Art moderne - Art contemporain

L’art méditation contemporaine, Destination Recherche Intérieure
Fermez les yeux. Écoutez votre respiration. Inspirez, expirez. Encore une fois. Encore. Encore, jusqu’à pénétrer dans ce temps suspendu, où vous êtes non seulement face à l’œuvre, mais aussi face à vous-même ; à destination de votre moi intérieur.
Visuels de l'exposition Panorama 20 au Fresnoy, Studio National des Arts Contemporains
* L'ensemble de ces extraits sont tirés de l'oeuvre de Léonore Mercier, Empreinte Vagabonde.
Visuels de l'exposition Panorama 20 au Fresnoy, Studio National des Arts Contemporains
#mediation
#artcontemporain
#rechercheinterieure

Mark Rothko, du songe au vaporeux
Vaporeuses et colorées, les œuvres de l’artiste américain Mark Rothko éblouissent les espaces de la Fondation Louis Vuitton à Paris jusqu’en avril 2024. Que savons-nous de cet artiste américain, si peu représenté dans des collections muséales (privées et publiques) en Europe ?
Vue d'installation de l'exposition Mark Rothko, galerie 2, niveau -1, salle Multiformes et début des œuvres dites « classiques », exposition présentée du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024 à la Fondation Louis Vuitton, Paris. © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko - Adagp, Paris, 2023
Mark Rothko, son œuvre, méconnu.
Mark Rothko, No. 21, 1949, Huile et techniques mixtes sur toile, 238,8 x 135,6 cm, The Menil Collection, Houston, Acquired in honor of Alice and George Brown with support from Nancy Wellin and Louisa Sarofim © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko - Adagp, Paris, 2023
En 1946, Rothko est désemparé par la fin de la seconde guerre mondiale, et, à défaut de rêver avec ses personnages surréalistes, il se concentre sur ce qu’on appellera plus tard, le « Color Field », un mouvement artistique centré sur l’explosion et l’implosion des couleurs par le biais de couleurs vives et franches sur un support pictural, souvent de grande taille.
Mark Rothko et les commandes, privées et publiques, quels besoins et quelles limites ?
Les aventures parisiennes de Mark Rothko
En examinant le rôle des commandes, nous avons constaté que ces interventions artistiques soulèvent des questions complexes sur les besoins et les limitations, le tout dans un contexte de création unique et francophone.
Dans son cas, Rothko fut contacté fin mars 1969 par Franz Meyer, rapporteur du Comité artistique de l’Unesco. Il transmet alors une invitation à l’artiste pour la réalisation d’une commande destinée à un nouveau bâtiment, alors en construction à Paris, discutée comme ceci : « une grande peinture murale d’environ 30 mètres carrés pour le mur Est de la cafétéria. L’œuvre doit être visible de trois niveaux, y compris du grand hall d’entrée. […] Le Comité a estimé qu’un tel travail doit être confié à l’un des artistes américains habitués à traiter de grandes surfaces et a recommandé, par ordre de préférence : [Mark] Rothko, [Kenneth] Noland, [Robert] Indiana, [Ellsworth] Kelly »[2].
Lors de la discussion avec le comité et avec son ami Robert Motherwell, Mark Rothko apprend que l’UNESCO souhaitait acquérir une sculpture de Giacometti pour l’une des salles. En joie, l’artiste discuta avec son ami de sa nouvelle approche picturale dans une nouvelle série de toiles, inspirée par les sculptures de l’artiste Suisse. Or, en absence de plans architecturaux de l’espace dessiné par Bernard Zehrfuss, et suite à la prise de position des architectes sur le positionnement des œuvres dans l’espace, Rothko décide le 3 juillet 1969 de ne pas exécuter la commande due à son état de santé. En réponse à son refus, la création de la commande fut donnée à Ellsworth Kelly.
Gasgar Lucas
#Art Moderne et contemporain ; #Architecture et beaux-arts ; #Action culturelle et médiations
[1] « Comparaisons internationales », disponible à l’adresse URL suivante : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Mecenat/Particuliers/Comparaisons-internationales ↩
[2] Mark Rothko, catalogue d’exposition, Fondation Louis Vuitton, Paris, 2023, p282 ↩
"Après le Déluge", David LaChapelle à Mons
4 ans après avoir accueilli « Andy Warhol Life, Death and Beauty », Mons continue de surfer sur son titre de Capitale de la culture alloué en 2015 en mettant en scène David La Chapelle, l’ancien pupille du maître de la pop culture.
© David LaChapelle
Naomi Campbell, la famille Kardashian, Britney Spears, Michael Jackson, Cameron Diaz, etc. acteurs, chanteurs, mannequins, bien des people de ce monde sont passés derrière l’objectif de David La Chapelle. Si l’adjectif semble extrapolé, le photographe a pourtant mis en scène les personnes les plus bankable de la culture populaire (comprendre commerciale). Ces stars vues dans les magazines qu’on lit dans les salles d’attente ont une place toute trouvée dans l’album de cet artiste qu’ils « passionnèrent ». Mais ça c’était avant veut-il nous faire croire.
LaChapelle se rend en Italie et est transcendé par la « terrabilità » de Michel Ange. Il prend conscience de ce qui l’entoure et tente d’exprimer le rapport entre l’Homme et la Nature en créant des photographies plus engagées. Selon lui la société de consommation ne peut combler l’humain. Son art en est transformé ; exit les corps luisants (sauf pour dénoncer un propos), les couleurs criardes (sauf si nécessaires) et les clichés (sauf les vrais).
L’événement LaChapelle est conçu comme une rétrospective démarrant aux premières années de création de l’artiste jusqu’à aujourd’hui grâce aux 150 œuvres qui constituent l’exposition. Gianni Mercurio, commissaire et Xavier Roland responsable du pôle muséal de Mons, conçoivent cette rétrospective en fonction de la vie de l’artiste. Il y a un avant et un après 2006, ce qui se ressent dans ses œuvres tout comme dans l’exposition.
After The Deluge © Picturimage/Rino Noviello,
Le visiteur est accueilli par l’œuvre éponyme qui le plonge dans l’univers kitsch et coloré de David LaChapelle et situe immédiatement la gravité du propos. Le Déluge est une allégorie de la dissolution de la société contemporaine et donc une critique du monde qui nous entoure. Le propos religieux sert à véhiculer un message, celui de la décadence de notre société et sa fin préméditée. Si les moyens restent les mêmes qu’au début de sa création, l’artiste - photographe a pris un virage plus engagé. Il propose une réelle satire de ce monde de la consommation, dans lequel il a vécu et grâce auquel il a réussi,qu’il présente sous un jour très ironique. Les musées sont abandonnés, détruits ou ravagés par les intempéries, seules les œuvres « anciennes » subsistent en traversant les siècles. Ce sont les références que l’on perçoit dans les créations de l’artiste, dont les tableaux des grands maîtres de la peinture baroque et italiennes.
Si les photos semblent « trash » au premier regard, l’œil s’habitue et ne voit plus la nudité. Les corps sont tellement léchés, huilés, savonnés et brillent qu’on en oublie que ce sont des personnes, pour ne retenir que leur aspect plastifié. L’humain perd de sa teneur pour n’être qu’un réceptacle véhiculant des valeurs. Les sexes, les poitrines, les corps sont surreprésentés mais pas sexualisés.
La beauté est toujours présente dans ses photographies. Ce n’est pas parce le sujet est esthétique,traité avec attention, richesse et ornementation qu’il perd de son sens selon LaChapelle. L’esthétique LaChapellien ne est un vecteur d’idées, celle de liberté sexuelle ou encore de la surconsommation.
After the Deluge, Museum ©David LaChapelle
La seconde partie de l’exposition s’éloigne de ses premières préoccupations. Le monde du spectacle ne lui suffit plus, LaChapelle a une approche photographique plus conceptuelle. La caricature et les couleurs vibrantes, sont au service de problématiques éthiques ou écologiques actuelles.
En 2008, l’artiste provoque de manière délibérée avec la série Jesus is my homeboy . L’art conceptuel a déjà permis d’abaisser beaucoup de barrières mais la religion reste un tabou protégé par les puristes. Dans une interprétation toute personnelle du christianisme, LaChapelle met en scène le Jésus d’aujourd’hui,. Il s’est posé la question « avec qui Jésus resterait sur terre si il revenait ? », et en regardant la Cène qu’il a réalisée, on comprend que ce serait non avec les « aristocrates ou les riches » mais avec les personnes dans le besoin. En dépit de la « décadence » de certains clichés, sa foi ne l’a jamais quitté et il nous présente désormais une des « versions les plus sereines de lui-même ».

Last Supper © Picturimage/Rino Noviello
Après l’achat de sa ferme à Hawaï l’artiste exprime son engagement pour l’écologie avec une série intitulée Landscape qui occupe une place importante dans l’exposition. Désormais sortie de ce monde de surconsommation, l’artiste peut en faire une critique acerbe et engager une réflexion quant à notre consommation de carburant. Il se positionne à la place d’un archéologue qui reviendrait, des années après notre extinction, sur les ruines de notre civilisation. Stations services, usines et raffineries encore fumantes : les photos sont encore une fois colorées et vivantes malgré l’absence d’êtres humains. Comme à son habitude tout le travail de production est fait en amont et les clichés ne sont pas numériquement retouchés. Les maquettes sont toutes construites avec des matériaux recyclés tels que des gobelets, des pailles, des cannettes, etc. L’éclairage est la clef de la réussite, sans cela les images seraient sûrement mornes et peu attrayantes. Il reste fortement influencé par le travail qu’il effectuait dans le magazine Interview de Warhol, il fallait alors capter très rapidement le spectateur et lui faire cesser de tourner les pages.L’intensité et la saturation des couleurs, furent une réponse évidente à ce problème et est désormais la marque de fabrique de l’esthétique LaChapellienne.
Land Scape, Kings Dominion ©David LaChapelle
Roi de l’entertainment, David LaChapelle interpelle. « After the Deluge » présenté au BAM de Mons est l’occasion de revenir sur l’évolution de la carrière du photographe plasticien. Sa critique de la société contemporaine est acerbe et les thèmes sont actuels : religion,écologie, argent, moralités, etc. Son regard toujours ironique et centré sur l’esthétique, dédramatise la situation.
Les niveaux de lecture sont nombreux, chacun lit ce qu’il veut. Il est tout à fait possible de se contenter d’un plaisir esthétique et purement matériel ou de chercher une moralité plus profonde. Réels engagements ou coup de com’ lié à des thématiques à la mode ?La question reste ouverte et le visiteur est libre de ses croyances.
Charlotte Cabon--Abily
#Mons
#LaChapelle#BAM
"Cette exposition ne vous rendra pas plus heureux"*
Le graphiste autrichien Stefan Sagmeister est actuellement l’invité d’honneur à la Gaité Lyrique jusqu’au 9 mars 2014 et nous propose une exposition originale sur la quête du bonheur appelée « The Happy Show ». Le célèbre graphiste et non des moindres, a auparavant réalisé des travaux qui lui ont permis d’obtenir une réputation mondiale notamment par la réalisation de pochettes d’albums pour les Talking Heads mais aussi pour Lou Reed ou encore les Rolling Stones. Il a également réalisé des travaux pour le Guggenheim Museum de New-York et le MoMA inscrit quelques uns de ses travaux à ses collections.
Stefan Sagmeister investit la Gaité Lyrique et nous offre sa recherche du bonheur au travers d’anecdotes, de statistiques, de la science et de son propre esprit… Toute une palette d’outils afin de nous prouver que l’on peut être heureux à tout moment. « The Happy Show »part à la recherche du bonheur, la vision du bonheur de Sagmeister. Et nous voici plongé dans le monde du graphiste autrichien, à la fois graphique, ludique et drolatique. A l’origine de ce projet, un film : « The Happy Film ». Dans celui-ci, Sagmeister nous dévoile peu à peu sa recherche du bonheur au fil des travaux réalisés à travers le monde, que l’on retrouve tout au long de l’exposition.

Crédits : MD
L’exposition nous propose un parcours sur la recherche du bonheur séquencé par thèmes mettant en parallèle les travaux de Stefan Sagmeister. Durant le parcours Sagmeisterinter vient par petits films vidéo ou par récits, manuscrits sur les cimaises et les murs des salles d’exposition en mettant en avant des anecdotes de sa vie personnelle et professionnelle. Ces anecdotes sont argumentées par des preuves sociologiques, anthropologiques ou scientifiques. « The HappyShow » aborde cette quête du bonheur en proposant de nombreux médiums tel que des vidéos, des installations, des fresques, des photographies.
Le bonheur est partout, même dans les chewings-gums ?
L’exposition interagît avec le spectateur en lui proposant de vérifier son indice bonheur par le jeu. Comment vérifier que le visiteur est heureux au moment de sa visite ? Stefan Sagmeister a créé un outil de mesure à base de chewing-gum afin de calculer sur une échelle de 1 à 10 le niveau de bonheur à ce moment en mâchant.
Crédits : MD
Sagmeister nous invite dès le début de la visite à retirer une carte nous indiquant un petit jeu à réaliser à un moment donné durant l’exposition. Puis le visiteur est amené à déambuler dans l’exposition proposant un parcours linéaire. Rien n’est laissé pour compte, les murs, les rambardes, les rampes d’accès et même les toilettes sont investies d’histoires personnelles et de proverbes en tout genre.
Comment se provoque le bonheur ? Les détails de la vie peuvent-ils nous rendre plus heureux ? Des rencontres ? Ou simplement la conviction personnelle ? Voilà les questions que se pose Stefan Sagmeister et qu’ilnous pose à notre tour. Le parcours nous propose de descendre dans la salle principale d’exposition où nous arrivons devant un mur abreuvé de statistiques. Sagmeister s’est longtemps appuyé sur des études statistiques, psychologiques, anthropologiques autour du bonheur.Sans se nommer scientifique, il nous propose une fresque murale remplie de statistiques. Le bonheur est partout et une fois de plus le graphiste nous confronte à une recherche plus pragmatique par l’intermédiaire de constat en nous exposant la pyramide de Maslow, de confronter l’indice de bonheur des couples ou encore une statistique sur les activités heureuses ou le temps libre. Par la suite Sagmeister évoque le corps en quête du bonheur. Par l’épanouissement du corps en action, la recherche du bien-être.
Le corps en quête du bonheur
Le graphiste met à disposition un vélo permettant au visiteur d’obtenir une maxime (exemple : "Actually Doing The Thing") projetée en lettres néons lumineuses sur le mur en face du coureur. Le graphiste a soigneusement choisi ces dictons en fonction de l’hygiène de vie qu’il s’octroie.Une fois de plus sa vision personnelle y est retranscrite. Une fois descendu du vélo, le visiteur est à nouveau sollicité afin de mettre à contribution ses capacités créatives pour répondre à la question : Selon vous, quel animal ou créature représente le bonheur ? Une table, découpée par tranche de bonheur, court, moyen et long terme est mise à disposition ainsi que le matériel nécessaire au visiteur pour produire sa créature. Sagmeister met également en avant le fruit de sa créativité en exposant dans une avant dernière partie, une série photographique de ses productions réalisées lorsqu’il était à la recherche du bonheur, provoquée par les effets de la drogue ou sous une autre forme d’expérience plus ou moins déviante.

Crédits : MD
Pour finir le parcours, Sagmeister nous propose une rétrospective autour de son film « The Happy Film » en offrant aux visiteurs trois espaces vidéo proposant trois parties différentes du film ainsi qu’un entretien avec le graphiste sur la réalisation de l’exposition et finalement sa vision du bonheur et les solutions qu’il a trouvé.
Le graphiste autrichien nous suggère sa propre vision du bonheur à travers différents médiums, qu’il maîtrise, pour ainsi nous transmettre son point de vue, qui reste tout à fait subjectif. Cette exposition est à vivre simplement sans attentes particulières. Quelle forme de bonheur cherche-t-on ? Qu’est-ce qu’on est venu chercher dans cette exposition ? « The Happy Show » ne nous donne pas de solution ni de clé de compréhension. Les points de vues que partage Sagmeister avec le visiteur restent très personnels mais laisse la possibilité à celui-ci trouver sa place et de réfléchir sur sa condition ou simplement profiter d’un moment simple et distrayant. Malgré l’abondance de statistiques ou modes de calculs, l’exposition reste légère, agréable mais d’une gaieté moins lyrique que ce que l'on pourrait s'imaginer.
Cette exposition a débuté le 28 novembre et se termine le 9 mars 2014 à la Gaité Lyrique. Elle a été réalisée dans le cadre du film « Happy Film » de Stefan Sagmeister. Organisée par l’Institute of Contemporary Art, Université de Pennsylvanie. Commissariat assuré par Claudia Gould, directrice du Jewish Museum de New-York.
* Citation tirée de Stefan Sagmeister que l’on retrouve dès le début, dans la première partie de l’exposition.
Marie Despres
#graphisme
#bonheur
#gaité
"Le travail en corps encore" - Les étudiantes du master s'emparent du Théâtre d'Arras
Tout commence en octobre 2013, lorsque cinq étudiantes de master 1 s’approprient le projet Le travail en corps encore, qui n’avait pas encore de nom avant de les rencontrer.
"Le travail en corps encore" : une immersion dans le Théâtre d’Arras © Sabrina Verove
Tout commence en octobre 2013, lorsque cinq étudiantes de master 1 s’approprient le projet Le travail en corps encore, qui n’avait pas encore de nom avant de les rencontrer. Elles l’ont dorloté jusqu’à lui faire voir le jour. L'éclosion de ce projet est le fruit d’une collaboration entre les étudiantes, l’Art de Muser et le Tandem (le Théâtre d’Arras et l’Hippodrome de Douai) pour une exposition en deux lieux. Nous vous présentons ici l'Acte qui prend place à Arras.
Aux quatre coins des rues d’Arras des affiches vous invitent à venir au théâtre. Vous êtes-vous demandés pourquoi des affiches sont présentes chez le coiffeur, chez le boucher ou encore à la pharmacie ? Et bien, cette exposition touche chaque travailleur et chaque futur travailleur, peu importe leur domaine d’activité.
Six artistes ont répondu à l’appel à projet et se sont questionnés sur le rapport entre le travail et le corps, les séquelles morales et physiques que le travail peut engendrer, le lien entre le travail et le domicile, la vision que chacun a sur certaines activités.
En franchissant les portes du théâtre, le public a pour surprise de découvrir une exposition.
Le parcours est agréable, l’exposition débute dans le hall puis se prolonge dans l’espace bar-détente. Ce partage des espaces la rend attractive.
Effectivement, le parcours est libre et fluide,les œuvres peuvent être associées comme dissociées et ceci dans un sens de visite aléatoire.
Les œuvres trouvent parfaitement leur place dans ce lieu. Les murs blancs et le sol pourpre soulignent les œuvres, leur plasticité et l’esthétisme des gestes, ainsi que le message qu’elles portent.
Cette exposition amène à se questionner, partager des avis, découvrir des artistes. Elle permet aux visiteurs de vivre un moment chaleureux autour d’un thème quotidien.
Le visiteur conclut l’exposition en exprimant les conditions de son corps au travail grâce à trois tampons (une personne heureuse, une personne satisfaite et une personne en colère).
Afin de permettre la découverte des œuvres, les étudiantes, chargées du projet, proposent des visites durant toute la durée de l’exposition : pour le public scolaire ou le public individuel, le public de l’hôpital de jour ainsi que tous les curieux. Chaque personne peut partager ses expériences professionnelles, son ressenti face à ce thème et échanger autour des œuvres. Prêts à en savoir plus sur ces photographies, ces dessins ou ces chaises ?
Commençons par la première œuvre rencontrée : Corps de ballet (2014) de Marion Poussier.
Elle se compose de trois photographies représentant trois femmes, située dans des espaces différents, prenant des postures gracieuses. Leurs corps prennent part à une danse, sont révélés àtravers des gestes qu’elles pratiquent au quotidien. Ces femmes sont agents d’entretien.
Un groupe face aux Corps de Ballet © Sabrina Verove
L’artiste lutte contre les stéréotypes et préjugés envers des métiers bien trop souvent dévalorisés. Ici elle met en lumière ces femmes avec poésie.
Les visiteurs échangent sur le corps et son aspect artistique, sur ce métier indispensable. Ils ont l’occasion de participer à cette recherche gestuelle en prenant un balai et un chiffon et en effectuant des mouvements. Ils répètent ces mouvements sans ces objets. Le corps devient autre, la fonction sensorielle prend le pas sur la fonction utile.

Le travail à l'heure de la technologie © Sabrina Verove
A cette œuvre font écho deux photographies de la série Technomades(2008) de Christophe Beauregard, ou deux personnes sont représentées également sans leur outil de travail. Leurs costumes de bureau et leurs postures amènent immédiatement à deviner que les outils qu’ils ont en mains sont technologiques : un téléphone et peut-être une tablette numérique.
Après avoir quitté le travail, celui-ci peut nous suivre jusqu’à notre domicile par divers moyens. L’artiste questionne ici le pouvoir de la technologie aujourd’hui dans notre vie personnelle.Lisez-vous vos emails une fois les chaussures ôtées à la maison ? Votre téléphone et votre ordinateur professionnels sont-ils toujours à vos côtés ? Le surplus de technologie isole, enferme dans une bulle.
Comme ce thème actuel touche chacun, le public s’exprime facilement sur le sujet, prend conscience de certains actes. Les langues se délient.

La nature au centre de la pensée © Sabrina Verove
Estelle Lebrun apporte sa réflexion sur les pensées qui nous traversent sur le chemin entre notre domicile et notre travail. Sur la trajectoire de paysages, à l’épreuve du dessin (2013/2014) se compose de sept dessins sur papier,en noir et blanc, doux et mystérieux. Ils permettent l’évasion et la libre imagination.
L’artiste observe les paysages qu’elle voit dans le train sur son trajet maison-travail, travail-maison. Elle prend des photographies de bosquets, d’éléments floraux qui bordent la voie de chemin de fer et les adapte en dessin. Ces œuvres sont en mouvements, s’adaptent à la vitesse du train. Ce travail questionne aussi le métier d’artiste et les gestes qu’ils peuvent répéter au quotidien.
À quoi pensez-vous sur le chemin entre votre domicile et votre travail ? Au dossier que vous n’avez pas terminé,à la dernière réunion avec votre patron ou bien détendez-vous en pensant à votre dernier week-end ?
Les visiteurs de l’hôpital de jour ont participé à un atelier en écrivant sur une feuille un mot ou un dessinant ce à quoi ils ont pensé sur la route les menant à l’exposition. Les réponses sont variées,poétiques, humoristiques.
Jean-Louis Accettone intrigue les visiteurs à travers Une expérience éternelle de plus(2007). Ses deux chaises placées contre un mur invitent le public à s’y asseoir.
À première vue à quoi vous fait penser une chaise ? Au repos ? Au travail ? À l’attente ? L’artiste prend en compte ces trois avis. Une chaise permet de flâner, d’attendre confortablement et entraîne des douleurs au travail.
Dès lors qu’une personne s’assoit sur une chaise, une bande sonore démarre. Étrange et envoûtante elle nous parle d’attente, cette attente que nous avons tous vécue, dans un parc, une gare, un restaurant.
L’artiste a choisi la chaise comme un objet quotidien de certains métiers. Le saviez-vous ? En moyenne une personne passe cinq heures assise sur une chaise au cours d’une journée et certaines reproduisent constamment le même geste. De nos jours dans les métiers à la chaîne les postes tournent afin qu’une personne ne répète pas un seul et même geste tout au long de la journée.
Lorsque l'outil de travail devient une oeuvre d'art © Sabrina Verove
Puis le public fait face à deux photographies. Par leur apparence nous pouvons percevoir que les espaces présentés sont des chambres d’aspect accueillant : colorées, décorées et vives.
Que fait-on dans une chambre ? Le public intervient : « On y travaille, on lit des romans, on regarde des films, on se repose, on écoute de la musique etc. » Quel métier ces chambres peuvent représenter ? « Un peintre, un maçon, un agent d’entretien etc. » Une seule image amène plusieurs histoires.
Le doute plane, les personnes qui travaillent dans ces chambres sont absentes. Qui sont-elles et pourquoi ne se dévoilent-elles pas ?
Dans Der Mannergarten (une crèche pour les hommes) (2010-2011) Fabien Marques évoque un métier légal ou illégal selon les pays. C’est le métier de prostituée, où le corps est marchandé, où il est outil de travail.

Dans l'antre d'un métier controversé © Sabrina Verove
Cette exposition, dans un lieu original, est une belle réussite. Les œuvres se répondent et se saisissent du travail sous ses aspects les plus pénibles comme les plus harmonieux. Le public en ressort ravi et voit sous un nouvel angle ce que nous faisons endurer à notre corps au travail.
Curieux d’en savoir plus ? Les étudiantes vous attendent également à l’Hippodrome de Douai !
Lilia Khadri
A découvrir jusqu'au 21 février 2015 au théâtre d'Arras
En savoir plus :- Agenda de l'exposition
# Théâtre
# Travail et corps
# Muséographie
"Qu'est-ce qu'une poupée ?"
« Qu’est que c’est qu’une poupée ? Qu’est ce qu’est une poupée ? C’est quelque chose d’étrange. C’est quelque chose dans l’ombre. C’est quelque chose de la terre. C’est quelque chose de l’origine. C’est quelque chose de magique. C’est quelque chose de paternel. C’est quelque chose d’interdit. C’est quelque chose de Dieu […] »¹. Telle est la définition de la poupée que propose l’artiste Michel Nedjar dont le travail est présenté du 24 février au 4 juin 2017 au LAM dans le cadre d’une exposition monographique intitulée « Introspective ».
Le musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole entretient une relation privilégiée avec Michel Nedjar en conservant 300 de ses œuvres dont plus de 150 poupées. A travers une scénographie épurée et élégante, l’institution invite à découvrir cet artiste situé entre art brut et art contemporain. Le visiteur suit un parcours chronologique, jalonné de dates charnières, discernant ainsi l’évolution de l’œuvre de cet artiste qui travaille par série jusqu’à l’épuisement de la thématique abordée.
Les poupées de 1960 à 2016 présentes tout au long de l’exposition occupent une place centrale dans l’œuvre de Michel Nedjar.
Michel Nedjar choisit de s’exprimer à travers la poupée qui le fascine depuis l’enfance. Un objet d’autant plus fascinant par l’interdiction de son utilisation par ses parents, étant considéré comme un jouet pour les petites filles. Toutefois, l’étymologie nous apprend que la poupée signifie avant tout « paquet de lin sérancé »². Nous retrouvons ainsi à travers cette définition le lien au textile. Fils de tailleur, petit-fils de chiffonnière au marché aux puces, ancien étudiant en école de stylisme, le textile est sa matière : « Une grand-mère dans les shmattès, une chiffonnière. Un père dans la confection, un tailleur. Grand-mère la matière et père l’aiguille-qui-rassemble-ça. La chiffonnière et le tailleur : c’est drôle ces deux rencontres […] pour donner une petite créature. Les poupées que je fais c’est leur enfant, le centre où se rassemblent les énergies de ma grand-mère et de mon père. »³.
La visite commence par la découverte des œuvres de jeunesse dont la première poupée réalisée alors que l’artiste n’était encore qu’un enfant : une jambe d’un poupon ayant appartenu à l’une de ses sœurs qu’il a habillée d’un bout de tissu trouvé dans l’atelier paternel.
Le début de l’âge adulte est bercé par les voyages. Le Mexique inspire de nombreuses poupées très colorées ainsi que des bas-reliefs composés de tissus collés sur des panneaux de bois, œuvres se situant ainsi entre la peinture et la sculpture.
Alors, âgé d’une vingtaine d’années, Michel Nedjar rencontre le cinéaste mexicain Téo Hernandez, qui l’initie au septième art. Il abandonne cette forme d’expression en 1992, à la mort de son compagnon emporté par le sida.
Commence en 1978, la série des « chairdâmes ». Ces créatures effrayantes feraient référence à la Shoah. Né en 1947, Michel Nedjar découvre à l’adolescence l’horreur qu’a subie sa famille d’origine juive en regardant le film Nuit et Brouillard d’Alain Resnais. Ces poupées sombres sont fabriquées à partir de vieux bouts de tissus trempés dans des bains de boues ou de teintures, enterrés puis déterrés, badigeonnés de sang d’animaux et d’eau saumâtre. La poupée, objet à figure humaine, représente alors un monstre. A travers cette série d’œuvres, l’artiste illustre le processus de deshumanisation. Chaque poupée représenterait une victime, les « chairdâmes » étant les morts qui hantent l’artiste. Ces morts sont aussi présents à travers un ensemble de sculptures de multiples visages en papiers mâchés. Michel Nedjar abandonne les poupées, se consacrant à l’art graphique après la lecture d’un texte analysant son travail de Roger Cardinal en 1986. Avec ce travail graphique, Michel Nedjar se tourne vers une thématique plus spirituelle, ces dessins faisant référence à l’art primitif et aux icônes chrétiennes.
Le début des années 1990 correspond à une période difficile pour l’artiste par la disparition de plusieurs de ses proches emportés par la maladie du sida. Ces événements amènent le retour de la poupée dans sa démarche artistique. C’est en partant en voyage sur l’Île de Pâques, alors qu’il récupère un chiffon jeté à la mer par un pêcheur après avoir nettoyé sa barque, qu’il décide de créer les « poupées de voyages ». Cet ensemble de poupées prend fin en 2013 à la suite d’un périple en Pologne sur les traces de sa famille maternelle, déçu qu’il est de ne pas avoir trouvé plus d’éléments sur la communauté juive. Le principe de cette série consistait pour l’artiste à collecter des tissus, petits objets et déchets qu’il assemblait en poupée une fois revenu dans son atelier en France. La société de consommation ainsi que le processus de mondialisation sont reflétés à travers ces œuvres.
Michel NEDJAR, Série « Poupées de voyage », 1996-2013 ©C.R-B.
La création se poursuit avec le Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme de Paris qui commande en 2004, des poupées sur le thème de la fête de Pourim. Les couleurs de ces petites créatures rappellent les premières poupées fabriquées lors de sa jeunesse après son voyage au Mexique.
Michel NEDJAR, Poupées de Pourim, 2004 ©C.R-B.
Deux nouvelles séries appelées « Paquets d’objets arrêtés » et « Poupées coudrées » apparaissent. Il s’agit de poupées emprisonnant des objets à valeurs sentimentales. Ce procédé rappelle celui utilisé pour les momies égyptiennes et mexicaines. Comme Isis qui fabrique la première momie en réunissant les morceaux du corps de son mari qu’elle enferme dans des bandelettes de lin, Michel Nedjar rassemble plusieurs objets qu’il enveloppe de chutes de textiles. Tout parait devenir poupée. « Il y a quelque temps, je regardais mon atelier et pensai qu’après ma mort, tout finirait probablement à la poubelle. Et alors j’ai eu l’idée de faire entrer l’intégralité du contenu de mon atelier dans le corps de la poupée. C’est un projet à long terme. L’idée fut une révélation pour moi, peut-être que mon atelier était en soi le corps d’une poupée. »4.En effet, tout semble se rapprocher de la poupée : avec l’utilisation du fer à repasser et de la couture, les patchworks d’images collectées sont des sortes de poupées à plat. Le 3D et le 2D semblent se réconcilier...
Michel NEDJAR, Poupée coudrée, coudrage de tissus, fils, poupées et objets intimes, 2007 ©C.R-B
« Introspective » émerveille par l’originalité des œuvres d’une très grande richesse tant au niveau des supports que des techniques et par l’universalité, l’intemporalité et l’intimité des thématiques abordées par l’artiste ayant la capacité de toucher le plus grand nombre malgré l’angle biographique choisi pour le parcours de l’exposition. Les poupées sont toutes singularisées par leur présentation sur fond blanc, les espacements entre chacune de ces œuvres et leurs socles ou leurs piquets pour quelques unes d’entres elles mises alors au rang de véritables sculptures. A travers ses poupées Michel Nedjar exprime ses peurs et ses blessures. Les poupées de Michel Nedjar l’ont soigné : elles ont pansé ses blessures et lui ont permis de se reconstruire. Il le dit lui-même : « Mes poupées m’ont sauvé »5 . Un pansement, voilà peut-être ce qu’est une poupée.
C.R-B.
#Art brut
#Poupée
#Textile
¹ Citation de Michel Nedjar reprise dans l’essai de Allen S.WEISS, « Métamorphoses de la Poupée », p.39-55 dans le catalogue de l’exposition « Michel Nedjar, Introspective », LAM, 2017
² http://www.cnrtl.fr/etymologie/poup%C3%A9e et dossier pédagogique sur l’exposition « parler du lien réalité/fiction, humain/divin », p. 21.
³ Citation de Michel Nedjar reprise dans l’essai de Allen S.WEISS, « Métamorphoses de la Poupée », p.39-55 dans le catalogue de l’exposition « Michel Nedjar, Introspective », LAM, 2017
4 Citation de Michel Nedjar reprise dans l’essai de Jean-Michel Bouhours, « Mon père était tailleur », p.9-24, dans le catalogue de l’exposition « Michel Nedjar, Introspective », LAM, 20175 Citation de Michel Nedjar reprise dans l’essai de Allen S.WEISS, « Métamorphoses de la Poupée », p.39-55 dans le catalogue de l’exposition « Michel Nedjar, Introspective », LAM, 2017

"The Square"
« The Square est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. Dedans, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs. »
« Art Cares Covid – Inside out », une exposition qui bouscule le modèle classique des musées
Bannière « actualités » du site des MRBA, novembre 2020, affiche de l’exposition « Art Cares Covid – Inside out », © MRBA, 2020.
Des projets culturels au temps de la Covid-19
L’exposition « Art cares Covid, Inside-out » s’est développée dans un cadre particulier, celui d’une crise sanitaire. En Belgique et partout ailleurs, la création artistique contemporaine a été fortement touchée : fermeture des galeries, annulation ou suspension des expositions, visites d’ateliers annulées, etc. Le monde muséal a également été particulièrement touché, notamment par la fermeture des institutions culturelles et ce pendant de longs mois. C’est à partir de cette observation que l’exposition temporaire « Art cares Covid » a été conçue.
D’abord prévue du 2 octobre 2020 au 24 janvier 2021, puis prolongée jusqu’au 14 février 2021, elle a été présentée au sein des Musées Royaux des Beaux-arts de Bruxelles (MRBA). Plusieurs acteurs ont participé à l’élaboration de cette exposition : Maëlle Delaplanche, commissaire de l’exposition et co-créatrice d’« Art cares Covid », Sandrine Morgante, artiste et co-créatrice d’« Art cares Covid » ainsi que Gaëlle Dieu, exhibition coordinator des MRBA.
Présentons d’abord le projet « Art cares Covid », une plateforme numérique élaborée par M. Delaplanche et S. Morgante. Celle-ci consiste à offrir une galerie numérique à différents artistes sélectionnés par les deux créatrices : des artistes belges ou résidants belges actuellement peu connus dans le domaine de la création artistique (Samuel Coine, Laure Forêt, Selçuk Multu ou encore Catherine Warmoes). La plateforme permet de leur donner de la visibilité et de vendre leurs œuvres en ligne. Elle a été pensée en association avec l’ASBL « A travers les Arts ! » qui se donne pour objectif d’aller contre l’isolement des séniors en leur donnant accès à la culture. « Art cares Covid » soutient donc cette association par un système de don lors de chaque achat d’une œuvre sur la plateforme (60% revient à l’artiste et 40% à l’association). Ces dons sont ensuite utilisés par l’ASBL pour des projets comme l’organisation d’animations artistiques près des maisons de repos. Le projet global souhaite fédérer des artistes émergeants à travers les arts, de vendre leurs œuvres tout en aidant les séniors isolés.
Site internet « Art cares Covid », exposition numérique présentant les artistes, novembre 2020 © M. DELAPLANCHE, 2020.
Art Cares Covid est alors, dans un premier temps, une galerie-« exposition » virtuelle d’artistes. A partir d’une œuvre phare de l’artiste, vous pouviez naviguer pour voir l’ensemble de ces œuvres, avoir accès à son site, comprendre sa démarche, etc. Le conservateur des œuvres contemporaines des MRBA, P-Y. Desaive, a été touché par ce projet et par la galerie virtuelle que proposait M. Delaplanche. Il lui a proposé de créer une exposition réelle à partir de cette galerie numérique. Une occasion pour le musée de s’ouvrir au contemporain, qui, depuis quelques années cherche à exposer ce type de collections, alors très peu présentes depuis la création du musée en 1801. Cette exposition permet également d’offrir une visibilité à une initiative sociale et artistique. Le conservateur a ainsi donné carte blanche à la commissaire M. Delaplanche pour l'exposition, en matière de scénographie et de muséographie pour l’exposition « Art cares Covid, Inside-out ».
Une exposition temporaire, du numérique au réel
« Art cares Covid, Inside-out » est une exposition dite « focus » mettant en avant 41 artistes belges à travers 72 œuvres. Le but premier est de « concrétiser » physiquement une exposition numérique. C’est un processus très intéressant puisque nous avons vu durant cette crise sanitaire comment les expositions et les musées se sont numérisés (visite d’exposition en vidéos, podcasts sur les œuvres, ateliers de médiation à faire à la maison, etc.) pour donner accès à la culture « à domicile » alors que cette exposition fait le chemin inverse : un projet numérique prend forme physiquement dans une institution muséale. L’exposition prend place dans le patio 0 des MRBAB, une pièce carrée avec en son centre une salle circulaire. Quatre îlots d’exposition ont été mis en place et présentent des œuvres choisies autour du thème que souhaitait aborder M. Delaplanche : la création artistique contemporaine au temps du Covid-19. Elle a demandé à chaque artiste participant de composer une œuvre de grandes dimensions et une œuvre de petites dimensions en accord avec la thématique : microcosme et macrocosme. Ainsi, dans un même espace les œuvres dialoguent ensemble par un jeu d’échelle : Stéphanie Roland propose une sculpture imposante en plexiglas nommée Méta-église (2016) alors que Joao Freitas élabore une petite sculpture de papier, Untitled réalisée pendant une résidence italienne. Les publics peuvent se déplacer d’expôt en expôt au sein de chaque îlot thématique, l’espace est très aéré et reprend les codes habituels du « white-cube ».
Texte mural, introduction de l’exposition, en trois langues, titre et nom de la commissaire © M. MAINE, 2020.
L’exposition présente une variété d’œuvres en rapport avec l’actualité sanitaire et aborde plus précisément les différentes phases ressenties par chacun durant le confinement, conséquence directe de cette pandémie. Le sujet choisi permet de parler des sentiments d’enfermement puis de délivrance, les tâches répétitives accomplies, le repli sur soi, etc. Dans un second temps, le but est de montrer comment la création artistique actuelle, dans sa diversité (supports, matériaux, aspects), peut donner une image de nos sentiments dans une situation complexe internationale de confinement. Sont donc mis en scène la création artistique d’artistes méconnus belges, le confinement et ses conséquences sur nos perceptions (temps, espace) et sur le monde artistique, les repères habituels de la vie quotidienne perturbée, l’art contemporain face à un sujet de société, le rapport microcosme/macrocosme, etc. Les objets exposés sont quant à eux, tous des œuvres dédiées à la vente, ils appartiennent aux artistes qui en détiennent les droits jusqu’à leur vente. Les MRBA ont fait le choix d’exposer des œuvres d’art ayant un but lucratif dans une institution où l’inaliénabilité des œuvres est de mise. Ce parti pris audacieux répond à la volonté du musée de s’ouvrir au contemporain mais pose de réelles questions sur le statut de ces œuvres. Assurance, régie, muséographie et accrochage, toutes ces actions en sont nécessairement touchées : l’artiste étant propriétaire de son œuvre, il a fallu de la pédagogie et de nombreux échanges pour que cette exposition ouvre aux publics.
Premier îlot de l’exposition © M. MAINE, 2020.
Salle circulaire, pièce dédiée aux projections, © M. MAINE, 2020.
De la galerie au musée, accrochage et muséographie
Cette exposition se démarque par son originalité : exposer des œuvres d’artistes originellement dédiées au marché de l’art dans une institution muséale publique peu axée sur le contemporain. Ce fait a d’ailleurs beaucoup d’influence sur la scénographie, sur les outils de médiation et notamment sur l’absence de cartels explicatifs ou de textes de murs thématiques. Par son type d’accrochage, l’exposition dans sa forme s’approche d’une galerie. Cela a une conséquence directe sur les publics visés : l’exposition s’adresse principalement à un public de galerie ou habitué à l’art contemporain. Le manque d’explications (textes, cartels) et l’absence d’outils de médiation rendent assez complexe la compréhension du propos de l’exposition durant la visite. Les différents sentiments ressentis durant le confinement n’étant pas indiqués, les publics non habitués ou les publics jeunes auront du mal à les déceler.
Cartel de l’exposition, quatrième îlot, © M. MAINE, 2020.
Pour autant, l’accrochage qui se fait à la fois sur une association chromatique et sur une diversité des supports offre aux publics un large aperçu de l’étendue de la création artistique contemporaine. Ce parcours de visite permet ainsi d’appréhender différents matériaux, médias, dimensions et sujets ; on comprend donc le caractère personnel de chaque œuvre. En sachant que le propos de l’exposition s’organise autour du vécu du confinement, on comprend mieux la relation entre l’individu et l’objet : émotions, contemplation, sensation, ressenti.
Quatrième îlot de l’exposition, © MRBAB, Bruxelles, Odile Keromnes, 2020.
Cette exposition donne de réelles pistes de recherche muséologiques comme la place de l’art contemporain dédié au marché de l’art dans un musée public, les compromis entre la volonté des artistes et les normes muséales ou encore l’implication d’une exposition dans des sujets d’actualité. Dans un contexte complexe pour les institutions culturelles comme pour les créateurs, de tels projets peuvent réellement faire la différence notamment en donnant une visibilité aux artistes et en proposant une nouvelle façon d’exposer les œuvres pour les publics. Cette exposition permet également aux MRBA de s’impliquer dans l’art contemporain, le tout dans un but associatif pour aider les séniors isolés. « Art cares Covid, Inside-out » bouscule quelque peu le modèle classique des musées en lui donnant de nouvelles fonctions et de nouvelles missions.
MAINE Marion.
Merci à Gaëlle Dieu et Maëlle Delaplanche d’avoir accompagné la rédaction de cet article.
Pour aller plus loin :
- ART BASEL, « The Impact of Covid-19 on the art market », vidéo YouTube, publiée le 21.05.2020.
- R. AZIMI, « Art contemporain : face au Covid-19, le virage numérique des galeries africaines », Le Monde, 19 janvier 2021.
- M. DELAPLANCHE, Site internet « Art cares Covid », lancé en 2020
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#artcontemporain #bruxelles #galerie

« Bacon point barre »
Et si Nietzsche se faisait narrateur ? L’exposition Bacon en toutes lettres présentée jusqu’au 20 janvier 2020 au Centre Pompidou propose une approche déroutante de l’œuvre du peintre britannique. Fini les cartels analytiques ou les textes à l’entrée des salles, laissez aux écrivains et philosophes, depuis Eschyle jusqu’à Michel Leiris, le soin de vous conter l’univers de Francis Bacon.
Une entrée dans la matière
« Les grands poètes sont de formidables déclencheurs d’images, leurs mots me sont indispensables, ils me stimulent, ils m’ouvrent les portes de l’imaginaire. » Francis Bacon
Avec Bacon en toutes lettres, je ne me ferai point bercer par le doux récit de la vie de Francis Bacon, de sa relation avec la littérature, de son goût pour tel ou tel écrivain.
Une fois la salle introductive passée, les explications ont disparu, les lettres se font rares, même les cartels ne sont pas évidents à trouver. Sur les usuels murs blancs, il faut aller à la rencontre de 86 œuvres du grand maître de la distorsion.
Une exposition sur la littérature dîtes-vous ? Oui, mais vous ne lirez point. Vous faites face à Bacon, vivez ce qu’il vous offre !
Francis Bacon, Tryptich, 1967, huile sur toile, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington D.C., Gift of the Joseph H. Hirshhorn Fondation, 1972 © Estelle Brousse
Des lignes fortes découpent un espace neutre formé par de grands aplats. Chaque tableau donne à voir un cadre strict et géométrique au milieu duquel une masse de matière perd soudainement sa rigueur. Là où l’humain veut jaillir, la peinture fuit, se désagrège, fond. Indiscernables présences fantomatiques, les chairs s’entremêlent en se mouvant, les corps se tordent en souffrant. Sous les yeux du visiteur, se dresse le combat du peintre contre son reflet. Pourpre, le sang coule à flot contre les murs immaculés du musée. La matière picturale est libre, elle se déchaîne. Francis Bacon percute et submerge la foule qui croyait se faire dorloter par une énième exposition monographique.
Quand la peinture se lit avec les oreilles
Vue de la galerie principale de l’exposition « Bacon en toutes lettres » au Centre Pompidou © Elise Bernier
Après avoir admiré un triptyque encadré de trois œuvres isolées, le visiteur s’engouffre dans une boîte sombre. Va-t-il y trouver un chef d’œuvre, une vidéo, un texte ? Il cherche. D’autres sont assis. Il entend une voix au milieu du bruit ambiant, on lui lit Eschyle, quelques lignes à peine. Si peu qu’il n’a pas le temps d’en saisir le sens. Sur les murs, l’ouvrage dont on vient de lui lire un extrait est présenté clos sous une vitrine. Relique intouchable, le trésor en devient invisible. Outre la lecture du texte, ce dernier n’est présent nulle part. L’obscur box dans lequel l’auditeur se trouve n’est pas réellement séparé de l’espace d’exposition, impossible de s’immerger complètement dans le texte.
Le parcours expographique est basé sur ce rythme : triptyque escorté par deux œuvres isolées et le box qui lui fait face lui-même décoré d’une seule toile. L’uniformité du parcours est renforcée par celle des cadres des œuvres, tous dorés. Bacon se confronte tour à tour à six ouvrages, à six auteurs : Eschyle, Friedrich Nietzsche, T.S Eliot, Michel Leiris, Joseph Conrad et Georges Bataille. Cette scansion novatrice est agréable, le public apprécie de faire une pause après avoir subi les assauts de la peinture de Bacon. Néanmoins, n’aurait-t-on pas préféré que ce repos soit un véritable moment de réflexion pour se plonger plus profondément dans un texte, pour confronter les arts ? Nietzsche ne peut pas nous aider à comprendre Bacon en trois paragraphes.
Les grands-maîtres peuvent-ils se vivre sans récit ?
Avec ce parti pris, le commissaire Didier Ottinger nous propose d’annihiler le discours au sein des expositions pour vivre une expérience du sensible. C’est au visiteur de créer le lien qui unit les textes au peintre. Lorsqu’il a traversé l’exposition assaillit par des extraits d’ouvrages qui racontent l’art dionysiaque et la vision apollinienne, l’idée platonicienne incarnée par le torero et l’abattoir comme temple religieux, le public se trouve face à une vidéo dans laquelle, enfin, le maître développe son rapport à la littérature et à sa peinture. Evidemment, la foule s’agglutine et stagne devant cette bribe de discours pour voir parler le maître et tenter de saisir sa pensée.
En ligne, de multiples médias se sont emparés du sujet. Un podcast de France Culture (https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-poetes/bacon-poesie-peinture-allers-retours) interroge le commissaire de l’exposition. Il explique avec quelle émotion il s’est plongé dans les ouvrages de Francis Bacon. Ces « ouvrages relatent d’un usage intensif » explique-t-il, certains sont « annotés », « surlignés » voire « déchirés » lorsque l’artiste voulait s’approprier un extrait du récit. Si Bacon avait physiquement marqué les ouvrages présentés et sanctuarisés dans les espaces d’écoute, pourquoi les avoir présentés clos ? La relation d’intimité entre l’artiste et l’écrivain se situait précisément là. Le commissaire l’a vécue sans la déléguer. Quant au visiteur, privé d’indications, il ne sait même pas si les livres présentés appartenaient réellement à Bacon. En s’interdisant le contact avec les objets qui font l’intérêt même de cette exposition, en refusant la reproduction ou la monstration des ouvrages que Francis Bacon semble avoir pétri au même titre que ses toiles, les « toutes lettres » de Bacon n’ont finalement pas été exposées.
Estelle Brousse
#CentrePompidou
#FrancisBacon,
#Peinture
« C’est une forme d’amour que de créer »
Au cours de notre existence, nous pouvons être confrontés à la maladie, au handicap, à une situation de précarité, à toutes sortes d’accidents de vie. La pratique artistique peut être bénéfique dans ces moments difficiles pouvant apporter du soutien, apaiser et rendre le quotidien plus serein. Rencontre avec Caroline Chopin, sculptrice engagée auprès de publics spécifiques, dans son atelier situé dans l’ancienne filature de Saint André-lez-Lille.
Avant de devenir sculpteur, Caroline Chopin a étudié l’Histoire de l’art. C’est en voulant comprendre ce qu’elle étudiait, qu’elle se mit à la sculpture. La jeune femme débute alors une carrière artistique. Elle reçoit plusieurs commandes, contribue à de nombreux projets artistiques et culturels, crée des décors pour le cinéma et la télévision. S’ajoutent à ses multiples activités, les ateliers avec les publics dits « spécifiques ». Ces publics sont généralement des personnes en souffrance, qui ne donnent pas leur confiance facilement, qui ont souvent une vie réglementée et à qui on ne propose pas grand chose.
Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec des publics dits « spécifiques » ?
Je travaillais, étant jeune adulte, en tant qu'animatrice de colonie de vacances avec des enfants placés en foyer. Puis, j’ai voulu continuer à me rendre utile une fois devenue sculpteur.J’ai commencé à intervenir au centre social de l’Arbrisseau à Lille. Jeproposais des ateliers communs à des enfants et à des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui étaient en hôpital de jour. C’était difficile parce que d’une semaine sur l’autre, les personnes malades ne se souvenaient plus de ce qu’elles avaient fait. Par contre, elles se souvenaient des enfants qui les aidaient à finaliser leurs travaux. Et ça, c’était vraiment magique ! Je veux apporter à ces publics, en leur proposant des ateliers de sculpture, la possibilité de s'exprimer, d’être fiers d’eux, de réaliser quelque chose de leurs mains, et de prendre confiance en eux par ce biais là. Je souhaite aussi leur offrir la possibilité de s’ouvrir à l’art, de s’évader de leur quotidien qui n’est souvent pas facile. Ainsi, ils peuvent trouver un apaisement, sesentir libre mais aussi se confronter à leurs limites et à leurs possibilités. Souvent, les participants aux ateliers me disent « Je ne sais pas le faire » ou « Je n’y arriverai pas » et finalement ils se rendent compte qu’ils y arrivent et qu’ils en sont capables.
Atelier au Centre Social de l’Arbrisseau ©Caroline Chopin
Avec quelles autres associations travaillez-vous ?
Actuellement, j’interviens auprès de l’association lilloise O.S.E.R (Objectif S'exprimer Ensemble pour Réussir) qui aide les personnes à se réinsérer dans le monde professionnel. Cette association propose, en plus de formations classiques liées au monde de l’entreprise, des ateliers artistiques afin que ces personnes puissent s’exprimer, s’ouvrir à l’art et prendre confiance en elles. Je travaille avec un groupe d’adultes âgés entre 20 et 45 ans sur une dizaine de séances de trois heures. Cependant la thématique de l’emploi leur est imposée. J’essaye alors de leur faire aborder le sujet de manière imaginative et humoristique.
J’ai aussi travaillé pendant deux ans au centre de détention de Bapaume par l’intermédiaire de l’association lilloise KOAN qui travaille sur la relation entre les quartiers et leurs habitants. L’association organise donc des événements, des rencontres et des ateliers avec des artistes locaux. Ils ont mené plusieurs actions avec des publics particuliers dont les détenus du centre de détention de Bapaume. J’ai travaillé pendant ces deux années avec un groupe d’une douzaine de femmes détenues pour de longues peines et bien souvent à perpétuité. Ces séances d’une journée entière avaient lieu une fois toutes les deux semaines pendant quatre mois. Ces ateliers étaient étonnants ! Ces femmes avaient une telle demande, un tel besoin de s’exprimer ! Elles ont produit, produit, produit et avec une qualité de travail impressionnante ! Je les ai laissées complètement libres dans ce qu’elles voulaient faire. Principalement, elles voulaient faire des cadeaux pour leurs proches. Pour elles, créer était un acte d’amour. C’était vraiment émouvant. Je retiens que c’était une belle expérience humaine.
Atelier à l’association O.S.E.R ©Caroline Chopin
Avez-vous de nouveaux projets ?
Prochainement, je reçois les travailleurs handicapés de l’A.F.E.J.I du Val de Lys d’Armentières. Ils seront un groupe de 8 personnes qui viendront 6 matinées à l’atelier. L’association leur propose chaque année des formations avec des artistes. Je n’ai jamais vraiment travaillé avec des personnes handicapées, j’appréhende un peu. Pour l’année 2017 rien n’est encore prévu mais on m’a toujours sollicitée grâce à mon réseau associatif. Après, le problème est que ces associations dépendent beaucoup de subventions extérieures.
Comment s’organisent les interventions et comment les préparez-vous ?
En général, je me plonge dans le projet quelques temps avant. Je m’adapte surtout au public : si ce que j’ai préparé ne convient pas, il ne faut pas que je l’impose sinon j’ai tout raté. L’atelier devient alors une obligation et là je perds mon public. S’adapter est très enrichissant : on se remet en question et on fait des choses auxquelles on n’aurait pas pensé. Souvent, je commence par une première séance de découverte sensorielle : les participants ont les yeux bandés pour mieux découvrir la matière. Cette première approche fonctionne bien, les personnes sont plus détendues pour la suite.
Parmi ces personnes qui ont suivi vos ateliers, y en t-il qui se sont trouvées une passion pour la sculpture ?
Je sais qu’il y en a qui ont continué mais je n’ai pas d’exemples précis. Par contre, en 2008, sur le projet de l’exposition BD 3D, dans le cadre de Lille 3000, que je menais avec le dessinateur de bande dessinée, François Boucq, je me suis retrouvée à travailler toute seule. J’avais donc besoin d’un coup de main et j’ai proposé à l’École de la deuxième chance de Roubaix si ça intéressait des jeunes de travailler avec moi sur cette exposition. J’ai alors reçu une dizaine de jeunes à l’atelier, tous les jours pendant un mois, qui m’ont aidé à modeler, mouler et à faire des tirages papier pour préparer l’exposition. Ces jeunes ont pris confiance en eux, ils devenaient ponctuels et se levaient le matin avec un but. L’une des jeunes filles qui a participé à ce projet m’a demandé de faire son stage avec moi. Je l’ai donc prise dans mon atelier en tant que stagiaire.
Parmi ces publics, avez-vous une préférence ?
J’ai beaucoup aimé travaillé au centre de détention car on a un jugement tout fait sur la prison. C’était vraiment très riche humainement. Même si ce n’était pas autorisé, je connaissais un peu l’histoire de ces femmes. Elles parlent beaucoup de leurs familles, plusieurs réalisaient le portrait de leurs enfants. C’était vraiment émouvant. Il y en avait toujours une qui faisait des gâteaux. C’était vraiment la journée à ne pas manquer pour elles. J’adore aussi travailler avec les enfants parce qu’ils sont dans l’expression. Les adultes quant à eux, ne se laissent pas aller, ils sont dans le résultat alors que les enfants, mais c’était aussi le cas des détenues, sont plus dans l'acte de faire.
Œuvre d’une détenue réalisée lors d’un atelier au Centre de détention de Bapaume ©Caroline Chopin
Pensez-vous qu’il soit important que les artistes s’investissent auprès de ces publics?
Forcément, je ne vais pas dire non. Mais après ça dépend des personnalités. Moi, j’ai très vite aimé diffuser, transmettre mon savoir-faire. C’est important que les artistes fassent ces actions mais pas que, car c’est aussi une forme d’amour que de créer, de montrer son travail. Quand quelqu’un regarde une œuvre d’art il est ému, il reçoit quelque chose. Sans art, le monde dans lequel on vit va devenir encore plus compliqué. L’artiste doit révéler la beauté du monde et du quotidien : ma vision a toujours été celle là.
Parmi tous ces retours d’expériences, les souvenirs au Centre de détention de Bapaume semblent figurer parmi les plus marquants pour l’artiste. Les actions culturelles dans le milieu pénitencier se développent grâce aux initiatives de nombreuses associations et au travail des SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) qui ont pour mission la réinsertion sociale des détenus. Citons l’exposition « Des traces et des Hommes, imaginaires du château de Selle » présentée jusqu’au 12 février 2017 au Musée des Beaux-Arts de Cambrai qui dévoile les regards d’un comité de détenus du Centre de détention de Bapaume sur ce château médiéval qui conserve une variété de graffitis ayant traversé l’Histoire. Ce projet, fruit d’un partenariat entre plusieurs acteurs dont le Musée des Beaux-Arts de Cambrai, le Centre de détention de Bapaume, le SPIP du Pas-de-Calais, l’association lilloise Hors Cadre et l’université de Lille 3 parcours Arts et Responsabilité sociale, illustre bien cette dynamique culturelle qui se déploie dans le secteur carcéral.
Camille ROUSSEL-BULTEEL
Lien : http://www.caroline-chopin.com/ #sculpture #publics spécifiques #associations sociales et culturelles
« Le monde nouveau de Charlotte Perriand », rencontre avec une femme moderne et engagée
Du 2 octobre 2019 au 24 février 2020, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de Charlotte Perriand la Fondation Louis Vuitton met en lumière une architecte femme oubliée de l’histoire de l’architecture.
« Le monde nouveau de Charlotte Perriand » est-il réellement nouveau ?
C’est avec une grande curiosité que nous allions à cette exposition enfin consacrée à une architecte et une artiste femme du 20e siècle. Pourtant c’est avec surprise que nous découvrons les premières salles. Car croyez-le ou non, vous ne découvrirez pas essentiellement du Charlotte Perriand lors de cette exposition, bien au contraire. C’est l’univers artistique masculin au sens large qu’il faut s’attendre à explorer.
Bannière de l’exposition, Octobre 2019 © Anaïs Verdoux
En effet, dès la bannière à l’entrée de l’exposition plusieurs noms d’architectes et d’artistes attirent notre attention : Léger, Miró, Picasso, Calder, Braque, Le Corbusier, Delaunay, etc… Le mot d’ordre est lancé, aujourd’hui nous ne verrons pas seulement du Charlotte Perriand.
Plusieurs sens peuvent être donnés au terme « monde nouveau ». Les cinq commissaires d’expositions - Jacques Barsac, Sébastien Cherruet, Gladys Fabre, Sébastien Gokalp, et Pernette Perriand - révèlent l’importance de cette architecte dans un domaine où peu de femmes trouvent leurs places au 20e siècle. Ce qui rend inédite cette exposition. Cependant le « monde nouveau » auquel fait allusion les commissaires est celui de l’implication de Charlotte Perriand dans l’univers des artistes et des architectes. Comment expliquer que cette femme ait autant collaboré avec Fernand Léger, Picasso ou Le Corbusier et que son nom soit si peu connu ?
L’interrogation se confirme pendant que nous franchissons les premières salles. Face à cette première partie « Construire la modernité » où le mobilier de l’artiste se confronte aux œuvres monumentales de Fernand Léger et de Pablo Picasso « Le monde nouveau de Charlotte Perriand » révèle l’univers artistique dans lequel elle baigne tout au long de ses créations. Voilà posé le choix du commissariat d’exposition.
« Mon rôle à l’atelier n’est pas celui de l’architecture mais « l’équipement de l’habitation ». Le Corbusier attendait de moi avec impatience, que je donne vie au mobilier. »
Nous découvrons de manière chronologique sa carrière. Tout d’abord, Charlotte Perriand entre dans le cabinet d’architecture de Le Corbusier, puis le Japon l’inspire lors de son voyage ou encore quand elle collabore avec Fernand Léger. Proposer d’autres œuvres au sein des salles met en lumière ses différentes inspirations pour concevoir le nouvel intérieur moderne des années 30. Tâche où elle excelle. Le visiteur découvre la création de son bar pour le Salon d’Automne de 1929, puis le Fauteuil Grand Confort trop souvent attribué à Le Corbusier. Charlotte Perriand est véritablement actrice de la modernité au sein des arts et de l’architecture au début du 20e siècle.
Exposer de l’architecture et du mobilier : un exercice complexe
Comprendre le design, l’architecture, lors d’une visite n’est pas toujours évident. Ici, par l’agencement des espaces, le visiteur découvre progressivement plusieurs installations qui permettent d’expérimenter la réflexion architecturale de Charlotte Perriand. Dans l’un des premiers espaces, une reconstitution de l’atelier de Saint-Sulpice nous immerge dans ses créations. Le mobilier nous apparaît pleinement lorsque nous arrivons dans la reconstitution de l’appartement moderne du Salon d’Automne (1929) réalisé par Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand. Le visiteur est invité à contempler cette réplique et à s’asseoir sur les différentes répliques de sièges, laissant le loisir d’appréhender le mobilier.

Appartement moderne conçu par Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand, 1929 © Anne Chepeau / Radio France.
Suite à l’accumulation de petits espaces d’architectures, le visiteur plonge dans des espaces plus ouverts et aérés propres aux expositions de la Fondation Louis Vuitton. Une nouvelle fois les œuvres de Charlotte Perriand sont confrontées aux œuvres plastiques de Fernand Léger, Pablo Picasso, ou Le Corbusier, dans un réel dialogue entre le mobilier et les peintures.
Ce dialogue s’estompe progressivement dans les espaces suivants révélant de plus en plus le design et l’architecture de Charlotte Perriand.
De ce fait, l’espace « Dialogue des cultures » renoue avec des espaces architecturés dont l’ampleur est bien plus imposante que les espaces précédents. En continuant la visite, l’amatrice de tapisserie que je suis ne pouvait être que ravie. Il n’est plus question de peintures mais d’un médium dont les origines sont liées à l’architecture. Les œuvres de Charlotte Perriand dialoguent avec différentes tapisseries de Fernand Léger, de Pablo Picasso ou de Miró. Ces espaces nous bercent entre architecture, lumière et matière.
Cependant que regardons nous, l’expérimentation du mobilier de l’artiste ou davantage les différents Picasso, Léger exposés ? Différentes répliques de sièges et de bancs sont répandues tout au long du parcours, les visiteurs s’assoient, admirent les peintures et oublient le mobilier de Charlotte Perriand. L’espace « un nouvel art de vivre » dédié à la Galerie Steph Simon (1956-1972) en fin d’exposition illustre cette perte d’attention donnée à l’artiste. Jusqu’à quel point la découverte par l’expérience du monde de Charlotte Perriand s’arrête-t-elle ?
Nous terminons sur les différentes propositions et créations architecturales qui ont fait connaître l’architecte tel que les Arcs en Savoie ou la reconstitution de la Maison de thé de l’UNESCO. Reconstitution qui est impatiemment attendue tout au long de l’exposition.
Retour sur une artiste engagée
Vue de l’exposition, espace galerie 1 « Une femme engagée » © Idboox
Nous l’apprenons très tôt, Charlotte Perriand était une femme engagée pour différentes causes à la fois politiques, féministes et environnementales. Cet espace la montre en militante pour l’Espagne Républicaine et pour une société plus juste et libre. Son engagement pendant la guerre d’Espagne est présenté à travers la réinterprétation de Guernica sur une table basse destinée au salon de l’homme politique Jean-Richard Bloch (1884-1947). Son œuvre est écrasée par l’imposant carton de tapisserie de l’œuvre Guernica.
« Si je délaisse le "métier d’architecte" pour me diriger sur les questions plus directement dans la vie, c’est afin de voir plus clair avec mes problèmes, c’est aussi et surtout parce qu’il y avait un plafond, un mur dans notre travail […] Le mur s’est fissuré, et au-delà il y a tout un monde nouveau qui nous intéresse au plus haut point, car enfin le « métier d’architecte » c’est travailler pour l’homme » Lettre de Charlotte Perriand à Fernand Léger, 1936.
Pendant l’exposition, montrer la vision engagée de Charlotte Perriand passe également par sa perception de la nature, de son « art brut » : ces photographies de vies, de natures qui lui permettent de concevoir d’une nouvelle manière l’habitat. Ce terme d’ « art brut » est utilisé par l’artiste elle-même pour caractériser ses œuvres et photographies en lien avec la nature. Pour l’artiste la photographie est le médium de toutes les libertés. Outre la nature, sa relation avec la culture japonaise modifie profondément sa perception de l’architecture.
Ainsi la carrière de l’artiste n’est plus seulement associée à Le Corbusier. Elle continue d’évoluer à l’international notamment pendant ses années au Japon. Charlotte Perriand crée un mobilier et une architecture qui s’adapte aux modes de vies modernes qui émergent afin de promouvoir l’art pour tous.
Une exposition à FLV : Forcément un succès ?
Une exposition à la Fondation Louis Vuitton est souvent un succès : par les œuvres connues qui font la popularité de l’exposition, ou la diversité des espaces dévoilés au visiteur. Mais avoir visité « Le nouveau monde de Charlotte Perriand » me laisse en demi-teinte. Si l’exposition fait effectivement voyager dans l’univers artistique de l’architecte, la présence incessante des œuvres d’artistes tels que Picasso ou Léger effacent l’existence des œuvres de Charlotte Perriand. Cette impression se renforce nettement par l’aspect IKEA de la présentation des modules d’architectures dans les espaces « Dialogue des cultures » et « Synthèses des arts ».
Reconstitution de la Maison de Thé de l’UNESCO © Marc Domage
Cependant cela demeure une joie de découvrir Le monde nouveau de Charlotte Perriand qui retrace les enjeux « contemporains autour de la femme et de la place de la nature dans notre société ». Écouter le podcast réalisé par l’émission Le réveil du culturel sur France Culture, "Charlotte Perriand, architecte d’un nouvel art de vivre et d’habiter le 20e siècle" éclaire profondément sur sa personnalité et cette exposition.
Anaïs
#CharlottePerriand
#design
#architectefemme
https://www.franceculture.fr/emissions/le-reveil-culturel/charlotte-perriand-architecte-dun-nouvel-art-de-vivre-et-dhabiter

« Le vent se lève » : récit d’une déambulation écologique au MAC VAL
« Le vent se lève, il faut tenter de vivre. » (Paul Valéry, Le Cimetière marin)
C’est dimanche, c’est le début des vacances : ni une, ni deux, je saute dans un train pour Paris pour me mettre à jour sur les expositions autour de l’écologie, à commencer par celle que présente le MAC VAL de mars 2020 à mars 2021. Cette expédition dominicale me réjouit d’avance : difficile de me combler davantage qu’en rassemblant les thèmes de la marche – voyage du quotidien – et de l’écologie dans une seule et même exposition.
L’exposition « Le vent se lève », dont le titre évoque l’éveil d’une prise de conscience de la crise écologique que nous traversons, est le dixième accrochage des collections du MAC VAL. A l’occasion de son quinzième anniversaire, l’institution choisit de s’ancrer dans une réflexion sur les rapports ambivalents qu’entretient l’humain à la Terre, dans une époque où les conséquences de l’entrée dans l’Anthropocène (« ce moment inaugural de l’histoire de notre planète où les activités humaines ont acquis le pouvoir d’agir sur le cours géologique de nos milieux de vie », pour reprendre les mots de Paul Ardenne1) deviennent indéniables. L’institution reste donc, par ce parti-pris thématique fort, fidèle à sa ligne d’expositions antérieures (voir Vertiges au Mac Val, Sarah Hatziraptis), toujours « en prise avec le monde ». Quatre-vingts œuvres de cinquante-deux artistes sont présentées dans cet accrochage qui s’étendra jusqu’à la fin 2021, faisant preuve d’une « collection vivante » dont les pièces, en constant dialogue les unes avec les autres, abordent la question de l’écologie sous une multiplicité d’angles et de visions croisées propices au débat et à la réflexion.
Une traversée de l’art écologique
J’entre dans un premier espace ouvert et lumineux. Le parcours, semi-directif, invite à flâner librement au gré de ce qui accroche l’œil. L’exposition s’organise autour de la question de la marche, qui fait office de fil rouge tout au long de la visite. Cette thématique est parlante pour les visiteurs puisqu’elle est le premier moyen dont dispose l’humain pour arpenter le monde. Elle permet par là même de donner une unité aux thématiques abordées dans cette exposition très dense, dépeignant des rapports au monde allant de l’émerveillement à l’inquiétude face à la destruction imminente. Le parcours entraîne le visiteur-arpenteur dans une traversée thématique mais aussi chronologique, puisqu’il confronte le temps long géologique au temps presque instantané de la technologie : le spectateur est le témoin de l’accélération du temps qui caractérise l’époque actuelle.
C’est par la géologie et l’archéologie que commence la visite, replaçant l’humain dans le contexte d’une temporalité géologique qui le dépasse et l’englobe. Les premières œuvres questionnent ainsi les traces qui subsistent, dans les couches successives du sol, du passé terrestre et des sociétés aujourd’hui disparues. Au centre du propos comme de la salle, se dresse la monumentale installation de Tatiana Trouvé, « Desire Lines » : la visite s’effectue en tournant autour de cette œuvre qui constitue le noyau de l’exposition. D’un côté de la salle est évoquée, non sans une certaine facétie, la quête perpétuelle du progrès, à travers des pièces s’intéressant aux inventions techniques de l’humanité. Sur le mur opposé, des démarches artistiques prônant le soin et la préservation d’une Terre qui constitue notre seul refuge répondent aux fictions apocalyptiques qui préfigurent les catastrophes auxquelles peut mener un progrès technologique sans limites. Au fond de la pièce, en dialogue avec le parc sur lequel ouvre la fenêtre, plusieurs œuvres questionnent et fusionnent les notions traditionnellement opposées de nature et de culture au sein de structures hybrides mêlant ressemblance formelle avec le végétal et techniques de création industrielles. Dans le même ordre d’idée, l’ensemble qui suit porte sur le paysage et son artificialité intrinsèque, en une gradation qui va de la représentation au remplacement pur et simple de la nature. En parallèle, d’autres relations possibles au monde sont explorées, du rituel à la constitution de nouvelles formes collectives de faire société dont la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, espace de lutte devenue laboratoire de nouvelles manières de vivre, est devenue le symbole. Un dernier espace est consacré à l’exploitation excessive des ressources naturelles, dont la monoculture de l’hévéa est un exemple, et aux conséquences de cette exploitation, rendues visibles par la disparition progressive d’oiseaux ou de certaines espèces végétales.
Après cette première salle aux murs blancs et lumineux, le spectateur pénètre dans une seconde salle obscure : ce fort contraste illustre l’entrée symbolique dans les profondeurs de la terre, cette zone étant dédiée aux imaginaires liés à la grotte. Spéléologue improvisé, le visiteur slalome alors entre des œuvres aux formes de stalactites, de squelettes énigmatiques et autres minéraux hybrides pour finalement remonter par une rampe en pente douce vers une autre salle entièrement dédiée à l’installation photographique et vidéo de Clément Cogitore, « Braguino ». Happé par cette œuvre immersive, le spectateur plonge dans l’univers à la fois sombre et onirique d’une communauté ayant choisi de s’installer loin des villes, au cœur de la forêt sibérienne, pour y vivre de manière autosuffisante en lien direct avec la nature.
La dernière salle de l’exposition revisite les topoï du romantisme que sont l’océan et la montagne : l’exposition s’achève ainsi sur l’installation « SWING » de Morgane Tschiember, dont la structure architecturale évoque sobrement la carcasse échouée d’une énorme baleine. La monumentalité de cette œuvre rappelle celle de l’installation de Tatiana Trouvé, que l’on aperçoit une dernière fois depuis la mezzanine avant de redescendre dans le hall, comme pour clore la visite par là où elle a commencé.
Rassembler dans une même exposition une telle diversité de thématiques, toutes constitutives du vaste champ de l’écologie, est ambitieux. Ce parti-pris semble néanmoins fructueux grâce à la fluidité de visite permise par l’ouverture des espaces et les choix scénographiques. Si aucun texte de salle n’est mis à disposition pour orienter le visiteur, les rassemblements thématiques autour desquels s’organise l’exposition sont clairs et propices aux échos entre les œuvres. Quelques recoins spécifiques sont ménagés pour matérialiser des unités thématiques, ou pour les œuvres vidéo nécessitant une plus faible luminosité, créant ainsi des ruptures de rythme dans la vaste salle. Le visiteur, novice ou chevronné quant à la question écologique, est libre de revenir sur ses pas pour confronter les points de vue et nourrir sa réflexion.
Lignes de désir : s’approprier le monde par la marche
Le choix de construire le propos en partant de la pratique de la marche comme manière de s’inscrire dans le monde et de revendiquer sa protection, plutôt que de commencer une nouvelle fois par le constat alarmant d’une destruction déjà en cours, permet de décaler le regard et d’approcher le sujet de l’écologie autrement que par un catastrophisme décourageant. Don de l’artiste au musée, les bobines monumentales et multicolores de l’installation « Desire Lines » de Tatiana Trouvé se dressent ainsi au centre de la première salle, attirant les regards où que l’on se trouve dans l’espace. Le titre, non dénué de poésie, fait allusion au terme utilisé par les urbanistes pour désigner les cheminements officieux et intuitifs empruntés par les piétons pour couper au plus court, plutôt que les itinéraires officiels prévus à cet usage. En effet, chacun des fils enroulés sur les deux-cent-douze bobines matérialise un itinéraire de promenade – un chemin de désir – traversant Central Parc, tout en évoquant plus métaphoriquement les grandes marches de l’humanité : l’installation prend ainsi la forme d’un vaste répertoire poétique.
Au-delà de sa monumentalité, l’œuvre invite le regardeur à s’approcher et à prêter attention aux détails, à devenir lui-même arpenteur et à se perdre entre les bobines pour se mettre à l’écoute des parcours dont l’œuvre porte l’histoire. Un peu au hasard, je me suis retrouvée nez à nez avec des bobines portant le nom de marches politiques, telles que la Salt March menée par Gandhi en 1930, mais aussi de dérives littéraires (celle de Borges et ses Senderos que se bifurcan) ou encore artistiques (comme celle de Francis Alÿs, artiste-arpenteur par excellence). L’œuvre Walks and all walks, qui adopte la forme d’une cartographie brodée, accompagne et complète l’installation en mettant en espace tous ces itinéraires sur un seul et même plan, à la manière d’une carte légendée. Cette invitation à la déambulation, à la création de sa propre ligne de désir par chaque visiteur, s’élargit à toute l’exposition : il en va de la relation au monde comme de l’expérience de visite, les deux s’appréhendent de manière sensible, par la marche et l’évolution du corps dans l’espace.
« La mémoire du sous-sol »
La question de la terre conçue dans sa matérialité et de la mémoire dont elle est porteuse traverse également l’exposition. Les toutes premières œuvres qui accueillent le spectateur s’intéressent ainsi à l’archéologie et à la géologie, plongeant le visiteur dans « la mémoire du sous-sol » évoquée par l’artiste Pierre Mayaux. Cette entrée en matière appelle à l’humilité : la finitude du temps humain et de ses grandes civilisations face au temps long des ères géologiques est rappelée par l’installation et la vidéo d’Ali Cherri, « Petrified / Fragments I », présentant sur une table lumineuse des fragments d’objets archéologiques provenant d’époques et de cultures différentes, mais ici assemblées pêle-mêle, décontextualisés comme pour montrer que du point de vue de la Terre, l’homme n’est que de passage et que déjà l’histoire des sociétés humaines se fond en un tout indistinct. Un crâne humain siège à l’avant du plateau, tout près du regardeur, comme pour le prendre à partie dans cette méditation aux airs de memento mori civilisationnel. L’installation « Time Capsules » de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas, constituée de cinq carottages réalisés à Athènes, Beyrouth et Paris, va également dans ce sens. Exposés à la verticale, ces échantillons minéraux révèlent aux yeux du visiteur la succession des couches qui constituent le sol, habituellement invisible au regard : aux matières anthropiques de la surface succèdent les matériaux géologiques, mêlant notre histoire à celle de la terre. Un dessin archéologique légendé intitulé « Zig Zag Over Time » raconte, en une lecture plus poétique que scientifique du sol, un récit possible des catastrophes et régénérations dont peuvent témoigner ces prélèvements.
Vue de gauche : Ali Cherri, « Petrified / Fragments I ». Vue de droite : « Time Capsules », Khalil Joreige et Joana Hadjithomas. © Marion Roy
Cette thématique ressurgit plus loin, dans la seconde salle de l’exposition où l’expérience de visite prend des allures d’expédition spéléologique. L’installation « Acouskarstic » de Charlotte Charbonnel, reconstitution subjective d’une grotte, met l’accent sur les qualités plastiques et sonores de ce milieu souterrain. Happé par la lumière blanche contrastant avec la pénombre ambiante, par les reflets changeants des stalactites et stalagmites de verre sur lesquels s’accrochent des concrétions minérales aux formes irrégulières, et surtout par la douce ambiance sonore créée par le bruit irrégulier des gouttes d’eau tombant dans les profondeurs de la terre, le visiteur se sent vibrer à l’unisson de la respiration de la terre. En face, c’est une vision plus inquiétante du sous-sol que donne la vidéo « Si les heures m’étaient comptées » d’Angelika Markul : les images d’archive en noir et blanc retracent une expédition scientifique au cœur d’une mine mexicaine envahie par de gigantesques cristaux de sélénite. Ce milieu à la beauté fantastique, mais mortel pour l’homme, a été généré par la surexploitation du site : la vidéo, entre science-fiction et réalité, porte un regard singulier sur l’évolution naturelle des sites abîmés par l’exploitation humaine.
Vue de gauche : Vue de la deuxième salle de l’exposition, avec la vidéo « Si les heures m’étaient comptées » d’Angelika Markul sur la gauche. Vue de droite : « Acouskarstic », Charlotte Charbonnel. © Marion Roy
Questionner l’opposition nature/culture
L’exposition s’emploie, tout au long du parcours, à questionner la pertinence de la traditionnelle opposition entre nature et culture. Dès l’entrée dans le hall, le visiteur est accueilli par l’arbre artificiel de Pierre Malphettes, son lierre en néons verts et ses câbles électriques en guise de racines, comme si un fragment du parc du musée s’était réfugié à l’intérieur du bâtiment, témoin de la porosité entre les catégories établies par la pensée occidentale.
Au fond de la salle, plusieurs sculptures d’éléments végétaux, présentées sur un socle, incarnent cette hybridité par le contraste entre leur forme végétale et leurs matériaux constitutifs. Les tiges et les feuilles en Tergal de « Retour Sauvage », la sculpture-plante de Laurent Pernot, sont ainsi recouvertes de la cendre produite par la combustion d’ouvrages choisis parmi la bibliothèque de l’artiste. Ce retour du livre à son origine végétale témoigne de la destruction des ressources naturelles des forêts, mais aussi de la destruction de la culture liée à la diffusion des livres. En reproduisant artificiellement le cycle de décomposition/régénération de la matière organique, l’artiste court-circuite le processus naturel sur lequel se base l’existence même du végétal. Les feuilles figées de la plante synthétique sont incapables de tomber pour se transformer en humus, ce sont donc les feuilles calcinées des livres qui se décomposent à leur place : l’œuvre, à la portée symbolique forte, devient le point de rencontre où s’interpénètrent nature et culture. Le placement de ces répliques de fragments végétaux près de la fenêtre ouvrant directement sur le jardin ne doit rien au hasard : ce parti-pris scénographique établit une communication visuelle fertile entre intérieur et extérieur, entre simili-végétal et élément végétal véritable, alimentant le propos des œuvres sur la fluidité et l’interpénétration qui peuvent exister entre le naturel et le culturel.
Vue de gauche : Pierre Malphettes, « L’Arbre et le lierre ». Vue de droite : Vue de l’exposition, avec la sculpture « Retour sauvage » de Laurent Pernot. © Marion Roy
C’est justement par le jardin que s’achève la visite. Plus exactement, elle s’y prolonge, puisque le jardin, ponctué de sculptures, fonctionne comme une extension de la salle d’exposition. Avant de partir, je passe par la petite hutte en brique rouge (« PANORAMA. Bell Pavilion ») qui accueille la vidéo « Animitas » de Christian Boltanski. Des clochettes japonaises en plein désert d’Atacama évoquent les âmes des personnes disparues ; leurs tintements dans l’immensité du désert appellent aussi les humains à l’humilité et au respect des écosystèmes dont dépend leur survie. Le visiteur est englobé par cette installation immersive : l’œuvre matérialise ainsi l’appartenance de l’humain à un monde auquel il participe mais qu’il ne saurait dominer, contrairement à ce qu’il aime à croire.
(voir Œuvre vidéo ou vidéo d'une œuvre ?, Sophie Delmas)
Marion Roy
#artcontemporain
#écologie
#MACVAL
Pour découvrir l’exposition (visible du 17 juin 2020 au 17 mars 2021) et les ressources mises à disposition par le MAC VAL : http://www.macval.fr/Le-vent-se-leve
1 Paul Ardenne, Un art écologique, p.12

« The World of Banksy » : une commercialisation du street art
Girl with Balloon, œuvre renommée de Banksy © Nelly J.
Peut-on réaliser une exposition sur un artiste sans son accord ? C’est ce que propose « The World of Banksy », une rétrospective visible du 13 juin 2019 au 31 décembre 2020 à l’Espace Lafayette-Drouot à Paris. Développée sur un espace de 1 200m2, la manifestation présente des reproductions d’œuvres de Banksy par un collectif de street artistes souhaitant rester anonyme, ainsi que des lithographies originales issues de collections privées. Elle n’est pas à l’initiative de l’artiste et ne s’en cache pas. Un comble pour un artiste qui rejette la commercialisation de ses œuvres par le marché de l’art, dont il dénonce les excès. En effet, Banksy a choisi de n’être représenté par aucune galerie. Il gère lui-même le business de ses pochoirs, livres et films, et produit ses œuvres dans la rue afin de les rendre accessibles à tous.
Un artiste victime de son succès
Banksy, un street artiste renommé mondialement dont l’identité est entourée d’un véritable mystère. La légende raconte qu’il serait d’origine britannique, né à Bristol. Il aurait fait ses premiers pas dans le street art pendant les années 1990 en Angleterre. En utilisant la technique du pochoir, il caricature la société de consommation, le système capitaliste, la politique, l’armée, critique les injustices et s’engage également dans des causes humanitaires. Il est aujourd’hui le street artiste anonyme le plus médiatisé.
Le Royaume-Uni compte environ 80% des collections de l’artiste. On retrouve également sa trace dans les rues des villes américaines dès les années 2 000. En France, il est connu depuis 2015 pour avoir réalisé des pochoirs dans des quartiers parisiens. En hommage aux victimes de l’attentat de 2015, il réalise Bataclan en 2018. Comme d’autres œuvres, elle est dérobée en 2019. Retrouvée en Italie, elle a été officiellement rendue à la France le 14 juillet 2020.
Bataclan, un hommage aux victime de l’attentat de 2015, 2018
© Nelly J.
Banksy est contre les mécanismes du commerce de l’art. Paradoxalement, ses œuvres sont cotées à plusieurs millions d’euros sur le marché. En 2018, l’un de ses pochoirs sur toile encadré, Girl with Balloon, est adjugé vendu pour 1,2 millions d’euros. Toutefois, au moment où le commissaire des enchères valide la vente, l’œuvre s’autodétruit devant les yeux ébahis du public. Cet acte fort de Banksy marque son engagement contre la marchandisation de ses œuvres.
Une idéologie de Banksy
© Nelly J.
Pourtant, les villes du monde entier continuent à proposer des expositions sans son consentement ni sa participation. Banksy dénonce ainsi sur son site web les expositions au Portugal, Pays-Bas, Canada, Amérique, Arabie Saoudite, Russie, Hongrie, Roumanie, Turquie, Espagne, Italie, Allemagne, Grèce, Israël, Belgique, Suède, et en France dont celle de Paris. Au nombre de vingt-sept, elles sont affichées avec leurs prix d’entrée respectifs sous le mot « FAKE ». « Les membres du public doivent savoir qu’il y a eu une récente vague d’expositions sur Banksy mais qu’aucune n’est consentie. Elles ont été organisées sans connaissance ou implication de l’artiste. Veuillez les traiter en conséquence. », précise-t-il également sur sa page internet. La prolifération de ces expositions à but commercial peut-elle être apparentée à du vol ?
Une exposition faussement « immersive »
Malgré mes réticences envers ce commerce non éthique visant principalement à enrichir les galeries d’art, je suis allée visiter l’exposition « The World of Banksy », curieuse de la promesse d’une « expérience immersive ».
Le public est au rendez-vous. J’entre dans l’exposition par un couloir en suivant les traces de pattes de rats sur le sol, elles indiquent les sens de circulation. Banksy aime particulièrement représenter les rats dans ses œuvres. Des phrases originales de l’artiste sont apposées avec leur traduction sur les murs afin de plonger le visiteur dans son univers. « Si vous êtes sale, insignifiant et mal aimé, les rats seront votre seul modèle de référence. », peut-on ainsi lire à l’entrée de l’événement.
La visite continue par une descente au sous-sol. La scénographie met en scène des espaces citadins bétonnés. La muséographie propose des lithographies et reproductions d’œuvres grandeur nature réalisées en Amérique avec une statue de la liberté masquée. Une mise en scène qui semble rappeler les dernières actions de Banksy dans le métro londonien avec ses rats masqués ainsi que l’œuvre Cinquante ans depuis le soulèvement de 1968 à Paris exposée en face, mais sans aucun autre lien apparent puisque l’artiste n’a jamais réalisé de statue de la liberté masquée.
Cinquante ans depuis le soulèvement de 1968 à Paris, un pochoir réalisé à côté du Centre Pompidou en 2018, volé en septembre 2019.
© Nelly J.
Dans la même salle se trouvent également des pochoirs exécutés en France avec une boîte aux lettres et un poteau parisien pour marquer la distinction. Les bouches d’égouts dessinées sur le sol font également la différence entre la partie française et américaine, mais celle-ci est mince et donne l’impression de franchir l’Océan Atlantique en quelques pas. Néanmoins, je ressens plutôt un côté « galerie d’art » avec des œuvres n’utilisant que les espaces muraux de la pièce et de grands espaces pour circuler. Je ne plonge pas dans celui de la rue que la scénographie prétend donner, et qui serait à mon sens plus étriqué avec de nombreux autres accessoires. Les sols et murs trop propres ne symbolisent pas ceux du quotidien citadin. Aussi, il faut savoir que Banksy travaille sur du mobilier. Cinquante ans depuis le soulèvement de 1968 à Paris a été graffé sur un panneau autoportant. Pourquoi est-il sur un mur ? Des installations au milieu de la pièce auraient permis de mieux rendre compte de la complexité des rues citadines et de donner plus de visibilité au séquençage des espaces. De plus, les œuvres possèdent des cartels, placardés comme dans un musée Beaux-Arts, qui ne permettent pas de s’immerger dans le street art de Banksy.
Un espace franco-américain de l’exposition, « The World of Banksy »
© Nelly J.
La scénographie change ensuite pour nous transporter en Israël près du mur de Bethléem dans un paysage extérieur de guerre et de destruction. Cet espace est mieux réussi en raison de sa disposition qui permet d’être au cœur des réalisations, renforcé par la présence de sable et de débris. Néanmoins, les œuvres reproduites côte à côte ne font plus sens. Dans ce fourre-tout, seules les plus grandes attirent réellement le regard du visiteur. Pour donner une impression plus réelle, peut-être aurait-il fallu reproduire des photographies des constructions bétonnées afin de trancher avec le dessin des pochoirs ?
Reconstitution du mur de Bethléem qui sépare l’Israël et la Palestine, 2005
© Nelly J.
J’entre ensuite dans la reconstitution de la chambre du Walled off Hotel. Ce bâtiment entièrement aménagé par Banksy à quelques mètres du mur de Bethléem est une installation politique. Il ouvre officiellement ses portes au public en 2017. La reconstitution est à mon sens l’immersion la plus réussie de l’exposition. En effet, la charge modérée de contenus muséographiques s’accorde parfaitement avec le mobilier disposé, et le souci du détail ancre le visiteur dans l’espace. En outre, certains cartels sont plus discrètement installés sur des meubles.
Reconstitution d’une chambre du Walled off Hotel de Banksy,
Bataille de polochon entre un Israélien et un Palestinien, 2005
© Nelly J.
Le parcours de visite remonte ensuite à l’étage afin de découvrir les œuvres de Banksy en Angleterre, particulièrement à Londres. Une petite cabine téléphonique rouge symbolise les rues londoniennes avec des œuvres phares comme Kissing Cooper ou Pissing Gard. Toutefois, si j’admire les œuvres originales de Banksy dans le couloir adjacent, je suis encore une fois perturbée par la mise en scène plus proche d’une galerie d’art que de l’esprit street art.
Un espace d’exposition, « The World of Banksy »
© Nelly J.
En outre, certains cartels de l’exposition me paraissent douteux. Nombreuses sont les spéculations en Histoire de l’Art, et dans cette rétrospective certaines interprétations m’interpellent. Par exemple, pour l’œuvre Love Rat, on peut lire « Le rat tient le pinceau comme une demoiselle prête à être embrassée. » Je ne pense pas que l’artiste ait voulu présenter son œuvre ainsi. Il ne s’agit pas de sa signification mais d’un fantasme grotesque du rédacteur. Pourquoi une demoiselle ? Ce rat ne pourrait-il pas être de sexe masculin ? Comme d’autres dans cette exposition, cette œuvre perd son sens premier au profit de ceux qui s’en emparent. Si le street art se passe de cartels, pourquoi ne pas en faire de même au lieu d’émettre des interprétations douteuses ?
Love Rat, 2004
© Nelly J.
Une rétrospective qui ne rend pas justice à l’œuvre de Banksy
A la sortie de la manifestation parisienne, je me questionne : qu’est-ce qui peut justifier un tarif d’entrée à 14 euros ? Payer les artistes qui ont effectué les reproductions ? Les charges de la galerie, de gestion de l’événement et du personnel ?
Vous l’aurez compris. Sous ses airs de rétrospective, se cache en réalité une machine commerciale qui vise à faire des bénéfices sur le dos d’un artiste renommé susceptible d’attirer les foules. Bien entendu, la chose est plutôt aisée car l’activité de Banksy est illégale et que l’artiste anonyme ne peut porter plainte. Toutefois, il réplique en exprimant son indignation sur son site web et en taguant le mot « FAKE » sur certains bâtiments où il est exposé.
Si cette manifestation permet aux visiteurs de découvrir le street art de Banksy sans devoir se déplacer dans le monde entier, elle met en exergue une décontextualisation des œuvres. On ne saisit plus l’esprit du street art, qui s’inscrit dans un paysage particulier, enraciné dans un lieu où il fait sens. Reproduites à la suite, disposées côte à côte, les œuvres ressemblent plus à l’espace muséal d’une galerie aménagé pour satisfaire une clientèle plutôt que des contestataires comme Banksy. L’effort scénographique n’a pas été poussé à son paroxysme et n’évoque pas la réalité du street art.
Il n’y a pas de réelle reconnaissance de l’artiste. Le gérant du lieu considère que « seul le résultat final est important », non la personne qui tient la bombe ou le pochoir. Dans ce cadre, faire une exposition en utilisant le nom de l’artiste pour attirer les foules est-il honnête ? En suivant les conseils de Banksy, je traite cette rétrospective en tant que telle : une pâle copie des œuvres originales, éloignée de l’esprit rebelle du street art. En effet, je suis loin de retrouver certaines idéologies notamment la démocratisation de l’art. Sous couvert de valoriser l’artiste, les lieux cultuels s’approprient les œuvres, détournent parfois les messages originaux et font ce que Banksy réfute de faire lui-même : une commercialisation du street art.
Nelly Jacquemart
« Si les graffitis changeaient quoi que ce soit, ils seraient illégaux. »
© Nelly J.
#banksy
#streetart
#expositionparis
(Museum) space is the place : L'afrofuturisme au musée
Image d'en-tête : Alisha B. Wormsley, There Are Black People In The Future, The Last Billboard, Pittsburg, PA, 2017. Reproduction. Courtesy of the artist. © Alisha B. Wormsley
En novembre 2021, le Metropolitan Museum dévoile au public sa nouvelle period room, consacrée à l'afrofuturisme. Ce mouvement artistique, littéraire et politique, né dans les années 1950 au sein de la communauté noire américaine, trouve peu à peu sa place dans les musées. Comment exposer cette mouvance pluridisciplinaire, qui entremêle histoire traumatique, présent douloureux et futur utopique.
Passé et présent de l'afrofuturisme
Sous le label El Saturn, le musicien de jazz expérimental Sun Ra et son Arkestra produisent des albums dont les titres font rêver à d'autres galaxies : The Nubians of Plutonia (1958-59), Interstellar Low Ways (1959-60)... Dans son film Space is the place ("C'est dans l'espace que tout se passe", 1974), le chanteur propose d'acheminer la communauté noire américaine vers une nouvelle planète. A sa suite, tous les genres musicaux nés de la culture africaine-américaine (funk, techno, rap...) font germer des imaginaires spatiaux et futuristes. Dans ses récits de science-fiction écrits dans les années 1970 et 1980, l'autrice noire américaine Octavia E. Butler s'attaquent à la "brimade de l'ordre (...) le début d'un comportement hiérarchique pouvant mener au racisme, au sexisme, à l'ethnocentrisme" (A World without Racism, 2001). Dans "Lost Races of Science Fiction" (revue Transmission, 1980), elle déplore la présence marginale de personnages racisés dans les récits de SF.
Les Etats-Unis sortent tout juste de décennies d'esclavage, puis de ségrégation. La communauté noire américaine ne se sent pas chez elle dans ce pays qui l'exploite, l'isole, la violente : elle rêve d'un ailleurs, spatial ou temporel. Par la projection imaginaire, des créateur.ice.s lui dessinent un destin plus heureux. La science-fiction permet également de formaliser par la mise en récit l'expérience de cette communauté, le sentiment d'aliénation (en anglais, le mot "alien" a gardé son sens d'"étranger"), et le trauma collectif de l'exil et de l'esclavage. Les enlèvements commis par des êtres extra-terrestres rappellent le rapt et la réduction en esclavage qu'ont subi des milliers d'Africain.e.s au 18ème siècle.
Ce mouvement, avant même d'être théorisé, se diffuse dans les arts visuels, le cinéma, la mode ou encore le design. Il trouve son nom en 1993 sous la plume du journaliste culturel Mark Dery, dans son anthologie Flame Wars, The Discourse of Cyberculture : "afrofuturisme". Il est, plus que jamais, au cœur de la vie culturelle contemporaine. Il règne sur la pop culture avec des œuvres comme Black Panther (deuxième film au box-office américain en 2018, année de sa sortie) ou la musique de Janelle Monae. Il accompagne le mouvement Black Lives Matter, qui milite contre les violences policières que subissent les Noir.e.s américain.e.s. Il inspire les artistes contemporain.e.s, comme le photographe Samuel Fosso ou l'artiste pluridisciplinaire Jessica Valoris. Et depuis 2015, il trouve sa place dans les salles des musées.
Alton Abraham, Sun Ra sur le tournage de Space is the Place, 1972.
Reproduction Courtesy of John Corbett and Terri Kapsalis © Adam Abraham
Conjuguer le musée au futur
Les musées qui s'emparent du thème de l'afrofuturisme se trouvent confrontés à plusieurs problématiques. Notamment : comment exposer un mouvement né il y a soixante ans, investi par les champs littéraires, musicaux, cinématographiques, picturaux, philosophiques et politiques ? L'afrofuturisme est d'abord utilisé comme thème pour lier le travail de plusieurs artistes. C'est le cas au Museum of Contemporary Photography de Chicago, avec son exposition In their own form (avril-juillet 2018). Le musée expose treize photographes qui explorent de près ou de loin le thème de l'afrofuturisme. Ces artistes sont africain.e.s et noir.e.s américain.e.s. : en effet, l'afrofuturisme se veut un mouvement transnational, investi par les artistes d'Afrique comme celleux issu.e.s de la diaspora. Il permet de créer ou de recréer une culture commune, un horizon partagé. En cela, il s'inscrit dans la lignée du panafricanisme, idéologie qui promeut une solidarité totale entre Africain.e.s et leurs descendant.e.s exilé.e.s.
L'Institute of Contemporary Art de Londres invite en 2019 le collectif américain Black Quantum Futurism et leur projet Temporal deprogramming, composé d'une installation, de concerts et de performances qui mettent en avant la dimension militante, et notamment féministe, de l'afrofuturisme. Le nom du projet annonce la couleur : il s'agit de dé-programmer le musée, de subvertir ses codes et ses traditions. Et de le faire non pas de manière temporaire (temporary) mais temporel (temporal), de repenser la notion même de temps au musée. Ne plus seulement conserver le passé pour l'avenir, mais imaginer le futur, s'y projeter. En cela, l'évènement rappelle l'action Mining the Museum de Fred Wilson, qui en 1992 investit les collections du Maryland History Society pour questionner la place de l'histoire et de la représentation des Noir.e.s dans les institutions muséales. Il dispose des chaînes d'esclave dans une vitrine de vaisselle en métal ouvragé, vide des piédestals de leur statue... En jouant avec le discours expographique, il force les musées à affronter leur passé et leur présent raciste. Les musées ethnographiques, enrichis d'objets spoliés, ont notamment participé à légitimer la colonisation. Exposer le thème de l'afrofuturisme amène à redéfinir qui a sa place au musée, et comment les institutions montrent celleux qui étaient considéré.e.s comme "l'autre". Ou comment elles choisissent de ne pas les montrer, mais de leur offrir un espace pour qu'iels s'expriment avec leur propre voix et leurs propres images.
Olalekan Jeyifous, Shanty Mega-structures: Makoko Canal, 2015. Reproduction.
Courtesy of the artist. © Olalekan Jeyifous
Retracer l'afrofuturisme
Il faut attendre 2021 pour qu'une exposition offre une vue globale de l'afrofuturisme. Mothership : Voyage into afrofuturism, visible à l'Oakland Museum of California jusqu'au 27 février 2022, revient sur les origines du mouvement, en éclaire les figures majeures, et montre la prégnance de ce thème dans le paysage contemporain. Sur le site internet du musée, les premières phrases témoignent d'une volonté de donner une appréciation globale du mouvement, et de le rendre accessible au grand public : "L'afrofuturisme comprend beaucoup de choses. C'est le passé, le présent, le futur réimaginés à travers une perspective culturelle noire." (Afrofuturism is a lot of things. It’s the past, present, and future reimagined through a Black cultural lens.). La formulation est simple, mais elle ouvre des perspectives immenses.
Octavia Butler y est mise à l'honneur : certains de ses manuscrits annotés sont exposés, et deux salles sont nommées par les titres de ses romans. Les visiteur.euse.s peuvent monter dans une réplique du Mothership, vaisseau spatial ayant servi d'accessoire de scène au groupe Parliament-Funkadelic dans les années 1970. Un costume du film Black Panther, crée par Ruth E. Carter, trône dans l'expositon, et montre bien au public que l'afrofuturisme fait partie de son paysage culturel. Oakland, ville à forte population noire et qui a vu naitre le Black Panther Party, parait un contexte plus qu'approprié pour cette exposition.
Alun Be, Potentiality, Edification Series, 2017. Reproduction. Courtesy of the artist. © Alun Be
S'envoler au Metropolitan Museum
Comme nous l'avons mentionné, le Metropolitan Museum de New-York n'a pas attendu longtemps pour monter à bord du vaisseau et installer l'afrofuturisme au sein de ses collections. Le 5 novembre 2021, le musée ouvre au public "Before Yesterday We Could Fly : an afrofuturist period room" ("Avant hier, nous savions voler : une period room afrofuturiste") . Les conservateur.ice.s à l'origine du projet, Sarah Lawrencen et Ian Alteveer, ont avancé l'idée qu'une period room est forcément une construction fictionnelle, et qu'elle peut donner lieu à des récits politiques, supports de dialogues et de changements sociaux. Ainsi, Before Yesterday We Could Fly ne cherche pas à reproduire un intérieur selon le style d'une époque, comme dans les period room traditionnelles, mais propose un futur alternatif. Les commissaires ont invité Hannah Beachler, cheffe décoratrice de Black Panther, et Michelle Commander du Schomburg Center for Research in Black Culture pour imaginer cet espace. Beachler et Commander se sont inspirées de l'histoire de Seneca, village construit à New-York au 19ème siècle par des descendant.e.s d'esclaves, et rasé pour laisser place à Central Park. Pour se poser la question suivante : si le village n'avait pas été détruit, à quoi ressemblerait-il aujourd'hui ?
La salle est donc occupée par une maisonnette réalisée d'après les résultats de fouilles archéologiques, décorée d'œuvres anciennes comme contemporaines, d'artistes africain.e.s et noir.e.s américain.e.s. L'intérieur de la maison ne s'observe d'abord qu'à travers des ouvertures dans les murs, puis par un côté vitré, pour transmettre l'idée que l'accès au passé ne se fait que par bribes, que chacun.e doit en reconstituer son propre récit. En proposant "le passé, le présent, le futur réimaginés à travers une perspective culturelle noire", le Met n'expose pas seulement un morceau d'histoire, mais créé une œuvre afrofuturiste. Before Yesterday We Could Fly est un outil de réflexion et de dialogue sur l'histoire des Etats-Unis, la colonisation, les rapports de domination, et le rôle que le musée peut jouer dans les débats sociaux actuels.
Depuis 2011, une réplique du Mothership est exposée au Smithsonian Museum of African American History and Culture. A l'occasion de son exposition en 2018, le Museum of Contemporary Photography de Chicago a acquis trois œuvres pour sa collection permanente. Contre-culture longtemps négligée, l'afrofuturisme est considéré à présent comme un fil rouge essentiel de l'histoire culturelle des communautés noires américaines, et de l'histoire globale de l'art. Le mouvement s'inscrit dans les collections des grands musées, et ainsi gagne en légitimité. Au détriment de sa dimension subversive ?
Barbara Goblot
Pour aller plus loin :
- L'article de Kodwo Eshun, "Further Considerations on Afrofuturism", publié dans The New Centennial Review (2003)
- Le podcast Afrofuturismes, de Sinatou Saka et Vladimir Cagnolari (2019)
- La visite virtuelle de "Before Yesterday We Could Fly ; an afrofuturistic period room" au Metropolitan Museum (2021)
- Une playlist afrofuturiste
#afrofuturisme #MetropolitanMuseum #artcontemporain
A Bruxelles j'ai trouvé le nombril du monde
C’est dans un climat exceptionnellement alarmant,nommé « état d’urgence » que je débarquais à Bruxelles ce jour-là.Fraîchement déposée à la gare du midi, les yeux encore rougis, la ville se présentait telle que les médias l’avaient dépeinte : en suspens.
Depuis plusieurs jours écoles et métros sont fermés.Les Bruxellois trépignent de retrouver leur rythme citadin. Le soleil pointant le bout de son nez, quelques téméraires sont attablés aux terrasses des rares cafés ayant ouvert leurs portes. L’occasion se faisant trop rare dans nos contrées nordiques, je ne peux que braver l’appel « à ne pas sortir » pour le plaisir de lézarder sous un soleil d’hiver au pied de la Porte de Hal.
Je ne suis qu’à quelques encablures du Musée Art et Marges qui présente jusqu’au 24 janvier 2016 une exposition au nom qui laisse rêveur,« Du nombril au cosmos ».
Situé au cœur du quartier historique des Marolles, le Musée Art et marges défend, depuis une trentaine d’années, un art créé en dehors des circuits officiels. On dit de ces créateurs qu’ils sont « bruts », selon le terme de Dubuffet qui inventa le concept d’art brut en 1945, le musée préfère les appeler des « outsiders ».
C’est Roger Cardinal qui publia, en 1972, le premier livre introduisant le terme d’ « outsider art » considéré depuis lors comme un synonyme de l’art brut. On peut néanmoins y déceler un certain décalage. Si le terme « brut » fait l’état d’une pureté en lutte contre un art corrompu, «outsider » sous-entend une déviance, un écart statistique, politique, sociologique et parfois médical. On dit de ces créateurs qu’ils sont « réfractaires au dressage éducatif »[1],qu’ils vivent parfois retranchés dans la solitude et l’isolement. Ils sont commerçant, ingénieur, imprimeur, écrivain, ouvrier. Un pas de côté, un pas« en dehors » et ils sont nous, nous sommes eux.
Munie d’une loupe, je pars à la découverte d’histoires personnelles grandioses, tragiques, fantasmagoriques mais jamais anodines. Celles-ci nous sont racontées dans un petit livret. Les œuvres sont présentées de manière assez classique, à la manière d’un musée d’art, sans tentative d’expérience immersive. Contradictoire ? Ce n’est pas parce que les artistes sont des marginaux que la muséographie doit les marginaliser pourrait-on me répondre. Le musée a fait le choix d’un parcours d’œuvres fortes et saisissantes, à travers lesquelles un vécu transparait.
Nous nous sommes tous, un jour, posés cette fatale question : Quelle est notre place dans l’univers ? Du nombril au cosmos. Moi et les autres. Moi et le monde.
Comment cohabiter ? Comment regarder et plus encore représenter, écrire ou réinventer le monde ?

