L’exposition Aux temps du sida. Œuvres, récits et entrelacs est présente dans le Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg (MAMCS) jusqu’au 04 février 2024 pour les 40 ans de la découverte du VIH. En quoi cette exposition, liée à une question de société, nous montre-t-elle que la recherche va de cœur avec la monstration de « la maladie » par le biais de l’art ?

Vue d’installation de l’exposition « Aux temps du SIDA.Oeuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © M. Bertola / Musées de la ville de Strasbourg

 

Le SIDA, une maladie de société

L’exposition actuellement ouverte au MAMCS est un témoignage d’une société transformée à jamais par une maladie, un témoignage qui prend ici la forme d’œuvre d’arts. Elle s’ouvre par « Le Couloir du Temps », un mur qui raconte le SIDA sous tous ses aspects à l’aide de textes, de journaux, d’œuvres et d’objets d’aujourd’hui jusqu’à la découverte du virus. Une ligne du temps directement inspirée de la “aids timeline” du collectif d’artistes Group Material conçu en 1984. Cette introduction rappelle que « le SIDA n’est pas de l’histoire ancienne, il est encore dans notre temps ».

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Vue d’installation de l’exposition « Aux temps du SIDA.Oeuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © M. Bertola / Musées de la ville de Strasbourg

 

Le SIDA (Syndrome d'Immuno Déficience Acquise) est une maladie causée par le virus du VIH. Depuis sa découverte par l’institut Pasteur, le SIDA n’est pas qu’une maladie d’individus, c’est une maladie de société responsable de la mort de plus de 40 millions de personnes et du bouleversement de la vie de milliards d’autres. Vite apparue à la fin des années 70, le VIH se propageait comme une gangrène dans nos sociétés. Il effrayait et nombre d’atrocités ont été commises. Incompris pendant peu de temps, le SIDA a pourtant rapidement été désigné comme le « fléau homosexuel ». Finalement, qu’est-ce qui a fait le plus de dégâts, le virus ou la société ?

            Chacune des salles de l'exposition aborde une thématique en lien avec le SIDA. Celle qui s’intitule « Je sors ce soir », empruntant son titre au roman éponyme de Guillaume Dustan, aux allures de boite de nuit, enveloppée de musiques et de lumière, représente particulièrement bien les risques qu’a fait naître ce virus. Sortir, c’est s’exposer : exposer son corps aux regards, aux rencontres, aux expériences…aux risques. S’exposer à une maladie incomprise. S’exposer à une société aveuglée par la peur. Dans une telle situation, il est normal de se demander « alors, pourquoi sortir ? ». L’exposition nous offre des réponses : par amour, par peur, pour oublier, pour contester, pour soutenir, etc. Face au virus, l’irrationalité dicte nos actions et nos pensées, c’est normal.

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Vue de la salle “Je sors ce soir” de l’exposition « Aux temps du SIDA. Œuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © Antoine Dabé

 

Comparée à l’exposition VIH/SIDA du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, l’exposition strasbourgeoises n’aborde pas le sujet suffisamment en profondeur. Les récits et entrelacs annoncés par le titre de l’exposition strasbourgeoise sont relégués au second plan par les œuvres qui dominent. Même exposé dans un musée d’art moderne et contemporain, les questions sociétales de ce sujet d’ampleur doivent rester, à notre sens, une priorité. Nous pouvons néanmoins apprécier la force des œuvres exposées qui choquent et marquent justement, à l’image de cette maladie à la violence inouïe.

