Il y a un an, c’est l’artiste Suisse Ugo Rondinone qui présentait « WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP » et dans quelques mois, c’est l’artiste belge Win Wenders qui va présenter son exposition entre le mois de janvier et juin 2024, mais à quel prix ?

 

Surmontant la ville de Genève, le Musée d’Art et d’Histoire (MAH) est à la recherche d’un nouveau souffle à la suite au projet de rénovation de Jean Nouvel, qui fut révoqué par la population genevoise en 2016.

Suite à la prise de poste de Jean-Olivier Wahler le 1ᵉʳ novembre 2019, l’ancien directeur du Palais de Tokyo et du MSU BROAD MUSEUM, (Michigan State University, East Lansing, Etats-Unis), souhaite créer une nouvelle vision du MAH par le biais d’un nouveau programme culturel, modifiant complément l’identité du musée.

Dans son programme, fort critiqué par la population genevoise et tout particulièrement le comité scientifique, le directeur axe sa politique sur trois sujets : la rénovation et l’agrandissement du musée, les expositions (et plus particulièrement les cartes blanches) et l’implication du public dans les espaces muséaux par le biais d’évènements, d’afterworks, de conférence et de projets pluridisciplinaires et collaboratifs.

Le premier grand projet fut le lancement de ses « Cartes Blanches » d’exposition. Concernant cette typologie d’exposition du MAH, la « Carte Blanche » se définit comme une exposition XL, « mobilisant plusieurs champs de la collection, le plus souvent confiés à un.e commissaire invité.e, et appelées à modifier une large part des espaces. »[1]. Au bout de trois éditions, la première datant de 2021 avec l’artiste Jakob Lena Knebl, la seconde avec Jean Hubert Martin en 2022 et Ugo Rondinone en 2023, la saison 2024 de l’exposition « Carte Blanche » est confiée à l’artiste belge Wim Delvoye. En quoi ce concept d’invitation des artistes est-il pertinent pour la collection du MAH ? et le projet scientifique du musée ?

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Vue de l’exposition, La chambre, Ramsès II, Genève, Musée d’Art et d’Histoire ©  MAH / J. Grémaud

 

Un projet scientifique et culturel uniquement lier à ses collections

Suite à deux ans de travail, le nouveau directeur du musée a souhaité recentrer son P.S.C (Projet Scientifique et Culturel) sur les collections du MAH, contenant plus ou moins 650 000 objets de tout genre, la question est donc la suivante : pourquoi ? et comment ?

En 2021, la première édition des « Carte Blanche » définit les règles : mise en avant des collections de tout genre (beaux-arts, archéologie, art graphique), des objets présents dans les réserves (sois 99% de la collection), scénographique dessinée par l’artiste, transformation de la totalité du 1ᵉʳ étage en espace d’exposition, publication d’un catalogue d’exposition et billetterie entièrement gratuite ou « Pay as you wish ».

Or, la première édition fut aussi celle des questionnements et de la réception du public, qui a l’habitude des expositions monographie et thématique et non pas d’une « carte blanche », un terme trop vaste pour le grand public.

L’exposition de Jakob Lena Knebl, première commissaire d’une série de grandes expositions « Carte Blanche » était ouverte du 28 janvier 2021 au 27 juin 2021, or suite aux restrictions sanitaires, l’exposition ne fut visible qu’à partir de mars, ce qui n’a pas empêché à 27 173 curieux d’explorer cette exposition, à la scénographie, étrange, métallique et tumultueuse.

En 2022, c’est le commissaire d’exposition Jean-Hubert Martin, reconnu pour son exposition le « Magiciens de la terre » en 1989 qui questionne et redistribue les cartes de la collection du MAH. Entre le 28 janvier 2022 et le 18 juin 2022, le commissaire renouvelle la présentation des collections du MAH, regroupant les objets par couleurs, une salle par couleur, tel un arc-en-ciel, des formes dans un accrochage ressemblant à un salon du 19ᵉ.

