plus haut, le parcours linéaire est scandé de cimaises perpendiculaires qui créent de petits espaces thématiques, comme des respirations. L’usage raisonné des vitrines rythme également le cheminement dans l’exposition ; celles-ci présentent uniquement des livres et s’adressent donc aux visiteurs qui souhaitent approfondir les œuvres accrochées. Leur nombre réduit et contenu non indispensable à la compréhension de l’exposition, les attroupements empêchant de bien voir sont évités.

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Les vitrines présentent uniquement des documents complémentaires : livres, cartes postales, dépliants… ©J.N

 

D’un point de vue graphique, les couleurs variées des murs permettent de bien appréhender chaque partie, sans toutefois s’opposer aux nuances de gris des images, avec une palette de noir, blanc et de différents bleus. L’encadrement en bois clair des tirages se fait discret et apporte plus de douceur que des cadres noirs. Mes photographies prises par téléphone ne rendent vraiment pas honneur à l’élégante simplicité de ces choix graphiques efficaces.

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Texte de salle de la section « Ombre et lumière », en français et en anglais. A droite (cimaises noires), la section consacrée à la photographie de nuit. ©J.N

 

Vers une “médiation autonome” ?

Je finirai cette élogieuse critique, en conseillant cette exposition gratuite aux étudiants en art et histoire de l’art. Je souhaite enfin vous laisser à une réflexion concernant la médiation autour de cette exposition, ou plutôt sur son absence presque totale en dehors des visites guidées classiques et de visites-conférences menées par des artistes contemporains. Pas de parcours enfant donc, pas d’activités proposées, pas de livret jeux, ni même de livret de visite qui fait pourtant partie des supports récurrents dans la majorité des expositions. Cela signifie-t-il pour autant que cette exposition est réservée aux connaisseurs de photo, aux adultes déjà sensibilisés à ce médium ? L’observation du public m’a semblé démontrer l’inverse, d’abord par sa relative hétérogénéité pour une exposition de ce type (exposition d’un médium précis de l’art moderne, dans une bibliothèque), conviant à la fois des enfants, des adultes de tout âge et des personnes âgées. J’ai observé la médiation “se faire d’elle-même” grâce aux juxtapositions bien pensées des œuvres, qui créent chez le visiteur une sorte de déclic : “ces deux œuvres ont des points communs, mais aussi des différences, je peux donc les comparer, regarder chacune d’elles plusieurs fois, puis ajouter les autres œuvres de la section à ce regard dynamique”... C’est déjà une forme de médiation puisque ce mode de présentation implique un regard actif. Et outre les cartels détaillés qui nourrissent la soif de connaissance des plus sérieux, il est possible d’être sensible à ce dialogue des œuvres.

 

Jeanne Nicolas

 

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