Lubos Plny, Zonder Titiel, entre 1980 et 1990, inkt,gouache en collage op papier ©Collection abcd Bruno Decharme
Imaginer que son nombril, cette cicatrice de naissance, soit le refuge d’un écosystème où vivent des petites choses. Et les inventorier, inlassablement.
Zdenek Kosek, Sans titre, entre 1980 et 1990
encre, feutre, crayon de couleur et stylo à bille sur papier à musique, 21x30cm
©Collection abcd Bruno Decharme
Découvrir que ses propres pensées sont à l’origine du temps qu’il fait. Se persuader d’avoir un rôle déterminant dans l’unité cosmique. En réunir toutes les manifestations et être le seul à pouvoir les déchiffrer.
Georgine Hue, Sans titre, vers 1960,
crayon de couleur et stylo à bille sur papier hygiénique, 11x18,5cm
©Collection abcd Bruno Decharme
Fabriquer ses propres billets de banque avec du papier hygiénique et en être l’effigie, à la manière des nobles poudrés, quand même. Refuser les exigences accrues de rentabilité et de productivité de notre société.
Photographies de Mark Cloet basées sur l’œuvre de Johann Geenens
Collection du Mad Musée©Camille Françoise
Changer la taille des choses. Du minimalisme au gigantisme et inversement. Remettre en question l’ordre existant.
Edmund Monsiel, 1946, mine de plomb sur papier, 24 × 17,5 cm.
©Collection abcd Bruno Decharme
Vouloir échapper à l’atrocité de la guerre. S’auto-séquestrer. Dessiner des milliers de visages qui, imbriqués les uns dans les autres,engendrent toujours d’autres innombrables physionomies. Eloge de la lenteur.
Adolf Wölfi, Zonder Titel, 1915, potlood op papier99x276cm
©Collection abcd Bruno Decharme
Repérer l’omniprésence d’un personnage masqué.Se représenter à la place centrale de l’univers. Recomposer le monde présent,passer d’une gamme à l’autre.
Tandis que le monde ne tournait toujours pas rond, qu’il était bon d’être en pleine crise nombriliste !
Magalie Thiaude
Pour aller plus loin :
- Exposition « Du nombril au cosmos »Autour de la collection abcd/Bruno Decharme, Musée Art et Marges, Bruxelles
- Howard S. Becker, Outsiders : Etudes de sociologie de la déviance, Métaillé, 2012
- Un nombril poilu : https://vimeo.com/6115666#Bruxellles#Musée art et marges#Outsider art
[1] expression empruntée à Michel Thévoz dans Artbrut, psychose et médiumnité, Editions de la Différence, Paris, 1990

A Cassel, le cri sourd des animaux
À poils et à plumes. L’exposition présentée jusqu’au 9 juillet au Musée de Flandre de Cassel propose de se pencher sur la question de l’utilisation de l’animal dans l’art ancien et contemporain.
Marie-Jo Lafontaine, I love The World / Can you hear me ? 2006, Duratrans - Studio Marie-Jo Lafontaine
Pour ce faire, neuf artistes belges ont été invités à dialoguer avec les maîtres flamands présents dans la collection du musée. Une initiative aux multiples possibilités, car en passant de la représentation à l’utilisation de l’animal, l’art contemporain a opéré une rupture majeure.
Le texte d’introduction de l’exposition annonce clairement ce dont il retourne : le point commun de tous ces artistes, c’est la matière animale. Pourquoi les artistes choisissent-ils ce matériau si particulier ? Quels en sont les enjeux ? Quel sens y mettent-ils ? Autant de questions délicates mais intéressantes que l’exposition promettait d’aborder via des œuvres tantôt poétiques, engagées, en tous les cas troublantes. L’animal comme matière artistique : un sujet qui donne matière à penser !
Texte d'introduction de l'exposition © A.L
Le casting est en tout cas au rendez-vous : les pièces sont fortes, troublantes, glaçantes, belles et poétiques. De ce point de vue-là, on a ce que l’on est venu chercher et c’est un bel exploit d’avoir réuni toutes ces œuvres. Mais tout l’enjeu pour nous résidait dans la mise en place d’un discours, d’un liant entre ces œuvres qui vienne les questionner, les triturer, les rassembler, les opposer, bref, les faire parler.
Au cas par cas, le dialogue entre les différentes époques fonctionne. Le plus souvent, le lien entre les œuvres repose sur des analogies formelles ou thématiques. Par exemple, les sept hiboux Messagers de la Mort décapités font écho à des scènes de chaos et de jugement dernier. Pas de traces d’un quelconque animal dans ces gravures car c’est la thématique qui importe ici.
Vue de l'exposition, premier plan : Leda, engel van de dood, arrière-plan : Peeter Boel, Nature morte de chasse avec un cygne© J.L
Mais ce type de rapprochement est en fait assez rare dans l’exposition, et pour cause : il est plus difficilement perceptible. On lui a préféré les rapprochements formels. Ainsi, la Leda, engel van de dood(ange de la mort) de Jan Fabre figure auxcôtés d’une Nature morte de chasse avec un cygne de Peter Boel. Ces parallèles iconographiques dans la présence du cygne sont immédiatement perçus par le spectateur, et ce quelle que soit son habitude de l’art ou des musées. Ils trouvent toute leur pertinence dans le cas de lieux comme celui-ci qui n’accueillent normalement pas d’œuvres contemporaines. Ils permettent au visiteur non habitué de se raccrocher à ce qu’il connait, de rapprocher les différentes pièces et ainsi de commencer à se les approprier. Mais si ces rapprochements permettent d’apprécier les liens entre art ancien et contemporain et de voir la constante réactualisation des mêmes sujets, qu’en-est-il du thème de l’exposition ? Que cherche-t-on à nous dire ?
Il est très difficile de répondre à cette dernière question, en partie parce que les murs de l’exposition sont totalement dépourvus d’écrit. Hormis le texte introductif et les cartels, le visiteur ne trouvera ni titre de sections, ni explications. Aussi, même si certaines salles semblent faire ressortir des thèmes généraux (la mort, l’alimentation), il est très difficile de percevoir où le parcours nous conduit. Aucun axe de réflexion n’est mis en avant, on déambule de salle en salle, se confrontant à telle ou telle œuvre, en comprenant le plus souvent les liens qui l’unissent aux autres.
Vue de l'exposition, au premier plan Patrick Van Coaeckenbergh, Le Cheval ; arrière-plan :Jan Fyt, Le Marché aux poissons© A.L.
Est-ce que le livret d’exposition disponible à l’accueil propose une alternative ? Oui et non. S’il comprend bien des notices pour chaque œuvre, elles ne semblent pas spécifiquement adaptées au thème de l’exposition et passent parfois complètement à côté. Pour exemple, une salle du musée présente des œuvres de la collection liées au thème du repas, de la nourriture. En plein milieu de cette salle trône Le Cheval de Patric Van Caeckenbergh, une sculpture entièrement réalisée de boîtes de conserves. Un animal fait d’un amoncellement de bocaux alimentaires, le tout dans une salle liée à l’alimentation, on est en droit de se dire que l’artiste tient là un propos militant attaché aux thèmes de la nourriture et de la consommation. Pourtant la notice n’y fait pas du tout mention. Elle ne s’attarde pas sur le choix symbolique du cheval, ni sur la démarche de l’artiste dans le cadre de cette œuvre précise. Comment, pourquoi et quid de la question de l’animal ? Les notices survolent le thème de l’exposition sans le creuser.
Vue de l'exposition, au premier plan : Berlinde de Bruyckere, InFlanders Fields, 2000 © A.L.
À dire vrai, quand nous sommes sorties de cette exposition, nous étions ravies ; ravies d’avoir pu découvrir ce beau musée, d’avoir pu voir ces pièces d’artistes renommés. Nous nous sommes laissées emportées par le mysticisme des œuvres de Jan Fabre, la violence glaçante de l’installation de Berline de Bruyckere, la poésie de l’œuvre de Thierry Cordier ou la vision engagée de Michel Vanden Eeckhoudt.
Et puis nous avons essayé de mettre des mots sur notre expérience de visite. Or la seule chose qui nous restait, c’était un catalogue d’œuvres. Mais au fond qu’en est-il de cette question de la matière animale ? Que peut-on dire de plus à ce sujet après avoir vu l’exposition ? Quels en étaient les partis-pris ? C’est une situation récurrente dans bien des musées d’art et qui pose la question de l’enjeu d’une exposition et de ce que l’on attend d’elle. Ici, nous avons pris du plaisir - à coup sûr - , mais nous aurions aussi aimé réfléchir.
Car il y avait tant de choses à dire et à faire. À l’heure où les consciences s’éveillent de plus en plus à la condition animale, les usages contemporains posent nécessairement question. Peindre un animal ou utiliser sa peau, sa graisse…, les enjeux ne sont définitivement pas les mêmes. Nombreux sont les artistes actuels à s’emparer de ce matériau, ce qui ne manque jamais de soulever de vives réactions. Parce que ces démarches charrient avec elles des questions éthiques, esthétiques et sociétales à commencer par celle-ci : qu’est-ce que l’on est en droit de faire au nom de l’art ?
Sans doute que les pièces choisies par le musée ne permettaient pas d’aller si loin dans le discours, mais il est dommage qu’elles n’affleurent pas davantage. Ce sont des questions délicates, probablement difficiles à aborder dans un musée, plus encore à assumer et ce n’était visiblement pas le parti-pris choisi de questionner la condition animale. Mais peut-on vraiment parler de l’animal comme médium artistique en évacuant complètement ces interrogations ?
Reste que l’exposition réussit à marier les styles et les époques, rappelant que l’art ancien se trouve constamment réactualisé dans les créations actuelles.Ceux qui cherchent matière à réfléchir sur cette condition animale seront sûrement déçus quand d’autres, souhaitant surtout se laisser happer par les œuvres, y trouveront leur bonheur.
Et pour ceux d'entre-vous qui se demandent où se trouve Cassel et ce que l'on peut bien y faire, je vous invite à aller parcourir l'article de Joanna qui vous raconte notre périple à travers la flore casseloise : http://lartdemuser.blogspot.fr/2017/06/museo-transpi.html .
Annaëlle Lecry
#artcontemporain
#conditionnimale

A hauteur d'enfants !
Durant deux mois, de la mi-septembre à la mi-décembre 2012, le Quai de la batterie, atelier et galerie d’art contemporain de l’Hôtel de Guise d’Arras, offrait au public la chance de découvrir l’exposition « Estampes de la Fondation Calouste Gulbenkian ». Cette exposition, répartie sur les deux niveaux du bâtiment, proposait à tous, une vision éclectique des différents types d’estampes originales, provenant de la riche collection de la fondation portugaise. Au rez-de-chaussée, 45 d’entre-elles étaient regroupées par genres et par auteurs, dans « Regard sur une collection », donnant ainsi un aperçu global de la multiplicité des techniques employées.
Jeune-public-au-mucem ©Diego_Ravier

© Quai de la Batterie
A l’étage, le second pôle : « Corps Imprimés et Petites Histoires » s’adressait en priorité aux enfants. Dans une salle sombre entièrement toilée de décors célestes bleus nuits, le jeune public était invité à entrer au royaume multicolore des artistes les plus prestigieux. Dans ce décor théâtral, inconsciemment les voix se baissent, les enfants découvraient les yeux écarquillés qu’ils étaient les personnages principaux de la pièce. La grande diversité des œuvres stimulaient l’imaginaire enfantin, qui, en ébullition se mettait à créer une multitude de petites histoires. De Niki de Saint Phalle, à Pablo Picasso, en passant par Alberto Giacometti, les petits visiteurs comme les plus grands voyageaient entre les représentations abstraites du corps humain réalisées par ces maîtres du dessin.
Les 23 œuvres présentées étaient mises à la hauteur de l’enfant, celui-ci pouvait alors s’approcher au plus près de ces images d’art imprimées et se plonger dans son imaginaire. L’art était donc à sa portée, accessible et désacralisé. Pour l’enfant la valeur matérielle n’a pas d’importance, il ne contemple pas le travail réalisé par tel ou tel artiste, célèbre ou non, mais ne juge le dessin que par sa sensibilité.
Les couleurs vives et chatoyantes attiraient le regard, absorbaient le visiteur dans un univers fabuleux, haut en couleur, où l’esprit se promenait entre les allées du rêve et celles la réalité. Installées sur des petites tables plaçaient devant chaque œuvre, ou à même le sol sur des cousins incitant à la contemplation, les petites têtes blondes peuvent se laissaient guider par leur créativité et déployer, à leur tour, toute leur habilité artistique lors de la réalisation de dessins. Ils devenaient alors acteurs de leur visite, l’exposition évoluait donc en un lieu de création. C’était à la fois un espace de jeu intellectuel et matériel, puisque leur énergie débordante était, elle aussi, canalisée grâce à une sculpture tentaculaire, telles les créatures polychromes de Niki de Saint Phalle.
Pour une des rares fois, la scénographie obligeait l’adulte à se soumettre aux contraintes du monde des petits. Pour apprécier les oeuvres dans toutes leurs dimensions physiques et esthétiques, il devait s’abaisser, s’agenouiller, faire l’effort d’aller à la rencontre de l’œuvre, ce qui est loin d’être habituel. Le choix avisé et le nombre restreint d’œuvres poussaient le visiteur à s’intéresser à chacune d’elles. Souvent séduit par la démarche, il prenait la peine de se plier à ce qui, pour certains, pouvait représenter une contrainte, et qui à mon sens était plutôt un parti-pris innovant où il fallait aller chercher l’œuvre, essayer de la décrypter, avec les codes adéquats, pour pouvoir la comprendre.

© Quai de la Batterie
Lors de la venue d’un groupe d’enfants, un médiateur les guidait dans cet univers de rêverie. Il commençait par les laisser entrer seuls dans l’exposition. Se sentant affublés d’une certaine confiance, les petits se voyaient devenir grands. Les œuvres étaient en suite décrites grâce à une approche didactique et surtout ludique, où le jeu est à la base de la communication et donc de la connaissance. Malheureusement, ces jeux se répétaient lors de la description de la plupart des estampes, les enfants devenaient alors très vite inattentifs et se baladaient à leur guise dans la salle. De plus, les cartels, leurs étaient difficilement compréhensibles puisqu’ils ne possèdent pas encore les connaissances nécessaires pour les appréhender. Ils ne prêtaient alors que très peu attention à ces panneaux explicatifs, même situés à leur hauteur. Il aurait alors été plus judicieusement de les placer à une hauteur intermédiaire, facilitant ainsi le confort de lecture des différents publics. On peut également regretter que le texte introductif du parcours ne s’adressait pas du tout aux enfants ; le discours comportant des formules bien trop complexes pour qu’ils puissent en comprendre le sens. La ligne directrice, chère, au scénographe est presque respectée tout le long de l’exposition, même si elle aurait pu être plus approfondie, notamment au niveau de la médiation, où la prise en main des enfants est encore balbutiante.
Cette proposition artistique a la volonté d’éduquer le regard des enfants, en les immergeant dans un univers de création, à la fois intellectuel et manuel, rendant ainsi la compréhension plus accessible.
Boris Boulanger

Afropean+ : une expérience polymorphique ?
Quand on fait son stage dans un musée travaillant des questions aussi complexes que « C’est quoi l’Afrique subsaharienne contemporaine ? Qu’est-ce qu’une diaspora ? Quelle mémoire les Belges et les Congolais partagent-ils ? De quelles manières la partager et la transmettre de part et d’autre de la méditerranée ? » L’événement Afropean+ peut apporter des réponses.
Affiche Afropean+ © Bozar
Me voila donc à Bozar, à Bruxelles, par un samedi de janvier particulièrement ensoleillé, prête à m’enfermer pour une journée d’événements culturels autour de la notion d’afropéanité. Le public est au rendez-vous, il est en majorité issu des diasporas subsahariennes et non africaines, j’aimerai voir encore plus de monde, encore plus de métissage. Etpourtant l’ambiance est cordiale, passionnée, aux aguets. C’est la première fois que j’entends, ou plutôt lis le terme afropean inscrit en grosses lettres sur le programme de la journée. Qu’est ce donc que ce néologisme, cette contraction d’africain et d’européen ?
Le premier indice pour tenter d’approcher une définition du terme se trouve dans sa forme même, deux mots tranchés et cousus ensemble.
Bozar, plateforme de rencontres
Le second indice se situe dans la forme même que prend l’événement et dans le lieu où il se déroule. Bozar est une plateforme, une succession de salles où cohabitent une multitude de projets culturels validés par une direction dont la caractéristique principale est de savoir mettre le doigt sur des problématiques sociétales et contemporaines émergentes. La forme que prend Afropean + est pluridisciplinaire. C’est une journée où se succèdent des propositions variés comme un marché créatif, des expositions, des courts et longs métrages, des concerts, des lectures, des débats, des spectacles. L’ensemble venant se télescoper quand le visiteur prend le temps d’assister à plusieurs propositions. Notons au passage que seuls les concerts sont payants.
Continuum of Repair : The light of Jacob’s Ladder, Kader Attia, Bozar, 2015 © O.L
Un lieu d'échanges, de débats et de révélations
Le troisième indice est l’installation de l’artiste Kader Attia. Dans une salle en retrait du majestueux hall Horta où se trouve le marché créatif, l’artiste propose la métaphore d’une situation, celle de l’être traversé par plusieurs cultures, cultures reliées entre elles souvent violemment par la colonisation. L'œuvre est un cabinet de curiosités qui n'utilise pas le principe de l'originalité, du bizarre, de l'extra ordinaire comme historiquement mais est un espace polyphonique où par les objets (essentiellement des livres) les voix scientifique, politique, religieuse trouvent leur place les unes avec les autres. La suture entre les mondes (entre le ciel et la terre reliés par l'échelle de Jacob, entre le pouvoir politique symbolisé par les bustes d'hommes blancs et les textes bibliques et coraniques...) se fait par le regard englobant de l'artiste. C'est une couture entre les différents éléments de l'installation faite avec bienveillance, sans hiérarchisation entre les objets. Leur accumulation forme un constat : le scientifique, le religieux, le politique sont des possibles non hiérarchisés. Ce dispositif offre aux regards la plasticité et la polymorphie d’un monde qui permet une construction des identités.
Continuum of Repair : The light of Jacob’s Ladder, Kader Attia, Bozar, 2015 © O.L
Le quatrième indice est la forme que prend le débat « Being Afropean ». Dans le studio de Bozar, espace oscillant entre la salle de conférence, de cinéma et de théâtre se joue une pièce improvisée d’échanges rebondissant. Ken Ndiaye, anthropologue ayant participé au programme Réseau International des Musées d’Ethnographie (RIME) se propose de questionner la notion d’afropéanité. Il est très vite rattrapé par l’assistance. Celle-ci impose sa parole, chacun et chacune témoignant de son parcours, enfin, je commence à comprendre, à sentir du sens émerger de ces voix. Ce mot afropean, s’incarnant soudain à travers le visage de chacun des intervenants, se transformant selon le vécu des êtres prenant la parole. Afropean est une identité polymorphique, une traduction d’un état singulier : celles des êtres aux cultures africaines et européennes. Comment comprendre le sens d’afropéanité quand on est franco-française vivant entre deux pays européens aux cultures proches ? Blanche dont la voix pense en français ? Quelle place puis-je avoir au cœur des problématiques que soulèvent l’afropéanité ? Quelle place les êtres sans diversité culturelle peuvent-ils avoir avec ces identités polymorphes en constante construction ?
S'exprimer par la scène
Le cinquième et dernier indice est la lecture-spectacle Autrices de « Ecarlate la compagnie » à partir d’extraits choisis du texte Ecrits pour la parole de l’auteure française Léonora Miano. Deux femmes, deux voix accompagnées par une création sonore inédite. Moment fort où la langue de Miano surgit, s’incarne dans le corps blanc des deux actrices. Et c’est cette incarnation du texte interrogeant « le rapport souvent conflictuel qu’entretiennent les afropéens avec les notions d’intégration et de double culture »[1] qui donne sens à l’afropéanité. Afropéanité est un mot dépassant la couleur pour interroger des identités qui restent dynamiques et uniques. En écho j’entends la voix de Léonora Miano dire : « Je sais très bien que je suis le produit de la rencontre entre deux mondes, qui, d’ailleurs, se sont mal rencontrés. Mais, enfin, j’existe. »[2] La voie à tracer pour se reconnaitre, se rencontrer, ne se situerait-elle pas dans ce retour aux conditions de la rencontre entre Afrique et Europe ? Il semble que pour construire les identités contemporaines, il nous faille faire un retour sur notre passé , sur ce que nous avons en commun.
Ophélie Laloy
Pour aller plus loin :
http://www.bozar.com/activity.php?id=15637
#Afropéanité
#Événementiel culturel
#Postcolonialisme
[1] Programme Bozar
Alzheimer au musée
La France compte plus de 900 000 patients atteints de démences dont 700 000 avec une maladie d’Alzheimer. Malgré l’aide précieuse des aidants et soignants, cette maladie isole, engendre la solitude. Appelés TAU et Béta Amyloïde, ces protéines anormales se font discrètes, aucun dépistage n’est possible. Les symptômes sont identifiés à un stade ou les lésions sont trop importantes. Ces protéines rentrent progressivement, s’accumulent et viennent se nicher à différents endroits du cortex cérébral empêchant la communication entre les cellules nerveuses. Elles insistent sur le lobe pariétal droit et le cœur de l’hippocampe, partie du cerveau en charge du bon fonctionnement de notre mémoire. Il leur faut quelques années à peine pour qu’on les désigne comme des plaques causant la destruction des neurones amenant à une sévère phase de démence sénile.
Image d'intro : William Utermolhen, Galerie Beckel Odille Boicos
Les voilà maintenant maladie, maladie neuro-dégénérative et multifactorielle entraînant une détérioration de la capacité de réflexion et de mémoire. La mémoire épisodique, celle reliée aux événements, aux souvenirs personnels est touchée en premier suivi de très près de la mémoire sémantique, mémoire du langage des connaissances de l’apprentissage en éloignant les dates, les noms, les concepts. Quant à la mémoire procédurale, celle des gestes, elle persistera jusqu’au stade terminal. La mémoire sélective est la résultante de l’oubli, le souvenir lui n’est autre que la reconstitution de l’information passée. Vers 65 ans en moyenne la maladie se déclare, pose ses valises et ne quitte plus son domicile. Elle dérange les tiroirs, mélange les documents, fait voler les temps.
La personnalité de l’Homme ne survit pas à la destruction de sa mémoire. Il a beau usé d’un humour bien particulier pour tenter de dissimuler son décalage évident au monde, sans mémoire, il finit par oublier ses mots. Ce n’est pas un vieillissement commun, la maladie empêche la digestion des nouvelles informations et un oubli simple retentit alors sévèrement sur l’autonomie et fait subir divers troubles du comportement. Ne plus se lever, manger, écouter, jusqu’à perdre l’envie de parler. L’Homme malade s’isole, se renferme sur un monde dont il ne comprend plus les codes. Il est incapable de retrouver les informations recueillies au cœur de l’hippocampe, il n’a pas oublié, il a égaré.
Conversation Pieces – Conversation – 1991 Oil on canvas – 86 x 122 cm, Galerie Beckel Odille Boicos
LES MUSÉES OUVRENT LEURS PORTES AUX MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES
Fondée en 2008, la fondation Swiss Life s’engage dans des projets solidairess intitulés « art, culture et Alzheimer » et accompagne depuis 2009 les malades aux cotés de l’association France Alzheimer. Ensemble, elles offrent aux patients et à leur aidant la possibilité d’avoir accès à l’art, à la culture. Des visites spécialisées sont organisées dans plusieurs musées de France comme le musée des confluences à Lyon, la cité musicale de Metz, le Musée d’Angladon d’Avignon ainsi que la cité de la musique à Paris.
La Fondation Swiss Life a également initié et soutient depuis 2010 un partenariat novateur entre l’association France Alzheimer et le musée La Piscine de Roubaix. Les participants sont aussi invités à s’allonger pour écouter une bande-son restituant le bruit familier du bassin, avec ses cris d’enfants, son écho particulier. Inspirées par l’expérience du MoMA de New York, les visites-ateliers du musée, proposées tous les mois par Julien Ravelomanantsoa, plasticien-animateur, permettent de stimuler la créativité des malades, accompagnés par leurs aidants.
Des ateliers créatifs sont mis en place au sein des musées et les visites sont accompagnées d’une médiation spécifique.
La maladie d’Alzheimer affecte les compétences cognitives, comme la mémoire, le langage, le raisonnement, la logique, la pensée abstraite mais elle n’altère pas les capacités à ressentir, à éprouver des émotions, à exprimer des sensations. La médiation destinée à ces malades a à cœur de faciliter et encourager l’accès à la culture. Elle se veut la plus compréhensible possible, pour cela l’aspect didactique et pédagogique est en retrait, et une balade naît, balade dans laquelle chacun est libre de s’exprimer. L’équipe de médiation se constitue un vocabulaire approprié, les informations, si nécessaire sont dites avec parcimonie, les questions sont répétées et les réponses ne sont pas arrêtées.
Au Palais de Tokyo à Paris, les patients sont accompagnés dans une démarche singulière. L’idée est de se détacher de l’aspect mnésique de la médiation, pour n’en garder que les émotions. C’est le ressenti, l’instant vécu, le plaisir immédiat qui marquent les esprits. Loin des informations relatives aux œuvres et à leur contexte, on accède à la perception du sensible et l’art devient une manière d’accéder à la plasticité du cerveau. On les voit rire, partager, parler et renouer leurs liens sociaux. Un moment à part où la maladie n’a plus la première place.
Le jeu de paume à Paris adopte la même démarche et met en place un programme de visite pour le public en situation d’alzheimer, ici on entend stimuler la curiosité, les questions défilent sans se soucier du caractère éphémère des réponses. La visite se fait bulle de protection et d’écoute où chacun est libre de ne pas suivre, de ne pas comprendre, de ne pas se souvenir. Certaines œuvres réveillent chez les patients des souvenirs lointains d’une vie personnelle qu’ils ont bon plaisir à partager.
Le Grand Palais de Paris, quant à lui, s'intéresse à l’accessibilité de ces patients en leur proposant de regarder les tableaux et de déambuler de salle en salle avec le groupe pour retrouver une chaleur humaine. La culture permet de retisser des liens sociaux, de renouer le dialogue et l’interaction. Elle vient faire appel à des capacités cognitives mises de côté et tend à toucher le cœur de la réminiscence. Les aidants retirent leur étiquette, la maladie s’éloigne et la complicité prend toute sa place.
La mémoire perceptive est la plus résistante à la maladie, elle s’appuie sur les sens, retient des images ou des bruits, établit des repères visuels. Cette mémoire se trouve dans différentes régions corticales du cerveau et engage des émotions qui peuvent moduler la façon dont une information est enregistrée et renforcer l’attention.
Dans les musées, les cinq sens sont sollicités. Si la maladie d’Alzheimer altère la mémoire, elle n’a aucune prise sur les sensations et les interactions sociales influencent le fonctionnement de notre mémoire. La sollicitation des sens et des interactions au musée développent de nombreuses capacités cognitives pour lutter contre l’aphasie et l’apraxie causées par la maladie d'Alzheimer.
Ces approches thérapeutiques non-médicamenteuses sont actuellement en développement et de nombreux musées s'ouvrent à cette nouvelle forme de médiation.
Dadure Alexane
Pour aller plus loin:
- https://artoistv.univ-artois.fr/video/3614-atelier-alzheimer-au-musee-de-la-piscine-de-roubaix/
- https://www.francealzheimer.org/nos-actions-nos-missions/actions-adaptees-familles/programme-art-culture-alzheimer/
- http://aurythmedusouvenir.philharmoniedeparis.fr/docs/AurythmeDuSouvenir-methodologie.pdf
- https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/livret-ethique-a-arts-culture.pdf?TSPD_101_R0=087dc22938ab200098bac9f7a934b157c2ab3f74986765c41df19c277bd1084dc475d10ab66ddb4708917d27dc1430002586bfb93871c934cd122cc3d3655311528214474892eca84d90c5775ebab780301ca0cc76a8af7b24d267a54e56b29c
#médiation #alzheimer #musée

Art contemporain et lien social de Claire Moulène
Art contemporain et lien social, Claire Moulène, éditions Cercle d'Art, Collection Imaginaire, 30 mars 2007
Les éditions IMAGINAIRE : MODE D'EMPLOI proposent des outils de décryptage de l'imaginaire contemporain, dans le but d'atténuer la coupure qui persiste entre les propositions des artistes (qui nous parlent du monde d'aujourd'hui, voire annoncent celui de demain) et leur réception par le public souvent perplexe et insuffisamment informé. Pour ce faire, ces éditions ont imaginé un nouveau concept de livre d'art en trois temps. Art contemporain et lien social de Claire Moulène aborde une thématique qui nous concerne tous par une approche rigoureuse et simple. Ce manuel propose un contenu riche dans une mise en forme synthétique et claire. Un vocabulaire précis et adapté est utilisé de manière tout à fait accessible afin de vulgariser l'information sans perte de fond. Et sa mise en page didactique, aéré et illustré permet une lecture agréable etfacilité.
Cet ouvrage commence brièvement par re-contextualiser le rapport aigu entre l'art et la politique. Débutant par une citation quelque peu provocatrice mais pas moins intéressante de Dominique Baqué, on se demande finalement « si l'on osait un paradoxe, on affirmerait volontiers que le seul art politique efficace et convainquant est l'art totalitaire ». Reste que l'histoire de l'art ne s'arrête pas là et a pu prendre au cours du XX siècle des formes diverses, dont l'impact varie selon le contexte et les moyens mis en place. Des avant-gardes dadaïstes farouchement antimilitaristes en passant par tous les mouvements contestataires du XX siècle on remarque alors que les artistes contemporains de 1990 à 2000 ont fait les choix de nouvelles postures participatives, symboliques et inédites, offrant toutes la possibilité de percevoir et d'agir différemment sur le réel. D'un art issu de la contre-culture et convaincu de son efficacité idéologique, on est passé à un art plus réflexif, conscient de ses propres limites.
Du Musée Précaire d'Albinet
Quand il est encore question de débattre inlassablement du rôle et de la définition de l'art, Claire Moulène ramène des mots justes sur le fond du sujet : « Rappelons d'abord que l'art, [...] n'a jamais vocation à être efficace. Si l'artiste aujourd'hui apparaît plus que jamais soucieux de saisir la complexité du monde qui l'entoure [...], sa mission ne consiste pas à proprement parler de résoudre les conflits sociaux et économiques qui sous-tendent la société. En revanche, il est celui qui [...] qui permet de penser autrement le réel. » Elle prend alors judicieusement l'exemple du Musée Précaire Albinet de Thomas Hirschhorn qui illustre parfaitement la situation. Cet artiste refusant catégoriquement que sa démarche soit assimilée à une entreprise humaniste, ou un projet socioculturel, annonce que « le Musée Précaire est une affirmation. Cette affirmation est que l'art peut seulement en tant qu'art obtenir une vraie importance et avoir un sens politique. » On comprend alors très vite que ce manuel ne résoudra pas comment l'art se positionne par rapport à la politique car c'est tout simplement impossible. Visiblement l'artiste affirmera toujours son statut en tant que tel. Cependant, l'auteur tente méthodiquement de dresser une liste de différentes pratiques artistiques qui s'y apparente et de les classer par rapport à leur niveau d'engagement.
Quoi qu'il en soit, les artistes contemporains ne sont plus nécessairement dans une critique amère mais dans une manière de réactiver certaines formes propres à l'action collective et politique, le plus souvent avec un humour et une dérision qui leur permettent en creux, d'avancer une critique de fond à peine masquée. Nombres d'exemples pertinents sont repris pour démontrer comment les artistes interfèrent dans le réel. Que ce soit dans une approche visuelle ou performative, qu'on dénonce une société de consommation ou qu'on rit de ses dérives mercantiles l'intérêt n'est peut-être plus de produire de nouvelles formes artistiques mais d'exposer directement le quotidien. Ainsi c'est le réel lui-même qui fait office d'œuvre d'art. Au-delà de la tangibilité plastique des expérimentations, sur un mode plus ludique, on recense également un nombre relativement important de travaux ayant trait au rassemblement collectif et à la fête, l'un des motifs jugés ici des plus emblématiques de l'action sociale. Or le lecteur se heurte très rapidement à la légitimité du statut de la création : organiser une fête est-ce vraiment un geste artistique ?
L'Art vecteur de lien social ?
La force de cet ouvrage repose fondamentalement sur les critères de légitimité de l'art contemporain. L'idée n'est plus simplement de poser une énième fois la question de ce qui est de l'art ou pas mais pourquoi en être arrivé à cette dérive. On ne tombe pas dans la facilité d'un discours qui prétendrait que l'art cherche simplement à repousser à chaque fois ses limites. Suffisamment documenté, le livre propose une analyse sociologique. À l'heure de la mondialisation néolibérale, la disparition des « classes sociales » au profit d'un grand groupe central a amené un éclatement des repères traditionnels. Les systèmes de normes multipliés, diversifiés ont amené une perte de valeurs où l'expression politique n'est plus légitime et où le chaos menace. On se retourne alors vers les sociologues, les militants associatifs ou les artistes, en les sommant de produire du lien « social » notion ainsi chosifiée et réduite à une marchandise. Tous les artistes ici cités ne font alors plus que témoigner de cet « objet-ification » du lien social. Voilà tout le nœud du débat de ce livre qui peut paraître amené d'une manière un peu courte et caricaturale mais comment l'exprimer autrement en si peu de pages ?
Une première partie du manuel décante les pratiques artistiques ancrées dans le réel tandis que la seconde ne fait plus de distinction entre le virtuel et le réel. Uneconception contemporaine renversée consisterait à jouer des ressorts de la fiction pour scénariser le réel. En activant l'imaginaire collectif, les créateurs actuels travaillent sur une prise de conscience politique et sociale au sein d'un champ artistique qui prend des allures de laboratoire. Unenouvelle manière de produire de l'art serait donc de faire un « lab » qui explore les schémas de représentation sociale actuelle. La téléréalité est prise pour exemple comme un regard symptomatique de la société qu'elle porte sur elle-même et glissée au champ artistique. Encore une fois, le lecteur peut rester sceptique sur la question de ce qui fait œuvre. Mais Troncy, ici cité,arrive facilement à nous convaincre du rapport de l'art à la téléréalité comme « un espace intermédiaire qui ne serait ni celui de la réalité, ni celui de la fiction mais de la ReallitY » « simplification, photogénie, mise en scène » «réalistisme ». Pantomime, du jeu du rôle social transposé à d'autres sphères, la téléréalité offrirait donc la possibilité d'un certain regard, certes stylisé, certes biaisé, mais plutôt judicieux sur les systèmes sociaux enplace. Ainsi défile nombre d'artistes qui proposent toujours de nouveauxscénarios artistiques appuyés satiriquement sur une réalité qui tend à se dématérialiser. On en vient même à parler de nouveaux espaces de sociabilité, de « blogosphère », lieu de convivialité virtuelle, à laquelle renvoient les communautés de blogueurs. L'art contemporain fait donc appel à toutes sortes de disciplines annexes, de références de l'expérience quotidienne de chacun, non pour rétablir le lien social mais pour l'interroger.
Une démultiplication de possibilités
Écrit avec une grande finesse cet ouvrage tend à rendre compte du glissement des pratiques artistiques contemporaines et soulever le rôle social qui lui est aujourd'hui voué. Consacré uniquement à l'art d'aujourd'hui et non à celui d'il y a vingt ans, Claire Moulène relève un challenge difficile : l'analyse et la théorisation d'une pratique sur laquelle on manque vraisemblablement de recul. Alors que la facilité accorderait à dire que l'artiste contemporain s'éloigne d'un engagement politique explicite Claire Moulène propose un nouveau paradigme. Plutôt qu'un regard analytique d'historienne, elle propose une approche plus sémiologique dans le sens où le vocabulaire artistique aurait lui-même changé. Des champs lexicaux empruntés à d'autres usages (politique, festif, web, etc.) sont détournés au profit d'un regard créatif sur le monde. Distinctement d'une idée d'un art engagé issu de la contre-culture elle nous expose la subtilité suggestive de nos contemporains à travers la citation, le simulacre et l'ironie. Dégagé d'une contestation massive, on se retrouve dans une démultiplication de possibilités et d'observations. Cependant, la conclusion est menée un peu brutalement en affirmant que les artistes sont soucieux de ne pas lisser l'environnement politique mais doit-on pour autant s'en arrêter là ? Claire Moulène finit donc simplement par dire que « l'art doit être coupé du réel soit pour lui offrir une échappatoire constructive, soit pour une prise de conscience inédite ». On ne peut pas dire qu'on en apprenne bien plus... Art contemporain et lien social de Claire Moulène propose donc une excellente base de réflexion et de références qui ne tiennent plus qu'à être développées soit dans un futur plus distancé soit par des regards croisés d'autres chercheurs interdisciplinaires.
Elodie Bay
AZAY-LE-RIDEAU : ENCHANTEMENTS ET RENAISSANCE
Originaire de la région Centre-Val de Loire, inutile de préciser que je demeure une aficionada des châteaux de la Loire depuis ma plus tendre enfance. Je me souviendrai toujours de ses visites qui ont marqué mon imaginaire d’exploratrice, et qui ont été la porte d’entrée vers cette passion pour le patrimoine culturel. Comment ne pas oublier ce majestueux édifice qu’est le Château de Chambord ? Les somptueux jardins de Villandry qui forment des tableaux colorés de verdure ? Ou encore le Château des Dames,plus connu sous le nom de Chenonceau, qui m’a impressionnée par la richesse de ses collections ?
Mais il en est un plus discret face aux bâtisses les plus renommées dela région, et qui pourtant, demeure de loin mon favori :Azay-le-Rideau. Je ne saurais me rappeler l’âge exact auquel je l’ai découvert pour la première fois, mais je me souviens de la somptueuse vue depuis la façade Sud magnifiée par son miroir d’eau. Une véritable révélation, semblable à la description qu’en a fait Honoré de Balzac dans son roman Le Lys dans la vallée, où il le compare à « un diamant taillé à facettes sertis par l’Indre ».
La façade Sud du château d’Azay-le-Rideau © Joanna Labussière
Il est fort probable qu’une majeure partie d’entre vous ne le connaisse pas, mais si vous suivez l’actualité de près, il se peut que vous en ayez entendu parler récemment. En effet, le Châteaud’Azay-le-Rideau était sous les feux de la rampe, puisqu’il a bénéficié d’un important programme de restauration entrepris parle Centre des Monuments Nationaux durant presque trois ans. Au total : huit millions d’euros ont été investis dans ce chantier de mise en valeur et de restauration.
Autant vous dire que lorsque j’ai appris le jour de mes vingt-six printemps que j’allais prendre mes fonctions au sein de ce monument, je n’en revenais pas. Je crois même qu’à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai encore du mal à m’en rendre compte.Mais passons ! Le jour de ma prise de poste, quelle ne fut pas ma surprise de revoir ce château qui m’était si cher restauré àla perfection ; le soleil de ce début d’automne se reflétant dans la blancheur de la pierre de Tuffeau si caractéristique de l’architecture régionale.
C’est un château comme neuf que je (re)découvre : rénovation du parc romantique du milieu du XIXème siècle, façade extérieure entièrement restaurée, intérieur remeublé en son état historique. En tant qu’apprentie chargée de médiation culturelle,j’étais d’autant plus intéressée par la refonte du parcours de visite, et plus particulièrement par ce qui se tramait au premier étage. Je remarque alors avec étonnement que plusieurs pièces sont parsemées d’œuvres contemporaines, faisant du château un palais enchanté où se mêlent mythologie, magie et théâtre. Mais avant de vous en dire davantage, une petite explication s’impose !
Tout est parti du Centre des Monuments Nationaux qui a fait appel aux artistes plasticiens Piet.sO et Peter Keene pour concevoir un parcours d’installations oniriques destinées à être exposées au sein du monument. Le duo collabore ensemble depuis seize ans déjà,et parmi les six créations, cinq ont été spécifiquement conçues pour Azay-le-Rideau. Un an aura été nécessaire à la réalisation des esquisses de chaque installation, puis sept mois de conception.
Intitulé« Les enchantements d’Azay », ce projet a pris place parmi les collections le 6 juillet 2017, date de réouverture du château suite aux trois années de travaux. Influencés par l’imaginaire de la Renaissance, les artistes se sont notamment inspirés des personnages d’Armide et de Psyché, toutes deux représentées dans les tapisseries des chambres situées au premier étage : La Jérusalem Délivrée et l’Histoire de Psyché. Tel un hommage aux artifices des arts du spectacle de l’époque où se côtoient installations féeriques et objets fantastiques, ces enchantements envoûtent à différents niveaux antichambres, chambres et salle de bal du premier étage. La magie opère dès lors que les visiteurs passent à proximité, puisque les installations se déclenchent à leur passage. Certaines œuvres sont accompagnées de fonds sonores. Si vous-même, chers lecteurs et chères lectrices, êtes tentés par cette expérience surprenante,suivez le guide !
Si l’on suit le parcours de visite classique, notre déambulation nous mènera en premier lieu dans la grande salle. Lieu de réception par excellence, c’est dans cette partie publique que le maître de maison recevait pour ses affaires ainsi que pour son plaisir en organisant bals et festins. A notre arrivée, trois installations monumentales font face à la cheminée. Au centre trône un imposant banquet, entouré de part et d’autre par un automate (un officie rsur la gauche et une magicienne sur la droite). Ces installations s’animent au fur et à mesure : la magicienne et l’officier tournent sur eux-mêmes, tels les annonciateurs d’un banquet fantastique qui s’ouvre avec des panneaux se levant sur la table.Inspirés par les festins sorciers, Piet.sO et Peter Keene puisent également leurs influences dans l’art cinématographique.Références entre autres au grand banquet dans La belle et la bête de Jean Cocteau (1946), ou encore aux fêtes données dans les jardins dans Vatel de Roland Joffé (2000). Le festin fait aussi écho au palais d’Eros dans lequel Psyché est servie par des esprits bienveillants. Enfin, la mise en scène volontaire des animaux renvoie à la cuisine de la Renaissance, époque où l’on présentait autant la tête que le corps de l’animal.
Le banquet © Léonard De Serres
La visite se poursuit en pénétrant dans la Chambre de Psyché.Autrefois chambre du maître de maison, elle était sûrement destinée à Gilles Berthelot, commanditaire du château d’Azay-le-Rideau. Cette pièce s’apparentait à un espace multifonctionnel où l’on se reposait autant que l’on travaillait et recevait. Face aux trois tapisseries qui habillent les murs, se dresse un automate tournant sur lui-même, portant une lanterne et vêtu d’une robe décorée de miroirs. Il s’agit d’une mise en scène de Psyché, symbolisée par la robe aux miroirs, référence au miroir du personnage, tel un écho au labyrinthe proposant plusieurs destinations. Elle semble observer les tapisseries murales qui relatent son histoire. Sorte de quête initiatique, les miroirs servent à éclairer une partie de son vécu, tout en lui indiquant le chemin à suivre. La lanterne éclairée lui sert également de guide afin de l’aider à retrouver son chemin.
La robe aux miroirs © Léonard De Serres
Jouxtant la Chambre de Psyché, la garde-robe est métamorphosée en « Cabinet des petits prodiges » au sein duquel automates, miroir et mondes miniatures se transforment grâce à des effets d’illusion.Trois mécanismes y sont disposés et se mettent en mouvement les uns à la suite des autres : tout d’abord, deux mécanismes en horlogerie fine, puis un miroir représentant des papillons. Bien que celui-ci ne soit pas éclairé, il est tout de même possible d’observer les papillons flotter au travers. Ici, Piet.sO et PeterKeene ont choisi Armide comme source d’inspiration, personnage capable de changer les petits projets en palais.
Cabinet des petits prodiges © Léonard De Serres
La déambulation se poursuit dans la chambre Renaissance, qui était probablement la chambre de Philippe Lesbahy, l’épouse de Gilles Berthelot. C’est dans le secrétaire, cabinet de retrait de la chambre qu’est exposé un « Livre aux grotesques »,conférant une apparence féerique à la pièce. Réalisé en papier de jonc, il laisse apparaître des ombres de créatures chimériques de par sa forme et les jeux de lumière. Le jonc fait écho aux murs de la chambre de Philippe Lesbahy restaurée en 2013, qui sont recouverts de nattes de jonc. Cette technique de tressage manuel était d’usage au XVIème siècle, car elle permettait d’isoler la pièce par temps froid, et de conserver la fraîcheur en cas de températures élevées.
Livre aux grotesques © Léonard De Serres
Passons à présent à l’antichambre précédant les appartements du roi,où patientaient les visiteurs avant d’être reçus. Ici, le baroque prend tout son sens, avec un théâtre animé faisant apparaître et disparaître plusieurs animations et décors à l’aide de jeux de ficelles, ou encore de poulies. L’aspect brut véhiculé par la boîte réalisée en bois de frêne renvoie à la Renaissance,où le rideau n’existait pas pour la représentation du petit théâtre. Celui-ci fera son apparition au XVIIème siècle avec des rideaux bleus pour symboliser la couleur royale, puis les rideaux rouges sous Napoléon. L’emploi de la ficelle dans les décors était courant à la Renaissance ainsi qu’au XVIIème siècle, avec une scénographie conçue à partir de décors suspendus. Encore une fois, le duo d’artistes a choisi Armide comme référence principale, à travers ce théâtre animé, où trois à quatre décors suspendus apparaissent au fur et à mesure pour raconter une histoire.
Le petit palais d’Armide © Léonard De Serres
Détail du petit palais d’Armide © Léonard De Serres
Pour conclure, direction la chambre du roi, baptisée ainsi en souvenir des quelques jours passés par le roi Louis XIII à Azay-le-Rideau en juin 1619. On y découvre un cabinet « automate », seule installation qui n’a pas été créée spécifiquement pour Azay-le-Rideau. Intitulée « L’entrée ouverte au palais fermé du roi », ce palais-théâtre motorisé a été conçu dans le cadre de l’exposition « Les Chambres des Merveilles »qui s’est tenu au Château-Maisons de Maisons-Laffitte d’octobre 2015 à juin 2016. Dans l’esprit des meubles à secrets, le visiteur s’approche et découvre un théâtre qui s’ouvre où apparaît la reine d’un côté et le roi de l’autre. Surgit ensuite une forêt envahissant un palais qui prend forme petit à petit, avant de conclure par l’ouverture d’un grand tiroir symbolisant un vide poche qui contient des objets d’époque, voire plus contemporains. L’utilisation de l’ébène pour la réalisation du meuble fait référence à l’impact crée par l’arrivée du mobilier au XVIIème siècle.
L’entrée ouverte au palais fermé du roi © Léonard De Serres
C’est quasiment envoûtée que je ressors de cette déambulation originale qui m’a permis de poser un tout autre regard sur les collections du château. J’ai été littéralement charmée par cette œuvre à quatre mains, qui réunit l’impact de la mémoire et la place du corps chez Piet.sO, ainsi que l’exploration de l’utopie et les installations mécaniques et sonores chères à Peter Keene.Redevenue exploratrice dans l’âme, j’ai retrouvé le temps de quelques heures cette curiosité enfantine qui rythmait mes toutes premières visites.
Offrir une nouvelle vision de la Renaissance à travers l’installation d’œuvres contemporaines qui s’intègrent dans les salles du château : tel est l’objectif de ces enchantements. Mission réussie pour les deux artistes qui donnent à voir un aspect décalé des collections, tout en restant cohérent avec les œuvres originales. Banquet animé, meubles à secrets, mondes miniatures et robes immenses : en misant sur l’imaginaire à travers l’automate, cette expérience de visite inédite invite le visiteur dans un parcours féerique où la magie produit son effet.
Joanna Labussière
#azaylerideau
#pietsOetpeterkeene
#installationsoniriques
Pour en savoir plus :
-Sur le château d’Azay-le-Rideau :http://www.azay-le-rideau.fr/
-Sur l’exposition « Les enchantements d’Azay » :http://www.azay-le-rideau.fr/Actualites/Les-enchantements-d-Azay
-Sur le travail des plasticiens Piet.sO et Peter Keene :http://www.pietso.fr/,http://www.peter-keene.com/home.html
-Petit tour d’horizon des « Enchantements d’Azay »guidé par l’artiste Piet.sO :https://www.youtube.com/watch?v=tILcUSMAg_Y

Biennales et société : documenta (1/2)
Biennales peuvent-elles rimer avec impact social ? Plusieurs semblent prendre le chemin de ce pari, à l’image de la dernière documenta qui eut lieu entre Kassel et Athènes en 2017, ainsi que de la prochaine Manifesta qui se déroulera à Marseille du 28 août au 29 novembre 2020. Décryptage de l’histoire et de la réception de deux évènements souvent méconnus.
D’abord nées dans l’objectif de faire porter un regard différent sur la production artistique contemporaine, sur l’histoire de l’art ainsi que sur les façons d’exposer, certaines grandes expositions internationales d’art contemporain - souvent globalement qualifiées de « biennales » peu importe leur temporalité -, ont par la suite évolué vers une sélection d’œuvres de plus en plus connectées à des préoccupations sociales. Puis, récemment, plusieurs sont même sorties de cadres purement artistiques pour proposer des initiatives participatives avec leurs publics, voire même avec tout habitant ou passant susceptible d’être intéressé par leur démarche à l’échelle d’une ville ou d’un territoire. Un constat coïncidant avec la dernière programmation de la quinquennale documenta, ainsi que de la biennale Manifesta.
La documenta, des origines à nos jours
L’exposition documenta vit le jour en 1955, dans l’un des plus anciens musées publics du continent européen, le Fridericianum de Kassel, en Allemagne. Dix ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, elle souhaitait réintroduire l’art à un public qui en avait été privé pendant une longue période, se placer en rupture avec l’exposition d’art dégénéré de Munich de 1937, ainsi que recréer une histoire de l’art contemporain qui avait été rompue avec la guerre, tout en s’inspirant de mythiques expositions mondiales telle que l’Armory Show de New York de 1913, réputée pour avoir introduit l’art impressionniste, cubiste et fauviste au public américain.
Bien que cette exposition n’ait pas été pensée comme un évènement récurrent, après 100 jours d’ouverture, elle connut un tel succès, avec 130 000 visiteurs, qu’elle eut à nouveau lieu quatre ans plus tard pendant une même durée, puis finit par avoir lieu tous les cinq ans dès 1972. Ses éditions successives ont abordé des thèmes variés, souvent proches de la vie réelle et de ses grandes préoccupations. L’art y a souvent été présenté comme un médium porteur de changement social : la documenta 8, de 1987, aborda notamment la perte de l’utopie dans une société capitaliste avancée. La documenta 9, de 1992, souleva la critique de l’eurocentrisme occidental. La documenta 10, de 1997, exposa des œuvres en lien avec le post-colonialisme, l’urbanisme ou encore la signification de l’image dans une société de médias. Chacune de ses éditions furent uniques, dirigées par des commissaires d’exposition donnant un ton global au projet.
documenta 14, Learning from Athens, à Athènes du 8 avril au 16 juillet 2017 et à Kassel du 10 juin au 17 septembre 2017 ©documenta 14.
Toutes eurent majoritairement lieu à Kassel. En 2017, la dernière édition marqua l’histoire de la quinquennale. Adam Szymczyk, son commissaire d’exposition, partit du constat que le contexte dans lequel avait été créée la première documenta avait considérablement évolué et qu’il apparaissait nécessaire de la déplacer ainsi que de positionner le curseur sur une autre situation de fragmentation et de crise, raison pour laquelle il décida d’organiser l’évènement dans une autre ville en plus de la traditionnelle Kassel, en l’occurrence Athènes. Ainsi, pour la première fois en 14 éditions, l’évènement se divisa entièrement en deux et les 163 artistes participants durent proposer une œuvre ou une exposition pour les deux villes.
Son sous-titre, « Learning from Athens » (« Apprendre d’Athènes »), suggérait d’apprendre, dans le contexte de 2017, d’une ville et d’un pays croulant sous une crise économique et migratoire ainsi que sous des recommandations européennes, et donc d’une culture jugée dominée, voire oppressée. En collaborant avec le magazine athénien « South as a State of Mind » (« Le Sud comme état d’esprit »), l’exposition allemande marqua aussi sa volonté de nouer un dialogue entre Nord et Sud, un enjeu qui se retrouve fréquemment dans certaines biennales, particulièrement celles provenant de lieux à l’origine écartés de l’histoire de l’art et de ses circuits, telle que la Biennale de la Havane, qui s’attèle depuis 1984 à mettre en valeur la production artistique contemporaine extra-occidentale.
Dès lors, bien que certaines thématiques étaient présentes dans plusieurs éditions passées de la documenta, comme le déplacement de regard sur une ville et sur un territoire, ou la volonté de changement social, celles-ci parurent renforcées dans le contexte athénien à l’aide d’une programmation axée sur des projets à la fois artistiques et citoyens, proposés pendant, avant et après la quinquennale.
Rasheed Araeen, Shamiyaana – Food for Thought: Thought for Change, 2016-2017 ©Photo Yiannis Hadjiaslanis.
Rasheed Araeen présenta par exemple l’œuvre Shamiyaana – Food for Thought: Thought for Change sur la populaire place Kotzia, une installation colorée de shamianas (tentes traditionnelles pakistanaises de mariage) revisitées, dans lesquelles visiteurs tout comme passants furent invités à venir s’installer de préférence entre inconnus et à partager un repas gratuit ensemble, cuisiné par l’organisation Earth d’intégration de réfugiés et de demandeurs d’asile en Grèce. Deux repas quotidiens gratuits furent proposés chaque jour, du 8 avril au 17 juillet 2017.
Rick Lowe, Victoria Square Project, 2017 ©DR.
Rick Lowe, lui, s’intéressa à la situation de la place Victoria dans le quartier central de Kypséli, occupée à l’origine par des tentes de migrants. Il y monta le Victoria Square Project avec les artistes Klea Charitou et Elli Christaki, dans un local qu’il loua et dans lequel il créa un espace de mieux vivre ensemble et de valorisation du quartier, en partenariat avec la municipalité. Workshops, cours de langue, espaces de discussions et de conception d’exposition y fleurirent pour créer des liens entre les habitants du quartier et les migrants, de sorte que chacun puisse trouver sa place et se faire entendre. Aujourd’hui, cet espace est toujours en activité.
Avant l’ouverture officielle de l’évènement à Athènes et Kassel fut également proposée une programmation publique, dirigée par le philosophe et activiste Paul B. Preciado et intitulée « The Parliament of Bodies » (« Le Parlement des corps ») : un espace de débat et de critique, où artistes, activistes, publics, passants, réfugiés, locaux, internationaux et encore universitaires purent se poser collectivement des questions autour de moyens de pallier un effondrement démocratique, entre autres.
L’équipe de la documenta avait choisi le titre de ce pré-programme après avoir constaté que les institutions publiques grecques ne remplissaient pas leur devoir de représentation des citoyens au vu des nombreuses problématiques que renfermait la ville. Elle était donc partie du principe que le vrai parlement ne se trouvait plus à l’intérieur de ces institutions, mais en dehors, dans la rue, et plus constitué seulement de citoyens, mais d’Hommes aux multiples origines et situations, autrement dit, de corps. Après la documenta, l’initiative The Parliament of Bodies continua à avoir lieu, au Musée d’art moderne de Varsovie, au musée Kölnischer Kunstverein de Cologne, ainsi qu’à la triennale de Bergen en Norvège.
Une dernière édition particulièrement critiquée
Tag dans les rues d’Athènes, 2017 ©DR.
Malgré ces initiatives et propositions, l’ensemble de l’édition de la documenta fut amèrement critiquée, notamment dans les médias, mais aussi sur les murs de la capitale grecque. Un collectif athénien, OI I8AGENEIS, diffusa le message : « Dear documenta, it must be nice to critique capitalism etc. with a 38 (70?) million euro budget. Sincerely, OI I8AGENEIS » (« Chère documenta, cela doit être plaisant de critiquer le capitalisme etc. avec un budget de 38 (70?) million d’euros. Sincèrement, OI I8AGENEIS »). La bonne volonté de l’édition fut remise en question, avec des messages exposés sur la voie publique tels que : « The crisis of a commodity, or the commodity of crisis ? » (« Une crise de denrées, ou la commodité d’une crise ? »). Et elle se vit même renommée « crapumenta 14 » (« crasseuse documenta 14 »).
Sa démarche fut considérée comme impérialiste, de la part d’une exposition se déroulant à l’origine quasi-uniquement en Allemagne, un pays qui jouait alors un rôle de premier plan dans les négociations européennes sur la crise et qui menait une politique interventionniste.
Et l’économiste grec Yánis Varoufákis vit l’évènement comme une incitation au tourisme de crise. Il n’hésita pas à souligner que celui-ci mobilisait toutes les ressources disponibles de la scène culturelle locale, en obtenant des locaux gratuits de la part de la municipalité, en louant à un prix dérisoire des institutions entières telle que le Musée national d’art contemporain (EMST) et en se faisant même prêter des chambres par des hôtels.
Tag dans les rues d’Athènes, 2017 ©DR.
Pour répondre à certaines de ces observations, il est vrai que ce double-évènement disposait d’un budget plus que conséquent : 47,3 millions d’euros, provenant à la fois de fonds allemands et grecs, publics comme privés, avec un soutien important de la compagnie aérienne grecque Aegean par exemple, qui augmenta même le nombre de vols et de liaisons gréco-allemandes pour l’occasion, ainsi que de nombreuses facilitations accordées par la capitale grecque pour un évènement allemand ne mettant pas forcément toujours en valeur la production artistique locale.
Toutefois, il fut aussi l’une des expositions d’art contemporain les plus visitées au monde, attirant 1,231 millions de visiteurs entre Athènes et Kassel. Bien qu’il soit utopique de penser qu’il ait pu changer le regard porté sur la ville et sur ce pays endigué dans une crise complexe et multiple, ou résoudre tout ou partie de ses problèmes, il n’en est pas moins qu’il permit des rencontres et des liens entre artistes, collectifs d’artistes et penseurs venus du monde entier, créant une émulation non négligeable et un terrain de réflexion autour de thèmes cruciaux.
La prochaine édition de la documenta, qui aura lieu en 2022 à Kassel, s’organise déjà. Ses commissaires d’exposition font partie d’un collectif d’artistes de Jakarta, Ruangrupa, et les thématiques qu’ils souhaitent explorer paraissent encore une fois traverser les cercles artistiques purs pour rejoindre la vie quotidienne, ses questionnements et ses valeurs, telles que la coopération, la solidarité, la défense des uns et des autres, l’empathie, le partage ou encore la générosité, s’inspirant en l’occurrence du système du lumbung, hutte indonésienne servant originellement à stocker des biens communs. Pas de déplacement cette fois-ci donc, mais une édition qui méritera également d’être suivie de près.
Laurence Amsalem
Pour aller plus loin (ressources en anglais) :
Site de la documenta 14
Vidéo sur le Victoria Square Project de Rick Lowe
Détails sur la programmation publique de Paul B. Preciado
Discussion entre Yánis Varoufákis et iLiana Fokianaki sur la documenta 14
#expositionsinternationales
#biennales
#documenta

Biennales et société : Manifesta (2/2)
Genèse
La biennale nomade européenne Manifesta fut pensée en 1991 aux Pays-Bas par le département culturel du Ministère des affaires étrangères et sa première édition vit le jour en 1996 à Rotterdam. Son objectif principal était alors de défaire la dualité Est-Ouest qui s’était installée entre les sociétés pendant la guerre froide, plusieurs années après la chute du mur de Berlin, au moyen d’une programmation artistique contemporaine transgressant toute barrière sociale, régionale, linguistique, économique ou idéologique en Europe.
Depuis sa création, l’évènement est dirigé par l’historienne de l’art néerlandaise Hedwig Fijen, qui pilote une nouvelle équipe de commissaires d’exposition tous les deux ans, s’acclimatant à une ville ou à un territoire changeant et mêlant l’art contemporain au sens large à des problématiques culturelles, philosophiques, politiques, historiques et sociales.
Parmi ses éditions marquantes figure Manifesta 7, qui eut lieu à Trentino, en Italie, en 2008 et qui vit, selon sa directrice, le projet fusionner véritablement avec les communautés locales ainsi que s’étendre à toute une région et non plus seulement à une ville, à l’aide d’une centaine d’initiatives artistiques développées dans les Dolomites. Cette édition vit également naître un département d’éducation animé par 20 médiateurs, qui perdure encore aujourd’hui.
Carte des déplacements de la biennale, 1996-2020 ©Manifesta.
Manifesta 13 : détail de la programmation
En 2020, Manifesta s’installe pour la première fois en France, à Marseille, métropole à l’identité hétérogène qui intéresse la biennale pour les nombreux défis qu’elle comporte. Ville d’arrivée et de départ, tournée vers la Méditerranée, au centre de l’Europe, aux conditions sociales et politiques uniques, aux nombreuses résistances incarnées notamment par sa dynamique associative et citoyenne, elle inspire à la programmation principale de la biennale l’appellation Traits d’union.s, traduisant la forte volonté de l’évènement de créer des liens et des discussions ainsi que de faire naître des projets entre les habitants, les institutions culturelles publiques locales et les associations.
Pour la municipalité, qui s’était chargée de déposer la candidature de la ville auprès de la biennale, l’idée était de continuer à faire vivre l’énergie conséquente qui avait été mobilisée dans le cadre de la nomination de Marseille comme capitale de la culture en 2013, un évènement fort, qui avait généré un changement des regards à la fois externe et interne sur la ville.
Au sein même de l’évènement se déclinent plusieurs propositions et temporalités. Bien que l’ensemble de la programmation officielle, Traits d’union.s, se déroulera principalement dans des institutions et lieux mythiques de la ville, une programmation annexe, Les Parallèles du Sud, aura également lieu dans toute la région, d’Arles à Monaco, proposant 86 projets hétéroclites parmi lesquels expositions, installations, conférences, tables rondes et universités d’été. Avant ce lancement officiel, la biennale a également été la commanditaire d’une étude urbaine complète, a mené un important travail de recherche pendant plus de deux ans et a ouvert deux lieux de rencontres et d’expositions mettant à l’honneur les acteurs non-institutionnels de la ville, à proximité de la gare Saint-Charles et sur La Canebière.
Les trois volets du programme de Manifesta 13, 2020 ©Manifesta.
En effet, depuis sa dernière édition, qui eut lieu en 2018 à Palerme, Manifesta commande une étude urbaine à un cabinet pour mieux saisir les complexités et besoins de sa ville-hôte et bâtir son concept artistique et sa programmation. À Marseille, cette étude, intitulée Le Grand Puzzle, a été réalisée par Winy Maas, de l’agence d’architecture et d’urbanisme néerlandaise MVRDV. Celle-ci a analysé la façon dont les habitants pensent leur ville, les liens entre la ville, le reste de la France, l’Europe et la Méditerranée et tiré des parallèles entre Marseille et d’autres métropoles européennes sur des points précis (transports, pollution, logement…).
À partir de cette étude, un projet, dénommé Le Tour de Tous les Possibles, a été lancé en janvier 2020 et a réuni plus de 500 citoyens de tous âges, milieux, quartiers ou origines, répartis en une vingtaine d’ateliers dans le but d’imaginer le futur de la ville vis-à-vis de six thèmes : l’accessibilité, l’authenticité, le collectif, l’écologie, l’inclusion et l’innovation. De nombreuses idées en ont émergé.
Parmi les deux lieux de rencontre ouverts en amont de la programmation officielle, le Tiers Programme met l’accent sur les associations locales et sur les initiatives citoyennes en proposant un cycle de 8 expositions autour d’archives collectées et issues d’une collaboration entre artistes, éducateurs, médiateurs, chercheurs, enseignants, étudiants, habitants et structures citoyennes de quartiers, Les Archives Invisibles. Situé dans le quartier de Belsunce, à proximité de la gare, dans un ancien snack attenant à une résidence étudiante, son espace a été transformé par des étudiants de l’école supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée (ESADMM) sous la direction d’un studio de design et d’architecture hollandais, Cookies.
Du 12 juin au 11 juillet y fut présentée l’exposition ARchive Invisible #4: Le voyage marseillais de Sara Sadik, conçue en partenariat avec l’association MADE (Marseille en Action pour le Développement et l’Echange) et plus particulièrement avec MADE in Bassens, proposant une aide aux devoirs, des cours d’alphabétisation, des sorties ainsi que des activités pour les habitants de la cité de Bassens, au nord de Marseille, construite en urgence dès 1963 pour loger des familles à l’emplacement du bidonville des Treize-Coins.
Vue de l’exposition ARchive Invisible #4: Le voyage marseillais de Sara Sadik ©LA.
Inscription locale
Malgré la richesse de ses propositions et son ambition d'action culturelle, il apparaîtrait que Manifesta reste considéré comme un évènement d’art contemporain de niche davantage que comme « l’un des rendez-vous artistiques les plus influents au monde, étudiant et favorisant des changements sociétaux positifs en Europe à travers la culture contemporaine », tel que l’affirme sa directrice, Hedwig Fijen.
Au niveau de sa communication, il est vrai que Manifesta comporte tous les codes d’un évènement international d’art contemporain. Aux prémices de son installation à Marseille, les informations étaient rares et majoritairement accessibles en anglais. Certains ne comprenaient pas son logo, le confondant même avec celui du groupe Extinction Rébellion. Les multiples titres accompagnant la biennale purent être également difficiles à décoder. Que pourrait bien signifier Traits d’Union.s, Les Parallèles du Sud, Le Grand Puzzle, Le Tour de Tous les Possibles, Tiers Programme ou encore Les Archives Invisibles à tout un chacun souhaitant simplement se renseigner sur l’évènement ? Des appellations pouvant interpeller, mais aussi rendre perplexe, voire repousser.
Au niveau de la collaboration avec les acteurs des institutions locales, particulièrement publiques, la confrontation à l’art contemporain put être déstabilisante pour des professionnels hors de ce champ et n’y étant pas forcément sensibles. La communication put aussi être difficile entre les parties, pour ces questions de sensibilité, mais aussi de modes de fonctionner, différents d’un univers expographique à l’autre, ainsi que d’un pays à un autre. D’ailleurs, le fait que l’évènement soit organisé par des commissaires internationaux put également questionner sur leur connaissance de la ville, omettant le fait que pour concevoir leur programmation, ils eurent, eux aussi, comme tout conservateur, muséographe, commissaire ou curateur, à creuser le sujet et à étudier l’histoire et les enjeux du territoire. D’ailleurs, il n’est pas à exclure non plus que leur méconnaissance de la ville et de la région les ait même aidés à formuler de nouvelles idées et à développer leur créativité, libérée de toutes barrières mentales.
Vue du Fort Saint-Jean vers Notre-Dame de la Garde ©Manifesta.
Pour ce qui est de la collaboration avec les associations, elle est en effet cruciale dans une ville comme Marseille, qui compte, comme l’a justement repéré Manifesta, de nombreux enjeux et dans laquelle les habitants n’hésitent pas à se mobiliser et à se réunir, à imaginer des bureaux collectifs et des espaces mixtes partagés, à organiser des sit-in lorsque des causes leur tiennent à cœur, à mener des discussions de quartier ou encore des distributions de repas, parmi tant d’autres actions.
Les valoriser est donc une très bonne initiative, mais il serait souhaitable de leur offrir une reconnaissance plus large au-delà de Manifesta, d’autant plus qu’entre elles, ces associations sont déjà solidaires à leur échelle. Pour les migrations par exemple, qui est l’un des sujets de prédilection de la biennale, l’association Ancrages mobilise déjà énormément de forces pour mettre en valeur un nombre incommensurable d’initiatives locales.
Ainsi, l’art figure bien aujourd’hui parmi les moyens d’impulser des initiatives de grande ampleur sur une ville ou un territoire et est un excellent vecteur de mise en valeur d’initiatives et de problématiques locales, de réflexion et parfois même de changement. Toutefois, deux points appellent à la vigilance : la communication envers les publics récepteurs d’évènements tels que Manifesta ou documenta, pour que chacun puisse s’emparer de leurs enjeux et les considérer comme une chance à exploiter, afin d’en tirer le plus grand bienfait ; mais aussi l’attention politique envers ces initiatives de grande ampleur, qui doit être certes importante, mais pas disproportionnée en regard d’autres.
Laurence Amsalem
Pour aller plus loin :
Site internet de Manifesta 13
Article du journal Made in Marseille sur Le Tour de Tous les Possibles
#expositionsinternationales
#biennales
#Manifesta
Ceci n'est pas une danse
Dans le cadre de Incorporated! [1], la 5ème édition des Ateliers de Rennes - Biennale d'Art Contemporain, dancers sleeping inside a building, création de l'artiste Jean-Pascal Flavien, est présentée au Musée de la danse, coproducteur de l'oeuvre. En collaboration avec l'ESAB - École Supérieure d'Art de Bretagne, une maison conçue pour accueillir le sommeil des danseurs est installée au jardin partagé entre les deux institutions.
Sachant qu'il s'agit d'une oeuvre expérimentale mêlant danse et art contemporain, notre interrogation s’ancre à partir de la connotation des mots exposition et répétition publique, mentionnées aux infos pratiques.
Jean-Pascal Flavien est un artiste qui réalise des maisons conçues chacune selon une proposition différente. Cette fois, fruit des questions qui croisent l'univers de la danse et du sommeil, la maison a été construite pour être habitée par des danseurs et, d'une façon expérimentale, répondre (ou pas) à des questionnements comme : est-ce que les danseurs le sont-ils en permanence ? On reste des danseurs même quand on dort ? Le travail du danseur pénètre son sommeil ? Comment l'espace conditionne-t-il les mouvements du corps ?
En rassemblant les concepts de Incorporated! et de Le Corbusier, pour qui: "une maison est une machine à habiter" [2], voire à incorporer, Jean-Pascal Flavien définit sa maison en tant qu'oeuvre d'art matérielle dont le contenu accueille des états physiques invisibles, immatériels. "La maison ne devient vraiment une oeuvre que lorsqu'elle réalise son être de maison, à savoir : être habitée". [3]
Vue de la maison à l'extérieur © L.M
Pour justement habiter cette maison, dix danseurs ont été invités à participer à l'expérience entre septembre et décembre 2016, durant à peu près cinq jours chacun. En fait, la maison n'est occupée que pendant la nuit,strictement pour le sommeil. Pendant la journée, la maison reste ouverte à la visite du public, qui compte sur la présence d'un médiateur, élève de l'ESAB, pour lui raconter la partie inaccessible au regard de son activité. En outre, une répétition publique avec le danseur a lieu à la maison chaque jour.
Processus spéculatif
Thierry Micouin a été le troisième danseur à habiter la maison. En arrivant au Musée de la danse pour regarder sa répétition, on ne voit pas un spectacle de danse. Ni une chorégraphie. Même pas une petite performance. Non, ceci n'est pas une danse. Le danseur est bien présent, mais au lieu de répéter, il parle. Pendant une heure il raconte verbalement son expérience de sommeil à la maison. Il partage avec le public ses pensées autour du concept et de la réalisation de ce projet artistique. Il répond également aux questions émergeant de la curiosité des visiteurs. Au lieu de chorégraphier son sommeil, Thierry a crée des registres de son expérience sous forme de photographies et vidéos. Il a exposé cette documentation dans la maison, qui reste visible au public en dehors du temps de répétition. La maison ne lui pas inspiré une démarche chorégraphiée,contrairement à la proposition initiale de Jean-Pascal Flavien. Mais Thierry a raconté que les registres photographiques et audiovisuelles ont toujours fait partie de son processus chorégraphique.
Des registres photographiques de Thierry Micouin à l'intérieure de la maison © L.M
Certains danseurs ont bien performé le sommeil à la maison pendant la répétition publique. Certains ont fait participer activement le public pendant la répétition en suivant des consignes données par le danseur. D’autres ont invité leur famille pour dormir ensemble à la maison... En d'autres termes, on a des multiples possibilités d'expérimentation de cette oeuvre d'art.
Attribution partagée
La répétition publique a d'abord été pensé par Jean-Pascal Flavien comme une vraie répétition de ce qui a été réalisé par le danseur la nuit précédente. Comme si la nuit était le moment de recherche, d'exploration des possibilités, et tout cela serait condensé et performé pendant une heure au regard du public. Mais cette notion de répétition a pourtant été modifiée au fur et à mesure que les jours de l'exposition se déroulaient.
Finalement, chaque danseur utilise son temps de répétition de la façon qui lui convient le mieux. Le danseur est lui aussi l'artiste. La plupart(voire tous) de ceux qui étaient invités à participer à l'oeuvre de Jean-Pascal Flavien sont aussi des chorégraphes, ayant leur propre processus artistique, caractéristique de chacun. Si on a dix danseurs qui interviennent à la maison, on aura forcément dix propositions très différentes. L'oeuvre assume donc un caractère hybride.
Alors, un danseur dormant dans cette maison devient-il de facto une oeuvre de Jean-Pascal Flavien ? Ou, au contraire, en habitant à la maison, le danseur reformule l'oeuvre et devient son co-auteur ?
Autonomie de l'oeuvre
La répétition publique est le seul moment où la performance menée parle danseur est vue par des spectateurs. En revanche, il n'est pas le seul moment où l'oeuvre reçoit le public, si on considère que la visite de la maison est ouverte pendant toute la journée, y compris l'accompagnement d'un médiateur, ainsi que la possible intervention fait par le danseur (comme dans le cas mentionné, sous forme de registres audiovisuels).
La documentation vidéo de Thierry Micouin de son sommeil à la maison © L.M
On pose alors des questions qui concernent l'exposition et l'autonomie de l'oeuvre : la présence du public est-elle impérativement nécessaire pour que l'art de la performance soit considéré comme une exposition ? Et quel est donc le rôle du registre artistique ? Est-il un outil pour témoigner le processus artistique caché au regard du public ? Est-il un moyen d'accéder à la réalité passée de la performance ? Ou encore, en remplaçant la réalité qu'il documente, devient-il une oeuvre d'art autonome ? [4]
Placé dans une institution-laboratoire [5], comme s'auto-intitule le Musée de la danse, l'oeuvre dancers sleeping inside a building n'a pas forcément pour but de répondre à des questionnements, sinon de nous conduire à la réflexion et d’approfondir les potentialités croisées entre l'exposition et le geste performatif.
Luana Medeiros
#performance
#documentationartistique
Infos pratiques de l'exposition : Exposition ouverte du 01/10 au11/12/2016, de mardi à dimanche de 14h à 18h. Répétition publique entre 17het 18h.
[1] www.lesateliersderennes.fr/les-editions/incorporated
[2] Vers une architecture, Le Corbusier, éd. G. Crès,1924, p. 73
[3] Dancers sleeping inside a building - Catalogue de l'exposition, Jean-Pascal Flavien
[4] A Performatividade da Documentação de Performance, Philip Auslander, eRevista Performatus, Inhumas, ano 2, n. 7, nov. 2013
[5] www.museedeladanse.org

Ceci n'est pas...
3h30 à Courtrai le 18 novembre 2015, sur la Korte Steenstraat, une vitrine métallique s’ouvre sous le regard intrigué de quelques passants. Nous sommes devant de l’installation Ceci n’est pas... de Dries Verhoeven, elle s’ouvre ici pour le 6ème jour consécutif. Le rideau se lève.
13h30 à Courtrai le 18novembre 2015, sur la Korte Steenstraat, une vitrine métallique s’ouvre sous le regard intrigué de quelques passants. Nous sommes devant de l’installation Ceci n’est pas... de Dries Verhoeven, elle s’ouvre ici pour le 6ème jour consécutif. Le rideau se lève. Un personnage assis sur une balançoire bouge au rythme d’un bruit sourd. Il est vêtu uniquement d’un body couleur chair et d’une paire d’ailes en plumes orange. «Tu es un homme ou une femme ? » l’interroge une passante. Le personnage la regarde en souriant, muet. Cette question se répète de nombreuses fois au cours de la performance. Car il s'agit bien d'une des questions posées implicitement par l'artiste à travers ce tableau humain.
Présentée dans le cadre du NEXT Festival, cette installation est issue de la série Ceci n'est pas...de l'artiste Dries Verhoeven qui comprend dix différentes scènes dans une boîte en verre insonorisée. Il présente dans ces boîtes des personnages joués par des acteurs dans des scènes “perturbantes”. La veille, dans Ceci n’est pas de l’histoire, un homme noir enchaîné comme un esclave endossait le rôle de Père Fouettard. Le lendemain, Ceci n’est pas notre peur montrait un homme en train de faire la prière musulmane, en écho avec les attentats terroristes ayant eu lieu en France. A travers sa série, Dries Verhoeven entend montrer des situations suscitant un “malaise collectif”, des images provocantes.
L’installation du 18novembre illustre ce malaise, perceptible à travers les réactions du public que nous avons constaté. C'est ici la notion de genre qui est abordée. A première vue, c'est une femme avec de longs cheveux blonds. Cependant, sa tenue moulante dévoile un corps androgyne, des jambes musclées et un sexe d'homme. A travers les réactions collectées, la question du genre de la personne n'est pas tranchée : tous les spectateurs hésitent entre homme ou femme mais ils envisagent rarement la possibilité des deux sexes chez une même personne. Mais avant le sujet de l'œuvre, c'est la curiosité qui attire de nombreux passants. Ils veulent voir de quoi il s'agit. : "Qu'est ce qu'il fait là ?", "Est-ce vraiment un humain ou est-ce une poupée ?" semblent-ils penser. Beaucoup d'entre eux s'arrêtent, y compris des cyclistes, pour regarder. Certaines personnes attendent quelque chose puis en voyant que "rien" ne se passe, ils repartent. Certains ne s'arrêtent pas mais se retournent plusieurs fois. D'autres prennent des photographies ou se prennent en groupe avec l'œuvre en arrière-plan. Cette installation suscite toujours une réaction, elle interpelle les passants, rarement indifférents. Sa place dans l'espace public dérange, crée une rupture.
Une jeune adolescente s'approche vers nous et nous demande en flamand "C'est une femme ou un homme ?". Elle nous explique ensuite en anglais qu'elle n'aime pas vraiment ce genre d'installation dans la rue. Pas personnellement mais car l'œuvre se situe à Courtrai. "Ici les personnes jugent" précise t-elle. Pourtant, un photographe avoue qu'il a été surpris de la bienveillance et de la tolérance des gens même face aux autres "tableaux" présentés par l'artiste les jours précédents, comme une jeune fille enceinte qui danse.Plus tard, la même adolescente dit son incompréhension mais en lisant le cartel, elle y a trouvé du sens : "There is a meaning, it's different".Pour autant le discours de l'œuvre et le cartel ne répondent qu’à une partie des interrogations : un court texte accompagne l'oeuvre mais ne la commente pas vraiment. Il constate des faits liés au monde occidental, à la société belge, en lien avec la thématique de la scène du jour. Il y est écrit :
" Dans le monde occidental, la pensée s’inscrit dans la dichotomie homme/femme. Selon Freud, la première chose que nous constatons à chaque nouveau contact est si quelqu’un est homme ou femme. Quand la reconnaissance du sexe ne se déroule pas automatiquement, cela engendre de l’incompréhension, de l’irritation ou de la joyeuse confusion. En Belgique, l’état civil permet de changer de sexe si la personne en question a la conviction permanente et irréversible d’appartenir à l’autre sexe et si une intervention médicale a rendu impossible sa capacité de reproduction. Contrairement à l’Australie, par exemple, le choix de n’appartenir à aucun des deux sexes n’est pas possible en Belgique. Les personnes à l’identité de genre trouble se heurtent toujours à beaucoup d’incompréhension sur le plan social, et plus particulièrement de la part des milieux religieux traditionnels.Cependant, trouver un emploi n’est souvent pas simple non plus pour ces personnes, si ce n’est dans l’industrie du divertissement."
Etant si général, le texte, tout comme l'œuvre laisse planer de nombreux doutes chez les spectateurs. Aucune médiation n'est proposée, le spectateur est seul face à ses interrogations. Des personnes se posent des questions entre elles, essayent de nous en poser, sans réponses précises. C'est justement sur cette ambivalence que joue Dries Verhoeven. Il ne répond jamais aux questions posées par l'œuvre,il suscite un débat et une réflexion chez les spectateurs. Dans la présentation de sa série, il interroge : “Why are some images considered tainted when they weretolerated just twenty years ago ? (Pourquoi certaines images sont-elles considérées comme immorales alors qu'elles étaient tolérées il y a seulement vingt ans ?) " ou "Is it good that our children do not see certain things, or have we gone to the extremes inour drive to protect? (Est-ce une bonne chose que nos enfants ne voient pas certaines choses ou sommes-nous devenus trop extrêmes dans nos attitudes de protection ?)". Toutes ces performances abordent une question d'actualité : elles touchent nos instincts et nos sentiments comme la peur, le dégoût, la honte... La neutralité est presque impossible : chaque personne interrogée donne un avis et expose une certaine vision de la société.L’artiste explique qu’il présente des acteurs comme des images commerciales pour pousser les visiteurs à avoir une relation avec ce qu’ils voient.
Les bruits qui accompagnent l'installation du 18 novembre transforment cette personne en une attraction de foire, comme dans une galerie des monstres contemporaine. À de nombreuses reprises, le rideau tombe et l'œuvre est dévoilée de nouveau. Dans son dispositif même, la notion de dévoilement et de spectaculaire est palpable.Quasi nu, le corps androgyne est exposé à la vue et au jugement de tous. "C'est original" commente un homme qui a profité de sa pause déjeuner pour se rendre sur place avec ses collègues. Mi-gênés, mi-intrigués, ils restent postés un moment face à la vitrine de verre.La force de l'œuvre réside aussi dans les débats qu'elle suscite. Cela est le cas avec toute la série Ceci n'est pas. Dans chaque ville où les œuvres ont été présentées, la presse en parlait, les réactions du public étaient recueillies, accueillantes ou hostiles. Devant, les personnes s'interrogent sur la difficulté de vivre cet entre-deux, à la fois homme et femme. Des questions éthiques, scientifiques, sociales émergent : doit-on rester comme nous sommes ?Avons-nous en nous-mêmes une nature d'homme ou de femme ? Peut-on être asexué ?Face à ces questions, les adultes s'avèrent parfois plus ouverts que les jeunes. "Moi, je n'ai aucun problème avec cela" avoue une passante tandis qu'un jeune avec son groupe d'amis explique "On doit rester comme on est (...) Tu dois rester homme parce que la nature a décidé que tu es né ainsi". Est-ce pour cette raison que l'installation s'intitule Ceci n'est pas la nature ? Le titre,comme celui de toute la série, semble plutôt être un pied de nez.Implicitement, il invite à se rendre compte de l'absurdité de nos préjugés. Tout au long de l'après-midi, le personnage se balance et les bruits sourds de la foule se poursuivent. Ce bruit festif et les plumes colorées évoquent la scène queer ou le Carnaval de Rio, où le genre n'a pas d'importance.
J. Deschodt, T. Rin et H. Ferrand
Crédits photo : T. Rin et J. Deschodt
#NEXTFestival
#artcontemporain
Pour découvrir l'installation :
Vidéo réalisée par J. Deschodt :https://vimeo.com/150199389
Pour aller plus loin :
Vidéo réalisée par les fondateurs du site Ceci n'est pas Kortrijk :https://www.youtube.com/watch?v=yGzRr3APjpA
Site de l'artiste et présentation du projet (EN) :
http://driesverhoeven.com/en/project/ceci-nest-pas/

Changement de point de vue à la Biennale de Lyon
Avant toute chose, une petite mise en contexte s’impose. Au programme cette année : 12 lieux d’expositions, près de 200 artistes et des missions culturelles dans toute la Région Auvergne Rhône Alpes ; de quoi réjouir tous les publics. Les commissaires, Sam Bardaouil et Till Fellrath, directeurs du musée d’Art contemporain de Berlin, on eut trois années pour préparer cette exposition, plus monumentale que les Biennales précédentes. Nommée « Manifesto of Fragility », elle est pour eux l’occasion de rallier toutes les voix qui mettent en valeur la fragilité et de créer un dialogue entre les participants. La fragilité est souvent vue dans notre société comme une faiblesse, elle représente ce qui se brise facilement, ce qui ne résiste pas. On dira de quelqu’un qui est fragile qu’il est délicat, voire faible. Ici, elle nous est montrée comme une force de résistance, et comme un passage obligatoire de notre existence. Elle devient un vrai atout. Réussir à montrer et exprimer sa fragilité c’est réussir à s’ouvrir au monde, c’est ne pas avoir peur de montrer qui nous sommes réellement. Aussi, leur volonté de s’inscrire dans un avenir plus durable et équitable passe nécessairement par le partage, et donc par la construction d’un manifeste collectif. Pour cela, la Biennale organise de nombreuses rencontres entre les artistes et les locaux, notamment grâce à Veduta 1.
Image d'intro : Ruines flottantes, Clemens Behr, ©J.D.
Et si, nous aussi, nous écrivions un article collectif ? Si nous passions de l’autre côté, du côté des petites mains de la Biennale ? Ceux qui ont œuvré pour nous offrir cette exposition riche de sens ? Une nouvelle dimension, un nouveau point de vue, pourraient s’offrir à nous. Pléthore d’articles nous disent déjà quelle est l’œuvre à ne surtout pas manquer et qu’ont voulu dire les commissaires et la directrice artistique, Isabelle Bertolotti. Mais qui parle des monteurs et monteuses ? Des régisseurs et régisseuses ? Leur parole est très rarement médiatisée.
Trois employés se sont prêtés au jeu et vont nous permettre de découvrir cette exposition à travers leur parcours et leurs œuvres préférées.
Commençons par Théo, le plus expérimenté. Cela fait déjà 5 éditions auxquelles il participe. Il a toujours fait partie de l’équipe site2, et cela fait 5 ans qu’il s’est spécialisé en soudure et métallerie. Il y a 11 ans, il n’avait jamais mis les pieds dans une exposition de ce genre, et venait uniquement pour faire valoir ses compétences techniques. Aujourd’hui, son rapport à l’Art a évolué. Même s’il ne se considère pas comme adepte de l’Art contemporain, il apprécie visiter les différents lieux et réussit même à se faire surprendre par certaines œuvres. Mohamad Abdouni et Feel Only Fear,lui ont mis « une vraie claque ». Le bâtiment syndical des usines Fagor qui tombe en ruine accueillent les photographies de ce jeune artiste libanais l’a conquis. Dans ces œuvres, Mohamad s’intéresse aux moments d’intimité, et notamment à ceux des communautés queer du Moyen Orient. Pour empêcher que les souvenirs disparaissent, cet artiste archive ces récits de vie et parfois de résilience. Pour la 16ème biennale, Mohamad Abdouni a décidé de se concentrer sur les différentes générations LGBTQIA+ dans les régions d’Asie du Sud-Ouest et Afrique du Nord. A travers quelques photographies, courts métrages et témoignages, le visiteur découvre dans un enchevêtrement de pièces les souvenirs de quelques personnes. Cette œuvre très personnelle et touchante a marqué Théo, et ce n’est pas la seule.
Feel Only Fear, Mohamad Abdouni, ©J.D.
Toujours sur le site des Usines Fagor, comme de nombreux visiteurs et journalistes, Théo a aimé l’œuvre de Hans Op de Beeck. Cet artiste belge a opté pour une installation complètement immersive dans une halle de près de 2000m². We were the Last to Stay est l’œuvre la plus grande de cette Biennale. Elle plonge le visiteur dans un monde apocalyptique où une grisaille interminable règne. Une couche de cendre s’est déposée sur l’entièreté de cette reconstitution de lieu de vie. Telle une ville fantôme, la vie semble s’être évaporée en un instant et laisse un ensemble complètement figé. Il nous conseille de nous y rendre juste avant la fermeture du site, afin d’être complètement plongé dans cette expérience, plus seul, plus immergé. Cette installation a aussi parlé à Can, mais pour des raisons différentes.
Monteur débutant, c’est comme cela que Can est qualifié au sein des équipes de cette Biennale. A chaque édition, la direction technique permet à une vingtaine de personnes de découvrir le montage. Accompagnés et encadrés par les monteurs pros, ils apprennent très vite et ce n’est pas rare de les retrouver quelques années après, en train de transmettre leur savoir. Pour sa première participation à la Biennale de Lyon, Can a longtemps travaillé sur le projet de Hans Op de Beeck. Entre construction et peinture grise, il connaît par cœur chaque objet de cette œuvre monumentale. Son équipe et lui ressentent une vraie fierté de la voir enfin se concrétiser après près de 2 mois à y travailler. Il se souvient surtout des tonnes de graviers qu’ils ont dû transporter et peindre, un à un, dans ce fameux gris. Il n’avait jamais œuvré auparavant du côté technique d’un tel évènement. Après un Master en Histoire de l’Art, Can a eu la chance de travailler pour le musée d’Art Contemporain de Bordeaux, dans la partie recherches. Cet été, il avait envie de découvrir l’aspect technique, pas seulement d’un point de vue extérieur mais en expérimentant réellement ce qu’est le montage. Avoir l’opportunité de travailler directement sur les œuvres, lui a énormément plu.
C’est d’ailleurs grâce à cela qu’il a découvert en avant-première l’œuvre Virgo de Pedro Gomez Egana. C’est son coup de cœur et il nous recommande vivement de prendre le temps de la découvrir. Certes, le fait de travailler directement sur l’œuvre lui apporte une vision différente du travail produit, d’autant qu’il a été présent du déchargement aux finitions. Cependant, ce qui l’a le plus marqué sont les moments singuliers et rares qu’il a partagé avec les autres monteurs, l’artiste et son assistant, qui travaillaient et œuvraient tous ensemble pour rendre cette installation réelle. En dernier argument, la forme géométrique de l’œuvre et son concept allié à l’approche du sensible et de la fragilité a fini de conquérir Can. Cet appartement séparé par 29 parois modulaires repense l’espace de vie comme dynamique et en évolution constante. Une construction qui semblerait solide et durable se révèle en réalité être suspendu dans un état de fragilité constante. De plus, l’œuvre est animée grâce à des performeurs qui viennent modifier l’aménagement de cet appartement, ce qui renforce évidemment l’idée que même notre intérieur, si protecteur, n’est pas immuable. Cette installation monumentale trône aux Usines Fagor au début du parcours de visite, immanquable : le blanc des parois tranche avec le décor gris de la halle et attire forcément notre regard.
Virgo,Pedro Gomez Egana, ©J.D.
Finissons notre visite de Fagor avant de nous rendre dans Lyon. Lucie n'a pas réussi à choisir une seule œuvre et nous propose d’en découvrir plusieurs. Formée en Histoire de l’Art à l’école du Louvre puis en muséologie, elle souhaitait concrétiser ses connaissances. Après avoir participé à la production du festival de photographies à Arles, elle a rejoint la Biennale en avril 2022 et y travaille toujours actuellement. Ces missions ont été variées. Elle a d’abord été recrutée en tant qu’assistante aux expositions, pour la production d’œuvres, les enjeux scénographiques et la gestion des fournisseurs et des partenaires. A l’arrivée du régisseur général, ils ont formé un duo et se sont occupés de communiquer avec l’ensemble des artistes afin de cerner leurs intentions, leurs demandes. Pendant le montage, il fallait qu’elle soit sur tous les lieux à la fois et en contact avec l’ensemble des acteurs : les artistes, les régisseurs de sites, les commissaires, sans négliger les prestataires et les partenaires. Elle a donc eu le temps de découvrir les œuvres et les artistes sous tous les angles. C’est d’ailleurs sûrement pour cela qu’elle ne peut pas choisir une seule œuvre.
Pour un petit tour à Fagor, Lucie nous conseille de voir, dans l’ordre du parcours, Sound of Hatching de Klara Hosnedlova, puis le travail de Clemens Behr. Ce jeune artiste allemand a commencé son travail pratique dès juillet. Il a installé ses structures, des ruines flottantes, dans différents lieux proches de la métropole lyonnaise, avec pour point commun une architecture brute : à Givors, l’auditorium de Lyon, les théâtres romains de Lugdunum et le lycée Sainte-Marie à la Verpillière. A chacun de ses projets, il utilise l’espace extérieur déjà présent pour créer. Il vient y installer des modules monumentaux, les matériaux dépendent des contraintes des lieux. Dans ces 4 lieux, Clemens et une équipe de monteurs déposaient les structures, prenaient quelques photos et tout était démonté dans la journée. A partir de la fin du mois d’août et jusqu’à la date d’ouverture, il a ensuite recréé ses Ruines Flottantes mais cette fois-ci aux Usines Fagor. En y associant sons et néons et les photos prises pendant le premier mois de travail, cette œuvre fait partie de celles dont on se souvient. Puis, nous finissons la visite par un court-métrage de Gabriel Abrantes filmé au Louvre, fait d’animations 3D et d’images de synthèses. Mais, ce qui, pour elle, marque le plus ces usines désaffectées, c’est le dialogue que les commissaires et le scénographe, Olivier Goethals, ont établi entre des collections archéologiques et les œuvres contemporaines, comme « un clin d’œil aux visiteurs lyonnais ».
musée Guimet et musée Lugdunum, Jean Claracq, ©J.D.
Suite à la visite des usines Fagor, Lucie nous propose de nous balader dans 3 autres lieux accueillant la Biennale. Le lieu qui a fait parler de lui cette année, c’est le musée Guimet. Situé dans le 6ème arrondissement, cet ancien musée d’Histoire Naturelle inauguré en 1879, a fermé ses portes en 2007. Complètement transformé pour l’occasion, il offre un décor fragile absolument unique. Les 18 artistes présents dans ce lieu lui offrent une nouvelle vie. Elle nous conseille d’admirer les toiles de Zhang Yunyao mais aussi le film de Kennedy + Swan. Lugdunum est aussi un lieu à visiter pour son architecture si atypique mais aussi pour les toiles de Jean Claracq et Seher Shah, qui donnent envie à Lucie « de partir avec des œuvres sous le manteau ». Et si jamais, vous avez encore le temps, le musée Gadagne et notamment une toile de Chafa Gaddhar vaut le détour.
Vous l’aurez compris, il faudrait bien plus d’un article et de trois témoignages pour faire le tour de cette Biennale astronomique. Pour quelques infos pratiques, n’hésitez pas à vous rendre sur le site de la Biennale, sur lequel la plupart des œuvres et artistes sont référencés et localisés. En espérant que la petite sélection de Théo, Can et Lucie que je remercie chaleureusement, vous y incite.
Julie Dumontel
1 Service interne qui s’occupe uniquement de créer des évènements de rencontres, d’échanges et de créations partagées à l’échelle de la métropole et de la région.↩
2 L’équipe site regroupe une partie des monteurs qui travaille la plupart du temps au service du lieu et non pas des artistes. Cette année, ils ont participé à la création de socles pour cartels ou encore à l’agencement des échafaudages. ↩
Pour aller plus loin :
#artcontemporain #Lyon #Biennale