Il y a un an, c’est l’artiste Suisse Ugo Rondinone qui prend les rênes du projet pour présenter « WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP », une exploration esthétique des collections autour des œuvres de deux figures suisses : Felix Vallotton et Ferdinand Hodler, et des créations contemporaines de Rondinone.

Dans quelques mois, c’est l’artiste belge Win Wenders qui va présenter son exposition entre le mois de janvier et juin 2024, à quel prix ?

 

Une présentation renouvelée, une collection renouvelée, mais temporaire.

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Ugo Rondinone, salle “Espace rythmique. Dix piliers”, exposition When the sun goes down and the moon comes up, MAH, Genève, 2023 © Musée d’art et d’histoire de Genève, Ph. Stefan Altenburger

 

Dans le cadre de ces « carte blanche » annuelle, plusieurs questions se posent. Tout d’abord la temporalité de l’exposition, la première version de l’exposition se déroulait de janvier 2021 à mai 2021. Or, depuis la seconde version, l’exposition commence en mars pour se conclure en juin-juillet. Est-ce un changement d’agenda pour éviter la période creuse du musée ? ou rajouter des précieux mois aux artistes et aux équipes du musée pour finaliser ce projet ? Dans les deux cas, le fait d’avoir une exposition de plus ou moins 4-5 mois permet au public de revoir l’exposition, et en soit les œuvres méconnues du musée. La réalité est tout autre, souvent la scénographie de ce genre d’exposition prend énormément de temps, d’autant plus qu’en moyenne 300-500 objets, de toute taille et genre sont présentés, donc 600-1000 constats d’état, des litres de peintres, des milliers d’outils et, peut-être, peu de personnel. En dehors de ses objets, il y a aussi leurs états sanitaires, faut-il les restaurer, les préparer à leurs accrochages, etc.

D’autre part, la scénographie et la muséographie à plusieurs problématiques, dans aucune des nouvelles « carte blanche » il y a eu une réutilisation d’élément, aucune reprise d’assises, de socle, de couleur des salles, des cimaises ou des soclages. Or, tous ses éléments pourraient mettre des objets en avant dans d’autres expositions du musée, ou, encore mieux dans les collections permanente. En parlant de collection permanente, rares sont les œuvres qui reprennent la direction des collections, la plupart reviennent en réserve, ce qui pose la question de l’utilité technique et de conservation des œuvres, mais aussi du travail scientifique du projet.

En dehors de ces divers aspects, la communication des expositions est, dans ce cas, une bonne nouvelle. Que ce soit dans les flyers, les affiches, et tout support utilisé pour la promotion externe de l’exposition, le musée suit sa ligne graphique créée par le studio de graphisme zurichois Hubertus Design. Depuis 2019, celui-ci crée une nouvelle unité graphique, qui, de surcroit, est différente des autres musées genevois, mais semble trop contemporaine pour un musée d’art et d’histoire, selon la représentation classique que l’on s’en fait.

 

La question des liens, entre le musée et le marché de l’art

Dans le cas de ces expositions, une question éthique subsiste : quels sont les aspects juridiques conventionnés entre le plasticien et le musée ? Des droits du musée d’utiliser les œuvres (les droits à l’image dans la communication par exemple), à celui de l’artiste non censé vendre une œuvre via un musée public présentée durant l’exposition.

Lors de l’exposition « carte blanche » d'Ugo Rondinone, « WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP » que penser de la galeriste qui le représente, la galerie Eva Presenhuber. Selon de nombreuses sources journalistiques, la galeriste a envoyé à ses bons clients la documentation de l’exposition actuelle du MAH, avec la liste complète des prix. Vous pourrez donc vous offrir un « showcase », le MAH, qui ne recevra aucune redevance des ventes. Le minimum serait de remercier le MAH par un don d’une ou deux des œuvres présentées au MAH, par exemple… ce qui ne fut jamais le cas depuis l’introduction des « carte blanche ».

 

GASGAR Lucas

 

#Suisse #Exposition #Contemporain

 

[1] https://www.mahmah.ch/sites/default/files/pdf/2023-06/Web_N.MAH_concept-musee_MAH_DEF.pdf