Amoureux de street-fighter et de scénographie ? Cet article est fait pour vous.

Le white cube et la scénographie théâtrale s'affrontent ici dans un match au sommet !

En tant qu'arbitre je vous propose deux combattants : Camille Claudel, miroir de l'Art Déco (La Piscine, Roubaix) & Arras vous fait la Cour (Musée des Beaux-Arts, Arras).

Le match se fera en deux rounds gagnants. 

Vous pouvez choisir la durée du match : 30, 60 ou 90 secondes selon vos capacités de lecture. Je vous déconseille cependant la version en temps illimité.

Mais avant de commencer lancez cette vidéo,  je suis certaine que la bande-son vous mettra en condition.

 

Round 1 : Multitude d'objets vs choix de cent œuvres

            La qualité d'une exposition n'équivaut pas au nombre d'objets qu'elle expose. Ce n'est pas la taille qui compte, on le sait bien !

            Arras a fait le choix d'exposer « uniquement » cent chefs-d’œuvre de Versailles. Des spécialistes vous diront sûrement que le château n'a pas prêté ses plus belles pièces ! Cette remarque ne vaut pas bien entendu pour des pièces comme le magnifique groupe Apollon servi par les nymphes – qui ne sera d'ailleurs pas exposé sur la totalité du temps de l'expo (18 mois) – maison remarquera juste que les pièces ne sont pas toutes des chefs-d’œuvre. Cependant le simple amateur – c'est-à-dire une personne qui n'a pas fait une thèse de 799 pages sur la marqueterie versaillaise entre 1526 et 1532 – reste ébloui par ces objets de luxe ! Dans les salles, point trop d'objets, ce qui permet de les découvrir réellement. Ici je m'attarde sur un tableau, là sur une chaise ou ici encore sur un fusil de chasse. Je ne me sens pas oppressée, le lieu me laisse le temps de vagabonder sereinement.

            Du côté de Roubaix, on a plutôt sorti l'artillerie lourde ! Des dizaines et des dizaines d’œuvres de l'artiste sont exposées : sculptures, dessins, photographies, esquisses, moulages, etc. Sans compter les œuvres de son maître, de ceux qui l'ont inspirée, etc. Sur le papier, ça m'emballe de suite ! Camille Claudel, j'adore ! Elle a tout pour plaire, la beauté, le talent, la passion et la folie ! Cependant, comme souvent dans ce type d'exposition je déchante.  J'ai du mal à me fixer, il y a trop d’œuvres à découvrir, trop de traitements différents d'une même sculpture. Résultat je suis un peu perdue au milieu.

Résultat du round : un point pour Arras pour avoir su choisir un nombre d’œuvres limité ! On est désolée pour Camille Claudel, nous aussi on l'aime, mais la on parle de muséo et de scéno.

 

Round 2 : Sobriété vs Démesure

            Honneur au perdant on commence avec La Piscine. Le choix du musée a été celui du White Cube. Pour rappel ce type de scénographie consiste à créer un espace blanc pour que le public se focalise uniquement sur les œuvres d'art. Ce concept a été schématisé de la façon suivante par l'essayiste Brian O'Doherty : 

Pour le meilleur et pour le pire, le “cube blanc” est la seule convention majeure à laquelle l’art ait dû se soumettre. Sa pérennité est garantie parce qu’il n’y a pas d’alternative.

Est-ce vrai ? Les murs blancs sont-ils le seul moyen de mettre en avant une œuvre d'art ? J'en doute. Voilà des siècles que les objets sont exposés dans des habitations, des églises ou même dans la rue. C'est-à-dire dans un contexte où l'objet n'est pas forcément le centre de toutes les attentions. Mais bon quitte à sacraliser ce dernier on peut en effet l'exposer dans un environnement blanc. Cependant, est-ce vraiment le meilleur moyen de valoriser un marbre de Camille Claudel ?  De but en blanc je pense justement que le blanc, c'est idiot mais ça salit rapidement, alors ce n'est vraiment pas l'idéal, surtout pour les assises. Concernant les vitrines, sur ce point encore j'ai été déçue elles s'alignent le plus souvent contre les murs, et ne permettent pas de faire le tour des rondes-bosse. Ce qui est dommage quand on connaît le talent de Claudel. Quant à la compréhension des salles, elle s'avère ardue. Les textes sont déclinés en couleurs pâles … sur les murs blancs. Bref dans la foule, je n'ai découvert leur existence qu'après avoir parcouru la moitié de l'exposition. En ma défaveur j'avoue aussi qu'un guide de visite était fourni à l'entrée du musée, mais qu'au milieu des dizaines de prospectus distribués, je ne l'ai lu qu'une fois rentrée chez moi. Dommage quand on connaît le talent de Claudel. 

            Du côté d'Arras, les mots d'ordre seraient plutôt « démesure et extravagance ! ». La scénographie tient une place à part entière dans l'exposition, on la voit. Par moments trop. Cependant elle permet d'être transporté directement dans l'ambiance du lieu. Bien sûr, on est loin du château de Versailles, on appréciera d'ailleurs que les commissaires d'exposition n'aient pas tenté d'en faire une pâle imitation. Chaque salle possède une ambiance, ce qui facilite la lecture de celle-ci. Sans avoir besoin de consulter un plan vous savez que vous vous trouvez dans les bosquets ou dans la salle consacrée aux Fêtes. La scénographie est donc élégante et à mon sens léchée. Elle procure aux visiteurs une véritable expérience de visite. Cependant il y a un hic, enfin deux. Le premier : la scénographie prend parfois, voire souvent le pas sur les expôts. Dans les premières salles, elle est certes présente mais valorise les objets. Mais une fois dans la salle des Eaux et Fontaines, on oublie complètement l'objet. Cette scénographie grandiloquente a d'ailleurs été très critiquée par la presse spécialisée. Personnellement j'ai apprécié l'installation numérique, même si ce fut au détriment de la sculpture Latone et ses enfants, par ailleurs très abîmée. Si vous avez aimé le Marie-Antoinette de Sofia Coppola vous apprécierez peut-être la présence d'une boule à facettes contemporaine dans la salle dédiée aux fêtes (oui ça existait à l'époque mais pas cette version là). Deuxième hic : on parle quasiment uniquement de la scénographie dans la presse. C'est ce que je fais aussi d'ailleurs.

Résultat du round : serré, très serré ! Malgré tout Arras l'emporte pour m'avoir transportée dans un autre univers, pour avoir essayé de contextualiser les œuvres, alors que pour l'exposition Camille Claudel, la scénographie était selon moi absente.

And the winner is :

Versailles gagne donc le match d'une courte tête !

Si vous désirez refaire le match, protestez contre les jugements totalement subjectifs de l'arbitre ou juste me donner raison n'hésitez pas laisser un commentaire.

Marion Boistel

Pour avoir une idée un peu plus sérieuse de ce qu'est le White – Cube je vous invite à lire :

Brian O'Doherty, White cube : l'espace de la galerie et son idéologie, Zurich, JRP, 2008.  

Si vous cherchez une vision plus synthétique :

 Laure Bodonaba, « Note de lecture », Cahiers philosophiques 1/2011 (n°124), p.123-126, disponible ici.

Pour lire un avis beaucoup plus tranché que le mien sur l'exposition d'Arras, 

je vous conseille l'article très virulent de Didier Rykner, intitulé sobrement : 

De Versailles à Arras, cent chefs-d'oeuvre déplacés pour rien

#scénographie 

#muséographie 

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