Charogne et trash animals, quand le dégoûtant devient sublime
La recette du succès version Bordalo II n’est pourtant pas très ragoutante : l’artiste utilise des déchets – plastiques notamment - pour fabriquer d’immenses animaux qu’il installe au cœur des villes. Il nous alerte ainsi sur les dangers que notre mode de consommation fait courir à la faune sauvage. La démarche – recycler nos déchets en œuvres d’art - a déjà fait ses preuves dans l’art contemporain : pensons, par exemple, aux immenses portraits réalisés par l’artiste Vik Muniz et les ramasseurs de déchets de la décharge Jardim Gramacho, près de Rio. Mais après tout, ces représentations de nos immondices - ou plus largement de l’immonde - existent depuis le début de l’histoire de l’art. Elles ont aussi marqué l’histoire littéraire, en particulier le 19e siècle. La plus célèbre sublimation littéraire de la laideur, du repoussant, reste sans doute le poème "Une Charogne" publié en 1857 par l’écrivain Charles Baudelaire.
Faut-il alors voir une parenté entre Baudelaire et Bordalo II ? Comment et sur quelles bases confronter le poète et le street artiste ?
Du chat qui grogne à la charogne
Imaginons. Vous êtes prof.e de lettres, à Calais. Vous êtes le genre de prof.e qui prend son métier un peu à cœur. Le genre qui se souvient qu’éduquer c’est d’abord émanciper. Le genre de prof.e qui compare les roman-feuilleton du 19e siècle aux threads de Twitter. Mais là, c’est la panne sèche. Vous avez été rattrapé par le Léviathan de l’éducation nationale, ce monstre avaleur d’imagination : le programme. Et le programme vous dit, en substance :
« Merci de sensibiliser de vos élèves aux Parnasse et à la poésie symboliste. Il est grand temps que vos jeunes disciples se plongent dans les Fleurs du Mal. »
Dans le fond, vous n’avez rien contre Baudelaire. Mais il faut bien avouer que le musc, les correspondances et le spleen, cela ne parle généralement pas trop aux ados. Vous avez bien essayé de faire venir un nez pour recréer l’ambiance olfactive de "La Chevelure" et évoquer l’engouement orientaliste de cette fin de 19e siècle mais le proviseur a mis un frein à vos ardeurs. A force, vos élèves vont être les privilégiés du bahut.
Dépité.e, vous décidez de vous changer les idées en allant faire une petite visite au Musée des beaux - arts. Ça tombe bien, l’exposition de street art Conquête urbaine vient d’ouvrir. A peine entrée, vous êtes saisi.e par une œuvre monumentale. C’est un chat qui grogne, en plastique et en tôles multicolores.
Le « Chat qui grogne » de Bordalo II au Musée des Beaux-arts de Calais, avant l'ouverture de l'exposition © Laurie Crozet
« Un chat qui grogne ? Tient c’est drôle, vous pensez, « chat qui grogne » ça sonne presque comme comme « charogne »…». Inspirée, vous sortez un petit carnet et vous y cherchez vos notes sur le poème "Une Charogne". En se penchant un peu sur votre épaule on peut lire :
« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant […] »
- Dans le poème de Baudelaire, la charogne est sublimée car elle incarne une continuité de la vie à la mort et de la mort à la vie. La putréfaction est à la fois la fin d’une forme de vie et le commencement d’une autre. En transformant le cadavre en substance nourricière, Baudelaire établit un rapport de continuité entre l’animal et la nature.
« - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés ! »
- La chute du poème, qui annonce la putréfaction future de son amante, qui fait d’elle une future charogne, replace l’homme dans un cycle naturel, rétablit une continuité entre l’homme et la nature.
Geste esthétique, geste politique
Vous restez longtemps, carnet à la main, devant l’œuvre de Bordalo II. Vous pensez. De retour chez vous, vous sortez un crayon, reprenez votre petit carnet et d’une seule traite, remplissez la page de droite.
Bordalo II crée une émotion esthétique en assemblant ce que notre société moderne produit de plus immonde, des tonnes de déchets plastiques. Par là il s’inscrit dans la même esthétique de la laideur que Baudelaire lorsqu’il dépeint une « charogne infâme ». Mais si la charogne du poète permettait d’entrevoir une continuité entre l’homme et la nature, une juste inscription de l’homme dans son écosystème, le chat du street artiste montre exactement l’inverse. Cet assemblage de plastique et de peinture témoigne d’un dérèglement de notre rapport à notre écosystème. Les sculptures géantes de Bordalo II dénoncent l’impact écologique de nos modes de consommation, en particulier sur la faune. Le plastique en décomposition, contrairement aux corps animaux et humains, ne se transforme pas en substance nourricière mais en poison pour les animaux qui l’ingèrent.
Le recyclage opéré par Bordalo est en définitive plus un geste politique qu’un geste esthétique ; nos déchets plastiques ne sauraient être sublimés car ils n’incarnent aucune continuité entre la vie et la mort ou entre l’animal, l’homme et la nature. Au contraire, ces œuvres montrent la suprématie que l’homme s’est arrogé sur son environnement et les conséquences funestes de ce dérèglement.
Sourire aux lèvres malgré cette conclusion tragique, vous levez votre crayon : on dirait que vous avez trouvé où et comment commencer votre séquence sur les Fleurs du Mal. Reste à convaincre votre proviseur qu’il n’y a pas que « les parfums, les couleurs et les sons »1 qui se répondent mais aussi les artistes, par-delà les médiums, les frontières et les siècles.
C.R.
1 - Charles Baudelaire, « Correspondances », Les Fleurs du Mal, 1857
A voir :
Conquête urbaine, street art au musée, Musée des beaux-arts de Calais, 06.04.19 – 03.11.19
A écouter :
#BordaloII
#Streetart
#Calais

Chemins de traverse : L’école muséographique buissonnière
Enfilez vos chaussures de marche ! Munissez-vous de votre crème solaire indice 50, enfournez les barres énergétiques dans votre sac à dos et rechargez votre gourde ! Surtout les amis, n’oubliez pas votre carte IGN… Vous êtes fin prêts ? On part à la rencontre de l’art contemporain !
À l’évidence, vous aimez la randonnée au cœur de grands espaces naturels préservés, la création contemporaine est votre péché mignon et en même temps vous êtes férus de patrimoine rural… Diable, cinq semaines par an ça n’est décidément pas suffisant… que choisir et comment faire pour réunir vos trois violons d’Ingres ? Tendez l’oreille, il existe des endroits fabuleux qui sont faits pour vous. Lacez vos chaussures et en route, nous partons à la rencontre de l’un d’entre eux !
Sentinelle d’Andy Goldsworthy dans Vallée de l’Asse, Tartonne © Brigitte PÉTRÉ
Nature, culture et territoire : le triptyque fertile
Prenez une grande inspiration. Vous sentez l’air des montagnes dignoises qui fait frétiller vos narines et réactive vos sens endormis par les pollutions quotidiennes. Allez, prenez une gorgée d’eau fraîche, le chemin sera long et levez le nez, les paysages sont exceptionnels.
Petits veinards, vous êtes au cœur de la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence. Ici, prière de ralentir. À contre-courant de l’effervescence des musées et de la boulimie de l’art, le projet artistique Refuge d’Art est né d’une heureuse association entre le musée Gassendi, la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence et l’artiste britannique Andy Goldsworthy. Réalisé entre 1998 et 2010, ce parcours d’art contemporain de 150 kilomètres est ponctué des œuvres de l’artiste, il s’articule autour de trois sentinelles et sept refuges d’art réalisés au sein d’anciens bâtiments à l’abandon (chapelle, bergerie, grange, etc.). Certains d’entre eux sont équipés de dortoirs pour abriter, le temps d’une nuit, les randonneurs de passage.
« À cause des distances entre les refuges d’art, j’ai suggéré de restaurer d’anciens bâtiments afin que les gens puissent y passer la nuit, tout en intégrant une sculpture dans la rénovation. Pour moi, il existe une différence fondamentale entre l’œuvre d’art que l’on regarde quelques minutes dans un musée et l’œuvre avec laquelle on vit pendant un peu de temps, avec laquelle on dort. Dormir dans une sculpture, c’est une idée merveilleuse. »
Andy Goldsworthy
Chapelle Sainte-Madelaine, Toard © Musée Gassendi
Refuge d’Art, Vieil Esclangon © Musée Gassendi
La réhabilitation de ce patrimoine rural témoigne de la dimension sociale et économique du projet d’Andy Goldsworthy. Effectivement, en donnant une seconde vie à ces villages abandonnés, l’attrait touristique de la région s’est largement développé permettant ainsi de favoriser et de consolider des emplois locaux. L’art en chemin est l’association qui vise à valoriser et mutualiser ces activités professionnelles régies par les mêmes valeurs : « solidarité territoriale, lien social, coopération et respect » selon Pascal Bodcher, accompagnateur en montage. L’idée est d’accompagner un tourisme durable pour préserver la vallée tout en y développant des activités culturelles transdisciplinaires.
Cette œuvre d’art est à parcourir en une dizaine de jours de marche mais pour les moins téméraires, pas de panique ! Des randonnées de 1h30 à 6h sont réalisables à la journée avec des niveaux de difficulté accessibles à tous. Vous n’avez plus aucune excuse pour ne pas partir à la rencontre de la poésie du travail d’Andy Goldsworthy.
Je profite que nous foulions les sentiers des alentours de Digne-les-Bains pour vous informer qu’outre ce projet monographique, le musée Gassendi s’attache depuis 1995 à constituer sur cette même réserve une collection d’œuvres d’art à ciel ouvert. Divers artistes contemporains tels que Richard Nonas, herman de vries, Mark Dion, Joan Fontcuberta, Paul-Armand Gette et d’autres ont travaillé in situ en symbiose avec les montagnes pour offrir leur propre lecture du lieu. Le musée propose aux visiteurs une approche de ces œuvres à travers vingt suggestions de randonnées, éditées en 2012 dans le livre L’art en marche.
Allez, on s’arrête un moment à l’ombre d’un cairn pour reprendre notre respiration et on y retourne pour comprendre pourquoi on marche autant depuis tout à l’heure.
« La marche comme médiation sur le paysage » : une expérience totale
« Dans l’acte de marcher, il y a le déplacement d’un pont à un autre, mais il y a surtout un effort, une intention, qui rendent la découverte de chaque œuvre plus intense et intime. »
Nadine Gomez, Conservatrice du musée Gassendi et directrice du CAIRN.
La proposition artistique d’Andy Goldsworthy organisée autour de stations nécessite, vous l’avez compris, un visiteur mobile qui réalise malgré lui une performance. C’est l’expérience de la marche qui fait art plutôt que la sculpture qui n’est finalement qu’un prétexte pour ressentir et faire corps avec le paysage dans lequel nous évoluons. Ces cairns, ces serpentins dans la terre, ces sculptures de pierres, ne sont que des invitations à ralentir et réfléchir à l’action de l’Homme sur le paysage. La marche est alors le moyen d’opérer cette prise de conscience chez le marcheur-visiteur qui est, à cet instant, intimement lié à l’écologie des montagnes dignoises.
L’artiste a filé la métaphore à la Longside Gallery avec une proposition artistique, Mud ball, présentée en 2007 et 2008 pour les trente ans du Yorkshire Sculpture Park. Cette œuvre d’art, tel un work in progress, est composée jour après jour des débris végétaux (herbe, feuilles, boue) apportés par les chaussures des visiteurs, vestiges de leur traversée du bois et des prairies du parc. Matérialisée, amassée et totémisée dans une grosse boulle de boue, la marche des milliers de visiteurs-marcheurs est l’expression la plus littérale de cette idéologie selon laquelle l’expérience du visiteur crée l’œuvre.
Ainsi, ne me demandez pas « c’est quand qu’on arrive ? », vous savez que l’important n’est pas le but mais le chemin.
Un concept qui fait des petits
Alors bien sûr, vous allez me dire que cette idée de marche dans l’art n’est pas nouvelle et que des artistes comme Richard Long, Francis Alÿs ou bien Marina Abramović l’ont exploitée depuis fort longtemps. Mais à l’heure où la randonnée n’a jamais été autant à la mode et où la population fait ressentir un réel « besoin de nature », ces parcours d’art contemporain en pleine nature fleurissent un peu partout en France et ce sont alors les visiteurs qui se mettent en mouvement.
Grand Lineux#2 de Xavier Rèche, Parcours des Fées, 2016 © Photodicidela
Non loin de Refuge d’Art et du musée Gassendi, la Via Per l’Art Contemporanea (VIAPAC) est un sentier de randonnée transfrontalier de 200 kilomètres servant de jonction touristique entre les villes de Digne-les-Bains en France et Caraglio en Italie. D’envergure européenne, le projet rassemble les travaux d’une douzaine d’artistes contemporains dont Joan Fontcuberta, Paul-Armand Gette, Stéphane Bérard, Mark Dion, Richard Nonas et bien d’autres. On peut encore une fois déplorer le fait que ces artistes de la scène contemporaine se conjuguent seulement au masculin bien que les femmes fassent partie intégrante de ces recherches informelles sur la nature et l’art. Je vous invite à consulter le bel ouvrage de Virginie Luc, Les magiciennes de la terre édité en 2017, qui fait la lumière sur le travail de 17 d’entres elles.
D’autres parcours d’art contemporain accueillent à l’année les randonneurs curieux adeptes de la marche culturelle à l’image de La Forêt d’Art Contemporain dans le Parc Naturel des Landes de Gascogne ou encore Le Vent des Forêts. Implanté dans la Meuse depuis 1998, il constitue l’un des plus anciens « espace rural d’art contemporain » avec 70 bénévoles et 45 kilomètres de sentiers balisés. Chaque année, des artistes plasticiens en résidence étoffent la collection constituée à ce jour de plus de 90 installations.
À l’image du Voyage à Nantes, les territoires ruraux semblent avoir trouvé la parade pour rendre attractif leur territoire et redynamiser leur économie : une installation artistique in situ par-ci par-là le long de sentiers et le tour est joué ! Chaque été, pléthore de festivals d’art contemporain ouvrent leurs portes dans nos vallées et nos campagnes. J’ai choisi de vous présenter l’un d’entre eux qui a une forte dimension sociale et qui s’inscrit réellement dans une démarche de démocratie culturelle.
Installation dans les 5000 hectares du Vent des Forêts © COAL
Située dans la vallée de la Drobie au cœur du Parc Régional des Monts d’Ardèche, cette initiative est née des habitants et des promeneurs qui se désolaient de voir se désertifier leur paysage. De leur union jaillit un projet collectif, Sur le sentier des Lauzes, pour la création d’une « Vallée Culturelle ». Une repartie finement orchestrée contre le douloureux exode rural. Tout en encourageant et en accompagnant les contacts entre habitants, artistes et paysages, l’association a développé des résidences d’artistes qui, chaque année, contribuent à la réalisation d’un Parcours d’Art en Paysage. Une pierre deux coups ! Cet événement fédère les locaux au territoire en leur proposant un renouvellement culturel et attire des touristes avides de découvrir la vallée de manière singulière. Des touristes qui consomment et qui réenclenchent l’économie locale bénéfique aux habitants qui résident sur le territoire. La boucle est bouclée. Ces actions sont menées avec un réel respect de l’environnement et accompagnées d’une réflexion sur l’impact de ces projets par rapport à l’unité des paysages naturels. Une question épineuse qu’il serait imprudent d’ignorer.
Parcours des Fées, octobre 2015 © Serge San
Cette association n’est pas la seule à briller par sa démarche artistique et sociale, à 200 kilomètres à l’est, par exemple, dans la vallée de Crévoux, le Parcours des Fées organisé par l’association Fées d’hiver fait également partie de ces acteurs qui préfèrent « faire ensemble » plutôt que « pour ».
J’espère que vous en êtes maintenant convaincus. La création contemporaine en zone rurale est pleine de ressources quand elle est une manière de nous révéler l’enchantement de nos campagnes et le charme naturel de ses habitants.
Si vous n’en avez toujours pas plein les gambettes, prenez note des prochains rendez-vous de l’été 2019 et venez marcher l’art contemporain. Alors oui, peut-être, vous sentirez un peu plus la transpiration à la fin de votre sortie culturelle mais que diable, nous sommes corps et esprit indissociables, tâchons d’en prendre soin et de les nourrir simultanément le plus souvent possible.
Pour plus d’informations :
- Refuge d’Art : http://www.refugedart.fr
- VIAPAC : http://www.provence-alpes-cuneo.eu/fr/culture/viapac.html
- La forêt d’Art Contemporain : http://www.laforetdartcontemporain.com
- Le Vent des Forêts : http://ventdesforets.com
- Sur le sentiers des Lauzes : http://surlesentierdeslauzes.fr
- Parcours des Fées : http://parcours-des-fees.fr
D’autres parcours d’art contemporain à marcher en France :
- Les bords de la Vire (Manche) : http://www.usine-utopik.com/festival/
- Arras Artitude : http://arras-artitude.fr/fr/accueil/
- Parcours d’art contemporain en vallée du Lot : http://www.magcp.fr/project/measure-the-valleysparcours-dart-contemporain-en-vallee-du-lot01-07-02-09-2018/
- Horizons – Art et Nature en Sancy (Auvergne – Rhône-Alpes) : https://www.horizons-sancy.com
- Les balcons de l’Aigoual (Haute vallée de l’Hérault – Parc national et Cévennes) : https://www.lafilaturedumazel.org/parcours-land-art-les-balcons-de-l-aigoual/
- Aux bords des paysages, Pic Saint-Loup (Occitanie) : https://www.auxbordsdespaysages.com
- Vassivière Utopia (Creuse – Haute Vienne) : https://www.lamontagne.fr/saint-martin-chateau/environnement/creuse/2018/09/26/comment-le-centre-d-art-dessine-le-paysage-avec-son-programme-vassiviere-utopia_12994407.html
Chercher l’or du temps : une injonction à ouvrir grand les yeux !
« Tu m’as donné ta boue, et j’en ai fait de l’or » écrivait Baudelaire. Mais au XXème siècle, l’heure n’est plus à l’alchimie, à la transformation du laid en beau, mais plutôt à la transformation du regard porté sur les choses. L’affiche choisie par le LaM pour l’exposition Chercher l’or du tempsn’est pas un hasard. Avec son œil de cyclope, elle illustre cette convergence collective du regard vers ce qui était resté en marge de l’histoire de l’art. Du 14 octobre au 29 janvier 2023, le LaM expose les réflexions croisées du surréalisme et de l’art brut autour de la création. Mais ce titre ne sonne pas seulement comme un programme, il est aussi une injonction : saurons-nous porter notre regard au-delà du montré ? Saurons-nous voir l’or dissimulé ?
Image d'intro : Affiche de l’exposition © LaM
Par-delà la linéarité : un temps éclatant, un temps éclaté
Le parcours se compose de douze séquences, douze comme les mois de l’année, organisées selon un ordre chronologique courant de 1919 à 1969. A première vue, un parcours linéaire avec pour ambition d’offrir un panorama sur cinquante années d’histoire de l’art. Mais ce parti-pris n’est-il pas paradoxal pour présenter ces artistes qui n’ont cessé de remettre en question les normes et les conventions sociales ? A moins qu’il faille se méfier des apparences et des jugements hâtifs : Perceval l’a appris à ses dépens, le Graal ne brille pas toujours de mille feux. Pour trouver l’or, il faut plonger les mains – si ce n’est le corps et âme - dans la rivière.
Au gré de son cheminement, le visiteur se rend vite compte qu’en dépit d’un temps quantifié et mesuré, l’exposition l’entraîne pour un voyage dans un temps erratique. La scénographie brouille les repères, rend la spatialisation impossible : plusieurs séquences sont dédiées à la même période temporelle regardée sous différents angles, certaines couvrent dix années de création quand d’autres s’arrêtent sur une année phare. La taille des salles accentue cette image d’un temps distordu, irrégulier : de vastes pièces lumineuses succèdent à des espaces intimistes, ou débouchent sur d’étroits corridors. Le visiteur pénètre un temps vivant qui bégaye, se dilate, se rétracte, file ou s’accumule. L’expérience de visite et la perception du temps du visiteur s’en trouvent inévitablement perturbées. Où sommes-nous dans le temps et l’histoire ? Quelle durée avons-nous explorée ? Les dates sont finalement peu nombreuses et le séquençage temporel n’apparaît pas dans les textes de sections. Il y a une volonté d’effacer la chronologie et de brouiller les repères.
Vue de l’exposition : jeu de montré/caché – Photo P.D./© LaM
Le parcours s’évertue à égarerle visiteur. Les cimaises dessinent un espace labyrinthique et sinueux multipliant les jeux de montré/caché, les impasses et les détours. Les cimaises viennent moins découper rigoureusement l’espace que le fragmenter et dessiner des territoires d’interpénétration, masquant pour mieux surprendre, révélant pour mieux se jouer. La troisième séquence n’est accessible que par une traversée de la quatrième section. La cinquième section, elle, laisse le choix entre deux portes, l’une s’ouvrant sur une impasse, bourgeonnement anticipant la section suivante, l’autre ouvrant sur la suite du parcours. Il faut alors se faire explorateur, s’aventurer dans le méandre des salles puis faire demi-tour, expérimenter, s’inventer un cheminement. Par-delà l’organisation chronologique, l’exposition met en scène un temps poreux, fait d’imbrications, d’échanges et de simultanéités. Par ce parcours, elle questionne la représentation linéaire de l’histoire de l’art et de la création.
Chercher son chemin
De quel temps surgit la création ?
Avec ses portes en ogive, la scénographie dresse un décor mystique pour ce cheminement initiatique vers les origines de la créativité.
Vue de l’exposition : décor mystique et labyrinthique – Photo P.D./© LaM
Le début du parcours se présente comme une catabase. Une petite salle feutrée offre une plongée au cœur de la Première Guerre Mondiale et des observations cliniques d’André Breton sur le rêve. Un masque de tankiste et, en parallèle, les dessins automatiques et les premiers écrits de Breton et Soupault ancrent le processus créatif dans deux expériences liées à un au-delà archaïque.
La seconde section entraîne le visiteur du rêve à la folie. Elle s’organise autour de l’ouvrage majeur de Hans Prinzhorn, Expressions de la folie, premier psychiatre à porter un regard esthétique sur les œuvres des malades mentaux. L’ouvrage se feuillette en continu sur un petit écran tandis que les murs de la salle donnent à voir les œuvres auxquelles se réfère le médecin. Ce parti-pris enracine le travail d’analyse et d’écriture dans les œuvres. Les effets de reconnaissance et les va-et-vient du visiteur entre le livre feuilleté et les tableaux montrés, tissent dans la salle d’exposition une cartographie reliant le visible et le lisible. Ces derniers s’entrelacent sans qu’on sache qui précède l’autre : le travail d’écriture naît-il des œuvres ou ces créations naissent-t-elles comme œuvres grâce au travail d’écriture ? Cette interdépendance de l’écrit et de l’art est également visible par les différentes vitrines où se mêlent sans distinction des manuscrits et des ouvrages de nature différente aux côtés d’œuvre d’art. Exposée sous vitrine à côté de texte, l’œuvre acquiert une dimension quasi textuelle et par analogie, le manuscrit devient un objet. La nature extrêmement variée des manuscrits met en avant l’émulsion créative et l’interdisciplinarité qui président à l’époque, brouillant ainsi les limitations génériques.
Qui plus est, le parti pris de ne marquer aucune distinction entre les œuvres des artistes aliénés et des artistes jugés sains d’esprit comme André Masson et Dubuffet confère aux œuvres un statut incertain. De fait, la seule loi qui semble régir l’accrochage est celle de l’association d’idées. Le passage d’une œuvre à l’autre semble appelé par le partage d’une même gamme chromatique, d’un motif, d’une technique. Tous sains ou tous fous ? Qui est artiste, qui ne l’est pas ?
Vue de l’exposition : la continuité des vitrines – Photo P.D./© LaM
Les troisième et quatrième sections poussent plus loin cette incertitude en montrant les rapports des artistes à la nature, qu’elle soit envisagée comme sursaut créateur, modèle conscient, référence latente ou entité créatrice. Un grand wall-paper nous fait d’abord pénétrer dans le temple du Facteur Cheval photographié sous toutes ses coutures par Clovis Prevost. L’accumulation de très-gros plans donne à voir l’imaginaire organique du Palais. La créativité se présente comme un phénomène d’achoppement en cascade, une œuvre devenant le départ d’une autre. Plus loin, la confrontation des photographies de Denise Bellon aux constructions de Gaudi ou aux productions de schizophrènes révèle la présence de formes identiques et suggère le partage d’un lexique archaïque de formes, présent au plus profond de la Nature et de la nature humaine, dans l’inconscient.
Vue de l’exposition : entrée dans le temple du Facteur Cheval – Photo N. Dewitte/LaM
La cinquième section poursuit l’exploration des racines archaïques et plurielles de la création par le biais de deux revues Documents et Minotaure. Quatre vitrines successives donnent à voir ce dialogue des savoirs au travers de certains numéros : articles de biologie comparant les structures rhizomatiques de la nature aux stimuli nerveux suscités par l’écriture automatique, dessins d’aliénés, textes d’André Breton et graffitis d’enfants abyssins collectés lors de missions ethnographiques. Une fois de plus, la continuité des vitrines, leur mise en commun sur un même plan et le retour de formes similaires d’une vitrine à l’autre viennent brouiller les distinctions et créer un continuum créatif.
Rencontres
La sixième section marque une première rupture et ouvre un cycle de sections consacré aux rencontres des artistes surréalistes avec les artistes internés. Elle se penche sur la résistance en temps de guerre par la création et sur le rôle clé de certains asiles psychiatriques dans le soutien apporté aux artistes engagés, permettant ainsi la découverte des créations des patients internés. La salle ouvre sur une sélection de pages du poème Parler Seul de Tzara et Miro, composé dans un hôpital psychiatrique. Au mur, le damier régulier des pages. Au sol, un terrain miné : le visiteur s’aventure entre les sculptures inquiétantes d’Auguste Forestier, artiste interné.
La septième section expose les œuvres découvertes suite à l’exil ou la fuite des artistes européens pendant la guerre. La salle s’organise autour d’une plateforme circulaire présentant l’œuvre brodée de Jeanne Laporte Fromage, artiste internée. A la façon d’une mappemonde, elle crée un continuum entre des œuvres de cultures et d’espaces différents. De longues vitrines mêlent correspondances personnelles, articles publiés dans des revues, photographies, donnant à voir la diversité des lieux et des rencontres nouées par les artistes dans une continuité qui tend à gommer les frontières géographiques et culturelles.
Rapprochements et divergences
La huitième section est consacrée à la rencontre de Breton et Dubuffet autour de l’Almanach de l’Art brut. Les tréteaux qui supportent les vitrines suggèrent le statut inachevé de ce projet, resté aux portes de l’imprimerie. Aux murs, l’accrochage des œuvres reprend la structure de l’Almanach tel que prévu par Dubuffet, une entrée dans l’artothèque de l’ouvrage. Des vitrines exposent les plans et sommaires ainsi que des manuscrits d’articles. Le visiteur pénètre l’œuvre en train de se faire, et touche du doigt les prémices de la définition de l’art brut. En continuité, la neuvième section s’attache à un autre écrit fondateur dans la définition de l’art brut, la conférence Honneur aux valeurs sauvages de Dubuffet, prononcée à l’occasion d’une exposition d’artistes internés. La section rejoue le dialogue entre les manuscrits et les œuvres exposées. Mais elle prend aussi de la hauteur et replace la réflexion de Dubuffet quant à l’histoire des conceptions de la folie avec la mention de Holderlin, Baudelaire, Frazer, Rousseau, le Facteur Cheval sur un immense wall-paper. Ces deux salles donnent à voir la formulation de l’art brut, entre continuité et divergences, héritage et distanciation.
Les trois dernières sections mettent en avant les divergences de Breton et Dubuffet autour de l’art brut, le premier se consacrant à l’art magique avec la rédaction d’un ouvrage éponyme et le second au cycle de l’Hourloupe. Pour André Breton, quelques manuscrits de l’artiste, au centre de la salle, sont entourés d’objets issus de sa collection éclectique. L’exposition se termine par les œuvres d’aborigènes australiens rassemblées par Kupka dans un ouvrage nommé un Art à l’état brut. Les manuscrits s’effacent au seul profit du nombre d’expôts qui frôle parfois la surcharge. Par-delà la divergence des points de vue, les accrochages successifs de trois collections donnent à voir l’homogénéité des objets, laissant la continuité prendre le dessus sur les ruptures.
L’écrit comme fil d’Ariane : une exposition sur l’écrit ?
Vue de l’exposition : plongée dans la fabrication de l’Almanach de l’Art brut – Photo P.D./© LaM
Dans ce labyrinthe de salles et parmi la multitude d’objets exposés, un fil discret guide nos pas : l’écrit, le texte. Le titre de l’exposition est tiré d’un vers de Breton, et presque toutes les sections portent le titre d’ouvrages éponymes. Le texte joue un rôle structurant. Il plante le cadre chronologique. Les rares dates qui apparaissent dans les textes d’exposition sont les dates de parution ou d’élaboration des œuvres littéraires. Mais avec ces douze stations, l’exposition nous propose moins d’entrer dans l’histoire de l’art du XXème siècle que dans le travail de réflexion, de conceptualisation d’artistes-penseurs. L’Almanach de l’Art brut de Dubuffet occupe une place nodale dans l’exposition, avec une vaste salle circulaire où viennent se relier et s’organiser tous les fils rencontrés. Avec ses tables à tréteaux, montrant les projets d’articles et, aux murs, les œuvres des artistes étudiés, le visiteur assiste à la liaison du texte et de l’œuvre. Comme pour la section consacrée à Expressions de la Folie de Prinzhorn, le dialogue constant entre le visible et le lisible brouille la préséance de l’un sur l’autre. Si l’œuvre donne naissance à l’écrit, l’écrit, par le regard porté sur ces créations, les fait naître comme œuvre.
Discrètement, l’exposition détourne notre regard de ce qui a été vuvers ceux qui ont vu. Elle interroge le processus de reconnaissance et de définition de ce que l’on appelle l’art magique, l’art brut ou l’art naturel : comment ces créations sont devenues art, grâce au regard porté et partagé via l’écrit par des artistes-penseurs. En montrant les œuvres plus que les manuscrits, il s’agit aussi d’interroger l’émergence de la pensée critique : comment la visibilité de ces créations dans un contexte d’émulsion interdisciplinaire a permis la formulation de ces textes.
Les revues : dimension visuelle de l’écriture – Photo P.D./© LaM
Finalement, en exposant ces écrits qui ont porté la reconnaissance de ces formes d’arts méconnues, l’exposition interroge la nature de l’œuvre littéraire et le statut de ces écrits critiques. Que ce soit dans les livres, les revues, les brouillons d’articles, le visiteur est frappé par la dimension visuelle de l’écrit et le rapport du texte à l’image. De nombreuses œuvres, à commencer par les dessins automatiques et médiumniques mêlent texte et dessin sans marquer de distinction au sein de la page. L’écriture s’offre alors aussi dans sa dimension visuelle, graphique et non seulement comme un vecteur de pensée. Les revues comme Minotaure, Art Brut explorent pleinement ce caractère visuel de l’écrit, y compris pour les articles, manifestes ou écrits théoriques. Dès lors, quel est le statut de ces écrits critiques ? L’or ne réside pas seulement dans les œuvres vues, mais dans le regard de ceux qui ont su le voir et l’écrire dans un geste artistique défiant les séparations génériques.
Pauline Dancin
Pour en savoir plus :
- Site officiel du LaM : https://www.musee-lam.fr/fr/chercher-lor-du-temps
- L'article est aussi disponible sur le site Littératures modes d'emploi : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/chercher-lor-du-temps-valenciennes/
# LaM # surréalisme # art brut # exposition
Christian Lacroix relooke le musée !
En déambulant dans le quartier du Marais à Paris, on peut trouver de quoi satisfaire sa curiosité muséale ; musée Picasso, musée Carnavalet, maison de Victor Hugo sur la Place des Vosges... Mais aujourd’hui, je vous parle d’un musée plus intimiste et moins célèbre que ses illustres voisins : le musée Cognacq-Jay ou musée des arts du XVIIIe siècle.Ce musée de la Ville de Paris est installé dans un magnifique hôtel particulier, l’hôtel Donon, bâtisse historique du quartier du Marais et héberge les collections du fondateur des magasins La Samaritaine, Ernest Cognacq et de sa femme Louise Jay. Cette collection exceptionnelle rassemble des peintures,des arts graphiques, du mobilier, des arts décoratifs et des sculptures du XVIIIesiècle sur les cinq niveaux de ce musée fraîchement réhabilité.

Le musée Cognacq-Jay - Crédits photographiques : Paris Musées
La visite semble déjà alléchante et elle l’es td’autant plus quand on apprend que Christian Lacroix en personne a investi le musée pour plusieurs missions. Le musée lui a donné carte blanche pour renouveler le fil rouge de l’exposition permanente à travers la thématique du costume, chère à cet artiste, et pour assurer le commissariat d’une exposition temporaire. Cette exposition « Lumières,carte blanche à Christian Lacroix » confronte une sélection d’œuvres du XVIIIe siècle de la collection Cognacq-Jay à des œuvres de quarante artistes contemporains, parmi lesquels Tim Walker, John Currin ou encore Glenn Brown, le tout intégré au circuit permanent. Dix thématiques jalonnent ce parcours qui permet au visiteur de mieux appréhender l’esprit des Lumières et son importance toujours d’actualité au XXIe siècle.
Parmi les séquences proposées, « Paris, capitale des lumières », « Economie artistique de l’Europe » ou encore« Musique, spectacles et danse ». L’accrochage est très libre,surchargé dans certaines salles et aéré dans d’autres, « pas académique » selon Christian Lacroix. Toujours selon l’artiste, « le but étant de suggérer la parenté entre artistes du XVIIIe et du XXIesiècle, la continuité d’un certain esprit, la permanence d’une époque et la pérennité des thématiques du siècles des lumières dans notre propre univers». Cela permet aux amateurs d’art du XVIIIe comme aux amoureux d’art contemporain de se rencontrer et de se confronter, d’apprendre et de faire des découvertes étonnantes sur les liens entre le siècle des Lumières et notre époque.
Paire de chaussures, © Manolo Blahnik, 1942 – Paire de souliers, Anonyme, 1778 - Crédits photographiques : LT
La « salle rose » du musée au troisième étage est l’une des plus réussies tant au niveau de la confrontation des œuvres que du discours tenu. La séquence « Théoriser la pédagogie » présente une confrontation entre des peintures de représentations d’enfants et des photographies contemporaines, et une vitrine où les figurines en porcelaine du XVIIIesiècle côtoient une poupée Barbie et autres jouets du XXesiècle. Le tapis au sol est également une création de Christian Lacroix inspiré de motifs d’un gilet du XVIIIe siècle. Cet étage présente plus largement des séries de portraits de l’enfance à l’âge adulte sur plusieurs séquences en comparant l’art du portrait au siècle des Lumières avec celui du XXIesiècle.
Séquence "Théoriser la pédagogie" Crédits photographiques : LT
Photographie 1 : Les dénicheurs, Bird, 1800-1810 - Sans titre, Bettina Komenda,
Photographie 2 : Tapis Christian Lacroix
Photographie 3 : Portrait de Louis-Antoine de Bourbon, duc d'Angoulême, Bounieu, 1776-1777 - La Petite Souris, série Les grands moments de la vie, Véronique Ellena, 1995-1997
Photographie 4 : Quatre jeunes musiciennes, Kaendler, 1760 - Happily ever after, Barford, 2009 - Barbie spécial anniversaire, 1991
La patte de Christian Lacroix est partout et s’intègre parfaitement aux boiseries de l’hôtel Donon ; le couturier a également créé des moquettes et des voilages et repeint certaines salles du musée,créations vouées à la pérennité. Il est alors facile de se sentir hors du temps entre les murs de cette bâtisse historique entouré d’objets du XVIIIe mariés à des œuvres contemporaines rassemblées dans un cabinet de curiosités.L’artiste-commissaire réussit pleinement sa mission première de recréer une ambiance de visite et d’intégrer ses créations au parcours de la collection permanente. De plus, ses somptueuses moquettes d’inspiration XVIIIeque le visiteur foule au gré des salles valent à elles-seules la visite.

Photographie 1 : Moquette et murs Christian Lacroix - Photographie 2 : Voilages Christian Lacroix– Crédits photographiques : LT
Seul bémol, ce format d’exposition est flou et peut décontenancer le visiteur ; en effet les multiples missions données au couturier ne sont pas clairement expliquées au début de la visite et il est difficile de rentrer dans l’univers du musée et de l’artiste au premier niveau, qui est peu explicite et moins réussi que les autres espaces. Je n’ai pu appréhender le fil de cette exposition qu’à partir du deuxième niveau, notamment avec la très belle salle « Exotismes » où la confrontation des œuvres est évidente.En revanche, la thématique du costume m’a paru s’effacer au fil des salles pour devenir presque secondaire et « décorative » mis à part dans la séquence « Le modèle antique » où les trois robes créées pour La descente d’Orphée aux enferss’intègrent parfaitement.
Heureusement, en l’absence de guide de visite, le musée a créé une application pour cette exposition. Tel un véritable audioguide, cette application apporte beaucoup de contenu à l’exposition et surtout des explications qu’il serait difficile de trouver par soi-même. Bien conçue et facile d’utilisation, elle est un véritable plus pour cette exposition pensée par Christian Lacroix. Le couturier relève le défi haut la main et il est réjouissant de penser que certaines de ses créations au sein du musée, comme ses moquettes et voilages, pourront être admirées sans limite de temps !
LT
Lumières: Carte blanche à Christian Lacroix
Du 19 novembre au 19 avril 2015
Musée Cognacq-Jay
Rue Elzevir
75004 Paris
Pour aller plus loin :site du musée Cognacq-Jay
#Lacroix
#exposition
#XVIIIe

Christo in Paris ou la nécessité de l'art public
© Christo et Jeanne Claude, 1985
Rapidement se pose le problème principal de l’implantation d’une œuvre dans l’espace public: vont-il avoir l’autorisation ? S'ensuit de nombreuses rencontres relatées dans le documentaire jusqu’en 1982 avec pour objectif de convaincre Jacques Chirac alors maire de Paris. Tous les dialogues sont savoureux : une dame conservatrice dit “moi je suis très sectaire quand on touche à mon vieux Paris, j’aime mon pont comme il est”, un homme politique éclairé comme Michel Boutinard Rouelle, directeur des affaires culturelles de la ville de Paris, comprend la démarche artistique de cette œuvre dans l’espace public et déclare : “le débat a une valeur, un intérêt en soit pratiquement égal à la réalisation de l’œuvre” mais il rappelle très vite que la personne à convaincre est Jacques Chirac et que le dossier doit être solide. Le Général de Guillebon rappelle au couple que Chirac pour un projet se demande ce qu’on va penser de lui et au vote des Parisiens puis Michel Debré, ancien premier ministre conseille qu’il faut le rassurer.
Christo tente de convaincre en réalisant une maquette de son travail qui est présenté à la Samaritaine pendant 3 semaines. Il est tout suite plus simple d’appréhender un projet en pouvant le spatialiser, l’imaginer physiquement. Avant même de le rencontrer Christo apprend d’une journaliste que Chirac ne serait pas favorable au projet. Les arguments concernent l’art contemporain, la façon de prendre le public pour des non-initiés : les gens ne comprendraient pas, ils vont se demander combien ça coute, c’est pas beau, c’est monstrueux, c’est ridicule. On entend Christo dire : mais comment les choses peuvent être si politiques ? Ghislaine Ottenheimer journaliste lui souffle l’idée salvatrice : créer un enthousiasme dans le quartier pour dépolitiser le projet : ce n'est au fond pas le problème du maire de Paris, c’est le problème des Parisiens, il n’a qu’à convaincre les habitants qui convaincront ensuite le maire. Christo part à la rencontre des riverains : dans les boutiques, les entreprises, les associations, il discute avec les boulistes de l’île de la cité ou lors de cafés débats.
En 1982, c’est le grand moment : la rencontre avec Chirac. Celui-ci, écoute Christo lui parler du projet et répond “je ne suis pas sûr que ce soit un excitement pour les Parisiens et je crains que le projet ne soit pas bien reçu”. Quelques minutes plus tard, la terrible question que le monde de la culture craint : “Qu’est-ce que ça coute à la ville de Paris ?”. Christo a la chance de pouvoir autofinancer son projet avec la vente de dessins et collages mais pour de nombreux projets artistiques cela signe souvent la fin de l’aventure. Malgré cette réponse, le couperet tombe : à un an des élections municipales, il ne souhaite pas que cela devienne un cheval de bataille politique, le rendez-vous est pris après avril 1983 et sa quasi sure réélection. Comme dit Jeanne-Claude à la sortie de la réunion : “French politican are playing ping pong and we are the balls”.
Extrait du documentaire Christo in Paris par Deborah Dickson, David Maysles, Susan Froemke, Albert Maysles, 1990
Finalement 1985 est l’année de la réalisation, 10 ans après les premières esquisses. Lors du vernissage, Chirac s’exprime : “C’est une réussite” et lorsqu’un journaliste lui demande s’il est d’accord avec ce projet soutenu par Jack Lang, ministre de la culture il réplique :”J’ai été le premier à donner mon autorisation mais cela ne s’est pas fait suite à des problèmes d’ordre juridique sur la propriété du Pont neuf” Sans doute avait-il oublié ses propos recueilli trois années plus tôt dans son bureau...
La franchise est nette dans les réactions et les débats entre Parisiens à la vue de ces 40 000m2 de tissus recouvrant le Pont Neuf : “C’est affreux, c’est un homme riche et s’il ne sait pas quoi faire de son argent il n’a qu’à me le donner ?”, “J’aimais mieux l’ancien pont” “- Mais qu’es- ce que c’est ? - C’est son idée. - ll y a des farfelus partout”. “C’est gratuit. Non l’art c’est pas gratuit, ni payant c’est exprimer ce que l’on ressent”. A l’écran, le critique Pierre Restany des gens qui marchent prudemment sur le pont emballé, un professeur qui donne des petits bouts de tissus à des enfants, des amoureux s’embrassent sur les berges, la vie continue…
Extrait du documentaire Christo in Paris par Deborah Dickson, David Maysles, Susan Froemke, Albert Maysles, 1990
Le film se clôt sur le débat public entre trois hommes : le premier n’apprécie pas l’œuvre, et à la question de ce qu’est l’art pour lui il répond : “C’est une idée, une création de l’esprit qui transpose la réalité de telle façon qu'elle l’exprime pour être sensible aux autres”. Un jeune homme s’interpose et répond : “Et bien moi ça me fait pleurer de voir ça”. La dernière phrase, prononcée par le troisième homme est la dernière du film : “Moi je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas, si il n’y avait pas le pont emballé on ne se serait jamais parlé. Jamais”.
Le projet d’empaquetage de l’Arc de Triomphe sera réalisé à l’automne 2021. André Grossmann / Christo/ AFP
Ce documentaire ne montre pas un simple projet artistique dans sa réalisation concrète, c’est un réel voyage à travers les années, les souvenirs de Jeanne-Claude et Christo, qui malgré les obstacles ont réalisé un projet fort ayant eu un impact sur les visiteurs. Dans le documentaire, Christo dit que ce qui est intéressant dans la réalisation de cette œuvre c’est que contrairement à un musée où les visiteurs sont face à un objet final, dans le projet du Pont Neuf et donc par extension dans les projets d’art public, le visiteur est confronté à lui-même, à son goût et au fantasme qu’il entretient tout au long de l’avancement du projet qui permet de lancer et d’entretenir un dialogue avec les autres. Nous n’avons plus qu’à espérer vivre à nouveau cette émulation lors de l’empaquetage de l’Arc de Triomphe qui sera réalisé à l’automne 2021 selon les plans et maquettes laissés par Christo.
Cloé Alriquet
#art public
#artcontemporain
#christo
Pour découvrir le reportage : https://www.youtube.com/watch?v=WaMxmAv9Au0
Pour découvrir l'exposition Christo et Jeanne Claude au Centre Pompidou : https://www.centrepompidou.fr/cpv/agenda/event.action?param.id=FR_R-c0a1759d-b14c-4969-988e-286f48305c75¶m.idSource=FR_E-5d4cd406-038e-4c4c-a77d-3266b293a2dd

Comment nous avons construit une cathédrale
A l’occasion des 800 ans de la cathédrale Notre Dame d’Amiens, la métropole a invité l’artiste Olivier Grossetête à construire une architecture insolite dont il a le secret de fabrication. L’évènement nommé « Les bâtisseurs cartonnent » propose aux habitant.es de participer à la construction d’une cathédrale géante le tout en carton. C’est l’occasion de revenir sur le projet artistique et humain que propose l’artiste au cours de ses interventions à travers le monde.
Affiche de l’évènement « Les bâtisseurs cartonnent » dans la ville d’Amiens.
©AGR
Le concept de l'artiste
Atelier de fabrication et modules d’assemblage.
©AGR
Entre production artistique et médiation collective
Phase de construction sur le parvis de la cathédrale Notre Dame d’Amiens.
©Amiens Métropole
Axelle Gallego-Ryckaert
CONTRE TEMPS / Le Bureau du dessin
Le Bureau du dessin est un événement réunissant les écoles d'art du Grand Est : l'ESAL (Metz-Epinal), l'ENSAD (Nancy), la HEAR (Strasbourg-Mulhouse) et l'ESAD (Reims).
5 étudiants sont sélectionnés en novembre dans chaque école et se rencontrent pendant une semaine de workshop intensif où ils produisent des projets qui questionnent les formes multiples du dessin et ses modalités d'exposition.

Affiche de l'exposition
Une exposition est ensuite montée par les étudiants dans un lieu proche de l'école organisatrice ou dans l'école en question ( par exemple «et inversement... » s’est tenu dans la Galerie Namima del'ENSAD, Campus Artem, Nancy)
Pour cette édition 2017, c'est à Reims que cela se passe, au cœur du musée historique Saint-Remi.
Pour saisir le point de vue d'un jeune artiste, allons à la rencontre de Simon Deburck, étudiant à l'ENSAD, et Cécile Pétry, étudiante àl'ENSAD également, pour l'exposition Contre Temps qui s'est déroulé du 18 novembre 2017 au 8 décembre 2017.
Début de l'interview
Charlène : Quel est la problématique de cette édition 2017 de l'exposition Contre Temps ?
Simon : Cette édition a lieu dans le musée Saint-Remi de Reims et la problématique Contre Temps y est fortement liée. Le musée recense beaucoup d’œuvres et de pièces de différentes époques relatant l'histoire de Reims. Cela va du Mérovingien aux années 1900. Je pense que les mots "Contre Temps" montrent parfaitement cette étendue d'histoire concentrée en un seul lieu, le musée Saint-Remi.
© ESAD Reims, vue de l'exposition
Comment as-tu abordé cette thématique ? Peux-tu nous expliquer ton projet ?
Étant donné l'écart chronologique dans le musée et la disparité des œuvres, j'ai voulu créer un personnage de bande dessinée immortel qui aurait eu une histoire, un lien avec tous ces objets.
© Simon Deburck, « Les aventures de John l'Immortel »
© Bureau du dessin, Vue rapprochée d'une vitrine
Comment s’est déroulé la préparation à l'exposition ?
Le lundi 13 novembre, nous sommes allés au musée vers 15h. Puis nous étions lâchés pour le visiter. Nous avions jusqu'à 16h pour trouver une idée de projet. De 16h à 18h, grande réunion pour présenter nos projets. Le lendemain matin, de 9h à 12h, nous devions trouver les dispositifs d'accrochage. Pour ce musée classé, nous devions trouver des alternatives différentes en fonction des lieux d'accrochages et des projets. Ensuite, lemardi de 14h à 18h, Le mercredi et jeudi toute la journée, j'ai créé mon projet. Et le vendredi, du matin jusqu'à 15h, nous avons accroché.
Quelles étaient ces alternatives d'accrochage ?
Par exemple, ne pas mettre de clous sur tous les murs et sur certains, on ne pouvait rien mettre. On a mis du double face. Pour accrocher le projet de Cécile Pétry (artiste de l'exposition), les professeurs ont mis des allumettes cassées dans des fissures du mur puis avec des épingles, ils ont planté le dessin dans les morceaux d'allumettes.
Quelest ton projet et quelles ont été les contraintes liées àl'accrochage ?
Cécile : Pour l'accrochage, mon dessin est dans la salle des arcs boutants. Onne pouvait rien utiliser (ni scotch, ni clous, ni patafix), il était seulement possible de se servir de ce qui était déjà en place. Avec Etienne Pressager (professeur à Nancy) nous avons vu des petites fissures dans le mur là où je voulais placer mon dessin, Etienne a proposé un système d'accrochage qui exploiterait ces fissures sans endommager le mur. On a finalement glissé des allumettes dans les fissures (après avoir mesuré et coupé la profondeur adéquate), puis dans ces allumettes nous avons fixé de petits clous qui tenaient le dessin ? C'est assez compliqué comme système, mais finalement l'accrochage est presque imperceptible et ça me plaît beaucoup.
Comment as-tu géré le fait que ce soit un bâtiment classé ?
Le fait que ce soit un bâtiment classé m'a influencé dans mon travail. C'était très stimulant, où qu'on aille il y avait deschoses extraordinaires et intéressantes qui en quelque sorte nous poussaient à faire de notre mieux. En même temps, la diversité des formes exposées, le lieu transformé (une abbaye en musée) nous autorisaient une certaine liberté d'interprétation.
© Cécile Pétry, oeuvre enroulée
Charlène : Commentse passe le montage de l'exposition ?
Simon : Pour ma part, j'avais choisi les lieux où je placerai mes bandes dessinées. C'est pourquoi le mardi toute la matinée j'ai conversé avec la personne chargée de l'accrochage de l'exposition pour trouver des solutions. J'ai dû demander l'ouverture d'une vitrine pour pouvoir y placer une de mes planches. Et seule une personne du musée est autorisée à les ouvrir. Il y avait beaucoup de contrainte de ce type pour l'accrochage, ce qui nous forçait à y réfléchir en amont. Les enseignants sont présents pour nous aider lors des accrochages. Enfin, quand un étudiant avait fini d'accrocher son travail, il aidait les autres car nous avions peu de temps avant le vernissage.
©ESAD Reims, vue du montage de l'exposition
Quelle médiation est prévue ?
Si je ne me trompe pas, ce sont des étudiants de Strasbourg qui ont créé la signalétique à l'aide d’autocollants colorés. Nous étions quelques étudiants à avoir un travail dispersé dans le musée, il fallait alors un moyen simple et efficace pour signaler les liens entres les productions. Le catalogue d'exposition se base également sur cette signalétique. Pour ce qui est de la médiation orale, nous avons expliqué à la personne chargée de la communication notre travail et elle s'est chargée de l'expliquer aux médiateurs du musée.
Est-ce que c'est ta première exposition ? Quelles sont tes opportunités d'exposer en tant que jeune artiste ?
C'est ma 4ème exposition. Étant en option Communication, je dois t'avouer que ce n'est pas un sujet auquel j'ai réfléchi. Ma première exposition, avec la classe entière, a eu lieu à Cholet grâce à la Prépa des beaux arts de Cholet dont j'ai fait partie. La seconde exposition a eu lieu durant ma première année avec le projet Cora qui est proposé chaque année à Nancy. La troisième est dû à Lina Hentgen (professeur à l'ENSAD) l'année dernière à la GhotHouse de Delme. Lina étant invitée pour exposer, elle a entraîné une quinzaine d'étudiants pour travailler avec elle. Avec du recul, c'est grâce aux personnes que j'ai rencontrées que j'ai pu exposer. Je pense donc que se faire un réseau est un moyen d'avoir des opportunités d'expositions.
Dans quel musée aimerais-tu exposer ? Et quelles sont tes attentes en tant qu'artiste des lieux d'exposition ?
Je ne sais pas dans quel lieu d'exposition j'aimerais le plus exposer. Je ne suis pas contre les contraintes dans les lieux d'expositions. Le musée Saint-Remi en est la preuve, cela donne à réfléchir et nos productions peuvent évoluer ou prendre une tournure différentes grâce aux contrainte. J'ai souvenir d'un lieu d'exposition à Nantes du nom de Tripode où les murs sont noirs et inclinés, ce qui donne à réflexion pour un accrochage.
Fin de l'interview
Les rendez-vous du Bureau du dessin sont une occasion pour les étudiants, jeunes artistes, de monter une exposition où tout le déroulement est un processus inédit. Le workshop intensif permet de monter un projet en entier par rapport à la thématique en rapport avec le lieu, classé monument historique. Cela remet en cause les logiques d'accrochage et confronte les artistes à de nouvelles contraintes qui ne sont pas vues lors d'accrochage dans l'école. C'est uneoccasion d'apprendre avec les professeurs, habitués à exposer dansdivers lieux et à imaginer des astuces. Pendant l'accrochage, les étudiants apprennent aussi à manipuler des œuvres : utiliser des gants, les protéger et les stocker, les premiers rudiments de la régie d'exposition.
Si vous avez loupé cette édition, ne vous inquiétez pas Le Bureau du dessin remet le crayon l'année prochaine !
Charlène Camarella
http://www.tripode.fr/index.php?/2014/francois-lancien-guilberteau-vues-expositions/

COULEUR(S) : Immersion contemporaine
Thématique si récurrente de l’histoire des arts et donc des expositions d’art, la couleur est cette année omniprésente dans les programmations culturelles. Comment proposer une nouvelle perception pour une thématique si rebattue ?
Affiches La Couleur Crue et Au-delà de la Couleur : Le Noir et le Blanc dans la collection Pinault ©MBA Rennes et Métropole Rennes
Quand je suis de passage à Rennes, une affiche d’exposition placardée sur tous les murs de la ville m’intrigue. C’est un aperçu de la collection Pinault au couvent des Jacobins. Le mot couleurs apparaît successivement sur les affiches. En parallèle de cette exposition, le musée des Beaux-Arts de Rennes propose une immersion dans la couleur crue.
Des expositions qui se répondent
Deux directions ont été prises dans ces expositions. La fondation Pinault propose un très grand parcours avec une découverte progressive du noir et du blanc, puis une rencontre de ces deux couleurs. La déambulation reste intime et personnelle avec les œuvres d’art. Le Musée des Beaux-Arts de Rennes propose quant à lui une expérience de la couleur, une immersion directe dans les pigments et à renfort d’œuvres interactives avec les visiteurs.
Créer des liens entre lieux culturels est essentiel et proposer deux expositions sur le même thème dans une même ville est très intéressant du point de vue expographique.
Chacune des expositions abordent la couleur à travers l’art d’une manière qui lui est propre. C’est tout l’intérêt d’une telle proposition. Les discours ne sont pas répétés mais se complètent. De plus, le livret de visite est pensé d’une manière commune, d’un côté l’exposition « Au-delà de la couleur. Le noir et le Blanc dans la collection Pinault », de l’autre « La couleur crue », ce qui peut inciter le visiteur à continuer sa visite dans l’autre lieu.
Si ces deux visites sont bien différentes par leur propos, un élément leur est commun : celui de l’expérience esthétique. Les œuvres sont convoquées pour faire vibrer nos émotions. Dans ces deux exemples, il ne s’agit pas de revenir sur l’histoire de la couleur ou de sa signification.
Ce sujet peut être perçu comme inépuisable, car il existe une multitude de perceptions, de pensées autour de la couleur.
Plusieurs éléments permettent de la revisiter : l’expérimentation, l’histoire, l’approche sensorielle et surtout le propos qui accompagne l’exposition. C’est à la fois laisser au visiteur le choix d’apprécier une couleur et d’approfondir sa perception par un propos.
Au delà de la couleur. Le noir et le blanc dans la collection Pinault
Dès l’entrée, la pluie d’or des fenêtres du couvent nous accueille. C’est l’affirmation d’une architecture moderne et épurée incrustée dans un lieu riche en histoire. Un véritable tour de force est proposé par la fondation Pinault, être visible dans deux villes françaises de manière simultanée à la fois à l’ouverture de la Bourse de commerce à Paris et à Rennes au couvent des jacobins.
« Le blanc et résulte du « mélange de toutes les couleurs » et le noir de leur absence. Pourtant, le blanc et le noir sont culturellement des couleurs, au même titre que le rouge, le bleu ou le jaune. Elles ont une histoire, elles véhiculent une mémoire. »
Texte du livret de l’exposition
L’exposition « Au-delà de la couleur. Le noir et le Blanc dans la collection Pinault » propose un éventail des œuvres collectionnées par François Pinault. Toutefois, les œuvres ne sont pas simplement posées pour qu’elles soient admirées, un réel questionnement autour du noir et du blanc accompagne le parcours.
Vues de l’exposition Au-delà de la couleur, Couvent des Jacobins ©Anaïs Vdx.
Le noir et le blanc ne sont pas des couleurs, le titre l’affirme avec le « Au-delà de la couleur ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Noir et blanc questionnent notre rapport à la mort, au deuil, et aux images.
Le choix des œuvres d’art est également remarquable. Les couleurs se répondent tout au long de la mise en espace jusqu’au moindre détail des sols et des murs. Les deux couleurs sont en dialogue.
« Couleur Crue » au Musée des Beaux-Arts de Rennes
Autre exposition, autre proposition. C’est une Immersion instantanée dans la couleur. Le bleu, le rose, le jaune, le vert, que composent les deux œuvres de Flora Moscovici et Katharina Grosse. Ces artistes réveillent nos émotions. Leurs œuvres sont le premier contact avec l’exposition, elles propulsent les visiteurs dans une danse colorée.
Installations de Flora Moscovici et de Katharina Grosse (gauche) et Orange de Véronique Joumard (droite), Musée des Beaux-Arts de Rennes,
©Anaïs Vdx.
La visite se continue avec une entrée orangée, œuvre de Véronique Joumard elle impulse une interactivité entre les visiteurs qui sont invités à laisser leurs traces sur ce mur orange. La peinture thermosensible réagit à la chaleur humaine. C’est expérimenter la couleur, lui donner une matérialité. Une fois la matière éprouvée, nous sommes plongées dans le traditionnel white cube. Le parcours de l’exposition se termine sur la décomposition de la couleur, des morceaux de peinture se décollent. C’est le mur de pellicules de Michel Blazy. Que se passe-t-il quand la couleur est présente mais que nous ne pouvons pas la toucher ? La capturer ? L’installation Rose de l’artiste Ann Veronica nous plonge dans un espace qui trouble nos sens. Nous traversons un brouillard de couleur rose.
#couleurs #musées #expositions
Cultures souterraines
Qui n'a jamais rêvé de s'enfoncer sous terre, d'explorer grottes et lacs souterrains, équipé d'une lampe frontale, d'une carte, d'une combinaison et d'un harnais ? Il en est sûrement parmi vous qui ont réalisé ce rêve, amateurs ou professionnels. Mais n'importe qui ne peut pas s'improviser spéléologue, et encore moins dans un cadre urbain. Dans les milieux cataphiles¹, vous êtes un « touriste » si c'est votre première descente. La cataphilie contemporaine est proche de l'urbex, l'exploration urbaine. L'urbex consiste à explorer des lieux construits par l'homme, abandonnés ou non, interdits ou difficiles d'accès. Être cataphile ou explorateur urbain ce n'est pas la même chose, les seconds qui aiment les souterrains ne sont pas des cataphiles.
Quid du culturel dans tout cela ? Et bien, certains de ces amateurs de souterrains ont choisi de rendre accessibles ces endroits à un public, certes peu nombreux. Différentes initiatives peuvent être recensées, mais la plupart d'entre elles restent inconnues, introuvables. Festivals, expositions, lieux culturels, on trouve de tout sous terre !
Sous terre, tout est possible
La Mexicaine de perforation est probablement le plus connu de ces groupes, responsable des Arènes de Chaillot, salle de projection clandestine sous le palais de Chaillot. Branche « événements artistiques » de l'UX, agrégation de groupes clandestins, la Mexicaine de perforation a pour but de créer des zones libres d'expression artistique. À l'origine de plusieurs festivals de cinéma mais aussi de représentations théâtrales, LMDP n'investit pas uniquement des lieux souterrains (le Panthéon, les grands magasins,...). Urbex Movies et Sesión Cómod sont les deux festivals qui ont été organisés par LMDP. Le premier projetait des classiques sur le thème de la ville comme Eraser Headde David Lynch, Fight Clubde David Fincher ou encore Ghostin the Shellde Mamoru Oshii. Le second projetait des films en lien direct avec le souterrain, comme La Jetéede Chris Marker ou Le Dernier Combatde Luc Besson. En 2004 la salle de projection fut découverte par la police, et EDF porta plainte pour vol d'électricité (il fallait bien faire fonctionner ce cinéma...).
La salle de projection clandestine à Chaillot ©Urban Resources
Directement issue de l'héritage de la Mexicaine de Perforation, la Clermontoise de Projection Underground, basée à Clermont-Ferrand, organise lors du Festival Underfestprojections, concerts et expositions. A lire dans « Urbexet culture avec la Clermontoise de Projection Underground » à paraître bientôt !
Bien sûr, tout cela est clandestin, et donc interdit. Même sans laisser de trace, pénétrer dans un lieu privé est interdit par la loi. Celui qui se fait prendre s'expose à des poursuites. C'est pour cela que tous ces événements ne concernent que quelques personnes, en général entre trente et cinquante. De plus, la communication est très limitée, il n'est pas toujours facile de savoir comment procéder pour assister à un de ces événements ! C'est le cas des vernissages de Madame Lupin, des expositions d'art contemporain dans des lieux insolites, interdits au public. Il faut réserver sa place, les instructions sont envoyées très peu de temps avant la tenue de l'exposition. Avec quatre expositions à son actif, cette association propose des lieux aussi éclectiques qu'une piscine désaffectée, le fort d'Aubervilliers, un lieu souterrain ou encore le musée des Arts et Traditions Populaires². En plus de ces expositions, l'association organise régulièrement des dîners des lieux insolites. L'exposition Hiddenunder the sand se déroulait dans un lieu souterrain inconnu, partiellement ensablé.
« Hiddenunder the sand » ©G.V.
Des événement culturels clandestins ?
Toutefois, l'occupation culturelle d'un lieu souterrain ne se fait pas forcément de manière illégale, des initiatives légales ont aussi vu le jour. En Croatie, la ville de Pula a pris l'initiative d'ouvrir ses souterrains datant de la Première guerre mondiale au public, tout en proposant régulièrementdes expositions et des manifestations culturelles.
Les souterrains de Pula ©S.B.
Le festival Art souterrain de Montréal
Encore plus développé, le festival Art souterrain se tient à Montréal tous les ans, à l'occasion de la Nuit Blanche. Le but de ce festival est d'exposer les œuvres d'environ quatre-vingt artistes dans la ville souterraine. En effet, la ville possède un réseau souterrain ultra développé (33 km sous terre) qui permet de relier les différents quartiers de la ville. De nombreux commerces et services sont implantés dans ce réseau. En 2016, pour la 8ème édition, le festival Art souterrain a proposé quatre circuits qui emmenaient le public dans treize édifices souterrains.
Doté d'un commissariat d'exposition, le festival propose aussi un parcours « satellite », dans des galeries et lieux culturels de la ville, ainsi qu'un grand nombre d'activités. Visites guidées, visites d'ateliers d'artistes ou médiations pour les scolaires sont proposées tout au long du festival, qui dure presque un mois entier. La prochaine édition se déroulera du 4 au 26 mars 2017, et aura pour thème « Jeu et diversion ».
Et même sur Google !
Sur un terrain plus institutionnel et dématérialisé, Google Arts & Culture regroupe sous le projet Curio-cité des expositions en ligne et des explorations urbaines dans des lieux normalement interdits au public, inaccessibles ou même détruits. Ainsi il est possible de « visiter » les sous-sols du palais de Tokyo, la verrière du Grand Palais, ou encore la fameuse tour 13, investie par de nombreux artistes puis démolie.
L'occupation culturelle des lieux souterrains par des collectifs est due à une convergence entre le fait de braver l'interdit, de redonner un but à des lieux désaffectés, de contrer un système « élitiste » de l'exposition, et tout simplement aussi, de partager des moments chaleureux. La plupart de initiatives sont probablement inconnues, tenues secrètes. Faut-il qu'elles restent telles quelles, ou qu'au contraire, il y ait de la communication et donc une ouverture au public ? Une normalisation, une légalisation, une institutionnalisation ? Cela ne risquerait-il pas de les faire disparaître, de déformer ces pratiques si uniques ?
Juliette Lagny
#artsouterrain
#urbex
1 Un cataphile est une personne qui aime visiter les anciennes carrières souterraines de Paris, de manière interdite.
2 Article sur l'exposition au musée des Arts et Traditions Populaires http://www.linstantparisien.com/paris-underground/
CURA : l’art contemporain en scène
Dans le cadre du projet national CURA, les arts visuels s’emparent de la scène. Pour cette saison 2024-2025, le Tandem Scène nationale (Arras / Douai) collabore avec le curateur Mehdi Brit pour proposer quatre événements d’art contemporain. Pour mieux appréhender le projet CURA, nous avons rencontré Fabien Hénocq, secrétaire général du Tandem, et Mehdi Brit.
Logos du Tandem Scène nationale et du projet CURA
Le projet CURA au cœur des scènes nationales
La saison 2024-2025 du Tandem Scène nationale met à l’honneur le curateur, directeur artistique et directeur de projets culturels Mehdi Brit, responsable du spectacle vivant de la région Île-de-France. Fort de son expérience dans les domaines des arts visuels et du spectacle vivant, Mehdi Brit a fondé plusieurs festivals et projets culturels sur la scène française et internationale (Festival de la Croatie et In Process en France, Festival Emerge à l’international (Belgique, Irlande)…), le magazine Revue Diapo, et a publié le premier ouvrage sur l’histoire de la performance en France : Interviewer la Performance. Regards sur la scène française depuis 1960 (2014).
Tandem Scène nationale, dirigé par Gilbert Langlois, réunissant le Théâtre d’Arras et l’Hippodrome de Douai, s’associe au projet CURA durant l’année 2024-2025. Ce projet est initié par le Centre national des arts plastiques (Cnap), l’association des scènes nationales (ASN), le ministère de la Culture et la Direction générale de la création artistique (DGCA). Cette première édition de CURA vise à soutenir la présence des arts visuels et de la pratique curatoriale au sein des scènes nationales. C’est pourquoi ces dernières sont mises à l’honneur dans toute la France pour la saison 2024-2025, comme La Maison de la Culture à Amiens, L’ARC scène nationale du Creusot, le Volcan au Havre, le Phénix de Valenciennes, ou encore la Garance à Cavaillon. C’est une occasion pour ces scènes nationales d’expérimenter une programmation d’art contemporain pour une saison et de faire découvrir la création contemporaine à un large public sur un vaste territoire.
Mehdi Brit s’aventure en région inconnue pour créer un projet conceptuel et expérimental pensé uniquement pour Tandem et ses espaces. Que voir durant les temps forts de CURA ? Des espaces exploités différemment, des actes sur des temps éphémères, ou encore différents spectacles dans une journée qui mêlent performance, danse, chant, audiovisuel. Ce changement de rapport, qui est d’investir des lieux durant toute une journée, est expérimental pour le Tandem. Pour cette saison, nouvel enjeu, nouveau défi : présenter au public des arts visuels de manière pluridisciplinaire qui se manifestent par la découverte de 50 œuvres d’artistes nationaux et internationaux spécialement choisis pour ce projet, présentés pendant huit jours, sur quatre temps.
A gauche : L’Hippodrome de Douai, inauguré en 1904, est inscrit comme Monument historique. Il est l’un des six cirques en dur de France © Tandem.
A droite : Une des salles avec coupole à l’italienne du Théâtre d’Arras. Le bâtiment, situé en plein centre-ville, est inscrit comme monument historique © Tandem.
Un événement en quatre actes
Mehdi Brit s’est donné comme fil rouge le tragique et la tragédie : relations humaines, espaces politiques et sociaux… autant de thématiques abordant des sujets sociétaux et associant divers arts, la performance, la musique, la danse, ou encore le chant. Mehdi Brit cite la latiniste et helléniste Florence Dupont, pour qui la tragédie fait figure d’art total car tous les arts sont explorés en son sein. En volonté totalisante de réaliser à travers l’union des arts un rituel impliquant le public, Mehdi Brit invite ce dernier à déambuler dans un spectacle immersif. Établir un lien entre le vivant et le visuel, entre le public et les artistes, ces chapitres jouent à faire dialoguer les corps.
Cyprien Gaillard, Real Remnants 2, © CG.
ACTE I - Entre les deux rives : le regard de la Tempête
Le premier acte s’inspire fortement de la pièce de théâtre de William Shakespeare, La Tempête (1610-1611), qui questionne les questions d’exil, de frontière, de refuge. Ce voyage immersif se tiendra du 22 au 24 novembre 2024 à Douai en compagnie d’artistes tels que Shangguan Zhe ou Korakrit Arunanondchai et de leurs installations en accès libre à l’Hippodrome. Le film du plasticien Cyprien Gaillard, Real Remnants of Fictive Wars I, entre Land Art et romantisme, sera à découvrir au cinéma Paul-Desmarets afin d’appréhender la notion de vandalisme, chère à l’artiste. En salle Obey, durant une trentaine de minutes, la chorégraphe Ola Maciejewska revisitera les danses serpentines inventées par la danseuse américaine du XIXe-XXe siècles Loïe Fuller sous la forme de mouvements changeants, invitant le public à une réflexion sur la métamorphose. Une programmation est associée aux différents actes et proposera en novembre un concert-DJ Set de l’auteur-compositeur-interprète Dominique Dalcan. Le leitmotiv de ces actes sera l’organisation de cycles de rencontres avec la philosophe Fabienne Brugère en lien avec les thèmes abordés dans chaque chapitre. La première table ronde questionnera l’exil.
Korakrit Arunanondchai, Songs of dying © KA.
ACTE II - Quand la catharsis flirte avec le crépuscule
Pour ce second acte symbolisant l’acmé, moment de tension maximale, Mehdi Brit, du 28 au 30 mars 2025, invite 9 artistes internationaux ainsi que des élèves des conservatoires d’Arras et de Douai à envahir la scène, inonder les espaces du théâtre d’Arras. Acte de débordement avec Fireflies, film de Pauline Curnier Jardin qui explore un univers peu orthodoxe qu’est celui des travailleuses du sexe, ou encore énergie euphorisante grâce à la performance de Tarek Atoui abordant en musique des problématiques socio-politiques actuels, Quand la catharsis flirte avec le crépuscule est un acte de chaos, de tension recherchée, afin d’illustrer de puissants moyens d’expression et de revendication identitaire.
Dominique Dalcan © DR.
ACTE III - Le désenchantement, les ruines et le lointain
Après l’euphorie, la redescente. Alors que l’acte précédent traite de tension et de débordement, dans une joie certaine, ce troisième acte aborde la ruine. Installés à Douai les 12 et 13 juin 2025, les artistes présents s’interrogent sur l’effondrement de notre monde, ces différentes causes, tout en gardant une lueur d’espoir. Marcos Ávila Forero, lauréat du prix Ricard 2019, y présente notamment Un autre « Perses » d’Eschyle, une installation, performance, lieu de débat et film qui rapproche les tensions actuelles au Moyen-Orient et cette tragédie antique narrant la bataille entre les Grecs et les Perses. Cette œuvre cohabitera avec d’autres performances ou projections, comme Untitled (Human Mask) de Pierre Huyghe, où l’on observe ce singe au masque d’humain, abandonné dans les ruines de Fukushima. Il s’agit ici de sublimer le désenchantement, d’appuyer sur ce qui va mal pour espérer mieux, d’où le lointain salvateur du titre de l’acte.
Untitled (Human Mask), Pierre Huyghe, 2014 © PH.
ACTE IV - Sublime or Something to love
Et quel meilleur espoir que l’amour ? Le weekend des 14 et 15 juin 2025, Arras accueille une ode à l’amour. Korakrit Arunanondchai est de nouveau exposée pour son film Songs for living, réalisé au moment du déconfinement, qui redéfinit le lien entre l’humain, son environnement, et l’autre. À travers le rapport amoureux, qu’il soit charnel, platonique ou sublimé, l’intention est principalement de finir sur une note positive. La musique a une place importante dans cet acte, avec des musiciens et artistes protéiformes comme Chenchu Rong ou Erwan Ha Kyoon Larcher. Dans toutes les histoires, l’amour est présent, même si les passions sont parfois des souffrances. Aimer l’autre, c’est le regarder différemment, l’analyser d’une façon singulière, et c’est ce qu’explorent les derniers artistes du projet CURA. Le sentiment amoureux est un moyen de fédérer et de sortir de ces ruines. L’amour vient nous réenchanter.
Song for living, Korakrit Arunanondchai, 2022 © KA.
Mais à quoi s’attendre ?
Le projet CURA est un moyen ambitieux de réunir un grand nombre d’artistes, présentant des œuvres hétéroclites et singulières allant de la vidéo à la mode, en passant par la performance. C’est l’occasion pour le Tandem de présenter des œuvres transdisciplinaires, et non pluridisciplinaires. Le projet CURA invite les visiteurs à lâcher prise, à se saisir d’éléments qui leur feront écho. Le temps d’un acte, le théâtre se transforme en espace d’exposition polymorphe.
Mais quels sont donc les publics ciblés ? Ni Arras, ni Douai, n’ont de centre d’art contemporain et les habitués du Tandem sont majoritairement âgés. Cependant, en plus d’être une occasion d’intéresser un public plus jeune, la réalité est que les propositions de Mehdi Brit s’insèrent parfaitement dans la programmation du Tandem. Depuis plusieurs saisons, cette Scène nationale propose des spectacles hybrides mêlant la danse, le théâtre et les arts visuels. Si « l’art contemporain » peut faire peur du fait d’être conceptuel et parfois difficile à saisir, les quatre actes qui ponctuent cette saison trouveront leur public. L’enjeu pour le Tandem est maintenant de communiquer sur ces événements pour donner leurs repères aux spectateurs. Cela passe également par la gratuité de certaines installations, permettant à tout un chacun de s’y risquer. Les actes sont organisés comme des moments de vie, les visiteurs sont invités à investir l’espace différemment, à sortir de l’évidence du rapport aux salles de spectacle, à rester sur les lieux plusieurs heures en profitant d’une offre de restauration.
Le risque est tout de même présent : les œuvres contemporaines sont ici données au public pour qu’il s’en saisisse, qu’il écrive sa propre histoire au travers de ce qui résonnera en lui. Malgré cette volonté fédératrice de rassembler les publics et les artistes dans une forme de communion, il n’empêche qu’un manque de scénarisation peut déranger certains visiteurs qui ont besoin de trouver du sens et de connecter ces œuvres entre elles. La médiation autour de Cura devra être explicite et accessible pour que le contenu des quatre actes produise les émotions escomptées.
Le projet Cura de Mehdi Brit et du Tandem Scène nationale nous invite à être curieux et à découvrir des œuvres d’artistes contemporains, internationaux et reconnus. C’est un événement unique, et non une simple exposition : temps forts, formes variées, sujets actuels qui touchent tout le monde. Sur scène, l’art vivant prend tout son sens.
Nous souhaitons remercier Mehdi Brit et Fabien Hénocq pour ces temps d’échanges qui ont nourri la rédaction de cet article.
Séléna Bouvard & Jules Crépin
En savoir plus :
- Découvrez la programmation des événements de Mehdi Brit au Théâtre d’Arras et à l’Hippodrome de Douai pour la saison 2024-2025 : https://www.tandem-arrasdouai.eu/programme/arts-visuels
- L’appel à projet Cura, c’est quoi? : https://www.cnap.fr/programme-national-cura/appel-projet-cura
#artcontemporain #artsvisuels #scènenationale

Dans les éclats du miroir : les musées au regard du pays des merveilles.
La saison dernière, les musées de Strasbourg consacraient une exposition au chef d’œuvre de Lewis Carroll. Retour sur une exposition qui vous fera, sans hésitation, donner votre langue au chat.
Image d’introduction : L’entrée par la gueule du chat, une œuvre de Monster Chetwynd / Photo : P. Dancin
Surréalice, Musées de la ville de Strasbourg, du 19 novembre 2022 au 26 février 2023
Du 19 novembre 2022 au 26 février 2023, l’eurométropole strasbourgeoise se mettait à l’heure anglaise en associant la programmation de deux de ses musées autour de la figure d’Alice et de son univers merveilleux, nés sous la plume de Lewis Carroll avec deux romans successifs Alice au pays des merveilles (1865) et De l’autre côté du miroir (1871). En écho à ces deux romans répondaient deux expositions croisées : Illustr’Alice au Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’illustration et Lewis Carroll et les Surréalistes au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS). Pour ces deux expositions, une même volonté : montrer l’influence d’Alice par-delà les frontières temporelles et géographiques. Jusqu’à présent, les expositions consacrées à Lewis Carroll en France avaient essentiellement eu lieu dans des bibliothèques avec les Images d’Alice, au pays des merveilles à la Bibliothèque des Champs Libres de Rennes (2011) et les Visages d’Alice à la BPI (1983). Ces deux expositions d’envergure s’intéressaient déjà à la postérité de Lewis Carroll. Fruit d’une organisation concertée et centralisée des musées de la ville de Strasbourg, l’exposition Surréalice fait entrer l’œuvre littéraire de Lewis Carroll dans l’univers muséal.
Poétique du fragment, quand 1 est 1000
Le Musée Tomi Ungerer - Centre international de l’illustration, présente la fascination des illustrateurs pour les aventures d’Alice et la longue postérité du personnage. En couvrant un large spectre temporel et géographique, des premières illustrations britanniques aux interprétations récentes et internationales, l’exposition donne à voir le devenir mythe de l’œuvre de Lewis Carroll.
Illustr’Alice est placée sous le signe de la pluralité, que ce soit par le nombre d’œuvres exposées – près de 150 – et leur origine diverse, ou par la multiplicité des angles d’approche. Au seuil de l’exposition, à la fois préambule et conclusion, un premier espace ouvre sur les esquisses de Icinori, les graphistes de l’affiche ainsi que sur plusieurs projets éditoriaux récents à la croisée du livre d’artiste, de l’album et de l’objet d’art. Cet espace préliminaire donne à voir une création toujours bouillonnante et ancre l’influence d’Alice dans le présent des visiteurs. La première séquence permet de recontextualiser Alice au pays des merveilles. Elle présente une sélection des chapitres-phares, et les plus souvent illustrés, afin de brosser à grands traits l’histoire d’Alice. Pour chacun des chapitres, plusieurs artistes sont convoqués. Cette approche comparative introduit le fil rouge de la diversité des interprétations. Elle met aussi en avant une unité : un consensus autour des épisodes à illustrer émerge de la diversité des styles.
La deuxième séquence prend du recul. Il ne s’agit plus d’observer des différences dans les interprétations individuelles d’un même épisode mais de souligner des tendances propres à des aires géo culturelles. Les artistes et leurs œuvres sont rassemblés par origines géographiques. D’un côté les Britanniques et leur lecture satirique, de l’autre les Français attachés à une Alice enfantine, ou encore les artistes d’Europe centrale et leur lecture fantastique, voire absurde, du personnage. La séquence suivante revient sur les premières illustrations d’Alice avant de laisser cet angle chronologique pour se tourner vers le thème de l’humour et de la satire. La franchise de la jeune fille face à l’absurdité fait d’elle un support satirique pour les dessinateurs de presse. Enfin, la dernière séquence, monographique, présente la série de gravures réalisées par le dessinateur Barry Moser en 1982. Le choix de la technique le place dans la lignée directe des premiers illustrateurs d’Alice au pays des merveilles présentés plus haut dans l’exposition.
La diversité des approches n’est pas signe d’incohérence, quoique le fil directeur disparaisse quelque fois au profit d’un collage légèrement confus sur la fin. Les jeux d’échos avec l’annonce, dans la première séquence, d’artistes qui seront exposés dans les séquences suivantes, affirment une certaine logique, par-delà la fragmentation.
Parti-pris de l’exposition, le texte en lui-même est peu présent, à l’exception de la première séquence – bien que cette dernière s’attache davantage à la structure de l’œuvre plutôt qu’à ses mots –, et des quelques extraits cités dans les cartels. L’exposition vise moins à donner une connaissance précise du texte de Lewis Carroll qu’à faire appel au mythe encore vivace dans l’imaginaire collectif. Ce n’est pas un hasard si la première vitrine ouvre sur l’image d’Alice diffusée par Walt Disney. Ce choix dit aussi la volonté de l’institution d’affirmer le statut d’œuvre originale des illustrations, souvent minorées de par leur subordination à une œuvre première. De fait, la scénographie épurée, façon white cube, reprend les codes de l’art contemporain. Les cimaises semblables à de grandes pages blanches, feraient passer les illustrations, à s’y méprendre, pour des créations ex nihilo déliées de l’œuvre littéraire.
L’exposition donne une vision kaléidoscopique d’une œuvre dont les illustrateurs eux-mêmes ne montrent jamais que des fragments. Les romans de Lewis Carroll apparaissent, ainsi, en filigrane, par les interstices laissés entre la centaine d’œuvres exposées. La discrétion du discours scientifique – les textes de salles comme les cartels restent succincts – laisse toute la place à l’investissement des visiteurs, invités à leur tour, à habiter ce texte ouvert1.
Poétique de diffraction
L’exposition du MAMCS resserre le champ temporel pour présenter la réception de l’œuvre de Lewis Carroll par un mouvement artistique spécifique : le surréalisme. A l’inverse, elle élargit le spectre à l’ensemble de l’œuvre littéraire et poétique de Lewis Carroll, bien qu’Alice reste la référence majeure.
Partant du constat de la fascination des surréalistes pour Lewis Carroll, l’exposition interroge les raisons de cette inscription au panthéon des maîtres. La première séquence ancre la réflexion dans les textes théoriques des surréalistes. Elles donnent à voir des éditions du Dictionnaire abrégé du surréalisme (1938) de Breton et Éluard, des revues telles que Le Minotaureou les traductions de Henri Parisot illustrées par Max Ernst : autant de textes qui, par leur analyse de l’œuvre de Carroll, ont contribué à sa reconnaissance et à sa postérité. Les quatre séquences suivantes sont une plongée dans le raisonnement des surréalistes. Thématiques, elles mettent en regard une notion présente dans l’œuvre de Lewis Carroll et sa mise en œuvre dans les tableaux surréalistes. In fine, peu d’artistes exposés ont revendiqué l’influence directe de Lewis Carroll, si bien que la mise en relation reste parfois un peu théorique et que l’accumulation d’œuvres perd Lewis Carroll de vue au profit des seuls surréalistes. L’exposition construit son propos autour de trois thèmes, trois comme dans les contes : le merveilleux, le corps imprévu et l’absurde.
Le discours de l’exposition est porté par une scénographie audacieuse qui opère un vrai travail de transposition spatiale de l’univers de Lewis Carroll. L’entrée monumentale mène le visiteur tout droit dans la gueule du chat de Cheshire. Avec son pouvoir de disparition et d’apparition partielle, ce personnage emblématique est le maître des seuils. Cette œuvre de l’artiste Monster Chetwynd place l’exposition sous le signe du collage, du fantastique et de la disproportion autant que de l’humour. Les deux salles suivantes poursuivent sur la même veine avec une caverne-tunnel artificiellement prolongée par des miroirs qui reproduit la chute infinie d’Alice. Les parois saillantes ainsi que le motif de grille d’échiquier au sol participent à cette illusion de profondeur. Mythe de la caverne inversé, la salle relativement obscure propose de retrouver un peu de naïveté et l’incrédulité nécessaire au travail de la fiction. Seul bémol, l’éclairage insuffisant sur les textes de salle, parfois denses, en rend la lecture fastidieuse.
Passé de l’autre côté du tunnel, le visiteur revient avec son regard neuf, au point de départ des aventures d’Alice : au pied de l’arbre. Avec sa structure circulaire, il dessine un espace concentrique régi par une logique d’imbrication plutôt que de linéarité. Pour cet espace consacré au merveilleux et notamment au rêve, thème cher aux surréalistes et à Lewis Carroll, le visiteur découvre un espace parcouru d’échos, de résonances, de forces centrifuges et centripètes.
Au pied de l’arbre, dynamiques circulaires / Photo : P. Dancin![]()
Le rêve travaille par condensation et déplacement pour reprendre les termes de Freud. Le feuillage de l’arbre est remplacé par un textile où sont reproduites, entre continuité et discontinuité, plusieurs toiles de Magritte. Plusieurs séries sont exposées comme l’ensemble de 12 héliographies Alice’s adventures in Wonderland (1969) de Dalí ou quelques-uns des 34 frottages rassemblés sous le titre Histoire naturelle (1926) de Ernst, ou encore une sélection de 26 planches entomologiques (1860) d’Henri Buchecker. Pour souligner le goût partagé de Lewis Carroll et des surréalistes pour les sciences naturelles, et l’interdisciplinarité de leurs créations, les collections empruntées au Musée zoologique de Strasbourg se mêlent aux œuvres d’art. Plusieurs spécimens empaillés sont mis en regard de la série de Max Ernst et accompagnés d’extraits d’Alice au pays des merveilles. Les catégories disparaissent au profit d’un rassemblement d’éléments hétérogènes. Cette attention portée à la présence du corps animal dans l’œuvre de Carroll et sa personnification annonce le thème du corps imprévu.
Effets sériels avec les planches entomologiques de Henri Buchecker / Photo : P. Dancin
La séquence suivante s’attache à la plasticité du corps. Si Alice subit les transformations de son corps plus qu'elle ne les choisit, elle apprend petit à petit à les maîtriser. La séquence aborde d’abord la réification du corps féminin, omniprésente dans les œuvres surréalistes, et notamment son assimilation à la poupée avec l’œuvre de Hans Bellmer. Mais elle ne s'y cantonne pas. Murs rouges, miroirs et fauteuils transforment la pièce en antichambre de la Reine Rouge, ce personnage qui manifeste son emprise sur le corps de ses sujets, en faisant planer sur leur tête la menace de décapitation. Plus que montrer l’assujettissement du corps féminin aux désirs masculins, la séquence ouvre sur son émancipation. Une place importante est donnée aux artistes féminines telles que Claude Cahun, Meret Oppenheim, Toyen, Jane Graverol qui ont utilisé l’intimité du corps pour transgresser les codes et les normes établis. Le corps se donne à voir sous toutes ses coutures et tous les médiums, de la peinture à la photographie en passant par les poèmes de Gisèle Prassinos lus par Guendoline Hénot que le visiteur peut écouter.
L’antichambre de la Reine Rouge, le corps entre pouvoir et intimité / Photo : P. Dancin![]()
Entre rupture et continuité, la salle suivante, avec ses murs verts marqués des enseignes des cartes à jouer, contraste fortement avec le rouge de la salle précédente et annonce le thème du jeu. Le visiteur quitte les appartements de la reine pour le terrain de croquet. La salle poursuit le thème du corps avec la métamorphose et le miroir déformant. Moins spectaculaire et plus évasive, la scénographie s’épuise un petit peu. Les références parfois très succinctes à Alice et l’étendue des thèmes abordés diluent la référence à Lewis Carroll sous une profusion d’œuvres.
Un grand miroir fragmenté accompagne la traversée du visiteur vers la dernière séquence dédiée à l'absurde et au nonsense. Elle met en avant le goût des surréalistes pour la langue, manifeste dans les titres comme à l’intérieur des œuvres. Pirouette finale, l’exposition revient aux mots par l’intermédiaire d’œuvres qui les donnent autant à lire qu’à voir, explorant leur nature graphique et signifiante. Ainsi, elle présente la couverture-objet Esquissons les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis(1968), ou Le Poichat qui navole (1964) de Victor Brauner. Plus largement, la séquence développe le thème du jeu, de sa mise en scène à l’intérieur des œuvres à son investissement comme médium artistique. Quoique spectaculaire, le grand ciel bleu ponctué de nuages est moins directement signifiant, bien qu’on puisse percevoir la référence à Magritte, figure tutélaire de l’exposition.
Une exposition sous la figure tutélaire de Magritte / Photo : P. Dancin
L’exposition s’est ouverte par une salle obscure au sol-échiquier, elle se clôt sur L’Échiquier surréaliste (1934) de Man Ray, plongé lui aussi dans la pénombre. Il est temps de quitter le rêve pour revenir à la réalité. Le photomontage fragmenté et composite de vingt portraits de surréalistes s’inscrit dans une grille, cette unité close mais potentiellement extensible à l’infini. Ouverture et fermeture, unité et pluralité, l’exposition Lewis Carroll et les surréalistes donne à expérimenter la tension entre une œuvre finie et son influence infinie, plus ou moins explicite et revendiquée. En donnant à comprendre et expérimenter un univers pluriel et merveilleux, elle invite le visiteur à s’approprier l’œuvre de Lewis Carroll et à prolonger la grille de ses héritiers.
Ouverture et fermeture, le retour de l’échiquier avecL’Échiquier des surréalistes de Man Ray / Photo : P. Dancin![]()
Au fil des mots, le littéraire fait lien
Où est le début ? Où est la fin ? Si Alice a le pouvoir de surplomber et déborder les frontières temporelles et géographiques, elle a aussi celui de pousser les murs. Géante, elle enjambe la ville pour réunir les deux musées. Minuscule, elle entraîne l’agitation au cœur même du musée, prolonge l’exposition Lewis Carroll et les Surréalistes au-delà d’elle-même, infiltre les salles alentours et bouleverse l’ordre établi. A la suite de l’exposition, le MAMCS présente un nouvel accrochage des collections nommé D’Absurde à Zibou. Des citations empruntées au Dictionnaire abrégé du surréalisme (1938) sont mises en regard d’une sélection d’œuvres diverses dans leur forme et leur temporalité, de la toile La Fille à l’arrosoir (2010) de Françoise Pétrovitch à l’affiche His Majesty(1897) de Dudley Hardy jusqu’à la sculpture Développer sa propre peau (1970) de Guiseppe Penone. Peu orthodoxe, le Dictionnairese présente comme un collage de citations tant théoriques que littéraires, écrites par les surréalistes et leurs maîtres. Ces dernières sont associées à quelques œuvres des surréalistes. L’exposition propose une transposition du Dictionnaire abrégé : les rencontres hétéroclites d’œuvres adaptent la poétique régissant le Dictionnaire aux collections d’art moderne et contemporain du MAMCS. La reproduction des lettrines, dans la même typographie que celle de l’ouvrage, étend l’espace de la page aux dimensions des cimaises. La scénographie sage et épurée, type white cube, rappelle l’uniformité des pages de dictionnaire. Pourtant, la régularité de la mise en espace avec la lettrine surplombant une à trois citations, le tout aligné dans une même colonne soulignée par l’éclairage vertical, contraste avec l’éclectisme des rencontres et le met en valeur. La lettre fait repère. Plus, elle est un point de ralliement entre des œuvres d’univers mental et géographique différents. Bouleversant l’habituel accrochage chronologique sans pour autant s’assimiler à une organisation thématique, la forme fragmentée du dictionnaire donne à voir une nouvelle lecture de l’histoire de l’art, non plus linéaire mais poreuse.
La lettre comme trait d’union,D’Absurde à Zibou au MAMCS / Photo : P. Dancin![]()
Le bouleversement poursuit sa route à l’étage, avec le dispositif ExpériMAMCS #3 Dans les rêves d’Alice… un espace expérimental et créatif en partie dédié aux familles.
Un espace préliminaire prépare le visiteur à plonger dans l’univers d’Alice avec La Chambre d’Ame, une illusion d’optique reposant sur une perspective truquée. Le dispositif joue avec la perception du visiteur. Voyeur, il observe, par le trou de serrure, ses acolytes subir les mêmes déformations que la jeune fille : grandir et rapetisser. Son regard déséduqué, le visiteur est prêt à commencer son voyage initiatique dans le pays des merveilles. Le premier espace, antichambre de la création, obscure et théâtrale, est dédié au langage poétique et à la liberté lexicale des habitants que croise Alice. Différents jeux de langue sont mis à disposition. La seconde station invite le visiteur à peupler le pays en maniant le crayon de couleur. Le dernier espace se présente comme un terrain de jeux où les maillets côtoient un jeu de l’oie.
Changer son regard, l’illusion de la Chambre d’Ame, ExpériMAMCS#3 / Photo : P. Dancin![]()
Les deux dernières séquences s’ancrent dans deux épisodes du roman : la mare aux larmes et le terrain de croquet de la Reine Rouge. La scénographie immersive donne à voir et à ressentir ces différents lieux par le travail des couleurs, des matières et des surfaces, par la sonorisation discrète de la mare où se fait entendre le bruissement des insectes, et surtout par les illustrations d’Amandine Laprun. Conçu en collaboration avec l’illustratrice, cet espace féerique aux allures d’album jeunesse transforme l’imaginaire d’une artiste contemporaine en porte d’entrée dans la fiction. Œuvre spatiale qui mobilise les corps, œuvre ouverte qui en appelle à créativité des visiteurs, le dispositif favorise la porosité des imaginaires.
Le terrain de croquet de la Reine selon l’illustratrice Amandine Laprun, ExpériMAMCS#3 / Photo : P. Dancin![]()
« Voyons un peu : 4 x 5 font 12 »… et 5 x 1 font 1
Illusion d’optique ou déformation arithmétique, Surréalice rassemble sous un même titre cinq expositions : trois au MAMCS, une au Musée Tomi Ungerer et une à la médiathèque André Malraux. Indépendantes, les expositions se visitent librement, sans ordre préétabli. Mais, l’autonomie ne signifie pas séparation. La réunion des institutions autour d’une programmation commune n’est pas artificielle, elle ne se limite pas au partage d’une même thématique. Entre unité commune et singularités individuelles, les institutions se réunissent autour du même angle, celui de la réception et l’adaptent à la particularité de leurs collections.
Mais le lien se fait aussi par la prise en compte de la réception des visiteurs. Des échos discrets dessinent des ponts entre les expositions, créent des espaces de porosité dans l’expérience de visite. Les illustrations sexualisées d’Alice par Antoine Bernhart leur rappelleront peut-être la séquence dédiée au corps transgressif au MAMCS, tandis que le wall-paperreproduisant l’Alice à la Neige de Roland Topor dans les derniers mètres de l’exposition ne manquera pas d’évoquer les croquis préparatoires de l’artiste présentés au Musée Tomi Ungerer, tout comme l’espace ExpériMAMCS#3 s’inscrit dans la continuation d’Illustr’Alice. Ces liens – non explicités – évitent tout effet d’exclusion et suscitent des effets de reconnaissance voire d’étrange étrangetéchez les visiteurs découvrant un deuxième volet de Surréalice. Une des réussites de cette programmation repose bien dans la finesse de ce jeu d’échos, de coïncidences, de rencontres qui mobilise la mémoire des visiteurs et dessine dans leur inconscient un espace ouvert et fluide. Discrètement, elle donne à vivre ce que Lewis Carroll donne à lire dans ces deux romans.
Ainsi, plus que la somme de ces cinq expositions, Surréalice englobe tout l’espace interstitiel, laissé ouvert aux cheminements des visiteurs. Si l’exposition dans son ensemble présente la diversité des réceptions d’une même œuvre, elle trouve avec ces cinq expositions autonomes mais néanmoins reliées, la forme juste pour porter ses intentions.
Pauline Dancin
1Umberto Eco, Lector in fabula, 1985
Lewis Carroll et les surréalistes, MAMCS
Commissariat : Barbara Forest conservatrice en chef du patrimoine et Fabrice Flahutez spécialiste du surréalisme.
Scénographie : Martin Michel
Identité visuelle : Tandem, Costanza Matteucci et Caroline Pauchant
Illustr’Alice, Musée Tomi Ungerer
Commissariat : Thérèse Willer, conservatrice en chef honoraire
Pour en savoir plus :
- Catalogue : Fabrice Flahutez, Barbara Forest, Thérèse Willer (dir.), Surréalice, Musées de Strasbourg, 2022
- Vidéos de présentation des expositions par leurs commissaires
L'article est aussi disponible sur le site Littératures modes d'emploi : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/surrealice-musees-de-strasbourg/
#Alice au pays des merveilles #Surréalice #Lewis Carroll