 

Une histoire, globalisée, et globalisante, qui démêle une histoire racisée et pleine de clichés

Le SIDA/VIH est une histoire scientifique, morale, sociétale, mais aussi géographique. Quand l’exposition du MAMCS de Strasbourg nous présente des photographies de Nan Goldin (Photographe Américaine), les œuvres textiles de Fabrice Hyber (Plasticien Français), les grands oubliés sont les pays du “SUD”, les pays où le taux de mortalité de ce virus est le plus élevé, avec plus de 50% des cas d’infection en 2022, et 42% des morts, surtout sur le continent africain.[1]

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Vue d’installation de l’exposition « Aux temps du SIDA. Œuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © M. Bertola / Musées de la ville de Strasbourg

 

Cet oubli est encore plus net quand ceux de l’hémisphère nord sont très bien représentés. Que ce soit par une photographie de l’artiste Allemand Wolfgang Tillmans représentant une boîte de son traitement contre le virus, aux sculptures de médicament du groupe d’artiste General Idea. La seule œuvre du “SUD” est une toile de l’artiste Chéri Samba, un artiste du Congo qui invite les populations à se rassembler et à protester pour la « Marche de soutien à la campagne sur le SIDA » en 1988.

C’est à ce moment-là que nous réalisons un manque récurrent de contextualisation, que ce soit de la contextualisation de la création de l’œuvre, de l’artiste (nous ne savons pas s’il a décidé de présenter le SIDA en étant séropositif ou non), de sa région, de son pays et de sa génération.

            Ce parti pris est aussi marquant du point de vue scénographique. L’agence ROLL, une agence d’architecture new-Yorkaise, a proposé à l'institution un « parcours linéaire ponctué d’ouvertures et de recoupements favorisant la multiplication des points de vue d’une thématique à une autre. »[2] Or, le premier tiers de l’exposition est le plus captivant, entre le mur de présentation et d'accueil (Un signe des temps) à la salle conçue autour d’une moquette rouge et d’une grande tapisserie de Fabrice Hyber, dont nous ne voyons qu’une face. Les deux suivants s’habillent de blanc et nous offre une scénographie “White Cube”, à l’allure d’un hôpital, faite de petite antichambre et de structure en bois. Ce choix traditionnel de présentation des œuvres dessert le propos sociétal et historique, sauf à insister sur un aspect clinique froid.

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Scénographie de l’exposition « Aux temps du SIDA. Œuvre, récits et entrelacs » par l’agence © Roll Office

 

Alors, en quoi l’exposition de Strasbourg est-elle innovante sur ce sujet de société ? La valeur artistique des objets et des œuvres prévaut sur le contenu scientifique, ce qui ne nous semble pas pertinent compte tenu de ce qui est abordé.

Mais, dans le hall central du musée, appelé communément la nef, se trouve un espace gratuit avec sa propre programmation : la « Permanence ». Ce “lieu dévolu à la rencontre, à la pause, à l’échange”[3], permet de réunir des médecins, des spécialistes et des associations autour de la lutte contre ce fléau du 21e siècle. Entre conseil, éducation sexuelle et campagne de mécénat pour la recherche scientifique, ce lieu, intimiste, permet à chacun de montrer son intérêt, pour soi comme pour les autres, de se protéger afin de continuer à vivre et à créer. Ainsi, par cette « Permanence », le musée d’art s’ouvre pour devenir un lieu d’échange et d’expression citoyenne, un lieu de société.

 

Antoine Dabé & Lucas Gasgar

 

Pour en savoir plus : 

 

#SIDA #ArtContemporain #MuséeArtModerne

 

[1] Voir sur la page de l’exposition sur le site des musées de Strasbourg. Disponible à l’adresse URL : https://www.musees.strasbourg.eu/aux-temps-du-sida.-%C5%92uvres-r%C3%A9cits-et-entrelacs. Consulté le 29 janvier 2024.

[2] Dossier de presse de l’exposition « Aux temps du SIDA. Récits et entrelacs », disponible à l’adresse URL:https://www.musees.strasbourg.eu/documents/30424/437952888/DP_FR_AUX+TEMPS+DU+SIDA.pdf/a30b06a5-5f6b-a311-21cc-b06c9f93393e?t=1694695008040. Consulté le 29 janvier 2024.

[3] Fiche d'information — Dernières statistiques sur l'état de l'épidémie de sida | ONUSIDA, disponible à l’adresse URL : https://www.unaids.org/fr/resources/fact-sheet. Consulté le 29 janvier 2024.