De fil en aiguille…On tisse des matières
« Le Chant du monde » dans un des monuments hospitaliers du XIIème siècle le mieux conservé de France…cela a de quoi attirer et intriguer ! Cependant, aussi hypnotisée par cette appellation poétique que j’étais, ce n’est pas que pour cette collection de tapisseries de Jean Lurçat qu’il faut se rendre au musée du même nom à Angers, et ce jusqu’au 28 mai 2012.
Lorsque l’on nous donne notre ticket pour visiter l’exposition « 1_2_3 Sculptures de Fibres », on ne s’attend pas à trouver des œuvres d’une autre dimension. 1_2_3, pour trois artistes, trois femmes qui manient le textile et les aiguilles de manière originale, mélangeant la fibre à divers matériaux et la travaillant de façon peu banale. Alors, bien que ce ne soit pas mon domaine de prédilection, je me lance !
1_ Simone Pheulpin : un monde de plis
En montant les escaliers pour accéder à la première salle, une délicieuse odeur de végétaux vient nous chatouiller les narines.Bizarre…n’étais-je pas partie pour une exposition textile ? On commence par l’espace réservé à Marie-Noëlle Fontan, qui associe ses fibres à du végétal de toutes sortes. Véritable virtuose de l’aguille, de la précision et de l’assemblage, l’artiste nous fait oublier les limites entre les deux matériaux.Que ce soit sous la forme de tipis, de tentures ou d’objets, le tissu se mêle et s’entremêle aux baguettes de bois, feuilles, fleurs, de sorte qu’on ne distingue plus vraiment quoi est quoi. Les murs sont recouverts de grandes tentures qui associent les deux, participant à l’immersion du visiteur. Je suis dans une forêt de tissus ! … Avec des plantes quand même…et du bois !… Déroutant !
Au détour d’un mur, l’artiste s’improvise infirmière végétale. On peut en effet admirer des feuilles séchées, abîmées et malmenées par le temps, et dont les trous on été remplacés par des morceaux de fils et de tissus. Ou comment panser et rabibocher les plaies de ces pauvres feuilles, de manière artistique.Ingénieux ! D’autant que celles-ci, plaquées sur le mur, sont disposées de sorte qu’on ne peut voir le stratagème de l’artiste, les « points de sutures », mais seulement s’émerveiller du résultat et de la technique aussi légère et fragile que le support.
Le tout laisse une impression d’harmonie, de douceur, de surréalisme, accentuant peut-être le choc que j’ai eu en passant dans la prochaine salle…

© Facebook des musées d’Angers (Simone Pheulpin)
2_ Un travail énigmatique
En pénétrant dans l’espace réservé à Simone Pheulpin, je reste quelque peu perplexe… De forêt végétale je passe à plâtres et coquillage ? Je relis le titre de l’exposition… « 1_2_3 sculptures de fibres » … Je m’approche alors d’un gros coquillage à l’aspect calcaire et, comme le permet l’absence de mise à distance des œuvres, me penche pour l’observer. Incroyable ! Apparaissent alors à mes yeux une multitude de plis et de bandelettes de coton mis en volume ! Je suis bluffée, l’artiste arrive ici à changer complètement l’aspect du tissu, à repenser la matière, grâce à une maîtrise textile et à un jeu de lumière très ingénieux. Je me prends alors à admirer la salle entière, faites de sculptures et de tableaux muraux, et savoure l’effet tantôt calcaire, tantôt coquille, tantôt cocon, mousse ou plâtre, tout en sachant que je vais découvrir avec plaisir, en m’approchant, la réalité de la matière utilisée : le coton. Reproduisant à merveille les fissures qui semblent parcourir un relief de terre, un fossile de Praire, ou encore un coup donné dans une plaque de plâtre craquelée, la maîtrise des plis de tissu est déroutante ! Sorties d’un autre monde, d’une autre texture, les œuvres de tailles et formes variées surprennent dans notre dimension et se font un devoir de convertir la nature en tissu.
Cependant la visite n’est pas finie et je me détache avec regret de ma contemplation de cette technique et de son résultat, pour m’immiscer dans le monde de la dernière artiste …
3_ Une patience infinie
A défaut de recevoir John Galliano [1], le musée me permet d’entrer dans le monde de Jill Galliéni. Un monde poudré, sucré et burlesque. Un monde de poupées, de chiffons et de couleurs, car l’aide à la visite m’apprend que l’artiste manie l’aiguille comme une virtuose. Perchées sur des socles rosés, de petites et délicates danseuses, légères comme du papier, sculptées à l’aide de colle et pliage,côtoient les poupées en chiffon à taille humaine. Assemblages de pièces et de textures différentes, mariage de couleurs, l’ambiance avec ces géantes de tissu en est surprenante. D’abord agressée par les différents motifs, les formes arrêtées, les courbes cassées et la quelque peu dérangeante et apparente maladresse des poupées et de leur fabrication, et regrettant déjà mon incroyable découverte de la salle précédente, je prends un instant pour contempler l’ensemble de la salle… Pour me voir s’offrir alors à mes yeux un incroyable ballet. En effet, si on prend le temps de s’installer à un coin de l’espace pour la regarder dans son ensemble, on peut voir alors des mouvements, une grâce et un mélange des gestes, des couleurs et des formes s’harmoniser. Une multitude de petites danseuses répondent aux géantes en les entourant, telle une figure de pas classiques ! Je ne suis pas experte en ballet, et je ne prétendrais pas avoir eu devant les yeux le Lac des Cygnes [2], mais l’effet, accentué par les socles roses pâles, est des plus agréables ! On a soudainement l’impression d’évoluer dans un monde étrange, qui fonctionne sans nous, et dans lequel on se sentirait mal à l’aise de rester.
Avec pour unique lien le travail du tissu, les œuvres des trois artistes évoluent dans des espaces attribués et cloisonnés. Une scénographie épurée et classique invite le visiteur à contempler les objets sobrement posés sur des socles,suspendus ou accrochés aux murs. Avec pour seuls aides à la visite un fascicule distribué à l’accueil, et des cartels avec les noms des œuvres, on nous laisse totalement libre et juge d’interprétation.
Au final, je ressors de cette exposition le cœur gonflé et les yeux qui pétillent ! Une grande surprise que nous offre là « 1_2_3 Sculptures de Fibres », à laquelle le musée Jean Lurçat, plutôt classique, nous avait peu habitués ! Comme quoi, on peut rentrer dans un lieu avec tous les préjugés du monde pourvoir une exposition, et bien quand celle-ci est bonne, on s’incline et dit« Chapeau Mesdames » !
Julie Minetto
[1] Célèbre créateur britannique de Haute-couture, figure notamment de la maison Dior
[2] Ballet de Piotr Tchaïkovski (1840-1893), célèbre compositeur russe
DE L'ART AUTOROUTIER A L'ART GIRATOIRE
Quand l’art contemporain grignote le territoire "Fuyez quand il est temps, le goudron se soulève !..." (Frédéric Lordon, D'un retournement l'autre, Paris, Seuil, 2011)
Le Giratoire des clous, Rugles © PhotoAFP
Oeuvres Hors les Murs, Oeuvres en Voitures
L’on sait que depuis quelques années, les installations d’art contemporain hors les murs suscitent de vives polémiques. En effet, pour prendre un exemple ô combien symbolique, qui n’a pas entendu parler d’installations artistiques qui, depuis 2008, investissent l’écrin domanial de Versailles, avec, notamment les sculptures géantes de chiens en acier façon ballons de baudruche de Jeff Koons (2008), les poupées-mangas de Takashi Murakami (2010), les monumentales Arcs, Lignes et Effondrements en acier corten de Bernar Venet (2011), ou bien encore, cette année, le très controversé Vagin de la Reine d’Anish Kapoor (2015) ?
A l'automne 2015, dans la capitale, la42e édition de la Foire Internationale d’Art Contemporain (FIAC) proposait sur le même principe à des artistes-sculpteurs, pour son événement Hors les Murs[1], une liberté d’expression au sein d’espaces publics prestigieux, tel le jardin intérieur de la Maison Delacroix investi par José María Sicilia et ses Oiseaux lampes à huile en céramique, mais aussi la place Vendôme, célèbre depuis le Treevert de Paul MacCarthy qui y fut exposé l’an dernier, avec les Pavillons de verre de Dan Graham, ou bien encore les Tuileries pour Jonathan Monk et ses trois Objets trouvés, trois doigts massifs en plâtre jonchant la promenade du parc.
De gauche à droite :
Bernar Venet, Effondrements, Château de Versailles,2011 ;
Paul MacCarthy, Tree, Paris, Place Vendôme, 2014 ;
© Photo Stéphane de Sakutin / AFP
Quelques mois à peine après cette manifestation artistique et culturelle, nous proposant une sorte de panorama de la création émergente, il est intéressant de nous interroger sur une autre forme de Hors les murs, sur d’autres monumentales installations qui, en toute liberté également, nous confrontent de manière quasi quotidienne à la création contemporaine. De même que celles exposées à la FIAC, les œuvres d’art contemporain qui nous intéresseront ici n’ont pas manqué de susciter, dès leur installation, des critiques de la part d’un public parfois virulent, voire de subir des dégradations, comme (en ce qui concerne les œuvres de la FIAC) le fameux « plug anal » de P. MacCarthy sur la place Vendôme ou le Vagin d’A. Kapoor à Versailles.
A la différence des œuvres exposées à la FIAC Hors les murs, considèrerons ici des installations permanentes et qui n’ont pas droit de cité dans l’écrin de la capitale française, mais pastillent l’ensemble du territoire de l’Hexagone. Cesont aussi des œuvres hors les murs,puisque exposées en milieu extérieur, ou plutôt, devrait-on dire, des œuvres en voitures, puisque réalisées et installées certes en extérieur, mais plus précisément dans des zones du territoire réservées aux automobilistes ; dans des zones du territoire qui agacent les automobilistes. Vous devinez ?...
Pour elles, pas de flâneries ! Juste vos gaz d’échappements et quelques secondes de vos regards, dans le cas où vous ne vous seriez pas dévissé le cou pour les contempler plus longuement ! Toujours voyantes, toujours gigantesques, vous ne pouvez les voir qu’à bord de votre voiture. Soit elles vous séduisent, soit elles vous effrayent, soit elles vous consternent : vous en avez tous vues, vous en voyez au quotidien, mais quant à savoir à quel endroit précisément vous avez vu celle-ci ou celle-là,vous ne savez plus trop bien.
Par ce petit dossier d'enquête, nous vous proposons donc une invitation au voyage vers cet art contemporain niché aux abords des axes autoroutiers, ou trônant sur le terreplein central offert par les carrefours giratoires ; un art contemporain qui, pour certains, investit un territoire en lui donnant du sens, et qui, pour d’autres, sceptiques quant à la qualité esthétique des œuvres, est une injure, une menace, pour le territoire,voire un monstrueux gaspillage économique : de l’art autoroutier à l’art giratoire, ou la cohabitation souvent difficile entre art contemporain, patrimoine et territoire !
De l'art autoroutier
Au volant de sa voiture, sur une autoroute, qui n’a jamais été surpris par telle ou telle sculpture monumentale implantée sur une hauteur, en bordure ou sur une aire de repos ? Depuis le milieu des années1980, compagnies privées d’autoroutes et conseils régionaux font en effet appel à des sculpteurs pour la réalisation d’installations gigantesques, fabriquées dans des matériaux assurant (bien évidemment) leur pérennité.
Par ces sculptures, les artistes veulent parfois donner sens à un territoire, en représentant l’identité ou une identité marquante du terroir, de la culture locale, que l’automobiliste traverse au volant de sa voiture bien souvent sans même la soupçonner. Parfois, il s’agit tout simplement d’œuvres imposantes achetées par les élus locaux et les compagnies privées, et installées, hors contexte, sur un espace autoroutier.
Ainsi, on peut notamment citer Le Soleil de l’autoroute (sculpture en acier inoxydable de 15mètres de hauteur) de l’artiste cubiste Louis Leygue inauguré en 1983 le long de l’A31, mais aussi la monumentale Colonne brisée, ruine indestructible de béton armé et de marbre (40 m de long)d’Anne et Patrick Poirier trônant sur une aire de l’A72 depuis 1984, la massive Porte du soleil en granit rose d’Ivan Avoscan installée sur l’A7 depuis 1989, l’imposant Sur les traces des vikings (22 tonnes d’acier inoxydable) de Georges Saulterre implanté sur l’A13 depuis 1990, ou bien encore, plus récemment, le gigantesque sanglier d’acier Woinic (8,5 m de haut, 14 m de long, 50 tonnes !) d’Eric Sléziak commandé par le Conseil général des Ardennes pour une sommes rondelette de 800.000 euros et mis en place sur l’A34, à proximité de Charleville-Mézières, depuis 2008.
De gauche à droite et de haut en bas :
Georges Saulterre, Sur la trace des Vikings, A13, en bordure à proximité de Sotteville, 1990 ;
Anne et Patrick Poirier, Colonne brisée, A89, aire des Suchères, 1984 ;Ivan Avoscan, Porte du soleil, A7,aire de Savasse, 1989 ;
Louis Leygue, Le Soleil de l’autoroute, A31, en bordure à proximité de Langres, 1983 ;© Lesdiagonalesdutemps.com
© Photo Yvon Bertrand
Mais ces sculptures d’art contemporain autoroutier, dont l’installation permanente est presque toujours décidée sans consultation auprès des populations locales, ne manquent pas de soulever de vives oppositions. En effet, certains projets d’artistes – assez improbables, il faut l’avouer – soulèvent une opposition des administrés qui, parfois, parviennent, par le biais de manifestions et de pétitions, à faire plier maires et conseils régionaux pour l’annulation pure et simple du projet.
Pour prendre un cas récent, c’est le lot du sculpteur Michel Audiard, homonyme du célèbre dialoguiste et concepteur des kytchisimes stylos en or[2], qui, en 2010, soutenu vent debout par le ministre du Commerce et du Tourisme, par le Conseil général d’Indre-et-Loire, par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Tourraine, et par le maire socialiste de Tours, projetait, sur le coteau au dessus de l’abbaye de Marmoutier, site au cœur du Val-de-Loire et inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco, l’érection de sa monumentale Femme Loire, sculpture d’un nu féminin lascivement assis, d’une hauteur de 17 mètres et d’une largeur de 34 mètres. Tenez-vous bien ! l’argumentaire artistique et surtout commercial de l’artiste s’articule alors autour de trois axes : premièrement, l’emplacement de sa sculpture serait idéal selon lui, puisque, installée sur les hauteurs de cette abbaye bénédictine du VIe siècle, elle serait très visible depuis l’autoroute A10 (Bordeaux-Paris) qui enregistre plus de 30 millions de passagers annuels ; deuxièmement, son installation se voudrait être une « sculpture-maison », c’est-à-dire une sculpture qui, dans un espace intérieur de 300 m2, pourrait offrir un espace dédié à divers événements artistiques et culturels, comme des expositions, des ateliers ou bien des résidences d’artistes ; et enfin, troisièmement, ce projet, qui serait réalisé en partenariat avec les étudiants de l’école Polytech locale à Tours, proposerait dans son élaboration une valorisation des déchets en œuvre d’art, puisque l’artiste se propose de fabriquer sa sculpture uniquement à partir de matières premières recyclées (structure de carton ondulé et enduit de chaux et de plâtre). Et ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à s’inscrire lui-même dans les pas de Picasso, de Braque et de Dali, artistes qui, au XXe siècle, remarque-t-il, ont tous travaillé avec des matériaux de récupération[3]. Soit. Mais, me direz-vous, quel rapport entre cette abbaye et cette femme nue gigantesque qui viendrait profondément bouleverser le paysage de ce site patrimonial ? Strictement aucun ! Mais il n’empêche que l’argumentaire de l’artiste séduit tout de suite les édiles de la région. Des mois de contestations s’ensuivent au sein de la population locale qui, suite à une pétition de plus de 4.000 signatures, réussit tout de même à faire céder le maire, non sur l’installation, mais sur l’emplacement futur de celle-ci, ce dernier s’indignant alors de « l’obscurantisme »et de « la vision de l’art régressive » des opposants au projet[4] !...
De gauche à droite :
Michel Audiard devant la maquette de sa Femme Loireen 2012 ;
Montage du projet de l’installation de la Femme Loiresur les hauteurs de l’abbaye de Marmoutier, 2011;© LaNouvelleRepublique.fr©Planet.fr
De l'art giratoire
Quittons maintenant l’autoroute ! retrouvons nos routes départementales et communales de villes et de campagnes, et retournons quelques années en arrière ! En effet, l’on considère généralement que l’origine de cette transformation contemporaine artistique – et souvent anarchique – du territoire,remonte à la loi de 1983 sur la décentralisation, confiant des attributs considérables aux municipalités en donnant la main aux maires et aux autres élus locaux sur le paysage de leur commune. Or en France, où près des deux tiers des communes ont moins de 2.000 habitants, les maires, étant sous la pression directe de leurs administrés, n’ont souvent ni les moyens ni même les compétences pour penser des projets artistiques / esthétiques sur un long terme,et c’est, de fait, leur pouvoir de nuisance qui a profondément transformé le territoire durant ces trente cinq dernières années :
« On excuse le défaut d’entretien des églises par le manque de moyens des communes,s’indigne Michel Leniaud, directeur de l’Ecole des Chartes, alors même qu’elles dépensent tant d’argent à construire des routes inutiles, à couler des bordures de chemins forestiers en béton ou à aménager des ronds-points qui n’ont aucun sens. En France, on bétonne l’équivalent d’un département tous les dix ans. Mon village ne compte pas plus d’habitants qu’au second Empire. Pourtant, sa surface a doublé… »[5]
En Europe, la France détient le record de la grande distribution, plus de 70% des ménages faisant quotidiennement leurs courses en périphérie des villes, dans des zones commerciales qui, d’années en années,grignotent toujours plus le territoire, traversant des kilomètres quadrillés de lotissements, de hagards, de panneaux publicitaires et de rocades.
« Le symbole de ce territoire mangé par le commerce périphérique : le bitume et les infrastructures routières, et autrement dit, les ronds-points. »[6]
Les ronds-points ! Venons y !
Depuis le milieu des années 1980, surgissant hors de terre et poussant de façon exponentielles, les carrefours giratoires, ou, plus familièrement, les ronds-points, semblent être très appréciés en France, pays qui, en Europe, peut aujourd’hui se targuer d’en détenir le record du monde avec près de 40.000 sur son seul territoire métropolitain, soit la moitié des ronds-points construits dans le reste monde !
« Le joyau de l’architecture française, peut-on entendre dans une émission d’Arte d’il y a huit ans, ce n’est pas la tour Eiffel, le Quai Branly ou les châteaux de la Loire. Le joyau de l’architecture française, c’est le rond-point, une invention française qui a essaimée dans le monde entier et qui fête ses 100 ans en 2007 ! »[7]
Les ronds-points pastillent aujourd’hui l’ensemble de l’Hexagone, et les conseils généraux ainsi que les maires, qui, chaque année,en font construire entre 500 et 800, et bien qu’ils n’aient aucune obligation de le faire, s’appliquent avec zèle à les décorer.
En terme d’urbanisme, et en ce qui concerne les installations sculpturales, l’agglomération de Villeurbanne semble être une des toutes premières a avoir, par le biais de commandes publiques, donné carte blanche à des artistes pour la réalisation de sculptures sur certains de ses carrefours giratoires : notamment avec le Giratoire de Buers, fait avec une quarantaine de panneaux signalétiques indiquant des villes françaises et étrangères par Patrick Raynauden 1989, « œuvre d’art contemporain qui se veut, peut-on lire sur le site de la ville, une invitation au voyage » ; mais aussi, deux ans auparavant, avec Autour d’un abri jauned’Etienne Bossut, artiste qui, inspiré par le terre plein que lui confie alors la ville, eut l’idée d’y empiler, l’une sur l’autre, deux cabanes de chantierj aune en polyester (25.9000 euros).
D’autres agglomérations embrayent alors le pas, notamment la ville de Marseille qui, à l’occasion de l’ouverture de son Musée d’Art Contemporain (MAC) en 1994 propose au sculpteur César d’installer son imposant Pouce de bronze doré de 4 tonnes pour 6 mètres de hauteur, réalisé en 1988 et venant tout juste d’être exposé en 1993 dans le cadre d’une rétrospective de l’œuvre de l’artiste au Musée de la Vieille Charité, au centre du rond-point se trouvant à 20 mètres du nouveau musée ; mais aussi la ville de La Haye-Fouassière, à côté de Nantes, qui, la même année, confie le terre plein de son giratoire d’entrée de ville à Jean-Claude Imbach, l’architecte de l’usine locale de biscuits LU, pour son Rond-Point de l’Espace, installation en polystyrène extrudé armé représentant une soucoupe volante de12 mètres de large, illuminée de nuit, prête à décoller avec trois extraterrestres aux airs de Bibendums et les bras chargés de spécialités nantaises (muscadet, fouace et gâteaux LU !), pensée par l’artiste comme « un élément de marketing dynamique pour amener les visiteurs à découvrir la commune » (2,7 millions de francs, financés à 50% par l’industrie LU), et qui ne manquât pas de subir des vandalisassions répétées à tel point que la municipalité décide deux ans plus tard d’entourer le parterre du rond-point par un fossé garni de barbelés[8] !
De gauche à droite et de haut en bas :
Patrick Raynaud, Giratoire de Buers, 1989, Villeurbanne ; Etienne Bossut, Autour d’un abri jaune,1987, Villeurbanne ;
César, Le Pouce, 1988 (1994), Marseille ;
Jean-Claude Imbach,Le Rond-point de l’Espace, 1994, La Haye-Fouassière ;
© Villeurbanne.fr
© Justacote.com
Un "art routier" sur tout le territoire
Plus récemment, on pourrait citer le masque-portrait géant en bois – plutôt effrayant – d’André Malraux à Pontarlier, œuvre du sculpteur Bernard Paul ; le giratoire des deux énormes Totems de l’artiste, et actuel militant d’Europe Ecologie les Verts, Patrig ar Goarnig à Châteaulin, dans le Finistère; l’Hommage à Confucius à Montpellier (2000, 15.000 euros) du sculpteur Alain Jacquet, rebaptisé « Donut et saucisse » par ses opposants ; le rond-point Sans titre de Ludger Gerdes, toujours à Montpellier (2000), giratoire de 40 mètres de diamètre, entouré de panneaux en tôle d’acier laqué bleus et rouges, que la ligne de tramway de la ville traverse en son centre, l’Art devant, selon l’artiste, « participer à des situations de la vie réelle »[9] ; la réplique de 3 tonnes pour 12 mètres de haut de la Statue de la Liberté réalisée en 2004 par l’artiste parisien Guillaume Roche, élève de César, et installée sur le giratoire d’entrée de la ville de Colmar, cité natale de Bartholdi dont on commémore alors le centenaire de sa disparition ; le rond-point de l’Envol, ballerine en bronze fort provocante d’Olivier-Cyr Noël accueillant, depuis 2007, les automobilistes à l’entrée de la ville de Hettange-Grande, en Moselle ; l'Allosaurus en acier de Patrice Mesnier qui, après avoir été exposé au Muséum national d'Histoire Naturelle, présenté au Grand Marché d'Art Contemporain (GMAC) place de la Bastille, puis loué pour un tournage de film au côté du Rhinocéros de Dali, est finalement acquis par la municipalité de Villers-sur-Mer qui décide de l'installer sur son rond-point d'entrée de ville (2011, 25.000 euros); ou bien encore Libertad, sculpture en acier de Claude Qiesse librement inspirée de la Statue de la Liberté de Bartholdi, et trônant depuis 2013 sur le giratoire faisant face à la gare SNCF de Bayeux que la municipalité souhaitait alors investir comme lieu de commémoration pour la paix.
De gauche à droite et de haut en bas :
Bernard Paul, Masque d’André Malraux, 2000, Pontarlier ; Alain Jacquet, Hommage à Confucius,2000, Montpellier ; Ludger Gerdes, Sans titre, 2000,Montpellier ; © Petit-patrimoine.com© Tourisme-Montpellier.fr
Patrice Mesnier, Allosaurus, 2011, Villiers-sur-Mer ;
© Petit-patrimoine.com
Pourtant, dans le paysage urbanistique français, il s’agit encore d’œuvres d’artistes isolées, et les ronds-points français ne sont pas encore, à proprement parlé, nés à l’Art contemporain.Jean-Luc Plé, le Pape des giratoires !
Tout commence véritablement à la fin des années 1990,époque à laquelle un certain Jean-Luc Plé, cinquantenaire alors employé au pôle design chez Renault, passe ses vacances à La Rochelle chez Daniel Laurent,actuel sénateur de la Charente-Maritime, et qui, pour occuper son temps, s’amuse à concevoir sur ses carnets de croquis des tables d’orientations en 3 D des côtes littorales. A cette époque, maire de la ville de Pons et surtout Chargé des infrastructures routières (et donc, entendre, de l’implantation des ronds-points !) au Conseil général de Charente-Maritime, Daniel Laurent propose à son ami de se lancer dans la sculpture, lui confiant en 2001 le rond-point d’entrée de sa ville, et ouvrant ainsi – peut-être sans même le soupçonner – la voie à un champ artistique tout particulier dont un nom savant commence à apparaître : l’« Art giratoire » !
Une fois la commande réalisée, les autres édiles de la région suivent immédiatement, d’autant plus enthousiastes que le département verse alors aux communes une subvention allant de 11.000 à 20.000 euros pour le« réaménagement » de leurs carrefours giratoires, et l’ancien concepteur de Renault, devenu sculpteur, d’avoir immédiatement saisi la mesure de ce nouveau champ artistique, et surtout de cette niche commerciale qui s’offre alors à lui, quasiment sans aucune concurrence, sur ces espaces publics, gratuits et accessibles à tous.
A la question « Art ou communication ? » que lui pose une journaliste en2012, J.-L. Plé répond : « les deux ! »
« Le rond-point, affirme-t-il, permet à une commune de transmettre son identité de façon artistique. Chaque pièce est unique et fiable. Oui, cela ressemble à de l’art, mais à de l’art populaire, accessible à tous sans débourser un centime ! »[10]
Une démocratisation d'autoroute ? ou Rendre l'art au peuple !
A la tête d’une petite entreprise, Jean-Luc Plé a su imposer sa marque artistique dans le paysage urbanistique français depuis les années 2000, devant véritablement le Pape des ronds-points en remportant aujourd’hui plus de 20% du marché des giratoires en France. Avançant à la fois des arguments touristiques (en moins de quatre secondes, « inviter l’automobiliste à saisir le cliché de la spécialité locale »[11]), économiques et écologiques (ses sculptures étant bien moins chères, sur un long terme, que les parterres végétaux), Jean-Luc Plé sillonne ainsi le territoire en démarchant de commune en commune pour soumettre ses projets de sculptures aux élus, de tout bord politique, désireux d’investir dans la réalisation ou dans le réaménagement d’un giratoire. Coût de ses œuvres ? Entre 35.000 et 100.000 euros, selon la taille du rond-point et du désir de l’élu et des municipalités, les sculptures étant réalisées par leur concepteur et son atelier en 2 ou 4 mois dans de la mousse de polyuréthane, et vendues comme indestructibles. A défaut de ne pas avoir (encore) sa place dans les musées,J.-L. Plé se félicite d’être une vedette, sinon la première, des giratoires français, ayant à ce jour réalisé sur le territoire plus de 36 sculptures sur rond-point, toujours pensés avec cette idée de « rendre l’art au Peuple »[12].
Après son Tonneau et arceaux à Archiac (2000) ; après ses Poissons volants sous un ceps à Saint-Pierre-d’Oléron (2005, 35.000euros fiancés à 50% par le département) ; son Moine et le vitrail (2005) installé à proximité de l’abbaye bénédictine de Trizay ; ses Kiwisgéants de 3 mètres de diamètres à Peyrehorade (2010, 19.000 euros), commandés par l’association de producteurs locaux sans aucune consultation de la population ; ses Bateaux de papierde La Tremblade (2010) qui ont résisté à la violence de la tempête Xynthia ; son Arche romane à Corme-Royal (2012) ; sa Baigneuse de Mers-les-Bains (2012, 60.000 euros) qui, installée sur un ancien parterre de simple pelouse, se veut être une invitation pour les automobilistes de la départementale à s’aventurer jusqu’au littoral côtier ; ou bien encore après sa Tour du Castera de près de 3mètres de haut à Biganos (2013), référence au passé féodal de la ville et qu’un journaliste local loue pour sa contribution à « la valorisation du patrimoine »[13] ; J.P. Plé traverse même l’Atlantique, réalisant notamment à Cayenne le rond-point des Chaînes brisées en2001, aujourd’hui lieu de commémoration de l’abolition de l’esclavage en Guyane, ou bien encore, toujours en Guyane, le giratoire des Portes de la forêt à l’entrée de Roura inauguré en grande pompe en 2013.
Jean-Luc Plé,
De gauche à droite et de haut en bas :Tonneaux et arceaux, 2000,Archiac ;Les amateurs d’huitres, 2005, l’Eguille-sur-Seudre ;Kiwis géants, 2010, Peyrehorade ;La main de Ronsard, 2011, Sugères ;J.-L. Plé posant devant la Tour duCastera, 2013, Biganos ;© Photo A. Arno / AFP
Aucun doute, J.-L. Plé plaît ! Une société cartographie désormais ses ronds-points dans une série de cartes topographiques nommée Au fil des ronds-points, un éditeur lance une collection de cartes postales représentant ses installations,et une rétrospective de ses œuvres est même organisée en Charente-Maritime (département qui possède près de 25 de ses giratoires !), en octobre 2012, par la ville de Saintes[14]… En 2010, le journal Sud Ouest n’hésite pas à le saluer en « Dali des ronds-points », et tout récemment encore, fin juillet 2015, L’Obs consacre tout un dossier à « Plé, le Rodin des ronds-points » !... bref, de quoi laisser songeur la mégalomanie de notre artiste qui, désormais, tient même des conférences pour parler de ce « nouveau domaine artistique »qu’il estime inaugurer par ses œuvres[15] :
« C’est de la bombe atomique !s’exclame-t-il à son retour de Guyane. Je fais de l’Art populaire, oui. Mais, toutes proportions gardées, comme Picasso et Vasarely pour le XXe siècle, qui sait si on ne parlera pas un jour de mes œuvres comme des vestiges d’une vague artistique du début du XXIe siècle, l’Art giratoire ?... »[16]
L'Obs, du 23 au 29 juillet 2015
© Photo C. N. Marcoux
Bien souvent financés par les fonds publics, ces installations d’art contemporain,qu’elles soient autoroutières ou giratoires, tiennent en somme autant d’un enjeu artistique, urbanistique, historique et politique, voire même d’un enjeu citoyen. Critiquées par certains pour leur aspect esthétique, les tenant pour de kitschissimes totems, et dénoncées par d’autres, qui y voient le symbole même d’un gâchis économique faramineux, l’on notera que communes et collectivités sont aujourd’hui de plus en plus soucieuses de répertorier sur leurs sites internet ces sculptures de voieries, bien souvent dans une rubrique intitulée ‘’Patrimoine architectural’’, ‘’Patrimoine artistique’’, ou bien ‘’Patrimoine culturel’’.
A quand alors la vraie reconnaissance de cet art si particulier qui, au delà d’une guerre de goût – de toute façon quasi inévitable pour toute installation artistique – « fait le mur et s’échappe du musée, pour infuser le territoire et venir chercher les habitants ? Car c’est souvent l’indifférence, voire la répulsion, qui caractérise la relation entre l’usager automobiliste et l’installation de l’œuvre d’art contemporain, de surcroît lorsque celle-ci ne bénéficie par d’une scénographie la différenciant des autres objets de mobilier urbain qui composent l’espace de voirie. »[17]
Que l’on se rassure, malgré la crise, cet art contemporain de voierie est loin de s’éteindre ! Un amoncellement de bananes de 4 mètres de hauteur chacune, un parterre en peau de vache avec quatre pis bougeant au gré du vent, un rond-point bouée géant au large de la Corse pour s’amarrer sans toucher aux fonds marins, ou bien encore une énorme cuvette de WC en acier réalisée par un artiste portugais pour un carrefour dans la ville de Carquefou… A défaut de savoir si cet art particulier est en passe de devenir un pan du patrimoine français, ces projets d’installations d’art contemporain sur ronds-points semblent encore promettre de beaux lendemains à l’« Art giratoire » !
A suivre !!.... ou à fuir !!!
Jean-Luc Plé, Projet du giratoire des Bananes géantes, détail
© J.-L. Plé, atelier
Camille Noé MARCOUX
# Ronds-points
# Art giratoire
# Jean-Luc Plé
En savoir plus :
« L’Art autoroutier, cet obscur objet de distraction au volant », in Le Point, 22 juillet 2011
« Insolite :des WC sur un rond-point ? », in Presse Océan, 14 juin 2012
ARISTEGUI,Marie-Claude, « Il n’a pas peur du kitsch ! », in Sud Ouest, 9 janvier 2013
BUREN,Daniel, A force de descendre dans la rue,l’art peut-il enfin y monter ?, Paris, Sens & Tonka, 2004
COCHARD,Aline, « Et Jean-Luc Plé inventa l’art giratoire… », in Le Point, n°2167, 27 mars 2014
GUILHEM,Florence, « Jean-Luc Plé, l’homme qui ne tourne jamais en rond », in Le Littoral, 12 octobre 2012
JULHES,Martin, « Un art public sans public ? », intintamarre.over-blog.com, 28 février 2011
LASNIER,Jean-François, « L’invitation au voyage, dans les gares et sur les autoroutes », in Journal des Arts,n°53, 30 janvier 1998
MONTCLOS,Violaine de, « Ceux qui massacrent la France », in Le Point, n°2167, 27 mars 2014
OLLIVIER,Anne-Marie, « Mers-Les-Bains : l’entrée de ville attrape le pied marin », in Courrier picard, 19décembre 2012
PLISKIN,Fabrice, « Visite à Jean-Luc Plé, le Rodin des ronds-points », in L’Obs, 23-29 juillet 2015
VAVASSORI,Jean-Robert, « Un symbole du passé féodal sur le rond-point », in Sud Ouest, 25 décembre 2013
>> L’artiste cubiste Louis Leygue parle de sa sculpture Le Soleil de l’autoroute, 1983 : http://www.tourisme-langres.com/fic_bdd/fichiers_fr/Le_Soleil_de_Langres.pdf
>> Jour de pose de la Tour du Castera deJean-Luc Plé à Biganos, 2013 : https://youtu.be/sv9q5FJ5Q08
>> Complément d’enquête, « Plé, le roi du rond-point », France 2,émission consacrée aux dessous de l’art giratoire (conception,démarchage, installation, etc…), 15 mars 2010 : https://www.youtube.com/watch?v=b5qHFDKt5Uo
[1]Evénement lancé à l’origine, rappelons-le, en 2006, pour établir une sorte de trait d’union entre le Grand Palais et la Cour carrée du Louvre, et qui, aujourd’hui,s’étend sur une dizaine de sites dans Paris.
[2]Stylos en or célèbres dans la sphère artistique bling-bling pour leur utilisation par Vladimir Poutine, Nicolas Sarkozy ou encore Madona.
[3]Vidéo « La Femme Loire : quand le déchet se transforme en œuvred ’art », sur www.terre.tv
[4]http://www.saumur-kiosque.com/infos_article.php?id_actu=10517
[5]LENIAUD, Michel, Cité in Mont clos, Violaine de, « Ceux qui massacrent la France », Le Point, n°2167, 27mars 2014, p. 66
[6]Montclos, Violaine de, « Ceux qui massacrent la France », Le Point, n°2167, 27 mars 2014, p. 68
[7]Arte, Métropolis, 11 mars 2007
[8]DE LA CASINIERE, Nicolas, « On a marché sur la statue de LU », in Libération, 28 décembre 1996
[9]GERDES, Ludger, Cité sur www.montpellier-tourisme.fr
[10]PLÉ, Jean-Luc, Cité in Guilhem, Florence, « Jean-Luc Plé, l’homme qui ne tourne jamais en rond », in Le Littoral, 12octobre 2012
[11]PLÉ,Jean-Luc, Cité par OLLIVIER, Anne-Marie, « Mers-Les-Bains : l’entréede ville attrape le pied marin », in Courrier picard, 19 décembre 2012
[12]PLÉ Jean-Luc, Cité in Complément d’enquête,« Plé le roi du rond-point », France 2, 15 mars 2010
[13]VAVASSORI, Jean-Robert, « Un symbole du passé féodal sur le rond-point », in Sud Ouest, 25décembre 2013
[14]GUILHEM, Florence, op. cit.
[15]ARISTEGUI, Marie-Claude, « Il n’a pas peur du kitsch », in Sud Ouest, 9 janvier 2013
[16]PLÉ, Jean-Luc, Cité in Montclos, Violaine de, « Ceux qui massacrent la France », Le Point, n°2167, 27mars 2014, p. 68
[17]JULHES, Martin, « Un art public sans public ? », intintamarre.over-blog.com, 28 février 2011
De Paris à Tournai : Quand l’art contemporain s’invite dans les musées d’ethnographie
Page de catalogue du Festival l’art dans la ville de Tournai sur le travail de Kenny Schellemans, ©Festival l’art dans la ville
Page de catalogue du Festival l’art dans la ville de Tournai sur le travail de Keinoudji Gongolo, ©Festival l’art dans la ville
Les exemples sont multiples et, en France, le quai Branly fait figure de proue en la matière
En 2013, l’institution parisienne ouvre aux visiteurs les portes de l’exposition Charles Ratton, l’invention des arts Primitifs, dont le commissaire d’exposition est Philippe Dagen. Dans le cadre de cette exposition, sont présentés des tableaux et dessins de l’artiste Jean Dubuffet ainsi que des photographies de Man Ray. Le but est alors de rappeler les liens qu’entretenaient Charles Ratton avec de nombreux artistes du mouvement surréaliste, tel que Paul Eluard, André Breton, Jean Dubuffet ou encore Man Ray. Ce sont des créations passées qui soutiennent le propos de l’exposition. Mais cela affirme d’ores et déjà la volonté de l’institution de s’ouvrir à l’art contemporain.
Vue de l’exposition Charles Ratton, l’invention des arts primitifs,©Quai Branly
Affiche de l’exposition Picasso primitif, ©Quai Branly
Alors d’où vient ce mouvement et comment le comprendre ?
Pour aller plus loin :
https://www.lequotidiendelart.com/articles/15895-quand-les-musées-d-ethnographie-s-ouvrent-à-l-art.html
https://journals.openedition.org/marges/829#xd_co_f=N2M2MjMxZmYtYjgzMy00N2Q0LWFjMGQtOWZjZDE2OTE4ZjE1~
Film « Les statues meurent aussi » de Chris Marker présenté dans l’exposition Charles Ratton
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/les-maitres-du-desordre-au-quai-branly
http://www.ville-ge.ch/meg/expo29.php Exposition La fabrique des Contes au MEG
https://www.africamuseum.be/fr/get_involved/artists/tobe Géraldine Tobe à Tervuren
Manon Lévignat
#artcontemporain
#muséed’ethnographie
#quaibranly

Dernière expo avant la fin du monde
En route pour la France !
Maurice Cullen, La Seine en hiver, Paris, 1902, huile sur toile, ©JR
Paris, bien sûr, à l’arrivée, la ville lumière pleine de promesses conquiert tous ces jeunes artistes. Et puis, passage obligé par Giverny, où Monet, toujours lui, a élu domicile et où se crée une colonie d’artistes assidûment fréquentée par nos Canadiens. Non loin de la capitale à la vie artistique foisonnante, et (souvent) débridée, Giverny offre des paysages sublimes de lumière et de verdure qui séduisent les jeunes artistes au premier coup d’œil.
Helen Mcnicoll, Septembre ensoleillé, 1913, huile sur toile, ©JR
Sur les côtes françaises
Paul Peel fait partie de ces artistes qui ont choisi de sortir de la capitale en plein été pour se diriger vers les côtes, en quête, sans doute, d’un peu de la douceur de leur pays natal. J’ai retenu de cette exposition son tableau intitulé La Jeune Glaneuse ou Les Papillons représentant une fillette descendant pieds nus une dune de sable, pleine de grâce, enfant joyeuse et insouciante, illuminée par les couleurs vibrantes de la nature.
Paul Peel, La Jeune Glaneuse ou Les Papillons, 1888, huile sur toile, ©JR
Univers féminin
Les impressionnistes Canadiens s’inscrivent dans une période résolument féministe et dans un contexte où l’émancipation des femmes est une priorité. Nombreuses sont celles qui, à l’instar d’Helen Mcnicoll, ont elles-mêmes fait partie de ce groupe de jeunes peintres et ont participé à la représentation des femmes au sein même de leur peinture. Henrietta Mabel May, si célèbre dans son pays, est notamment connue pour avoir été missionnée pendant le premier conflit mondial pour représenter le travail des ouvrières et leur accorde une place centrale dans sa peinture. Cette partie de l’exposition est particulièrement intéressante, et permet de replacer les artistes dans leur époque.
Nouveaux Horizons
Parmi eux, James Wilson Morrice et ses représentations de l’Italie du début du siècle, splendide et immobile sous un soleil de plomb. Morrice aime jouer avec l’eau et ses reflets, et Venise est, pour lui, un superbe terrain de jeu. D’un coup de pinceau assuré, il donne à voir églises et canaux entourés de personnages tranquilles, paisibles dans ses œuvres si gracieuses.
James Wilson Morrice, L’Eglise San Pietro di Castello, Venise, 1904 - 1905, huile sur toile, ©JR
Alors que certains choisissent l’Europe du Sud, et l’Italie, étape fondamentale depuis toujours dans la formation des jeunes peintres, d’autres poussent plus loin leur curiosité. L’exposition fait la part belle à ces peintres Canadiens partis de l’autre côté de la Méditerranée, visiter l’Afrique du Nord. Ils ont su saisir, alors, la beauté de la Tunisie et de l’Algérie, les couleurs chaudes des déserts de sable chaud, la sérénité des villes et des villages brûlés par le soleil et leur éclatante beauté, qu’ils nous retranscrivent dans un tourbillon de couleurs. Pour ces jeunes gens, toutes ces coutumes, ces costumes et ces langues qui leur sont étrangers, sont synonymes de nouveauté et de fascination. L’exposition le montre bien, à travers leurs œuvres, et l’on comprend parfaitement combien ils ont été séduits par tant de découvertes.
Retour au Canada
Artiste emblématique de cette période, Maurice Cullen est principalement connu pour ses paysages. Enneigés, tourmentés, tourbillonnants, ils provoquent l’impression de saisir un instant fugace, la beauté sauvage et furieuse du paysage qui se déchaine, comme un souffle glacé échappé du tableau.
Maurice Cullen, La Cathédrale Saint-Jacques, Carré Dominion, Montréal, v. 1909 – 1912, huile sur toile, ©JR
De l'impressionnnisme au modernisme
C’est à cette époque que se constitue le Groupe des Sept, sur lequel s’achève l’exposition. Héritiers des peintres impressionnistes, les membres de ce groupe d’artistes qui se constitue en 1920 cherchent à moderniser leur art et à créer une véritable identité canadienne dans la peinture. Ils choisissent de représenter leurs paysages, leurs villes et leurs campagnes, abandonnant les représentations humaines pour ne garder que la « substantifique moëlle » de ces paysages, peints de couleur vives et qui impressionnent grandement le spectateur. Cette partie finale de l’exposition montre comment ces artistes, retournés au pays, ont emmené avec eux une part de l’impressionnisme rencontré en venant en France.
Lawren S. Harris, Neige II, 1915, huile sur toile, ©JR
Ainsi s’achève ce voyage au Canada à la rencontre de peintres dont je n’avais bien souvent jamais entendu parler. J’ai aimé le sujet original de cette exposition itinérante, qui fait à Montpellier son seul arrêt français avant d’être finalement présentée au Musée des Beaux-Arts d’Ottawa.
Juliette Regnault
#Canada
#MuséeFabre
#Impressionnisme

Devenir un artiste, un jeu d'enfant !
L’espace enfant dans l’atrium ©C.DC
L’artiste et le mécène, extrait du livret enfant ©C.DC
Des cartels intéressants mais trop hauts. © Stéphanie Devisscher
Une fois rentrée à la maison, je commence mon premier travail d’artiste : je reprends mon livret, je me dessine et j’ajoute un collier à fleurs et un perroquet sur l’épaule que je découpe dans le carnet. C’est décidé : moi aussi je veux devenir une artiste !
Clémence de CARVALHO
#artiste
#exposition
#parcoursenfant

Dites « Bonjour » à HELLO™
Les marques n’avaient qu’à bien se tenir en automne dernier, le collectif H5 avait encore frappé avec sa dernière exposition quia eu lieu d'octobre à décembre 2012 à la Gaité Lyrique. Les membres d’H5 avaient déjà fait fort en 2009 avec leur court-métrage Logorama©, un monde de logo dans lequel évoluent des personnages de marques, qui avait gagné de nombreuses récompenses (dont un oscar et un césar). Le collectif, qui a l’habitude de travailler pour de grandes marques, nous propose là une étrange exposition sur l’ambigüité entre la marque, le logo, la politique et le marketing.
L’autopromotion d’une marque
L’exposition était unique en son genre, il s’agissait d’une rétrospective sur l’histoire, la stratégie et les valeurs d’une marque, mais d’une marque créée pour cette exposition. Le collectif a donc imaginé une marque, de façon la plus symbolique qu’il puisse être. La formule de création du stéréotype d’une marque est simple : on fusionne le symbole le plus utilisé depuis des siècles - l’aigle aux ailes déployées - et la marque la plus emblématique au niveau du marketing :Hello Kitty (une marque sans histoire, créée avant même les produits).
Le summum de cette réalisation reste le concept de la boutique, puisque le collectif est allé jusqu’à créer les produits de cette marque. Premier détail : les auteurs se sont endettés pour créer ces produits et espèrent très fort que la vente de ces produits va être assez rentable pour pouvoir rembourser cet investissement.
Un discours caché dans une scénographie remarquable

©M.T.
L’enjeu de cette exposition était de nous confronter à la réelle ambigüité entre le discours marketing d’une politique et le discours politique d’une marque. Pour ce faire, une ambiance s’installait avant même d’entrer dans l’espace d’exposition. Dès l’arrivée devant le bâtiment de la Gaité Lyrique, la confusion a lieu, puisque la façade est dotée de drapeaux avec le logo de la marque HELLO™. Dans le hall d’entrée trône une statue en bronze de l’aigle aux ailes déployées, mais muni du socle et de la couronne de la statue de la liberté : encore un symbole fort et dessous-entendus politiques. Après avoir acheté le ticket d’entrée au guichet classique de l’institution, nous étions de nouveau happés par un espace, une petite salle confinée et qui avait l’air très chaleureuse, les murs étaient recouverts de plumes en feutrine, l’éclairage bleuté et hypnotisant, et la voix douce d’une femme murmure des phrases de… propagande marketing !« Les images ne sont pas forcement ce qu’elles représentent » affirme l’un des membres du collectif H5, et on le comprenait dès l’arrivée dans cet espace : l’aspect confortant révèle en fait un trouble inquiétant.
Nous entrions ensuite dans le cœur de l’exposition par une salle de réunion (entre deux ailes déployées qui servent de guichet) où tout était uniformisé : une table d’une longueur improbable accueil à chaque place un fauteuil, un sous-main, un bloc note et une bouteille d’une blancheur impossible. Au sol, des messages en led circulent : « Hello Anna, Hello Martin, Hello Jane, Hello Lucia, Hello Charles, Hello Sylvain, Hello Elsa,…”, infiniment. Et de l’autre côté de ce message accueillant,le regard perçant et menaçant d’un aigle, qui occupe les 21 mètres de profondeur de la salle : de quoi vous mettre légèrement mal à l’aise. La sensation d’observation était oppressante. Au bout de la table, un diaporama défilait, expliquant les évolutions de la firme HELLOTM.
Par l’escalier, nous descendions dans une salle où le regard de l’aigle nous guettait toujours, et où étaient archivées des centaines de photos d’œuf immatriculés. Le code inscrit sur chaque œuf correspondant à la date de naissance, le genre, la première lettre du prénom et le nom, et cette série d’œufs identiques composait le « panel représentatif des membres de la communauté HELLOTM » : petit clin d’œil entre autre à l’uniformisation des sociétés et de leurs membres, et des modes de vie.

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Juxtaposée à cette ovo-photothèque,une salle de projection époustouflante : la projection se faisait sur les4 murs et du sol au plafond. L’immersion ne pouvait être plus totale. Et elle se justifiait par la projection qui y est consacrée : on assiste à la naissance d’une multitude de petits aiglons, dont les piaillements ne sont pas très agréables. Une musique stridente donnait le ton à la croissance de ces oiseaux,qui finissent par nous encercler, et nous étouffer. Serait-ce une allusion à l’étouffement que nous pouvons ressentir souvent face à l’obsédante présence du capitalisme ?
Suite à quoi, nous accédions à une salle beaucoup plus joyeuse, puisque il s’agissait d’une salle de jeux vidéo,où le visiteur était lui-même le personnage du jeu : il devait battre des bras pour faire voler l’aigle sur l’écran. Le but très simple était de passer dans des cerceaux et de ramasser des œufs pour avoir le plus de points (plus d’argent ?) possible, mais même en cas d’échec un message de victoire s’affichait sur l’écran.
Enfin la dernière salle présentait les recherches graphiques de la création de la statue Aigle-de-la-Liberté, les affiches de communication de la firme (toutes des appropriations de vraies affiches qui ont marqué l’histoire du graphisme), l’histoire de la marque, et la photo du bâtiment (qui est un mélange très drôle entre plusieurs musées mondialement connus). Le dernier espace à voir (avant d’aller à la boutique,qui était aussi une salle de l’exposition) était un mur d’expression libre sur lequel le visiteur pouvait se défouler à la craie jaune ou bleue (couleurs de la marque), s’il trouvait de la place pour le faire, car en effet, ce genre de salle où la transgression de l’interdit est possible fonctionne très bien et est vite saturée.
Une exposition politiquement correcte
En déambulant dans les différentes pièces, nous avions donc des relations différentes à la marque, tantôt elle nous paraissait sympathique, tantôt elle devenait inquiétante. Ce qui est dommage, c’est que l’ambiance immersive ne continuait pas dans les escaliers ; les passages d’un niveau à l’autre, déjà assez chaotiques (Rez-de-chaussée, -1, 2, 1), brisait l’ambiance qui était installée. Alors qu’une continuation de la scénographie dans les escaliers aurait été totalement justifiée puisqu’elle aurait appuyée l’aspect omniprésent des marques qui veut être abordé.
On regrettera aussi le manque d’efficacité de la partie boutique, sans vendeur. Encore fallait-il comprendre qu’il s’agissait toujours de l’exposition, puisque pour accéder à cette partie, on traversait d’abord la vraie boutique de la Gaité Lyrique qui proposait les mêmes produits que la fausse boutique de l’exposition. Ce n’est pas simple. Vers cette fausse boutique était reproduit un mur rempli d’affiches de propagande politico-marketing, avec des slogans comme « In brand we trust »,« ensemble pour un monde qui vous ressemble », etc. Ces affiches arrivaient dans un univers totalement décontextualisé, et dans une ambiance incohérente par rapport au reste du parcours de l’exposition. Une fin de parcours qui était donc un peu difficile à comprendre.

©M.T.
Il est bien entendu que cette exposition ne s’adressait pas à tout le monde, elle s’adressait aux personnes qui ont un minimum de recul sur ce qu’il se passe au niveau des marques et de la société, et plus largement au niveau des politiques capitalistes. Le collectif H5 n’a pas réellement formulé de critiques, son discours était trop caché pour prétendre être affirmé. Les auteurs se sont seulement inspiré d’un fait, et en ont exposé une interprétation. On pouvait alors regretter le manque d’engagement officiel dans cette exposition, même si la subtilité était toujours aussi présente que dans Logorama©, et heureusement, car c’est aussi ce qui participe à l’identification du collectif. Mais tout de même, une critique plus ouverte et moins mise en scène, quelque chose de plus électrochoc pouvait être attendu, au vue de la bande annonce de l’exposition et de toute la communication qui l’a précédé. Les réflexions changeaient dans chaque salle,on nous proposait une analyse globale de notre société actuelle, sur un problème de fond, certes. Mais finalement, cette exposition était très théâtrale, elle changeait un peu les idées du visiteur, qui s’amusait bien à chercher les petites allusions, et à jouer à la console, mais le problème c’est : et après ? Sorti de cette exposition, et plusieurs mois après, nos comportements n’ont pas changé, le monde ne s’est pas arrêté de tourner, et le capitalisme est toujours là pour contrôler le rythme de nos vies.
M.T.
Plus d'infos :

Exploration urbaine et voyage surprenant
Dans le Calvados, en Normandie, les propositions culturelles et artistiques sont essentiellement traditionnelles. La période médiévale et les Vikings, Guillaume Le Conquérant, les Impressionnistes et l’histoire du débarquement durant la Seconde Guerre Mondiale en sont les principales thématiques. Bien que la région affirme son désir de développer et d’élargir les propositions artistiques, il n’est pas toujours évident de trouver des expositions se détachant de cette mémoire locale, ni même de l’art contemporain ailleurs qu’au FRAC Basse-Normandie, à l’Artothèque ou encore aux écoles des Beaux-Arts de Caen et de Cherbourg.
En cherchant des centres culturels sur la ville de Caen, j’ai découvert le collectif de La Centrifugeuz. Basée dans un collège abandonné d’un quartier populaire et prêté par la ville de Caen, cette association indépendante veut proposer des événements artistiques et sociaux, notamment à destination des habitants de proximité. Son objectif est la diffusion de créations contemporaines, et particulièrement non-institutionnalisées, tout en proposant des activités sociales alternatives(repas partagés, ateliers de jardinage et développement durable). Le collectif est à l’écoute de ses visiteurs, des artistes et des réalités locales.
Ainsi, les créations urbaines sont favorisées dans la programmation dulieu (ateliers, expositions ou encore spectacles) afin de présenter des artistes émergeants ou déjà reconnus dans le milieu. Et bien qu’exposer pour faire connaître, mieux comprendre et faire accepter aux plus réticents le street art sont devenus des enjeux récurrents ces dernières années pour beaucoup de structures,aucune ne s’était démarquée jusqu’à maintenant dans la région. La Centrifuguez est donc une singularité dans le paysage bas-normand.
Son nom, par son originalité et sa signification, interpelle et marque les esprits : une centrifugeuse est un extracteur de jus ou en laboratoire, un instrument pour séparant des substances, par un mouvement très rapide. Le mot« centrifugeuse » évoque donc la vitesse et la séparation. Le nom du collectif est porteur de sens : on extrait d’un contexte des éléments (graff par exemple) pour mieux les distinguer et les mettre en valeur, mais surtout la culture urbaine se définit par sa rapidité d’exécution, que ce soit en danse,en graff comme en rap. Et justement cette dernière est au cœur des projets. Pour toutes ces raisons, ma curiosité était éveillée : je devais visiter ce lieu !
Entre abandon et seconde vie, entre la nostalgie et la création, les bâtiments tagués deviennent galerie à ciel ouvert où il est amusant de déambuler pour reconnaître certaines signatures et réfléchir aux mantras graffés ici ou là. Je croise un jeune couple venu se balader, un monsieur qui semble passionné et quelques jeunes au sweat tachés de peinture. Les gens discutent entre eux,partagent des lieux qu’ils connaissent pour découvrir des fresques taguées et les structures d’autres régions promouvant l’art urbain. J’arrive finalement dans une petite exposition consacrée à un voyage au Nicaragua du street artist caennais Oré.
Jalonnant le paysage urbain depuis ma tendre enfance, par ses serpents à plumes reconnaissables et ses signatures monumentales, Oré est certainement le premier artiste que j’ai régulièrement suivi, recherché et qui m’a fait apprécier le street art. Mais revenons-en à son exposition. En plus des photographies des réalisations du graffeur en Amérique centrale, étaient présentées des peintures sur toile ainsi que des petits objets inspirés de ces paysages. Pour une confrontation inspirante, des toiles d’artistes du Nicaragua sont exposées.
Le style typique présenté permet de mieux s’imprégner des traditions, du style de vie et des couleurs des paysages. La découverte est entière. Une installation vidéo diffuse un chant d’oiseaux. Tout est fait pour que les visiteurs prennent le temps d’observer calmement et réfléchir aux propositions. Et les agréments ne s’arrêtent pas là ! C’est Oré lui-même qui accueille individuellement les visiteurs en expliquant sa démarche, les œuvres présentées et répond à toutes les questions. Disponible et attentif, il enrichit encore la découverte.
Affiche de l'exposition "Rêves de Solentiname"
Bien que d’un premier abord sobre et circonscrive, l’exposition devient finalement une mine de surprises. Et le street art n’est pas dénaturé ni décontextualisé, encore moins institutionnalisé telle une nouvelle merveille du monde. Il est exposé comme support de réflexion, comme outil de partage et découverte pour créer la curiosité et donner envie d’en découvrir davantage sur le Nicaragua, comme sur les créations d’Oré. Il continue d’appartenir à tous et de questionner l’environnement.
Finalement, je repars de La Centrifugeuz l’esprit éveillé et satisfait, les yeux brillants de plaisir. C’est sûr, je reviendrai !
Chloé Maury
#Normandie#StreetArt
#Centrifugeuz
#Oré
#Nicaragua

Exposer l'art contemporain dans un musée de beaux-arts, pour quoi faire ?
Depuis le début des années 1980, il existe en France les Fonds Régionaux d’Art Contemporain (dit FRAC) dont les objectifs principaux sont de collecter, conserver et diffuser localement des œuvres d’art contemporain, toutes pratiques confondues. En créant ainsi une collection nationale, l’État souhaite soutenir les artistes nationaux et internationaux tout en décentralisant l’art de Paris pour l’apporter à tous.
Exposer l'art urbain peut-il encore surprendre ?
Indéniablement, le street art, ou art urbain, est en vogue. De plus en plus, les institutions comme les grandes villes organisent et accueillent des festivals, des rencontres et des expositions vouées aux créations urbaines.
Roubaix a rejoint ce mouvement avec la fameuse exposition Street Generation(s), 40 ans d’art urbain, tenue pendant trois mois à La Condition Publique. Au regard de la diversité des propositions, cette exposition se devait d’apporter quelque chose de nouveau. La communication organisée sur le long terme permet d’attirer l’attention et créer des attentes. Les grands noms du graff fièrement annoncés captivent facilement : Jef Aérosol, Keith Haring, Banksy, JR, L’Atlas ou encore Miss Tic. On nous promet une exposition exceptionnelle retraçant les quarante années de productions et créations de l’art urbain, depuis son aurore jusqu’à son apogée actuelle.
Affiche de l’exposition Street Generation(s) © La Condition Publique
Ayant écrit un mémoire sur l’expansion mondiale de la culture hip-hop (qui a vu naître les premiers graffs), ses motivations premières ainsi que les transformations et récupérations dont elle a pu faire l’objet, c’est avec enthousiasme et curiosité que je me suis rendue au vernissage.
L’espace d’exposition monumental et le foisonnement d’œuvres et d’objets iconiques impressionnent, écrasent presque les visiteurs. Même dans cet ancien lieu industriel, la scénographie épurée dégage une atmosphère prestigieuse, sacralisante : le contenu exposé est déjà dénaturé. De fait, depuis les premières expressions urbaines réalisées dans un contexte socio-économique difficile (ghettos du Bronx, séparation de Berlin entre deux blocs, banlieues françaises précaires) par des hommes et femmes cherchant la reconnaissance alors que l’état les ignore, jusqu’à aujourd’hui où les artistes continuent de s’exprimer illégalement, souvent pour dénoncer des travers de notre société, l’art urbain n’a jamais eu la prétention de splendeur et majesté. Au contraire il cherche à s’adresser au plus grand nombre de façon spontanée et hors-les-murs. Le fait que l’entrée à l’exposition soit payante participe également à modifier la caractéristique de l’art urbain, par définition exposé dans la ville donc à portée de tous. Heureusement que quelques artistes sont intervenus hors-les-murs, autour de la Condition Publique à l’occasion de l’exposition : leurs productions sont ainsi accessibles à tous.
Wall by LUDO, Street Generation(s), La Condition Publique © Stéphane Bisseuil
Et ce n’est pas tout… Les textes n’abordent pas frontalement les questions de fond, comme si les études disponibles sur le sujet (et elles sont nombreuses) n’avaient pas été consultées. D’ailleurs l’essence même de l’art urbain n’est pas détaillé : d’expression contestataire, illégale et dangereuse elle s’expose ici surtout comme forme esthétique.
De plus, certaines formulations peuvent se lire comme un jugement des œuvres exposées : le titre de salle « L’avènement du message » correspondant aux expressions urbaines à partir des années 1990 nous invite-il à déduire que toutes les pratiques antérieures sont dépourvues de sens et revendication ? C’est mal faire connaître le sujet ! Plus loin, on peut également lire « Ce qui frappe c’est que chaque artiste est désormais unique en son genre, en quête de sa marque de fabrique, de sa technique. » Cette phrase anodine est finalement d’une grande importance pour l’ensemble de l’exposition : d’abord il y a une forme de jugement sur les pratiques originelles (comme si les premiers graffeurs n’avaient pas de personnalité ni le désir de se démarquer entre eux) mais révèle encore un manque d’analyses, un défaut d’étude sur l’histoire et la sociologie de l’art urbain. L’idée était peut-être d’évoquer une pratique de groupe, plus que de démarches individuelles ? Le manque de précision entretient le doute.
Également perturbantes sont les quelques analyses plastiques qui portent davantage un regard de théoricien classique pour affilier les productions à l’histoire de l’art et son héritage, plus qu’un regard d’artiste expliquant une démarche, ses codes et ses propres références. Confronter ces deux points de vue aurait pu enrichir l'observation artistique.
JonOne, Street Generation(s), La Condition Publique © Stéphane Bisseuil
En définitive, cette exposition me questionne beaucoup. Son message et son apport scientifique m’ont échappé. Si des visiteurs viennent par curiosité pour comprendre les expressions urbaines, je regrette les simplifications du discours. L’exposition attire, excite la vue et impressionne sans prendre le parti de se focaliser sur les messages exprimés par les artistes, les techniques ou même les aspects sociologiques. Elle séduit par son sujet tendance, se consomme puis s’oublie. Chacun participe à un spectacle encadré, sans trop de surprises. Et si les visiteurs ont déjà des connaissances sur l’histoire et les pratiques urbaines, c’est une bonne occasion de découvrir au même endroit autant d’œuvres (dont certaines sont rares en exposition) de tant d’artistes réunis, de Futura à Zevs en passant par Space Invader et Jacques Villeglé… L’exposition répond certainement aux attentes de la nouvelle dynamique de la Condition Publique et à la politique municipale axée sur les créations urbaines. Et l’on retiendra finalement la contribution à la légitimation de l’art urbain par les institutions.
#arturbain
#institutionnalisation
http://www.laconditionpublique.com/evenements/street-generations-40ans-dart-urbain/

Exposer l’Art Brut : enjeux éthiques et esthétiques
Image d'en-tête : Exposition Peintres spirites et guérisseur, LAM Villeneuve-d’Ascq © Clémence de Carvalho.
L’Art Brut, selon la définition de Jean Dubuffet dans L’Art Brut préféré aux arts culturels, rassemble des « ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, […] de sorte que leurs auteurs y tirent tout de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode ». Ces artistes sont donc des autodidactes, majoritairement des marginaux, ne répondant pas aux normes du monde de l’art, et créant des œuvres originales souvent inclassables. Les institutions culturelles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à vouloir les intégrer au sein de leurs expositions temporaires ou permanentes, notamment par le biais d'acquisitions ou de demandes de prêts à des musées plus spécialisés comme la Collection de l'Art Brut de Lausanne, le Art et Marges Musée de Bruxelles ou le LAM de Villeneuve d’Ascq.
Quel est l’intérêt pour un musée d’art « traditionnel » de sortir de sa zone de confort en exposant de l’Art Brut ? Mathilde Pavaut a donné quelques pistes de réflexion à ce sujet dans son article « Pourquoi exposer l'art outsider », publié sur ce même blog en octobre 2018 (Pourquoi exposer l'art outside).
Si l’on s’en tient à la définition de Dubuffet, les œuvres d’Art Brut ne nécessiteraient pas de connaissances en Histoire de l’art pour être comprises ou susciter de l’émotion. Que les musées fassent le choix de les exposer n’est alors pas anodin car ils se positionnent ainsi comme des vitrines de la création dans son ensemble et pas seulement en répondant aux normes de l’institution. Cela peut être l’opportunité d’attirer un public habituellement intimidé par le musée en mettant en avant le décalage de ces œuvres et créateurs par rapport au monde de l’art actuel, souvent considéré comme élitiste et intellectuel.
Mais une question se pose alors pour les conservateurs ou commissaires d’exposition : existe-t-il une manière particulière d’exposer ces créations pour le moins singulières ?
La réponse n’est pas simple à trouver puisqu’elle touche à la nature même de ces œuvres, qui n’avaient pas pour vocation au départ à être exposées. On identifie aujourd’hui deux tendances opposées à ce sujet : l’une, fidèle aux préceptes de Dubuffet, considère que l’Art Brut doit être tenu à l’écart des arts dits « culturels » pour conserver son authenticité. Plus récemment, certains professionnels et théoriciens affirment que mêler l’Art Brut au courant dominant serait tout à fait possible, et que cette association serait même bénéfique pour les deux côtés.
Décloisonner l’Art Brut : le dialogue avec l’Art conventionnel
Les défenseurs de l’Art Brut, en accord avec Dubuffet, considéraient que le dialogue était impossible avec l’Art « officiel », privilégiant l’authenticité en le protégeant des contacts avec l’extérieur. Pour ces puristes, sortir ces œuvres de leur contexte n’aurait pas de sens puisqu’elles n’ont pas été conçues pour un musée. Ce fût pendant un temps la position de Michel Thévoz, ancien conservateur de la Collection de l’Art Brut de Lausanne (de sa création en 1976 à 2001).
Mais depuis la Biennale de Venise de 2013, l’Art Brut jouit d’un regain d’intérêt dans la sphère artistique institutionnelle. Il rejoint les plus grandes collections publiques ou privées (MoMA, Centre Pompidou, tate Modern…) et de nombreuses expositions, publications et colloques voient le jour : citons la prestigieuse édition Citadelle & Mazenod qui consacre un ouvrage à l’Art Brut en 2018 sous la direction de Martine Lusardy (directrice de la Halle Saint-Pierre à Paris), ou l'exposition « Esprit, es-tu là ? Les peintres et l’Au-delà » qui s’est tenue de juin à novembre 2020 au Musée Maillol à Paris, rendant hommage aux peintres spirites Augustin Lesage, Victor Simon et Fleury-Joseph Crépin.
Avec l’effacement progressif de la catégorisation des arts, propre à l’Histoire de l’art traditionnelle, la création contemporaine s’ouvre au travail des artistes « amateurs », en réaction aux normes trop fortes imposées par l’art contemporain.
Certains commissaires d’exposition ou conservateurs s’autorisent donc à transgresser les préceptes de Dubuffet car sa vision serait selon eux trop réductrice et marginalisante. En choisissant de lire l’Art Brut à partir d’un seul point de vue, celui-ci serait intentionnellement placé de côté et sa lecture ne serait donc que partielle.
Delphine Dori dans son article Exposer l’Art Brut et l’art contemporain : le rôle des commissaires d’expositions publié en 2011 dans la revue Marges, cite l’exemple du commissaire d’exposition Harald Szeemann qui avait un avis très tranché sur la question1. Il n’y avait selon lui pas lieu de faire une distinction entre l’art « outsider » et « insider ». Il souhaitait briser les murs qui subsistaient entre ces deux mondes en les exposant ensemble, pour donner ainsi aux créateurs bruts le statut de véritables artistes.
De nombreuses institutions ont adopté cette tendance au décloisonnement de l’Art Brut comme à la Maison Rouge à Paris (aujourd’hui définitivement fermée), aux Musée des Beaux-Arts de Liège, au Musée Maillol ou au Mac’s du Grand-Hornu par exemple. Citons également la collection du LaM de Villeneuve d’Ascq et la volonté du musée de mêler ses différents types de collections à travers des expositions comme « Danser Brut » en 2019.
Mais Christian Berst, galeriste spécialisé dans l’Art Brut, vient nuancer ce débat en affirmant dans un interview pour Artpress en 2013 : « On a, avec Dubuffet le “séparatiste” d'un côté, et Szeemann “l’intégrationniste” de l'autre, les deux approches qui ont prédominé jusqu'ici. Je privilégierai une troisième voie, étroite mais plus équilibrée, qui ne gomme pas l'altérité par essence des œuvres, sans pour autant les ghettoiser ou les stigmatiser »2.
Car décloisonner l’Art Brut et le juxtaposer à des œuvres plus conformes aux normes des musées c’est aussi prendre le risque d’éloigner l’œuvre de son créateur, et donc de son contexte de création pourtant primordial.
De la nécessité de contextualiser les œuvres
L’artiste « Brut » est souvent issu des marges de la société. La plupart du temps il souffre de pathologies psychologiques, même si de nos jours la définition a tendance à s’ouvrir à une plus large palette de personnalités. Il créé principalement pour illustrer ses tourments, par nécessité, répondant à un besoin profond sans prendre en compte un éventuel regard extérieur. Il parait alors primordial pour comprendre une œuvre d’Art Brut d’avoir connaissance du vécu de son artiste.
Pour répondre à cette nécessité, la Collection de l’Art Brut de Lausanne a fait le choix de mettre à la disposition de son public des cartels détaillés pour toutes les œuvres exposées. Sans ces explications, elles perdraient en effet une grande partie de leur sens, car elles sont intimement liées à la biographie de leurs auteurs. Prenons l’exemple de l’Américain Dan Miller. Ses accumulations de lignes jusqu’à saturation auraient-elles la même portée si le visiteur n’avait pas connaissance de ses troubles autistiques et de son besoin obsessionnel de superposer lettres et dessins jusqu’à atteindre l’abstraction ? Ces cartels touchent à l’émotion de ceux qui les lisent, ce qui rend les œuvres d’autant plus troublantes.
Cartel de la Collection de l’Art Brut - Lausanne © V.E.
Dan Miller - Collection de l’Art Brut - Lausanne © V.E.
Mais au-delà de caractéristiques sociales, la notion d’art brut repose aussi sur des particularités esthétiques et c’est ce que cherchent à mettre en avant certains commissaires d’exposition, en présentant ces œuvres sans aucun cartel. Considérant que baser l’interprétation d’une œuvre sur des critères sociologiques souvent perçus comme négatifs serait réducteur, ils font le choix d’effacer cet aspect en mettant plutôt en valeur la maitrise technique et les qualités esthétiques, prenant le parti de dire que les œuvres se suffisent à elles-mêmes.
La mise de côté des données sociologiques et pathologiques des artistes bruts peut aussi être une réponse à une question éthique. Puisque dévoiler des détails intimes au public peut apparaitre comme une violation de leur intimité, doit-on mettre des cartels qui résument leur dossier médical à chaque présentation de leur travail ? C’est la question que se pose Christian Berst, privilégiant la valorisation de ces pathologies, qui sont finalement pour lui des particularités qui rendent ces artistes uniques.
Un retour à des questionnements fondamentaux
La perception de l’Art Brut évolue au fur et à mesure de ces nombreux débats et il est sûr qu’ils ne s’achèveront pas de sitôt puisque même sa dénomination est encore sujette à questionnements, comme en témoigne le nom du Colloque du Centre Culturel International de Cerisy prévu en mai 2022 : « de quoi l’art brut est-il le nom ? », sous la direction de Christian Berst et Raphaël Koenig (https://cerisy-colloques.fr/artbrut2020/). Cet évènement sera l’occasion d’interroger la notion d’Art Brut, son histoire, sa matérialité et ses liens avec le monde de l’art grâce aux interventions de différents spécialistes internationaux du sujet, commissaires d’expositions et critiques d’art parmi lesquels Jean-Hubert Martin, Marc Lenot et Claire Margat.
Ainsi l’Art Brut, au-delà d’alimenter les salles d’exposition en œuvres singulières, invite les institutions à se réinterroger sur des sujets primordiaux tels que la notion du Beau, l’Esthétique, le statut de l’artiste et de l’œuvre d’art, mais aussi les dimensions éthiques et philosophiques de leurs missions au sein du paysage culturel.
Valentine Equy
1 Delphine Dori, “Exposer l’Art Brut et l’art contemporain : le rôle des commissaires d’expositions”, Marges, n°12, 2011.
2Claire Margat, « Exposer l’Art Brut aujourd’hui », Artpress2, n°30, « Les mondes de l’Art Brut », 2013.
Collection de l’Art Brut de Lausanne : https://www.artbrut.ch/
Galerie Christian Berst : https://christianberst.com/
Art et Marges Bruxelles : https://www.artetmarges.be/fr/
#artbrut #artcontemporain #muséographie

Exposer le privé : une manière de mettre en scène l’actualité ?
« Aller au bout de ses rêves, ça fait peur. Mais c’est aussi s’assurer de ne pas avoir de regrets », Walter Vanhaerents.
Mark Handforth, Stardust, 2005 ©Séléna Bouvard
La Vanhaerents Art Collection est une collection familiale d’art contemporain rassemblée par Walter Vanhaerents et ses enfants Els et Joost, qui fournit un aperçu des courants artistiques de la fin des années 70 à aujourd’hui.
A travers 57 œuvres monumentales colorées et engagées, l’exposition organisée au Tripostal de Lille (du 6 octobre 2023 au 14 janvier 2024) reflète la diversité et la vitalité des pratiques artistiques actuelles avec des artistes confirmés et émergents comme Bruce Nauman, Matthew Day Jackson, ou encore Ali Banisadr, occasion de mêler peintures, sculptures, installations, et vidéos.
Passionné par l’art provocateur, Walter Vanhaerents, commissaire de l’exposition, propose aux visiteurs de découvrir des œuvres revendicatives et dénonciatrices du quotidien. Walter Vanhaerents propose une exposition qui adopte un regard tourné vers le présent comme vers le futur.
Exposer une collection privée n’aurait alors pas toujours comme but de faire un état des lieux d’œuvres à prix démesuré en vogue sur la scène du marché de l’art.
Une muséographie sobre au regard de la scénographie
Le Tripostal offre trois plateaux de 2000m2 chacun. Pouvant profiter de cette souplesse spatiale, les œuvres de la collection Vanhaerents s’inscrivent à merveille dans cet espace culturel. La muséographie fait écho à celle mise en place dans le lieu d’exposition de Bruxelles (un ancien entrepôt transformé par le duo d’architectes Robbrecht & Daem) où Walter Vanhaerents décide de modifier la manière de présenter ses collections au public en adoptant le format d’un dépôt de visualisation où s’entremêlent esthétique et fonctionnalité.
Intérieur du musée (29 rue Anneessens, 1000, Bruxelles) ©VanhaerentsArtCollection
Le Tripostal utilise cette même manière d’exposer en adoptant une muséographie peu développée, à l’exception des cartels éclairés de manière tamisée par des plafonniers. Les œuvres sont posées au sol ici et là telles que celles composées de néons d’Ivan Navarro, KickBackKickBackKickBack (2016) ou Twin Towers (2011). D’autres sont accrochées sur des murs blancs n’accueillant qu’un seul tableau comme The Arrival of Spring in Woldgate (2011) de David Hockney et One Minute You’re here (2020-2021) de Friedrich Kunath. Ou encore, des sculptures sont placées au milieu du parcours telles que celles de Laure Prouvost (This Means, 2019) ou d’Ugo Rondinone (If There Were Anywhere but Desert, Sunday, 2000), afin de rompre la monotonie des couloirs droits.
Au rez-de-chaussée, la scénographie se compose de multiples fils noirs où les œuvres Tomas Saraceno (Cloud Cities : mise-en-Aéroscène (2016-2023)) habitent tout l’espace d’exposition. Le visiteur est invité à déambuler librement à travers ces fils afin d’observer de près les œuvres de cet artiste. Le parti-pris de Tomas Saraceno avec ce type de scénographie est à la fois innovant autant que surprenant car le visiteur doit alors porter toute son attention à ne pas heurter les fils et les œuvres de cette installation.
Les expôts sur fond neutre, en l’occurrence au Tripostal dans des salles blanches, dégagent une impression de sobriété. Les cimaises sous forme de « white cube » soulignent l’importance de chaque objet et fournissent une présentation homogène. Les objets et l’espace forment alors un tout car une même importance leur est accordée. Néanmoins, au premier et deuxième étage, les mises en scène, objets comme cimaises, varient. Les œuvres sur le troisième plateau impressionnent par leur dimension (Vaughn Spann avec sa toile sur châssis en aluminium et peinture polymère Blue Joy (2020) de plus de 2m de hauteur et de largeur), et leurs matériaux. La salle 12, consacrée à David Altmejd, présente des sculptures grandioses de figures anthropomorphes en plexiglas, mousse expansée, fils de nylon, cristaux et miroirs.
L’éclairage est adapté à la pièce et au thème de l’exposition. L’œuvre de Yinka Shonibare (Leisure Lady, 2001), disposée sur un piédestal, est mise en valeur par son socle et sa visibilité est renforcée par la lumière, tandis que des espaces sont plongés dans la pénombre pour que la projection des vidéos comme celle de Bill Viola (Martyrs, 2014) ou des films comme The Feast of Trimalchio (2019) de AES+F immergent les visiteurs comme dans une salle de cinéma. Ces luminosités différentes établissent alors une hiérarchie des perceptions entre les pièces d’exposition, les expôts, et l’espace, tout en renforçant l’expérience émotionnelle.
Ugo Rondinone, If There Were Anywhere but Desert, Sunday, 2000, Fibre de verre, peinture, vêtements, paillettes. © Séléna Bouvard
Tomas Saraceno, Cloud Cities : mise-en-Aéroscène, 2016-2023, miroirs, plexiglas, fils. © Séléna Bouvard
Lumière et engagement
Les œuvres, telles qu’exposées, semblent à première vue purement esthétiques. Mais lorsque le visiteur s’informe, auprès des médiateurs présents dans la salle ou des cartels, du concept exprimé par l’artiste, le discours devient tout autre.
Au premier étage, Yinka Shonibare propose Leisure Lady (2001), une sculpture colorée d’une femme sans tête portant une robe en wax d’époque victorienne et tenant en laisse trois ocelots. Ce tissu de coton imprimé selon un procédé à la cire et ces félins d’Amérique en voie de disparition dénoncent une époque marquée par la colonisation et des thèmes à la mode tels que l’apprivoisement de la faune. Le XVIIIè et le XIXè siècle rappellent, en France comme en Europe, le temps des « expositions d’ethnographie coloniale » dans des « zoos humains » où étaient présentées des populations d’origines africaines afin de montrer l’exotisme des contrées que la France, la Hollande ou encore le Portugal, pays colonisateurs, n’hésitaient pas à piller et à exploiter à travers l’esclavage. En supprimant la tête du personnage, Yinka Shonibare évoque la décapitation de la bourgeoisie et de l’aristocratie colonisatrice qui avaient le monopole sur le commerce et le transport d’esclaves.
Yinka Shonibare, Leisure Lady, 2001, mannequin grandeur nature, trois ocelots en fibre de verre, wax hollandais imprimé sur coton, cuir, verre © Séléna Bouvard
Oubliés ou supprimés dans l’histoire de la peinture occidentale, Titus Kaphar tend à dénoncer dans Beneath an Unforgiving Sun (2020) la sous-représentation des minorités. Sur ses huiles sur toile, il découpe les portraits d’enfants afro-américains se tenant à côté de leur mère ; se lit un sentiment d’épuisement et de désespoir. Revendiquant le racisme et l’oppression qui pèsent sur la communauté noire, Titus Kaphar accentue cette violence en laissant des trous dans les tableaux, en miroir du regard des Blancs. Ces “victimes fantômes” soulignent la fragilité de leur vie et de leur avenir incertain.
Avenir incertain, tel fut le cas pour Trayvor Martin qu’évoque Vaugn Spann dans Blue Joy (2020) au deuxième étage. L’artiste rend hommage à cet adolescent de 17 ans non armé tué par un agent de sécurité en Floride. A première vue, cet arc-en-ciel éclatant semble transmettre un état d’esprit positif et joyeux, mais la réalité est autre. Aux couleurs du slogan publicitaire « Taste the Rainbow » pour la promotion des Skittles, cet arc-en-ciel aux mêmes couleurs a une originalité, celle de posséder un rayon noir qui fait écho à la violence et aux injustices subies par les communautés noires africaines. En effet, cela peut faire écho au meurtre de Georges Floyd aux Etats-Unis en 2020, tué sans raison valable par des policiers.
Dans Eye Candy (2022) de Derrick Adams, le regard du visiteur se concentre sur une imagerie dynamique de six panneaux colorés représentant chacun la même figure masculine noire qui tient une sucette. Cette œuvre aux couleurs « pop » dissimule et renferme, en parallèle du visage à moitié caché, le concept de « friandise pour les yeux », en référence au titre de l’œuvre. Cette approche s’inspire d’une image promotionnelle de sous-vêtements tirée d’Ebony, un magazine à destination du public afro-américain des années 80. Entre publicité, culture populaire et consumérisme, l’artiste emploie l’iconographie du corps afin de contester la perception stéréotypée de la masculinité noire.
Derrick Adams, Eye Candy, 2022, six sérigraphies avec collages en relief encadrées, papier peint © Séléna Bouvard
Entre thématiques identitaires, historiques et sociales, les artistes sélectionnés par Lille3000 en collaboration avec la collection Vanhaerents exposent des œuvres lumineuses et engagées qui, par leurs couleurs et leurs dimensions, marquent les visiteurs.
Une beauté mystérieuse
« Je cherche constamment la possibilité de présenter les mêmes choses de différentes manières - et d’y introduire un élément de vulnérabilité humaine », Sudarshan Shetty
Poétiques tout autant qu’esthétiques, les artistes proposent des œuvres en lien avec la vanité, le temps qui passe, approchant parfois le Memento Mori. Cette beauté fantasmagorique est portée par les matériaux employés et par le concept dicté par l’artiste.
Sculptures surréalistes et monumentales, tel est le cas de David Altmejd dans la salle 12 du troisième plateau du Tripostal qui réalise Le Ventre (2012) où il expérimente la nature de l’être humain, entre transformation et dualité. David Altmejd joue sur les ombres et les lumières à travers des matériaux translucides qui filtrent la lumière, tout en montrant l’intérieur d’un ventre humain en désagrégation. L’artiste oscille alors entre le beau et le macabre, l’intérieur et l’extérieur, afin d’illustrer la fragilité et la vulnérabilité du corps humain, ouvert à la vue de tous.
Explorer les possibilités des matériaux non conventionnels comme le gonflable est le parti-pris de Fredrik Tjaerandsen qui réalise Blue Crescent (2023), un body en latex formé de deux croissants reliés par un cordon reposant sur les épaules du mannequin. Cette œuvre est issue d’une performance, diffusée par une télévision. En miroir à ce contenu multimédia, se tient un mannequin fictif qui porte ce body. Alliant mode, art et performance, l’artiste souhaite faire prendre conscience au visiteur qu’il se limite trop souvent à sa propre bulle. Cette idée d’isolement se ressent par la dimension de l’œuvre : l’épaisseur du body met une distance entre le mannequin et le visiteur, donc en prolongement, entre chaque être humain.
À première vue, Dark Blue Clock (2022) d’Ugo Rondinone semble être un vitrail mais qui se révèle être, d’après le titre de l’œuvre renseignée sur le cartel, une horloge. Dépourvue des aspects essentiels à la compréhension de sa fonction dont le visiteur a besoin pour lire l’heure, cerclée de plomb, elle brouille les perceptions connues de l’horloge avec aiguilles et chiffres. Ugo Rondinone rappelle que le temps que le visiteur habite dicte sa vie de manière arbitraire. Aiguilles, chiffres, ou non, le temps est impalpable et aléatoire.
Ugo Rondinone, Dark Blue Clock, 2022, vitrail © Séléna Bouvard
David Altmejd, Le Ventre, 2012, techniques mixtes © Séléna Bouvard
Au deuxième étage, ces univers à la fois étranges tout autant que familiers (l’espace intime et personnel, le corps humain, le temps) illustrent des visions plus nuancées, moins polémiques ou politiques mais tout aussi fortes en matière de création.
C’est en se penchant vers les cartels des œuvres que ces dernières prennent sens. Si certaines peuvent sembler purement esthétiques, un message fort s’y cache. La Vanhaerents Art Collection propose des œuvres au grand éclectisme ouvrant une porte aux artistes non-occidentaux et offrant aux artistes émergeants l’opportunité de trouver une place sur le devant de la scène artistique contemporaine. L’accrochage et l’installation exploitées au sein du Tripostal de Lille, dépouillées, permettent au visiteur une immersion au sein de la collection privée de la famille Vanhaerents. Cette dernière s’inscrit, au travers de ses œuvres, dans une actualité contemporaine tant d’un point de vue social (la considération entre chaque individu qui s'évanouit ainsi que le vivre ensemble qui s’efface) que politique (les violences policières et l’invisibilité des personnes noires).
Séléna BOUVARD
#collection privée #art contemporain #lieu culturel

Exposer le queer : intimité ou voyeurisme?
Donner de la visibilité à la culture queer devient un réel engagement politique. Deux institutions muséales parisiennes ont relevé le défi d’aborder cette thématique dans le cadre d’expositions temporaires. Il est intéressant de les présenter en diptyque afin de prendre conscience d’une pluralité de récits et de partis pris.
“Ce qui se passe au lit dépend de ce qui se passe en politique”, Youssef Chahine
Depuis le 28 juin 2023 et jusqu’au 13 novembre 2023, le Centre Pompidou Paris présente l’exposition Over the Rainbow qui met en scène le récit LGBTQIA+ occidental. Mettre en écho cette exposition à Habibi : Les révolutions de l’amour, qui a eu lieu du 27 septembre 2022 au 19 mars 2023 au sein de l’Institut du Monde Arabe à Paris est inévitable. Les mettre en écho permet de se questionner sur les différents discours développés sur cette thématique tendance qu’est la culture queer.
L’intime politique
Over the Rainbow présente des œuvres occidentales (Europe et Amérique) sur différents supports (tableaux, livres, photographies, documents graphiques, vidéos, musiques…), rendant la visite variée et dynamique. Avant d’immerger le visiteur dans l’expérience muséale, une chronologie répertoriant les luttes militantes de la fin du XIXè siècle à nos jours est inscrite sur une cimaise extérieure à l’exposition. Plaçant le visiteur dans un cadre déterminé, ce dernier se dirige vers l’exposition où il y trouve un livret renfermant un lexique abordant des termes contemporains parlant de sexualité et de genre. Une entrée en la matière permettant d’appréhender facilement cette dimension sociale et politique. Les artistes s’attachent donc à dépeindre des visions différentes des sexualités en sortant du cadre hétéronormatif.
Prenant le parti-pris de réaliser une exposition chronologique et historicisante, des salons lesbiens du XIXè siècle aux luttes militantes activistes du XXIè siècle, cette dernière donne l’illusion d’une culture visuelle fixe et arrêtée, sans réelle mise en récit. Le Centre Pompidou ancre cette exposition temporaire dans une dimension particulièrement sociale, mais empêche, de manière regrettable, le jeune public d’y avoir accès dû aux représentations sexuelles de la première partie d’exposition. Cette dernière aurait pu être un lieu de sensibilisation et de prévention des jeunes afin de lutter contre l’homophobie ou la transphobie, la culture permettant d’ouvrir les mentalités sur la société actuelle comme les faits politiques et sociétaux. Cette mise en lumière de l’apport artistique des luttes menées par les communautés LGBTQIA+ devrait être accessible à tout public afin que chaque personne puisse apprendre, s’imprégner, ou se retrouver dans ces combats, et lutter face aux discriminations liées à l’orientation sexuelle et au genre.
Les questions de sexualité et de genre relèvent en premier lieu de l’intime. Mais ici, le visiteur ne le perçoit pas car il observe majoritairement des expôts illustrant des mouvements communautaires et non des moments d’entre-soi, des portraits intimistes, tel qu’à l’Institut du Monde Arabe. Effectivement, c’est en passant par le collectif que l’on arrive à mieux se faire entendre. Toutefois, Over the Rainbow semble vouloir être une exposition vendeuse de défendre des causes ou encore de légitimer par l’histoire la culture queer, mais qui n’est en réalité qu’une façade marketing et voyeuriste d’une suite d’œuvres, majoritairement masculinistes, se voulant pour certaines assez trash.
Scénographie de l’Institut du Monde Arabe pour l’exposition “Habibi : les révolutions de l’amour” © Benoît Gaboriaud
Scénographie du Centre Pompidou pour l’exposition “Over the Rainbow” © Janeth Rodriguez-Garcia
Des contenus explicites : sanction du discours ?
« En raison de leur caractère sexuellement explicite, les œuvres présentées dans cette exposition peuvent heurter la sensibilité du public. L’accès des mineur-e-s à l’exposition est déconseillé ». Voici comment débute l’exposition Over the Rainbow. Adaptation du parcours à ses désirs, le Centre Pompidou limite l’accès au moins de 18 ans concernant une exposition souhaitant aborder la représentation des personnes queer dans l’art ainsi que les luttes menées par les communautés LGBTQIA+ pour la reconnaissance de leurs droits. L’exposition de l’Institut du Monde Arabe développe également en début d’exposition un court disclaimer informant que certaines œuvres peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes. Au contraire d’Over the Rainbow, Habibi présente la nudité qu’au travers de peintures figuratives. Une question se pose alors : quel est l'intérêt de présenter ces luttes sous le prisme d’une sexualité omniprésente? Le sexe doit-il obligatoirement être un axe de lecture centrale ? Cette vision peut desservir le propos tenu et l’inscrire une nouvelle fois dans des stéréotypes forts et inconfortables. Pourquoi déconseiller l’accès aux mineur-e-s, qui restent alors enfermé-e-s dans des représentations biaisées des genres et des sexualités ?
Dans le cadre de cette exposition et en lien avec l’accessibilité, le Centre Pompidou prend comme parti d’utiliser le langage inclusif pour l’ensemble de ses textes de médiation. Belle initiative, mais pourquoi ne pas souhaiter offrir cette ouverture d’esprit à tout type de public, enfants et adolescents compris ?
Germaine Kroll, Nu féminin, Epreuve gélatino-argentique, 1928 ©Séléna Bouvard
Raymond Voinquel, Jean Marais, Négatif monochrome, 1938 ©Séléna Bouvard
Certaines œuvres peuvent sembler déconcertantes pour un jeune public telles que les photographies érotiques de Raymond Voinquel figurant le désir érotique homosexuel ou encore les photographies surréalistes, à la limite du pornographique, de Pierre Molinier. Il est également important de souligner que les représentations de femmes, minoritaires dans l’exposition, sont toujours très sexualisées. Toutefois, de nombreuses œuvres illustrant l’action des personnes LGBTQIA+ telles que les luttes militantes et les collectifs anti-sida sont présentes, mais arrivent tardivement dans l’exposition, lorsque le visiteur a déjà lu et vu beaucoup de contenu. Il se rend donc dans cette partie d’exposition fatigué, avec peut-être l’intention d’y passer moins de temps. Pour un voyage dans la culture visuelle LGBTQIA+, il aurait été plus judicieux d’intégrer dans le parcours muséographique, dans un premier temps, l’affirmation d’une action militante pleinement exercée dans l’espace public à la fin des années 60 comme les productions vidéo du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, ou encore les collectifs d’artistes antisida comme Boy / Girl with Arms Akimbo, et plus tardivement, dans les années 90, l’affirmation de la théorie queer.
“L’exposition qui rend visible l’invisible”
L’Institut du Monde Arabe a offert, fin 2022, une impressionnante exposition nommée Habibi, Les révolutions de l’amour qui nous plonge au coeur des multiples cultures queer du monde arabo-musulman. Les œuvres des 23 artistes exposés se croisent, se rencontrent, se mêlent et créent ainsi un discours extrêmement visuel et envoûtant. La muséographie de l’exposition met un point d’honneur à dévoiler des identités cachées, mises sous silence et réprimées dans le but de mettre en lumière une scène arabe LGBTQIA+ contemporaine plus qu’effervescente. C’est un premier point de différence avec l’exposition Over the rainbow qui retrace l’histoire des expressions et esthétiques queer occidentales mais qui ne réalise pas d’ouverture vers notre monde actuel.
Contrairement à ce que l’on peut ressentir au Centre Pompidou, les œuvres de l’exposition Habibi misent sur l’expression de l’intime, empreinte d’une poésie bien plus personnelle et incarnée. La série photographique de l’artiste soudanais Salih Basheer The home seekers présente le parcours d’Essam, homosexuel expulsé par sa famille soudainaise et contraint à s’exiler en Egypte. Se dévoile en noir et blanc ce destin déchiré, marqué par un manque d’appartenance, aussi bien du coeur que du sol. Un sentiment de double aliénation dicte alors la vie de ces réfugiés : comment vivre librement en étant queer ET étranger?
The Home Seekers (2018-2021) de Salih Basheer, présenté dans l’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour” à l’Institut du Monde arabe, Paris, 2023 ©Giulia Guarino
“Habibi, les révolutions de l’amour” est l’occasion de mettre à nu les difficultés existentielles liées au genre. Le choix de montrer une diversité de médiums artistiques témoigne de ce besoin viscéral de s’exprimer autrement que par les mots. Au sein du monde arabo-musulman, où l’honneur social et l’attachement à la famille est primordial, la sphère privée se confond à la sphère publique et politique. Cette dynamique est toujours très actuelle, bien qu’elle se teinte d’un progressisme insufflé par de nombreux militant-e-s. Les individus souffrant de ce carcan lourd et désincarnant sont en proie à une sorte de dédoublement identitaire : choisir entre ce que l’on doit être et ce que l’on est réellement, choisir entre son identité sexuelle et sa culture. L’artiste arabo-américain Riddikuluz explore, par le biais du portrait, ce phénomène d’intersection identitaire. The Girl dresse le portrait de Sultana, une célèbre Drag Queen libanaise. Vautrée sur un divan, elle réalise sa routine de soin en appliquant de la crème Nivea. Le regard balaie le tableau et aperçoit un Keffieh, foulard traditionnel du Moyen Orient, caché sous un des coussins du canapé.
Riddikuluz, The Girl, 2021, Peinture à l’huile, 122 cm x 147 cm © Benoît Gaboriaud
Scénographie aux couleurs néons, présentation des catalogues à la fin du parcours ©Giulia Guarino
L’intimité, l’intériorité, le quotidien qui peut s’avérer douloureux, le questionnement vis à vis des différences, la liberté des corps : ce sont autant de territoires explorés par les artistes. Le parcours muséographique est réalisé de sorte à ce que le visiteur soit réellement immergé dans une atmosphère délirante, pop et colorée faite de néon, lumière bleu et autres dispositifs scénographiques intéressants.
L’engagement politique de ces artistes exposés, sublimé par cette esthétique tout à fait envoûtante et poétique, fait d’Habibi, les révolutions de l’amour une exposition d’utilité publique, donnant une visibilité nécessaire à ces militants de l’Amour. Jonglant entre liberté des corps et omniprésence politique tentaculaire et liberticide, ces artistes n’entendent pas devenir les fervents défenseurs de la cause LGBTQIA+. L’exposition Habibi s’apparente à une sorte de patchwork de vécus, de destins, de sensibilités, d’histoires personnelles, qui s'enchevêtrent et se nourrissent. Elle ne peut se résumer à un simple agglomérat d'œuvres engagées, contrairement à la vision type catalogue du Centre Pompidou. C’est en ce sens qu’Habibi contourne l’écueil d’un voyeurisme qui peut s’avérer stérile.
Mettre en écho ces deux expositions met en évidence les différents partis pris effectués sur une thématique complexe. Ce qui dessert le propos d’Over the Rainbow est de réaliser un parcours désincarné du présent qui soutient une pensée communautaire, un effet de masse, sans réellement mettre l’individu au centre du propos.
Séléna Bouvard & Giulia Guarino
Pour en savoir plus :
- Podcast (58 minutes) sur France Culture : Beyrouth, épicentre de la culture queer dans le monde arabe https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affinites-culturelles/beyrouth-epicentre-de-la-culture-queer-dans-le-monde-arabe-3971478
- Podcast “Kiffe ta race” (48 minutes) Sexualité(s) et islam, à l'intersection des luttes
- Disponible sur Youtube https://youtu.be/ZrrrWvr2cm0?si=y1gKM_SXBWP68uIb
- Art et queer, l'émission "Un podcast, une oeuvre" du Centre Pompidou explore les liens entre art et queer à travers quatres oeuvres d’artistes de la collection du Musée national d'art moderne https://www.centrepompidou.fr/fr/podcasts/un-podcast-une-oeuvre/art-et-queer
#LGBTQIA+ #politique #queer

Exposer les "amateurs" ?
J’ai visité deux expositions, très différentes l’une de l’autre, qui exposaient des pratiques considérées comme « amateurs ». Dans la définition juridique, l’amateur est « toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et dont elle ne tire aucun revenu ». Mais cette question recouvre des réalités et des enjeux complexes et protéiformes. Et comme le dit Annie Chevrefils-Desbiolles, « Les scissions entre culture savante et culture populaire, professionnels et amateurs ont façonné les politiques culturelles et la définition même de la culture. »
Quel est le rôle des musées vis à vis de ces pratiques ? L’institution n’a a priori aucune raison de ne pas les encourager. Doit-elle cependant les accompagner voire les exposer ? Dans différents musées se tiennent des ateliers avec divers niveaux d’engagement. Des plus classiques destinés aux enfants à des formes plus singulières comme à La Manufacture Musée de la Mémoire et de la Création textile, lieu particulièrement attentif aux liens avec les publics, soucieux d’être un espace de vie, qui accueille le « Gang des Tricoteuses ».
Petit à petit à partir d’un café tricot qui réunit au départ, en 2010, une vingtaine de femmes de tous âges, travaillent ensemble sur des projets ayant une dimension artistique. L’objectif de partage d’expérience et de convivialité a évolué en des buts plus précis, exigeants tout en continuant à créer du lien social. Le seul reproche que l’on pourrait peut-être leur faire est le manque de parité, mais c’est là un tout autre défi... Le Gang des Tricoteuses participe à présent à des projets artistiques. Que se passe-t-il quand l’« amateur » est exposé ? Parle-t-on encore d’amateurs ou de collectifs de création ?
De façon plus générale, les musées pourraient-ils aller jusqu’à exposer les pratiques amateurs ? Prenons l’exemple du centre d’art la Villa Pérochon, à Niort, qui a une activité d’exposition, de résidence d’artiste-festival (les Rencontres de la Jeune Photographie Internationale) mais également d’éducation à l’image. Dans ce cadre, Question d’Images est le résultat du travail d’un groupe de 12 personnes, très différentes, avec 12 réunions annuelles. Ne sont exposés qu’une partie des projets réalisés : travaux relativement autonomes, avec parfois l’aide d’autres participants et un travail de suivi par et pour le groupe. Et le résultat est à la hauteur ! Les travaux sont tous de qualité malgré les différences d’expériences. Les thèmes et résultats plastiques confirment la diversité des participants.
Ces expériences posent donc la question de la frontière entre amateurs et professionnels qui peut être plus floue qu’au premier abord... Les amateurs forment un « groupe » très hétéroclite aux niveaux des connaissances et d’expériences extrêmement variables. Hormis la question de la gratuité, du but non lucratif, en quoi un amateur engagé dans sa pratique diffère-t-il d’un artiste ? Le fait de ne pas en faire profession,nous dit-on. A l’inverse, nombre d’artistes ont une autre activité professionnelle qui leur assure un revenu.
Les expositions comme celle de la Villa Pérochonne sont-elles pas le reflet de l’évolution de la culture muséale et institutionnelle ? L’héritage de l’éducation populaire qui rejoint la culture muséale ?
Salambô Goudal
#expositions #publics #amateurs

Exposer ou médier l’art ?
Les expositions d’art reflètent des choix stratégiques quant à la manière de présenter les œuvres et de dialoguer avec les publics. L’exposition Surréalisme (2024) au Centre Pompidou à Paris et Ensor, rêves fantasques. Au-delà de l’impressionnisme (2024) au KMSKA à Anvers illustrent deux approches diamétralement opposées : l’une laisse l’œuvre se suffire à elle-même pour susciter une interprétation, tandis que l’autre place la médiation au cœur de l’expérience. Ces choix, loin d’être anodins, influencent directement la relation des visiteurs avec l’art et interrogent les responsabilités des musées envers leurs publics.
Exposition “Surréalisme”, Centre Pompidou et “Ensor, rêves fantasques. Au-delà de l’impressionnisme”, KMSKA. Les deux expositions s’inspirent de la façade de l’Enfer, un cabaret emblématique qui a marqué James Ensor dans son art, mais aussi un lieu de rassemblement pour les surréalistes autour d’André Breton. ©E.L
L’œuvre comme unique narrateur : les limites d’une médiation minimale
Visite guidée pour jeune public proposé par le Centre Pompidou dans le cadre de l’exposition “Surréalime” ©capture d’écran du site internet du Centre Pompidou.
Podcast conçu par le Centre Pompidou dans le cadre de l’exposition “Surréalime” ©E.L
Une médiation inclusive et plurielle : la force de l’exposition Ensor ?
“Ensor, rêves fantasques. Au-delà de l’impressionnisme”, KMSKA à Anvers ©E.L
Exemples de dispositifs de médiation proposés par le KMSKA ©E.L
Réconcilier l’art et ses publics
Exemples de dispositifs de médiation proposés par le KMSKA. Ici, la compréhension de cette œuvre monumentale est enrichie par un jeu qui exploite le quadrillage naturel formé par les pliures de l’œuvre, mettant en lumière certains détails spécifiques. ©E.L
Vers une médiation équilibrée et inclusive
Exemples de cartels du Centre Pompidou et du KMSKA (le logo présent en bas à droite permet aux visiteurs de se référer à un livret d’aide à la visite qui donne des explications supplémentaires sur les œuvres) ©E.L
E.L
Exposition d’art et d'enjeux contemporains
À l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, les musées comme les villes exposent le sport !
Visuel Des exploits, de chefs-d'oeuvre / conception graphique Solie Morin
Entre le Musée des Arts Décoratifs (MAD) à Paris avec son exposition du 20 septembre 2023 au 7 avril 2024, Mode et sport, d'un podium à l'autre qui explore les liens qui unissent la mode et le sport, les Archives du département de L’Aisne En piste ! D’hier et d’aujourd’hui, sports et sportifs axonais du 27 mai au 29 novembre 2024 qui retracent l’histoire du sport d’amateur ou professionnel, et les trois plus grands musées de Marseille, le Frac-Cité de l’art contemporain, le [mac] Musée d’art contemporain de Marseille et le Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée avec l’exposition Des exploits, des chefs-d’œuvre alliant l’artiste et le sportif, 2024 est l’année du sport !
Thomas Tudoux, Graals, 2017, Cire, format variable, Production : Centre d’art contemporain de Pontmain & la Crypte d’Orsay, Collection de l'artiste © Thomas Tudoux
Une exposition pour explorer les liens entre l’art et le sport
Les trois musées de Marseille ont su allier l’artiste et le sportif. Deux sujets bien différents mais qui, pour autant, font partie l’un comme l’autre de notre quotidien. Sous l'impulsion du Frac Sud - Cité de l'art contemporain et de sa directrice Muriel Enjalran, l'exposition Des exploits, des chefs-d'œuvre orchestrée par le commissaire et critique d'art Jean Marc Huitorel investit trois hauts lieux culturels. Plus de 350 œuvres, près de 100 artistes, français et étrangers, sont réunis dans ces espaces pour explorer la relation entre le sport et la création artistique. L’objectif de cette exposition ? Montrer à tous que le sport peut être un sujet philosophique ou politique, aux yeux des artistes.
« Tableaux d’une exposition »
Le [mac], le musée d'art contemporain de Marseille, expose une collection d'œuvres variées, allant de la peinture aux dessins et photographies. L'idée de ce premier volet d'exposition est d’explorer comment le sport influence l'art. L'agencement de l'espace est minimaliste pour une réflexion politique et sociétale. L'objectif n’est pas de montrer la popularité du sport en cette année des Jeux Olympiques, mais plutôt d'utiliser le sport pour mieux comprendre et représenter le monde dans lequel nous vivons. L'œuvre triptyque de Jean Bedez Murmuration des cent sonnets, pose un regard philosophique sur notre monde, l’humanité et sa ruine.
Jean Bedez, Murmuration aux cent sonnets, 2023, Courtesy de l’artiste.
« Trophées et reliques »
Le Mucem - musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, est un lieu d’échanges autour des objets et des fonds documentaires à travers les arts populaires et faits de société en Europe et en Méditerranée. Ce deuxième volet expose et met en relation des objets historiques ou artistiques emblématiques. L'objectif est de démontrer que le sport, tout comme l'art, s’inscrit dans un ensemble de croyances. Entre vénération des reliques et culte des objets contemporains, - qu'ils appartiennent à des personnalités renommées ou à des individus anonymes -, l'art et le sport contribuent à la création de mythologies. Ici on interroge les objets, notamment avec cette vitrine de ballons où l’on trouve confrontés celui carré de Fabrice Hyber, celui d’un terrain de foot de village et celui signé Zidane.
Photo de la vitrine composées des ballons du volet Trophées et reliques, NBC
« L’Heure de gloire »
Le Frac Sud - Cité de l’art contemporain, expose photographies, films, dessins, peintures, et des œuvres en trois dimensions qui allient fascination, critique et humour. Par le biais de l'art, ce dernier volet de l’exposition est une critique du culte de la gloire et permet d'interroger les visiteurs sur les injustices, les luttes et les revendications que l’on retrouve dans l’histoire du sport. Ce décor s'inspire du style d’Andy Warhol avec ces œuvres provocatrices. Leatherboys, créations de Louka Anargyros, représentent des motards en tenues dans des étreintes réalistes, défiant les stéréotypes de virilité tout en exposant des insultes homophobes sur leurs combinaisons, mêlant ainsi affirmation d'identité sexuelle et dénonciation de l'homophobie. Une autre œuvre frappante est celle de Bianca Argimón Materazzi mettant en scène des joueurs en posture de douleur pour critiquer le virilisme dans le monde du football.
Louka Anargyros, Leatherboys, 2018 Céramique, peinture, 250 x 150 x 40 cm Courtesy Louka Anargyros & SEPTIEME Gallery Photo : David Stjernholm
Bianca Argimón, Materazzi, 2017 Métal, bois, résine et céramique émaillée, 85 x 71 x 124 cm. Courtesy de l’artiste. Collection MAC VAL Musée d’art contemporain du Val-de-Marne
Art et enjeux contemporains
Photo discours lors du vernissage au Frac Sud - Cité de l’art contemporain, NBC
Les discours sur l'exposition se sont concentrés sur la célébration et la réussite, mais il est crucial de se demander si les préoccupations contemporaines y trouvent leur place. Lors du discours de l'exposition, le commissaire Jean-Marc Huitorel a souligné les problématiques rencontrées lors des Jeux Olympiques en France, mais il est frappant de constater que ces enjeux cruciaux ne sont pas abordés au sein de l’exposition : ni la catastrophe écologique engendrée, ni les sujets politiques comme l’inclusion de la Russie ou l'exclusion des étudiants des logements Crous et des personnes sans domicile fixe n’ont été abordés. Pourtant, l'art a le pouvoir de sensibiliser et de susciter la réflexion sur les défis mondiaux. Bien que le sport soit à l'honneur, l'omission de cet envers du décor d'accueillir les Jeux Olympiques en France est décevante. Jean-Marc Huitorel exprime l'espoir que les sportifs découvrent les expositions d’art et que les habitués des galeries mesurent la richesse du sport. Mais n’aurait-il pas fallu exprimer les facettes moins glorieuses des Jeux ? Certes, l'art ne peut pas changer le monde, mais il peut révéler et faire prendre conscience de ce qui nous entoure.
Ninnog Blanchard-Cosquer
Pour en savoir plus
- Le dossier de presse de l’exposition : https://fracsud.org/IMG/pdf/dp_des_exploits_des_chefs_d_oeuvre._22.02_24.pdf
#Art contemporain #Jeux Olympiques #Expositions

Exposition Mode d’emploi au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg : Quand l'art se soumet à un protocole
Le Musée d'Art Moderne et Contemporain (MAMCS) de Strasbourg propose une exposition intitulée Mode d'emploi, explorant le concept des œuvres à protocole qui parcourent la création contemporaine depuis les années 1960 à nos jours. Cette exposition, à partir La Vie, mode d’emploi de Georges Perec, interroge les relations entre l'art, les visiteur.euses et les règles qui gouvernent la création artistique. À travers une série d’œuvres, parfois interactives, parfois strictement codifiées, Mode d'emploi invite le public à réfléchir à la manière dont des artistes conçoivent des œuvres non pas comme des objets finis, mais comme des processus, des actions, ou des protocoles à suivre.
Vue de Clay #2, Alicia Aycock, 1971 ©Adèle-Rose Daniel
Qu'est-ce qu'une œuvre à protocole ?
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Vue de Clay #2, Alicia Aycock, 1971 ©Adèle-Rose Daniel
Ces œuvres soulignent la dimension participative et interactive de l'art contemporain, où l'artiste ne contrôle plus totalement le résultat, mais confie aux visiteur.euses le rôle de co-créateur.ice ou de déchiffreur.euse du protocole.
L'Art comme processus et interaction
Vue de Wall Drawing #346, Sol Lewitt, février 1981 ©Adèle-Rose Daniel
Le protocole : Une invitation à l'expérimentation
Vue du cartel de Cafés dépendus, Grégoire d’Ablon, 2022 ©Adèle-Rose Daniel
Adèle-Rose Daniel
#Art moderne - #Art contemporain - #Exposition
Pour en savoir plus :

Exposition Noir et Blanc à la BnF : le scénario et la scéno à la rescousse d’un sujet difficile
Face à une thématique aussi large que le noir et blanc en photographie, comment cadrer un propos et créer une exposition dynamique sans ennuyer ou perdre le visiteur ? Une scénographie bien pensée pourrait être une solution...
Initialement prévue pour prendre place au Grand Palais au printemps 2020, plusieurs fois repoussée, et finalement implantée à la Bibliothèque François Mitterrand en 2023, l’exposition Noir et blanc, une esthétique de la photographie ne démarrait pas sous les meilleurs auspices. D’autant que pour une passionnée de photographie, ce titre ne présageait rien de très palpitant : un thème trop large, vu et revu, pour une exposition très dense (plus de 300 images présentées), de quoi faire une indigestion. Ma visite m’a pourtant permis de découvrir un très beau travail de sélection d’images, autant qu’un propos pertinent soutenu par une scénographie bien pensée.
Un projet d'exposition ambitieux (et risqué?)
A travers le texte mural introductif, l’ambition de l’exposition, dont le commissariat a été confié aux quatre conservatrices du département des Estampes et des Photographies de la BnF, est clairement présentée : montrer la richesse et la qualité des collections de photographie noir et blanc de la Bibliothèque et souligner le soutien à la création dont celle-ci fait preuve encore aujourd’hui. Cette ambition se traduit par un choix très réfléchi de photographies et en particulier de chefs-d’œuvre conservés par l’institution et bien identifiés comme tels par le public, ou au moins par les amateurs de photographie. Sur les cimaises des classiques comme la série Paris de nuit de Brassaï (1932), l’homme sautant au-dessus d’une flaque de Cartier-Bresson (Derrière la gare Saint-Lazare, 1932) ou encore les prêtres dansant la farandole de Giacomelli (Prêtres dansants, 1961).
La transition entre la section consacrée aux jeux de contrastes (cimaise blanche) et celle sur la neige (cimaises bleues). ©J.N
Dès son introduction, puis par sa construction même en grandes parties thématiques, l’exposition prend le parti d’analyser et de regrouper les images à travers des catégories visuelles assez formelles. Cette façon d’organiser les quelques 300 photographies présentées permet non seulement d’éviter l’écueil de la présentation chronologique ou géographique, qui crée souvent répétition et ennui, mais invite aussi chaque visiteur à comparer des groupes d’images à l’aune de leurs similitudes : jeux de contraste, motif géométrique, paysage enneigé, photo de nuit… C’est une découverte dynamique des photos qui est ainsi créée, le regard passant d’une œuvre à l’autre en construisant un propos et pas seulement en accumulant des données visuelles. Cette construction parle autant au visiteur novice et aux plus jeunes qu’au public plus spécialisé, ravi de voir “en vrai” tant d’icônes réunies, et d’en découvrir d’autres.
Une sélection d’images iconiques soutenue par une scénographie de qualité
Au-delà du strict contenu, cette exposition est un très bon exemple de scénographie réussie, à la fois simple mais efficace, cohérente avec les œuvres exposées et servant leur propos. Ce travail a été confié à Maud Martinot et ses équipes, qui avait déjà créé la scénographie de l’exposition annulée du Grand Palais en 2020.
Schéma simplifié du plan de l’exposition, avec ses différentes sections. ©J.N
La construction scénographique reprend un parcours général assez récurrent, celui du “couloir”, un parcours donc linéaire qui guide le visiteur, ici de manière sinueuse avec des aller-retours parallèles pour maximiser l’espace disponible (voir plan). L’écueil principal de ce type de plan, en particulier lorsque l’on présente uniquement des photographies - médium en deux dimensions, accroché aux cimaises, aux formats assez proches - est d’aboutir à un parcours très répétitif, sans relief, dans lequel le visiteur s’ennuie et dont il ne voit pas la fin. C’est ce que j’ai ressenti en visitant l’exposition en cours au Centre Pompidou Corps à corps ; à la thématique semblable, tout comme la quantité de photographies présentées et le prestige du musée. Mais là où, à Beaubourg, il me tardait d’arriver au bout de ce morne couloir aux murs gris, je ne me suis pas sentie enfermée dans Noir et blanc. D’abord parce que les espaces créés par les cimaises sont plus grands, mais aussi grâce aux larges ouvertures qui traversent l’exposition et qui permettent, dès le début du parcours, d’apercevoir la dernière salle. Ces sortes de fenêtres servent également d’assises, ce qui permet de ne pas encombrer l’espace avec des bancs et d’offrir de larges volumes très agréables. La hauteur modérée des cimaises laisse également de larges espaces vides sous le haut plafond.
Vue en enfilade de l’exposition à travers les ouvertures de chaque mur. L’image est prise dans la première section, et l’on aperçoit déjà au bout la dernière salle de l’exposition. ©J.N
Enfin, comme nous pouvons le voir sur le plan présenté plus haut, le parcours linéaire est scandé de cimaises perpendiculaires qui créent de petits espaces thématiques, comme des respirations. L’usage raisonné des vitrines rythme également le cheminement dans l’exposition ; celles-ci présentent uniquement des livres et s’adressent donc aux visiteurs qui souhaitent approfondir les œuvres accrochées. Leur nombre réduit et contenu non indispensable à la compréhension de l’exposition, les attroupements empêchant de bien voir sont évités.
Les vitrines présentent uniquement des documents complémentaires : livres, cartes postales, dépliants… ©J.N
D’un point de vue graphique, les couleurs variées des murs permettent de bien appréhender chaque partie, sans toutefois s’opposer aux nuances de gris des images, avec une palette de noir, blanc et de différents bleus. L’encadrement en bois clair des tirages se fait discret et apporte plus de douceur que des cadres noirs. Mes photographies prises par téléphone ne rendent vraiment pas honneur à l’élégante simplicité de ces choix graphiques efficaces.
Texte de salle de la section « Ombre et lumière », en français et en anglais. A droite (cimaises noires), la section consacrée à la photographie de nuit. ©J.N
Vers une “médiation autonome” ?
Je finirai cette élogieuse critique, en conseillant cette exposition gratuite aux étudiants en art et histoire de l’art. Je souhaite enfin vous laisser à une réflexion concernant la médiation autour de cette exposition, ou plutôt sur son absence presque totale en dehors des visites guidées classiques et de visites-conférences menées par des artistes contemporains. Pas de parcours enfant donc, pas d’activités proposées, pas de livret jeux, ni même de livret de visite qui fait pourtant partie des supports récurrents dans la majorité des expositions. Cela signifie-t-il pour autant que cette exposition est réservée aux connaisseurs de photo, aux adultes déjà sensibilisés à ce médium ? L’observation du public m’a semblé démontrer l’inverse, d’abord par sa relative hétérogénéité pour une exposition de ce type (exposition d’un médium précis de l’art moderne, dans une bibliothèque), conviant à la fois des enfants, des adultes de tout âge et des personnes âgées. J’ai observé la médiation “se faire d’elle-même” grâce aux juxtapositions bien pensées des œuvres, qui créent chez le visiteur une sorte de déclic : “ces deux œuvres ont des points communs, mais aussi des différences, je peux donc les comparer, regarder chacune d’elles plusieurs fois, puis ajouter les autres œuvres de la section à ce regard dynamique”... C’est déjà une forme de médiation puisque ce mode de présentation implique un regard actif. Et outre les cartels détaillés qui nourrissent la soif de connaissance des plus sérieux, il est possible d’être sensible à ce dialogue des œuvres.
Jeanne Nicolas
Pour en savoir plus
- La page du site de la Bibliothèque nationale de France dédiée à l’exposition : https://www.bnf.fr/fr/agenda/noir-blanc-une-esthetique-de-la-photographie
- La critique (enthousiaste) des Midis de la Culture sur France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/debat-critique-quelles-expositions-aller-voir-9591358
#photographie #scénographie #noiretblanc
Exposition Picasso du FHEL: visiteur 2.0
Aller au musée c’est bien, montrer qu’on a été au musée c’est mieux ! C’est en tout cas la tendance qui semble se démarquer dans nos espaces culturels français. Pour autant, et afin d’éviter les généralités,voyons différentes raisons de prendre des photographies dans un lieu culturel précis.
© C.A
Au Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la culture situé à Landerneau, s’achève tout juste l’exposition d’un ponte de l’art moderne pour lequel plus de 200 000 personnes se sont déplacées. L’évènement Picasso, photograph friendly, a été largement relayé sur les réseaux sociaux et dans la presse numérique et papier. Le public s’en est donc donné à cœur joie, visitant le doigt vissé sur le déclencheur, ce sont des milliers de photos qui ont été prises. Qu’est-ce qui motive cette pratique du visiteur 2.0 ?
Cette rétrospective sur Picasso présente de manière chronologique l’évolution de l’art du peintre. Organisée en plusieurs grands axes,elle guide le visiteur dans les différentes phases de la vie de l’homme, du mari et de l’artiste. Ce dernier apparaît plus humain, désacralisant ainsi le mythe autour de son être. Le parcours chronologique laisse volontairement de coté les périodes les plus connues pour montrer des œuvres d’art inédites. Il s’agit « des Picasso de Picasso », ce sont les pièces non vendues qu’il a souhaité les garder près de lui. Ainsi on propose au spectateur une rétrospective intimiste.
Lors de ma visite, le public présent était transgénérationnel,en famille, entre amis, entre collègues chacun partage un moment de plaisir etde divertissement. Les différents visiteurs interrogés ne partagent pas lesmêmes attentes et n’ont pas non plus la même manière d’aborder l’exposition. Laphotographie reste tout de même pour chacun d’entre eux un moyen de s’approprier l’espace, le moment et l’artiste.
Le visiteur sans bagage peut se sentir mal à l’aise dans un environnement dont il ne connaît pas les règles. Capturer une image est un moyen d’avoir le contrôle sur l’expérience qu’il est en train de vivre. Face à la multiplicité d’œuvres, il choisit sélectionne et catégorise pour peut-être former son goût et comprendre ce qu’il aime. Certains vont prendre des photos sans jamais les regarder après, d’autres au contraire les classent dans des dossiers comme Paul. La caméra vissée au poing, il photographie toutes les œuvres.Puis, il les transfère sur un ordinateur et organise ses données par exposition. Cela lui permet de les consulter plus tard afin de se replonger dans l’expérience de visite mais aussi de partager avec sa famille qui habite loin. Le caractère inédit de l’exposition motive la prise de photographies et le nom justifie l’action « c’est Picasso tout de même ! » m’a confié Paul. Les œuvres en question sont prêtées de manière exceptionnelle et ne tarderont pas à retourner dans l’ombre chez leur propriétaire, il faut donc en profiter.
Mathieu, un jeune professeur qui travaille avec des enfants,voit dans les tableaux un outil de travail. Certains dessins de l’artiste,uniquement faits au crayon de couleur sur une feuille blanche, sont très simples de réalisation mais fort de sens. Organiser des ateliers avec des enfants en leur demandant de dessiner « à la manière de » est un moyen d’ouvrir ces derniers à l’art. La photo devient ici un outil pour garder une trace et travailler à partir des images.
© C.A
La photographie personnelle a également la fonction d’être un marqueur de présence. Elle constitue la preuve que la personne s’est rendue surplace et a visité l’exposition. Cette notion de preuve peut avoir plusieurs sens selon le photographe.
Pour le public jeune il s’agit de montrer son quotidien en partageant ses activités. Les réseaux sociaux poussent de plus en plus à cela par l’ajout de nouvelles fonctions dans les applications telles que le partage de story (courte vidéo). On partage plus et dans l’immédiateté. L’expérience muséale devient un moment ordinaire sur lequel on communique. Les musées l’ont compris puisqu’ils se tournent vers les réseaux et communiquent sur ces derniers afin d’attirer le jeune public. Bien sur cet acte est intéressé et à plusieurs vocations, démocratiser oui mais en continuant à capitaliser. Les applications des musées se multiplient,les hashtags les invitant à partager leur visite également, c’est une nouvelle manière de « consommer » le musée. Pour autant il n’y a pas de perte de valeur de l’expérience muséale, aller vers une démocratisation des musées est essentiel, changer les codes d’accès encore plus.
Pour une mère de famille prendre des photos c’est pouvoir inclure postérieurement le membre de la famille absent lors de la visite. Cette notion de partage a aussi une teneur émotive, « tu n’étais pas là mais on a pensé à toi ». Enfin la photographie devient souvenir. Les enfants pourront des années plus tard regarder les images, se rappeler d’un moment furtif ou d’une émotion et eux-mêmes continué à partager l’expérience muséale. Il y a là une réelle notion de patrimonialité, la photo acquiert une « valeur » issue uniquement de l’intérêt porté par le photographe. Il ne cherche pas particulièrement à se rappeler des œuvres mais plus du moment ou de l’émotion ressentie lors de cette visite.
© C.A
Lors de cette exposition, force est de constater que les détenteurs de téléphone portable ou d’appareil photo sont de tous âges. La critique facile est de dire que la photographie dénature le plaisir, qu’on prend une photo sans vraiment regarder l’œuvre tout en gênant les autres. Pour autant, et comme le dit André Gunthert, « la photo n’est pas l’ennemi du musée »,photographier est une manifestation physique de l’intérêt du visiteur. L’expérience muséale peut se vivre seule ou à plusieurs, dans une optique de partage ou non mais elle est surtout propre à chacun.
Charlotte Abily
#Picasso
#Photographie
#FHEL
Pour aller plus loin :
- Pour en savoir plus sur l’exposition Picasso du Fonds Hélène et Edouard Leclerc : http://www.fonds-culturel-leclerc.fr/Pass%C3%A9es-Exposition-_Picasso_-648-15-0-0.html
- Pour en savoir plus sur la question du visiteur-photographe avec André Gunthert : http://histoirevisuelle.fr/cv/icones/2659
Exposition Surréalisme, du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025 au Centre Pompidou.
Le surréalisme d’abord et toujours.
Photographie de la cimaise d’entrée de l’exposition reprenant les codes graphiques de l’affiche de la première exposition surréaliste présentée à la Galerie Pierre du 14 au 25 novembre 1925 à Paris (© Centre Pompidou, photo prise par Solène Bérus).
L’exposition Surréalisme du Centre Pompidou commémore le centenaire du Manifeste du surréalisme d’André Breton et retrace quarante années de création, des années 1924 à 1969.
L’exposition prend place au niveau 6 de l’établissement sur une surface de 2000 m2 et présente environ 500 œuvres. Le commissariat est confié à Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’Art moderne, et Marie Sarré, attachée de conservation au service des collections modernes. La scénographie est pensée par Corinne Marchand.
Pour accéder à l’exposition, les visiteurs doivent traverser un sas d’entrée conçu à la manière d’une “boîte magique”, prenant la forme d’une gueule monstrueuse imaginée par Thierry Dufrêne et réalisée en collaboration avec le magicien Abdul Alafrez [1]. Cette gueule monstrueuse fait référence à l’entrée du Cabaret de l’Enfer qui était située derrière l’atelier d’André Breton où les surréalistes avaient l’habitude de se rendre.
J. Hauser (éditeur), L'Enfer, 53, boulevard de Clichy, Montmartre, Entre 1910 et 1920, impression typographique, Photoglyptie, (© Paris Musées).
Entrée de l’exposition Surréalisme au Centre Pompidou, Imaginée par Thierry Dufrêne et réalisée en collaboration avec le magicien Abdul Alafrez, (© Centre Pompidou, photo prise par Solène Bérus)
Adoptant la forme d’un labyrinthe, l’exposition rayonne autour d’un tambour central au sein duquel est présenté le manuscrit original du Manifeste du surréalisme[2], publié le 15 octobre 1924. L’ouvrage est exceptionnellement prêté par la Bibliothèque nationale de France et est exposé pour la première fois dans son intégralité[3]. Plongée dans la pénombre, une projection audiovisuelle immersive introduit le Manifeste. La voix d’André Breton y est reconstituée par clonage vocal grâce à l’aide de l’intelligence artificielle, et conte la genèse du mouvement[4].
Plan de l’exposition Surréalisme du Centre Pompidou, brochure de l’exposition, (© Direction des publics, conception graphique de Céline Chip), 2024.
Ce parcours labyrinthique est similaire aux Expositions Internationales surréalistes de 1938 et 1947, scénographiées par Marchel Duchamp. Pour ces artistes, le labyrinthe renvoie à l’antique, à la mythologie et à l’inconscient. L’idée de labyrinthe est aussi suggérée par certaines cimaises ajourées, laissant percevoir ce qu’il se passe de l’autre côté de l’exposition[5]: de l’autre côté du miroir[6] ? Cette forme naît aussi de la volonté des surréalistes de bousculer la hiérarchie entre beaux-arts et arts populaires. Leurs modèles étaient davantage les fêtes foraines plutôt que les musées et les galeries. Le groupe empruntait ainsi pour leurs expositions le modèle du train fantôme ou encore du palais des glaces, témoignage de leur intérêt pour la culture populaire[7].
L’exposition Surréalisme du Centre Pompidou montre l’articulation entre la poésie et la politique chez les surréalistes. Cet engagement politique est discrètement suggéré tout au long du parcours par l’accrochage de manifestes politiques comme La révolution d’abord et toujours, un tract signé en août 1925 qui témoigne l’appartenance du mouvement surréaliste à une certaine forme de communisme lors de la guerre du Rif qui a eu lieu de 1921 à 1927. Il s’agit de la première prise de position politique du groupe sur la scène internationale.
Le groupe organise aussi une contre-exposition de l’exposition coloniale inaugurée au Palais de la Porte dorée en 1931, nommée La vérité sur les colonies. Ils signent alors le tract Ne visitez pas l’exposition coloniale, et invitent au boycott de l’événement.
Les commissaires de l’exposition ont aussi créé un complément à cette exposition en collaborant avec Arte pour produire un film en deux parties[8] qui montre de manière explicite l’ancrage du surréalisme dans la réalité sociale et politique de son temps[9].
Les femmes ont joué un rôle primordial dans le mouvement surréaliste, ce que l’exposition vient enfin souligner[10]. Au début des années 1930, de nombreuses femmes artistes[11] telles que Leonora Carrington, Leonor Fini, Lee Miller et Meret Oppenheim affluent à Paris, capitale de l’avant-garde. À l’époque, le surréalisme est un club uniquement masculin, un cercle d’artistes liés par l’amitié et réuni autour d’André Breton. Celui-ci veut mettre l’art au service d’une réorganisation de toute la société, ce qui attire de nombreuses jeunes femmes artistes . Mais aux prémices du mouvement, aucune femme ne figure sur les images, si ce n’est “les femmes de” : Marie-Louise Soupault, Gala Éluard et surtout Simone Kahn, l’épouse d’André Breton[12]. Dans les manifestations organisées par le groupe, les femmes artistes n’apparaissent qu’en 1936, lors de l’Exposition internationale du surréalisme de Londres. Elles représentent 5 % des participants lors de l’Exposition internationale du surréalisme de Paris en 1938, puis la proportion passe à 15 % lors de l’édition de 1947, puis à 22 % pour l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (EROS) à la galerie Daniel Cordier en 1959[13]. La dernière grande exposition consacrée au surréalisme en 2002 au Centre Pompidou n’en présentait que trois dont deux photographes, Claude Cahun et Dora Maar. Elles occupent dans l’actuel accrochage près de 40 % des cimaises [14].
L’exposition met en lumière la diversité des médiums utilisés par les artistes surréalistes, sculptures, collages, photographies, en passant par le cinéma, l’installation, la performance, et l'écriture par l'exposition de documents littéraires[15]. L’art surréaliste se caractérise par un foisonnement d’inventions[16] comme le dessin automatique inventé par André Masson en 1924, le cadavre exquis inventé en 1925, la décalcomanie notamment utilisée par le peintre Espagnol Óscar Domínguez, le frottage mis au point en 1925 par Max Ernst, le fumage utilisé par Wolfang Paalen, la méthode paranoïaque-critique inventée par Dalí, ou encore la peinture de sable conçue par André Masson en 1926[17] .
Elle présente de nombreuses œuvres reconnues du mouvement, mais met aussi en avant des œuvres et des artistes moins en vogue tels que la peintre belge Jane Graverol et le britannique Grace Pailthorpe. L’exposition rend compte du caractère international du mouvement et montre de nombreux artistes internationaux comme les surréalistes belges René Magritte et Paul Devaux, mexicains Manuel Alvarez Bravo et Remedios Varo, ou encore des artistes de Suède, du Danemark, de l’Egypte ou encore du Japon. La dimension mondiale du surréalisme s’affirme dès 1936 avec la première Exposition internationale du surréalisme de Londres aux New Burlington Galleries, suivies de deux ans plus tard de celle de Paris à la galerie des Beaux-Arts[18].
La dernière exposition consacrée par le Centre Pompidou à ce mouvement date de 2002 avec La Révolution surréaliste[19]. Le Centre a entre-temps organisé nombre d’expositions thématiques sur ce thème comme La Subversion des images Surréalisme - photographie, film[20] en 2009, Le surréalisme et l’objet[21] en 2013, ou encore l’exposition Art et liberté - rupture, guerre et surréalisme en Egypte (1938-1948[22]) en 2016. Des monographies ont aussi été organisées comme celle consacrée à la figure de Dalí[23] en 2012, à René Magritte - La trahison des images[24] en 2016 et enfin une grande rétrospective consacrée à Dora Maar[25] en 2019.
Mais pourquoi le surréalisme est-il autant sur le devant de la scène ? Le surréalisme a longtemps été considéré comme un mouvement d’avant-garde qui aurait pris fin en 1940. Celui-ci est en réalité dissous en octobre 1969 dans une tribune du journal Le Monde nommé Le Quatrième Chant[26], écrit par Jean Schuster [27], écrivain, poète et journaliste qui rejoint le groupe en 1947.
Il était donc nécessaire pour les commissaires de l’exposition Didier Ottinger et Marie Sarré de présenter l’ensemble du mouvement à l’aune des recherches récentes en accordant au surréalisme d’après-guerre et son caractère international sa juste place.
Aussi, cette exposition permet de mettre en lumière des questions contemporaines déjà appréhendées par les surréalistes comme la place de l’art non-occidental, la question de la mondialisation et du colonialisme, la place des femmes artistes ou encore la question du genre, notamment par l’artiste Claude Cahun, avant même que celui-ci ne soit conceptualisé[28]. Toutefois, comme l’écrit Whitney Chadwick dans son livre Les Femmes dans le mouvement surréaliste publié en 2002 : “Le culte d’Éros dans le surréalisme [...] était un langage masculin. Son sujet était la femme, son objet la femme, et même lorsqu’il s’agissait de proclamer la liberté de la femme, c’était à travers le désir de l’homme [29]”.
L’exposition fait l’objet d’une itinérance de grande envergure avec une réinterprétation de l’exposition en fonction des contextes culturels et historiques des étapes de sa circulation. En effet, celle-ci a été présentée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles du 21 février au 21 juillet 2024, prendra place en Espagne à Madrid à la Fundación MAPFRE du 4 février au 11 mai 2015, à la Kunsthalle de Hambourg en Allemagne du 12 juin au 11 mai 2025, puis au Philadelphia Museum of Art aux États-Unis fin 2025 à fin 2026 [30].
Ainsi, l’exposition incarne un hommage vibrant au mouvement surréaliste qui révolutionne la pensée artistique et littéraire au XXe siècle.
Par une sélection audacieuse et éclectique d'œuvres, elle parvient à mettre en lumière non seulement l'effervescence créative des figures emblématiques surréalistes et celles qui le sont moins, mais aussi l'actualité et la pérennité de ses idéaux.
Elle rappelle également l'importance du surréalisme comme outil de résistance face aux oppressions, et résonne profondément avec les enjeux contemporains. Par cette plongée dans l'imaginaire, l’exposition offre une réflexion sur le dialogue entre passé et présent. Le surréalisme, loin de s'éteindre, continue d'inspirer et de nourrir les esprits, invitant chacun à réinventer sa propre réalité.
Solène Bérus.
[1]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.8 ↩
[2]Centre Pompidou, Surréalisme, le surréalisme d’abord et toujours, brochure de l’exposition, Direction des publics, 2024, conception graphique Céline Chip. ↩
[3]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=xI2rYajgGWI&t=54s, Visite exclusive de l'exposition « Surréalisme », Centre Pompidou, Didier Ottinger et Marie Sarré (co-commissaires), [consulté le 06/01/2025]. ↩
[4]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.8 ↩
[5]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA, Le mensuel, spécial Surréalisme, Centre Pompidou, 2024, consulté le 06/01/2025]. ↩
[6]Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir, (titre original : Through the Looking-Glass, and What Alice Found There ; littéralement : « De l'autre côté du miroir, et ce qu'Alice y trouva »), Macmillan & Co, Londres, 1871.↩
[7]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA, Le mensuel, spécial Surréalisme, Centre pompidou, 2024, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[8]Le Monde, https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/01/revolutions-surrealistes-sur-arte-tv-un-morne-cours-magistral-sur-le-mouvement-artistique-mene-par-andre-breton_6340628_3246.html, « Révolutions surréalistes », sur Arte.tv : un morne cours magistral sur le mouvement artistique mené par André Breton, Renaud Machart, publié le 01/10/2024, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[9]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA, Le mensuel, spécial Surréalisme, Centre Pompidou, 2024, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[10]Beaux-Arts Magazine, Hors série, Surréalisme l’exposition du centenaire au Centre Pompidou, paru le 28/08/2024, p.52↩
[11]Arte, https://www.youtube.com/watch?v=P_gErzGUuM8, Surréalisme au féminin, [consulté le 06/01/2025].↩
[12]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.22 ↩
[13]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.22 ↩
[14]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.24 ↩
[15]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.4 ↩
[16]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.18 ↩
[17]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.18 ↩
[18]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.18 ↩
[19]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cxxAMEq, Exposition La Révolution surréaliste, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[20]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cz6qgE, Exposition La Subversion des images Surréalisme, photographie, film, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[21]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/ccAyeG, Exposition Le surréalisme et l’objet, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[22]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/ce5nBKj, Exposition Art et liberté - rupture, guerre et surréalisme en Egypte (1938-1948), [consulté le 06/01/2025]. ↩
[23]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/c5eBAda, Exposition Dalí, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[24]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/c65EMjd, Exposition René Magritte - La trahison des images, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[25]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cXE9ay8, Exposition Dora Maar, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[26]Le Monde, https://www.lemonde.fr/archives/article/1969/10/04/le-quatrieme-chant_2416345_1819218.html, Tribune Le quatrième chant, Jean Schuster, 1969, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[27]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.6 ↩
[28]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024 ↩
[29]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.24 ↩
[30]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.5 ↩
Pour en savoir plus :
Podcast de l’exposition, un parcours littéraire : En suivant les thématiques de l’exposition, le podcast met en valeur la dimension littéraire du mouvement surréaliste. Au fil du parcours, des comédiens et des comédiennes livrent des textes des artistes, poètes et écrivains surréalistes .
Le podcast est disponible sur le site du Centre Pompidou et sur toutes les plateformes de streaming : https://www.centrepompidou.fr/fr/podcasts/podcasts-visites-dexpos
Le “Paris surréaliste” des galeries : parallèlement à l’exposition, dans le cadre d’une collaboration entre le Centre Pompidou, l’Association Atelier d’André Breton, et le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), de nombreuses galeries parisiennes et librairies consacrent des expositions et événements sur le thème du surréalisme.
Le détail de la programmation est à retrouver sur : https://www.comitedesgaleriesdart.com/actualites/paris-surrealiste-programmation-des-galeries-en-echo-a-lexposition-du-centenaire/
Le Mensuel | Spécial « Surréalisme » | Centre Pompidou : Une rencontre animée par Marie Sorbier. Avec les commissaires de l'exposition « Surréalisme » Didier Ottinger et Marie Sarré, le collectif Obvious AI & Art, et l’artiste Damien MacDonald qui présente sa bande dessinée préfacée par Didier Ottinger, Le Rayon invisible (2024, coll. Denoël Graphic).
La retranscription de cette rencontre est à regarder sur YouTube grâce à ce lien :
https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA&t=2377s
#Surréalisme #CentrePompidou #Centenairedusurréalisme

Faut-il crier au génie quand les artistes deviennent commissaires d’exposition au MAH ?
Il y a un an, c’est l’artiste Suisse Ugo Rondinone qui présentait « WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP » et dans quelques mois, c’est l’artiste belge Win Wenders qui va présenter son exposition entre le mois de janvier et juin 2024, mais à quel prix ?
Surmontant la ville de Genève, le Musée d’Art et d’Histoire (MAH) est à la recherche d’un nouveau souffle à la suite au projet de rénovation de Jean Nouvel, qui fut révoqué par la population genevoise en 2016.
Suite à la prise de poste de Jean-Olivier Wahler le 1ᵉʳ novembre 2019, l’ancien directeur du Palais de Tokyo et du MSU BROAD MUSEUM, (Michigan State University, East Lansing, Etats-Unis), souhaite créer une nouvelle vision du MAH par le biais d’un nouveau programme culturel, modifiant complément l’identité du musée.
Dans son programme, fort critiqué par la population genevoise et tout particulièrement le comité scientifique, le directeur axe sa politique sur trois sujets : la rénovation et l’agrandissement du musée, les expositions (et plus particulièrement les cartes blanches) et l’implication du public dans les espaces muséaux par le biais d’évènements, d’afterworks, de conférence et de projets pluridisciplinaires et collaboratifs.
Le premier grand projet fut le lancement de ses « Cartes Blanches » d’exposition. Concernant cette typologie d’exposition du MAH, la « Carte Blanche » se définit comme une exposition XL, « mobilisant plusieurs champs de la collection, le plus souvent confiés à un.e commissaire invité.e, et appelées à modifier une large part des espaces. »[1]. Au bout de trois éditions, la première datant de 2021 avec l’artiste Jakob Lena Knebl, la seconde avec Jean Hubert Martin en 2022 et Ugo Rondinone en 2023, la saison 2024 de l’exposition « Carte Blanche » est confiée à l’artiste belge Wim Delvoye. En quoi ce concept d’invitation des artistes est-il pertinent pour la collection du MAH ? et le projet scientifique du musée ?
Vue de l’exposition, La chambre, Ramsès II, Genève, Musée d’Art et d’Histoire © MAH / J. Grémaud
Un projet scientifique et culturel uniquement lier à ses collections
Suite à deux ans de travail, le nouveau directeur du musée a souhaité recentrer son P.S.C (Projet Scientifique et Culturel) sur les collections du MAH, contenant plus ou moins 650 000 objets de tout genre, la question est donc la suivante : pourquoi ? et comment ?
En 2021, la première édition des « Carte Blanche » définit les règles : mise en avant des collections de tout genre (beaux-arts, archéologie, art graphique), des objets présents dans les réserves (sois 99% de la collection), scénographique dessinée par l’artiste, transformation de la totalité du 1ᵉʳ étage en espace d’exposition, publication d’un catalogue d’exposition et billetterie entièrement gratuite ou « Pay as you wish ».
Or, la première édition fut aussi celle des questionnements et de la réception du public, qui a l’habitude des expositions monographie et thématique et non pas d’une « carte blanche », un terme trop vaste pour le grand public.
L’exposition de Jakob Lena Knebl, première commissaire d’une série de grandes expositions « Carte Blanche » était ouverte du 28 janvier 2021 au 27 juin 2021, or suite aux restrictions sanitaires, l’exposition ne fut visible qu’à partir de mars, ce qui n’a pas empêché à 27 173 curieux d’explorer cette exposition, à la scénographie, étrange, métallique et tumultueuse.
En 2022, c’est le commissaire d’exposition Jean-Hubert Martin, reconnu pour son exposition le « Magiciens de la terre » en 1989 qui questionne et redistribue les cartes de la collection du MAH. Entre le 28 janvier 2022 et le 18 juin 2022, le commissaire renouvelle la présentation des collections du MAH, regroupant les objets par couleurs, une salle par couleur, tel un arc-en-ciel, des formes dans un accrochage ressemblant à un salon du 19ᵉ.
Il y a un an, c’est l’artiste Suisse Ugo Rondinone qui prend les rênes du projet pour présenter « WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP », une exploration esthétique des collections autour des œuvres de deux figures suisses : Felix Vallotton et Ferdinand Hodler, et des créations contemporaines de Rondinone.
Dans quelques mois, c’est l’artiste belge Win Wenders qui va présenter son exposition entre le mois de janvier et juin 2024, à quel prix ?
Une présentation renouvelée, une collection renouvelée, mais temporaire.
Ugo Rondinone, salle “Espace rythmique. Dix piliers”, exposition When the sun goes down and the moon comes up, MAH, Genève, 2023 © Musée d’art et d’histoire de Genève, Ph. Stefan Altenburger
Dans le cadre de ces « carte blanche » annuelle, plusieurs questions se posent. Tout d’abord la temporalité de l’exposition, la première version de l’exposition se déroulait de janvier 2021 à mai 2021. Or, depuis la seconde version, l’exposition commence en mars pour se conclure en juin-juillet. Est-ce un changement d’agenda pour éviter la période creuse du musée ? ou rajouter des précieux mois aux artistes et aux équipes du musée pour finaliser ce projet ? Dans les deux cas, le fait d’avoir une exposition de plus ou moins 4-5 mois permet au public de revoir l’exposition, et en soit les œuvres méconnues du musée. La réalité est tout autre, souvent la scénographie de ce genre d’exposition prend énormément de temps, d’autant plus qu’en moyenne 300-500 objets, de toute taille et genre sont présentés, donc 600-1000 constats d’état, des litres de peintres, des milliers d’outils et, peut-être, peu de personnel. En dehors de ses objets, il y a aussi leurs états sanitaires, faut-il les restaurer, les préparer à leurs accrochages, etc.
D’autre part, la scénographie et la muséographie à plusieurs problématiques, dans aucune des nouvelles « carte blanche » il y a eu une réutilisation d’élément, aucune reprise d’assises, de socle, de couleur des salles, des cimaises ou des soclages. Or, tous ses éléments pourraient mettre des objets en avant dans d’autres expositions du musée, ou, encore mieux dans les collections permanente. En parlant de collection permanente, rares sont les œuvres qui reprennent la direction des collections, la plupart reviennent en réserve, ce qui pose la question de l’utilité technique et de conservation des œuvres, mais aussi du travail scientifique du projet.
En dehors de ces divers aspects, la communication des expositions est, dans ce cas, une bonne nouvelle. Que ce soit dans les flyers, les affiches, et tout support utilisé pour la promotion externe de l’exposition, le musée suit sa ligne graphique créée par le studio de graphisme zurichois Hubertus Design. Depuis 2019, celui-ci crée une nouvelle unité graphique, qui, de surcroit, est différente des autres musées genevois, mais semble trop contemporaine pour un musée d’art et d’histoire, selon la représentation classique que l’on s’en fait.
La question des liens, entre le musée et le marché de l’art
Dans le cas de ces expositions, une question éthique subsiste : quels sont les aspects juridiques conventionnés entre le plasticien et le musée ? Des droits du musée d’utiliser les œuvres (les droits à l’image dans la communication par exemple), à celui de l’artiste non censé vendre une œuvre via un musée public présentée durant l’exposition.
Lors de l’exposition « carte blanche » d'Ugo Rondinone, « WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP » que penser de la galeriste qui le représente, la galerie Eva Presenhuber. Selon de nombreuses sources journalistiques, la galeriste a envoyé à ses bons clients la documentation de l’exposition actuelle du MAH, avec la liste complète des prix. Vous pourrez donc vous offrir un « showcase », le MAH, qui ne recevra aucune redevance des ventes. Le minimum serait de remercier le MAH par un don d’une ou deux des œuvres présentées au MAH, par exemple… ce qui ne fut jamais le cas depuis l’introduction des « carte blanche ».
GASGAR Lucas
#Suisse #Exposition #Contemporain
[1] https://www.mahmah.ch/sites/default/files/pdf/2023-06/Web_N.MAH_concept-musee_MAH_DEF.pdf

Femmes dans la peinture occidentale : entre effacement, esthétisation et lutte pour l’émancipation
“Vous m’avez faite statue, et toujours je me suis tue”, chantait Anne Sylvestre (1975) dans Une sorcière comme les autres. Cette phrase résume l’essence de la condition féminine dans l’histoire de la peinture occidentale : les femmes y sont vues, célébrées parfois, mais rarement entendues. Leur parole est figée, leur corps sublimé ou démembré, leur place créatrice contestée.
Bien que la mythologie grecque attribue à une femme l’invention même de la peinture, Callirrhoé, fille du potier Dibutade, l’histoire de l’art a méthodiquement effacé les femmes de ses récits. Comme le rappelle Virginia Woolf dans Une chambre à soi (1929), l’art requiert des conditions matérielles et intellectuelles d’indépendance, longtemps refusées aux femmes.
Sofonisba Anguissola, Autoportrait au chevalet, 1556
Une silenciation systémique : quand créer devient une transgression
Pendant des siècles, les femmes ne pouvaient ni fréquenter les académies, ni accéder aux cours de nu, ce qui les empêchait de pratiquer les genres les plus prestigieux comme la peinture d’histoire. Des figures comme Artemisia Gentileschi (1593- 1653) ou Rosalba Carriera (1673-1757) sont saluées comme des “exceptions” dans un monde qui n’a pas été conçu pour elles. Leur réussite n’est jamais pleinement admise ; elle est toujours “extraordinaire” : Rosa Bonheur, par exemple, est reconnue parce qu’elle “peint comme un homme", selon ses contemporains. Mais c’est bien là le problème : elles restent l’exception qui confirme la règle. Leur talent est loué, à condition qu’il “déjoue leur féminité”. Chaque réussite féminine doit justifier l’injustifiable, une structure qui invisibilise systématiquement leur génie.
Cette dynamique révèle une violence plus insidieuse que l’exclusion brutale : celle de la norme qui naturalise l’absence des femmes, de l’élitisme qui fait du génie un territoire exclusivement masculin, comme l’a souligné Linda Nochlin dans son essai fondateur Why Have There Been No Great Women Artists? (1971). Elle explique notamment que la peinture est un médium tellement encadré dans les conditions du patriarcat que ce soit dans sa réalisation dans son accès, dans ses représentations, discours, narrations, qu’il était nécessaire pour les femmes d’opter pour d’autres médiums artistiques. La peinture en quelque sorte est un art fait pour les hommes et par les hommes : un boys club. De plus, le système de reconnaissance est lui-même fait par et donc pour les hommes.
L’accès à la “fabrique des génies”, selon l’expression de Sophie Chauveau (Picasso, le Minotaure : 1881-1973, 2020), est verrouillé. Même talentueuses, les femmes sont reléguées aux marges de l’histoire de l’art, souvent réduites à des mères, épouses, muses, jamais artistes “en propre”. Peindre relevait et relève d’un privilège masculin.
Sur la toile : réification, regard masculin et violence esthétisée
Être absente des sphères créatrices ne signifie pas être absente de l’art. Au contraire : les femmes peuplent les tableaux, mais comme objets de contemplation. La muse est omniprésente, incarnation idéale de la beauté, souvent nue, toujours disponible. Mais cette disponibilité n’est pas innocente : elle répond au male gaze, ce “regard masculin” qui, selon Laura Mulvey, façonne la culture visuelle occidentale et place la femme dans une posture passive, décorative, sexualisée.
John Berger, dans Ways of Seeing, note que les femmes sont « d’abord une vision à regarder » (épisode 2, BBC, 1972 : “a woman in the culture of privileged Europeans is first and foremost a sight to be looked at.”), leur nudité étant construite pour être vue, consommée. Le nu féminin n’est pas l’expression d’un corps libre, mais d’un corps mis à disposition. Suzanne, dans les nombreuses toiles représentant l’épisode biblique de “Suzanne et les Vieillards”, incarne cette réification : elle est peinte nue, passive, souvent sans réaction face au harcèlement, tandis que le contraste chromatique attire délibérément l’œil sur sa peau. Sauf dans la version d’Artemisia Gentileschi, où enfin Suzanne repousse la main qui s’avance vers sa poitrine.
Le nu devient une norme esthétique, un critère de beauté, une source d’érotisme, mais exclusivement féminin. Les nus masculins moins fréquents, et rarement sexualisés. Le nu féminin, au contraire, est une exposition constante, une vulnérabilité imposée. Même les scènes les plus banales, comme les bains peints par Degas, sont marquées par cette sexualisation, ces angles de vue qui exposent sans libérer. Le nu féminin est ainsi un genre en soi, célébré par les académies, glorifié dans les musées, mais rarement interrogé pour ce qu’il est : une mise en scène de la passivité, de la disponibilité, de la domination.
Artemisia Gentileschi, Suzanne et les Vieillards, 1649
Du fantasme à la violence : la beauté comme prétexte à la domination
Le corps féminin n’est pas seulement regardé ; il est déconstruit, fragmenté, violé parfois, au sens littéral. Pablo Picasso en est un exemple frappant. Il dit de la nature qu’elle existe “pour qu’on puisse la violer”, et ses toiles traduisent ce pouvoir de domination. Sa muse Marie-Thérèse Walter est peinte nue et endormie, soumise à son désir. Dora Maar, elle, est transformée en harpie, en pleureuse déformée. Le peintre introduit même le Minotaure, symbole mythologique de la sauvagerie, pour figurer des scènes explicites de viol.
Cette esthétique de la violence trouve un écho chez d’autres artistes comme Kasimir Malévitch ou René Magritte, dont Le Viol (1934) est une illustration glaçante du morcellement sexuel. Le nu devient alors prétexte à représenter la femme sans nom, sans voix, sans résistance, et à célébrer cette esthétisation brutale dans les institutions artistiques. Le corps féminin devient un motif que l’on peut mutiler, sexualiser, exhiber, toujours sans consentement. Ce n’est plus la femme que l’on célèbre, mais son image, sa fragmentation, son absence.
Réponses, réappropriations, résistances
Face à cette violence symbolique et matérielle, les femmes artistes n’ont pas attendu le XXIe siècle pour répondre. Depuis la Renaissance, certaines ont investi les genres majeurs, détourné les codes, ou simplement insisté pour peindre, malgré tout. Dès le XVIIe siècle, des femmes comme Elisabetta Sirani ou Judith Leyster cherchent à imposer leur regard. Mais c’est surtout à partir des années 1970 que la contestation devient collective, avec la montée de l’art féministe et l’activisme d’artistes comme les Guerrilla Girls. Portant des masques de gorilles pour préserver leur anonymat, elles dénoncent l’invisibilisation des artistes femmes et les inégalités d’exposition. Leur slogan choc, “Faut-il être nue pour entrer au Metropolitan Museum ?”, résume toute l’hypocrisie du système.
D’autres artistes osent représenter des corps féminins non sexualisés, en action, en mutation, parfois même enceintes ou vieillissants, autant de formes bannies des canons classiques. L’artiste Paula Modersohn-Becker (1876-1907) contribue à changer les opinions sur ce qui est à peindre et ce qui n’est pas à peindre en réalisant le premier autoportrait de femme nue et enceinte de surcroît avec son Autoportrait au sixième anniversaire de mariage. À travers ces œuvres, les femmes ne sont plus objets de désir, mais sujets de leur propre narration. Aujourd’hui encore, les artistes contemporaines comme Jenny Saville (1970-) ou Paula Rego (1935-2022) déconstruisent les représentations dominantes, mettent en scène leurs propres corps, interrogent les standards esthétiques et les identités de genre. Elles font de l’art un terrain de lutte, un espace de réappropriation et de résistance. La question de l’auto-représentation devient centrale : qui peint, qui regarde, qui est regardé ? L’art devient un terrain politique. Reprendre la parole, c’est aussi reprendre le pinceau.
Paula Modersohn-Becker, Selbstbildnis am 6. Hochzeitstag, 1906
Réécrire l’histoire de l’art
Il nous faut alors déconstruire les récits dominants, revaloriser les artistes femmes, déceler dans les canons esthétiques les traces de violences genrées. Surtout, il faut changer notre manière de voir : non plus consommer les images, mais les interroger ; non plus admirer la beauté, mais questionner ses conditions de production.
Il ne s’agit pas de censurer les chefs-d'œuvre du passé, ni de rejeter en bloc l’histoire de l’art. Mais bien de la compléter, de la complexifier, de lui redonner ses voix perdues. Car si les femmes ont longtemps été réduites au silence, leur retour sur la scène artistique, créatrices, critiques, historiennes, militantes, est en train de changer les règles du jeu. Et peut-être, enfin, de faire parler les statues.
Dans un monde où l’image est omniprésente, cette lecture critique de la peinture européenne devient un outil précieux. Car les corps que l’on regarde racontent aussi les silences que l’on impose, et les luttes qui restent à mener. Ce mécanisme de marginalisation s’étend de manière encore plus marquée à l’ensemble des artistes issu.es de groupes minorisés, qu’il s’agisse de personnes racisées, LGBTQIA+, en situation de handicap ou issues de milieux sociaux précaires. Pour ces artistes, l’invisibilisation est souvent plus profonde, plus structurelle encore, et les efforts à fournir pour leur reconnaissance pleine et entière demeurent titanesques.
Amrita Sher-Gil, Group of three Girls, 1935
Exposer
Ces dernières années, nombre d’institutions muséales ont choisi de consacrer des expositions entières aux artistes femmes, parfois dans une démarche sincère de revalorisation historique, parfois davantage par souci de visibilité ou d’opportunisme culturel. Parmi ces initiatives, on peut citer : Où sont les femmes ? (Palais des Beaux-Arts de Lille, 2023) ; elles@centrepompidou (Paris, 2009) ; Peintres femmes. Naissance d’un combat 1780-1830 (Musée du Luxembourg, 2021) ; le FAMM (Femmes artistes du musée de Mougins) ; ou encore Elles font l’abstraction (Centre Pompidou, 2021). Si ces initiatives permettent, à juste titre, de sortir de l’oubli de nombreuses créatrices invisibilisées, elles soulèvent aussi une question de fond : ne participent-elles pas, malgré elles, à la perpétuation de la singuralisation qu’elles prétendent combattre ?
En isolant les artistes femmes dans des accrochages spécifiques, on risque de les distinguer encore des "grands maîtres" de l’histoire de l’art, ceux-là même qui continuent de faire l’objet de rétrospectives magistrales et de monographies “neutres”. L’exposition “de femmes” devient alors un genre en soi, où le genre de l’artiste prévaut sur son œuvre, sa technique ou ses thématiques. L’exposition Pionnières, Artistes dans le Paris des Années folles au Musée du Luxembourg (2022) a certes eu le mérite de mettre en lumière des artistes femmes, mais son approche “catalogue” peut prêter à critique : en ne retenant que celles qui pouvaient être qualifiées de "pionnières", l’exposition donne l’impression que seules les trajectoires d’exception méritent d’être valorisées, renforçant ainsi l’idée d’un génie féminin rare et marginal devant faire doublement ses preuves. Cette démarche risque de renforcer l’idée que la valeur artistique des femmes ne se justifie qu’à travers leur caractère exceptionnel, plutôt que de les inscrire naturellement dans le paysage artistique de leur époque. Ce type de programmation, s’il rompt temporairement le silence, court le risque d’essentialiser l’acte de création féminin, comme si être une femme artiste était en soi un sujet plus important que l’art qu’elle produit.
Ce cloisonnement contribue à renforcer la logique d’exception : l’artiste femme devient “la femme artiste”, une figure à part, encore étrangère au canon dominant. Il ne s’agit plus de faire entrer les femmes dans l’histoire de l’art, mais de les exposer dans un espace séparé, souvent temporaire, où elles demeurent “invitées” plutôt qu’intégrées. Ainsi, une avancée apparente peut masquer une nouvelle forme de relégation.
Certaines initiatives méritent d’être saluées, comme le Frauenmuseum de Bonn (1981) ; l’intégration des cartels de l’exposition Où sont les femmes ? dans le parcours permanent ; ou encore l’association AWARE (2014), qui œuvrent à une meilleure visibilité des artistes femmes en proposant des ressources documentaires et un travail de valorisation essentiel. Si ces dernières peuvent également passer par la singularisation, cela peut sembler être un outil obligatoire et nécessaire pour inscrire le changement.
Adèle-Rose Daniel
#Femmesdanslapeintureoccidentale #effacement #esthétisation #lutte

Françoise Pétrovitch : plonger dans les lavis
Le fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture (FHEL) situé à Landerneau présente du 17 octobre 2021 au 3 avril 2022 une exposition rétrospective sur l'artiste contemporaine Françoise Pétrovitch.
Image de couverture : Vanité, 2020, lavis d'encre sur papier. Courtesy Semiose, Paris. © Sibylle N.
Françoise Pétrovitch, née en 1964, vit et travaille à Cachan (Val-de-Marne) et Verneuil-sur-Avre (Eure). Artiste pluridisciplinaire (peinture, sculpture, vidéo...), elle crée des images ouvertes aux interprétations, traversées par des apparitions à la fois familières et inquiétantes. Figures de contes, jeux d'enfants, corps endormis ou morts, créatures hybrides, chaque œuvre semble issue d'une mythologie oubliée et mystérieuse. Ses sujets humains flottent dans un espace indéterminé, souvent laissé vide, et semblent eux-mêmes empreints d’une certaine fragilité. Ils se cachent derrière leurs mains ou dans leur tee-shirts trop grands. Insaisissables, leur âge est difficile à définir, leur genre bien souvent ambigu. "Je lutte contre la narration, contre ce qui donnerait des limites aux figures que je montre. Je propose des blocs d'image, je ne veux pas d'une histoire qui se referme. Si on dit tout, il n'y a plus rien à penser…" (Françoise Pétrovitch, entretien avec Pascal Neveux, Valérie Pugin, Paul Ripoche et René-Jacques Mayer dans Françoise Pétrovitch, Monographie, Paris, Semiose Editions, 2014, p. 15).
Sans titre, 2020, lavis d'encre sur papier, Collection Ginguay, Paris. © Sibylle N.
Promenons-nous...
Les commissaires Camille Morineau et Lucia Pesapane contribuent depuis des années à la valorisation du travail des femmes artistes, notamment à travers l'exposition Elles@Centre Pompidou (2009-2011), ou l'association Aware, qui met en lumière la recherche sur les artistes femmes. Pour l'exposition du FHEL, elles ont travaillé en collaboration avec Françoise Pétrovitch pour proposer un parcours cohérent retraçant son travail de création depuis les années 1990. Neuf salles se succèdent, selon une double logique chrono-thématique. L’exposition éclaire ainsi certaines des obsessions de l’artiste et ses motifs de prédilection (le double, l’ombre, les gestes, l’hybridation humain / animal…) tout en mettant l’accent sur quelques séries marquantes : Les regards d’Ingres dans les années 1990, jusqu’aux Saint Sebastien (2019-2021) en passant par les Nocturnes (vers 2013). Deux salles de projection, l’une au centre de l’exposition, l’autre dans ses marges, comme une transition entre deux espaces, présentent des installations vidéos de l’artiste (voir les salles en noir sur le plan). L’exposition s’achève sur la diffusion d’un film, cette fois documentaire, réalisé par son collaborateur Hervé Plumet, présentant l’artiste dans son atelier, en conversation avec les commissaires ainsi qu’avec le réalisateur lui-même (Françoise Pétrovitch, film documentaire, 55 minutes).
Plan d'exposition du livret © Sibylle N.
Vue de l'exposition, salle des "Nocturnes" © Sibylle N
Dans chacune des salles, certaines des œuvres apparaissent comme des pivots. Dans la séquence « Nocturnes » plongée dans une pièce aux murs violets, il s’agit de L’Ogresse (2021). Plantée au centre de la pièce, la sculpture de jeune fille tenant entre ses dents un os immense frappe intensément le regard.
Les « Motifs-Traits »
Mise à part la vidéo, les différents médiums utilisés par Françoise Pétrovitch sont présents dans toutes les salles. Il semble inconcevable de les séparer, tant certaines peintures semblent liées aux sculptures ou aux dessins, dans un jeu d’échos. A ces connexions formelles tissées d’un medium à l’autre, Françoise Pétrovitch donne le nom de « motifs-traits ». Il s’agit parfois de formes très simples, dont elle propose une multitude de variations : mains tenant un objet, yeux cachés, figures étendues… Les créatures hybrides occupent une place importante dans les dessins et sculptures de Françoise Pétrovitch. Faisant appel à l'imaginaire des fables, des contes et des mythes, elles donnent à voir Peau d’Âne, des hommes à tête de chien, de faon, ou des créatures en cours de métamorphose.
C’est toujours le dessin qui guide son travail, quel que soit le medium par lequel elle s’exprime, et parle encore de dessin pour ses sculptures : « le croquis est la structure de la sculpture. Il traverse mon travail, je n’abandonne jamais le dessin, même dans la sculpture, il est partout. » (Françoise Pétrovitch, entretien avec P. Neveux, V. Pugin, P. Ripoche et R.-J. Mayer dans Françoise Pétrovitch, op. cit. p.21).
→ Vue de l'exposition © Sibylle N.
Une promenade sans corps ?
L'espace d'exposition de la Fondation Leclerc est habituellement divisé en une multitude de petits espaces séparés par des cimaises. Pour l'exposition de Françoise Pétrovitch, les commissaires et scénographes ont choisi de faire de la salle un chemin traversant, donnant l'impression de voir toute l'étendue de la salle, même si chacune des salles reste tout de même bien identifiable. La scénographie, réalisée par Jasmin Oezcebi, fait la part belle au regard, qui embrasse l'espace ouvert comme une succession de portes emboîtées permettant aux œuvres de se répondre d'un espace à l'autre. Les cimaises sont parfois adaptées pour accueillir à la fois sculptures et peintures, et les observer conjointement.
La scénographie oublie cependant quelque peu le corps du visiteur et la fatigue physique que peut procurer la visite d'une exposition. L'exposition ne compte que deux bancs, l'un placé devant les œuvres, l'autre devant le film documentaire de conclusion. Le choix de laisser une grande part à l'interprétation du visiteur et de ne pas surcharger les textes pousse d'ailleurs nombre de visiteurs à chercher des informations dans ce documentaire (qui, malgré sa durée de 55 minutes, n’est pas disponible ailleurs), ce qui crée une file d'attente devant la salle de projection et le seul banc disponible.
Vues de l’exposition, © Sibylle N.
Le dessin filmé
J'ai particulièrement apprécié les deux installations vidéo, réalisées avec le réalisateur et compositeur Hervé Plumet, qui relèvent le défi de créer des vidéos à partir de lavis peints par l’artiste.
Le Loup et le Loup
La première vidéo, en début de parcours, scénographiée spécialement pour l’exposition, Le Loup et le Loup (2011, vidéo numérique sonorisée, 4 min 44s) est diffusée à l’extrémité d’un couloir rouge se rétrécissant progressivement. Au sein de la cavité quasi organique, le film invite le visiteur à s’avancer légèrement, pour être entouré par le son. Le loup et le loup se présente comme une sorte de jeu d'enfant qui tournerait mal, les images enchaînant les images de chamailleries entre une fille et un garçon avec des têtes coupées, des créatures hybrides, et des animaux étendus qui se superposent et palpitent au rythme de la musique.
Dans le processus de fabrication, son et images sont créés de façon indépendante. C'est le montage qui vient ensuite donner sa cohérence, et apporte une esquisse de narration : "Pour les films, je ne pars pas d'un story-board : je mets en place des ensembles de dessins, rien n'est écrit. Ensuite Hervé Plumet réalise le son, et à partir du son on monte précisément les images. Il ne s'agit pas de dessin animé : c'est l'espace entre un dessin et un autre qui va fabriquer du mouvement et du sens pour celui qui les regarde." (Françoise Pétrovitch, entretien avec P. Neveux, V. Pugin, P. Ripoche et R.-J. Mayer dans Françoise Pétrovitch, op. cit. p.21).
Le rythme de la vidéo est éprouvant. réalisé avec des percussions corporelles, le son imite un battement cardiaque rapide, pouvant créer certains malaises chez les visiteurs. Sommes-nous ici dans un ventre ? Le spectateur en ressort avec l'impression trouble de ne plus savoir tout à fait si c'est son propre cœur qu'il entend ou celui d'un.e autre...
Vue de l’exposition © Sibylle N.
Écho
La seconde œuvre vidéo de Françoise Pétrovitch, Écho, a un statut différent, étant cette fois une installation vidéo numérique sonorisée dont le dispositif est pensé par l’artiste dans sa globalité (2013, installation vidéo, 5 min 15s, en collaboration avec Hervé Plumet, Collection MAC VAL, musée d’art contemporain du Val de Marne). Il s'agit ici de rentrer dans une salle de projection plongée dans le noir. Devant le visiteur, un écran projette une succession de lavis, qui se reflètent dans l'étendue d'eau disposée en dessous. Un moteur vient agiter l'eau, ce qui trouble les reflets des dessins pour leur donner un aspect d'ombre fantomatique. Plus contemplative que la précédente pièce, l'œuvre donne véritablement l'impression de plonger dans les encres de l'artiste : les dessins alternent avec des détails colorés de l'encre diluée, les bruits d'eau rendent l'atmosphère aquatique. Les silhouettes se troublent, s'effacent, se fondent dans les touches de couleur diffuses.
L’œuvre est placée dans une pièce à part au centre de l'exposition. « Comme une charnière », selon la commissaire Camille Morineau, pour qui « cette mise en abyme du geste inaugural, « dessiner », résume l’œuvre en son entier. » (Camille Morineau, « Françoise Pétrovitch, Dessiner pour voir », p. 24 ).
Une autre rétrospective de l’artiste est prévue pour le printemps, cette fois à la Bibliothèque nationale de France. Si les estampes seront mises à l'honneur, il est probable que d'autres dispositifs vidéos, documentaires ou artistiques, favoriseront une scénographie immersive…
Sibylle Neveu
Liens :
Fonds Hélène et Edouard Leclerc, Landerneau : https://www.fonds-culturel-leclerc.fr/En-cours-642-22-0-0.html?
Site de l'artiste : https://www.francoisepetrovitch.com/
L'artiste sur viméo : https://vimeo.com/8453553
Pour approfondir :
Camille Morineau, « Françoise Pétrovitch, Dessiner pour voir », 2021. https://www.francoisepetrovitch.com/wp-content/uploads/2021/10/FHEL-FPetrovitch_Dessiner-pour-voir_Camille-Morineau.pdf
Un autre aspect du travail de Françoise Pétrovitch, non détaillé dans l’exposition : les décors qu’elle réalise pour le théâtre. Lucia Pesapane, « Dans les Coulisses », 2021. https://www.francoisepetrovitch.com/wp-content/uploads/2021/10/FHEL-FPetrovitch_Dans-les-coulisses_Lucia-Pesapane.pdf
#artcontemporain #vidéo #exposition
Georgia O'keffe au Centre Pompidou : une rétrospective confuse
Le Centre Pompidou accueille jusqu’au 6 décembre la première rétrospective française de l’artiste Georgia O’Keeffe (1887 – 1986). L’exposition présente une centaine d’œuvres de l’artiste américaine et retrace cinquante ans de sa carrière dans un parcours chronologique.
J’aime les rétrospectives. Elles permettent de se familiariser avec les grandes lignes de la carrière d’un artiste grâce à un grand panel d’œuvres. Evidemment, cela reste un résumé assez superficiel, mais j’en ressors toujours avec des bases plus solides. La rétrospective proposée par le centre Pompidou n’a pas eu cet effet escompté : j’ai pu voir beaucoup de belles œuvres, mais je n’ai pas l’impression d’avoir compris les grands moments de la carrière de O’Keeffe. Retour sur un rendez-vous manqué.
Plan de l'exposition : bleu, texte d'introduction ; orange, cimaises de la partie biographie, qui délimitent la salle "Galerie 291".
Une entrée en matière dense
La visite s’ouvre assez traditionnellement par un panneau de salle introductif. Le public emprunte ensuite un couloir gris qui le mène dans la grande (et seule) salle d’exposition. Premier arrêt, la partie « biographie ». Le visiteur est accueilli par des pans de murs remplis de textes répartis dans des carrés. La biographie occupe cinq cimaises, comptant chacune six « carrés d’information ». Ils peuvent comporter une date, une citation ou des indications biographiques, ce qui forment un ensemble assez dense à lire en arrivant dans l’exposition.
Un panneau de la partie "biographie" © Myrrha Bouly
De plus, les visiteurs lisent ces cimaises en déambulant dans un couloir, ce qui est l’espace le moins pratique possible pour commencer une exposition. Les visiteurs se pressent dans cet espace étroit, se gênent, ne restent pas longtemps pour ne pas créer de bouchon… Dès le début de la visite, le visiteur peut facilement perdre le fil !
Vue du couloir qui longe la partie «biographie" et sa longue cimaise © Myrrha Bouly
Fleurs, gratte-ciel et abstraction : un retour confus sur la carrière de Georgia O’Keeffe
La visite se poursuit dans le premier espace thématique « La galerie 291 », situé dans une petite pièce séparée, mais ouverte sur la grande salle. Exposant des œuvres d’artistes phares de l’avant-garde comme Picasso, cette partie revient sur l’importance de la galerie d’Alfred Stieglitz dans la carrière de O’Keeffe.
En sortant de cette pièce, le visiteur fait enfin face à la salle principale, ouverte et décloisonnée. De grandes cimaises grises scandent l’espace en de grands « rayonnages » où sont accrochées les toiles de O’Keeffe. La disposition des cimaises parait d’ailleurs assez étrange. Placées à la perpendiculaire par rapport aux visiteurs, la vue sur les tableaux est assez limitée. Ce vaste espace accueille la majorité des thèmes abordés dans l’exposition : son travail sur le monde végétal, ses paysages de New-York et du Nouveau-Mexique, ses réflexions sur l’abstraction, pour finir par ses synthèses formelles de plus en plus poussées dans ces dernières années de carrière.
Vue de la salle depuis l’espace « La galerie 291 », avec les « rayonnages » de cimaises © Myrrha Bouly
La visite se termine par deux petites salles. La salle de droite diffuse une vidéo de Georgia O’Keeffe. A gauche, une petite salle présente des poupées Kachinas dans une vitrine centrale. O’Keeffe a en effet beaucoup copié ces poupées quand elle vivait au Nouveau-Mexique, comme le montre des petits formats accrochés aux murs de la salle. Si l’ensemble de l’exposition était dans les tons gris, cette salle finale intégralement noire fait contraste.
La rétrospective nous présente au total huit thèmes, abordant plusieurs moments de la carrière de O’Keeffe. Mis à part les textes abondants des cimaises d’introduction, il y a assez de peu de choses à lire dans le parcours. Chaque partie est accompagnée d’un court paragraphe d’informations, et des cartels détaillés accompagnent certaines œuvres. Ne connaissant de Georgia O’Keeffe que ses fleurs et les symboles érotiques qui leur sont associées, je note qu’un panneau de salle rappelle que O’Keeffe désapprouve cette constante sexualisation de son œuvrexpositions [1]alors qu’un cartelproposeprécisémentune métaphore érotique sur une œuvre,etcesansaucune sourceaffichée.
L’exposition affiche clairement son parti-pris : Le parcours de l’exposition, délibérément fluide et ouvert, déroule chronologiquement la trajectoire artistique de Georgia O'Keeffe ; des premiers vertiges « cosmiques » que lui inspire l’immensité des plaines texanes en 1910, aux métropoles et aux paysages ruraux de l’État de New York des années 1920-1930, jusqu’au Nouveau Mexique, où elle s’établit définitivement après la Seconde Guerre mondiale. L’exposition se veut un espace ouvert, décloisonné, sans parcours obligatoire. L’idée est séduisante : un parcours très contraint, où il n’y a qu’un chemin possible est souvent rédhibitoire. Avoir la liberté de circuler, de papillonner d’une œuvre à l’autre au grés de ses envies rend l’expérience de visite bien plus agréable.
Vues de la pièce principale de l’exposition © Myrrha Bouly
Le thème « La galerie 291 » est le seul espace véritablement délimité, avec le panneau de salle et les œuvres associées dans la même pièce. A l’inverse, la pièce principale est complétement décloisonnée. Six thèmes y sont abordés et les œuvres qui les illustrent sont accrochées sur les cimaises dans l’ensemble de la salle.
Il n’y a pas de parcours indiqué ni de distinction visuelle entre les différentes thématiques. Un dépliant fourni à l’entrée indique les parties chronologiques abordées dans l’exposition, mais ce n’est pas retranscrit dans l’espace. Pour ajouter à la confusion, chaque cimaise porte une ou plusieurs dates, couvrant des périodes plus ou moins larges, concernant parfois les œuvres, parfois la vie de O’Keeffe. Les dates peuvent presque se chevaucher, comme sur cette cimaise. Les repères chronologiques correspondent bien au parti-pris initial de l’exposition, mais ce passage de l’un à l’autre oblige à sans cesse s’adapter.
Exemple de cimaise avec plusieurs dates indiquées © Myrrha Bouly
Les espaces sans séparation ni parcours apparent peuvent brouiller leur propre message. L’exposition Georgia O’Keeffe est une rétrospective, avec un parti-pris chronologique revendiqué. La scénographie ouverte dessert cette ambition. Les différentes phases de la carrière de O’Keeffe sont présentées toutes ensembles, côte à côte. Dans ces conditions, comment peut-on comprendre quelle phase artistique précède ou succède à telle autre phase ? Comment comprendre l’évolution de ses inspirations et de ses réflexions ? Il est même compliqué de saisir dans quelle région habitait O’Keeffe à une période donnée, ce qui est problématique quand on sait à quel point son environnement inspirait ses œuvres.
Finalement, à la sortie de l’exposition, le visiteur ressort-il avec une meilleure approche de l’art de Georgia O’Keeffe ? Certes, il a vu des dizaines d’œuvres et l’exposition parvient bien à montrer la diversité des sujets présentés par O’Keeffe. Mais déambuler dans cet espace permet-il vraiment de comprendre l’évolution d’une artiste pendant près de cinquante ans ? Repenser les parcours d’exposition de façon plus libre sans sacrifier le sens suppose d’offrir un cadre intuitif, qui ne nécessite pas de se référer au guide de visite.
Myrrha Bouly
Pour aller plus loin :
- Page de présentation de l’exposition sur le site du Centre Pompidou : https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/60bdJRm
[1]Je cite ici le texte du thème Un monde végétal : "Concédant d'abord que son art traite ''essentiellement des sentiments féminins'', elle dément bientôt avec vigueur l'interprétation obsessionnellement''érotique'' que la critique livre de ses fleurs"↩
#rétrospective#artmoderneetcontemporain#peinture

Giacometti / Sade « L’homme la violait »
J’écris cet article sur le chemin du retour de Paris. La tempête bat son plein. Les rafales de vent balaient la pluie. Des poubelles se renversent et des volets claquent violemment. Je suis à peu près aussi maussade que le temps : ma visite de l’Institut Giacometti de l’après-midi me laisse un goût amer.
La journée avait pourtant bien commencé... Cette phrase ressemble au pitch d’une mauvaise comédie burlesque. Certes. Mais je veux tenter de partager un peu de positif avant d’entrer dans le cœur du sujet. Je sortais de l’exposition proposée par la Fondation Cartier consacrée à la photographe Claudia Andujar et son combat pour la défense du peuple amérindien Yanomami. Mis à part un dispositif interactif un peu décevant en fin d’exposition, je suis séduite. Les photographies sont présentées sur un support qui permet pleinement d’apprécier le grain, les contrastes, les noirs puissants de la photographe et l’effet rendu par l’usage que fait, ponctuellement, Claudia Andujar d’une pellicule infrarouge. Au rez-de-chaussée, les photographies sont suspendues à hauteur d’yeux. Ce qui crée des jeux de perspective entre les visiteurs, les œuvres et les espaces arborés qui entourent le bâtiment de la Fondation. Le tout se mélange dans un imbroglio de couleurs, de flous et de lumière.
Vue de l’exposition Claudia Andujar, La lutte Yanomami ⓒ ML
La tempête grondait déjà. Devant la porte de la Fondation Cartier, les grilles d’évacuation des eaux se soulevaient, claquaient et créaient une atmosphère sinistre, digne de la série de films d’horreur Hellraiser. J’insiste lourdement sur les conditions météorologiques de cette journée parce qu’il me semble que ce temps image et résume très bien mon ressenti vis-à-vis de la – critiquable – exposition Giacometti / Sade Cruels objets du désir présentée deux mois durant du 21 novembre 2019 au 9 février 2020 à l’Institut Giacometti. L’exposition est désormais terminée mais pour une raison que je développerai au long de cet article, je crois que celui-ci aurait pu être écrit il y a quatre ans, il y a trois mois, dans un an ou dans cinq ans. Espérons tout de même que ce ne soit plus nécessaire dans cinq ans. L’exposition n’a finalement été qu’un déclencheur.
Lorsque je franchis la porte d’entrée de l’institut, je trouve le lieu saisissant. Le visiteur est invité à plonger dans l’univers de Giacometti dès le hall d’accueil. Cet espace offre à voir une reconstitution de l’atelier de l’artiste. Ses silhouettes étirées nous font face. Quelques mètres à parcourir m’emmènent au pied d’un escalier, dont je gravis les marches. Et, je dois dire, que pour le moment, je suis ravie d’être ici. Le lieu est empli d’un charme certain et le parcours est jonché des célèbres formes anguleuses de l’artiste. J’entre dans la première salle, le charme opère toujours. Une bibliothèque se dresse, du sol au plafond, face à moi. Un coin lecture se trouve sur ma gauche et au sol quatre socles présentent les premières œuvres de l’exposition.
Vue de l’exposition Giacometti / Sade Cruels objets de désir ⓒ Estelle Brousse
Je cherche un cartel, un texte d’introduction ou quoi que ce soit pour me familiariser avec le lieu et le propos des œuvres. Je me retourne et me retrouve face à face avec un dessin de Giacometti, encadré et accroché sur le mur. Il est placé à hauteur d’yeux d’un adulte. Si les enfants sont épargnés, malheureusement moi, je dois désormais lui faire face. Sur ce dessin, se trouve un homme. Se trouve également une femme. L’homme est en position de force, debout derrière la femme. La femme est à genoux. Soumise. En incapacité de se défendre contre l’homme qui l’attaque et l’étrangle à l’aide d’une corde. Le titre de « l’œuvre » est le suivant : Homme étranglant une femme.
Je détourne rapidement mon regard de ce dessin, à la recherche d’une explication, d’une réflexion ou simplement d’un avertissement, d’un questionnement, voire d’une critique du sujet de ce dessin... Je ne trouve aucun cartel, rien dans le guide du visiteur, ni même un médiateur qui puisse m’aider à comprendre comment aujourd’hui, en 2020, une institution telle que l’Institut Giacometti, peut choisir de présenter une telle œuvre, sans la contextualiser, la problématiser.
Sur le mur adjacent se trouve une citation de Sade. Si le procédé muséographique de la citation est toujours intéressant, son choix me laisse sans voix. « La cruauté n’est autre chose que l’énergie de l’homme que la civilisation n’a point encore corrompue : elle est donc une vertu et non pas un vice ». La cruauté est donc une vertu. Soit. Non seulement la violence du dessin à laquelle je viens d’être confrontée n’est absolument pas critiquée mais elle est même légitimée par le sadisme. Tout au long de l’exposition, je suis ainsi confrontée à des œuvres d’une violence certaine, que je finis par ne même plus vouloir regarder.
Une scénographie intéressante mais un manque cruel d’accompagnement du visiteur
L’exposition a pourtant tout pour me plaire, moi qui suis familière du White Cube. Le lieu est agréable, l’ambiance épurée, des citations jalonnent le parcours muséographique, les œuvres sont pleinement mises en valeur. Sur ce point, la scénographie d’Éric Morin est efficace. Ce qui me questionne c’est le choix muséographique d’exposer aujourd’hui et de mettre à l’honneur « le philosophe libertin » et son « érotisme violent », sans une once de questionnement. J’emprunte ces termes au guide conçu pour le visiteur. Ce même guide m’apprend qu’Alberto Giacometti, à la fin des années 20, rejoint les surréalistes avec entre autres André Breton, Luis Buñuel, Georges Bataille, et que ces artistes ont « placé l’imaginaire, les fantasmes et le rêve au cœur de leur programme artistique ». Mais ici, les fantasmes, sont des fantasmes de violence, de viol, de meurtre. Le guide est par ailleurs ponctué de citations « Très jeune, déjà, je pensais qu’entre homme et femme il ne pouvait y avoir qu’incompatibilité, guerre, violence. La femme ne se laissait posséder qu’à son corps défendant, l’homme la violait » (Alberto Giacometti), d’anecdotes « L’affaire d’Arcueil est le point de départ de la mythification du marquis en criminel. Sade est accusé d’avoir tailladé le corps de Rose Keller, une prostituée qu’il engage pour ses séances de libertinage » et d’explications sur la production artistique de Giacometti « L’artiste représente la tension d’une sexualité envisagée comme un combat entre les deux sexes. (Il) a abandonné la sculpture naturaliste au profit d’une représentation symbolique évoquant la pénétration, le viol et parfois le meurtre, point ultime du plaisir sadien, dans laquelle il s’agit de libérer les pulsions sexuelles en faisant coïncider le plaisir et la mort ». Au crédit de l’exposition, on ne peut nier le caractère inédit de cette confrontation entre le sculpteur et les écrits de Sade, mais je regrette l’absence d’une mise à distance contemporaine.
Evidemment, dans tous musées aujourd’hui, des œuvres où s’expriment sans impunité des violences macabres sont présentées au visiteur. Ce n’est pas une nouveauté et s’il fallait donner des exemples, ils seraient innombrables. Mais dans le cas précis de l’exposition Cruels objets du désir, ce n’est pas n’importe quel type de violence qui est donnée à voir aux visiteurs. Ce sont des violences sexuelles, voire des pulsions meurtrières, sous couvert d’être de l’ordre du fantasme. Et ces violences et ces pulsions sont, dans les œuvres de Giacometti imprégnées par les écrits de Sade, imposées par un homme à une femme.
Un choix muséographique contestable dans le contexte actuel
Ce qui m’a dérangé c’est que ces œuvres et les messages qu’elles véhiculent au premier abord, n’étaient pas accompagnées d’un propos critique à l’égard de ces violences. Peut-être même pire, la scénographie très épurée mettant parfaitement en valeur et en lumière ces œuvres, semblaient presque glorifier voire mythifier ces violences. Comme si elles relevaient d’un prétendu génie artistique. La violence, elle-même m’a semblée sacralisée sur le temple des écrits de Sade. Ces œuvres existent et il ne s’agit pas de questionner leur existence même, mais plutôt d’interroger le choix qu’a fait l’Institut parisien, dans le contexte sociétal actuel, de présenter ces œuvres, en tout point misogynes.
Alors que la quatrième vague des mouvements féministes bat son plein ; alors que des collectifs, des associations, des groupes de femmes se mobilisent pour organiser des actions partout en France ; dans la ville même où ont commencé les collages dénonçant les meurtres, les crimes d’hommes contre des femmes, au nom d’un prétendu amour ; alors que les mobilisations pour obtenir des actes concrets du gouvernement pour lutter – enfin – contre les féminicides se multiplient ; alors que nous nous battons, en tant que femmes, ensembles, contre ces éternelles violences misogynes, sexistes, sexuelles que nous subissons : cette exposition, je l’ai vécu comme une insulte directe aux combats des mouvements féministes.
Photographie d’un collage à Paris contre les féminicides © Axelle Gallego-Ryckaert
A l’appui, les propos tenus par Alice Martel, chargée des programmes pédagogiques à l’Institut Giacometti et Christian Alandete, commissaire de l’exposition Giacometti / Sade, lors d’un colloque organisé à l’Institut Giacometti le 8 février 2020. Le colloque portait sur la question de l’exposition de collections sensibles. A la fin de la présentation, une personne pose une question sur la citation de Giacometti présentée dans le guide du visiteur, citée plus haut dans le présent article. La question était de savoir si cette citation avait posé des problèmes ou reçu des critiques de la part des visiteurs. Alice Martel esquisse le fait que le thème choisi est « osé, en ce moment ». Elle soutient que la citation est replacée dans son contexte et que le visiteur est invité à la réflexion. Pourtant, ces propos de Giacometti sont placés, tels que, sans aparté, sans avertissement dans le guide du visiteur. Je retranscris ici la réponse du commissaire de l’exposition : « Dans son discours, il y a une part de provocation, il cherche à déranger, à mettre le visiteur mal à l’aise. En fait quand on regarde les œuvres, on voit qu’il parle plus de l’impossibilité de l’acte sexuel. Son œuvre, lui-même le dit, puisque c’est une citation qui aborde cet aspect-là. Il explique qu’il est impuissant, qu’il n’arrive pas à satisfaire une femme. Aux vues des images que l’on a, il n’est pas si misogyne que ce qu’il peut paraître dans ce texte. Mais c’est aussi un moment qui est dans la collection des fantasmes. Ce sont des fantasmes qui sont récurrents chez les surréalistes. La constitution du rêve érotique, la possession, l’impossibilité de posséder. Et si on regarde l’œuvre de la femme… le couple, on voit que l’homme essaie de la pénétrer. Elle l’empêche en fait. Et la plupart des œuvres, elles jouent sur ça, sur cette impossibilité. Après cette question de la pénétration, elle est aussi chez Simone de Beauvoir, elle est aussi chez les féministes, comme l’idée que l’acte sexuel, la pénétration est, en soi, un viol. C’est aussi lié à ce moment-là, à une part du féminisme ».
Cette interprétation me semble très libre : dire qu’en réalité Giacometti parle d’impuissance et d’impossibilité à satisfaire une femme alors que dans cette citation, l’artiste parle très explicitement de viol et qu’il représente explicitement des viols dans ces œuvres. Et que les textes du guide du visiteur affirment à plusieurs reprises que ce sont bien, dans ces œuvres, des fantasmes de violence, de viol et de meurtre qui sont présentés. Par ailleurs, n’est-il pas simpliste et grave de justifier ces pulsions en les faisant passer pour de « simples » fantasmes. En 2019, selon l’organisation Nous Toutes, 149 femmes ont été assassinées en France par leur compagnon ou leur ex-conjoint. Alors non, Monsieur Alandete, ce n’est pas un fantasme, c’est une réalité. Et enfin, faire se rejoindre le travail d’artistes hommes donnant à voir dans leur création, leur pulsion de domination sexuelle, avec les luttes des mouvements féministes et les écrits de Simone de Beauvoir, est pour le moins scabreux.
En 2018, à la suite des protestations de nombreuses associations féministes, Bertrand Cantat annonce l’arrêt définitif de sa tournée. Cette même année, la fédération belge de football fait marche arrière et annonce que Damso, rappeur belge, ne chantera finalement pas l’hymne de l’équipe lors du Mondial. Le Conseil des femmes francophones de Belgique avait dénoncé les paroles du rappeur exprimant « haine, sévices et violences envers les femmes ». Le 13 février 2020, la direction de l’Académie des César annonce sa démission collective. De nombreuses dénonciations étaient faites à l’encontre de cette direction, et notamment, de nombreux comptes féministes avaient partagé, sur les réseaux sociaux, l’indignation de voir le film de Roman Polanski, accusé de viols par plusieurs femmes, nominé douze fois. « Le patriarcat bande mou » (Chloé Delaume) et la misogynie ambiante n’est plus soutenable. De plus en plus de combats sont remportés par les mouvements féministes. Alors serait-ce trop demandé de mettre en contexte et en perspective critique des représentations qui ne révèlent pas qu’un inconscient surréaliste ?
Manon Lévignat
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#Cruelsobjetsdudesir
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Green Cube, le jardin comme espace d’exposition pour l’art contemporain : écueil ou révolution ?
Les institutions culturelles et les artistes s’efforcent en permanence de renouveler leur approche de l’exposition par la recherche et l’innovation en matière d’écriture du récit, de scénographie et de spatiologie. L’une des tendances est de faire sortir l’exposition des murs de l’institution pour l’ouvrir sur l’extérieur. Cette proposition – sur le papier – semble être prometteuse : valorisation de l’espace naturel, renouvellement du contexte du récit, accessibilité revisitée pour les publics, etc. Toutefois, quelle valeur ajoutée apporte-t-il aux œuvres et à l’exposition ? Est-ce une innovation, un défi ou une facilité pour les institutions ?
Vincent Mauger, Géométrie Discursive, Festival international des jardins, Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2019. ©Eric Sander
Art et jardin : une longue histoire
Le jardin permet de donner un autre regard sur les œuvres (voir les articles La scénographie du jardin et Un promenoir infini) avec le décalage produit par ce contexte d’exposition remis « au goût du jour » au regard d’un long héritage. Dès l’Antiquité les jardins se parent des plus belles œuvres d’art comme celles de la Villa d’Hadrien à Tivoli (117 à 138 av. J.-C.). Au XVIIe siècle, le travail de Le Nôtre aux jardins de Vaux-le-Vicomte, des Tuileries et surtout de Versailles marque l’avènement du jardin à la française. Les alignements de sculptures accentuent et magnifient les perspectives et les lignes pures de cette nouvelle façon de concevoir le jardin. L’association nature et art est d’autant plus réussie quand les deux s’esthétisent l’un l’autre. Le jardin avec ses allures d’espace naturel, pourtant bien contrôlé par la main du jardinier, offre un écrin verdoyant et plaisant aux promeneur·euse·s et aux œuvres.
Vue des jardins à la Française du Château de Versailles - Image libre de droit, Pixaday website
Cette osmose entre art et jardin va peu à peu s’effriter avec l’affirmation de la notion de patrimoine et de la nécessité de sa préservation pour les générations futures qui se théorise tout au long du XIXe siècle. Cette démarche va mener les œuvres à quitter peu à peu leur contexte de monstration originel (églises, jardins, etc.) pour rejoindre le giron des institutions muséales. L’approche est dans une certaine mesure compréhensive du point de vue de la conservation, les œuvres étant soumises aux éléments naturels, cependant cette coupure nette avec son contexte originel fait perdre une partie de son sens à l’œuvre.
Dans les institutions beaux-arts, les espaces d’exposition sont souvent pensés de façon à être le plus neutre possible afin de laisser le plus de place possible au « choc esthétique ». Cette recherche de neutralité est fortement liée à la révolution picturale du début du XXe siècle avec notamment les travaux de Malevitch Dernière exposition futuriste de tableaux 0.10 (1915-1916) ou ceux de Lissitzky Espace Proun (1923). Le processus d’aseptisation de l’espace d’exposition connaît son apogée avec le white cube qui a pour but de magnifier les œuvres qui y sont présentées.
Qu’est-ce-que le white cube selon Brian O’Doherty ?
Le white cube est un concept théorisé par Brian O’Doherty dans White Cube. L’espace de la galerie et son idéologie en 20081. Le white cube résulte d’une recherche artistique pour les peintres de l’avant-garde qui cherchaient à rompre avec la présentation type « salon » qui était fortement répandue encore au début du XXe siècle.
D’abord utilisé par les artistes de l’avant-garde, le blanc ou blanc cassé donne aux œuvres un espace tridimensionnel neutre où elles expriment tout leur potentiel métaphysique sur un arrière-plan « infini ». Ensuite, cette couleur a été reprise par les institutions et galeries marchandes dans un souci pratique. L’espace blanc standardisé facilite le travail des institutions de présenter des œuvres hétéroclites qui doivent dialoguer entre elles. Ce modèle s’impose dès la fin de la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion des États-Unis, nouvelle place forte de l’art moderne.
Le cube blanc coupe l’œuvre du monde extérieur comme le rappelle l’auteur : « L’œuvre est isolée de tout ce qui pourrait nuire à son auto-évaluation2 ». Tout est fait pour que ce qui rentre dans le white cube devient art. En résumé, à l’instar du concept d’autoréflexivité de la peinture de Clement Greenberg 3 où la peinture ne doit renvoyer visuellement qu’à elle-même, le white cube selon Brian O’Doherty est un espace qui ne renvoi qu’à l’art dans sa plus grande « pureté ».
Exemple d’une scénographie d’exposition type « white cube ». Un autre monde // Dans notre monde, 2020-2021, Frac Grand Large, Dunkerque, France. - ©AGR
Ainsi, la pureté de l’espace d’exposition en tant que cube blanc exclut tout ce qui est extérieur à l’œuvre d’art. C’est ce qui a été reproché au modèle du white cube, dont l’espace est si dépouillé que les possibilités de médiations entre les spectateur·rice·s et l’œuvre sont quasi inexistantes. Le modèle du white cube plonge l’institution muséale dans une impasse, elle qui doit permettre la rencontre et le dialogue entre l’art et les visiteur·euse·s.
Dès lors, l’une des réponses les plus virulentes à cette nouvelle théorie de l’exposition s’est manifestée avec le mouvement du Land Art dans les années 70 qui marque une rupture avec les murs tous les murs. Ces œuvres isolées qui ne sont pas pensées ou intégrées dans une exposition collective, n’étaient pas de facto destinées à être vues in situ par le public, mais bien à être visibles grâce à la documentation (photographies, vidéos, etc.) que les artistes en donnaient.
Le jardin comme extension des salles d’exposition
Le white cube a été perçu par certains artistes comme un défi dans la façon de présenter leur œuvre au monde à l’instar des artistes du Land Art ou du Body Art. D’autres modèles sont venus en contre-pied du white cube, c’est le cas de la black box, où les œuvres plongées dans un espace sombre sont présentées par un éclairage individualisé. Les institutions muséales vont se saisir de la question. Certaines se dotent d’un jardin ou se dotent d’une architecture délibérément ouverte sur l’extérieur.
Vue du parc du LaM avec l'œuvre de Richard Deacon, Between fiction and Fact, 1992. - © AGR
Vue du jardin de la Fondation Cartier pour l’art contemporain. - © Paris info
En clin d’œil au concept de white cube théorisé par Brian O’Doherty, le green cube désigne à la fois le jardin lorsqu’il est pensé comme une salle d’exposition voire même comme un « musée à ciel ouvert » et le jardin comme espace d’exposition « aseptisé » si un lien n’est pas fait entre l’œuvre et son contexte d’exposition, si une institution mise uniquement sur la nouveauté d’exhiber des œuvres d’art dans un jardin sans approfondir le discours curatorial ou de médiation. Par exemple, le centre d’art Chasse Spleen ou le Château Lacoste sont des exemples de green cube, où la rencontre les visiteur·euse·s et les œuvres n’est pas au cœur du discours de l’exposition. Les œuvres sont accompagnées de cartels plus ou moins détaillés, ce qui ne constitue pas une médiation aboutie. Dès lors, les œuvres retombent dans une simple fonction d’ornementation et d’embellissement pour le lieu qui les expose.
La nouvelle possibilité de muséographier et scénographier autrement l’art contemporain en le déplaçant dans un contexte paysager type green cube doit être transformé en un véritable atout pour la démocratisation culturelle. Par son cadre de visite moins institutionnel et sa proximité avec le musée, le jardin offre un tremplin vers des visites dans les institutions. La dimension multi sensorielle du jardin est un atout majeur afin de créer une approche renouvelée entre l’œuvre et les visteur·euse·s. D’autant plus que les parcs ou jardins de musée sont pour la plupart accessible gratuitement ce qui donne l’occasion aux institutions de toucher un public plus élargi.
Toutefois changer de contexte ne suffit pas, si la médiation de l’art contemporain n’est pas au centre du processus de rencontre avec le public. Il ne sera pas constructif de « poser » une œuvre dans un jardin en attendant que le « choc esthétique » fasse effet sans qu’il n’y ait eu un travail de médiation. Ce cadre insolite ne peut se suffire à lui-même, il doit permettre de renouveler la façon dont les institutions font de la médiation, réfléchissent leur programmation, conçoivent leur exposition et conservent les œuvres. Par exemple, les résidences d’artistes sont un des moyens de créer à la fois des œuvres in situ et d’incarner la médiation avec l’aide des artistes. Vent des forêts, le centre d’art contemporain « à ciel ouvert » mise sur un lien fort entre les artistes en résidence et le territoire rural de la Meuse.
Cette réflexion globale concerne aussi le choix des œuvres exposées à l’extérieur. Assurément toute la pertinence du green cube réside dans la façon dont il est curaté. Dans le cas où les institutions choisissent d’exposer des œuvres conçues in situ (et par la même occasion de soutenir la création contemporaine) le green cube n’en aura que plus de sens.
Il nous invite aussi à repenser le rapport des institutions muséales à l’écologie. La course aux expositions temporaires blockbusters à une empreinte carbone non négligeable. Proposer des expositions alternatives en extérieur qui respectent des normes environnementales. C’est le cas par exemple des expositions à Mosaïc, le Jardin des Cultures où les artistes utilisent des matériaux naturels qui se fondent dans leur environnement. C’est ce genre d’initiative qui renforce le rôle du musée au sein de la société en contribuant à la transition écologique4.
Axelle Gallego-Ryckaert
1Il s’agit de la traduction d’une série d’articles mythiques parus dans Artforum en 1976
2Brian O’Doherty, « Notes sur l’espace de la galerie » (1976), White Cube. L’espace de la galerie et son idéologie, 2008, Paris, La Maison Rouge, p. 36.
3Clement Greenberg, Art en théorie, 1900-1990, Paris, Hazan, 1997
4Voir définition des musées par l’ICOM en 2019.
#greencube #whitecube #artcontemporain
Hiding Figure
Il est des expositions qui marquent. Des artistes que l’on découvre. Des œuvres que l’on oublie puis qui se rappellent à notre bon souvenir. Ce dimanche je triais mon dossier « photos d’expositions » quand mon objectif dominical a pris une toute autre tournure. J’ai retrouvé une œuvre. J’ai retrouvé une œuvre que j’ai vue, aimée puis oubliée. C’était il y a cinq ans, un samedi de Novembre, l’exposition Storm à la galerie Emmanuel Perrotin. C’est là que j’ai découvert le travail de l’artiste américain Daniel Arsham. Là que j’ai découvert Hiding figure…
L’année 2012 marque les vingt ans du cyclone Andrew, événement qui inspire le titre de l’exposition et laisse indéniablement sa trace sur les œuvres qui y sont exposées.
Et si l’artiste met en scène un monde glissant comme emporté dans la chute des murs nous entourant c’est que son œuvre est profondément marquée par un événement traumatique : le cyclone dévastateur qui toucha Miami en 1992. L’artiste avait douze ans. Il parle de cet évènement en ces termes « Ce fut ma première expérience avec ce qu’il y a à l’intérieur des murs : ils sont construits de manière à ce qu’on imagine que les buildings tiendront toujours debout, alors qu’en fait il y a tous ces déchets à l’intérieur d’eux ».
Daniel Arsham, Hidingfigure, 2012, fibre de verre, tissu, peinture, chaussures
Cette sculpture en trois dimensions a tout de la momie, de l’installation funéraire ; elle représente un homme pris dans un voile, plaqué de dos contre le mur, seules ses chaussures dépassent. Daniel Arsham raconte cette anecdote à propos de son œuvre : les gens l’ayant vu dans son atelier ont tous pensé à Han Solo (Star Wars) piégé dans de la carbonite.
Exposition Storm, galerie Emmanuel Perrotin, Paris, 3 Novembre – 22 Décembre 2012
C’est la notion de piège qui est ici intéressante. Absolument tout le monde est impacté par cette œuvre ; le génie de Daniel Arsham est ici d’arriver à créer / représenter / déclencher, de manière universelle et automatique la phobie. L’approche première de cette œuvre est donc « phobique » : le drame visuel qui se joue sous nos yeux nous pousse à imaginer l’agonie par suffocation du personnage.
Une idée de lutte prédomine dans cette installation, elle découle de la violence avec laquelle le personnage est plaqué par le drapé, les bras et les pieds légèrement écartés. La phobie peut être universelle mais ses raisons d’être sont propres à chacun, ainsi cette installation appelle à une introspection. Ce n’est pas par hasard si elle a déjà été mise en scène avec un danseur à ses côtés. Quoi de plus introspectif que l’exécution d’un pas de danse ? Que le choix de ce pas et pas d’un autre ?
D’ailleurs malgré l’universalité de son impact, c’est bien introspectivement que cette œuvre a été conçue : le moule du mannequin est réalisé sur l’artiste, il est la continuité, l’alter égo de Daniel Arsham. Tout de suite, on va donc situer l’œuvre comme l’expression du traumatisme subi lors du cyclone, et bien qu’indéniablement cette œuvre soit en lien avec cet événement il me semble que sa lecture n’est pas si évidente que ça.
En effet, lorsque Daniel Arsham s’exprime sur le positionnement de la figure il utilise le terme « hide » ou« cacher » en français. La notion de « cacher » fait automatiquement référence à la notion de danger mais aussi et surtout à la notion de refuge.
Selon les dires de Daniel Arsham, la figure serait donc « cachée derrière la surface du mur », ces mêmes murs, si fragiles qui se sont effondrés et n’ont su résister au cyclone lui ayant presque ôté la vie. En quelque sorte, c’est à cause de la fragilité de ces murs que l’artiste a failli mourir à l’âge de douze ans. Pourquoi donc les considère-t-ils comme un refuge ? Pourquoi les met-ils en scène comme le refuge de ce personnage plaqué, presque avalé par eux ?
Peut-être parce que Daniel Arsham à grandit et que cette date anniversaire marque sinon le surpassement de son traumatisme, son acceptation. Comme une sorte de réconciliation.
Peut-être aussi que ce surpassement est le signe de l’amour inconditionnel que l’artiste voue à l’architecture et la confiance qu’il lui porte.
Puisque Daniel Arsham considère l’architecture, et donc, ce mur comme « la forme la plus durable et la plus significative »alors Hiding figure serait -à notre plus grande surprise et contre notre première impression - l’œuvre la plus positive de l’exposition Storm, la seule à évoquer un refuge au milieu du chaos. Il arrive d’être dupé par ses sens, son instinct.
H.F
#artcontemporain
#architecture
#sculpture

Homère est mort ?
Ces dernières décennies, la pop culture est devenue de plus en plus légitime aux yeux des experts de la culture classique ainsi qu’à ceux des grandes institutions. Retour sur l’invasion des costumes moulants et autres héros dans nos musées.
© David Cubero - suppaduppa666
Le fond du slip
Mettons les poings sur les (L)« i » : les super-héros, ce ne sont pas (seulement) de joyeux fripons en mégaslip-sur-collants bardés de super-pouvoirs, partant exécuter moults cabrioles entre deux gratte-ciels pour aller castagner du margoulin. Non. Ce qui a fait le succès de la « recette Stan Lee », c’est de créer des personnes derrière ces personnages, leur donner de véritables personnalités auxquelles le lecteur peut s’identifier. Par ce biais, il aborde de nombreuses thématiques fortes comme l’intolérance, la discrimination (Professeur X & Magnéto), le racisme (Black Panther), les troubles mentaux (Hulk) ou encore le handicap (Daredevil).
À travers leurs aventures, Stan Lee invite le lecteur à se méfier de ceux qui leur disent comment penser, à oser s’affirmer malgré son passé. Jason, Achille et Hector sont de nos jours réincarnés dans les (super-)héros de Stan Lee. Véritables inspirations morales et (oserais-je le dire?) philosophiques, ils sont des figures incontournables de la (pop) culture.
Cependant, une question reste en suspens : à l’heure où Homère meurt, quel héritage reste-t-il de ces épopées dans notre culture ?
Le ludique, passeur de culture
Le saviez-vous ? Le comics fait partie de ce que l’on appelle l’art ludique, un mouvement artistique conceptualisé par Jean-Jacques Launier, directeur du (feu) musée Art Ludique, dans son livre éponyme écrit avec Jean-Samuel Kriegk (2011). L’art ludique, c’est tout l’art des industries créatives qui modèle(nt) notre imaginaire : bande-dessinée, manga, jeu vidéo, cinéma d’animation et bien sûr, le comics. Les personnages comme les histoires issues de ces œuvres sont le reflet et l’incarnation de nos références culturelles, de nos imaginaires collectifs, bref : nos mythologies contemporaines. Avec l'ouverture d'Art Ludique – Le Musée le 16 novembre 2013, les héros de l'entertainment deviennent des créations, de l'art. Le musée revendique avec ferveur la dimension artistique qu'est le figuratif-narratif, souvent dénigré dans le milieu de l'art contemporain.
En 2012 naît également un autre projet qui défendra haut et fort les couleurs de la pop culture : BiTS, chronique hebdomadaire sur Arte. Rafik Djoumi, son rédacteur en chef, y offre une lecture originale du monde contemporain en explorant les liens, créant des ponts entre les sciences humaines (histoire, sociologie, etc.) et les cultures. Sa mission ? « Désenclaver la culture pop : montrer en quoi elle nourrit et se nourrit de ce que l’on appelle la culture classique, mais en insistant sur ses mutations, ses réinventions perpétuelles, sa capacité paradoxale d’échapper à la norme alors qu’elle s’adresse à tous ». Aussi, Djoumi insiste sur le fait qu’« il est important de séparer la notion marchande de culture de masse de la notion historique de culture populaire ». Au fond, l’objet de pop culture parle de nous, ses pièces de collections sont des trésors culturels, au même titre qu’une œuvre d’art ou n’importe quel objet ethnographique ayant sa place dans un musée.
Geek is was the new chic
Loin de vouloir surfer sur la vague de coolitude dont le Geek a pu bénéficier dans les années 2000, il est important d’incorporer les objets de la pop culture à ceux de la Culture dans nos musées. Certains diront que cela fût une grâce accordée de force à cette culture longtemps considérée comme marginale. Cependant, il faut bien reconnaître que cette vague a permis d’en soulever une autre dans sa houle. Jamais la pop culture n’a été aussi représentée dans la recherche universitaire que ces quinze dernières années. Mémoires, thèses, journées d’études, théorisation et autres analyses en tout genres et dans toutes disciplines confondues ont menés la pop culture à une institutionnalisation incontestée et incontestable.
Viens là tout le paradoxe de cette démarche : comment parler de l’intelligence de cette culture, intrinsèquement accessible à tous, sans tomber dans l’élitisme, sans trahir ce qui fait sa force ? Bien des musées échouent à être accessibles à tous, et utilisent la pop culture afin de se détacher de l’image de lieu poussiéreux et effrayant. Est-ce par égoïsme (exposition « putassière », blockbuster) ou y a-t-il une intention sincère, bien que souvent maladroite ?
Faut-il faire entrer au musée cette culture de la rue, au risque de la subtiliser au peuple pour la transformer à son tour en une culture qui lui soit inaccessible ? Cette question fut déjà posée par le pop art. Cependant, ce dernier est un mouvement qui analyse, théorise et élitise. L'intérêt de l'art ludique est de connecter l'art contemporain et le grand public, lui dire que ce qui fait la culture populaire issue de ces industries créatives est bien de l'art.
La street cred, un chemin long et tortueux ?
Cannibalisme culturel ?
Bon, il faut être honnête : cette soi-disant guéguerre n’est quasiment plus. Cet engouement pour l’art ludique est totalement accepté voire normalisé. La BD, couronnée du titre de « 9e art » et bien aidée par l’appui du Festival d’Angoulême, n’a plus vraiment à se battre pour avoir sa place sur une cimaise, surtout quand il s’agit de monstres sacrés franco-belges (Moebius à la Monnaie de Paris, Hergé au Grand Palais, Hugo Pratt à Confluences, etc). Le cinéma d’animation, hybride du 7e et 9e art, n’est plus très difficile à défendre non plus (Tim Burton au MoMA). Il faut bien avouer qu’en dehors des événements ou lieux spécialisés, la France reste globalement encore un peu frileuse quand il s’agit d’exposer le comics, le manga ou le jeu vidéo.
Vue de l’exposition « L’Art des Super-Héros Marvel », du 22 mars au 31 août 2014 © Art Ludique
Le Musée Art Ludique fit exception dans ce domaine. Je ne vais pas vous mentir : j’ai un amour sincère pour le travail de ce musée. Déjà par l’audace du couple Launier, qui a initié ce projet ambitieux (et unique sur la scène parisienne), mais aussi par l’admiration que j’éprouve face à tant de travail abattu en si peu de temps d’existence (à peine plus de quatre ans). En proposant pas moins de huit expositions sur les plus grands studios d’animation (Pixar, Ghibli, Aardman, Blue Sky, Walt Disney), les comics (Marvel et DC Comics) et le jeu vidéo, Art Ludique instaura une reconnaissance définitive de ces héros dessinés au sein des beaux-arts. Ses expositions se concentraient essentiellement sur les dimensions artistiques de ces œuvres et techniques de ces productions. Normal étant donné la volonté de se revendiquer comme musée d’art contemporain. Durant mes visites, les ouvertures occasionnelles sur d’autres disciplines qui furent proposées me laissaient autant exaltée que frustrée de ne pas en avoir plus.
Vue de l’exposition « L’Art de Blue Sky Studios », du 25 mars au 25 septembre 2016, où une analyse philosophique du personnage de Scrat par Thibault de Saint Maurice était présentée © Art Ludique
Chaque salle montre les différentes (ré)interprétations d’un même sujet au travers des siècles et des différents médiums et médias.
Vue de la salle Jiangshi de l’exposition « Enfers et Fantômes d’Asie » © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde
La salle des Vampire-sauteurs est l’une des plus étonnante sur ce point. La figure du jiangshi de son vrai nom, fut rendue populaire dans les années 80 grâce aux films Spooky Encounters et Mr Vampire, qui lanceront une grande vague d’émules. Au centre, sur l’estrade, une reconstitution présente des costumes traditionnels de mandarins (issus des collections du musée) sur des jiangshi grimaçants plus vrais que natures, produit par le studio hongkongais QFX Workshop spécialement pour l’exposition. Un diorama façon kung-fu zombie des années 80. De quoi donner des frissons au visiteur qui entre dans la salle, même si la menace est en silicone.
Plus loin, la salle des yokais donne à voir cette réinvention de la représentation de ces créatures fantasmagoriques traditionnelles. Planches d’illustrations, jeux vidéos, figurines issues de mangas ou de longs-métrages d’animation : tous se mélangent et se côtoient dans une même vitrine, élevant les objets en série de la pop culture au rang d’objets ethnographiques légitimement exposables.
Vue de la salle Yokai de l’exposition « Enfers et Fantômes d’Asie » © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde
Seul et unique point noir : l’exposition aurait pu être parfaite si ce n’est la présence regrettable de cette minuscule salle annexe dédiée au jeux vidéo. Pourquoi ne pas les intégrer séparément au reste des salles, comme tous les autres expôts, plutôt que de les cantonner à leur statut de média vidéoludique ?
C’est en cela que réside la force d’impact de ces apparitions dans nos institutions muséales : quand les objets de la pop culture font leur entrée dans les vitrines, cela donne lieu à une toute autre analyse de cette culture longtemps marginalisée. C’est une porte vers d’autres regards que celui de l’art. Sociologie, anthropologique, ethnologique, scientifique et pourquoi pas philosophique ! C’est une reconsidération d’une culture longtemps dédaignée, désignée comme « sous-culture ».
Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités
Auparavant, les termes de ces passions étaient des objets jetables, produits en masse. Omniprésents et donc invisibles : la contre-culture parfaite. Même le milieu de l'art contemporain – toujours en quête de nouveauté, de provocation et de discours sur le monde – n'a osé venir s'y frotter timidement qu'à la fin des années 1990. C'est là qu'intervient l'audace de Diane et Jean-Jacques Launier, qui ouvre en 2003 la galerie Arludik à Paris. Seuls sur le marché de l'art contemporain à vendre des œuvres issues des créatifs de l'entertainment, il est ironique de se dire que 10 ans plus tard, ils fonderont le musée Art Ludique – premier musée de l'entertainment au monde – qui attirera près de 180 000 visiteurs lors de sa première exposition sur « Pixar, 25 ans d'animation ».
En attendant que la valeur artistique de l'art ludique se révèle aux yeux de tous, il restait un mot magique pour forcer les esprits revêches à écouter : le patrimoine. Tout a été trié, étiqueté, entreposé et rangé dans les bibliothèques des maisons d’éditions et autres bases de données des studios de productions – et par les passionnés consciencieux – pour le jour où le présent des institutions culturelles rejoindrait le passé de l'art ludique. Mais est-ce vraiment le monde académique qui a aidé à faire accepter cette culture de masse ? Même si elle est parfois tentée par la mentalité de ghetto, la contre-culture ne se définit pas toujours contre. Cette dernière, pétrie de sciences, n'a jamais été loin du monde académique. N'est-ce pas au California Institute of Arts qu'ont été formés les créateurs actuels de l'entertainment (Tim Burton, Glen Keane, John Lasseter, Michel Ocelot, Brad Bird) ? Il serait donc normal que tous ces artistes, qui ont influencés la planète entière de l'Amérique au Japon, assurent la continuité entre tradition et modernité.
Après tout, le pop art n'a pas absorbé le comic book, il l'a même nourri à son tour. L'entertainment, pas un art ? La bourgeoisie peut toujours essayer de courir après l'art ludique, elle n’empêchera jamais cette culture populaire de se régénérer sans fin et de courtcircuiter tout ce que l'on croit savoir d'elle.
Un peu comme The Amazing Cameoman finalement.
Jeanne Régnier
#stanlee
#artludique
#bdaumusée
#theamazingcameoman
Pour aller plus loin : www.youtube.com/user/bitsartemagazine

Invitation au spiritisme
Oubliez vos peurs et laissez place à l’Esprit
Esprits maléfiques, démons, possessions, cérémonies occultes vous procurent des frissons. Sensation d’être observé, bruits étranges, voix étouffées nous donnent des sueurs froides dans l’obscurité de la nuit. Le monde du paranormal inquiète.
Il va falloir vous débarrasser de vos préjugés sur les esprits pour rejoindre notre groupe de spiritisme. En marchant dans les pas d’Allan Kardec, théoricien du spiritisme, vous entrez dans une nouvelle spiritualité, libre et choisie aux antipodes des religions préétablies.
Ne craignez plus les esprits et leurs manifestations, ils ont offert tant d’opportunités à vos guides… Pour les pratiquants du spiritisme ils n’ont rien d’effrayant. C’est au contraire une chance de pouvoir communiquer avec des personnes mortes, qu’elles soient connues ou non.
Imaginez, une nouvelle forme de socialisation vous est offerte, plus ésotérique mais accessible si vous êtes bien équipé et accompagné. Asseyez-vous autour de la table tournante, posez-y vos mains et laissez les esprits choisir leur médium.
Sachez que c’est une pratique sociale ! Avant vous, bon nombre ont essayé, en public, d’invoquer les esprits.
Vos guides spirituels
Réalisée par Frédéric Lopez, des Portraits debout vous accueillent. Ils retracent les destins inédits de ceux qui vous accompagneront dans votre initiation au spiritisme. Vous verrez les portraits au crayon de vos guides tenant en leurs mains un objet emblématique. Sur leur droite une bande-dessinée biographique résumant les passages marquants de leurs vies de peintres, spirites et guérisseurs.
Entrez et munissez-vous des objets empruntés au musée du surnaturel de Bruxelles et au musée d’histoire naturelle de Lille. Table de Ouija, tableau noir et craies blanches, phonographe… Vous percevrez à travers ces vitrines une multitude d’objets d’horizons différents. Tous rappellent la portée transdisciplinaire du spiritisme français.
A la fois mystique, social et scientifique, le spiritisme permet de convoquer des personnalités très différentes qu’on découvre sur un mur de portraits. De Victor Hugo, à Pierre et Marie Curie, en passant par Camille Flammarion, ou encore Fernand Desmoulins, on constate à quel point le paranormal interroge les sciences, les lettres et les arts.
Phonographe © A.M
C’est pourtant en ignorant tout des pratiques spirits qu’Augustin Lesage entendra des voix en 1911 au fond d’un boyau de mines. « Un jour tu seras peintre ».
Lui qui n’a aucune prédisposition aux arts se met alors à dessiner en obéissant aux volontés des esprits. Parfois il signe ses dessins du nom de Marie, sa petite sœur décédée. Il se laisse guider par ces esprits, jusqu’à ce qu’ils lui demandent de peindre. Il achètera alors une grande toile vierge de neuf mètres carrés et la peindra en entier avec ce style qui lui est propre, minutieux et géométrique. Toujours en contact avec l’au-delà via des séances de spiritisme, il peindra jusqu’à sa mort, réalisant près de huit cents tableaux.
En 1933 c’est à Victor Simon que les esprits intiment de peindre. Plus jeune, minier et connaisseur du monde spirit, il rencontre Lesage. Ce dernier le désignera comme son successeur. Victor Simon se fait peintre, écrivain, conférencier et guérisseur. Dans la lignée de Lesage il peint de grandes toiles spirituelles. On y voit des temples, des figures religieuses mais aussi des inspirations orientales et plus précisément égyptiennes. Cette époque de découverte et de recherche sur cette civilisation antique influence l’œuvre de Simon. Sont présentées en échos à ces œuvres spirits des figures empruntées au musée Antoine Lécuyer de Saint-Quentin et au musée d’art et d’archéologie du Pays de Laon.
Fleury Joseph Crépin est le dernier peintre, spirit et guérisseur que vous rencontrerez lors de cette visite. A cet ancien plombier-zingueur a été adressé une lourde mission : arrêter la Seconde Guerre Mondiale en peignant exactement trois cents tableaux. Après quelques communications spirituelles il se lance dans cette quête de paix en 1939 jusqu’au 7 mai 1945. La veille de l’armistice il finit, signe et numérote son trois-centième tableaux. Point final de la Seconde Guerre.
Mais ce n’est pas tout, sur lui et ses peintures repose aussi la paix mondiale et définitive. Plus de guerre, plus de drame lui promettent les esprits, « tu feras quarante-cinq tableaux merveilleux et le monde sera pacifié ». Malheureusement, Crépin meurt avant le dernier tableau, nous laissant dans ce monde qui s’entretue.
Fleury-Joseph Crépin, Le temple des fantômes, n°72, mars 1940. Ancienne collection Nicolas Schöffer, LaM. © DR. Photo : N. Dewitte / LaM
A vous maintenant…
A vous maintenant de découvrir ce qui semble pourtant invisible. Et ne vous inquiétez pas, d’autres artistes (bien vivants ceux-là) vous guiderons dans vos découvertes. Vous rencontrerez Mathilde Lavenne et son Artefact #0 Digital Necrophony, adaptation numérique du phonographe, devenu nécrophone de Thomas Edison. Lui, étudiait scientifiquement les phénomènes paranormaux, et inventait des systèmes techniques pour communiquer avec les morts. Elle, interroge le monde numérique, sa durabilité, son au-delà et les messages qu’il pourrait nous transmettre. De cet univers mortuaire naissent des sons, des formes et des mouvements indéfinis semblables à des ectoplasmes.
Vous verrez aussi Rainier Lerigolais, Tentative de moulage d’eau, une œuvre de bronze qui rappelle l’aspect imprenable et insensible du monde des esprits et du spiritisme. Dans cette même salle vous entendrez des chuchotements : Paroles effeuillées du même artiste. Cette pièce sonore de plus de vingt minutes vous plonge dans l’incertitude, l’invisible et désoriente votre découverte. Comme les esprits qui vous guettent, les voix vous tournent autour, s’éloignent, reviennent et vous accompagnent jusqu’à la pièce suivante : la bibliothèque. Vous y trouverez des références, des appuis théoriques alliant toutes les disciplines que le spiritisme a touchées : les sciences, les techniques, plusieurs moments d’histoire, les lettres, la philosophie, la sociologie et bien sûr, les arts.
Ranier Lerigolais, Tentative de moulage d’eau, 2008, bronze. Courtesy de l’artiste et galerie Thomas Bernard / Cortex Athletico © A.M
Adieu ?
Votre initiation se clôture par le Temple infini, dans cette dernière salle tous se rencontrent. Vos guides se côtoient et s’entourent d’autres peintres, dessinateurs, sculpteurs et poètes contemporains. Preuve que le spiritisme français est toujours source d’inspiration pour les artistes et pour les passionnés qui fleurissent la tombe d’Allan Kardec.
En quittant cette exposition spirite rappelez-vous : comme Lesage, Simon et Crépin, faites confiance aux voix qui vous guident…
Angèle Ménétrier
#spiritisme
#expospirits
#artcontemporain

J’ai été "Cognée" à Grenoble !
C’était du 10 novembre 2012 au 3 février 2013, que s’est déroulée au Musée de Grenoble, coproduite avec le Musée des beaux arts de Dole, l’exposition Philippe Cognée. C’était la première rétrospective de cette ampleur en France consacrée à cet artiste contemporain.
Une exposition, un artiste, un lieu

© Musée de Grenoble
Outre la présentation de l’art d’un artiste, le Musée de Grenoble à mis en évidence dans cette exposition, des techniques. En effet, on pouvait distinguer des peintures à l’encaustique sur toile marouflée sur bois, des aquarelles sur papier Anches ou encore des aquarelles sur velin d’Arches. Cette profusion de supports était complétée par la richesse des prêts qui venaient du fonds régional contemporain de Provence-Alpes-Côte-D’azur, de Franche-Comté, du musée des Beaux-arts de Nantes, du Centre Georges Pompidou, pour ne citer que quelques exemples.
Une exposition : plusieurs temps

©Droits réservés
Cette exposition ne se déployait pas uniquement au sein de l’espace muséal dédié aux expositions temporaires. Ainsi, une première œuvre datant de 1984 se trouvait avant l'espace dédié aux collections temporaires, tandis que deux œuvres de 2012 se situaient après.
Ces trois pièces servaient donc de transition entre les collections permanentes et la rétrospective. De plus, elles tenaient lieu d’introduction et de conclusion, à la fois de l’exposition et du parcours de l’artiste. En effet, une fois entré à l’intérieur du parcours temporaire,le visiteur pouvait admirer des œuvres datant des années 1990 jusqu’à 2012. Par ailleurs, le parti pris de l’exposition n'était pas d'afficher des panneaux explicatifs. Il était donc surprenant mais intéressant de ne pas trouver une biographie au début de la rétrospective. Ces informations avaient surtout pour objectif de rassurer les visiteurs. Alors que cette absence aurait pu en frustrer plus d’un !Cependant, ces derniers ont été très vite rassurés puisqu’une salle de projection diffusait deux films contenant des renseignements sur la démarche de l’artiste et sur son parcours. A ce propos, deux schémas étaient envisageables. Soit le visiteur regardait les vidéos en guise de « mise en condition » pour peut-être mieux appréhender les œuvres, ou alors, il pouvait les visionner à la fin de l’exposition afin de confronter le regard qu’il avait porté sur les tableaux avec celui de l’artiste.
Une inquiétante étrangeté

© Droits réservés
Un prétexte à un cours d’anatomie ?

©Musée de Grenoble
Lors de son parcours le spectateur était confronté à deux œuvres fortes, intitulées Cervelles et cœurs (1996). L'œuvre quasiment « abstraite », évitait une confrontation brutale avec le jeune public puisque l’objet du tableau apparaissait uniquement dans un second temps. Ainsi que l’œuvre l’Homme chien (2001), qui représente un gros plan sur un sexe masculin. Ici, la question sur la sensibilité des enfants était posée mais beaucoup de parents profitaient de ces œuvres pour expliquer brièvement le fonctionnement du corps humain et ainsi donner un petit cours sur l'anatomie. Le même questionnement revenait un peu plus loin dans la visite. C'était une façon intéressante de créer un nouveau lien entre l'enfant et les œuvres et l'apprentissage que celles-ci pouvaient apporter.Une salle pouvait elle aussi être dite « choquante » dans laquelle on retrouvait une série intitulée Carcasses(2003) ; qui n’est pas sans évoquer le Bœuf écorché de Rembrandt. La scénographie, ici, possédait une force propre, puisque ces œuvres venaient montrer une réalité qui peut déranger. Ce sentiment de mal être était renforcé par le contraste violent entre la blancheur des murs et la couleur rouge des tableaux ainsi que la profusion d’images qui enveloppait le spectateur. Là aussi, une leçon pouvait en ressortir, aussi bien pour les enfants que pour les parents.
Hormis les quelques œuvres montrant l’anatomie animale ou humaine, les paysages ruraux,les paysages urbains, les objets du quotidien ainsi que les personnages,étaient des thèmes récurrents présents dans cette exposition temporaire.
Alizée Buisson
5, place Lavalette
38000 GrenobleVoici d'autres liens, pour continuer à apprendre sur cet artiste :Exposition permanente à la Galerie Daniel Templon, ParisDossier de presseReportage de ArteUne autre exposition auMusée de l'Hospice Saint-Roch, Issoudun

Jeanne Susplugas à l’Ardenome: un voyage au cœur du cerveau
Parcours de l'exposition
Wall Drawing de Jeanne Susplugas © Elise Franck
Light House III de Jeanne Susplugas © Dou
Je finis mon parcours de visite, à l'étage, sur la mezzanine avec une vue d’ensemble sur toute la première salle.
Un poétique patchwork d'images et de références
Flying House de Jeanne Susplugas, avec le Playmobil comme référence à l’enfance © Elise Franck
In my brain de Jeanne Susplugas, avec la reprise par endroit du graphisme “Bitmoji” © Elise Franck
Zoom sur I will sleep when I’m dead, une déambulation cérébrale en réalité virtuelle
Pour aller plus loin:
#artcontemporain
#jeannesusplugas
#realitévirtuelle
Knock Outsider Komiks
Des bandes dessinées créées à partir du textile, impressions 3D, photographies, monotypes, gravures, abstractions, vidéos d'animation… ? C’est par ici !
Knock Outsider Komiks, un projet de La « S » Grand Atelier qui lie la BD à la création outsider¹, crée à la demande du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, est maintenant exposé au Art et marges musée à Bruxelles².
Installation des gravures sur bois et du court-métrage d’animation Après la mort, après la vie, un projet de mixité entre Adolpho Avril & Olivier Deprez © L.M.
Le Art et marges musée, musée d'art brut et art outsider, est consacré à la conservation, à la recherche et à la diffusion des créations en dehors du circuit traditionnel artistique, questionnant l’art et ses frontières. Une partie importante de sa collection s’est constituée auprès d’ateliers artistiques pour personnes porteuses d’un handicap mental, dont La «S » Grand Atelier.
Situé à Vielsalm dans les Ardennes belges, La «S » est un laboratoire de recherche artistique qui accueille des artistes atteints d'une déficience mentale et des artistes non-déficients qui viennent en résidence. En sortant du discours de la « sanctuarisation » de l'art brut/outsider, au lieu d'isoler les individus en marge de toute sorte d'influences extérieures, le but de La « S » est justement le contraire. Loin de toute considération compassionnelle, positionnement emphatique de la structure, elle se singularise par sa volonté d'intégration, de rendre possible des rencontres et d’interagir avec tous les champs de l’art actuel. Dans cette perspective, à partir des résidences où artistes handicapés ou non échangent,expérimentent et créent ensemble, naissent des projets complètement étonnants et singuliers, notamment dans la BD.
La bande dessinée a connu des évolutions radicales ces dernières années sous l'impulsion des maisons d'éditions indépendantes ou alternatives, dont Frémok fait partie. Thierry Van Hasselt est l'un de ses fondateurs et également co-commissaire de Knock Outsider Komiks. Selon lui, « le Frémok envisage la bande dessinée d'une manière plus large. Pas une espèce de langage avec des règles définies, mais plutôt un terrain d'exploration, un terrain de jeu, un milieu en expansion qui essaie toujours de recréer les limites et les frontières de la BD, qui s'intéresse à la mixer avec d'autres domaines, à la faire sortir de ses cadres habituels. »
Anne-Françoise Rouche, directrice de La « S », avait trouvé des similitudes entre le travail des artistes de la structure et celui de Frémok. En réunissant l'aspiration de La « S » de s'ouvrir vers l'extérieur et vers le développement de la bande dessinée alternative, et la perpétuelle recherche des nouvelles formes de la part du Frémok, leur connexion était inévitable, sur un terrain qui n'était pas encore exploré.
Les cases de BD redessinées et agrandies par Jean Leclercq © L.M.
La bande dessinée et l'art outsider : une rencontre improbable ?
Selon Erwin Dejasse, également co-commissaire de Knock Outsider Komiks et historien de l’art, sous un premier regard l’articulation entre bande dessinée et art brut semble un lien improbable : « A priori, tout oppose la bande dessinée et les créations brutes ou outsider. La première est souvent présentée comme un langage dont la pratique exige la maîtrise d’un ensemble de codes voire d’un vocabulaire et d’une grammaire. Les secondes, au contraire, semblent se définir par leur totale absence de règles. »
La BD comprend tout ce qui est narratif et anecdotique. L'anecdotique est également présent dans l'art brut/outsider. La dimension narrative, en revanche, reste moins évidente lorsqu'une forte caractéristique dans les outsiders est notamment l'hermétisme. Le défi était donc de voir ce qui pourrait se passer si on mettait en relation les artistes de La « S », qui étaient plasticiens et qui travaillaient cette grande liberté graphique, et ceux du Frémok, qui ont l'habitude de manipuler narration et récit.
Thierry Van Hasselt témoigne de cette expérience : « À La « S » on pensait au départ du projet qu'on allait nous (le Frémok) ramener cette dimension narrative et construire du récit avec le matériel graphique qui amenait les artistes handicapés. Pourtant ça a été tout à fait une autre chose qui s'est passée. Leur poésie et leur manière d'être, de s'exprimer et de raconter des choses a complètement contaminé le travail narratif. Et ce que nous a complètement transformé lors de ce projet c'était justement quel type de narration cette rencontre nous permettrait d'explorer et de découvrir. Et donc nous aussi avons appris à raconter autrement en travaillant dans ce projet de mixité et cela nous a permis de mettre en place d'autres types de dispositifs narratifs. Sur Knock Outsider Komiksla narration était vraiment générée à quatre mains. »
Créations textiles, photographies et le «ciné-roman » Barbara dans les bois, un projet de mixité entre Barbara Massart& Nicolas Clément © L.M.
Erwin Dejasse complète : « Knock Outsider Komiks montre des artistes qui vont être à la fois plus qu'au limite de la bande dessinée. On peut se questionner si une création est de la BD et parfois la première réponse est non, même s'il y a des éléments en commun. Mais on sent qu'il y a un état d'esprit similaire, il y a des choses qui dialoguent. On ne s'arrête pas de poser des questions entre les limites de la BD et de l'art outsider, mais autant pour cette exposition il fallait se laisser aller, de faire au feeling. Donc on montre une photographie de ce qui a été produit à La « S » au long de ces années de résidence, plutôt orientée vers quelque chose qui touche à la BD. Mais on ne va pas arrêter de déborder ce domaine pour autant qu'il n'y aie pas une définition de bande dessinée que ne puisse être débordée des frontières instituées. »
Knock Outsider Komiks dans les murs du Art et marges musée
À Angoulême, La « S » a mis en place une exposition de qualité qui a connu énormément de succès. Néanmoins, la courte durée du festival - 4 jours - a laissé une envie d'aller plus loin et de rendre Knock Outsider Komiks accessible à un plus large public. Anne-Françoise Rouche a donc proposé à la direction du Art et marges musée, collaborateur de longue date, de l'exposer dans ses murs pou rune deuxième édition, quelque peu différente.
Tatiana Veress, directrice du Art et marges musée, s'est montrée enthousiaste du projet : « Il y a cet aspect collaboratif qui correspond à la philosophie du musée depuis ses débuts, de faire des expositions qui présentent à la fois des artistes outsiders et des artistes insiders sans le besoin de préciser que l'artiste est in ou que l'artiste est out. »
Exposer Knock Outsider Komiks au Art et marges musée correspond également à l'envie de présenter des dialogues entre l'art outsider et les différents domaines de l'art en ne se limitant pas aux arts plastiques, mais de pouvoir toucher le cinéma, la musique, la photographie... et la bande dessinée fait partie de cette ouverture.
Sur le mur à gauche, les monotypes de Pascal Cornélis. À droite, Comix Covers, de Pascal Leyder © L.M.
Par ailleurs, faire venir cette exposition à Bruxelles est très important car la Belgique porte une identité particulière par rapport à l'histoire, à la reconnaissance et au constant développement de la bande dessinée. La BD est très présente dans la culture belge avec des grands éditeurs, des structures, des librairies spécialisées, un Musée de la BD, des personnages partout sur les murs des villes... Tous ces aspects font que dès qu'on parle de BD en Belgique, on rencontre une réceptivité singulière.
Tatiana Veress précise : « On présente la bande dessinée, mais c'est un "uppercut aux catégories instituées". Donc le visiteur qui vient en se disant "je vais visiter une exposition de bande dessinée" sera forcément déstabilisé. Et c'est cet aspect de déstabilisation qui est intéressant. Il y a des œuvres qui sont très proches de la BD, qui recréent ses cadres, par exemple, mais déjà avec des codes un peu différents, une certaine liberté naïve. Sinon il y a des choses qui sont apriori fort éloignées de la BD, où on est dans des œuvres très abstraites. Dans ce cas, c'est plutôt le principe sériel, l'accumulation et la séquence qui évoquent l'idée de la narration existante aussi dans la BD contemporaine. Donc on est plus proche d'un univers plus alternatif qui présente une nouvelle génération de bande dessinée. Et en même temps on a encore un regard en marge parce que dans l'exposition on intègre des artistes qui ne viennent pas du monde de la BD et qui ne viennent pas non plus du monde de l'art officiel.
Et à chaque fois qu'on travaille avec une thématique particulière c'est l'occasion de toucher des nouveaux publics. La possibilité d'aller à la rencontre d'un public plus amateur de bande dessinée qui pourrait découvrir l'art brut, qui ne la connaissait pas auparavant, cela joue en faveur de notre objectif de faire connaître ces artistes et l'art brut de façon plus large. »
Ateliers Créatifs pour les publics
Le Art et marges musée possède également un espace ouvert au public dédié à l'Atelier Créatif où les visiteurs sont invités à s'exprimer d'après ce qu'ils ont regardé et ressenti dans l'exposition. Dans le cadre de Knock Outsider Komiks, le sujet abordé par l'atelier concerne la narration et les différentes techniques graphiques.
« Lorsque l'exposition met en avance des projets menés en collaboration, l'idée est de construire une histoire ensemble, à plusieurs mains et à plusieurs techniques. Dans l'atelier on trouve des grandes feuilles de papier accrochés sur les cimaises avec des cases pré-dessinées où chacun peut apporter sa contribution plastique dans ce qui deviendra une narration, ou pas. En tout cas, qui aura une allure de planche de bande dessinée. », affirme Sarah Kokot, responsable des publics du Art et marges musée. « Et dans ce qui concerne l'activité prévue pour les enfants, l'idée est d'aborder la gravure et comment elle est faite. Il y aura des créations à partir des décalques en feuilles de carbone et du monotype à la gouache. »
L'Atelier Créatif du Art et marges musée pour l'exposition Knock Outsider Komiks © L.M.
Rencontres autour de l’exposition
Afin d'élargir le débat sur la bande dessinée et l'art outsider, le Art et marges musée, La « S » Grand Atelier et l'ISELP (Institut Supérieur pour l'Étude du Langage Plastique) organisent encore des conférences et des visites guidés autour de Knock Outsider Komiks.
Art Brut et bande dessinée : influences, convergences et sympathies sera une conférence présentée par Erwin Dejasseet Voyage à FranDisco une conférence-performance réalisée par Marcel Schmitz (artiste de La « S ») et Thierry Van Hasselt sur leur projet de mixité homonyme³.
Luana Medeiros
#BandeDessinée
#BDalternative
#ArtOutsider
¹ L’art outsider désigne la création en dehors du circuit traditionnel de l’art. Elle englobe des créateurs marginaux, des autodidactes, souvent provenant d’ateliers artistiques pour personnes porteuses d’un handicap mental ou du milieu psychiatrique.
² Infos pratiques Knock Outsider Komiks
Exposition du 29 septembre 2017 au 28 janvier2018
Art et marges musée
Rue Haute 314, Bruxelles
Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.Fermeture les lundis et les jours fériés officiels.
³Infos pratiques des rencontres
Jeudi 9 novembre 2017
A L’iselp, 18h30-19h45 : Conférences d’Erwin Dejasse, Marcel Schmitt et Thierry Van Hasselt.
Au Art et marges musée, 20h15 : Visite guidée de l’exposition en compagnie des commissaires.Plus d'informations:
http://www.lasgrandatelier.be/
Remerciements à Erwin Dejasse, Sarah Kokot,Thierry Van Hasselt et Tatiana Veress qui ont été interviewés afin de collaborer sur cet article.

L'ADN du street art
Des ducs de Lorraine à la culture urbaine
Quand on pense street art, et plus généralement cultures urbaines, on pense plus volontiers à New York ou Philadelphie qu’aux villes de province françaises. Et pourtant, depuis quelques années maintenant, des œuvres colorées fleurissent sur les murs des villes de toutes envergures, et des sculptures et des installations contemporaines viennent habiller l’espace public plus ou moins régulièrement. Si l’art de rue est clairement inscrit dans l’ADN de certaines villes, d’autres n’ont choisi d’explorer ce terrain que récemment : Toulouse par exemple a vu cette forme d’expression artistique se développer sur ses murs dès les années 1980, et si les premiers graffeurs ont d’abord joué au chat et à la souris avec la municipalité, la ville rose revendique aujourd’hui d’avoir été l’un des berceaux du street art français. D’autres villes ne disposent pas de cette culture de l’art dans l’espace public : ainsi, si la Cité des Ducs a accueilli quelques œuvres depuis 1988, elle n’a pour autant pas développé une grande culture de l’installation dans l’espace public1.
Les dernières élections municipales ont marqué un tournant pour le street art nancéien (notons qu’il est question ici du street art « institutionnel », et non pas de l’art de rue dans sa globalité) : le projet « Aimons Nancy - Cap sur 2020 », porté par Laurent Hénart, affirme le développement de l’art urbain comme l’une de ses priorités. La ville arbore ainsi fièrement un nombre croissant d’œuvres de street art depuis l’été 2015 : des artistes de renommée locale, nationale et internationale ont ainsi été sollicités pour habiller l’espace urbain. L’idée étant d’encourager une production artistique riche et variée, complémentaire aux propositions des musées et des galeries de la ville, qui puisse être accessible à un public plus large. En pratique, cette entreprise se traduit par la mise en place de nombreuses commandes artistiques publiques, émanant d’acteurs en lien avec la ville : certaines œuvres sont commandées par la Ville de Nancy, d’autres par la Métropole du Grand Nancy. Une installation peut également être un dépôt du FRAC Lorraine à l’initiative de la Ville, ou être le fruit d’une coproduction entre la ville et une galerie d’art. La gigantesque fresque « Giulia » réalisée en 2015 par l’artiste David Walker illustre bien le second cas de figure : c’est suite à l’invitation de la Galerie Mathgoth, spécialisée en art urbain et installée dans le XIIIème arrondissement de Paris, que le célèbre portraitiste mural s’est déplacé à Nancy. La Ville étant propriétaire du mur sur lequel a été réalisée la fresque, l’œuvre résulte d’une coproduction entre elle et la galerie.

David Walker, Giulia © Ville de Nancy
ADN : L'art à portée de rue
L’opération « ADN » (pour « Art Dans Nancy ») a pour objectif principal la création d’un musée à ciel ouvert via un parcours de street art, qui vienne compléter l’offre artistique proposée par les musées de la ville, l’idée étant d’offrir à la vue des œuvres variées qui viennent aussi bien rythmer le quotidien des Nancéiens, qu’attiser la curiosité des touristes ou des visiteurs de passage. Voici un aperçu (non-exhaustif) des types d’œuvres que les passants peuvent rencontrer en arpentant la ville.
Ces œuvres dans la ville sont de natures variées, et ne sont pas placées au hasard dans l’espace public. Une œuvre peut être le fruit de la demande d’un mécène, ou accompagner les transformations de la ville : ainsi, lorsque la rue des Ponts est devenue semi-piétonne en 2015, les artistes suisses Sabina Lang et Daniel Baumann ont réalisé « Street painting #8 », une œuvre colorée à même le sol, dans l’idée d’interroger l’architecture des lieux et de marquer la fermeture de la rue aux automobiles. Cette œuvre à l’esthétique pop permet également de créer un autre rapport à la création contemporaine, puisque les passants peuvent marcher directement sur l’œuvre et ainsi mieux se l’approprier.

Lang/Baumann, Street Painting #8 © Ville de Nancy
Ces changements dans l’espace urbain peuvent faire l’objet de plusieurs installations successives, d’ampleur grandissante : la rénovation de la place Thiers, située devant la gare, s’est accompagnée de la mise en place de modules d’exposition sur lesquels les passants peuvent observer les projets photographiques d’artistes locaux, comme le collectif Salle de Shoot ou l’artiste Arno Paul. Le changement de nom de la place, qui passera de « place Thiers » à « place Simone Veil », fait actuellement l’objet d’un appel à projet publié par la Ville, dans le but d’installer sur la place une œuvre faisant écho à l’action de Simone Veil pour les droits de l’Homme, et pour les droits des femmes.

Modules d'exposition, place Thiers © lasemaine.fr
Une œuvre peut également faire écho au patrimoine local : il en va ainsi pour le portrait monumental « Stan » réalisé par Jef Aérosol à quelques pas de la place Stanislas, créant ainsi un effet de perspective et de dialogue avec celle qui fut désignée comme étant l’une des plus belles places d’Europe. Notons que cette œuvre est, comme « Giulia », le fruit d’une commande artistique de la Ville de Nancy en collaboration avec la Galerie Mathgoth.

Jef Aérosol, Stan © Galerie Mathgoth
Enfin, les œuvres dans l’espace urbain peuvent entrer en résonance avec l’activité des musées de la ville : à l’occasion de la fermeture pour rénovation du Palais des ducs de Lorraine (le musée lorrain), la Ville de Nancy a passé commande à Julien de Casabianca. Dans un premier temps, l’artiste a été invité à découvrir les collections du musée lorrain ; il a ensuite choisi certaines œuvres, dont il a reproduit, agrandi puis collé les personnages en format géant sur les murs des bâtiments de la ville. Ce ne sont donc pas moins de vingt personnages des collections du musée lorrain qui ont été « libérés » dans la ville ; l’idée de faire de la ville un musée à ciel ouvert prend alors tout son sens.

Julien de Casabianca, Outings © Nancy Tourisme Info
Quelles médiations autour de ces oeuvres?
Cette opération s’axe sur trois points principaux :
- Le développement d’un parc d’installations urbaines pérennes, grâce à l’acquisition d’œuvres par la Ville (ou la Métropole),
- La programmation évènementielle sur l’espace public, en lien avec le parcours street art mis en place dans le cadre de l’opération,
- La médiation et la communication autour des œuvres, le travail en direction des publics et la valorisation et l’entretien de l’existant.
La question de la médiation autour des œuvres placées dans l’espace public est toujours délicate. C’est pourquoi le département des publics de la Direction Nancy-Musées propose une initiation à l’art urbain via la conception d’un parcours street art, à réaliser en visite libre ou en visite guidée, permettant de découvrir les œuvres installées dans les principaux quartiers du centre-ville. Le service des publics met également à disposition un dossier pédagogique, facilement consultable sur internet, détaillant la carrière des artistes, l’historique et la signification des œuvres et les techniques employées pour les réaliser. Des distributeurs de dépliants « ADN » sont placés à des endroits stratégiques de la ville (des lieux de passage), afin que chacun puisse avoir aisément accès aux informations nécessaires pour comprendre et apprécier le projet mis en place par la collectivité.
Au final, les projets de cet acabit présentent de nombreux avantages pour les villes, parmi lesquels ceux de rajeunir leur image, et de permettre une approche différente de l’art pour les habitants, et d’insuffler une nouvelle dynamique au tourisme : les parcours que composent les œuvres permettent aux visiteurs de passage dans la cité des ducs d’arpenter les différents quartiers de la ville à la recherche des œuvres, découvrant ainsi les lieux et monuments phares de la ville le temps d’une escale. A Nancy, les graffiti outdoor font écho à des œuvres placées dans les musées : ainsi l’anamorphose de Felice Varini s’invite dans le parcours permanent du Musée des Beaux-Arts, créant un pendant aux personnages de Julien de Casabianca tout droit sortis des réserves pour s’en aller arpenter les ruelles de la ville.

Felice Varini, Anamorphose © Jason Whittaker sur Flickr
Solène Poch
#streetart
#nancy
#insitu
1. Propos de Pierre Mac Mahon, Pôle Culture et attractivité, direction des affaires culturelles, Services « Arts visuels » et « Art dans la ville » (ville de Nancy)
Sur l’opération ADN et les œuvres

L'art de la mort
L'affiche de l'exposition Bêtes de scène et l'oeuvre Dimaonds Fly Away de Laurent Perbos © M.T
Mise en scène de crânes et d’ossements dans les catacombes de Paris © M.T
Une œuvre de L’Ossuaire Dégingandé et l’Accident de chasse de Pascal Bernier © M.T & P.T
M.T
Pour aller plus loin :
L’exposition Bêtes de Scène : https://fondationvilladatris.fr/2019-betesdescene/
Les catacombes de Paris : https://www.catacombes.paris.fr/
La Chapelle des Os : https://fr.wikipedia.org/wiki/Capela_dos_Ossos
La série Of Genuine Contemporary Beast : https://artmur.com/artistes/renato-garza-cervera/of-genuine-contemporary-beast/
L’œuvre Fish-O-Vision : http://ericstaller.com/urban-ufos/fish-o-vision/
L'installation Elevée(s) en galerie : https://www.paris-art.com/elevees-en-galerie/
Les œuvres de l’artiste Claire Morgan : http://claire-morgan.co.uk/2014-2/#masonry
#Mort
#Art
#Tabou

L'artiste commissaire, une figure légitime ?
La figure de l’artiste commissaire est depuis quelques années au centre de nombreux questionnements. Etudiante en muséographie-expographie et passionnée d’art contemporain, cette problématique m’interroge et me concerne tout particulièrement. En effet, quelle place ou pouvoir de décision laisser à un artiste dans la réalisation d’une exposition qui lui est consacrée ? L’artiste est-il plus légitime que le commissaire à concevoir une exposition qu’elle lui soit dédiée ou non ?
Jerome Zonder, Maison Rouge
Une longue histoire ?
Historiquement,la figure de l’artiste commissaire n’est pas récente. Comme le rappelle Julie Bawin dans L’artiste commissaire(2014),il s’agit d’une pratique courante depuis le XIXème siècle dont Courbet est un exemple majeur.
Initialement, les artistes commencent à organiser eux-mêmes les conditions de monstration de leurs œuvres dans le but de garder une certaine indépendance vis-à-vis des institutions qui les exposent traditionnellement. Ceci avait pour objectif de prévenir l’instrumentalisation de leur travail, de faire en sorte qu’il ne reflète des valeurs ou qu’il ne soit porteur d’un discours contraire à celui voulu par l’artiste.
Dans le monde de l’art contemporain, le statut de commissaire est quant à lui plus précisément défini et ne prend l’acception que nous lui connaissons aujourd’hui,que très récemment. Harald Szeemann engage tout au long des années 1960-1970,de nombreuses réflexions autour du rôle de commissaire et tente d’en spécifier les missions. La place du commissaire d’exposition n’a cessé de prendre de l’importance au point d’être souvent remise en question par les artistes. Cela a notamment été le cas de Buren qui a fréquemment décrié les commissaires se pensant artistes.
Les vives tensions existantes entre les artistes et les commissaires proviennent notamment, comme Buren l’avance, de l’assujettissement ressenti par les artistes de leurs œuvres au propos d’une exposition et à la vision d’un commissaire.
Toutefois, quand les rôles s’inversent et quand l’artiste prend le rôle de commissaire, cela lui semble davantage légitime. Buren a, en effet, été commissaire pour plusieurs exposition dont celle de Sophie Calle, Prenezsoin de vous[1].L’artistejustifie cela de la façon suivante :
« Lorsqu’un artiste empiète un peu sur ce métier de commissaire, il reste avant tout un artiste et on peut lui faire crédit sur ce plan-là. D'autre part, lorsqu'un artiste «joue»à devenir commissaire, il en a automatiquement les attributs, que l'exposition soit bonne ou non, mais lorsqu'un commissaire se décrète artiste qui peut dire qu'il l'est subitement devenu »[2].
Incontestabilité de l’artiste commissaire ?
Un artiste sait-il mieux que quiconque comment exposer, évoquer et valoriser son travail ou celui d'un autre artiste ? Le questionnement est légitime et le résultat est parfois probant. La conception d'une exposition par un artiste donne lieu à des rendus toujours très intéressants et peut être également à des expositions détenant un supplément d'âme, comme peut en témoigner l'exposition de Jérôme Zonder, Fatum, visible à la Maison Rouge en 2015.
Vue de l’exposition Fatum à la Maison Rouge, © image Galerie Eva Hober.
Jérôme Zonder, qui travaille principalement (voire exclusivement) autour de la technique du dessin, réalise pour l’exposition d’immenses œuvres au fusain et à la mine de plomb destinées à être accrochées dans les espaces l’exposition. Complètement libre dans sa conception, Jérôme Zonder a pris le parti de faire rentrer physiquement le spectateur dans un de ses dessins. Dans cette optique, l’ensemble des espaces d’exposition a été recouvert du sol au plafond des dessins de l’artiste.
L’environnement dans lequel est plongé le visiteur renforce l’angoisse ou la dimension cauchemardesque des œuvres présentées au sein de l’exposition.
Vue de l’exposition Fatum à la Maison Rouge, © image Galerie Eva Hober.
Travaillant autour du thème de l’enfance, de la violence, de la peur, Jérôme Zonder confronte au sein de ses œuvres la grande Histoire à la petite, dans des scènes où se mêlent imagerie populaire et actes de violence. En élaborant le parcours,l’artiste établit un rapport très fort entre lui, les visiteurs et son œuvre.Effectivement, en jouant sur l’inconfort que suscitent ces représentations et par l’immersion du spectateur dans cette œuvre d’art total, Jérôme Zonder intervient efficacement sur ses sentiments et ses émotions. D’une certaine manière, plus que tout cartel ou texte explicatif, il s’agit d’une des meilleures façons qu’il soit pour un artiste de faire ressentir et comprendre les implications de son travail à un public.
Ce type d’expositions joue, il est vrai, davantage sur la sensorialité et l’émotion que sur une dimension plus scientifique ; Chose qui peut être due à un manque de recul ou de perspective de l’artiste sur son travail. Cependant, ce n’est pas spécifiquement ce qui est demandé à un artiste lorsqu’il est appelé à investir un lieu.
L’artiste donne à voir ce qu’il veut de son travail tout comme un commissaire peut avoir un regard particulier et spécifique sur son œuvre. Yves Michaud le souligne d’ailleurs dans L’artiste et le commissaire :« toute exposition constitue un cas de manipulation ». En effet, que cela soit du fait de l’artiste ou du commissaire, une exposition est toujours l’expression d’un point de vue particulier et de partis-pris subjectifs.
La figure de l’artiste commissaire séduit de plus en plus les institutions. Très régulièrement depuis 2007, le Palais de Tokyo invite des artistes à concevoir une exposition. Gage d’attractivité indéniable, les cartes blanches données aux artistes permettent également de percevoir différemment la pratique d’un artiste mais aussi d’adopter son regard sur le travail ou l’œuvre d’autre sartistes.
Vue de l’exposition I love Ugo Rondinone au Palais de Tokyo,© Palais de Tokyo.
Cela est notamment le cas de l’artiste Ugo Rondinone dont les qualités de commissaire ont été sollicitées à plusieurs reprises au Palais de Tokyo. Une première fois en 2007 lors de l’exposition The Third Mind et plus récemment lors de l’exposition I love John Giorno visible du 21 octobre 2015 au 10 janvier 2016.
Au travers de fragments de poèmes et de citations présentées sur des tableaux peints à l’acrylique, de films et autres documents d’archives, Ugo Rondinone rend dans cette rétrospective,hommage à l’œuvre de son compagnon, le poète américain John Giorno.
Bien qu’invitant d’autres artistes à collaborer sur l’évènement, le titre de l’exposition lui-même ne reflète pas une franche objectivité. D’autant plus qu’il s’agit d’une exposition réalisée par une personne proche, pour une personne chère et rendue publique et quel est l’intérêt du public pour cela ? Du voyeurisme ?
Laisser un artiste ou un commissaire d’exposition seul aux commandes d’une exposition a son lot d’avantages et d’inconvénients. Le réel enjeu c’est avant tout ce que les publics en tirent et ce qui va favoriser une meilleure compréhension du travail ou tout simplement entraîner un autre regard sur des œuvres ou sur une pratique.
Vue de l’exposition I love Ugo Rondinone au Palais de Tokyo,© Palais de Tokyo.
On pourra toujours reprocher à une exposition réalisée par un commissaire de ne pas respecter la pensée de l’artiste tout comme on pourra reprocher à l’artiste son manque d’objectivité.Toutefois une forme d’exposition n’en remplace pas une autre. Ne faudrait-il pas plutôt considérer ces différentes propositions comme de bons pendants ?
Sarah Hatziraptis
#commissaire
#artiste
#exposition
Bibliographie
- Julie Bawin, L'artiste commissaire,entre posture critique, jeu créatif et valeur ajoutée, Paris,Éditions des archives contemporaines, 2014. - Laurent Boudier, « Curateur, ce nouveau métier du monde de l'art », Télérama, [En ligne, <http://www.telerama.fr/scenes/curateur-ce-nouveau-metier-du-monde-de-l-art,99573.php>,publié en juillet 2013. - Henri-François Debailleux, Interview de Daniel Buren, «Les commissaires d’exposition ne doiventpas jouter aux auteurs», Libération,[En ligne],<http://www.liberation.fr/week-end/2007/07/21/les-commissaires-d-exposition-ne-doivent-pas-jouer-aux-auteurs_98670>, publié en juillet 2007. - Noémie Drouguet,« Quand l’artiste contemporain joue au muséographe », CeROArt,[En ligne], < http://ceroart.revues.org/358>, publié en janvier 2007. - Emmanuelle Lequeux, «Curateur, le plus jeunemétier du monde,» Le Monde, [Enligne], <http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/06/19/curateur-le-plus-jeune-metier-du-monde_3432833_3246.html#Y5qGOz5bKCw0p7Ae.99>,publié en juin 2013. - Claire Moeder,« Ugo Rondinone et l’actualité de l’artiste-commissaire », Marges,décembre 2011. - Yves Michaud, « Commissaires sans artiste ou artistes-commissaires », ETC, n°45, mars-avril-mai 1999, p.9-13.Webographie
- Jérome Zonder, <http://www.lamaisonrouge.org/cgi?lg=fr&pag=2334&tab=108&rec=71&frm=0>,[En ligne], consulté le 02/01/2016.
- Ugo Rondinone, <http://www.palaisdetokyo.com/fr/exposition/ugo-rondinone>,[En ligne], consulté le 02/01/2016.[1] Exposition qui s’est tenue au Pavillon français lors de la Biennale d’art contemporain Venise du 10 juin au21 novembre 2007 puis sur le site Richelieu de la BNF du 26 mars au 8 juin2008.
[2] Henri-François Debailleux, Interview de Daniel Buren, « Les commissaires d’exposition ne doivent pas jouter aux auteurs», Libération, [En ligne],<http://www.liberation.fr/week-end/2007/07/21/les-commissaires-d-exposition-ne-doivent-pas-jouer-aux-auteurs_98670>, publié en juillet 2007.

L'extraordinaire voyage au Musée de la Chasse et la Nature
Je vais vous conter un voyage merveilleux. L’inattendue, la déroutante, l’improbable épopée d’une visite au Musée de la Chasse et de la Nature. Caché au détour d’une rue pavée lutécienne, un hôtel particulier du XVIIe siècle abrite l’univers incroyable du Musée de la Chasse et de la Nature.
Si un jour, muni de votre boussole, vous parvenez à pénétrer dans le musée par sa lourde porte,laissez-moi vous prévenir… Le Musée de la Chasse et de la Naturene ressemble pas à ce que vous imaginez.Ce que vous y trouverez ne ressemble à aucun autre lieu.
Vue d’ambiance, Musée de la Chasse et de la Nature © A.H.
Après avoir gravi les vastes marches de l’hôtel, c’est par la Salle du sanglier que je pénètre dans le musée. Visiblement maître des lieux, l’animal, de son air peu commode, nous reçoit. Parquet d’origine, tapisseries moyenâgeuses aux scènes de chasses, boiseries d’antan, lourds rideaux de velours et mobilier daté, je découvre une à une les mystérieuses salles du musée.
Tantôt vastes, puis sombres et étriqués, les différents espaces donnent à découvrir autant d’univers qu’il y a de pièces. Dehors, il fait nuit. Le calme environnant laisse place à des sursauts provoqués par la rencontre impromptue avec un loup qui s’était caché derrière une vitrine, ou par un tête-à-tête indésiré avec une chimère diabolique.
Fumées de licorne,
Sophie Lecomte, 2006
© Sophie Lecomte
Un léger cliquetis aquatique m’amène à me diriger vers une ouverture reculée. Après un bref instant d’hésitation – pour ne pas dire d’appréhension –, j’ose m’aventurer dans ce sombre recoin. Oh ! Me voici dans le Cabinet de la Licorne. « QUOI ?! Les licornes existent vraiment ? » Comme il est amusant de constater que le musée est parvenu à insuffler en moi ne serait-ce qu’une demi-seconde le doute quant à l’existence des licornes. Une douce lumière nimbe un corps chimérique figé en apesanteur dans une vitrine. Puis le cabinet m’amène à découvrir une multitude de reliques et d’objets associés à l’animal fantastique. Déposés dans de ravissantes vitrines, de fragiles œufs de licorne et des archives de journaux viennent attester l’existence de l’animal.
Un autre animal anime notre imaginaire collectif depuis des siècles. Le loup. Ses yeux brillent dans la pénombre de la pièce. Cet autre cabinet propose aux curieux de découvrir l’animal sous tous les angles. Un meuble à tiroirs, vitrines et panneaux amovibles regorge de curiosités qui nécessitent de tirer, ouvrir, soulever pour être découvertes. A l’intérieur des panneaux coulissants, des dessins contemporains aux représentations de loup. Derrière un battant amovible, deux petits souliers de céramique glaçurée rouge mettent au jour la férocité du prédateur du Chaperon Rouge. Dans un premier tiroir, la louve romaine : monnaie utilisée au IVe siècle. Dans le second,la fable de La Fontaine : Le loup et la cigogne. Dans le troisième, du caca de loup. Au moment d’ouvrir le plus grand tiroir, des limaces d’appréhension parcourent mon estomac. « Que vais-je découvrir dans celui-ci ? »,me dis-je. Une énorme masse sombre et informe me fait refermer le tiroir aussitôt. Sa fermeture brutale provoque le tremblement du « collier de chien pour la chasse au loup » exposé dans la vitrine juste au-dessus.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » ©A.H.
Dans les autres salles, disséminées ça-et-là parmi les marcassins naturalisés et les tableaux de chasse à courre, se dressent de fabuleuses créatures sans queue ni tête. Des plumes aux reflets profonds et chatoyants sont assemblées en des formes organiques. Vivantes ? Endormies ? Que cachent ces corps oniriques et ondulants ?
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » demande une visiteuse à l’agent de surveillance en pointant du doigt l’une d’entre-elles,disposée entre deux canards col-vert. Ça, ce sont les sculptures chimériques de Kate MccQwire. Emprisonnées dans leur écrin de verre, elles semblent endormies.Découverts à la Galerie Particulière il y a quelques années, ces êtres imaginaires me font totalement succomber. Leur exposition au sein du Musée de la Chasse et de la Nature leur confère une dimension dramatique autant que poétique dans un lieu qui ne cesse d’interroger notre rapport à l’animal, à la mort et au lien puissant qui unit l’homme à la Nature.

Kate MccGwire au Musée de la Chasse et de la Nature, © A.H.
Un nombre insoupçonné d’autres merveilles est dissimulé dans le Muséequi marie avec excellence diverses typologies d’objet sans ne jamais ni les classer, ni les hiérarchiser ; mais c’est à vous désormais d’aller les découvrir. Ouvrez l’œil !
Bon voyage.
Anne Hauguel
Musée de la Chasse et de la Nature
62, rue des Archives 75003 Paris
L’exposition Kate MccGwire au Musée de la Chasse et de la Nature est désormais terminée, mais le musée a l’habitude de faire intervenir des artistes contemporains pour dialoguer avec les collections. Les expositions temporaires y sont nombreuses et fréquentes. Chaque intervention artistique donne lieu à un don au musée, constituant progressivement un fonds d’arts contemporain. L’offre du Musée de la Chasse et de la Nature est variée (conférences, concerts, projections, nocturnes les mercredis jusqu’à 21h,…)
En ce moment, retrouvez y l’artiste Julien Salaud qui expose jusqu’au 15 juinau musée.
Pour ensavoir plus : http://www.chassenature.org/
-KateMccGwire
-Sophie LeComte
http://www.lecomtesophie.org/index.html
-Julien Salaud
http://blog.julien-salaud.info/
#Expositions#MuséedelaChasseetdelaNature#ArtContemporain

L'immersif, un appât des publics
Certains de mes amis « n’aiment pas » l’Art. Face à ma mine déconfite, ils concèdent souvent qu’ils préfèrent le « vrai Art », à savoir celui du réalisme, de la précision, du détail, de la technique et de la beauté — au sens kantien du terme. Pourtant, ils se surprennent eux-mêmes à s’émerveiller devant des expositions d’un genre nouveau : l’Art Immersif. Sorties de leurs cadres, la peinture et la photographie se métamorphosent en immenses projections sont les yeux ébahis de leurs nouveaux publics. La sculpture n’a rien à leur envier : elle invite à présent le visiteur à la traverser au lieu de la contourner. Parfois à l’aide d’un casque de réalité virtuelle, l’image et le son remplissent l’espace et enveloppent le spectateur. Les cinq sens sont occasionnellement mobilisés.
Image d'intro : site web de la Carrière de Lumières
Un succès commercial
L’entreprise privée Culturespaces, cinquième acteur culturel français pour les monuments, musées et centres d’arts, se décrit comme un « pionnier des centres d’art numérique et des expositions immersives dans le monde ». Les chiffres attestent de leur succès : leur premier espace la Carrière des Lumières à Baux-de-Provence accueillait 239 000 visiteurs à son ouverture en 2012. Aujourd’hui, ils sont près de 770 000 chaque année. En 2017, l’espace obtient le prix de « la meilleure expérience immersive au monde », décerné par l’association à but non-lucratif Themed Entertainment Association qui récompense majoritairement… des attractions de parcs à thème.
Après le succès de l’Atelier des Lumières (le premier centre d’art numérique de Paris, 1 400 000 visiteurs/an, 2018), du Bunker des Lumières (Jeju, île sud-coréenne, 2018), du Bassin des Lumières (le plus grand centre d’art numérique au monde, 14 500 m² de surface de projection, 2020), leurs espaces d’expositions immersives se multiplient et s’exportent à l’étranger. Entre 2021 et 2022, Culturespaces inaugurera quatre nouveaux lieux à Dubaï, New-York, Séoul et Amsterdam.
La société produit deux types d’exposition : des « expositions temporaires classiques » dans les musées dont elle assure la gestion (Musée Jacquemart-André, Musée Maillol, Hôtel de Caumont…) et des « expositions numériques immersives » où se succèdent des peintres du XIXe et du XXe siècles (Van Gogh, Monet, Chagall, Gauguin, Klimt, Dali, Picasso…) et de la Renaissance (Michel-Ange, De Vinci, Raphaël, Bosch, Brueghel, Arcimboldo…). Dans un format plus court, elle propose aussi des expositions sur Kandinsky, Paul Klee, Yves Klein… voire des créations d’artistes contemporains. On ne saurait leur reprocher que toutes leurs expositions numériques soient quasi-identiques d’un espace à l’autre : il est plus simple de transporter une exposition numérique qu’une exposition faite de chefs d’œuvre uniques et aux valeurs inestimables, surtout à l’international.
Ces expositions ne sont-elles donc pas l’occasion pour les visiteurs de découvrir ou de redécouvrir les travaux des peintres les plus célèbres ? C’est en tout cas la volonté affichée par la Fondation Culturespaces dont la mission est de « permettre aux enfants les plus fragilisés d’avoir accès à l’art et au patrimoine pour éveiller, développer et révéler leur créativité […] afin de lutter contre les inégalités d’accès à l’art et au patrimoine ». Une initiative louable et sans doute bienvenue lorsque que l’on s’intéresse aux tarifs de l’Atelier des Lumières.
Source : site web de l’Atelier de Lumières
Dans leur Sociologie de la démocratisation des musées (2011), Jacqueline Eidelman et Anne Jonchery donnent les chiffres suivants concernant les visiteurs des musées parisiens : « Sous l’angle de leur inscription sociale, les 18-25 ans sont […] en majorité issus des classes moyennes (45 %) et de la classe supérieure (30 %), mais le quart d’entre eux provient d’un milieu modeste : ce sont ces derniers qui s’avèrent les plus mobilisés par la gratuité. […] Au total, les visiteurs âgés de 18 à 25 ans pensent que la gratuité constitue un « coup de pouce » ou un « plus » à leurs pratiques culturelles (85 %). »
La logique commerciale de Culturespaces n’est cependant pas à décrier pour autant. La majorité des expositions immersives affichent des tarifs similaires, et présentent au moins l’avantage d’être plus intuitives et accessibles que les expositions dites classiques. L’exposition teamLab : Au-delà des limites présentée à la Grande Halle de la Villette en 2018 proposait ainsi une belle entrée en matière d’art numérique contemporain. Cette dernière plongeait ses visiteurs dans un univers psychédélique et les rendaient acteurs de l’immersion : toucher la cascade numérique pour qu’elle s’écarte, s’assoir sur le sol et contempler les fleurs pousser autour de soi…
L’immersif au musée
Pour autant, il ne faut pas confondre œuvre et expérience de l’œuvre. Pour Isabelle Cahn, historienne de l’art « on doit pouvoir avoir la liberté d’interpréter les œuvres […] Mais il faut trouver un juste équilibre entre pédagogie et divertissement. Les procédés immersifs, la 3D ou la réalité virtuelle peuvent réellement aider à mieux regarder les œuvres ». Vincent Campredon, directeur du Musée national de la marine à Paris confie ainsi au Monde : « Un musée a une mission de conservation des œuvres. Mais il doit aujourd’hui parler aux jeunes, être plus accueillant, plus collaboratif. Les publics doivent être au cœur de nos préoccupations ». Dans le même article, Constance Guisset, scénographe, explique : « Si on veut que les expositions ne soient pas réservées aux “sachants”, il faut aujourd’hui les mettre en scène un peu comme un spectacle ».
De nombreux musées tentent donc de développer leur attractivité en proposant des expériences immersives, même partielles, au sein de leurs expositions. Parfois, ce sont quelques œuvres qui sont placées en début de parcours, ce qui a l’avantage de marquer la visite. Prenons l’exemple de l’exposition — très instagrammable — Colors qui a récemment pris fin à Lille3000. L’une des œuvres, First Light de Georg Lendorff, invite le visiteur à traverser ses milliers de fils suspendus pour entrer dans un espace spatio-temporel hypnotique, mobilisant simultanément la vue, l’ouïe et le toucher. Effet garanti.
Certaines institutions semblent se lancer un défi de plus grande envergure. En janvier 2021, la Banque des Territoires, au titre du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) de l’Etat, et VINCI Immobilier annonçait la création de Grand Palais Immersif, une « nouvelle filiale spécialisée dans la production, l’exploitation et la diffusion d’expositions numériques, pour le public parisien, national et international ». Pour l’instant, en France en tout cas, les expositions et musées entièrement immersifs sont donc l’affaire de grands groupes internationaux, comme le prouve encore le musée immersif de la marque Yves Rocher situé à La Gacilly en Bretagne.
Source : site web du Musée immersif Yves Rocher
Fun fact : en 2019, l’ICOM a demandé à chacun de ses pays membres de donner une ou plusieurs propositions de re-définition du musée. Parmi les 269 définitions formulées, le Qatar était le seul pays à inclure la notion d’expérience immersive.
L’immersif est probablement un appât pour un public friand de spectacle, mais il ne faut pas pour autant le condamner. Ces nouvelles mise-en-scène numériques ont l’avantage de proposer un contenu accessible qui ne nécessite pas de connaissances préalables ou de sensibilité particulière. Elles se laissent apprécier en toute simplicité. Dans le cas des productions Culturespaces, peut-être piqueront-elles la curiosité de nouveaux publics pour les musées ?
Il ne s’agit pas de remplacer les œuvres par des expériences : ce n’est pas la vocation de nos musées et de toute façon, nos institutions n’en ont pas les moyens financiers. Les professionnel.le.s des musées doivent trouver un équilibre entre le fond et la forme. Trop de fond, c’est lourd ; trop de forme, c’est vide.
Emma Levy
Pour aller plus loin :
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Eidelman, J. & Jonchery, A. (2011). Sociologie de la démocratisation des musées. Hermès, La Revue, 61, 52-60.
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L’exposition Team Lab de la Villette (2018)
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Lesauvage, Magali. (2019, 15 mars). Les expositions immersives : in ou out ? Le Quotidien de l’Art.
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Pietralunga, Cédric. (2021, 3 novembre). Expérience immersive et objets parlants : les musées innovent pour attirer un nouveau public. Le Monde.fr
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Propositions de définitions du musée par l’ICOM
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Sonveau, Aimé (2022), Expérience sensorielle, sensationnelle ou sensible ? L'art de Muser
#immersif #experience #numérique

L’art cinétique, une beauté plastique mouvante et émouvante
« Emouvant mouvement »
Selon l’expression « Emouvant mouvement » (intitulée de l’exposition traduite de Bewogen Bewegin organisé par Daniel Spoërri au Stedelijk Museum d’Amsterdam), l’art cinétique incarne l’art du mouvement. Il se caractérise par différentes pratiques. D’abord, l’œuvre peut elle-même être en mouvement de manière explicite. Elle peut être motorisée, peut avoir recours à des éléments naturels tels que le vent ou l’eau, ou bien elle implique le spectateur lorsqu’il se déplace par rapport à elle. Il s’agit du mouvement optique qu’entreprend l’observateur face à une œuvre mouvante. Ce qu’ont en commun les œuvres issues de ce courant est l’engagement du corps de celui qui les regarde et la prééminence de la perception du spectateur au centre des expérimentations. D’après les mots de Diane Harris : « les artistes repoussent vraiment les limites, ils vont sur les territoires de la science, de la physique, des mathématiques, de la biologie. Ils vont essayer des derniers matériaux, ils utilisent tout ça comme le pinceau d’un peintre. » Cet art reflète la société témoignant des avancées techniques et industrielles de l’époque. Le statut d’une œuvre d’art est toutefois remis en cause car l’œuvre cinétique ne délivre pas de messages, ne demande pas une analyse poussée, ni une réflexion de la part du public. D’ailleurs il est question d’un art qui toucherait davantage un large public, plutôt que celui considéré comme élitiste et qui aurait recours à un bagage culturel pour apprécier l’œuvre.
Né en 1955 en France, cet art offre une expérience sensorielle unique et transforme la perception visuelle. Il est consacré par l’exposition Le Mouvement dans la galerie parisienne de Denise René, dont le commissaire est Pontus Hulten. Les premières pièces abstraites en noir et blanc de Victor Vasarely, les tableaux transformables de Yacoov Agam et les célèbres Pénétrables de Jésus-Rafael Soto s’y côtoient. Les célèbres œuvres de Soto, pour la première fois, impliquent le corps des visiteurs qui ont la possibilité de les traverser. Marcel Duchamp, Alexander Calder, Bury, Jacobsen ainsi que Tinguely y sont également présents. Cette galerie avait ouvert 10 ans auparavant et se consacrait à l’abstraction, puis à l’abstraction géométrique. L’art cinétique ainsi que l’Op’art vont être grandement diffusés grâce à elle.
L’Op’Art, un mouvement concurrent
© : DR
L’Op’art, appelé également art optique, est un concurrent de l’art cinétique. Son origine se trouve dans l’expression Optical art. Venue des Etats-Unis, cette forme d’art s’amuse à créer des effets d’illusion et des jeux d’optique en utilisant l’œil de l’observateur. Elle s’impose en Europe dès 1965. La galerie One à Londres s’en empare et s’axe sur le travail de graphiste Bridget Riley inspiré par Vasarely. Une exposition personnelle lui est alors consacrée. De même lors de l’ouverture du MoMA à New-York, l’exposition The Responsive Eye est considérée comme fondatrice de l’Op’art. La galerie Denise René a alors soumis une grande partie des œuvres présentes dans l’exposition. Ainsi, œuvres parisiennes et américaines offrent un dialogue avec la société industrielle et technique.
Les origines de l’art cinétique
Bien que ces deux formes d’art soient une nouvelle tendance dans les années 1960, la recherche du mouvement n’est pas une nouveauté en art. Par exemple, les Futuristes italiens s’en sont emparés en pensant la vitesse et le mouvement mécanique. Sans oublier les Cubistes et les Orphistes s’attaquant à la perception et aux représentations mentales.
Pensons aussi au constructivisme qui a voulu transcrire le mouvement au travers d’objets reliant l’espace et la lumière au déplacement. Ou encore à Marcel Duchamps avec ses disques graphiques tournoyants et aux sculptures cinétiques ainsi qu'aux sculptures motorisées de Naum Gabo. Marcel Duchamp, avec son Nu descendant l’escalier (1912) introduit son intérêt de la représentation d’un mouvement physique. Ses Rotoreliefs (1935) reprennent les critères liés à l’art cinétique et répondent en même temps aux domaines des sciences. Quant à Man Ray, il réalise en 1920 les deux premières sculptures mobiles abstraites : Abat-Jour et Obstruction, des travaux dont les mouvements sont aléatoires. Alexander Calder présente, quant à lui, en 1932 des sculptures géométriques abstraites motorisées, que Marcel Duchamp appellera les Mobiles. Puis deux ans plus tard, Bruno Munari conçoit ses premières sculptures bougeant grâce au vent.
Le Groupe G.R.A.V
Le groupe G.R.A.V (Groupe de recherche d'art visuel) s’est formé avec l’ambition, comme répété plus haut, de faire du mouvement un médium à part entière en sensibilisant toujours plus de personnes qui n’auraient pas besoin de connaissances dans le domaine artistique pour comprendre l’œuvre. C’est en 1961 qu’à Paris est né ce groupe, mais aussi d’autres associations d’artistes comme le Groupe N à Padou, le Groupe T à Milan, le Groupe Zéro à Düsseldorf, le Groupe Nul en Hollande, etc. Les six artistes (Garcia-Rossi, Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Stein et Jean-Pierre Vasarely) explorent les possibilités de l’Op’art en utilisant la lumière artificielle, les trames dans la peinture ainsi que la 3D. Ce groupe souhaite à la fois la participation du regardant afin qu’il devienne partie prenante de l’œuvre, mais aussi la création d’une forme d’interactions entre les visiteurs. Ils ont conçu collectivement Le Labyrinthe en 1963. Cette production historique remet en question les rapports qu’entretiennent les visiteurs avec l’œuvre : cette relation est souvent contemplative. C’est l’interactivité et le caractère expérimental qui priment avec cette conception. Ils souhaitent réduire la distance du regardeur et engager sa participation au sein des parcours et des salles de jeu.
« On ne s’agite pas de la même manière »
L’art du mouvement dévoile diverses sortes de perceptions. Par exemple, Victor Vasarely note l’instabilité visuelle caractérisée par la juxtaposition contrastée du blanc et du noir et la répétition de formes identiques. La lumière est aussi génératrice de mouvement dont l’artiste Frank Malina s’empare avec son système Lumidyne. De son côté, Schöffer emploie la cybernétique pour sa sculpture aux déplacements autorégulés en fonction des sons et des intensités lumineuses perçus, qui semble agir de sa propre initiative. Sur le même modèle, La Tour cybernétique, créée en 1955 produit des motifs musicaux à partir d'une matière sonore préenregistrée par Pierre Henry et réorganisée aléatoirement en fonction des signaux ambiants, lumineux et thermiques, reçus par les capteurs.
Les particularités de cet art
Les motivations divergent. Certains souhaitent libérer l’œuvre, physiquement et symboliquement. D’autres ont un rapport fort avec l’espace et la lumière. Les derniers dévoilent le caractère instable du monde. Cependant, certaines particularités ressortent : mettre à l’honneur une démarche expérimentale, engager le regard des publics, attirer les visiteurs par un côté ludique et spectaculaire, et enfin remettre en question le statut d’une œuvre d’art. L’expérience liée aux œuvres cinétiques a permis la création de formes hybrides : vidéo, néons, machines interactives, espaces immersifs.
L’art cinétique et l’Op’art ont connu leur succès dans les années 1960 et ce sont étendus dans toute l’Europe, l’Union Soviétique et jusqu’en Amérique latine. Ils touchaient d’autres domaines, dont la mode, la décoration, le design de mobilier et le design graphique ainsi que l’architecture. Mais cette esthétique a fini par lasser le public dans les années 1980.
Théo Jansen, un héritier de ces réflexions sur le mouvement
© : Théo Jansen
Le rapprochement entre Théo Jansen et l’art cinétique est évident et a déjà été mentionné de nombreuses fois. Cet artiste que j’ai découvert en 2020 est considéré comme le sculpteur du vent.
De drôles de créatures se déplacent subtilement au gré du vent sur la plage dont le maître est Jansen. Tel un mille pattes, une nouvelle espèce est venue conquérir la Terre. Ses œuvres poétiques et autonomes grâce à la force du vent sont appelées Strandbeets, les bêtes de plage. Cet artiste néerlandais utilise des tubes en plastique jaunes recyclés (qu’on trouve exclusivement aux Pays-Bas et en Belgique) et du bois. En à peine 25 ans, il en a réalisé près d’une quarantaine, depuis 1990. Il mêle arts et science, avec connaissances en robotique, notions en mathématique et compétences en informatique et en aéronautique. Et tout cela en autodidacte. Et encore plus déroutant, dans The Great Pretender, publié en 2009, il suggère que ses créatures ont leur propre ADN, muscles, et cerveau, se nourrissant exclusivement du vent pour vivre.
Une anecdote amusante à propos de l’artiste décrit qu’en 1980 il avait envoyé une œuvre d’art en forme de soucoupe volante, lumineuse comme sonore, au-dessus de la ville de Delft, au Pays-Bas. Les médias étaient tombés dans le panneau et avaient surnommé l’artiste : « l’enfant terrible ». Puis il créa un robot, capable de peindre seul. Un projet qu’il continuera de développer avec ses Strandbeets.
Suivant de près l’actualité, la série Les Simpson a rendu hommage à Théo Jansen. Sa création est vue comme un monstre ou une machine géante terrassant tout sur son passage.
L’art numérique, une forme fascinante
Développée à partir des années 1980, une autre forme artistique prend le pas sur l’art cinétique : l’art numérique, nommée aussi « Post Internet Art ».
L’artiste qui s’approprie les nouvelles technologies pour s’exprimer et questionner autrui est un artiste du courant que l’on appelle l’art numérique. Plus précisément, les artistes se servent des outils pour bousculer leur utilisation première et transmettre un autre message. Aujourd’hui, ils collaborent avec des ingénieurs et des développeurs pour perfectionner leurs travaux.
En lien avec les Pénétrables de Jésus-Rafael Soto, cité précédemment j’aimerais conclure sur l’œuvre conçue par le label Antivj, en 2007, regroupant des artistes européens. Cette production pénétrable, intitulée 3Destruct allie subtilement son et lumière. Le spectateur, avec un peu de courage peut parcourir l’œuvre. La lumière, émise par quatre sources lumineuses, crée ou détruit la structure : elle éclaire le cube qui quant à lui se détruit, s’éclate au fur et à mesure. Le rythme de la musique presque apocalyptique vient conforter cette idée d’éclatement et de dématérialisation.
Une expérience sensorielle unique qui questionne notre rapport et notre perception de l’espace.
Les arts cinétique et numérique n’ont décidement pas fini de nous surprendre.
Héloïse Putaud
Pour en savoir plus :
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-cinetique/ENS-cinetique.html
https://www.youtube.com/watch?v=c_9mYkr7T-w
https://www.youtube.com/watch?v=dDTXN2_xT8w
#artcinétique
#théojansen
#opart
#artnumérique
L’art contemporain, « ce n’est pas (…) la fin de l’art...
L’art contemporain, « ce n’est pas (…) la fin de l’art... : c’est la fin de son régime objet. » Yves Michaud, L’Art à l’état gazeux
Yves Michaud, philosophe et professeur à l’université de Rouen, soulève un paradoxe assigné à l’art contemporain. Plus il y a de beauté, moins il y a d’art.
Jesús Rafael Soto, Pénétrable BBL bleu, V8, 1999/2007
Métal laqué et nylon bleu- Collection Avila
Exposé dans le jardin du Musée Matisse au Cateau Cambrésis.
Crédits : Fournier Katia
Yves Michaud, philosophe et professeur à l’université de Rouen, soulève un paradoxe assigné à l’art contemporain. Plus il y a de beauté, moins il y a d’art. En effet,l’artiste répand et colore tout, il métamorphose l’art en gaz, en éther esthétique qui s’insinue en toute chose et en tout lieu. Le philosophe propose une explication à ce paradoxe dans son ouvrage L’Art à l’état gazeux, essai sur le triomphe de l’esthétique, aux éditions Stock, 2003, en abordant l’art contemporain sous les approches conceptuelle, historique et sociologique.
L’auteur ne prend pas partie, il se positionne en tant que témoin rapporteur d’un mouvement artistique difficilement définissable. Pour commencer il met l’accent sur les changements techniques de conception des œuvres d’art pour ensuite comparer les différents modes de réception de celles-ci par les publics. Pour illustrer cela il évoque la photographie qui s’est substituée à la peinture, et parallèlement,il explique que nous sommes passés de la contemplation du tableau de maître au regard furtif jeté sur la prise de vue. L’idée d’effacement de l’objet d’art est constante au fil de son ouvrage.
L’installation et la performance sont les nouvelles formes d’art et leurs finalités ne résident que dans l’expérience et l’effet produit sur le regardeur. Cependant, Yves Michaux nous décrit un art fermé sur lui-même, qui ne prend pas en compte les publics. C’est un art qui a ses privilégiés, ses initiés, d’où cette critique ironique rapportée concernant la question de savoir quand il y a œuvre d’art et la nécessité de le signaler : « Attention Art ». Il est impératif de s’imprégner de la philosophie du monde de l’art, d’apprendre son langage spécifique, et d’opérer un changement de posture psychologique, pour saisir l’art contemporain. Pourtant, au premier abord, ces œuvres semblent chercher à rendre hermétiques des expériences banales. L’art contemporain relève de l’art procédural, amorcé par Duchamp et ses « Ready-made ». Pour comprendre cette métamorphose de l’art, Yves Michaud met en perspective l’art contemporain et l’art moderne de la seconde moitié du XXèmesiècle.
Ce dernier est l’apogée d’une « richesse formelle à nulle autre pareille », les artistes étaient engagés politiquement, la société était l’essence de leur art, mais dans les années 70, une leçon dadaïste refait surface : l’art se « dé-définit » et se « dés-esthétise »d’après les propos de Harold Rosenberg. A partir de cette période les avis sur l’art contemporain divergent. Certains le perçoivent comme une libération,d’autres comme l’avènement du règne du grand n’importe quoi. L’art contemporain ne défend plus de causes sérieuses, il est politiquement neutre, et se révèle être de l’ordre de la communication et de la mode, se confondant parfois avec la publicité. On assiste au triomphe de l’esthétisme porté par le multiculturalisme, où le musée devient un lieu de culture de loisir et de masse en dépit de la complexité de la compréhension des œuvres.
Face aux modifications du monde de l’art, Yves Michaud s’interroge sur les répercutions sociologiques de l’art contemporain. L’art est conscient de lui-même, il tend à embellir le monde, l’esthétique est l’œuvre d’une appropriation sociale. Les publics ont besoin d’expériences qui engendreront un bien-être nécessaire dans notre monde actuel. Ils recherchent la tranquillité et la fuite de celui-ci. Mais les publics sont également, et paradoxalement, en attente de stimulations rythmées, ce que la mode leur rend parfaitement. La mode lui offre un renouveau perpétuel. Tout est à prendre du moment qu’il y aura expérience.Cette multiplicité de l’art pose cependant le problème de sa perpétuation. Le problème reste ouvert, nous archivons tout ce que nous pouvons sans pouvoir établir de hiérarchie raisonnée dans la production contemporaine. Le monde a changé est par conséquent, les modes de perception également.L’individualisation de masse a entraîné un mode de perception « sans mémoire » qu’Yves Michaud illustre par le zapping télévisuel, qui ne facilite pas la prise de position dans le choix des œuvres à transmettre aux populations futures.
Il ne reste de l’art, en cette ère du triomphe de l’esthétisme, que l’expérience et l’occasion de rencontres. Ce que le tourisme accélère et diffuse. « Du style à l’ornement et de l’ornement à la parure. Un pas de plus et il ne reste qu’un parfum, un gaz. Ce gaz dit à travers la mode l’identité de l’époque. »C’est avec ces propos tout à fait pertinents que l’auteur conclut que l’art contemporain aussi obscur qu’il puisse être, est la recherche de l’identité d’un monde en mal de communication. D’où ce succès de la mode, identité en perpétuelle mutation, qui est la parure d’une époque mouvante et qui permet aux populations noyées dans les flux d’informations et de nouveautés sans cesse renouvelées, de s’accrocher à des signes qui les identifient.
Katia Fournier
Yves Michaud,L’Art à l’état gazeux,éditions Hachette Littérature, 12 mai 2004

L’Artothèque d’Angers, actrice de la création contemporaine
Qui n’a jamais eu envie de ramener une œuvre chez soi ; voir un tableau dans une exposition, le décrocher et l’installer dans son salon ? C’est possible grâce aux artothèques. Ces lieux de prêt d’œuvre d’art, à destination des particuliers, se développent en France. Elles sont soutenues par les instances nationales et participent à la création contemporaine en valorisant et en soutenant les artistes. Parmi les plus dynamiques, l'Artothèque d’Angers expose actuellement deux sorties de résidence.
Le principe de l’Artothèque
Fondée en 1984, l’Artothèque d’Angers suit la mouvance instaurée par André Malraux de diffuser l’art contemporain en région. Sa collection s’est construite autour d’axes thématiques comme le paysage, tant naturel que mental, l’abstraction géométrique, la vidéo, la photographie ou encore, depuis 2010, le dessin contemporain. Chaque année, l’Artothèque acquiert de nouvelles œuvres ; sa collection est aujourd’hui composée de 1373 œuvres originales. Si la grande majorité est proposée au prêt, certaines sont devenues patrimoniales et sont valorisées dans les expositions d’autres lieux culturels de la ville d’Angers. C’est le cas des photographies de Lee Friedlander, William Klein ou encore Mario Giacomelli, par exemple.
L’Artothèque d’Angers compte plus de 300 abonnés. À destination de tous les publics, l’abonnement se fait à l’année, à partir de 40€, pour le prêt d’une ou deux œuvres changées tous les deux mois. Ainsi, les œuvres circulent dans les foyers et n’importe qui peut avoir le plaisir d’accrocher une estampe ou une photographie chez soi. L’abonnement à l’Artothèque est également adapté aux étudiants, qui sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à ce service municipal. Dans le nombre total d’abonnés, figure une douzaine d'entreprises et une vingtaine d’organismes scolaires. Ces derniers peuvent emprunter plus d’œuvres et les garder plus longtemps. Pour les professionnels, c’est un moyen d’organiser une activité en dehors du travail et de participer à la cohésion d’équipe ; pour les élèves, c’est un moyen de travailler sur des œuvres contemporaines qu’ils peuvent parfois choisir eux-mêmes.
Abonné.e.s en train de sélectionner leur prochain prêt, 2023 © J. Crépin
L’aide à la création contemporaine
L’Artothèque d’Angers dispose aussi de deux espaces d’exposition. Le premier est situé dans les locaux de l’Artothèque et présente principalement de nouvelles acquisitions, mais aussi des expositions temporaires qui s’inscrivent dans des parcours avec d’autres musées d’Angers. Le second espace d’exposition est celui du Repaire Urbain (abrégé RU), lieu culturel dans lequel sont implantés différents services municipaux, dont l’Artothèque. En partenariat avec le service d’Angers Patrimoine, les expositions du RU s’attachent à montrer le travail d’artistes contemporains. La visite du RU et de l’Artothèque est gratuite.
Le 13 octobre 2023, ces espaces ont inauguré deux nouvelles expositions de sortie de résidence. À l’Artothèque, l’artiste Lo Kee présente un travail photographique autour du patrimoine et de la lumière. Il est le quatrième résident de la bourse Mécène & Loire, un partenaire majeur de l’Artothèque, qui finance des photographes pour travailler sur la représentation du territoire. Les 23 œuvres exposées entreront ensuite dans la collection de l'Artothèque et seront disponibles au prêt. Dans la salle du RU est exposée Mathilde Caylou, lauréate de la troisième édition de la bourse Arts visuels de la Ville d’Angers. Artiste verrière, elle a aussi été inspirée par la région angevine et l’a représentée dans son travail.
Outre les résidences de trois à six mois, l’Artothèque travaille en étroite collaboration avec des artistes locaux. Par exemple, un atelier d’estampe aide les médiateurs à concevoir des dispositifs permettant d’expliquer au public les différentes techniques (linogravure, sérigraphie, etc.). Des workshops peuvent avoir lieu avec des étudiants des Beaux-Arts d’Angers et les expositions sont ponctuées de rencontres ou d’ateliers avec les artistes.
Enfin, l’Artothèque d’Angers est active dans le réseau national des artothèques (ADRA). En partenariat avec le Centre National des Arts Plastiques (CNAP), un appel à candidature est lancé tous les deux ans pour que des artistes contemporains réalisent des estampes. Pour cette quatrième édition sur le thème “Les temps changent…”, une dizaine d’œuvres originales intègreront les collections des artothèques françaises en janvier 2024.
Au travers de ces expositions, résidences, ateliers, ou la commande de l’ADRA et du CNAP, l’Artothèque d’Angers s’attache à produire et valoriser l’art contemporain.
Visiteurs dans l’exposition Perceptions, présentée à l’Artothèque d’Angers du 26 mai au 17 septembre 2023 © J. Crépin
J. Crépin
Pour en savoir plus :
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L’exposition Ombres et lumières de Lo Kee à l’Artothèque d’Angers du 13 octobre 2023 au 30 mars 2024
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L’exposition La mécanique des fluides de Mathilde Caylou au Repaire Urbain, du 13 octobre 2023 au 06 janvier 2024
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Les temps changent…de l’ADRA et du CNAP
#Arthotèque #ArtContemporain #médiations

L’exposition photographique en plein air : enjeux et limites d'un modèle d'exposition contemporain
Alors que les événements de photographie en plein air se multiplient chaque année, quelles nouveaux paradigmes met en place ce type d'exposition ?
Vue de l’exposition « Les expérimentales #2 » proposée par le festival Photo Saint-Germain sur le quai de Solférino en novembre 2023 ©J.N
Photographie en plein air : une offre de plus en plus récurrente
S’il n’est pas nouveau, le succès des expositions de photographie en plein air se confirme. Le Festival photo de La Gacilly par exemple, créé en 2004, accueille désormais 300 000 visiteurs annuels dans une expérience immersive et déambulatoire au cœur du village breton. Dans son texte de présentation, l’événement argue que “l’espace public devient un espace scénique, partagé et accessible à tous, gratuitement. Le Festival peut ainsi se prévaloir d’être suivi par un public de fidèles connaisseurs autant que par un public de complets néophytes.”
Visiteurs au Festival de la Gacilly ©Jean-Michel Niron
Quand la photographie s’installe dans l’espace urbain
Où placer une exposition de photographie en plein air ? Le choix des lieux d’implantation de ce type d’expositions est également intéressant à analyser. On observe bien sûr une forte préférence pour les lieux de passage ou d’affluence : parc, rues fréquentées, quais, gares…
Exposition “Club Ivoire" de François Prost sur les grilles du jardin Villemin lors des Rencontres Photographiques du 10ème en 2023. ©J.N
Le lieu de passage quotidien “ultime”, le métro parisien, est aussi régulièrement utilisé par la RATP elle-même dans le cadre de la programmation “La RATP invite”, en collaboration avec des institutions comme le Jeu de Paume, des festivals comme Circulation(s) ou des magazines comme Fisheye. Créé en 2013, ce programme expose régulièrement des photographes variés ; sur la page consacrée de son site internet, la RATP décrit le choix du médium photographique par le fait qu’il s’agit d’un “art communautaire et d’une forme d'expression artistique accessible au plus grand nombre”. Argument souvent mis en avant dans les programmations liées à la photographie, et complété par les nombreux avantages concrets induits par le médium. L’exposition de photographie en plein air permet en effet de s’émanciper des contraintes habituelles de conservation : reproductibilité des œuvres, techniques résistantes, affranchissement du cadre, accrochage facilité, souvent sur des grilles ou en utilisant des pupitres lestés, qui peuvent être disposés à peu près n’importe où tant que l’autorisation en est donnée. Les événements mettent d’ailleurs généralement en place des partenariats directement avec les collectivités locales, ce qui permet de faciliter largement cette question de l’accrochage dans l’espace public. C’est par exemple le cas de la Biennale de l’Image tangible, soutenue à la fois par la Mairie du 20ème arrondissement et la Mairie de Paris.
Exposition de photographies sur les quais du RER B dans le cadre du Festival Circulation(s) en 2022. ©Hamdi Chref
Certains événements peuvent même investir les supports publicitaires dans l’espace public : c’est le cas de la Biennale de l’Image Tangible qui proposait, à l’automne dernier, des photographies dispersées dans l’est parisien sur des panneaux d’affichage, dans le cadre d’un partenariat avec Clear Channel. Ce type de collaboration peut d’ailleurs poser question, tant un partenariat avec un magnat de l’affichage publicitaire semble éloigné des valeurs d’accessibilité mises en avant par la Biennale autour de cette programmation.
Un panneau d’affichage Clear Channel dans la cadre du projet in situ de la Biennale de l’Image tangible en 2023 ©BIT20 2023
Des expositions réellement accessibles ? Publics et évaluations
Comme vu précédemment, la gratuité est souvent un argument mis en avant dans la communication des expositions de photographie en plein air. De même, ce mode d’exposition peut résoudre le problème de l’effet de seuil, enjeu majeur pour bon nombre de musées. Mais paradoxalement, ce type d’exposition - en dehors des festivals dédiés - n’intègre que très rarement des médiateurs : difficile à mettre en place, la médiation se résume généralement aux textes et aux cartels.
En novembre 2023, le festival Photo Saint-Germain proposait une exposition sur les quais de Seine ©J.N
Autour de cette question, deux visions de ces manifestations peuvent être mises en regard : l’exposition comme un médium, un moyen d’apprentissage ou d’ouverture d’esprit d’une part, et une approche plus sensible d’autre part, où le but n’est pas forcément d’apporter des informations mais de distiller de l’art dans l’espace public. En ce sens, l’exposition photographique en plein air est un médium idéal : relativement simple à mettre en place, se découvrant au détour d’une promenade ou d’un trajet quotidien, elle permet, sinon de sensibiliser, d’habituer les regards à l’observation de la photographie et de désacraliser des pratiques encore élitistes. L’image est là, appartient à chacun, et se prête à autant d’interprétations que de regardeurs, et ce sans la pression “d’être visiteur” impliquée par le cadre du musée.
Jeanne Nicolas
Pour en savoir plus :
- La page dédiée à RATP invite x Festival Circulation(s) : https://www.ratp.fr/groupe-ratp/newsroom/culture/la-ratp-invite-le-festival-circulations-sur-son-reseau
- Le partenariat entre la Biennale de l’Image tangible et Clear Channel : https://bit20.paris/edition-2023/projet-in-situ
- L’exposition de Photo Saint-Germain au Quai de Solférino : http://www.photosaintgermain.com/editions/2023/parcours/quai-de-solferino
#photographie #pleinair #hors-les-murs

L’œuvre d’un homme, sans cesse renouvelée
Le Zentrum Paul Klee de Berne (Suisse) nous montre, comme chaque année, une nouvelle perspective sur sa collection de plus de 4 000 œuvres : à quel point cette présentation est-elle novatrice ?
Dans le cadre d’un travail sur la collection du musée, l’équipe du Zentrum Paul Klee et sa directrice, Nina Zimmer, ont cherché à renouveler la perception de l’œuvre de Paul Klee en invitant des enfants. Ce souci du public enfant est coutumier du lieu : le Zentrum Paul Klee cohabite avec « Creaviva » un musée pour les enfants, où des offres d’ateliers, gratuites ou payantes, permettent aux enfants et aux adultes d’approcher l’œuvre de l’artiste germano-suisse par sa technique et l’expérimentation des matériaux.
Cette action crée un lien plus fort entre ses deux institutions et laisse, pour une fois, des voix non professionnelles en charge de la présentation de l’œuvre de Paul Klee. Pour se faire, une équipe interne au musée et au centre « Creaviva » fut créée pour piloter le projet. Elle est composée de Martin Waldmeier (Commissaire), Eva Gradel (Responsable de la participation culturelle), Alyssa Pasquier (Assistante de Martin Waldmeier), Pia Lädrach (Responsable Kindermuseum Creaviva), Katja Lang (Assistante du Kindermuseum Creaviva), ainsi que 13 enfants âgés de 8 ans à 13 ans. Ils ont œuvré ensemble pour créer « Un secret lumineux. Klee exposé par des enfants » (22.05.2022 – 04.09.2022).
Paul Klee, Glas-Fassade [Glass-Facade], 1940, Wax paint on burlap on canvas, 71,3 x 95,7 cm,© Zentrum Paul Klee, Bern
Suite à de nombreuses activités avec l’équipe de travail, autour de l’écriture et de l’alphabet de Paul Klee ainsi que des techniques qu’il utilisait, le moment est venu de créer une exposition, un propos et donc une histoire autour de l’œuvre de l’artiste.
Le projet présente les nombreuses activités, recherches et adaptations faites sur une période de 13 mois, ce qui est présenté dans l’espace d’exposition avec des sections créées par des cimaises parallèles et horizontales et des œuvres variées telles que des œuvres graphiques, mais aussi des peintures, des archives et des photographies.
Cette aventure qui va au-delà de la figure de Paul Klee fut décidée avec un tableau commun « Glas-Fassade » de 1940. Cette grande toile tardive de l’artiste, faite de formes colorées dans un quadrillage abstrait, ouvre l’exposition sur une cimaise au ton aubergine, accompagnée d’une introduction du projet qui présente la nouvelle approche muséographique dont le but est d’impliquer les enfants dans la création d’une exposition.
© Martin Waldmeier, Zentrum Paul Klee
Dans le parcours, nous observons des différences notables entre les expositions des collections précédentes et celle-ci. En premier lieu, les cimaises s’habillent de tons colorés, allant du rouge, au jaune et à l’aubergine, des bancs à foison jalonnent les cloisons ainsi que des assises colorées qui imitent la couleur de l’œuvre « Glas-Fassade ».
Malgré ces ajouts colorés, aucun élément flagrant ne démontre la collaboration entre les enfants et les professionnels des musées « Créaviva » et le Zentrum Paul Klee. À côté de chaque œuvre exposée dans les 19 sections (l’église, l’architecture, du brisé et du recomposé et bien d’autres) il y a un cartel décrivant le titre, la technique, ainsi que la taille de l’œuvre, le tout traduit en français, allemand et italien comme il en est coutume dans un établissement cantonal et suisse. Sachant que le propos fut écrit et inventé avec des enfants, il aurait été judicieux de créer des textes simplifiés et/ou illustrés par un illustrateur, pour faire comprendre au public les différentes approches de l’œuvre de Paul Klee en fonction des âges.
Le seul ajout fut des boîtes de contreplaqué entre chaque section, qui diffusent des discussions des enfants autour de l’exposition. Or, le contenu est décousu car l’histoire de création de l’exposition, ne montre qu’un documentaire et un atelier participatif en fond de la salle, ne la mettant pas en valeur au centre de l’exposition, et in fine du processus.
Le processus de l’exposition en tant que tel est à souligner tant il est régulier et créatif. Lors des workshops, les enfants se sont concentrés sur de nombreuses approches plastiques autour de l’œuvre de l’artiste : création d’un alphabet, recherche d’un titre pour l’exposition, sélection des œuvres ainsi que leurs divisons par sections, question de l’histoire dans l’exposition. Or, au-delà de cette approche créative, le commissaire d’exposition a repris le pas pour l’accrochage, aucun enfant n’a donné son avis pour l’accrochage, la hauteur des œuvres, le texte d’introduction, les cartels, ou le guide de visite, qui de surcroit n’est pas adapté aux enfants.
© Martin Waldmeier, Zentrum Paul Klee
Alors, quelles sont les choses à garder de cette exposition « Un secret lumineux
Klee exposé par des enfants » (22.05.2022 – 04.09.2022) ? Comme le dirait Paul Klee lui-même « Car nous voyons tous la même chose, même si c’est sous des angles différents », la perception d’une œuvre et d’une exposition dépend largement d’un avis subjectif et lorsqu’un musée porte son discours à travers l’œil d’un commissaire ou d’un directeur, celui-ci est principalement historique et comparatif. Or, le visiteur, touriste ou local, a une perception tout autre, amateur, et souvent enfantine, il connait très peu la figure de Klee. Devant des œuvres, il manque d’une vraie explication, que ce soit du processus de création, des matériaux utilisés et de son contexte de création. Le but était d’imbriquer ces deux visions dans une exposition, où les enfants jouent un rôle central pour la présentation, la médiation et la sélection des œuvres, alors que le commissaire a pris la casquette d’un organisateur, d’un passeur entre l’équipe du musée et la vision des enfants.
Ce processus de partage, de sensibilisation et de liberté, a permis aux enfants et aux équipes des deux institutions de souffler un nouvel air sur l’œuvre de l’artiste ainsi que sur le rôle d’un projet lié à la collection/exposition et son lien avec le public. Alors que le public appréhende l’œuvre de Paul Klee lors de cette visite, il n’est pas si simple d’étudier ses lignes, sinueuses qui naviguent entre les lettres et les aplats colorés.
Ses œuvres ne sont pas réellement abstraites et figuratives, or les explications données restent généralistes, et ne discutent pas du contexte et des problématiques de la guerre. Une question persiste : comment tenir un discours universel et compréhensif par tous, cette exposition devait en être une réponse, or elle pose une autre question : celle de la hiérarchie des contenus. Le récit historique créé par les historiens de l’art prévaut sur celui des enfants ou du public, or les deux peuvent coexister dans le même espace, pour fournir des clés de lecture différentes, et donc, permettre à tous d’appréhender l’œuvre de Paul Klee.
Informations pratiques
Zentrum Paul Klee
Monument im Fruchtland 3
3006 Berne
Tél. +41 31 359 01 01
Fax +41 31 359 01 02
Horaires
MAR—DIM 10h—17h
LUN fermé
LG
Pour en savoir plus
#Exposition #Suisse #Curator

La 12ème Biennale d'art contemporain de Lyon nous raconte des histoires...
Entre temps… Brusquement et ensuite : tel est l’énigmatique titre de la 12ème édition de la Biennale internationale d’art contemporain de Lyon.
Le commissariat de l’exposition a été confié à Gunnar B. Kvaran, invité par Thierry Raspail à venir coproduire l’événement…et quel évènement ! Jeff Koons, Yoko Ono, Fabrice Hybert ou encore Dan Colen ont été conviés mais c’est aussi toute une nouvelle génération d’artistes qui s’expose dans le cadre de cette nouvelle biennale. Gunnar B. Kvaran a choisi de développer cette année le thème du Récit à travers la thématique de la Transmission, fil conducteur qui traverse les biennales depuis trois années.Soixante-dix-sept artistes venus du monde entier ont débarqué à Lyon pour venir nous raconter leurs récits, leurs histoires tantôt plaisantes et amusantes, tantôt mélancoliques et révoltantes, tantôt scabreuses et déroutantes…
Visiter la Biennale d’art contemporain ? C’est d’abord une affaire de temps. Dispersée sur cinq lieux à travers la ville, le visiteur est amené physiquement à se déplacer dans la capitale des Gaules pour découvrir les espaces par métro, vélo, auto et même par bateau [1]!L’exposition consiste en un parcours, en une sorte de chasse aux trésors où les merveilles seraient les œuvres. Sont à découvrir l’exposition internationale, dispersée au sein du Musée d’art contemporain (Lyon 6e), de l’espace d’exposition La Sucrière(Lyon 2e), de la Fondation Bullukian(Lyon 2e) auxquels s’ajoutent deux nouveaux espaces insolites : l’église Saint-Justet la Chaufferie de l’Antiquaille (Lyon 5e) mais pas seulement !
Résonanceset Veduta, les deux autres plateformes de la Biennale, associent de nombreuses galeries et institutions de la ville,de la région et du pays pour faire « résonner » l’exposition dans d’autres lieux mais pas seulement ! Une soixantaine de particuliers ont été sollicités, habitant Lyon et sa périphérie, pour exposer au sein de leurs maisons et appartements des œuvres des artistes de l’exposition internationale.Les habitants peuvent (ou non) ouvrir leur lieu de vie transformé, le temps de quelques mois, en espaces d’exposition insolites. L’idée me semble amusante et décalée : ces citoyens lyonnais deviennent les gardiens, les protecteurs et les médiateurs des œuvres. Les regards qu’ils peuvent proposer sur les pièces doivent être extrêmement intéressants, mais je doute que de nombreux visiteurs disposent de temps suffisant pour contempler ces œuvres chez des inconnus. En outre, l’ouverture de ces «annexes d’exposition » dépend des initiatives individuelles. Savoir où ces œuvres sont disséminées se révèle particulièrement complexe.
Installation,Tavares Strachan, 2013© Buriedatsea.org
Visiter la Biennale ? C’est un peu comme se lancer dans la lecture d’une nouvelle… mais une nouvelle visuelle écrite à soixante-dix-sept mains. Les artistes narrent des histoires, des fictions brèves mais intenses, souvent inattendues et dérangeantes qui viennent perturber le spectateur. Comme à la lecture d’une nouvelle, il faut prendre du temps pour découvrir les lieux de l’action, s’imprégner des ambiances pour se plonger entièrement dans l’univers et dans l’imaginaire des histoires qui nous sont proposées. Les formes artistiques sont multiples : vidéos, installations, performances… Chaque artiste relate une histoire parfois haute en couleurs, drôle, imaginaire, spectaculaire, onirique, personnelle ou collective. Parmi les œuvres les plus marquantes de cette biennale, Tavares Strachan raconte dans son installation le récit visuel de la vie de Sally Ride, première femme américaine cosmonaute, oubliée par l’Histoire puisqu’elle était homosexuelle et donc trop peu dans les normes pour devenir une icône américaine. Une superbe sculpture de néon suspendue dans les airs rend superbement hommage à cette femme effacée des mémoires collectives.
God Bless America, Erró, 2003-2005 ©Esbaluard.org
Les artistes de la Biennale racontent aussi notre Histoire, celle avec un grand H. Au rez-de-chaussée de la Sucrière, Erró expose God Bless Bagdad,un immense tableau en noir et blanc dont le titre fait écho à la célèbre phrase God bless America lancée par Georges W.Busch au moment du déclenchement de la guerre en Irak. Dans une scène apocalyptique à la fois dramatique et ironique, Saddam Hussein côtoie un Georges W Bush déguisé en Captain America mais aussi une caricature de Ben Laden, des héros tirés de comics comme Hulk, le Joker et une pléthore de squelettes-soldats. L’horreur de la guerre côtoie l’humour et rejoint l’ultra-violence des personnages de bande dessinée.
The Great Art History, Gustavo Speridião, 2005-2013 crédits : Astrid Molitor
L’artiste brésilien Gustavo Speridiãoré invente dans son œuvre The Great ArtHistory les grands jalons de l’Histoire de l’Art en une série d’images imprimées sur des feuilles A4 où il juxtapose une image d’actualité, ou une image reconnaissable de tous, avec un titre évoquant les grandes mouvances de l’Histoire l’Art occidental. Les résultats sont très drôles, absurdes mais souvent tragiques. Les références se mélangent, s’amalgament en une fascinante installation qui rappelle le caractère profondément construit des grands mythes de notre Histoire.
My Mummy was beautiful, Yoko Ono, 2013 crédits : Astrid Molitor
Dans un registre plus poétique, les spectateurs sont amenés à se raconter à travers l’œuvre My Mummy was beautiful,œuvre touchante de l’artiste japonaise Yoko Ono où le visiteur est invité à inscrire sur les murs de la Sucrière un souvenir, un mot, une pensée pour toutes les mères du monde. Le spectateur devient acteur…ou plutôt conteur. Yoko Ono a d’ailleurs lancé durant toute la durée de la biennale une œuvre collaborative[2], où chaque personne peut raconter son rêve d’été : ces souvenirs d’un moment éphémère sont affichés de façon aléatoire sur l’un des murs de la Fondation Bullukian.
Cette sélection « coup de cœur » d’œuvres présentées dans cet article ne donne qu’un aperçu de tout ce que vous allez pouvoir découvrir lors de votre passage à la Biennale. Entre-temps, brusquement et ensuiteestune exposition qui surprend, bouscule et questionne le spectateur. Je me suis quelque fois sentie un peu perdue face à la multiplicité des œuvres, des propositions et des discours. Ne cherchez pas « Le » sens des œuvres exposées, ils sont multiples et le plus intéressant sera celui que vous leur donnerez. L’exposition était, pour moi, comme un grand livre ouvert à parcourir : il fallait passer d’une histoire à une autre et découvrir des univers extrêmement différents. Le nom de cette nouvelle Biennale est particulièrement bien choisi. Sonnant comme l’accroche d’une intrigue de fiction, Entre-temps, brusquement et ensuite est en quelque sorte le commencement de l’histoire pour le spectateur : cet étrange titre suscite l’interrogation, la perplexité mais aussi l’imagination. Chaque visiteur peut, ainsi, créer sa propre histoire à partir de ces opérateurs de récit.
Les artistes de la Biennale vont vous raconter des récits, certes, mais cette exposition permet également une profonde réflexion sur la nature de ces histoires, car elles ne sont pas toutes bonnes à entendre comme nous l’a montré l’artiste Erró avec son œuvre God Bless Bagdad… Et ensuite ? Il ne vous reste plus que quelques semaines pour venir explorer cette 12èmeédition, ouverte jusqu'au 5 janvier 2014. Une occasion à ne pas manquer !
Astrid Molitor
[1] Il est en effet possible de relier les différents lieux de l’exposition grâce à des navettes fluviales ! http://www.rhonetourisme.com/fetes-evenements/ce-week-end/navettes-fluviales-speciales-biennale-d-art-contemporain-de-lyon-390789/
[2] http://onosummerdream.com/
Liens et informations pratiques :
- Site de la Biennale : http://www.biennaledelyon.com/
- Carte présentant les différents lieux de l’Exposition internationale (GoogleMap) :
A= Le Musée d’art contemporain
B= La Sucrière
C= La Fondation Bullukian
D= L’Église Saint-Just

La Demeure du Chaos, un symbole de la liberté d’expression artistique
La manifestation d’un musée engagé
Une installation symbolisant les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis © Nelly J.
Sous le nom bien étrange de « Demeure du Chaos », se cache un projet artistique hors du commun lancé par Thierry Ehrmann en 1999. Situé dans le village de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, près de Lyon, le Musée d’Art Contemporain l’Organe a officiellement ouvert ses portes au public en 2006. En rupture totale avec son environnement par son aspect désaffecté, désordonné, sombre, ses sculptures de crânes humains qui se détachent dans le paysage, ses grandes installations en métal et graffs en tous sens, ce musée privé en plein air se dévoile au visiteur dès ses murs extérieurs. Financée principalement par l’entreprise de Thierry Ehrmann, la Demeure du Chaos est ainsi libre de s’engager dans des sujets sociétaux actuels et sensibles tels que la politique, les guerres, la religion, le féminisme, l’écologie, la protection animale, les médias… et se veut dérangeante et questionnant au possible.
Des installations militantes écologistes © Nelly J.
Qui est Thierry Ehrmann ?
Sculpteur et plasticien depuis les années 1980, Thierry Ehrmann est également PDG de l’entreprise ArtPrice depuis 1997 et de sa société mère Groupe Serveur. Issue d’une numérisation de volumes encyclopédiques recensant les résultats des ventes aux enchères de plusieurs milliers d’artistes dans le monde (ADEC), ArtPrice est une entreprise pionnière dans la banque de données sur le web. Elle devient leader mondial de l’information sur le marché de l’art, de cotation et de vente en ligne. Thierry Ehrmann est donc un artiste millionnaire. En outre, il ne cache pas son appartenance à la franc-maçonnerie. Personnage excentrique pratiquant des performances avec scarifications et mégalomane, il est très controversé et déchaîne passions et critiques. Il est notamment sous curatelle pour des raisons psychiatriques. Néanmoins, la Demeure du Chaos est une réalisation collaborative fascinante qui mérite d’être supportée.
Un miroir pessimiste de notre monde ou un monde corrompu ?
La visite débute par une lecture des murs externes qui abritent le lieu. Dans un graphisme interpellant, se côtoient des messages politiques, écologiques « There is no Planete B », des rappels historiques de bombes nucléaires comme Fukushima ou bien des proverbes. Certains font état des bras de fer avec les pouvoirs politiques locaux, nous y reviendrons plus loin, et interpellent directement le maire « C’est un crime de vouloir détruire des milliers d’œuvres d’art, n’est-ce pas M. le Maire ? ». Sans langue de bois, les murs de la Demeure racontent entre textes et visuels les guerres, les destructions et le mal-être de notre planète. Les visiteurs interloqués lisent ces messages dans un silence quasi religieux.
Après avoir franchi les grilles de l’entrée, se dévoile un terrain de 9 000m2 sur lequel trône un grand bâtiment hybride recouvert de poutres en acier, de bidons pour liquides toxiques et de câbles et tuyaux en tout genre. Ce lieu est le siège de l’entreprise Groupe Serveur et le domicile de Thierry Erhmann. Un bâtiment entièrement insolite pour une firme, mais à l’image de son fondateur. Les murs sont, comme à l’extérieur, graffés ainsi que le sol. Le terrain assez vaste permet d’accueillir plus de 7 500 œuvres, des installations de grande ampleur, des carcasses de voiture, avion, hélicoptère, sous-marin, un bunker, des containers, des gravures ésotériques et sculptures en tout genre. Plus de 9 000 tonnes d’acier ornent ces lieux.
Le siège de l’entreprise « Groupe Serveur », société mère d’ « ArtPrice » © Nelly J.
Dans une ambiance post-apocalyptique de déchets industriels, destructions et reconstructions, les œuvres provoquent, questionnent, mettent à mal et la visite laisse un goût amer du monde actuel : « A nos vies de merde, dans ce monde de merde qui tire à sa fin ». Réalisés au pochoir, de nombreux portraits d’artistes non légendés comme Amy Whinehouse, Gainsbourg, Van Gogh, côtoient ceux de dirigeants comme Trump, Obama, de philosophe comme Nietzche, de terroristes comme Ben Laden, de figures religieuses comme le Dalaï-Lama, de révolutionnaires, de journalistes... Figures historiques ou d’actualité, ils ont laissé une empreinte sur le monde que la Demeure du Chaos retranscrit sur ses murs à la manière d’un média qui commente les évènements.
Le lieu est hanté par des portraits de « célébrités » © Nelly J.
Un grand nombre de messages écologiques pour sauver les abeilles, ne plus consommer de plastique mettent en garde contre la destruction de la planète, parfois sous la forme de railleries anticapitalistes : « Si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé ». A côté d’une météorite symbolisée par un caillou sur le sol, une pierre abhorre avec un humour noir : « Les dinosaures ont aussi vécu un truc dans ce genre là… et ils n’ont rien fait non plus ! ». Des messages féministes sont également soutenus avec un « #féminicides » présent dans tout le lieu : « Etre femme tue ». Les artistes approchent la dimension politique avec la corruption de l’Etat, la République bafouée, les attentats du 11 septembre 2001, et questionnent également les guerres de religion « Finalement, quand on voit ce qui peut être fait au nom de Dieu, on se demande ce qu’il reste au Diable comme activité ? ». Ce lieu se veut miroir du chaos de notre monde et appelle le visiteur à réfléchir et se responsabiliser devant une destruction imminente de la société. La liberté d’expression est utilisée pour choquer et apporter des prises de conscience.
Une météorite provoque le chaos © Nelly J.
Une liberté d’expression revendiquée à travers de longues années de procès médiatisés
La Demeure du Chaos est un lieu controversé, également connu en raison des nombreux procès entre Thierry Ehrmann et la mairie de Saint-Romain-au-Mont-d’Or. Le patrimoine ancien du village soumet les modifications architecturales à l’autorisation de l’Architecte des bâtiments de France. Ancien relais de poste du XVIIe siècle et fondée sur les ruines d’un ancien temple protestant daté des années 1630, l’actuelle Demeure du Chaos a été entièrement revisitée sans autorisation préalable.
En 2004, Pierre Dumont, maire du village, porte plainte contre Thierry Ehrmann. La Cour d’Appel de Lyon condamne Thierry Ehrmann en 2006 à une amende de 200 000 euros, mais elle reconnaît également le statut d’œuvre d’art de la Demeure du Chaos en n’imposant ni sa destruction ni sa modification. Le Parquet de Lyon et la mairie se pourvoient en cassation.
En 2008, la Cour d’Appel de Grenoble demande la remise en état de la Demeure du Chaos. Thierry Ehrmann use d’une disposition d’André Malraux dans le code de l’urbanisme (R421) qui protège la liberté et création artistique en ne la soumettant pas aux permis de construire et autres déclarations. Les fans de la Demeure du Chaos manifestent pour la liberté d’expression. En 2010, le Tribunal de Grande Instance de Grenoble ordonne la remise en état du lieu avec une amende quotidienne de 750 euros. En 2011, Thierry Ehrmann engage un premier recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour défendre la liberté d’expression. Au contraire, un collectif d’habitants de Saint-Romain, se constitue pour que les lois soient appliquées à la Demeure et manifeste en 2012.
La Cour d’Appel de Grenoble demande une remise en état avec amende en 2013, et Thierry Ehrmann se pourvoit en cassation. Cette dernière annule en 2014 l’arrêt de la cour d’Appel de Grenoble. Le 7 juillet 2016, le Ministère de la Culture promulgue l’article 1er de la loi n° 2016-925 qui proclame que la création artistique est libre.
La Demeure du Chaos fête sa victoire pour la liberté d’expression © Nelly J.
Mais les démarches sont loin d’être terminées. Thierry Erhmann est toujours en conflit avec Pierre Curtelain, maire actuel de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, et des plaintes et contestations sont actuellement en cours. L’affaire de la Demeure du Chaos révèle ainsi les limites de la création artistique, notamment que l’artiste français, limité par de nombreux règlements, ne possède pas de véritable liberté d’expression. Les batailles juridiques menées par Thierry Ehrmann ont ainsi permis de faire avancer les lois sur la création artistique et la liberté d’expression.
Musée du futur ou espace-temps muséal ?
Souvent décrite comme un « ovni » et proche des friches culturelles, la Demeure du Chaos se détache des autres musées d’art contemporain abrités dans des bâtiments conformes aux normes urbanistiques. Elle est à la fois un lieu de création et d’exposition entièrement gratuit. Le bâtiment ne sert pas uniquement à protéger les œuvres, il est également une œuvre d’art. De plus, l’antagonisme de ce lieu réside dans sa fonction réfractaire en même temps qu’il est le siège d’une entreprise numérique multinationale inscrite dans un système capitaliste du marché de l’art. Ce n’est pas un endroit où on s’attendrait à trouver une telle critique de la société et du monde.
Néanmoins, la Demeure du Chaos pose des questions essentielles sur l’art contemporain aujourd’hui, de la légitimité d’une création, au statut d’une œuvre et à son avenir. Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? La justice est-elle compétente pour décider du statut d’une œuvre ? Au nom de la liberté d’expression, est-il possible de tout modifier sans autorisation préalable ? Les polémiques engendrées montrent que toutes les réglementations ne sont pas encore clairement définies, mais que l’art ne laisse pas indifférent.
Les œuvres de la Demeure du Chaos ne sont pas destinées à itinérer. Réalisées par des collectifs d’artistes, ces performances sont éphémères et engagées dans l’actualité. Le musée de l’Organe représente un espace, avec une ambiance post-apocalyptique calculée, un désordre organisé. Contrairement aux musées plus classiques, il n’y a pas de médiation. Les clés de compréhension sont parfois difficiles à déceler, sachant qu’aucun cartel n’accompagne les œuvres. Le métier de conservateur ou de régisseur ne s’exerce pas. Les installations soumises aux intempéries se détériorent au fil du temps. Sans aucune politique de conservation dans des réserves, elles sont également détruites ou modifiées suite au manque de place. Seule la trace photographique atteste de leur vécu. Les œuvres sont en phase avec l’actualité et évoluent constamment. Bien que la Demeure du Chaos soit pionnière dans sa démarche artistique et visionnaire, espérons que ce musée ne soit pas celui du futur, car sinon le chômage guetterait les régisseurs.
Nelly Jacquemart
Hommage à la vie © Nelly J.
#demeureduchaos
#libertédexpression
#artcontemporain
La lente avancée du tank parmi les dunes
Être un professionnel de l'exposition, c'est avoir conscience de la multiplicité des points de vues qui se tissent autour de celle-ci. La difficulté étant de prendre en compte à la fois la perception du public, celles des artistes, des scénographes, des techniciens, des scientifiques, desg estionnaires... L'exposition naît d'un dialogue où de nombreuses voix ont leur rôle, leur place et leur importance. Avant que naisse l'exposition, les œuvres susceptibles d'y être exposées, ont une histoire.
Chaque conception et réalisation d'une œuvre plastique est unique. Les étapes de sa conception suivent une logique qui lui est propre. C'est l'histoire de l'émergence d'une œuvre et de sa réalisation dont je vais vous parler.
Suite à un appel à projet pour une exposition collective de jeunes artistes français et internationaux autour d'une réflexion contemporaine sur le paysage poétiquement nommée Les Fleuves Fantôches, une artiste plasticienne française a proposé une idée que j'ai eu la chance de voir évoluer.
Répondre
En tout premier lieu, l'artiste répond à un appel à projet, porté par une structure(association, galerie, centre d'art, musée...) ayant une politique et une identité culturelles qui lui sont propres. L'artiste contemporain doit remplir un dossier de candidature. Ce dossier comprend la plupart du temps un C.V, une lettre de motivation, un book artistique mais surtout une œuvre déjà existante qui correspond à l'esprit de l'appel ou un projet d’œuvre argumenté, réaliste et original. On ne le soupçonne pas, mais un artiste doit savoir se vendre,remplir des formulaires, être le gestionnaire de sa propre activité. Dans ce cas particulier, les artistes retenus ont tous passés un entretien avec l'une ou l'autre responsables des associations. De nombreuses et précises questions leur ont été posées, pour vérifier la concordance de leurs propositions plastiques avec l'esprit de la future exposition.
Concevoir
Mélina Hueest une jeune artiste plasticienne dont la pratique s'attache à interroger toutes les dimensions d'un territoire, qu'elles soient géographiques,historiques, sensibles ou physiques. Avec pour point de départ le thème du paysage, les envies artistiques de Mélina Hue lui ont servi de cadre initial,de plan, où le processus créatif est pensé de la conception à la monstration,puis le réel se charge de modifier, d'affiner, de compléter ce cadre. Parmi les envies de l'artiste, je peux citer : travailler le médium vidéo à partir d'envies esthétiques, questionner le rapport au temps inhérent à ce médium et donc entamer une réflexion sur les modalités de monstration de la vidéo,produire une immersion du spectateur dans un paysage... Toutes ces envies devaient trouver un lieu pour s'exprimer, il a donc fallu que l'artiste se mette à sa recherche.
Lors d'une séance de repérage à Bray-Dunes, dernière ville de la Côte d'Opale avant la Belgique, l'idée d'une œuvre vidéo ayant comme sujet le littoral avec dunes et mer animées par le vent, s'est imposée à l'artiste. C'est ce « paysage changeant » qui l'a marqué esthétiquement. Outre cet aspect sensible,le moment du repérage fut aussi celui du choix des cadrages et de l'émergence d'un story-board. Pour provoquer une interaction avec le paysage, un personnage fera office « d'échelle de grandeur, de révélateur, d'outil ». L'artiste a souhaité voir ce personnage faire une action absurde en lien avec le sujet de la vidéo : le paysage. C'est un rêve qui a servi de déclencheur, Mélina Hue s'est vu traîner son bulldozer dans les dunes. C'est à ce moment là que ré-utiliser cet engin de chantier en carton plume et bois à échelle 1 fabriqué lors d'un précédent projet a conduit l'artiste à se pencher sur l'histoire du territoire où aurait lieu le tournage. Bray-Dunes est un paysage marqué par les deux guerres mondiales. Les vestiges de l'histoire que sont les blockhaus et les épaves essaimés sur ses plages sont des éléments quotidiens du décor pour les habitants. L'artiste n'étant pas de la région, sefut pour elle un véritable étonnement de voir ces bunkers en bord de mer.
En effectuant des recherches, elle s'est rendu compte que les tanks ont été utilisés pour la première fois lors de la première guerre mondiale et ont été testés dans la région du Nord-Pas-de-Calais. Une période de documentation sur l'apparition des tanks pendant 14-18 et la réalisation de deux des premiers modèles de tanks en maquette en carton permettent à l'artiste de concrétiser son idée de départ. Un personnage évoluera dans un paysage mouvant et marqué par l'Histoire en traînant une réplique en carton (échelle 1) du premier tank français. Action absurde.L’œuvre vidéo de l'artiste ayant pour sujet non pas ce personnage ni cette action, qui ne font que traverser le champ de la caméra en y insérant une échelle humaine, mais la lente progression de la caméra des dunes vers le rivage. Mélina Hue travaille la vidéo en y insérant une dimension picturale.Créer une attente chez le spectateur qui cherchera des yeux cet étrange personnage est l'objectif de l'artiste. Cette attente permet une projection dans le paysage. Celui-ci semble filer la métaphore du paysage mental sans pourtant s'imposer en tant que tel.

Maquette préparatoire du Tank © Ophélie Laloy

Vue du début du tournage © Ophélie Laloy
Réaliser
L'impact du réel sur la réalisation d'une œuvre prend souvent des tournures cocasses. Bien que l'artiste ait pensé en amont à la logistique (la location d'un camion et de matériel, le choix du matériau carton pour le tank, des repérages, un story-board) le double impact de l'aspect matériel et de l'équipe de tournage peuvent venir modifier l'idée de la vidéo que se faisait l'artiste. Ce sont ces impacts et les modifications qu'ils entraînent que je vais retracer maintenant.
L'artiste adonc son idée en tête, qui prend peu à peu forme au fur et à mesure des étapes de conception. Puis vient le grand jour du tournage. L'artiste a du constituer une équipe de tournage. Bien que nous soyons tous des proches de l'artiste, chaque participant a sa fonction et des qualités spécifiques pouvant servir le tournage (connaissance du lieu, facultés techniques, dynamisme ou encore jouer le rôle du personnage).
Afin d'éviter tout problème de transport, l'artiste a conçu son tank en plusieurs modules que nous assemblerions sur le lieu du tournage. L'artiste n'ayant pas d'atelier, c'est chez elle que nous avions rendez-vous pour notre première étape de la journée : descendre les différentes parties du tank. Ne riez pas, ce ne fut pas une mince affaire ! Il a fallu passer ces modules par la fenêtre du troisième étage, en plein centre ville, avec les risques que cela comporte. Même en prenant les mesures de la largueur des portes avant de faire la maquette il arrive souvent un imprévu, ici c'était la cale de la porte d'entrée. Voir tomber un morceau de tank en carton sur une voiture à l’arrêt reste un moment fort de cette journée ! Heureusement, rien de cassé.

Mélina Hue assemble son char © Ophélie Laloy
Autre contrainte que l'artiste n'avait pas prévue, le poids du tank une fois assemblé. Il a donc fallu ajouter un personnage à la vidéo, afin que le tank puisse être tiré sur le sable. Mon rôle a basculé très vite de photo-reporter/assistante technique à second rôle ! Le poids du tank a empêché l'artiste de faire les prises de vues qu'elle avait sélectionnées au moment du repérage. Les dunes qui longent Bray-Dunes sont des espaces protégés que l'on ne traverse pas facilement. Ainsi avant même d'avoir commencé à filmer, l'artiste a du accepter de voir se modifier profondément son idée : deux personnages au lieu d'un et un story-board à faire sur le vif. Dès le premier plan, des promeneurs intrigués se sont invités dans le champ, forçant l'artiste à le refaire et à être attentive, à tout moment, pour éviter que cela ne se reproduise. De plus, réaliser des plans séquences droits sur du sable n'est pas une mince affaire, les réglages prennent du temps, enfin, le vent modifie en permanence la luminosité et fait bouger les caméras ce qui sera une difficulté de plus lors du montage.

Vue du tournage, scène 1 © Ophélie Laloy

Vue du tournage, scène 1 © Ophélie Laloy
Ce sont donc avant tout des contraintes techniques et liées au lieu du tournage qui ont modifié l'idée de départ plus que la participation d'une équipe au tournage. Chacun des participant garde un souvenir particulier de cette mémorable journée. Pour l'artiste, habituée à diriger une équipe c'est d'avoir contraint ses « acteurs » à rester vêtus de la même façon du début à la fin malgré l'effort physique qu'entraînait l'action « tirer le tank ». D'ordinaire c'est Mélina Hue qui joue le personnage de ses vidéos .
C'est aussi de s'être imaginé ce tank se désagrégeant au fur et à mesure pour devenir au dernier plan, un vestige, une absence, où seule la corde qui servait à le tirer aurait survécu. Alors que la maquette en carton a résisté jusqu'au bout, ne perdant que ses chenilles et son viseur. Pour les acteurs ce fut la lourdeur de l'objet à traîner, l'attente entre les prises, les multiples manipulations complexes qu'ils ont du effectuer pour faire passer le véhicule dans d'étroits sentiers. Pour le préposé à la technique ce fut la très forte luminosité qu'il a fallu gérer à l'aide de filtres ainsi que l'attrait qu'a eu le tournage sur les promeneurs. Pour l'assistante technique c'était d'être aux ordres de l 'artiste et de n'avoir donc pas à gérer le stress inhérent aux imprévus. Étant une artiste elle-même elle comprenait très bien l'envie de tout contrôler que peut avoir Mélina Hue.De plus, entre deux prises, elle a réalisé des vidéos burlesques avec la petite maquette du tank, on peut imaginer, en parallèle du montage, un making-off plein de malice.

Vue du tournage, réglage des caméras © Ophélie Laloy
Pour l'ensemble des participants se fut une belle journée, dans une ambiance détendue, une expérience enrichissante, et surtout, qui offre la satisfaction d'avoir aidé une artiste à réaliser son idée, à la matérialiser en des plans séquences. Nous attendons avec impatience de voir le résultat : l’œuvre vidéo. Mais avant cela, il reste à l'artiste une étape cruciale, elle même pleine de rebondissements : le montage.
Cet article vise à faire prendre conscience du long processus qui suit la validation d'une candidature à un appel à projet. Rappelons qu'il ne s'agit pas d'une commande mais d'une création originale dans un cadre spécifique. Être retenu lors d'un appel à projet ne garantie à l'artiste, ni de rentrer dans ses frais, ni devoir son œuvre exposée, des impondérables étant toujours possibles dans le monde fragile des associations culturelles. Pourtant, c'est toujours l'envie de créer, de transformer une idée en un artefact et de le partager aux publics qui pousse l'artiste à prendre le risque...
Je remercie chaleureusement l'artiste Mélina Hue ainsi que l'équipe de tournage.
Ophélie Laloy
Pour aller plus loin :
- http://blueyardasso.wix.com/art-contemporain
- http://associationtaap.tumblr.com/about- http://creative.arte.tv/fr/community/les-artistes-melina-hue
#Pratique artistique
#Participation à un tournage
Laissez votre nez vous guider...
Un parcours particulier et une expérience à vivre à l’église Saint-Marie-Madeleine de Lille. Pendant quelques mois les œuvres de Peter De Cupere mènent les visiteurs par le nez.
Un événement tous les 3 ans à Lille
Lille est une ville avec une empreinte culturelle forte depuis 2004, suite à sa désignation de Capitale Européenne de la Culture. Dans cette lancée, la ville poursuit ses investigations avec des éditions thématiques tous les 3 ans dès 2006 avec Lille3000.
Lille3000 est une association présentant un programme culturel sous la direction artistique de Didier Fusillier. Cet événement s’implante durant plusieurs mois au sein de divers espaces de la ville : musées, coins de rue, gares… Lille3000 a pour objectif de diffuser les cultures et questionner le dérèglement climatique, par le biais de la création contemporaine et l’innovation.
Une thématique en lien avec les problématiques environnementales
La 6èmeédition thématique de Lille3000 intitulée Utopia prend vie du 11 mai 2022 au 2 octobre 2022. Elle questionne les liens qui unissent l’Homme au Vivant. L’écrivain anglais Thomas More forme le néologisme grec Utopiaen 1516 qui prend tout son sens face au dérèglement climatique et aux enjeux environnementaux. Ce néologisme désigne un idéal inexistant ou inaccessible. Cette thématique interroge la hiérarchie entre les hommes et la nature et cherche à le rendre conscient de la nature tout en accordant une place à l’émerveillement.
Un artiste olfactif invité pour l’événement
Un artiste particulier est invité à investir les lieux de l’église Saint-Marie-Madeleine de Lille : Peter De Cupere. Cet artiste olfactif belge donne des expériences à vivre aux visiteurs en sollicitant leur participation. Peter De Cupere travaille avec les parfums et les senteurs afin que les visiteurs explorent leur sens de l’odorat. Cet artiste est tuteur affilié à la « PXL MAD School of Arts » à Hasselt en Belgique où il reçoit un titre de docteur. En tant que cofondateur de l’Open Lab et tuteur, il enseigne l’utilisation des sens dits approximatifs : l’odorat, le goût et le toucher dans le Senses Lab.
Peter De Cupere présente un parcours olfactif intitulé Le Jardin d’Eden,de quatre œuvres données à vivre au visiteur. Celui-ci se « laisse guider par le bout de son nez ».
Le parcours au sein de l’église est libre, chaque œuvre peut être appréciée indépendamment et renvoie à la thématique d’Utopia. L’entrée est libre et gratuite pour tous les visiteurs.
Dès l’entrée, l’artiste nous embarque avec son odeur Parfum d’Utopia Jardin d’Eden, spécialement créée pour l’événement. Ce parfum, renfermé dans une boîte, semble inaccessible comme une utopie et laisse libre cours à l’imagination du visiteur. Selon l’artiste, cette senteur renvoie à une promenade dans la nature tout en gardant l’esprit d’Utopia, souvenir d’une promenade avec des notes marines et minérales tirées de la forêt qui dessine les contours d’un paysage utopique.
©Loona Gros ©Marine Laboureau
Peter De Cupere aime jouer sur les perceptions et l’imagination du visiteur. Son installation Smoke Cloud de 2013, qui pourrait nous faire croire à une expérience « la tête dans les nuages » est tout autre. L’artiste invite à monter sur une échelle, le visiteur s’imagine une odeur douce et agréable. Cependant, le nuage renferme une odeur âcre de pollution. Cette odeur repoussante le fait réfléchir sur les conséquences de nos actes sur Terre : pollution et réchauffement climatique.
©Marine Laboureau ©Marine Laboureau ©Marine Laboureau
Le chemin se poursuit par une œuvre nommée Flower Fragrum Cardamomi, réalisé en 2012. Elle nous présente un bulbe en fleur monumentale, de 9 mètres de haut avec de longues tiges s’étirant vers le ciel. Lorsque le visiteur arrive devant cette œuvre, il est intimidé, intrigué, en fait le tour sans réellement la comprendre. C’est par quelques lignes de cartel ou par l’expérience des autres visiteurs qu’il est amené à être acteur de l’œuvre. Peter De Cupere invite le visiteur à frotter la surface pour en libérer des senteurs : celle du parfum appétissant de la fraise ou de la cardamome sur ses doigts. Il laisse le visiteur repartir avec ces odeurs comme un don de la nature.
©Marine Laboureau ©Maryline Catherine ©Loona Gros
Puis un parfum d’épices attire le visiteur qui s’avance et aperçoit un « tapis ». Ce « tapis » Smell Carpetn’est pas accessible vu sa fragilité. Cette œuvre n’est pas un « tapis » comme les autres. Il est composé d’épices dispersées à même le sol qui diffusent les arômes dans l’ensemble de l’espace et viennent titiller l’odorat du spectateur. Ce sens amène le visiteur à comprendre cette œuvre. Cette installation dévoile la fragilité de notre monde et fait référence à Utopia par les motifs persans aux extrémités du « tapis », par l’allusion formelle au désert et à une oasis au centre.
©Maryline Catherine ©Marine Laboureau
Une exposition qui soulève des questionnements
L’artiste, par ses installations, nous emmène à voir le monde avec notre sens de l’odorat. Grâce à celui-ci, il questionne les visiteurs sur son rapport au monde, les désastres de la pollution et du réchauffement climatique. Peter De Cupere invite le visiteur à réfléchir et à prendre conscience des dangers écologiques tout en imaginant un monde meilleur. Il travaille à la fois sur la fragilité du monde dûe à notre présence sur Terre tout en laissant une lueur d’espoir sur ce que la planète peut nous offrir avec des senteurs inaccessibles, utopiques.
Maryline CATHERINE
Pour aller plus loin :
#Lille3000 #exposition_olfactive #église_Saint_Marie_Madeleine

Le bon, la brute et le Street Art
La nuit du vendredi 11 au samedi 12 mars 2016, à Bologne en Italie, toutes les œuvres du Street artiste Blu sont effacées. Ce sont 20 années de son travail et d’interventions murales qui se voient, en quelques heures, disparaître sous une peinture grise.
Exposition Street Art, Banksy & Co. L'arte allo stato urbano, Musée de l'Histoire de Bologne © Biondo Caroline
Blu versus le musée d’histoire de Bologne
Cet acte vient de l’artiste lui-même, aidé de quelques personnes, il passera la nuit à repeindre chacune des fresques murales qu’il avait offertes à la population de Bologne. De cette manière, Blu proteste contre l’exposition présentée au musée de l’Histoire de Bologne du 18 mars au 26 juin 2016 intitulée « Street Art, Banksy &Co. L’Arte allo stato urbano[1] ».
L’artiste reproche à cette exposition le prélèvement de certaines de ses œuvres à la rue au profit de leur conservation. L’extraction des fresques les sortirait de leur contexte et les dénaturerait complétement mais surtout elles seraient détournées du public populaire au profit de l’élite puisque l’entrée de l’exposition est au prix de13 euros.
Blu préfère faire disparaître l’ensemble de ses œuvres et fonctionner par soustraction afin de rendre « le pillage » impossible. En retirant ses œuvres Blu compte lutter contre la thésaurisation privée de l’art urbain. Le milieu du Street Art soutient en grande partie l’acte de Blu même si certains s’interrogent sur le paradoxe de ne laisser à la population que des murs gris et de leur retirer une œuvre qui leur avait été offerte.
Exposition Street Art, Banksy & Co.L'arte allo stato urbano, Musée de l'Histoire de Bologne © Biondo Caroline
À la fin des années 1970, de nouvelles pratiques artistiques urbaines sont apparues dans différentes villes du monde occidental. En s’appuyant sur ces cinquante dernières années et avec l’intention de redéfinir la notion de l’art dans l’espace public, l’exposition du musée de l’Histoire de Bologne réunit diverses formes d’art public indépendant qui reprennent les codes de la culture pop et du graffiti.
L’exposition souhaite également porter une réflexion sur les méthodes de présentation, de préservation et de conservation de cette forme d’art. Ce sont environ 250 œuvres qui invitent le visiteur à poser un nouveau regard sur l’espace urbain à travers des photos d’œuvres urbaines, des peintures sur toile, des sculptures, des vidéos telle que celle proposant la lecture du writing en tant que performance et des œuvres provenant directement de la rue comme des portes de garage ou des boîtes aux lettres taguées.
95% des objets exposés proviennent de collections privées ou de musées, d‘autres encore sont issus des WorkShop Fresco Removal :il s’agit d’une action publique de sept jours permettant d’enseigner aux habitants à retirer les graffitis de textes et de symboles, de les déposer sur une toile et ainsi de les conserver. Cependant, ce sont les trois œuvres de l’artiste Blu, récupérées dans la rue qui feront le plus parler d’elles.
Blu, Uomo con computeralla spalle, 2003 © Biondo Caroline
Une récupération impressionnante
Le projet d’ « arracher[2] » et de restaurer lié à l’exposition est une expérimentation conduite par le laboratoire des restaurateurs Camillo Tarazzi, Marco Pasqualicchio et Nicola Giordini sur quelques murs bolognais peints par Blu –la façade de l’ancien atelier de Casaralta (Sans nom, 2006) et celle de l’ancien atelier Cevolani (Uomo con computeralla spalle, 2003) - destinés à la démolition.
De plus, ces œuvres n’étaient pas visibles par le public, puisqu’elles se trouvaient à l’intérieur de ces bâtiments désaffectés. Les récupérer permet alors de les rendre visibles en les exposant dans le musée. Cette démolition est devenue une occasion pour l’exposition qui désirait contribuer au débat actuel sur la conservation du Street Art.
Depuis des années, la communauté scientifique porte son attention sur le problème de la sauvegarde de ces témoignages de l’art contemporain et de leur éventuelle« muséalisation » en dépit de leur localisation originelle mais en faveur de leur conservation et de leur transmission aux générations futures.
Image extraite de la vidéo The great mystery " Blu " Untitled
Bologne est la capitale historique de la technique de la dépose de peintures murales en restauration.Camillo Tarozzi et ses deux assistants ont souhaité vérifier si cette technique, datée du XVIIIe siècle, pouvait être adaptée à des matériaux contemporains comme le béton ou encore la brique. Par exemple, pour l’œuvre Sans nom (2006) de Blu qui se trouvait dans l’atelier Casaralta, ce n’est qu’une couche de béton épaisse d’un millimètre qui est retirée du mur et récupérée.
Comment est-ce possible ?Une colle à base d’eau est déposée sur l’ensemble de la fresque et des morceaux de toile y sont posés. Une fois que l’ensemble est sec, la partie devant être récupérée est taillée avec un scalpel puis il est possible « d’arracher »du mur la fine pellicule de béton avec le dessin. L’œuvre est soigneusement roulée sur elle-même jusqu’à ce qu’elle soit retirée complétement de son support originel. De retour dans l’atelier de restauration, cette pellicule de béton est déroulée, nettoyée à l’eau, fixée sur une toile et enfin installée sur une armature en bois. L’œuvre est alors prête à être exposée.
Cette récupération est un exploit technique, c’est une première mais surtout l’œuvre est d’une taille impressionnante puisqu’elle mesure approximativement 4 mètres 70 sur 12 mètres.Elle a dû être séparée en quatre parties afin de faciliter l’opération et le transport, les morceaux ne sont par la suite réunifiés sur la toile. La vidéo The great mystery " Blu "Untitled permet d’observer les différentes étapes de cette récupération et le travail réalisé pour la conditionner. Elle est disponible via le lien internet ci-contre : https://www.youtube.com/watch?v=o7U5owILWZ4&feature=youtu.be
Blu, Sans nom, 2006, mur de ciment de l’atelier Casaralta peint exposé au Musée d’histoire de Bologne © Biondo Caroline
À qui appartient une œuvre de Street Art ?
L’artiste avait-il le droit de repeindre ses œuvres ? Le musée pouvait-il récupérer les œuvres de Blu ? Avec le Street Art la frontière des droits d’auteur est très mince puisque l’art urbain est initialement considéré comme un acte non-autorisé et vandale.
Exposition StreetArt, Banksy & Co.L'arte allo stato urbano-Musée d’histoire de Bologne © Biondo Caroline
En Italie, c’est la doctrine des « mains sales » qui est privilégiée par la loi. C’est-à-dire quesi une œuvre est peinte sur un mur dans des conditions illégales, l’artiste perd ses droits d’auteur et ne peut plus les réclamer. L’œuvre de l’atelier Casaralta appartenait donc au propriétaire des murs et celui-ci possédait le droit de faire retirer la fresque, de la conserver ou de la modifier.
Ce dernier ayant donné son autorisation pour extraire l’œuvre du mur, l’opération réalisée par les restaurateurs a été effectuée en toute légalité. Les fresques de Blu appartiennent désormais à l’association à but non lucratif Italian Graffiti et cette association a le droit de les revendre même si ce n’est pas leur intention. La volonté première serait de remettre, à titre gratuit, les fresques à des musées et ainsi les rendre visibles du public et disponibles pour la communauté scientifique.
Du vandale à l'artiste
L’exposition du musée d’histoire de Bologne n’est pas une exception. De plus en plus de lieux, événements muséifiés et dédiés au StreetArt apparaissent à Rome. Le M.U.R.O (Museo di Urban Art di Roma) a ouvert ses portes en 2010et des expositions ont été consacrées à l’art urbain au Tate à Londres en 2008, à la Fondation Cartier à Paris en 2009 ou encore au MOCA en 2011 à Los Angeles. Mais nous assistons surtout à une multiplication des galeries consacrées à l’art urbain, que ce soit à New York, Paris ou encore Berlin. Traqué, interdit, effacé et considéré comme illégal il y a 40 ans, aujourd’hui le Street Art a conquis le monde des musées, des galeries et a su acquérir une légitimité en tant qu’art.
Depuis une dizaine d’années, il est passé du statut d’acte de vandalisme que l’on doit faire disparaître à celui d’œuvre d’art qu’il faut conserver. On assiste alors à une institutionnalisation du StreetArt. Cependant cette pratique s’oppose totalement au goût de l’éphémère qu’ont certains artistes. Conserver ou laisser l’œuvre se détériorer au gré du temps ? Tous les artistes ont leur position sur le sujet. Par exemple, David Mesguich réalise des sculptures géométriques qu’il pose dans l’espace public et abandonne jusqu’à ce que le temps ou les intempéries l’emportent. L’œuvre disparaît physiquement mais « elle vit encore à travers les souvenirs des gens »[3] selon l’artiste. Le processus de dégradation participe pleinement à l’œuvre. Mais c’est un fait, le Street Art entre peu à peu dans le patrimoine et la volonté de conserver les œuvres, qu’elle vienne de la ville, de l’artiste ou de la population, augmente. Ainsi, certaines œuvres de Banksy sont recouvertes d’un vitrage anti-casse afin de les protéger des intempéries ou encore d’empêcher que le « vandalisme » ne soit lui-même vandalisé. Des associations invitent les artistes à restaurer eux-mêmes leurs fresques et à utiliser des matériaux adaptés et plus résistants.
Ce qui s’est passé à Bologne souligne de nouveau la situation paradoxale dans laquelle se trouve le Street Art, entre vandalisme et art,éphémère et conservation, qui a raison ? Qui à tort ? Doit-on conserver ? Doit-on condamner ? Jusqu’à quel point l’artiste de rue peut-il s’approprier son œuvre ou se la réapproprier ? Depuis l’ère préhistorique,l’homme s’exprime sur les murs : des cavernes aux villes d’aujourd’hui,l’art mural a traversé les époques, les frontières et a toujours eu pour but de représenter son environnement ou de transmettre son opinion. Aujourd’hui nous constatons qu’une majorité de ces témoignages anciens se trouvent dans des musées ou des lieux patrimonialisés pour être sauvegardés, et désormais, il en est de même pour les dernières œuvres bolognaises de Blu.
Caroline Biondo
Pour en savoir plus :
http://www.genusbononiae.it/mostre/street-art-bansky-co-larte-allo-urbano/
https://www.youtube.com/watch?v=o7U5owILWZ4&feature=youtu.be
https://www.youtube.com/watch?v=uuGaqLT-gO4
# Street Art
# Bologne
# Musée d’histoire de Bologne
[1]L’art à l’état urbain
[2] « Arracher » est la traduction du mot italien “Strappare” qui est utilisé pour parler de cette technique, “il distacco“signifiant « le détachement » est également usité.
[3] {HYPERLINK “ http://www.creationduquartier.com/fr/webzine/le-street-art-de-ses-racines-%C3%A0-ses-tendances-actuelles “}

Le Cnap : une institution au cœur de la création contemporaine
L’année dernière, j’ai eu l’occasion de réaliser un stage de six mois auprès de la chargée des collections de design et d’art décoratifs du Centre national des arts plastiques (Cnap), à Paris. Je fus étonnée de constater qu’au sein de mon entourage, un grand nombre ignorait tout de cette institution, de son existence à l’ensemble de ses missions. Le Cnap tient pourtant une place importante dans le milieu de l’art contemporain en France. Cet article a donc pour objectif de présenter le Cnap ainsi que l’ensemble de ses actions dans le secteur culturel public.
Le Cnap est un établissement public placé sous la tutelle du ministère de la Culture. Établi à La Défense, en périphérie de Paris, le Cnap a pour principale mission de soutenir et de promouvoir la création artistique contemporaine. Depuis sa création en 1982, l’institution soutient un grand nombre d’acteurs s'agissant principalement d'artistes (peintres, plasticiens, photographes, designers...), mais aussi de critiques d’art, d'éditeurs, de galeristes, d'historiens de l’art, ou encore de restaurateurs. Son champ d’action s’étend sur l’ensemble du secteur des arts plastiques et visuels. Afin d’encourager ces différents corps de métiers, le Cnap met régulièrement en place des commandes et des coproductions.
Le soutien à la création : un dispositif d’aides à destination des professionnels de l’art contemporain
Les professions liées à l’art contemporain touchent à des champs d'action très divers allant de l’édition à l’exposition en passant par la production ou la recherche. Tous ces professionnels constituent un vaste réseau que le Cnap a pour mission d’aider. Dans le but d'apporter à chacun une aide personnalisée, le Cnap a mis en place treize dispositifs de soutien différents auxquels il est possible de candidater par le dépôt d’un dossier, ensuite étudié par une commission. Les critères de sélection portent sur la qualité, la cohérence, la faisabilité et le budget du projet.
Ces dispositifs permettent avant tout aux artistes d'obtenir une aide financière et matérielle dans le but de réaliser un projet artistique. Certains chercheurs peuvent également prétendre à ces aides pour entreprendre des recherches. Le Cnap est aussi un véritable soutien pour les artistes en situation de précarité qui peuvent ainsi prétendre à une aide de secours exceptionnelle en cas de difficultés financières. De plus, l’institution met en place des aides ponctuelles en réponse à des situations de crise comme actuellement l'épidémie de Covid-19 qui handicape grandement les projets artistiques. Ces aides exceptionnelles, destinées aux professionnels subissant des pertes de rémunération, permettent de conserver une dynamique de création artistique même dans des périodes les plus difficiles.
Au-delà des artistes et des chercheurs, d’autres acteurs du milieu culturel peuvent bénéficier d’aides de l’État par l'intermédiaire du Cnap. Les galeries d’art peuvent prétendre à une aide leur permettant d'organiser des expositions, de participer à des salons d'art, de mettre en place des partenariats à l'international ou encore de commander une œuvre originale à un artiste. De même, les éditeurs de livres d'art peuvent bénéficier d'une aide leur permettant de participer à des salons en France ou à l'étranger. Enfin, les maisons de production souhaitant expérimenter de nouvelles techniques de création audiovisuelles peuvent également prétendre à une aide pour le développement, la production et la post-production de leurs projets. C’est grâce à ce soutien notamment que le film C’est Paris aussi de Lech Kowalski a pu voir le jour. Dans cette sorte de « remake d’Un américain à Paris »1, le réalisateur donne à voir Ken, un native american, déambulant dans le Paris de la « zone » en bordure de périphérique. Les deux hommes vont à la rencontre de ces habitants de bidonvilles et réfugiés, dont l’histoire est mise en parallèle avec celle de Ken et de ses origines.
Au-delà des aides financières et matérielles, le Cnap fournit un nombre de ressources considérables pour les professionnels du secteur culturel : offres d'emploi, accompagnement dans les démarches administratives et financières, réseau d'adresses... Ces ressources s'avèrent extrêmement utiles, notamment pour les jeunes professionnels qui débutent leur carrière.
En parallèle, le Cnap mène également une politique d’acquisition très active destinée à régulièrement alimenter sa collection d'œuvres d’art, et qui a pour ambition principale d'être le reflet de la création contemporaine. Ainsi, par le biais de nombreuses commandes et acquisitions, le Cnap s’ancre dans le marché de l’art.
Le fonds national d’art contemporain : une collection éclectique et en mouvement
Le Cnap gère le Fonds national d’art contemporain (FNAC), une collection publique parmi les plus grandes d'Europe qui rassemble plus de 100 000 œuvres d'art. La collection est cependant bien plus ancienne que le Cnap lui-même : ce fonds est en réalité hérité de la grande collection d'œuvres d'art constituée des biens du clergé, des collections royales et des Emigrés créée en 1789 à la suite de la Révolution française. Ce n’est qu'en 1982 que le FNAC est affecté au Cnap, sous la tutelle du Ministère de la Culture. Le Cnap a donc depuis sa création l'ambition d’enrichir sa collection d'œuvres d'art et de la diffuser aussi bien en France qu'à l'international, et ce conformément à la politique de décentralisation de la culture menée au début des années 1980.
Le FNAC se décline en plusieurs collections comportant des œuvres d’artistes français et étrangers :
- La collection historique : 23 300 œuvres de 5 300 artistes datant de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à 1910;
- La collection moderne : 25 600 œuvres de 7 900 artistes datant de 1905 à 1960;
- La collection arts plastiques : 19 600 œuvres de 5 900 artistes des années 1960 à aujourd'hui;
- La collection design et arts décoratifs : département créé en 1981, comportant 9 500 œuvres de 2 200 auteurs;
- La collection de photographies : 12 100 œuvres de près de 1 100 artistes;
- La collection vidéo : ensemble de près de 800 œuvres;
- La collection Art public : 1 300 œuvres de 700 artistes couvrant une période de 1945 à nos jours. Cette collection est destinée à être présentées en dehors des lieux d’exposition traditionnels et dans l’espace public;
- Le fonds études et maquettes : 4 300 éléments d’études de 720 artistes. Cette collection comporte des études et autres travaux préparatoires réalisés dans le cadre de commandes d'œuvres depuis 1983.
Cette collection éclectique dite « sans murs » car ne disposant pas de lieu d’exposition propre, s’enrichit constamment au gré de la création contemporaine. La diffusion de ces œuvres par l'intermédiaire du prêt constitue la principale raison d'être du FNAC. Le Cnap est à ce titre régulièrement sollicité par les institutions culturelles (principalement les musées et centres d’art) qui souhaitent emprunter certaines œuvres en vue de divers projets d'exposition. Les professionnels du « Pôle collection » du Cnap ont pour mission de valoriser, de conserver et de documenter cette collection par le biais de coproductions d’exposition ou de publications d’ouvrages. Pour acquérir des œuvres du FNAC, un travail prospectif est mené afin de faire les choix les plus pertinents pour rendre ce fonds d’art contemporain le plus inclusif possible. Ces acquisitions peuvent accompagner des carrières d’artistes déjà bien initiées, ou bien mettre en valeur la nouvelle génération d'artistes. Par le biais de ces acquisitions, le Cnap enrichit exclusivement sa collection avec des œuvres d’artistes vivants, français ou étrangers, peu présents dans les collections françaises. Trois commissions d’acquisition ont lieu tous les ans dans les domaines suivants : Arts plastiques, Photographie et images, Arts décoratifs, design et métiers d’art. Le choix des œuvres se fait de manière collégiale. Les commissions sont composées de six membres du Cnap, deux artistes, et six personnalités choisies pour leurs compétences dans le domaine artistique en question (critiques, collectionneurs, chargés de collections d’art contemporain, etc.). Ces commissions sont chargées de réaliser des acquisitions pour le compte de l’Etat et sont renouvelées tous les trois ans.
En parallèle de sa politique d'acquisition, le Cnap passe régulièrement un certain nombre de commandes publiques, ce qui lui permet d'enrichir sa collection tout en soutenant activement les artistes. Un nouveau projet de commande a récemment été lancé pour la création de quinze œuvres à protocole temporaires et réactivables, destinées à être exposées dans l’espace public.
Une institution au service de la diffusion et de la valorisation de la création
Cette collection est destinée à être prêtée ou déposée un maximum puisque comme nous l’avons dit précédemment elle ne dispose pas de lieu d’exposition qui lui soit propre. De ce fait, des commissions de prêts et dépôts se réunissent tous les mois, en présence des chargés des collections, de la direction du Cnap mais aussi des personnes en charge de la régie des œuvres, afin de se concerter et se prononcer sur les demandes formulées par les différentes institutions. Ainsi, la collection est diffusée et permet à des musées ou centres d’arts de disposer d’une grande diversité d’œuvres pour leurs expositions temporaires ou permanentes. L’institution participe alors, grâce à sa politique de diffusion, à valoriser la création contemporaine, mais également les musées de régions. Ceci se fait notamment grâce aux nombreux dépôts qu’il effectue dans des institutions culturelles afin qu’ils bénéficient de ces œuvres sur le long terme.
Cette collection est peu connue du grand public mais pourtant très présente dans les institutions et l’espace public français, ce qui est un paradoxe. De nombreuses œuvres des collections permanentes de musées de régions sont ainsi des dépôts du Cnap. À titre d’information, il est indiqué sur le site internet du Cnap que : « Le nombre d’œuvres déposées peut varier de 500 à 1 200 œuvres en fonction des années. Parallèlement, le Cnap prête près de 2 000 œuvres chaque année pour des expositions temporaires auprès d’institutions de toute nature, en France et à l’étranger »2.
Cette diffusion des oeuvres du FNAC n’est pas la seule manière pour le Cnap d’assurer sa mission pédagogique. En effet, un service de médiation met en place différents projets à destination de publics variés :
- Création d’outils pédagogiques dont le projet « Mon musée du design », application destinée à faire découvrir la collection design du Cnap en proposant à l’utilisateur la création de sa propre exposition virtuelle. Cette plateforme peut être utilisée dans le cadre scolaire, un guide à destination des enseignants est également disponible.
- Médiation numérique avec les applications « Partcours », guides dédiés aux œuvres déposées par le Cnap dans l’espace public. Pour le moment il en existe deux versions : une dans le jardin des Tuileries en partenariat avec le musée du Louvre, et une seconde au domaine de Kerguéhennec, proposant la visite du parc de sculptures.
Vue des nouveaux locaux du Cnap à Pantin © Carole Fékété - Cnap
Affiche de l’exposition « Le droit des objets à (se) disposer d’eux-mêmes » - Musée des Beaux-Arts de Nancy - Cnap
- Médiation « Hors les murs » avec le projet « MuMo ». Sous la forme d’un camion-musée itinérant transportant des oeuvres du Cnap et du Frac, ce musée mobile propose des visites, rencontres et ateliers pédagogiques. L’objectif est de sensibiliser un public dit « éloigné » de la culture en amenant la culture à lui.
Le Cnap est donc un établissement polyvalent, il est l’opérateur de la politique culturelle du ministère de la Culture en terme d’art contemporain et mène donc des projets variés, participant et encourageant le dynamisme de la scène artistique contemporaine. En ce moment même, plusieurs expositions présentant des œuvres du FNAC sont en cours sur le territoire français. Citons « Le droit des objets à (se) disposer d’eux-mêmes » au Musée des Beaux-Arts de Nancy en collaboration avec l’artiste Pierre Giner, ou l’exposition de la commande « Flux, une société en mouvement » dans le cadre du festival Photaumnales à Beauvais et Douchy-les-Mines. Ces deux expositions sont malheureusement actuellement suspendues en raison du contexte sanitaire actuel.
Parallèlement aux projets d’expositions, d’éditions ou de commandes, le Cnap a débuté cette année un chantier des collections de grande envergure en vue du déménagement de ses locaux et réserves dans un nouveau bâtiment à Pantin, prévu en 2023. Ce chantier est d’une grande utilité pour le fonds car il permet de vérifier l’état des œuvres dans leur ensemble, de les photographier et de les documenter. Ces nouvelles infrastructures installées en banlieue parisienne seront plus adaptées à l’accueil des différents professionnels de l’art contemporain avec lesquels travaille le Cnap. Réunissant toute l’équipe sur un même lieu, il est certain que ces nouveaux espaces seront l’occasion de mener à bien de nouveaux projets tout aussi riches et variés, dirigés depuis l’année dernière par Béatrice Salmon.
V.E.
1https://fidmarseille.org/film/cest-paris-aussi/
2Cnap.fr - Deux siècles de diffusion des œuvres en France et à l'étranger
Image de couverture : locaux du Cnap à la Défense ©V.E.
Pour en savoir plus sur le Cnap et ses actualités : www.cnap.fr
Pour parcourir la collection en ligne : www.cnap.fr/collection-en-ligne#/artworks
#artcontemporain
#soutienàlacréation
#politiqueculturelle

Le Lieu d'Art et d'Action Contemporaine de Dunkerque
En amorce même de la création des FRAC, le Musée d'Art Contemporain de Dunkerque a ouvert ses portes le 4 décembre 1982 sous l'impulsion singulière de Gilbert Delaine.
Crédits : NordM@g
« L’espace muséographique de la région du Nord-Pas de Calais »
En amorce même de la création des FRAC, le Musée d'Art Contemporain de Dunkerque a ouvert ses portes le 4 décembre 1982 sous l'impulsion singulière de Gilbert Delaine. Passionné et collectionneur d'art contemporain des années 70, il fonde en 1974 l'association « L'Art Contemporain » et convint la municipalité de Dunkerque, de créer un musée d'art contemporain en échange du legs total de sa collection.
En raison de son vif succès, le MAC subira quelques transformations pour devenir aujourd'hui le Lieu d'Art et d'Action Contemporaine que nous connaissons. Au cœur des préoccupations de démocratisation culturelle, Le LAAC est un projet humaniste d'ouverture de l'art à la population. Situé aux abords des chantiers de construction navale, le long du canal exutoire et près de la plage, le musée s'inscrit de manière significative dans son territoire.
Imaginé par la collaboration de l'architecte Jean Willerval et le paysagiste Gilbert Samel, le musée s'implante en bord de lac d'où son appellation. Ce site s'offre alors à se découvrir comme un jardin poétique de sculptures, d'eau, de pierres et de vent en osmose avec son environnement. Sa fonction de délectation clairement assumée, le site du LAAC permet à chacun de venir s'y divertir pour des promenades enrichies de découvertes artistiques.
Loin d'une architecture excentrique et spectaculaire, elle n'en reste pas moins surprenante. Androïde et protéiforme, une enveloppe de céramique blanche recouvre la masse du bâtiment en laissant apparaître son cœur de verre. A la fois massive par sa forme globale et allégée sur des pilotis, la structure se déploie par toutes sortes d'organes. Mélange de nombreuses influences de son époque, elle représente une synthèse de grands principes architecturaux qui conjuguent esthétique et fonctionnalité. La typologie même du bâtiment est construite sur l'idée de déambulation. Le visiteur est appelé au voyage en franchissant un pont qui le transporte vers cette nouvelle sphère.
Arrivé dans l'atrium, un puit de lumière l'immerge et l'oriente naturellement dans les espaces supérieurs. De multiples escaliers en colimaçon continuent de provoquer la vertigineusité de l'expérience pour conduire le visiteur au premier étage réservé aux expositions. Élaboré autour de la circularité du forum, les salles d'expositions sont distribuées dans les branches qu'on devine de l'extérieur. Aucun espace est entièrement fermé mais suffisamment cloisonné pour séquencer le parcours muséographique. Simultanément, on peut jouir de la visite, tout en profitant de l'animation du dessous et garder une visibilité sur les autres salles. De plus, de grandes fenêtres donnant sur le parc à sculpture ponctuent le passage d'une pièce à une autre. Double lecture ou moment d'évasion vers l'extérieur, la visite est ainsi aérée. Enfin, le dernier niveau est un vaste cabinet d'arts graphiques élaboré par Grafteaux & Klein, chargé de l'aménagement intérieur. A la fois économique en terme d'espace et interactif pour le visiteur, des jeux de tiroirs dévoilent comme par magie près de 200 dessins et estampes de la collection.
Du 8 octobre 2011 au 8 janvier 2012, une exposition temporaire intitulée « les années 68 » fait ré émerger les pièces majeures de la collection du LAAC. Articulées parmi d'autres, elles tendent à rendre de cette période d'effervescence sociale & culturelle de la manière la plus exhaustive qui soit. Dans un premier temps, les arts psychédéliques sont mis à l'honneur autour de la célébration de la drogue, la liberté sexuelle et de la musique rock. Instinct et spontanéité sont les états du moment. On reconnaît alors les couleurs saturées et les lettrages fluides caractéristiques du style. Nombreux magasines, pochettes de disques et autres artefacts présentés en parallèles de tableaux viennent témoigner de cette nouvelle société de consommation.
Malgré une bonne complétude entre chaque expôt, il est dommage que l'ambiance sensorielle ne soit pas plus affinée ne serait-ce qu'avec de la musique, des jeux de lumières ou des matériaux plus sensibles. Dans la continuité du parcours, deux salles font place à des discours plus politique et annoncent leurs interrogations face au monde. D'un côté balancé par la libération de la femme et de l'autre dans les dénonciations des atrocités des guerres. « Réconfort par ici, torture par là », plusieurs sens de lecture sont proposés. La liberté sexuelle tantôt une victoire, tantôt perçue comme une excentricité occidentale, il est juste de rappeler qu'il s'agit également d'une période de guerre. Suffisamment explicite, la figuration narrative se passe de médiation pour être comprise.
Jusqu'alors, des titres à l'entrée de chaque salle guidait la compréhension du parcours. Quand brusquement, la seconde partie de l'exposition nous propulse dans une nouvelle salle au milieu d'Olivier Mosset, Mark Brusse, Giovanni Anselmo, Fred Sandback et Robert Barry. Dans un même temps on traverse dangereusement art minimaliste, art conceptuel, arte povera et fluxus sans aucune explication hormis quelques notes dans le livret d'accueil. On voit alors très bien la rupture de ces mouvements dans l'histoire de l'art mais un manque de transition si violent peut cruellement fâcher le spectateur avec l'art contemporain. D'ailleurs pourquoi avoir choisi de faire cohabiter ces quatre mouvements fondamentaux dans une seule pièce alors que les quatre salles précédentes développaient les mêmes styles de représentation figurative ?
La suite est assurée par trois pièces réservées à la collection permanente sans connexion logique ni médiation: « Et pourtant elle tourne » (des artistes du Nord & Vasarely), Appel Circus (la mascotte du musée) et la dernière (tout ce qu'il restait à montrer: Erro, Kermarrec, Télémaque, Peter Saul, Warhol, Ben, des pochettes de disques, etc).... Une manière d'achever sa visite dans un chaos étourdissant tel un bouquet d'artifice. Certes le mode d'acquisition originel de la collection n'avait pas été thématisé, mais pourquoi ne pas avoir intégré ces pièces à l'exposition temporaire comme les autres ? Ou pourquoi ne pas avoir fait une sélection plus rigoureuse ? A priori, l'idée devait simplement être de faire une exposition grand public, valorisant la représentation narrative d'une part et les salles permanentes de l'autre sans se soucier du reste. Quoi qu'il en soit, il s'agit malgré tout d'une belle exposition qui permet d'avoir un panorama des pratiques plastiques et culturelles des années 68.
Le LAAC assure très bien sa volonté de s'ouvrir à un large public et propose une approche singulière aux enfants. Pendant les temps d'expositions, des coffrets de jeux sont mis à leur disposition pour leur apprendre à analyser les œuvres tout en s'amusant. Sous forme de puzzles, de photographies ou de dessins, les petits doivent retrouver chacun des points de vue, des facettes ou des détails de la sculpture de Niki Saint-Phalle afin d'en explorer tous ses aspects. Dans lemême esprit, la pièce consacrée à Karel Appel dénommé « Circus » propose des jeux d'observations adaptés aux différents âges. Carnets d'observations en lien avec l'exposition, carnets de croquis et livrets-jeux "Promenade à 360°" (pour la visite du jardin de sculptures) sont distribués librement à l'accueil en complément de visite. Plus globalement, les formes de médiations sont multipliées allant des ateliers créatifs pour enfants, aux promenades musicales pour tous... Plus que jamais soucieux de ses habitants, le LAAC est avant tout un musée dynamique mis au service de la population en perpétuel développement.
Elodie Bay

Le monde merveilleux de Winshluss
Exposition temporaire du 17 avril au 10 novembre 2013 dans la Galerie des Jouets du Musée des Arts Décoratifs
WinshlussUn monde merveilleux. Voilà un titre d'exposition prometteur.Un titre qui fait rêver et qui laisse au visiteur le loisir de s'imaginer ce que peut être pour lui un monde merveilleux. Maisson monde merveilleux sera forcément bien différent de celui qu'il va découvrir dans la Galerie des Jouets du Musée des Arts Décoratifs car ce qu'il va découvrir c'est le monde merveilleux de Winshluss et l'on ne peut se faire une idée de la teinte de son monde et de toute l'ironie du titre de l'exposition à moins de connaître son œuvre.
Winshluss, alias Vincent Paronnaud, est un artiste puisant ses sources d'inspiration dans le monde de l'enfance. On retrouve dans ses œuvres de nombreuses figures de la culture populaire par exemple dans son film d'animation Persépolis,primé du Prix spécial du jury du Festival de Cannes en 2007, ou dans sa bande-dessinée Pinocchio,primée du Fauve d'Or (Prix du meilleur album) au Festival international de la bande-dessinée d'Angoulême en 2009. Cependant ses inspirations et emprunts sont toujours traités et détournés au service d'un discours grinçant, cynique, voire même macabre, tout en étant humoristique. On retrouve inévitablement ces deux aspects dans l'exposition Winshluss Un monde merveilleuxqui nous (re)plonge dans l'univers particulier de l'artiste et dans une réflexion sur la société dans laquelle nous vivons.
Un monde haut en couleur ?
Brochure de l'exposition Winshluss Un monde merveilleux Crédit photographique : C. D.
Avant de franchir les portes qui le conduiront dans l'exposition, le visiteur dispose de trois éléments qui peuvent lui permettre d'imaginer le monde dans lequel il va être transporté : le titre, la brochure et le cartel de présentation de l'exposition.D'abord le titre de l'exposition : Winshluss Un monde merveilleux. Une exposition qui serait donc haute en couleurs ? Un monde plein de gaîté, de paillettes, d'éblouissement ? Un monde de rêve ?
Dans l'esprit du visiteur c'est une première entrée dans l'exposition. Consciemment ou non le titre introduit dans l'esprit du visiteur une certaine attente plus ou moins guidée si le visiteur connaît l'univers de l'artiste. Puis la brochure de l'exposition : fond bleu, arc-en-ciel, petits nuages moutonnant, du jaune, du rose et un personnage tout droit sorti d'un univers de bande-dessinée. Mais un personnage à qui il manque une dent et dont les cheveux sont remplacés par des flammes. Étrange. Enfin le cartel de présentation de l'exposition situé avant les portes qui mènent dans l'exposition.
Un cartel dont la dernière phrase n'est pas sans susciter de nouvelles attentes et interrogations chez le visiteur : « Un monde merveilleux nous plonge dans des histoires qui, comme les contes, nous émerveillent tout en montrant la face cachée – et parfois noire – du monde ». Un monde merveilleux donc ? Peut-être pas tant que cela... Pour le savoir il faut pousser les lourdes portes noires de l'entrée de la Galerie des Jouets. Immersion.
La découverte d'un monde
La Petite Fille aux Allumettes
Crédit photographie :
Musée des Arts Décoratifs
Barbapatomic
Crédit photographique : Musée des Arts Décoratifs
Curieux de découvrir ce qu'elles renferment, on pousse les portes de la Galerie des Jouets. À peine a-t-on franchi le pas de la porte que l'on s'immerge totalement dans le monde de Winshluss. Est-on surpris ? Peut-être. Ce n'est pas un monde haut en couleurs, du moins pas seulement. Les cimaises sont noires. Le sol est noir. Mais les œuvres [jouets, sculptures, planches et dessins originaux, posters, affiches, revues, fanzines et dessins animés] sont toutes en couleur.
Des couleurs éclatantes. Du rose, du jaune, du vert, du bleu, du violet, du rouge. Les œuvres sont mises en valeur par un éclairage parfaitement maîtrisé et par le contraste avec le noir des trois salles qui les fait d'autant plus ressortir. Ce noir n'est pas sans faire écho à la noirceur du monde dont nous parlait le cartel de présentation de l'exposition. Un noir qui cache, qui camoufle, qui permet de mettre en lumière ce qu'on nous présente mais qui masque ce qu'on ne nous présente pas. À la première impression visuelle succède une impression sonore ou peut-être précède t-elle l'impression visuelle en fonction de l'attention première du visiteur.
Deux sons l'accueillent : une douce mélodie nous rappelant notre enfance et un brouhaha guerrier. Ces deux sons ne se mêlent pas mais se suivent l'un l'autre si bien que le visiteur, lorsqu'il entre, est accueilli par l'un ou l'autre des deux sons ce qui lui fait aborder l'exposition différemment. Ou il est accueilli en douceur par une mélodie rassurante auquel cas il porte instinctivement son regard sur le rose du Barbapatomic[premier diorama de l'exposition]. Ou il est plongé dans un tumulte guerrier qui lui fait porter son regard plutôt sur l'armée qui se bat contre le Barbapatomic. Certains visiteurs sont donc immédiatement confrontés à la dureté du monde dépeinte tout au long de l'exposition alors que d'autres y sont amenés plus en douceur, mais resteront de ce fait peut-être influencés par cette douce mélodie, tout comme certains enfants restent influencés parle monde de leur enfance parce qu'on leur a présenté de cette façon.
Une scénographie au service d'un discours
Lorsque l'on sort de la Galerie des Jouets, on sort d'un univers, et tout paraît vide parce que l'on n'est plus en présence de l'atmosphère créé dans les trois salles de l'exposition si bien que l'on a envie de revenir sur nos pas. On ressent ce changement d'atmosphère car la scénographie est en phase avec le discours. Le lien entre les deux est net : la scénographie devient une partie du discours.
Le visiteur s'immisce d'autant plus dans le monde de Winshluss puisqu'il regarde les œuvres en étant porté par la scénographie qui l'aide à comprendre les messages de l'exposition car elle met en lumière les œuvres et l'oblige à les regarder, les interroger, les analyser, les comprendre. Comprendre que le monde de Winshluss n'est pas Un monde merveilleux comme le suggérait le titre de l'exposition, mais un monde que l'on veut nous faire croire merveilleux alors qu'il ne l'est pas. Il n'y a pas seulement du noir sur les cimaises mais aussi dans les œuvres, sous les couleurs, et si l'on met en lumière les œuvres ce n'est que pour mieux faire ressortir leur noirceur. Et que se cache t-il sous la noirceur des cimaises ? Un peu de couleur ?
C. D.

Le MUba Eugène Leroy un musée en perpétuel questionnement et renouvellement
A l’occasion d’un stage au MUba Eugène Leroy de Tourcoing, j’ai eu la chance de participer au premier renouvellement des collections pour l’année 2014. Créé en 1860, et anciennement dénommé Beaux-Arts de Tourcoing, le MUba Eugène Leroy présente ses collections dans un dialogue permanent entre art classique, art moderne et artcontemporain. Peintures, dessins, estampes, sculptures se côtoient dans les parcours où l’on croise par exemple Boilly ou Rembrandt en écho avec les contemporains Antoine Petitprez, Philippe Cazal ou encore avec des figures du xxe siècle comme Martin Barré ou bien sûr Eugène Leroy.
Les collections permanentes occupent la moitié de la surface d'exposition. Leur accrochage est régulièrement renouvelé pour faire écho aux grandes expositions temporaires programmées deux fois par an. L’exposition Permanente / Provisoire a été repensée à travers le thème de la forme et de la sculpture afin de faire écho aux deux expositions temporaires réalisées par le MUba. Le musée des Beaux-arts de la ville propose une grande rétrospective de l’œuvre de l’artiste contemporain autrichien Elmar Trenkwalderet une exposition plus réduite sur la forme et le design pratiquée à la Manufacture de Sèvres par le biais de vases. Ces expositions sont visitables depuis le 17 avril jusqu’au 24 novembre 2014, alors n’hésitez pas à vous y rendre car les expositions mais aussi le lieu valent le détour!
Vue de la salle d'exposition temporaire (c) F.Kleinefenn
L’exposition phare du moment "Ornement et Obsession" est la première rétrospective organisée autour de l’œuvre fantasmagorique d’Elmar Trenkwalder. L’amateur confronté pour la première fois à l’art de cet artiste autrichien, qu’il s’agisse de ses dessins, de ses premières peintures ou des sculptures de terre cuites des dernières années, n’a pas fini de s’étonner. Installé à Cologne au milieu des années 1980, l’artiste né en 1959 et qui vit aujourd’hui à Innsbruck,connaît un succès rapide avec des dessins et des tableaux d’inspiration symboliste dont les cadres, d’abord en moquette, puis en terre, font reculer le contenu du tableau vers la périphérie et l’élargissent. Les premiers travaux en terre émaillée de couleur frappent par l’extraordinaire expression physique du corps masculin dans la droite ligne d’une certaine tradition autrichienne de transgression des limites sexuelles.
Cette grande expositionprésente l’œuvre monumentale de l’artiste, des peintures et dessins, en incluant et mettant en perspective les œuvres acquises par le MUba. Elmar Trenkwalder crée des sculptures monumentales en céramique. Ses structures et ses architectures qui rappellent l’art flamboyant du gothique tardif, fusionnent des formes imaginaires biomorphiques et végétales. La représentation figurative, quant à elle, est déformée, elle joue de symboles féminins et masculins. L'artiste dresse un panorama complexe, fantastique et délirant empreint de formes de l’histoire de l’art, des arts appliqués ou des arts populaires. La grande nef du MUba est emplie de ses œuvres créant une atmosphère particulière, quasi-magique.
Vue de la salle d'exposition Permanente/Provisoire(c) D. Knoff
En liaison avec l’exposition "ElmarTrenkwalder - Ornement et obsession" , l’exposition Permanente /Provisoire intitulée en réponse à la formule de Baudelaire "Un objet pas si ennuyeux que ça, la sculpture?", s’est façonnée à partir de la collection de sculptures du MUba, qui sont ainsi interrogées dans un parcours dynamique sur toutes les composantes de la sculpture, sa matière du marbre à la simple planche de contreplaqué, du bronze à la céramique, en passant par le bois de récupération, de la fonte d’aluminium au plâtre en passant par la terre ; son accrochage, sur un socle, sur le mur, directement au sol, dans l’espace, ou simplement représentée ; ou encore son sujet figuré, réaliste, suggéré ou abstrait. L’exposition Permanente / Provisoire est repensée comme une exposition temporaire, dont la présentation est renouvelée régulièrement. Le parcours de l’exposition propose une déambulation au rythme des œuvres exposées autour de la question de la sculpture selon le concept de la relation de l’art contemporain et l’art ancien. Ces nouvelles relations apportent un nouveau regard sur les œuvres en établissant entre elles des parallèles, multipliant ainsi les lectures possibles de l’œuvre. L’exposition permet de mettre au centre la question du rapport de l’œuvre au lieu et de son expérience.
Autour de ces expositions, le MUba Eugène Leroy, toujours dans un souci de faire dialoguer les arts et les formes, a pensé une exposition temporaire, "V de S", en étroit lien avec la Cité de la Céramique. Le parcours de l’exposition propose de circuler autour des vases et formes emblématiques de la Manufacture autour de la question du renouvellement des formes des vases et de l’étroit lien entre l’art ancien et l’art contemporain. Ces nouvelles relations, associant les plus grands créateurs internationaux aux collections du patrimoine national, apportent un nouveau regard sur les œuvres, multipliant ainsi les grilles de lectures possibles. La Cité de la Céramique représente l’excellence des métiers d’art et de lacréation en France. Les résidences exploratoires d’artistes et de designers qui s’enchaînent depuis des décennies à la Cité de la Céramique, occupent quotidiennement plus d’une centaine de céramistes d’art, et ouvrent l’horizon sur de nouveaux territoires et de nouvelles potentialités artistiques encore inédites. L’exposition propose un parcours au travers d’une double perspective : la continuité de la forme en blanc, que l’on retrouve chez Charpin, Arp ou encore Renonciat et les ruptures, qui ne sont qu’apparentes, proposées par de nombreux artistes et designers tels que Sottsass ou Biecher.
Pour tout cela et bien plus encore, venez découvrir ces expositions particulières et différentes mais toujours en dialogue les unes avec les autres et participant à l’éternelle quête de questionnement et de renouvellement que suit le MUba Eugène Leroy, exemple dont pourrait bien s’inspirer nombreuses autres structures.
Elisa Bellancourt
Le musée des beaux arts de La Rochelle, le MBA qui donne envie d’y retourner !
Au 28 rue Gargoulleau de La Rochelle se trouve l’hôtel Crussol d’Uzès, construit sous Louis XVI. Cet imposant bâtiment, caché dans une rue semi-piétonne proche du port, abrite deux institutions qui habituellement sont radicalement opposées : l’Espace d’Art Contemporain, qui occupe le rez-de-chaussée, et le Musée des Beaux-Arts, installé depuis 1844 dans les deux autres étages. Une cohabitation intéressante qui permet de casser tous les préjugés sur les lieux d’accès à la culture et de diffusion de l’art. Cet article sera consacré au musée des Beaux-Arts.
Le Musée des Beaux Arts, chaleureux, accessible, et engagé.
Même si la porte fermée du deuxième étage intimide un tantinet le visiteur, l’accueil qui lui est réservé derrière celle-ci, est des plus appréciables. Lors de ma visite, deux agréables personnes me reçoivent et me donnent tout de suite des indications : le 2ème étage est réservé aux collections« permanentes », et le premier étage est consacré aux expositions temporaires d'art contemporain.
Elles me précisent aussi qu’il n’existe pas de livret explicatif gratuit de la collection, mais seulement une édition,disponible pour 10€.
Au deuxième étage, la visite se fait en deux temps. Dans la première partie, un chapeau introductif informe que la collection s’est faite petit à petit par un groupe d’amateur d’art depuis 1841, grâce à des dons, des legs, et des achats à hauteur de leurs moyens, ce qui explique pourquoi la collection comporte en majeur partie des œuvres de 1840 à 1930.
Un deuxième texte explique au visiteur que la collection comporte plus de 900 œuvres, mais que l’espace d’exposition disponible ne permet pas de toutes les montrer. C’est pourquoi, l’exposition change tous les ans. La particularité de ces expositions, c’est qu’elles sont réalisées par une personne ou un groupe de personnes lambda(s) qui choisissent eux-mêmes le thème, les tableaux, et créent la scénographie. Ces personnes sont des acteurs de la vie Rochelaise, qui ne sont pas forcement initiés à l’art. Pour la sixième édition (du 06 septembre 2012 au 31 août 2013), c’est le Centre Technique Municipal qui a accepté cette mission. Le thème choisi a été « De l’ombre à la lumière… » à travers plusieurs sous thèmes : scènes quotidiennes, marines et pêcheurs, paysages, et portraits plébéiens. Une politique innovante de la part de la conservatrice Annick NOTTER qui a compris comment prendre en compte le public.
C’est à travers une centaine d’œuvres que le visiteur découvre sur différents thèmes des jeux de clairs-obscurs et un travail pictural de la lumière qui séduit tout un chacun. Il est donc surprenant, mais pas inintéressant, de trouver dans le même espace, une lithographie du XIXème siècle, une huile sur toile réaliste de 1861, une peinture impressionniste de 1904, une sculpture de la fin du XXème, et une photographie de 1980, qui se complètent avec des notions autres que des liens chronologiques.
La visite est rapide et accessible à tous, et en plus, des espaces de repos sont idéalement positionnés en face des grands tableaux.
Salle Eugène Fromentin Crédits : M. T.
Dans la deuxième partie, de l’autre côté de l’accueil, on explore une salle sur Eugène Fromentin, un peintre rochelais qui a passé une longue période de sa vie au Maghreb, ce qui influença considérablement ses sujets et sa technique picturale. Ici l’organisation est un peu plus chaotique. Le chapeau explicatif sur cet artiste est à la sortie de la salle, ce qui n’est pas l’endroit le plus stratégique. En revanche, il est proche d’une banquette, et cela est important car ce chapeau est long. Mais il est facile à lire et essentiel pour comprendre la pièce, les œuvres et la mise en ambiance. En effet, pour immerger le visiteur dans une ambiance orientale, la scénographie propose un procédé poétique pour lier le public avec les œuvres et leur contexte. On est donc bercé par une lumière tamisée et la banquette est recouverte de tapis colorés, ce qui nous plonge dans une atmosphère chaleureuse.
Enfin, on accède à la dernière pièce de l’étage, où l’on retrouve le parti-pris de faire côtoyer des œuvres qui ne sont pas des mêmes époques. Cependant, la compréhension de cette salle n’est pas aisée : la plupart des œuvres n’ont pas de cartel, et aucun texte n’introduit à une quelconque problématique ou réflexion. C’est très dommage,car on aimerait savoir pourquoi une huile de Gustave Doré se retrouve entre une Vénus de 1904, une toile de Chaissac, et des paysages de Corot.
Quand l’art contemporain trouve sa place au MBA
Suite et fin de ma visite au premier étage, avec l'exposition temporaire et itinérante de Sylvie Tubiana, intitulée « Japons » qui était présentée du 19 octobre 2012 au 28 janvier 2013. L'exposition proposait dans un premier temps un travail photographique de l’artiste : suite à des choix d’estampes japonaises, celles-ci ont été projetées sur des corps nus de femmes agenouillées, suivi d’un travail de photographie de ces projections. L’aspect esthétique et le rapport au corps présent dans ces photos sont déjà à eux seuls d’un intérêt particulier, mais les photographies étaient également confrontées à de vieilles estampes japonaises, issues de la collection du musée de la Roche-sur-Yon. La collaboration continuait avec des vitrines montrant divers objets nippons très anciens. Dans les dernières salles, des installations immergeaient le spectateur dans un environnement particulier, mêlant toujours l’ancien et l’actuel. Le dépaysement est total, on oublie le lieu, l’hôtel Crussol d’Uzès, La Rochelle, le port. Nous voilà au Japon.
Exposition de Sylvie Tubiana, « Japons » Crédits : M. T.
Le musée des Beaux-Arts de la Rochelle (labellisé Musée de France) a donc très bien intégré l’art contemporain au sein de ses murs, en lui donnant une place importante, et non en lui laissant la place d’une statue dans une cour pour intriguer le passant et essayer d’être attractif (comme dans beaucoup de MBA qui prétendent s’ouvrir à l’art contemporain). La moitié du musée est consacrée à l’exposition d’art contemporain. Et quand cela s’ajoute à une politique d’accessibilité à tous (plein tarif à 4€, expositions collaboratives réalisées par les citoyens, lycéens, agent de la mairie, association…), enfin on peut dire qu’un musée est vraiment accessible et dynamique. Enfin un musée qui ne se sclérose pas et évolue avec son temps ! Et cela ne veut pas dire être rempli des derniers outils de médiation issus des nouvelles technologies. Le prochain effort à faire se situe du côté des publics handicapés, mais pour le reste, on a envie de savoir qui seront les prochains commissaires d’exposition, et on court voir la nouvelle expo au premier étage "Mille et un bols : hommage à un bol de thé indien" (du 15 février 2013 au 17 juin 2013).
Mélanie TOURNAIRE
Pour en savoir plus :
La-Rochelle/Musee-des-Beaux-Arts/Vie-du-musee-actualites/Mille-et-un-bols
Le musée Soulages à Rodez : un succès ?
Dans les années 2000 la ville de Rodez a décidé de dédier un musée à Pierre Soulages, natif de la ville. Marc Censi, maire à ce moment-là, dut d’abord convaincre Pierre Soulages qui avait auparavant déjà refusé qu’on lui consacre un musée à Montpellier. À Rodez il n’accepta qu’à la condition qu’un espace de 500m2 soit réservé à des expositions temporaires consacrées à d’autres artistes, il en donne l’explication dans un article pour Geo Voyage :
« Ce n’est pas une question de modestie : un musée d’artiste, on y vient trois ans, pas plus, et puis ça lasse… et le musée meurt. Je ne veux pas d’un mausolée Soulages ».

Vue extérieure du musée © tourisme.grand-rodez.com
Un artiste très impliqué dans la création de son musée
Le musée est donc dès ses débuts fortement marqué par la volonté de Pierre Soulages dont l’implication a rendu possible la création du musée. Au-delà de sa participation à la définition du concept, il s’est aussi engagé sur le plan matériel. Cette donation initiale de 250 œuvres et 250 documents en 2005 a vraiment marqué la concrétisation du projet du musée. La collection est enrichie ensuite en 2012 par une autre donation et par des dépôts de l’artiste. Au total il a donné 500 œuvres à la ville. Quand il est question de la très grande valeur des donations, (évaluées à une trentaine de millions d’euros) Pierre Soulages répond qu’il ne s’intéresse pas aux questions d’argent et que justement il aime l’idée qu’un public large puisse apprécier son travail. C’est aussi en lui proposant d’exposer des aspects moins connus de son travail que Marc Censi a convaincu Pierre Soulages. L’exposition permanente actuelle présente ainsi ses œuvres de gravure et les travaux préparatoires des vitraux de Conques, mettant ainsi le musée en lien avec un autre lieu emblématique de la région.
Présentation de son travail de gravure © Salambô Goudal
Le musée comme moteur de développement local
Comme de nombreuses villes Rodez a misé sur la création d’un nouveau musée pour entrainer le développement local grâce à l’accroissement espéré du tourisme. Le plan de redynamisation du centre-ville impulsé en parallèle de la construction du musée fait partie de cet effort en faveur du tourisme, d’où les travaux urbanistiques, notamment la rénovation et le développement du parc du Foirail qui borde le musée.
L’importance du public touristique pour le musée est visible dans les horaires du musée dont l’amplitude est plus élevée en été. Du 1er juillet au 31 août le musée est ouvert tous les jours, le lundi de 14 heures à 19 heures et de 10 heures à 19 heures du mardi au dimanche. En revanche, entre le 1er octobre et le 31 mars le musée ferme le lundi, entre midi et deux heures en semaine et le soir à 18 heures.
Les habitants de Rodez et sa région sont un public à ne pas négliger puisque le musée se veut comme un lieu de vie, volonté partagée par de nombreux musées. Les Ruthénois ne sont en effet pas oubliés, outre les bénéfices qu’ils retirent des aménagements du centre-ville et de l’accroissement du tourisme, le musée enrichi la vie culturelle de la région.
Les espaces du musées permettent d’accueillir les œuvres d’artistes très connus et d’en faire profiter la population locale. C’était le cas de l’exposition Picasso à l’été 2016, dont le public venait majoritairement d’Occitanie. Le musée participe également à la vie locale par les visites et activités qu’il propose aux scolaires et groupes issus du secteur social.
La visite du musée
Comme de nombreux visiteurs, je suis allée au musée Soulages en m’attendant à retrouver des peintures noires, ses œuvres les plus connues du grand public. Je pensais à peu près savoir à quoi m’attendre en entrant dans un tel musée ! J’ai été au contraire agréablement surprise par la diversité des œuvres exposées. Dans le parcours permanent sont exposées des œuvres des différentes pratiques de Pierre Soulages, les travaux de préparation des vitraux de Conques, ses eaux-fortes et enfin ses tableaux.
Le parcours mêlant chronologique et thématique, permet de bien appréhender la personnalité et les œuvres de l’artiste dans l’ensemble qu’elles composent, sa longueur est adaptée aux propos et agréable.Pourtant, je n’ai pas pu l’apprécier pleinement, je me suis très rapidement sentie oppressée par l’atmosphère du lieu crée par l’architecture et la scénographie. De nombreux espaces de l’exposition temporaires sont semblables à des boites noires : très sombres avec peu de hauteur de plafond, ce qui crée une ambiance, pensée pour les œuvres de Soulages, mais construit des espaces très fermés qui ne proposent pas de respiration. De tels espaces posent donc la question de l’arbitrage entre immersion dans un univers et bien-être des visiteurs. Les espaces latéraux présentant les grands tableaux gardent la même ambiance tout en étant moins oppressants grâce à leur grande taille et à la présence de fenêtres.

Les espaces « boîtes noires » © tourisme.grand-rodez.com
En entrant dans l’exposition temporaire de l’été 2017 consacrée à Alexander Calder, le contraste est saisissant que ce soit par le fond comme par la forme. Dans l’espace dédié aux expositions temporaires les œuvres souvent très colorées d’Alexander Calder étaient exposées dans un espace entièrement blanc. Ce contraste peut être bénéfique en mettant en valeur les spécificités des deux artistes présentés dans le musée. Vraie plus-value pour le musée, le contraste crée par les deux expositions temporaires par an permet de maintenir l’intérêt du public et de le faire revenir au musée.

L’exposition Calder © Salambô Goudal
Le musée est un franc succès : il réussit à montrer les œuvres de Pierre Soulages sans être un mausolée et à être un pôle d’attraction dans la région, en septembre 2016 un peu plus de deux ans après son ouverture la barre du demi-millions de visiteurs a été franchie !
Bethsabée Goudal
#MuséeSoulages#Calder#Rodez

Le numérique comme lien social ? Visite à distance d’une exposition au Louvre-Lens
Avec la crise qui subsiste depuis plus d’un an, les musées ont dû s’adapter et revoir leur programmation. Nombreuses sont les expositions qui ont été annulées ou reportées. Cependant, la technologie s’est avéré être un outil non négligeable pour garder le contact avec les publics. Retour sur expérience et rencontre avec Marie Gord, médiatrice culturelle au Louvre-Lens.
Une offre culturelle vaste
Les visites à distance ne résultent pas seulement de la crise sanitaire, cette dernière a certes servi d’amplificateur mais elles préexistaient. Au Louvre-Lens, des visites à distance ont déjà été mises en place pour faciliter l’accès aux publics empêchés. De façon ponctuelle, le musée organise avec l’aide d’un robot, de la fondation Orange, des visites à distance pour les écoles isolées sur le territoire, pour les publics fragilisés, sous main de justice, hospitalisés, ou en EHPAD. Citons aussi les réseaux sociaux qui permettent de réaliser des lives avec leurs publics sur des formats très hétérogènes et généralement de courte durée.
En tant que publics, il est parfois compliqué de se retrouver dans la diversité de l’offre numérique des musées notamment par le vocabulaire utilisé. En fonction des offres, la terminologie n’est pas la même : visite guidée à distance, visite en visioconférence, visite en ligne, visite virtuelle, etc. Très floues, ces notions ne rendent pas bien compte de l’offre et de ce qu’elles contiennent réellement. Est-ce que la visite est réalisée par un médiateur ? Est-ce qu’elle est en direct avec une interaction possible ? Le numérique étant un médium souple, les possibilités de conception sont nombreuses. Sans compter que la diversité de cette nouvelle offre numérique résulte également des moyens techniques, humains et financiers de chaque institution. Cette nouvelle offre numérique pourrait se définir comme suit : « L’accès à un dispositif faisant appel à des moyens techniques et numériques divers et variés permettant aux publics de visiter et de découvrir un lieu. Cette appropriation d’un savoir ou d’un patrimoine ne peut se faire qu’ex situ, depuis chez soi et en dehors du cadre muséal ou institutionnel ».
Parmi les mesures déclenchées par le gouvernement, le télétravail est devenu une règle et les outils permettant de réaliser des visioconférences sont devenus familiers auprès de nombreux employé·e·s. Hybrides entre réseaux sociaux et outils de bureautique, des dispositifs tels que Zoom, Teams se sont vus attribuer d’autres missions. En effet, les institutions culturelles telles le musée Préhistoire de Nemours (Ile-de-France) ou le Musée du Textile et de la Mode à Cholet se sont saisies de ces logiciels de bureautique pour garder du lien avec leurs publics et le succès est au rendez-vous.
Le numérique comme lien social
Lié au contexte sanitaire, ce genre d’offre numérique présente deux objectifs. Premièrement, il s’agit de maintenir le lien avec les publics fréquentant régulièrement les institutions culturelles. Le Louvre-Lens a d’ailleurs orienté son offre à distance vers le public familial en proposant des ateliers plastiques à réaliser à distance et en direct. Deuxièmement, pour Marie Gord, le numérique s’avère être un outil très intéressant pour se familiariser avec le monde des musées. C’est un premier pas vers la culture qui se fait depuis chez soi et de manière rassurante.
Visite à distance au Louvre-Lens : mon expérience personnelle
J’ai donc voulu m’essayer à cette nouvelle pratique culturelle en visitant à distance l’exposition du Louvre-Lens, Louvre-Design. Dans le cadre de Lille Métropole 2020, Capitale mondiale du design, l’exposition propose de s’immerger au travers de collections et d’objets hétéroclites pour comprendre les origines du design. La visite est réalisée en direct sur Teams par un·e médiateur·trice du musée. Gratuite, elle ne dure que 45 minutes. Pour l’équipe du musée, la politique tarifaire doit également s’appliquer à cette nouvelle offre. la gratuité des visites à distance est en cohérence avec la gratuité d’accès pour tous à la Galerie du temps lorsque le musée est ouvert
2004 Hella Jongerius (production : manufacture de Nymphenburg), Bowl with hippopotamus, céramique peinte à la main © Porzellan Manufaktur Nymphenburg
La réservation en ligne
L’expérience commence sur le site internet lors de la réservation du billet. Pour chaque visite à distance le nombre de connexion (équivalent à des places) est limité à 6 personnes par session. Une fois la réservation accomplie, un mail est envoyé afin de la confirmer. Le nombre de place limité garantit un confort, non pas seulement du visiteur·e puisqu’iel est à distance, mais bien des deux médiateur·trice·s nécessaires au bon fonctionnement du dispositif.
La veille de la visite, l’e-billet est envoyé sur la boite mail contenant un lien de connexion, des modalités comme l’heure de connexion ainsi que quelques conseils pour profiter de l’expérience au maximum.
La connexion internet
Même si le numérique peut s’avérer être un outil formidable, il n’est pas sans faille. Des problèmes de connexion peuvent survenir et mettre en péril la visite à distance. C’est un problème qui a été anticipé par le Louvre-Lens qui a eu, le jour de ma visite, un disfonctionnement sur le réseau. Un mail m’a été envoyé pour me prévenir de la situation et m’indiquant de la marche à suivre.
Selon Marie Gord, qui a participé à plusieurs reprises à la mise en place de la visite à distance, le versant technique de tout dispositif numérique, surtout s’il nécessite une connexion internet, implique un risque, une panne de réseau ou un dysfonctionnement du matériel. En tout cas, il faut anticiper des problèmes pour prévenir ces risques.
Les collections à l’écran
Etant une adepte des visites dites classiques en contact direct avec les collections, j’avais quelques réticences pour une expérience en ligne. Mais, si le rapport aux collections n’est pas le même, la visite en ligne n’enlève rien à la qualité du discours tenu. Peu présenté visuellement à l’écran, il laisse place aux collections. Bien entendu, le parcours a été pensé et plusieurs tests ont été nécessaires requis pour trouver le meilleur moyen de présenter les collections en direct sans qu’aucun élément ne vienne perturber la qualité de l’image. L’équipe a procédé à différentes prises de vues à plusieurs moments de la journée pour attester du rendu visuel des collections à l’écran (reflet du soleil sur les vitrines, tailles des objets, éclairages artificielles, positionnement de la caméra, résonnance, wifi, etc.).
Quant au caméraman, qui s’est présenté au début de la visite, il a pris soin de réaliser des mouvements de caméra lents afin d’éviter un décrochage de l’image. Les objets sontbien mis en valeur, avec des zooms. Le positionnement de la caméra a été pensé en amont et les plans sur les objets ont été pris avec leur cartel.
Capture d’écran de la visite à distance au Louvre-Lens
Louvre-Design ©Edith Grillas
L’interaction avec le public
Pour mettre en place ces visites à distances, deux médiateur·trice·s sont nécessaires pour maintenir le bon fonctionnement du dispositif. Le·a premier·ère se pose en réalisateur·trice et assure le backup, modère les commentaires que peuvent laisser les publics. Tandis que l’autre mène la visite guidée. A propos du matériel, une tablette avec connexion, un pied et un support pour la fixer, un micro Bluetooth sont nécessaires. Et bien évidemment un logiciel de bureautique comme Zoom, Teams ou autre.
Capture d’écran de la visite à distance au Louvre-Lens
Louvre-Design ©Edith Grillas
Quant aux publics, une fois l’outil appréhendé et le stade de l’inconnu dépassé, ils prennent vite leurs habitudes de visiteurs curieux, posant des questions (ou non, chaque visiteur a sa propre personnalité) soit en direct ou via l’espace de discussion. Alors, même si le lien social peut être maintenu entre le⋅a médiateur·trice et son public par l’entremise des questions, le lien entre les différents individus que constitue un groupe de visite à l’ordinaire peut se faire difficilement, voire est impossible. Or, une visite guidée n’est pas une sorte d’entre-soi. Les visiteur⋅e⋅s se rencontrent, échangent, discutent, rient, partagent des anecdotes. Et c’est cette richesse apportée par les publics que les visites guidées prennent une saveur singulière.
Durant la visite à distance, il m’est arrivé que la connexion internet soit interrompue pendant quelques secondes, perdant alors une partie du discours tenu. C’est ce genre de problème qui pouvait me freiner.
Pour conclure, les institutions muséales ont su faire preuve de rapidité et d’ingéniosité pour garder le lien avec ses publics. Cette prise de décision ne découle pas seulement d’un besoin exprimé par les publics de retourner dans les musées, mais également du souhait des professionnel·le·s de la culture de simplement faire leur travail avec passion et conviction.
La diversité de ces nouvelles offres numériques permet à chaque public d’y trouver son compte. Mais quel(s) profil(s)s de public s’inscrivent aux offres à distances ? Des habitué·e·s qui voient dans cette programmation une manière de poursuivre leurs activités culturelles pré-Covid ? D’autres publics, surtout éloignés de la culture ? Est-ce plus difficile d’évaluer un projet quand les publics sont absents des espaces muséographiques ? Et question plus globale, ancrée dans les préoccupations culturelles de notre temps : le numérique contribue-t-il réellement à diffuser une culture pour tous ?
Edith Grillas
#Exposition #Numérique #Expérience de visite

Le syndrome Picasso
Le projet Picasso-Méditerranée lancé en 2017 sous l'impulsion du musée national Picasso, a donné naissance à un florilège de collaborations entre le musée et une soixantaine d'institutions à l'étranger comme en France. Une quarantaine de projets ont vu le jour entre 2017 et 2018 [1] or l'année 2019 n'est pas moins avare en expographie picassienne. Neuf expositions, dont trois coproductions du musée national autonomes du projet Picasso-Méditerranée s'enchaînent. Le mois de janvier accueillait la fin de l'exposition « Picasso. Bleu et rose » au musée d'Orsay, puis c'est au tour du musée de Grenoble de poursuivre en octobre avec « Picasso. Au cœur des Ténèbres (1939-1945) », tandis que le MUba de Tourcoing affiche « Picasso-Illustrateur » au même moment. Alors, cette passion des musées pour Picasso est-elle mise au service d'une politique de démocratisation culturelle ? La prodigalité de l'artiste se voit-elle dévoyée au profit d'un musée débordé par la dimension pléthorique de ses collections ? Ou les musées sont-ils otages d'une signature pour faire venir du public ?
Pablo Picasso dans le film Le Mystère Picasso d'Henri-Georges Clouzot (1956). © artnet.fr
Les expos Picasso : un objet politique
L'ambition de l'actuel directeur du musée national Picasso, Laurent le Bon, est claire : « Pourquoi faudrait-il réserver le meilleur de cette collection nationale aux seuls visiteurs de l’hôtel Salé majoritairement franciliens ? Cette collection nationale, notre devoir est de la faire rayonner partout, pour tous »[2]. Le Ministère de la Culture ne tarit pas non plus d'éloges à son sujet, en expliquant dans son communiqué officiel l'évidence de la reconduction de son mandat : « Laurent Le Bon a également fait du musée Picasso un acteur reconnu en France et dans le monde grâce à une politique de prêts ambitieuse, à de nombreux partenariats et coopérations conclus avec les grands acteurs de la scène muséale »[3]. Faire circuler les collections du musée, diffuser l'œuvre de Picasso à une échelle internationale mais également sur l'ensemble du territoire français sonne alors comme la pierre fondatrice d'une volonté politique : démocratiser l'accès à la culture. C'est aussi, comme le souligne la conservatrice en patrimoine Emilie Bouvard au sujet du projet Picasso-Méditerranée, une manière de susciter un travail muséal collectif, créer des partenariats et développer de nouveaux réseaux scientifiques [4]. Cette politique de diffusion des collections offre une diversification des regards sur l'artiste avec des thématiques qui proposent une approche transversale de son travail (telles que les expositions d'Orsay, de Tourcoing, ou « Picasso et l'exil » cet été au musée des Abattoirs de Toulouse), ou des visions qui choisissent une focale plus réduite sur une période chronologique précise pour explorer la production de l'artiste à la loupe (« Picasso. Tableaux magiques » au musée national en ce moment, « Picasso. Au cœur des Ténèbres (1939-1945) » au musée de Grenoble). Les sujets sont aussi variés que la pluralité des expérimentations formelles le permettent, et la décentralisation des collections dynamise l'offre culturelle sur l'ensemble du territoire.
Affiche pour l'exposition « Picasso. Tableaux magiques » au Musée National Picasso, Paris. © museepicassoparis.fr
Vers une image-maîtresse du musée au XXIème siècle

Affiche de l'exposition « Picasso Illustrateur » au MUba Eugène Leroy ? Tourcoing. © muba.tourcoing.fr
Il est difficile de ne pas voir dans cette exportation des collections l'ambition tentaculaire d'un musée à l'envergure internationale accentuant une hiérarchisation entre les institutions muséales. Les musées à la dimension plus modeste deviennent les hébergeurs d'une collection gigantesque qui dépasse la capacité d'accueil d'un musée, si monumental soit-il. Alors les expositions Picasso ne s'affirment-t-elles pas comme le symptôme d'une vision essentiellement matérialiste du musée au XXème siècle ? La possibilité de faire autant de donations et de dations à une seule institution est-elle une pratique mémorielle encore tenable ? Si la volonté politique de consacrer un lieu public à la conservation et à la valorisation de la production d'un artiste est toujours louable, nous pouvons nous demander si la centralisation des collections n'entraîne pas à terme une perte de la singularité des institutions en régions.
Le nom Picasso : de la signature à la marque
EB
#Picasso
#museepicasso
#Mubaeugeneleroy
[1] Romain de Becdelievre, « y a-t-il trop d'expos Picasso ? », 10 août 2018, France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-dete/y-a-t-il-trop-dexpos-picasso
[2] Sabine Gignoux, « Laurent Le Bon : faire partager Picasso au plus grand nombre », La Croix, 15 mai 2018 : https://www.la-croix.com/Culture/Expositions/Laurent-Le-Bon-Faire-partager-Picasso-grand-nombre--2018-07-15-1200955208
[3] Ministère de la Culture, Communiqué de Presse : https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Laurent-Le-Bon-reconduit-dans-ses-fonctions-de-president-du-Musee-national-Picasso-Paris
[4] Romain Becdelievre, « y a-t-il trop d'expos Picasso ? », art.cité.
[5] Musée Picasso Paris. Présentation : http://www.museepicassoparis.fr/presentation/
[6] Musée Picasso Paris, art.cité.
[7] Pierre Maenhout, adjoint à la Culture et au Patrimoine de la ville de Tourcoing. Tourcoing. Actualités. Picasso-Illustrateur est arrivé : https://www.tourcoing.fr/Actualites/Picasso-Illustrateur-est-arrive
[8] Muba-Tourcoing. Expositions et événements. Expositions en cours. Picasso-Illustrateur : http://www.muba-tourcoing.fr/EXPOSITIONS-ET-EVENEMENTS/EXPOSITIONS-EN-COURS/PICASSO-ILLUSTRATEUR)
Les cerfs-nageants de Jackie Matisse
Comment écrire, entamer une réflexion sur la muséologie ?Peut-être en parlant de l'émotion, de ce qui échappe et qui fait qu'on s'entête, qu'on garde en tête, que ça trotte, que ça vit en nous et qu'on voudrait bien partager. Et alors là, peut-être qu'on s’approche de la muséologie… De loin.
Je vais au musée Matisse depuis que j’ai cinq ou six ans.Dans une des salles l’œuvre est au plafond. On peut s’allonger sur des espèces de petits canapés pour voir les dessins qui sont en l'air. Ce sont des visages dessinés au trait noir. J’aimais cette pièce car je pouvais y passer autant de temps que je voulais. Allongée, je regardais les dessins paisiblement. J’avais le sentiment que personne ne me dérangerait jamais.J’étais bien tranquille sous les portraits de Matisse.
J’ai éprouvé un sentiment similaire dans ce même musée plus récemment, un certain apaisement mêlé à de la fascination…
"Le ciel est une porte sur l’espace. Les nuages sont en mouvement constant. Le soleil et la lune sont des sabliers[1]."
Petit retour en arrière donc, à l’été 2013 au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis pour l’exposition monographique Jeux d’espace, consacrée à Jackie Matisse.
Jackie Matisse, petite fille d’Henri, confectionne des cerfs-volants aux longues queues traversées de couleurs. Dans l’exposition je me suis approchée de petits mobiles en cheveux, j’ai levé les yeux vers des suspensions de papiers et de toiles peintes qui nous emmènent au ciel mais aussi, parfois, dans les profondeurs des mers. Que ce soit avec ses cerfs-volants ou avec les mobiles et sculptures fragiles qu’elle réalise grâce à des objets trouvés dans la rue, Jackie Matisse pratique un art de l’enchantement. C’est la première impression que j’ai ressentie face à ses œuvres, j’étais charmée, fascinée. C’est Sea Tails, une installation vidéo et sonore nichée dans une petite salle sombre,qui m’a particulièrement touchée.
© Robert Cassoly
"Un enfant marche rarement en ligne droite – il joue comme il va, il rentre et il sort, par-ci et par-là. C’est ce que font les oiseaux et les papillons et c’est ce que font mes cerfs-volants. Ces cerfs-volants sont comme les écailles des ailes d’un papillon[2]."
L’installation est composée de trois films diffusés en boucle sur six moniteurs eux-mêmes répartis en deux rangées de trois. On y voit des cerfs-volants de l’artiste flottants dans l’océan. Le tout est accompagné d’une bande sonore différenciée, composée de trois enregistrements distincts et créée par David Tudor.
L’idée d’utiliser l’eau comme milieu vint à Jackie Matisse après que l’un de ses cerfs-volants se soit écrasé en mer par accident et ait sombré sous la surface. Cet incident constitua le point de départ de différentes expériences qu’elle mena en Méditerranée ou, plus tard, dans l’océan Atlantique. Les matériaux filmiques de l’installation Sea Tails furent enregistrés dans la baie de Nassau aux Bahamas en 1983, le tournage dura huit jours. Sur le bateau étaient présents Jackie Matisse, Molly Davies, qui réalisa les images des films, David Tudor, qui créa la bande sonore, Robert Cassoly, photographe ainsi qu’une équipe de plongeurs.
Les six moniteurs de l’installation diffusent les trois films, chacun étant associé à un groupe différent de cerfs-volants créés spécifiquement pour le tournage par l’artiste : « petits cerfs-volants de couleurs vives », «grands cerfs-volants en papier-filtre peints » et « grand cerfs-volants entoile à voile ». Par un retour et une répétition des trois films sur les moniteurs,les mêmes images repassent au fil du temps. Elles reviennent sans que l’on soit certain de les avoir déjà vues. Il en va de même pour la bande sonore. Réflexion sur la densité des choses et du temps… Temps vécu, où la répétition se substitue à la mémoire. D’une part il y a le temps passé, le temps dans lequel se sont animés les cerfs-volants, le temps de la prise d’images et d’autre part il y a le temps reconstitué, le temps fictif du film. J’étais prise dans la fuite de temps émanant de cette œuvre.
J’ai appris plus tard que les sons avaient été recueillis sur les lieux des prises de vues. David Tudor, dans ses notes prises lors de la réalisation du film, associe toujours un son à un phénomène visuel. Il n’allait pourtant pas dans l’eau avec les cerfs-volants et les plongeurs. Il restait sur le bateau et « scellait des microphones dans des petits pots pour bébé remplis d’huile minérale puis les jetait par-dessus bord[3] ». Les sons de l’installation proviennent donc de la mer. Il n’était témoin que de ce qui se passait à la surface, il ne voyait pas les cerfs-volants prendre vie à dix mètres de profondeur.
Les embardées subies par les cerfs-volants dans les airs se trouvent maintenues, ralenties dans l’eau. Le regard peut profiter longuement de cette chorégraphie de formes et de couleurs que dansent les objets. Les temps de latence sont étirés. Le mouvement, tout en volutes, résiste. Les forces qui s’affrontent effacent les fulgurances qui animent habituellement ces objets. Lorsqu’ils sont au vent, quelque chose échappe à la vigilance, impossible à capturer. La prise pourtant est bien là, un fil d’alerte tendu entre ces drôles d’oiseaux et la main. Du ciel à l’océan, le rapport entre l’opérateur et l’objet diffère complètement.
Par ailleurs, à aucun moment ne sont visibles dans le cadre autre chose que de l’eau ou des cerfs-volants ; poissons et coraux étaient évités et chassés hors du cadre. Les espaces, les parcelles d’océan étaient patiemment choisis pour leur clarté, leur profondeur. L’eau permet des éclats,des états, elle donne de la consistance aux mouvements, du poids. Elle pèse sur les cerfs-volants.
Le déroulement des rubans colorés s’effectue lentement, au rythme des courants marins. L’eau est prise comme élément de composition, comme élément d’occupation du cadre. Le cadre plein et le cerf-volant mouvant qui glisse de temps à autre au dehors. Car même sous l’eau il arrive que les rubans s’échappent. Le balai continue alors ailleurs et la poursuite du cadre s’intensifie. Des rubans traversent les bords de l’image. Une part de temps hors-champ fait son apparition à travers les bords du cadre. Le corps de la preneuse d’images est lui aussi affecté par les flux et les courants marins. Il lui est difficile de se fixer, elle nage avec les cerfs-volants. L’eau affecte et imprègne cette œuvre à tous les niveaux. Elle remplit littéralement le cadre, elle porte et déplace le corps cadrant, elle met en mouvement les cerfs-volants, elle coule jusque dans les prises de son de James Tudor. C’est de battements respiratoires dont il est question dans Sea Tails.
Ce rectangle bleu, milieu vivant, est le lieu d’incessants scintillements, de retournements et de décollements qui ont eu le pouvoir d’happer mon regard et d’assourdir tout autour.
"La malice ne manque pas dans cet œil bleu qui me surveille : vous connaissez le jeu, il y a un petit garçon devant le mur,et il s’agit de s’avancer vers lui sans qu’il vous voie bouger, il se retourne brusquement, alors on reste en équilibre dans des poses incroyables, mais vraies, comme disent les journaux. Le petit garçon, c’est cet œil bleu, et àtous les coups il prend le monde en défaut, en mouvement, il le force à garder une pose ingardable[4]."
Cet œil bleu plein de malice c’est celui d’Henri Matisse.
© Jean-Louis Gautreau
Louis Aragon lui a consacré un livre qu’il a mis plus de trente ans à écrire : Henri Matisse, roman. A sa lecture j’ai appris qu’Henri Matisse avait invité pour son quatre-vingt-unième anniversaire ses trois petits enfants les plus âgés : Claude, Gérard et Jacqueline. Jacqueline, c’est Jackie Matisse. Ce jour-là il est resté dans son lit et a dessiné leurs portraits sur le plafond de sa chambre. C’est cette œuvre devant laquelle je pouvais rester figée de longs instants étant enfant.
Marine Segond
#JackieMatisse
#MuséeMatisse
#Cerfs-volants
[1] JackieMatisse, catalogue de l’exposition « Jackie Matisse, Jeux d’espace »,Paris, Bernard Cheveau Editeur, 2013, p. 59
[2] JackieMatisse, catalogue de l’exposition « Jackie Matisse, Jeux d’espace »,Paris, Bernard Cheveau Editeur, 2013, p. 69
[3] DavidTudor cité par Nancy Perloff, HearingSpaces : David Tudor's Collaboration on Sea Tails, Leonardo Music Journal,n°14, 2004
[4] LouisAragon, Henri Matisse, roman.(1971),Paris, Gallimard, 2006, p. 104

Les expositions, sanctuaire des selfies ?
Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne exposition, qu’elle soit artistique, scientifique, culturelle ou historique ?
Certains répondront que c’est la qualité de contenus qui fait une bonne exposition, d’autres parleront des connaissances acquises et des émotions ressenties.
Pourtant, dans les expositions temporaires et les salles de collections permanentes des musées, beaucoup de visiteurs ne semblent se préoccuper que de la possibilité de se mettre en scène pour capturer le meilleur « selfie » à partager sur leurs réseaux sociaux.
Le selfie est une pratique devenue tellement commune à travers le monde que le mot a été inscrit en 2013 dans les Oxford Dictionnaries puis en 2014 au Petit Robert français. L’emploi du mot serait exponentiel, ayant d’ailleurs augmenté de 17.000% entre 2012 et 2013, d’après l’entreprise Oxford.
Pour réussir un selfie, il faut une luminosité et un angle de vue avantageux. Mais surtout, l’environnement permet de créer une atmosphère et de raconter sa propre histoire. Les expositions sont donc devenues un espace idéal pour assouvir ce besoin de paraître. Aujourd’hui, impossible de parcourir un lieu culturel ou touristique sans se heurter à un selfie stick. Dans certains musées, le phénomène est devenu tellement viral qu’il a été interdit, pour préserver la sécurité des visiteurs et des œuvres, à l’exemple du Château de Versailles et du MoMA à New York.
Des défenseurs du selfie avancent plusieurs aspects positifs à cette pratique : l’effet de mode permet à certains d’aller dans des lieux qu’ils ne fréquentaient pas jusqu’alors, de découvrir l’art autrement, de s’approprier l’histoire et le patrimoine ou encore de s’impliquer dans l’œuvre. Pour eux, ça peut être un moyen de découvrir autrement. Jill Carlson a d’ailleurs précédemment publié un article sur les atouts des selfies sticks en visite (sur le blog L’art de Muser: http://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/1229-le-musee-ne-vous-tend-plus-la-perche?highlight=WyJzZWxmaWUiXQ== )
©Instagram
Sur ces trois selfies, l’artiste est parfois référencée en légende, le titre de l’œuvre n’apparaît jamais complètement, mais plutôt évoqué (« The infinity room is always amazing »)
Yayoi Kusama, Infinity mirrored room – The souls of millions of light years away, 2013.
Pourtant à observer ces visiteurs préoccupés par leur image, je me demande sincèrement en quoi s’inquiéter de la bonne tenue de ses cheveux plutôt que d’observer l’œuvre en arrière plan correspond à une quelconque réappropriation de l’art. Les angles de vue comme les pauses sont quasiment identiques entre les visiteurs. La mise en scène avantageuse compte plus que le sens donné à la photographie, voire parfois à la visite même. C’est autant amusant que troublant d’aller sur les réseaux sociaux et de trouver en multiples exemplaires quasiment la même photographie publiée par autant d’utilisateurs. La créativité s’exprime-t-elle dans la prise de vue ? Rien n’est moins sûr à observer l’homogénéisation qui répond aux effets de mode.
©Instagram
Différents selfies pris dans l’œuvre Inside the horizon, 2013 de Olafur Eliasson.
Seul le lieu est identifié, primant ainsi sur l’œuvre.
La conquête du cliché parfait a déjà causé des accidents, où les visiteurs peu attentifs ont endommagé, voire détruit des œuvres d’art.
L’exemple le plus connu est certainement la chute d’une femme sur un piédestal créant un effondrement en chaîne de plusieurs socles dans l’espace 14th Factoryà Los Angeles en 2017. Le coût total des dégâts est alors estimé à 200 000$.
En 2017 également, au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden à Washington, un touriste a perdu l’équilibre en se photographiant dans l’installation de l’artiste Yayoi Kusama, Tout l’amour éternel que j’ai pour les citrouilles.Le coût d’une seule citrouille est estimé à un million de dollars…
Et malgré cela, les selfies sont de plus en plus incités par les grandes institutions, qui créent des hashtags et des concours de selfies. Une journée internationale du selfie dans les musées a même été mise en place, particulièrement relayée sur les réseaux sociaux à l’exemple d’Instagram (#museumselfieday). Le selfie devient un moyen de promotion du lieu, une nouvelle stratégie marketing cherchant à toucher un public jeune (les générations Yet Z, ou Millennials).
Aux États-Unis, des « musées » sont créées uniquement pour offrir aux visiteurs des espaces attractifs et originaux pour se prendre en photo, le Museum of Ice Cream en tête.
©Instagram
Museum of Ice Cream, Rainbow Room.
En Europe, les installations artistiques monumentales sont souvent mises en valeur dans les outils de communication afin d’inviter les visiteurs à venir s’y faire photographier.
L’intérêt artistique, historique, technologique ou scientifique passerait-il après le gain de visibilité ? À quand une étude de la photogénie des installations ?
Même si heureusement, chacun est libre de ses actes et ses choix le reflexe du selfie pour chaque instant insolite ou extraordinaire devrait être davantage interrogé. L’instant présent, pleinement vécu et nourri d’émotions manque de succès face à la concurrence des apparences.
Chloé Maury
#selfiemuseum
#moiaumusée
http://www.mac-s.be/fr/123/Selfie-au-musée
NB : Les photographies ci-dessus sont uniquement des captures d’écran de profils publics sur Instagram. Les structures visitées sont toujours identifiées, à défaut du nom de l’œuvre servant d’environnement au selfie ou de l’artiste.
Les Hortillonnages : impression sauvage, expression humaine
De passage à Amiens, en attendant le prochain train, le temps de vagabonder dans le centre-ville, l'idée évidente est de visiter la cathédrale Notre-Dame.
Entailles, Wilson Trouvé, Amiens © Yann Monel
Une fois le pèlerinage terminé, nous descendons la rue de la Barette, remontons les berges de la Somme, le soleil d'automne nous pousse à traverser le fleuve pour rejoindre le parc qui le longe. Notre marche hasardeuse se complique : des cours d'eau de plus plus nombreux nous barrent la route, la nature se densifie et nous impose l'assistance d'un plan. Sous nos yeux, une étendue immense, un archipel d’îlots entrecoupés de minuscules cours d'eau. Nous imaginons une formation naturelle: ruisseaux, îles et mangroves découlant des eaux du fleuve qui abreuvent et inondent ces terres. Au loin, des barques accostent, déchargent et chargent ce qui semble être badauds et touristes. Nous en sommes.
La Maison des Hortillonnages
Le lieu appartient à l'Association pour la protection et la sauvegarde du site de l'environnement des hortillonnages. Notre sentiment se précise: l'endroit n'est pas un quelconque espace vert mais une particularité amiénoise. Impatients d'embarquer, nous sommes munis de tickets et d'un plan détaillant chaque nom des canaux qui découpent les lieux. Mais du cheminement naturel qui nous a conduit en ce port, s'est éveillé en nous une curiosité inattendue : la signification de ce mot bien étrange: Hortillonnage. Une salle est prévue pour répondre à nos questions. Le décor rustique tient d'une cabane de chasse. Films d'archives et photos anciennes nous permettent de nous fondre et comprendre l'histoire du site, son utilité, sa faune, sa flore et le plus intriguant : ses habitants.

Vue du ciel, Amiens © Licence Creative Commons
Les Hortillonages, Amiens © C.V
Une nature façonnée par l'homme
Le sentiment d'être au centre-ville de la capitale picarde s'est évanoui, mais la brève exposition d'introduction vient nous le rappeler. C'est l'homme qui a comblé, creusé, défriché, détourné et enfin cultivé ce qui étaient d'anciens marais et tourbières. Non par plaisir mais par nécessité. Les hortillonnages, ces terres fertiles au cœur d'Amiens, ont permis de nourrir sa population durant des siècles. Les maraîchers transportaient leurs récoltes via des barques et approvisionnaient les étals des marchés des quais de la Somme. On estime la naissance des hortillonnages à l'ère Gallo-romaine mais le premier document qui en atteste date de 1492. 1500 hectares au XVème siècle et un millier de maraîchers pour les exploiter.
L'avènement du chemin de fer entame le ralentissement de ce mode d'agriculture. En 1900, 500 hectares de terre. 300 hectares aujourd'hui, 7 exploitants pour les cultiver, 99% des îlots sont devenus des jardins d'agrément.Nous sommes appelés à embarquer, accompagnés de 10 autres personnes. Le Gouverneur, nom de notre navire, s'approche silencieusement. Une barque à cornet, bateau à fond plat aux allures de gondole, dont la rame est remplacée par un moteur électrique qui n'émet aucun bruit si ce n'est les clapotis de l'eau. Le moyen de propulsion permettra d'apprécier le calme qui habite le site et possède un atout écologique évident.
A la barre Jean-Claude, enfant du pays est trahit par son léger accent bien picard. Il aura la double casquette de capitaine et médiateur. Une fois les amarres larguées, le chef à bord nous décrit les 3 km de croisière à venir, demandant aux passagers d'étudier leurs cartes et de cerner le parcours. 45 minutes soit 3 km de croisière sur les 65 km de rieux. La visite ne couvre pas l'ensemble des hortillonnages et n'est pas improvisé. Depuis le port nous nous rendons au rieu d'Orange, le numéro 13 sur la carte. La vocation du circuit est de présenter la diversité des parcelles. Il est établi en communion avec les propriétaires des îlots, ces derniers ayants émis de nombreuses plaintes à l'encontre des visiteurs qui naviguent sans encadrements et qui n'hésitent pas à emprunter des canaux privés, peu scrupuleux de l'environnement et de la quiétude des hortillonnages.
Les Hortillonages © C.V
Balisage des rieux © La Maison des Hortillonages
Un musée à ciel ouvert
Au fil de l'eau nous avons la preuve que les hortillonnages ont perdu leur vocation initiale de nourrir les Amiénois. Jadis ventre de la ville, ils sont désormais le poumon vert. Les nouveaux habitants, surnommés par notre capitaine "les Robinsons" y viennent pour camper, pêcher, cultiver leur potager, se baigner l'été tant l'eau y est propre... Nombreux se plaisent à mettre en scène leur parcelle tels de véritables scénographes. Nous attendions un endroit exclusivement dédié à la nature, l'expression de l'homme y est finalement foisonnante.
Le visiteur est autant intrigué par l'ouvrage titanesque réalisé depuis des siècles, les hortillonnages, que l'inventivité des gens qui le font vivre. Les parcelles se succèdent mais ne se ressemblent pas: ruches, houblonnière et cabane encerclée de sculptures représentants un orchestre de jazz qui évoquent les quartiers de la Nouvelle-Orléans... L'architecture parfois audacieuse des cabanes incite à la rêverie. Les Robinsons se plaisent à afficher leurs talents d'horticulteurs, jardiniers, bricoleurs. En témoigne ce vélo posé à proximité du canal, qui pompe l'eau une fois le pédalier mis en route. Aux ambiances poétiques et colorées se succèdent des œuvres artistiques. Le 15 octobre se terminait le 8ième festival Arts, villes et paysages, organisé par la Maison de la culture d'Amiens.
De jeunes paysagistes, plasticiens, architectes et designers étaient invités dans les hortillonnages pour produire des œuvres qui tiennent compte des contraintes naturelles et des spécificités du lieu. Plusieurs installations n'ont toujours pas été démontées comme l’œuvre Arcane de la plasticienne chinoise Yuhsin U Chang. Ce fragile entrelacs de branches qui semble léviter surprend sans détonner des mangroves qui l'entourent si ce n'est grâce à sa blancheur immaculée. Ici l'artiste, en évoquant la fragilité des écosystèmes, se joue une fois de plus de la nature et s'en inspire pour la mettre en scène. Des mécènes financent la préservation du site, et s'affichent en bienfaiteur sur des pancartes installées sur des îlots. Mécénat, médiateur, mise en scène, expositions et œuvres d'art, les hortillonnages sont devenus un véritable musée à ciel ouvert.
Arcane, Yuhsin U Chang , Amiens © C.V.


Les Hortillonages, Amiens © C.V.
Des hortillonnages nous mesurons l'abnégation du genre humain, son évolution au fil de l'histoire. Prêt à détourner des fleuves pour subvenir à des besoins élémentaires, également capable d'un raffinement, d'une créativité sans limite pour conserver un lieu qui avait perdu sa vocation d'exister. Si les Amiénois n'avaient pas investi ces terres maraîchères en déclin, l'endroit ne serait plus que tourbière, marais ou béton. Au-delà du caractère unique des hortillonnages, d'avoir ramené puis conservé une nature si diverse au cœur de la ville, nous trouvons en ces lieux un formidable terrain d'expression. Mesurons également les capacités de destruction de l'homme. Aux 130 000 visiteurs annuels qui embarquent chaque année grâce à la Maison des Hortillonnages dans un cadre strict, s'ajoutent 50 000 visiteurs indépendants. Les Robinsons, pour préserver leur terre ont de nouvelles questions à se poser.
#Amiens
#Hortillonages
#LaMaisondesHortillonnages
Pour en savoir plus :

Les petites mains de l'art contemporain
Ce documentaire diffusé sur Arte met en lumière le thème des assistants d’artistes et de la production matérielle des œuvres d’art. La parole est donnée aux assistants, artisans,producteurs… qui constituent les petites mains de projets en chantier pour Lee Ufan, Daniel Buren et Marianne Heske. La vision des artistes alliée à celle de ces collaborateurs est traversée par des problématiques sur l’œuvre d’art, la perception du public ou le rôle de l’artiste.
crédits : Arte / Luc Riolon &Rachel Seddoh
Ce documentaire diffusé sur Artemet en lumière le thème des assistants d’artistes et de la production matérielle des œuvres d’art. La parole est donnée aux assistants, artisans, producteurs… qui constituent les petites mains de projets en chantier pour Lee Ufan, Daniel Buren et Marianne Heske. La vision des artistes alliée à celle de ces collaborateurs est traversée par des problématiques sur l’œuvre d’art, la perception du public ou le rôle de l’artiste.
Lee Ufan, travaillant dans les jardins de Versailles, pose d’emblée la question : que signifie travailler avec des assistants plutôt que travailler tout seul ? Son projet à Versailles correspond à sa façon de travailler : se rendre sur les lieux lui permet de créer à partir d’eux. Lee Ufan considère qu’il a un rôle de conducteur, de guide pour un projet évolutif : « L’idée que j’ai de l’œuvre ne se réalise jamais exactement comme je l’avais conçue, avec le choix des matériaux, avec le choix des éléments fabriqués par l’usine et la participation des assistants, elle se modifie petit à petit, elle est ajustée au fur et à mesure et différents éléments y sont encore ajoutés : c’est comme cela que l’œuvre finale voit le jour. Et c’est tous ensemble que nous parvenons à réaliser une œuvre qui me dépasse et qui entre en contact avec l’univers. »
« Quand je peins j’utilise des toiles et des peintures fabriquées en usine j’ai donc besoin d’être assisté. Pour la sculpture il me faut beaucoup d’aide, en principe pour la sculpture soit les œuvres sont de grande dimension, soit elles demandent une technique particulière ou encore elles demandent une main d’œuvre importante. En tout cas il y a beaucoup d’éléments que je ne peux pas résoudre tout seul. Je n’ai jamais songé à réaliser mon œuvre uniquement par mes propres moyens. » Effectivement, dans la plupart des cas, les œuvres sont collectives notamment à partir d’une certaine taille ou technique.
crédits : Arte / Luc Riolon &Rachel Seddoh
Daniel Buren à Strasbourg pour son exposition Comme un jeu d’enfant,en partie en façade du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg (MAMCS) et en salle d’exposition, sait ne pas être « vraiment seul quand[il] travaille ». Il collabore avec certaines équipes depuis longtemps,dans la durée. Par exemple l’équipe qui l’a accompagné dans la mise en place de son œuvre sur la façade du musée strasbourgeois lui fabrique des bandes colorées depuis quinze ans. Le confort de travailler avec une équipe qu’il connaît, avec laquelle il y a une bonne compréhension lui permet de faire des réalisations plus compliquées. Mais il ne travaille pas toujours avec la même équipe puisqu’il dit préférer « essayer de [s]’adapter aux gens qui vont être là pour m’aider à Tokyo ou Rio que venir avec [son] équipe ».
Travailler in Situ pour Buren consiste à faire sur place, pour une place précise. Cette notion essentielle l’a fait connaître. Ses œuvres sont contrôlées par différentes personnes, équipes locales et« historiques », qui apposent leur marque : ce sont les conditions des œuvres in Situ qui dépendent de leur contexte. Ainsi probablement le in situ permet-il ce travail avec les équipes. Et c’est peut-être Buren qui s’interroge le plus sur le rôle de ces équipes.
À Oslo Marianne Heske réalise une sculpture monumentale en bronze pour un parc. Les artistes conceptuels et post-conceptuels font produire leurs œuvres par d’autres. Marianne Heske a profité de cette situation qui ouvre de nouvelles possibilités aux artistes en n’étant plus seulement jugée sur ses possibilités/qualités techniques personnelles. Singulière dans le monde artistique nordique, elle est une des rares à adopter une méthode et une pensée conceptuelle sans être aussi dogmatique que les autres artistes internationaux.Son œuvre est poétique et ouvre plus sur une narration que sur un concept.
L’idée est le matériau de travail de Marianne Heske, à partir de là elle choisit d’autres outils. L’originalité de l’œuvre c’est son message, tout le reste n’est que collaboration, coordination des équipes. Ce qui compte c’est la qualité et non qui a fabriqué l’œuvre. Mais les gens sont très déçus quand ils découvrent qu’elle n’a pas fabriqué l’œuvre elle-même, c’est pourtant elle qui l’a pensé. Cela illustre un décalage entre sa pensée et l’état d’esprit d’une personne « lambda ». Parmi les trois artistes c’est celle qui semble le plus revendiquer de ne pas fabriquer elle-même ses œuvres.
La société Art Project de Patrick Ferragne intervient dans la réalisation et l’installation d’œuvres d’artistes comme Daniel Buren pour la Monumenta ou ici pour Lee Ufan à Versailles. Son équipe décrit ainsi sa mission : « Art Project intervient depuis la conception d’une pièce jusqu’à sa réalisation. Notre rôle consiste à évaluer, traduire, conseiller,proposer, adapter, réaliser, installer. Nous sommes l’interface entre l’artiste, le(s) commanditaire(s), et tous les protagonistes nécessaires à la réalisation du projet. »

crédits : Arte / Luc Riolon &Rachel Seddoh
Pour Jean de Loisy (du Palais de Tokyo) les gens en général pensent que l’artiste crée comme en autarcie. Selon lui la discrétion des sociétés comme Art Project est bénéfique, sinon cela risquerait de discréditer le travail des artistes. Pour Olivier Babeau (professeur en stratégie à l’Université de Bordeaux) la question de l’authenticité est aujourd’hui importante mais c’est un problème qui ne se posait pas à la Renaissance, grande époque des ateliers, où par exemple on demandait aux artistes de peindre à la manière de, où il y a avait de nombreux emprunts... On recevait l’œuvre comme produit de la volonté du maître. Aujourd’hui on renoue avec la tradition collective. Les propos de Jean de Loisy et Olivier Babeau attirent l’attention sur l’inquiétude générée quand on touche au rôle de l’artiste et peut-être même à ce qui fait œuvre.
Les dires des petites mains vont toutes dans le même sens :« faire partie de l’histoire » même sans le mérite, s’enrichir dans le travail pour l’artiste, « belle expérience », « plaisir de laisser une œuvre derrière soi », « participer à quelque chose de plus grand que soi »… Les artisans, avec fierté, se considèrent comme des facilitateurs et non des créateurs. Cependant Olivier Babeau soulève le problème de la répartition de la valeur artistique ? Est-il vraiment si simple de séparer le travail technique de la réalisation artistique ?
Qu’en pensent les artistes ? Daniel Buren évoque que dans la collaboration avec les équipes, elles peuvent lui faire remarquer certains éléments, lui permettre d’aller plus loin et laisser leur marque. À la fonderie Marianne Heske vient également chercher des conseils pour la réalisation technique. Existe donc bien un échange entre les petites mains et les artistes.
Le documentaire, même s’il soulève quelques problématiques, garde cette vision très positive des collaborations entre artistes et assistants.
Salambô Goudal
#artistes
#assistants
#production
Pour visionner le documentaire : http://www.arte.tv/guide/fr/050370-000/les-petites-mains-de-l-art-contemporain?autoplay=1

Les Pokémon débarquent au musée Van Gogh
Quand Pikachu rencontre le maître néerlandais…
Pokémon x Van Gogh Museum presentation ©Sven Mooij
Que se passe-t-il au musée Van Gogh ?
Pour célébrer son 50e anniversaire, le musée Van Gogh d'Amsterdam a collaboré avec la franchise Pokémon créant une exposition inédite : L’aventure Pokémon, un jeu de piste qui permet aux visiteurs de découvrir les chefs-d'œuvre de Vincent Van Gogh à travers le prisme des Pokémon.
Créée par Satoshi Tajiri, créateur et producteur de jeux vidéo japonnais, en 1995, Pokémon est une franchise japonaise de jeux vidéo, de cartes à collectionner, d'animes, de mangas et de jouets. Les Pokémon sont des créatures fictives, souvent anthropomorphes, qui possèdent des pouvoirs et des capacités uniques. Ils sont répartis en plusieurs types, chacun ayant ses propres forces et faiblesses, une des créatures les plus connues n’est autre que Pikachu, une petite souris jaune pouvant manier l’électricité.
Trois célèbres illustrateurs du jeu de cartes Pokémon ont participé à cette campagne, créant des réinterprétations originales des œuvres de Van Gogh. Pikachu inspiré par l'Autoportrait au chapeau de feutre, Héliotronc dans Les Tournesols et Goinfrex Ronflex dans la Chambre à coucher sont quelques-uns des exemples de ces illustrations.
Pikachu inspired by Self-Portrait with Grey Felt Hat, Naoyo Kimura (1960), The Pokémon CompanyInternational.
Sunflora inspired by Sunflowers, 2022, Tomokazu Komiya (1973), The Pokémon Company International
Munchlax & Snorlax inspired by The Bedroom, sowsow (1988), The Pokémon Company International
Lors de la seconde édition de l’Open Museum du Palais des Beaux-Arts de Lille, en 2015, des réinterprétations d’œuvres iconiques étaient réalisées par le collectif InterDuck. Ainsi, les visiteurs pouvaient apprécier Le Canard à la Perle ou encore le sarcophage du roi Duckamon Ier, version affublée d’un bec à la Donald Duck. Les réinterprétations d’œuvres d’art permettent d’attirer de nouveaux visiteurs. C’est en intégrant la pop-culture que les musées tentent de rajeunir leur image. L’Open Museum est une initiative lancée par le Palais des Beaux-Arts de Lille, en 2014, qui a pour objectif d’offrir une nouvelle expérience à son public. Cette année, pour sa 8e édition, l’institution a intégré dans son parcours la thématique des jeux vidéo, questionnant à nouveau le rapport entre le musée et une entreprise commerciale, dans ce cas précis les deux studios Ankama et Spiders.
Sarcophage du roi Duckamon Ier par InterDuck - M.Libert / 20 Minutes
Le Canard à la Perle, réinterprétation de La Jeune fille à la perle de J. Vermeer, par InterDuck
Affiche de la seconde édition de l’Open Museum du Palais des Beaux-Arts de Lille mettant en avant les artistes du collectif allemand InterDuck. 10 avril - 05 juillet 2015
Mais pourquoi avoir choisi la franchise ?
Emilie Gordenker, directrice générale du musée, affirme dans un communiqué de presse que ce choix n’est pas anodin. L’influence de l'art japonais sur Van Gogh est indéniable. Ses estampes japonaises, avec leurs couleurs vives, leurs compositions innovantes et leurs représentations de la nature et de la vie quotidienne, ont laissé une empreinte indélébile sur l’artiste : Les Tournesols et La Nuit étoilée.
Comment s’interprète cette collaboration ?
Le musée Van Gogh a créé le parcours L’Aventure Pokémon dans un but éducatif, destiné aux enfants de six ans et plus. Grâce à un livret fourni par le musée, disponible en néerlandais, anglais, espagnol, français et italien, les visiteurs sont guidés à travers les chefs-d’œuvre emblématiques de Vincent Van Gogh qui ont inspiré les illustrateurs de la franchise Pokémon. Par le biais de ce jeu de piste, le public est immergé dans les histoires cachées des œuvres majeures. Une fois le livret complété, une surprise attend chaque visiteur : une carte Pokémon exclusive représentant la réinterprétation de Pikachu par Naoyo Kimura.
Une variété d'activités sont offertes, allant de cours de dessin visant à capturer le style graphique Pokémon à des leçons adaptées aux élèves de fin de primaire et de début de collège. Ces cours sont également accessibles en ligne via la plateforme Van Gogh at School. Cette collaboration se manifeste également dans ses aspects marketing à travers la vente de produits dérivés exclusifs, destinés tant aux visiteurs qu'aux fans de la franchise. Parmi ces produits : des cartes postales classiques, des affiches, des crayons et des stylos ornés de l'univers de Pokémon.
Une collaboration victime de son succès
Capture d’écran du site eBay hébergeant des reventes de la carte exclusive de Pikachu au chapeau de feutre gris, 25 octobre 2023 ©E. LAVERDURE
L'initiative a suscité une diffusion massive à travers les plateformes de médias sociaux, précipitant ainsi une déferlante de fans en direction du musée Van Gogh. L’objet de toutes les convoitises était la carte exclusive de Pikachu, offerte aux visiteurs qui se prêtaient au jeu de piste. Cette carte a engendré des attroupements chaotiques au sein du musée, où des amateurs de cartes Pokémon se sont précipités sans ordre établi pour mettre la main sur ces objets tant désirés, comme l’attestent les vidéos postées par des visiteurs sur les réseaux sociaux.
En l'espace de quelques jours seulement, cette carte ainsi que la plupart des produits dérivés ont été épuisés. Le musée s'est trouvé dans l'incapacité de gérer l'engouement suscité. En conséquence, l'institution a dû annoncer l'interruption de la distribution de la carte la rendant d’autant plus rare. Cette situation a déclenché des spéculations, la carte, qui était initialement offerte, se négocie désormais aux alentours de 200 euros.
Quelle conclusion ?
Ce cas constitue une illustration révélatrice des contraintes inhérentes aux partenariats entre certaines institutions culturelles et des entreprises internationales. Ce projet, initialement conçu avec des objectifs éducatifs novateurs et étayé par un programme de médiation particulièrement élaboré, a transformé le musée Van Gogh en un lieu de divertissement.
Le musée Van Gogh avait déjà établi sa réputation en tant que défenseur actif de la médiation culturelle pour les jeunes, en proposant des cours en ligne depuis plusieurs années, en organisant des "Family Days" et en créant des chasses au trésor. Cependant, l'expérience des visiteurs a pris un virage inattendu, ces derniers étant désormais davantage attirés par les produits dérivés et les activités liées à Pikachu que par les chefs-d'œuvre de Vincent Van Gogh. Une question se pose alors : aurait-il été possible pour le musée néerlandais d'éviter cette marée humaine en refusant de céder à la tentation des bénéfices immédiats, notamment en ce qui concerne la vente de produits dérivés ou la distribution de cette carte inédite ? La prise en compte de l'impact colossal de Pokémon a peut-être été minorée quant aux comportements des joueurs.
La collaboration, innovante et populaire, a entraîné le musée dans les méandres des médias de masse. Pris de vitesse par la diffusion de l’information, il a été contraint de composer avec les complexités inhérentes aux partenariats culturels avec des géants de l'industrie.
Emma LAVERDURE
Pour en savoir plus
- Communiqué de presse de l’exposition Pokémon x Musée Vincent Van Gogh : https://www.vangoghmuseum.nl/en/about/news-and-press/press-releases/20230927-the-van-gogh-museum-partners-with-the-pokemon-company-international
- L’influence nipponne dans l’art de Vincent Van Gogh : https://www.beauxarts.com/grand-format/van-gogh-le-japon-dans-la-peau/
#VanGogh #Pokémon #collaboration

Les toiles prennent leur envol
Du rouge, du bleu, du noir, du orange, tels des cerf-volants, d'amples voilures émergent au loin sur la place de la République, derrière l'Hôtel de ville de Cambrai. Une sorte de cirque, entendrons nous dire par quelques curieux passants. Oui, mais pas tout à fait. Sur la place, s'élèvent trois longues tentes triangulaires et colorées desquelles vibre une certaine légèreté. Cette structure, simplement montée comme un chapiteau de cirque, appelle le marcheur comme à la fête foraine. Cette sensation d'intimité, cette invitation, tend à favoriser le désir de pénétrer au sein de ces curieuses toiles.
© D.R
©D.R
Ni structure lourde, ni tendeurs métalliques, ni parpaings disgracieux, mais huit sacs à voiles de marins emplis d'eau ancrent l'ensemble au sol. Pas d'édifice imposant, pas d'antique portique effrayant, un simple sas de toile permet à « tout un chacun » d'entrer sous ces chapiteaux accueillants.
L'entrée se fait librement et l'accès aux différents espaces est gratuit. Mais qu'est-ce donc ? Pas de clowns amusants, ni d'animaux exotiques. Il semblerait que l'appât des couleurs vives et des formes familières ait marché. Le visiteur égayé se laisse généralement emballer par la proposition de cet étrange lieu.
« Un musée mobile ! », lui dit-on. Un musée tout en kit conçu pour abriter une dizaine d’œuvres d'art tout droit sorties des collections du Centre Beaubourg. A l'intérieur, une ambiance ouatée et sobre enveloppe le visiteur. Les volumes, tous teintés de blanc, se mettent au service des œuvres exposées et accompagnent les flâneurs au gré de la couleur mise en exergue tout spécialement pour cette première exposition. En effet, le thème de cette initiative est la couleur. Une idée forte qui touche un tout public en étant également au coeur des préoccupations de l'art contemporain. Cet éloge de la couleur est en effet représenté par des joyaux de grands maîtres classiques et contemporains tels Pablo Picasso, Françis Picabia, Sonia Delaunay, Yves Klein, Fernand Leger, Alexander Calder mais également l'artiste contemporain Olafur Eliasson.
Frantisek Kupka La gamme jaune
Pour accentuer cette impression d'intimité, de modestes cimaises protègent et sécurisent les œuvres tout en laissant paraître un sentiment d'étroite proximité. Ainsi, les tableaux sont fixés au sein des cimaise-caissons et se dévoilent au travers d'humbles vitres. Ce parcours, signé par la commissaire de l'exposition et conservatrice du Centre Pompidou Emma Lavigne, raconte alors une histoire de la couleur accessible et qui met en lumière une façon originale et ludique d'appréhender l'art en général. Cette histoire de la couleur est alors réinventée par une médiation nouvelle et très particulière. Non pas des clowns, ni des mimes ou des farceurs mais des comédiens issus de l'art du spectacle sont appelés à mettre en scène les œuvres. Cette approche, quelque peu surprenante, permet tout de même aux plus novices de stimuler une certaine construction d'un regard sensible sur l’œuvre. Pas de longs cartels à déchiffrer, point de mots savants incompréhensibles, La gamme jaune de Frantisek Kupka parle tout simplement d'elle-même.
Toutefois, un bémol vient s'inscrire dans cette si belle proposition : une médiation culturelle quelque peu restreinte et cloîtrée dans un scénario rigide et peu enclin à l'échange. Ainsi, les comédiens évoqués précédemment prétextent un mauvais rhume les empêchant de mener à bien leur rôle de « guide ». Ces derniers délèguent alors la majorité de leur prestation orale à une tablette tactile qu'ils utilisent comme une télécommande pour actionner tel ou tel fond sonore. L'idée est intéressante finalement car elle est abordable et appréciable par le plus grand nombre des publics. Cependant, il est impossible de suggérer un échange avec le médiateur, tant celui-ci est conformé dans son texte et ses différents outils. Il faut déplorer aussi le peu d'informations et de formation (!) dont ils ont disposé.
Cette idée de l'écrin, les voiles colorées, les œuvres protégées, est actionnée depuis l'année 2007 par le directeur du Centre Pompidou parisien, dans la continuité du Centre Pompidou-Metz. En effet, ces baldaquins, comme dirait l'architecte des lieux, Patrick Bouchain, sont à l'initiative du directeur de Beaubourg. La direction de ce musée d'art moderne et contemporain, dont les collections font parties des plus fournies dans le monde, a fait le pari de miser sur une itinérance de ses collections.
François Lacour CHANEL Mobile Art
Beaucoup diront que c'est une première dans le monde muséal. Mais il est à souligner que d'autres avant le Musée National d'Art Moderne avaient imaginé pareille entreprise. Le Corbusier par exemple, avait rêvé d'un musée itinérant dès les années 1930 ! Sans oublier André Malraux pour qui la décentralisation culturelle était une priorité dans la création de son ministère de la culture dans les années 1960. Pour les évoquer seulement, il existe aussi le CHANEL Mobile Art, pavillon d'exposition itinérant financé par la marque Chanel et offert à l'Institut du Monde Arabe de Paris ; le MuMo, pour musée mobile destiné aux enfants, qui fait également son entrée sur la route de la culture nomade ; ainsi que le Musée Précaire Albinet ayant pour objectif d'exposer des œuvres clefs de l'histoire de l'art du XXe siècle, en partenariat avec le Centre Pompidou et le Fonds National d'Art Contemporain, en impliquant les habitants du quartier dans toutes les phases du projet.
© D.R MuMo
Le Pompidou Mobile, projet de démocratisation culturelle, est calibré et modulable afin de lui permettre une implantation facile qu'il soit posé sur une friche industrielle, un site portuaire ou une place de marché. Ce centre veut privilégier avant tout les villes composées de 20 000 à 30 000 habitants parmi des zones rurales ou péri-urbaines culturellement défavorisées. Mais en s'installant sur des terres sous-équipées en lieux culturels, cette installation compensera-t-elle les inégalités territoriales ? Est-elle vraiment indispensable pour une ville comme Nantes lorsque l'on connait sa programmation artistique et culturelle ?
Soulignant la spontanéité de la rencontre avec les œuvres, ce projet donne tout de même à voir qu'une manifestation populaire peut aussi être un événement de qualité. Pour citer Bourdieu dans sa publication L'Amour de l'art : «... le plus important, c'est la médiation. Il faut donner au public les moyens de s'approprier les œuvres... ».
Jennifer Bouche

Les Vivants : repenser notre rapport au “non-humain” au Tripostal de Lille
Du 14 mai au 2 octobre 2022, dans le cadre de la 6e édition de Lille3000, la Fondation Cartier pour l’art contemporain expose 250 de ses œuvres – dont certaines pour la première fois en Europe - pour donner naissance à l’exposition Les Vivants au Tripostal. Elle effleure plusieurs problématiques rencontrées par les populations d’Amazonie.
Image d'introduction : « Les Vivants » du 14 mai au 2 octobre 2022 / dans le cadre de la 6e édition de lille3000, Utopia
Une déambulation dans le vivant
Notre parcours au travers de l’exposition débute par une salle sombre parsemée de sphères. Des vidéos d'œils en gros plan et des silhouettes animales sont projetées sur ces globes, le cartel nous apprend qu’il s’agit d’extraits de séances chamaniques. Le visiteur déambule parmi ces globes, sous leurs immenses regards. Il s’agit d’une installation de Tony Ousler, Mirror Maze (Dead Eyes Live). Puis un mur orné de multiples silhouettes humaines, à ceci près qu’elles sont vertes. C’est au travers de cette forêt d’hommes que Fabrice Hyber explore les mutations du vivant, “l’hybridité entre humains et végétaux”.
Peinture de Fabrice Hyber. Photo © Loona Gros
Dans une pièce sombre à part, un court-métrage en noir et blanc “Les Habitants” montre des hordes d’animaux qui fuient un danger invisible à la caméra. Le cinéaste Artavazd Pelechian alterne images d’archive et prises de vues réelles, pour osciller entre fiction et documentaire. Plus le visionnage avance et plus le spectateur comprend que le danger s’avère être l’impact de l’humain sur la planète et sur ses habitants. Dans une autre salle, des peintures riches en couleurs tranchent sur le blanc des murs et des formes exubérantes surgissent des tableaux. Bruno Novelli nous amène dans une forêt onirique, où créatures et plantes fantastiques se côtoient sur des nuances de vert. “Le lion vert de l’imagerie alchimique, le pigment chlorophyllien, la forêt, l’émeraude... Le vert est fascinant.”
Plus loin, Bane, membre du peuple Huni Kuin, illustre des chants rituels de son peuple par ses dessins. Ces formes chamaniques déclinent sous son pinceau les couleurs culturelles de son peuple. Venant du nord de l’Amazonie brésilienne, les peintures de Jaider Esbell se veulent quant à elles une résistance à la déculturation. Se définissant comme “artiviste” ses peintures se font les étendards des droits territoriaux et culturels des indiens du Brésil qu’il défend. Moins célèbre que sa voisine d’Amazonie, les textes de l’exposition nous apprennent que la forêt du Gran Chaco, au nord du Paraguay, a le taux de déforestation le plus élevé du monde. C’est de cette région que viennent les artistes des peuples Nivaclé et Guarani, sur lesquels la menace de la déforestation pèse lourdement. Leurs œuvres représentent des espèces végétales et animales. Puis les créatures noires de Solange Pessoa sur fond blanc, évoquant peintures rupestres, formes primitives, monochromes d’animaux, de plantes, de fossiles tranchent avec l’art coloré de Joseca, dessinant des entités et des lieux faisant référence à des mythes et chants chamaniques…
© Solange Pessoa, Untitled, 2021
L’exposition ne présente pas que des œuvres uniquement visuelles. Le visiteur découvre le travail de Bernie Krause, "bio-acousticien écologiste”, dont les transcriptions sonores (depuis 1970) de différents habitats naturels nous font ressentir la fragilité d’un monde qui s’éteint. Ces “sons du vivant” en deviennent uniques et précieux, revêtant presque une dimension patrimoniale, les paysages sonores capturés étant parfois trop endommagés pour être "écoutés" à nouveau dans leur entièreté.
Au milieu du dernier espace de l’exposition trône Le Grand Orchestre des Animaux(2016), une œuvre de l’artiste chinois Cai Guo-Qiang. Réalisée au moyen de techniques de pyrotechnie, commandée par la Fondation, elle est une fresque d’animaux venant s’abreuver ensemble autour d’un étang, et tous se côtoient dans une certaine harmonie autour de ce point d’eau. L'œuvre a des allures de peinture rupestre. Cai Guo-Qiang nous explique sa volonté derrière sa réalisation “J’ai imaginé ce lieu comme le dernier vestige de la nature sur terre, le dernier héritage des animaux. Ils ne sont plus dans une logique d’affrontement ; ils se penchent doucement au-dessus d’un point d’eau pour boire la dernière gorgée”.
L’appropriation du propos par les visiteurs
L’espace d’exposition prend l’apparence d’un white cube. Les couleurs des œuvres tranchent sur ce fond blanc, mais on ressent comme une mise à distance avec le public.
La muséographie est minimaliste, le propos des artistes manque d’une certaine contextualisation. Comme si l’on ne regardait les œuvres et leur message que de loin, comme s’ils appartenaient à un monde autre que le nôtre, qui ne nous est pas vraiment lié. De multiples peintures et dessins n’ont pour médiation que le court cartel qui les accompagne, sur lesquels ne figurent que le titre, la date de réalisation, et le matériau utilisé. Mais pour plusieurs œuvres il n’a pas été jugé nécessaire de traduire les titres du portugais vers le français. Ce choix a pour conséquence que le visiteur non-lusophone ne comprend pas toujours ce qu’il regarde. Dans les espaces, quelques personnes essaient de déchiffrer les titres, et certains ne prennent même plus la peine de les regarder au bout de deux peintures. Cette absence d’informations, de médiation, participe à entretenir le visiteur dans un certain flou, à le maintenir à distance du propos, comme si les œuvres étaient mises à sa portée par leur présence mais pas totalement non plus. Que l’objectif n’était pas qu’il comprenne mais simplement qu’il regarde, admire, passivement. Par sa programmation, la Fondation Cartier entend explorer de grands enjeux environnementaux actuels : “Les Vivants nous invite, par le regard et l’écoute, à considérer les non-humains comme nos égaux au sein d’un vaste monde commun”. Mais est-ce vraiment le message délivré ? La muséographie et la scénographie transmettent une certaine idée, une volonté, et ici, la forme et le fond semblent ne pas aller de pair. Par certains aspects, cette exposition semble entretenir cette opposition, ou du moins cette séparation, entre les populations et aller à l’encontre du propos développé.
Intérieur des espaces d’exposition. Photo © Julie Pelletanne
Mais alors quelle est l’intention qui sous-tend cette exposition ? Les Vivants s’inscrit dans une série d’expositions qui veut “questionner la place que l’homme occidental s’est arrogée au sommet de la prétendue pyramide des vivants et des peuples”, mais comment questionner un système sans ne serait-ce qu’en évoquer les causes premières ?
Alors que l’exposition aborde le sujet de la déforestation, notamment via les œuvres des populations de la forêt du Gran Chaco, elle n’en dit rien des causes. Sachant que Cartier officie dans la joaillerie de luxe, et que l’extraction de l’or et des pierres précieuses est une importante cause de déforestation dans le monde, cela soulève une question de légitimité ou un soupçon sur la raison d’éluder ce point. Nous pourrions considérer que la Fondation n’est qu’un “intermédiaire”, que le véritable objectif est que les artistes soient exposés et entendus, mais pour qui, et pourquoi ? Et la position de l’intermédiaire n’est pas anodine. Même si l’entreprise Cartier n’est pas la dernière de la classe en termes de transparence et d’efforts pour diminuer son impact sur la déforestation (voir rapport WWF Switzerland ¹), pourquoi avoir choisi ce sujet spécifiquement ? Sur leur site, Cartier stipule qu'ils demandent à leurs fournisseurs de mettre en œuvre "tout ce qui est en leur pouvoir afin d’empêcher que de l’or susceptible de financer des violations de droits humains puisse entrer dans la chaîne horlogère et joaillère". Mais rien n’est dit sur l'environnement.
Encore une fois, la Fondation veut “questionner la place de l’homme occidental” au sein du vivant, mais est-ce vraiment en adéquation avec le secteur d’activité de la marque Cartier, dont les produits ne sont destinés qu’à une élite socio-économique ? Les produits créés et vendus par la marque ne sont accessibles qu’à une infime partie de la population mondiale, dont le plaisir de porter des bijoux de parfois plusieurs centaines de milliers d’euros passe avant les conséquences de l’exploitation minière et aurifère. Ne pourrait-on pas s’attendre à une forme de continuité entre le propos et l’entité qui le porte ? L’exposition défend le fait de pouvoir pousser à un questionnement, à une remise en question, ce qui n’est pas le cas puisque sa muséographie ne le permet pas vraiment, au contraire ; elle semble vouloir éviter le sujet. Cela nous mène à nous interroger sur l’intention première qui a sous-tendu la conception de cette exposition. Elle présente des artistes portant des revendications, mais ne permet pas au visiteur de s’en emparer, ne fournit pas les clés nécessaires, et n'accompagne pas vers un possible changement des comportements.
La Fondation Cartier pour l’art contemporain produit une exposition sur la place de “l’homme occidental dans le vivant” et sur la destruction des écosystèmes - alors que la marque Cartier, sans en être un étendard, est concernée par ces problématiques. Si les artistes présentés, grâce à elle, sont engagés et leurs œuvres porteuses d’un message, ces valeurs ne devraient-t-elles pas être davantage mises en pratique par l’institution qui les promeut ? L’intérêt premier du commanditaire est-il de s’adresser au visiteur par relais artistique et de se donner ainsi une image des plus éthiques ?
Julie Pelletanne
Pour aller plus loin :
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Les Vivants - Fondation Cartier pour l’art contemporain, Utopia
Fondation Cartier pour l’art contemporain - Exposition Les Vivants
#Exposition #Fondation #Ecologie

Louvre Lens, à l'ère du post internet art ?
La Galerie du Temps au Louvre Lens se veut innovatrice dans la conception muséale. La disposition des œuvres en attente dans ce grand hall surprend. Cette organisation dans l'espace renvoie à une relation particulière de l'image objet mentionnée par la culture Post-Internet, notamment le Post-Internet art.
© C. Camarella, La Galerie du Temps, Louvre Lens
Le Post-Internet art, qu'est-ce que c'est ?
Le Post-Internet art est un nouveau terme pour qualifier le travail des artistes contemporains qui utilisent internet comme un outil. L'idée de l'art est produite dans un contexte numérique. On peut le situer entre le New Média et le Conceptualisme, c'est à dire un travail avec les nouvelles technologies et leur matérialité, et l'utilisation de méthodes de diffusion comme concept.
Cela s'inscrit dans une démocratisation des nouveaux médias et tout à la fois dans une certaine désacralisation des œuvres d'art due à leur utilisation sur le web.
Certains artistes, Artie Vierkant, Marisa Olson ou Gene McHugh, ont mis des mots sur ces nouvelles conditions de création et productions artistiques rassemblées sous ce terme.
© Artie Vierkant, Image Objects, installation view, 2013
Marisa Olson le dit simplement, après avoir utilisé internet elle « fait de l'art » tandis que McHugh s'intéresse plus à définir une époque, quand internet est autant indispensable pour les programmeurs que pour tous dans la vie quotidienne.
© Katja Novitskova, Pattern of Activation, installation, 2014
Le résultat n'est que très rarement un objet physique, et majoritairement un objet virtuel sans indication de source et de techniques utilisées qui donneraient un repère à l'internaute : l'artiste joue entre la réalité et le virtuel, le matériel et l'immatériel, si bien que vous ne savez si plus si l'artiste est l'auteur ou non de la photo retravaillée, ou élaboré et peint à même l'espace.
Notons aussi la pluridisciplinarité engendrée par ses nouveaux outils de création artistique.
De plus le Post-Internet art pose des questions sur l'utilisation massive des réseaux sociaux, le flux continu d'informations et d'images, des liens entre les ressources qui ne sont plus évidentes, et une liberté d'utilisation à la convenance des personnes qui en font un outil de la création contemporaine.
Scénographie et dispositifs
Imaginons ici un parallèle entre La Galerie du Temps et le Post-Internet art au regard de la scénographie.
La scénographie prend le parti de créer une grande étendue laissant libre cours à l'expérience, que ce soit de circulation, de points de vue, d'approches concernant l'ensemble des œuvres. Du côté des artistes post internet la création de variations d'un même objet dans une reproductibilité infinie affirme un principe d’ouverture, loin de tout état fixe.
Le parcours propose un long cheminement à travers les œuvres du Louvre retraçant l'Histoire de l'art, de la naissance de l'écriture au 4e millénaire avant notre ère,jusqu'à la révolution industrielle.
Les œuvres ne sont pas classées dans une salle peinture ou une salle sculpture, la scénographie mélange les médias et crée un ensemble pluridisciplinaire entre les périodes, les techniques et les civilisations.
Selon un même principe de décloisonnement, les objets et images post-internet sont développés avec un intérêt particulier pour la matérialité des techniques, les outils et médias ainsi que la variété des méthodes de présentation et de diffusion.
Si le Post-Internet art questionne quant au respect des droits d'auteurs, les cartels dans l'exposition, eux, ne manquent pas de rappeler que les œuvres sont la propriété du Louvre.
La salle offre différents points de vue, renouvelés et réinventés à chaque déplacement du spectateur. D’où un renouvellement annoncé par le Louvre (qui promet une rotation d’œuvres), qui reste cependant bien plus figé qu'internet, avec son flux d'informations nouveau chaque jour.
Sous vitrine,sur socle, rond, carré, rectangulaire, estrade, groupé ou seul, à l'horizontal ou à la verticale, ou sur table : la profusion de dispositifs de soclage s'adapte à l’œuvre et aux médias, et intensifient le groupement de données que l'on retrouve dans cette esthétique particulière du post internet.
Cette scénographie a le point positif de réellement mettre en action le visiteur.
Les vitrines sont rares et certaines sculptures sont à hauteur d’homme, mais il ne faut pas s'appuyer sur les socles ou autres dispositifs mis sous alarme... une mise à distance contraire à l’accessibilité sur le web.
© C. Camarella, la Galerie du Temps, dispositifs scénographiques
Et le visiteur ?
Le spectateur déambule, au gré de ses envies, tout droit, en diagonale, tourne en rond, fait demi-tour, s'arrête, repart. Le seul élément semblant maintenir l'ordre est une frise chronologique du Temps sur le mur. Il choisit, pioche les informations,sans pression historique. Cette liberté rappelle certains comportements lorsque nous surfons sur internet. Nous serions dans un musée d'hyper connexions ?
Un click, un retour, une lecture, une autre page. L'avancée du visiteur au long de l'exposition dans un espace linéaire se compare à une page internet qui défile,un arrêt devant cette œuvre, un click sur cette page, ce qui renvoie à une autre œuvre et une autre page dans un flux d'images et d’œuvres en perpétuel mouvement.
© C. Camarella, capture d'écran retravaillée, Galerie d'images
© SANAA - Kazuyo Sejima - Ryue Nishizawa,retravaillée sur photoshop, Plan Galerie du Temps
Si le chemin du visiteur devait être tracé, on le verrait comme une souris de clavier qui se déplace dans une galerie d'images sur internet.
Comment l'espace d'exposition et les œuvres sont-elles finalement abordées ?
Le Post-Internet art est un mouvement artistique qui s'ancre aussi dans un contexte social comprenant les évolutions des technologies, l'accessibilité à internet et le monde tramé par les réseaux.
Pas de quartiers, les œuvres et médias se mélangent pour créer un ensemble à disposition des points de vue dans une seule échelle du temps. Il n'y a pas de médium plus ou mieux présenté qu'un autre, toute forme d'art se vaut. C'est cette ensemble montré qui construit le Temps et l'histoire des arts.
Acteur principal, le visiteur est autonome, c'est lui qui accorde de l'importance à telle ou telle œuvre. Cherchant habituellement à échapper au parcours prévu,une avancée vers le fond de la salle, les recoins, objets cachés, dénivelés sont appréciés. Le visiteur fera autant attention à ces détails qu'aux œuvres.La scénographie joue avec les œuvres et les visiteurs.
Dans un réseau, la perte de rationalité et de repère est inévitable entre toutes les informations.La démocratisation des outils et médias nous donne pour le moment de nouveaux champs d'actions et la possibilité de faire évoluer les caractéristiques ancrées que ce soit dans les dispositifs muséaux, les idéologies ou doctrines communes par rapport à l'art et ses représentations.
Charlène C.
#LouvreLens
#Post-Internet art
#scénographie
#médias
Pour en savoir plus :
Marisa Olson : http://we-make-money-not-art.com/how_does_one_become_marisa/
La Galerie du Temps au Louvre Lens : http://www.louvrelens.fr/galerie-du-temps
Ma licorne a un zizi...
Ma licorne a un zizi. Pour être tout à fait exact, elle en a même plusieurs et n'a pas que cela.
Nota Bene : lorsqu'une personne part à la recherche d'un stage ou d'un emploi, entreprise digne de la quête du Graal, nous employons volontiers le terme licorne. Celui-ci a le mérite de planter le décor et fédère la grande communauté de « chercheurs » y compris les plus réticents à tout univers onirique et fantastique.
La Licorne de Stéphane Laurent © marin
J'ai eu la chance de trouver une licorne étonnante, effectivement pourvue de nombreux zizis.
Elle propose au public de découvrir le travail des artistes qu'elle soutient. Bertrand Mandico, Tom de Pékin, Eve Servent, Mavado Charon, Anne Van Der Linden, Jean-Louis Costes, Charles Pennequin, Honoré, Francis Deschodt, Gérard Duchêne, Marc Brunier Mestas, Emmanuelle Gailliez, Paul Armand Gette, Benjamin Monti, entre autres, composent la famille éclectique, riche et fantasque de ma licorne. Ils l'aiment, lui font confiance et vivent en parfaite symbiose.
Ma licorne est une galerie.
Née d'une envie forte de présenter des travaux différents, associée à une passion pour le papier, le dessin et l'estampe (gravure, sérigraphie) à une époque qui voyait à peine resurgir l'engouement pour ces médiums, ma licorne s'est rapidement étoffée autour de ce noyau fondamental et ouverte aux autres pratiques artistiques.
Ma licorne est experte et éclectique.
Parmi ses dernières créations, Bilan provisoire. 5 ans d'éditions à la Belle Époque et Curiosa1 ont comblé le public, habitué comme novice. La première exposition proposait la découverte - ou la redécouverte - de cinq années d'éditions dans un espace qui échappait à l'effet de saturation grâce à une scénographie rythmée : les livres de la Collection Or voisinaient gaiement avec une centaine de cadres, écrins des sérigraphies, photographies et dessins « production maison », savamment présentés en série, nuage et autres formes de blocs organisées de façon à offrir de nécessaires espaces de respiration. La seconde introduisait le volume. Le travail de deux complices, Eve Servent et Stéphane Laurent, offrait une nouvelle dynamique et un dialogue savoureux avec les travaux des autres artistes tout aussi impertinents mais sur papier cette fois. Ces deux formes ont été visibles quelques semaines seulement.
Ma licorne est multiple et intense.
Elle célèbre le commencement et la fin de ces « objets éphémères ». Si vernissages et finissages représentent le contexte idéal pour un coup de foudre entre œuvres et particuliers, ils sont surtout l'occasion de rencontres ou de retrouvailles.
Ma licorne est un réseau.
Pour vivre, elle s'octroie un pourcentage sur les ventes d’œuvres qu'elle initie, emmène un joli nombre d'adhérents, concocte livres et sérigraphies - ma licorne est également maison d'édition2 - , réalise des ateliers autour de la pratique de la sérigraphie. Tout cela lui permet de mener une existence sereine, hors du circuit des subventions, libre de posséder tous les zizis qu'elle souhaite.
Ma licorne est autofinancée.
Parmi le petit groupe de personnes qui veille sur elle, une personne la bichonne tout particulièrement : son créateur. Puissant magicien, il a réalisé la métamorphose de cette très belle licorne et lui permet de s'épanouir. Il met un point d'honneur à ce qu'elle garde son indépendance.
Ma licorne a un caractère bien trempé.
Empreinte d'une certaine irrévérence, elle convoque des sentiments entiers : elle séduit ou déplaît mais ne laisse personne indifférent. Je ne résiste pas à vous confier un petit florilège d'expressions, gênées mais amusées, recueilli à son sujet : « C'est malsain, mais c'est drôle, mais c'est malsain... Mais c'est drôle. » ; « C'est crapouillou. » ; « C'est carrément énorme. » ; « C'est cru. » ; « Ah, non, moi je ne peux pas regarder sinon...3 ».
Ma licorne est impétueuse et pleine de poésie.
Elle vit au pied des immeubles d'une petite cité accrochée à un gigantesque centre commercial, non loin de Lille.
On la rencontre parfois hors de son antre, à l'occasion de diverses manifestations (salons, etc.) toujours choisies avec soin.
Ma licorne est à contre-courant et exigeante.
L'aventure à ses côtés fut belle et enrichissante. D'autres sont à venir, à vous de me rejoindre pour la suivre !
Devanture de la galerie © David Ritzinger
M.
1: « Objets littéraires illustrés à la facture soignée et à la typographie raffinée, les Curiosa, tour à tour cocasses et coquins, sont des livres apparus à la fin du 19ème siècle qui peuplaient « les Enfers » des bibliothèques avant que ceux-ci ne disparaissent des collections. » Définition composée par D. Ritzinger à partir, notamment, de celle trouvée sur le site : http://curiosaetc.wordpress.com/curiosa-caetera-une-collection-litteraire-au-castor-astral-editeur/
2: Les éditions La Belle Époque sont également présentées à Paris, galerie Arts Factory ; à Saint-Ouen, galerie La Couleuvre ; à Marseille, librairie Le Lièvre de mars ; à Bécherel en Bretagne ; à Bruxelles, galerie E-Carré et à Liège, galerie/librairie Le Comptoir dulivre.
3: Jeu : trouver la phrase prononcée par un certain S. C..
Pour en savoir plus sur la maison de la licorne :
- Exposition du moment : A fleur de peaux du 8 novembre au 19 décembre2014
Emmanuelle Gailliez (dessin / objet), Michel Gouéry(céramique), Cécile Jarsaillon (broderie)
- Rendez-vous à :
Association Loi 1901, La Belle Époque [Arts Contemporains]
Galerie Une Poussière Dans L'Œil
17 bis Chemin des Vieux Arbres
59650 Villeneuve d'Ascq
Métro Hôtel de Ville – Parking Auchan V2
Ouverture de 15h à 18h30 le mercredi, vendredi et samedi durant les périodes d'exposition, ainsi que sur rendez vous au 06.09.96.71.47
#licorne
#La Belle Époque
#Une Poussière Dans L’Œil
Mais où est notre âme d'enfant ?
Un musée qui nous appartient.
“Ne pas toucher”

The Rain House par l’artiste Ernest Silva installé en 1993 © A. Savarino
L’entrée pour les plus petits de la maison de la pluie, intitulé « Cora’s Rain House » © A. Savarino
Une Question d'échelle
Je ressens toujours que l’apprentissage est scolaire ou élitiste dans les musées français : Regarde, écoute, sois attentif mais ne touche surtout pas ! Tout cela me parait un peu “rabat-joie”. Le Musée en Herbe, encore à Paris, est une belle initiative, mais il reste conçu comme un musée d’art. Des œuvres sont accrochées aux murs, certes plus bas, mais toujours avec une délimitation et une sacralisation des pièces. Ce type de musée me semble important pour comprendre les codes de l’art, mais, est-ce le monde des adultes qui doit être ramené à l’échelle des enfants ou alors le monde des enfants qui doit être “mis en musée” pour eux ? Certes il est important d’observer, mais il me semble qu’on apprend mieux et qu’on retient mieux en vivant, en expérimentant, bref, dans le “faire” et ce d’autant plus chez l’enfant.
Du jeu et de l'immersion
Par ailleurs, la devise du San Diego Children’s Museum est « think, play, create » (cad. « pense, joue, crée »). L’importance du jeu et de l’épanouissement de l’enfant sont la clé dans les pays anglo-saxons. Mais comment ne pas tomber dans la création d’un parc d'attractions ? En fait, c’est l’exposition d’œuvres artistiques qui incitent autant à la contemplation qu’à l’amusement. L’accent est mis sur l'immersion et sur le ressenti. Les expositions immersives sont une tendance actuelle dans les musées à cible familiale, cependant, avec une touche plus “instagrammable” que participatives. L'accent est mis sur la qualité photographique et partageable à travers les réseaux sociaux. (ex. L’atelier des lumières…)
Des enfants glissant à travers le « Krohnoscope » crée par l’artiste Lisa Krohn © A. Savarino
D’autres formes d’apprentissage existent.
Je suis très intéressée par les systèmes d’éducation type Montessori qui remettent en question l’éducation descendante et compétitive, l’éducation classique. Certes, cette dernière qui prévaut, a fait ses preuves, mais dans un monde à son image. Il serait peut-être temps de privilégier de réelles alternatives éducatives pour faire émerger la créativité des enfants, favoriser leur imagination et le partage des connaissances et du patrimoine.
Le Children’s Museum de San Diego a été rénové en 2008 pour laisser place au New Children’s Museum. Le mot "nouveau" signifiant que le musée s'est concentré sur la commande d'artistes contemporains pour créer des installations artistiques à grande échelle pour que les enfants puissent s'y intéresser et les explorer. Leur modèle de musée pour enfants a pour mission de stimuler l'imagination, la créativité et l'esprit critique des enfants et des familles par le biais d'expériences inventives et engageantes autour de l'art contemporain.
Il existe plusieurs musées des enfants pour découvrir l’art aux États-Unis (le premier datant de 1899 à Brooklyn), à Bruxelles (création en 1978) et d'autres dans le monde. À quand un musée des enfants en France ?
Vue sur l’intérieur du musée et des dispositifs que les enfants peuvent manipuler librement © A. Savarino
Aphélie Savarino
#Enfants #Children’sMuseum #Education
Marinette Cueco au LAAC : rétrospective d’une artiste-cueilleuse
Une exposition comme une promenade : c’est ce que propose le LAAC de Dunkerque avec l’exposition rétrospective « Marinette Cueco, L’Ordre naturel des choses », présentée du 16 octobre 2021 au 6 mars 2022. C’est un petit morceau de campagne qui a été accroché sur les murs blancs ou posé sur le sol du musée. L’artiste cueille, glane, ramasse, collecte, puis noue, tisse, tresse, tricote ou entrelace les matériaux végétaux qui sont au cœur de son travail ; elle en fait aussi des herbiers, les enroule en pelotes ou les assemble à des fragments minéraux. Ses œuvres restituent, presque intactes, l’odeur des champs, la sensation granuleuse des graminées qu’on égraine, la caresse de l’herbe mouillée sous les pieds et la solitude des longues marches sous la pluie. Cette exposition thématique rétrospective, qui s’inscrit dans un mouvement de redécouverte de l’artiste, balaye les différentes périodes de création qu’elle a traversées et donne à voir les techniques et matériaux explorés.
Née en Corrèze en 1934, Marinette Cueco est d’abord initiée aux pratiques textiles dans un cadre familial. Dans les années 1960, elle approfondit cette technique par une formation en tapisserie, à une époque où ce medium est en plein renouvellement avec des artistes telles que Sheila Hicks ou Magdalena Abakanowicz. Elle abandonne peu à peu les matériaux textiles déjà transformés (laine, coton ou lin) vers 1970 et détourne ces techniques pour les appliquer aux matières végétales, en commençant par tresser des herbes fraîches in situ, sans les arracher. Elle fabrique ensuite des tissus végétaux ajourés aux formes géométriques aléatoires, conçus à partir de végétaux ramassés lors de cueillettes réalisées notamment en Corrèze, où elle travaille une grande partie de sa vie avec son mari Henri Cueco (1929-2017). Elle continue aujourd’hui de créer dans son atelier parisien.
L’exposition, dont le commissariat est assuré par Evelyne Artaud et Elena Groud en étroite collaboration avec Marinette Cueco, s’organise en quatre salles thématiques correspondant chacune à une technique de création déterminée. La sélection d’œuvres, issues de périodes différentes des années 1980 à aujourd’hui, montre que l’artiste approfondit et fait évoluer chaque technique au fil du temps, parfois sur plusieurs décennies. Ce choix d’un travail par séries lui permet d’explorer les variantes végétales d’une même forme. Au sein de l’accrochage se côtoient le monumental et la minutie du détail : un équilibre s’instaure entre les pièces accrochées au mur et l’installation centrale, posée au sol, qui structure l’espace et fonctionne dans chaque salle comme un ancrage.
Tresses et entrelacs
Vue de la première salle, Tresses et Entrelacs © MR
La première salle est consacrée à la série des « Entrelacs », qui émerge dès le début des années 1980. L’artiste utilise ici les fibres et les tiges de plusieurs variétés de joncs et de carex qu’elle noue, crochète ou tisse, formant ainsi des réseaux graphiques complexes proches du dessin. Certaines œuvres s’inspirent des formes de la nature, comme la « Grande mue » de 1989 qui évoque celle d’un serpent ; d’autres rappellent les formats classiques de l’histoire de l’art, à l’image des vastes rectangles de « Graminées agrostis des sous-bois entrelacées » présentée sur le mur du fond, ou le tondo formé par les enroulements d’herbes tressées au centre de la salle. L’artiste ne se cantonne pourtant pas à ces références à l’histoire de l’art, à laquelle elle ne cherche pas à correspondre bien qu’elle leur emprunte parfois quelques éléments formels. Elle invente un langage propre, où prédominent les formes géométriques simples telles que le triangle équilatéral, symbole d’équilibre, que l’on retrouve par exemple dans les « Trois triangles » de 1989. Ces formes géométriques sont également présentes dans la récente série des « Entrelacs » : les réseaux de lignes végétales tendues et nouées dessinent de complexes compositions intriquées, qui semblent faire écho aux cartes de navigation des Îles Marshall, en Micronésie. Les arts extra-européens, et notamment ceux du Pacifique, se trouvent justement être l’une des sources d’inspiration de l’artiste.
« Trois triangles » (1991) et « Grande mue, joncs épars et joncs capités » (1989) ; « Entrelacs, joncs capités tendus, noués » © MR
Pour Marinette Cueco, la création d’une œuvre commence toujours par de longues promenades pendant lesquelles elle repère les plantes qui l’attirent et se familiarise avec les lieux et les saisons où elle peut les prélever. Puis elle glane, collecte, ramasse ces végétaux qu’elle utilise juste après la cueillette ou met à sécher dans son atelier. Lorsqu’elle décide de se servir d’une plante – rarement plus d’une par œuvre –, elle réhumidifie d’abord les végétaux qui en ont besoin pour être utilisés sans se briser, puis les travaille en adaptant la technique à ses caractéristiques particulières. Elle boucle, noue, tisse, tresse ou tricote la matière dans une lente répétition des gestes réalisés presque toujours exclusivement à la main, en contact direct avec la matière, ne s’autorisant que l’usage ponctuel d’une pince de dentellière ou de philatéliste pour les fibres les plus fines. Elle refuse d’utiliser d’autres outils pour ne pas tomber dans des automatismes formels : elle s’attache au contraire à la découverte de gestes sans cesse renouvelés, aboutissant à des formes inattendues. Elle adapte son projet aux contraintes du matériau, le laissant guider ses gestes dans une forme de lâcher-prise compensé par la rigueur de son travail. Selon elle, « à chaque plante correspond un geste ; à chaque plante nouvelle correspond un autre vocabulaire plastique, un autre graphisme » (catalogue de l’exposition Pierres, ardoises, entrelacs, CAC de Châteauvert, 2020).
Herbiers
Vue de la deuxième salle, Herbiers © MR
La deuxième salle est consacrée à la pratique de l’herborisation, qui naît très tôt dans la pratique artistique de Marinette Cueco, sous l’influence des collections d’herbiers anciens du Museum National d’Histoire Naturelle. Réalisés à l’origine pour approfondir sa connaissance des matériaux travaillés, ces inventaires botaniques matérialisent le long compagnonnage entretenu par l’artiste avec les plantes. Il s’agit du « résultat de recherches, de cueillettes et d’[une] approche intime du végétal ». L’artiste n’établit pas de différences entre bonnes et mauvaises herbes – entre herbes sages et herbes folles, selon ses propres termes. Elle ne recherche pas les herbes rares ou précieuses, mais s’applique à connaître chaque plante dans l’ensemble de ses aspects, à comprendre ses caractéristiques et à établir sa généalogie. Dans une pratique presque quotidienne initiée en 1987, elle prélève des fragments de plantes – feuilles, fleurs, graines… – qu’elle assemble sur des feuilles de papier. Les haïkus visuels ainsi formés confèrent une qualité picturale au végétal dans des compositions qui jouent sur la diversité des formes, des rythmes, des textures et des couleurs des plantes. Entre rigueur scientifique et poésie de l’intime, ce journal de bord végétal témoigne de l’exploration menée avec persévérance par l’artiste-botaniste. Dans ses œuvres comme dans sa vie, celle-ci appelle toujours les plantes par leur nom : chaque herbier de la série adopte ainsi le nom de la plante qu’il incarne. Les noms familiers et vernaculaires, parfois chargés d’humour ou de potentiel littéraire (« berceau de la bonne Dame », « doigts de Bouddha »), côtoient les dénominations latines et françaises sur la page, ainsi que le lieu de la cueillette. La plante garde ainsi son caractère unique et sa réalité concrète jusque dans le titre des œuvres. Majoritairement de petits formats, comme les pages présentées sur les murs latéraux de la salle, certaines de ces « herberies » adoptent des formats plus monumentaux, à l’image des quatre compositions qui occupent le mur du fond. Créées à partir de feuilles d’oseille, de rhubarbe ou de poireaux, ou encore d’épluchures d’ail séchées puis encollées sur le papier, ces œuvres magnifient des éléments du quotidien patiemment conservés et valorisés par l’artiste, qui s’inscrit dans une culture paysanne qui veut que rien ne se jette. Les nuances de couleur sont obtenues à partir des variations du temps de séchage de chacune des feuilles. L’installation centrale en feuilles de buis fait écho à ces grands herbiers par son aspect « allover » : ce grand aplat horizontal entre en dialogue avec les œuvres accrochés aux cimaises.
« Trois pages d’herbiers végétaux sur papier canson ou papier vézère » (1987–) © MR
Livres d’artiste « Pétales de consolation » et « Couleurs de terre » ; « Herbailles, petits herbiers de circonstance » © MR
Dans l’espace reliant entre elles les salles d’exposition, plusieurs vitrines présentent des herbiers de poche, sous la forme de livres d’artiste. Sur de petits leporellos, des pétales de fleurs encollés couvrent les pages : la série des « Pétales de consolation » a été réalisée par l’artiste lors de la maladie de son mari Henri Cueco, puis après son décès en 2017. Les pétales se font matière picturale ; chaque planche révèle la beauté dont recèle un bouquet fané. Dans une autre vitrine sont exposés les « Herbailles, petits herbiers de circonstance », compilation photographique d’herbiers réunis autour d’un thème choisi à chaque tome – Sempervirens, Toxiques et Héroïques, Voyageurs Immobiles, Bris et Débris… Ces vitrines complètent le panorama des différentes formes adoptées par les herbiers de l’artiste.
Hivernages / Ampélopsis
Vue de la troisième salle, Hivernages / Ampélopsis © MR
Certaines œuvres de Marinette Cueco ne peuvent être réalisées qu’à des saisons précises. C’est le cas des œuvres de la troisième salle, conçues à partir d’ampélopsis – famille de plantes grimpantes ligneuses auquel appartient la vigne. Plutôt que de jeter les débris végétaux issus de la taille de l’ampélopsis qui recouvrait la façade de sa maison en Corrèze, l’artiste les a mis en pelotes au fil de plusieurs hivers, entre 1980 et 2000. L’accumulation de ces enroulements sphériques a conduit à la création de l’installation centrale « Hivernage, pelotes et fagots d’ampélopsis sur terre rouge ». Ces pelotes sont les symboles de formes en devenir – nids, œufs ou cocons –, porteuses de vie et prêtes à éclore. A l’image de l’hibernation de certains animaux qui s’enterrent l’hiver pour mieux renaître au printemps, elles incarnent l’hivernage. L’assemblage de ces pelotes au sol encadre un imposant ovale de terre rouge, dont la couleur soufrée, la matière minérale et la forme de cratère évoquent l’image du volcan de la Solfatare, près de Naples. Minéral et végétal se conjuguent pour dessiner un paysage. Au mur, c’est sous forme d’entrelacs que l’on retrouve les tiges d’ampélopsis, en tondo ou en triptyques.
« Série d’entrelacs d’ampélopsis joints », 2020-2021 © MR
Ardoises
Vue de la quatrième salle, Ardoises © MR
La quatrième et dernière salle donne à voir les expérimentations hybrides de l’artiste, mêlant minéral et végétal dans une exploration des contraires que ces matières incarnent : solide et fragile, dur et malléable, durable et éphémère… Sur le mur de gauche est présentée la série des « Pierres captives », initiée dans les années 1990. Les pierres, ramassées au détour d’un chemin, sont enserrées dans un maillage de cordelettes, ajoutant un élément minéral au sein de ces entrelacs. Les deux autres murs sont investis par les « Ecritures », une série initiée à l’issue d’une tempête ayant causé l’effondrement du toit de la grange du Pouget, en Corrèze. L’artiste récupère les débris d’ardoise, qu’elle perce et ponctue de tresses de joncs ou de graminées. Ces lignes tendues, brisées ou interrompues strient la pierre, traçant des signes proches de l’écriture cunéiforme. Ces œuvres rappellent aussi certains objets de Nouvelle-Calédonie dont l’artiste s’inspire, comme les haches-ostensoir kanaks dans lesquels les tresses en poil de roussette s’entrecroisent autour du manche de pierre en formant des motifs cruciformes et linéaires.
« Entrelacs et tondos, joncs capités entrelacés et bris d’ardoises d’Alassac » (1994-2000) ; « Grandes ardoises percées et liées par tresses de joncs capités » (1994-1997) © MR
Au centre de la pièce, une autre œuvre monumentale accentue le contraste entre végétal et minéral : le rouge orangé d’une ligne de pétales de magnolias séchés ressort sur le noir bleuté d’une longue bande de bris d’ardoises. La roche pérenne et les fleurs périssables sont réunies dans cette installation qui s’étend sur le sol, tel un chemin de pierre invitant les visiteur·euses à la promenade.
Une installation in situ dans le jardin du LAAC
« Petite herberie jardinière pour promeneur nonchalant », Jardin de sculpture du LAAC (2021) © MR
L’exposition ne s’arrête pas à l’intérieur du musée : renouant avec les grandes installations en extérieur du début de sa carrière, Marinette Cueco a créé une œuvre in situ pour le jardin du LAAC, intitulée « Petite herberie jardinière pour promeneur nonchalant ». Autour du plan d’eau, plusieurs cercles sont répartis à intervalle régulier. Chacun d’eux est le réceptacle d’un type de matière minérale : morceaux d’ardoise concassée et terre rouge, en écho aux installations présentées dans les salles, mais aussi gravillons de marbre blanc ou encore coquilles de moules et coke de pétrole, en dialogue avec le contexte industriel et maritime de Dunkerque. Les textures et les couleurs fortes – rouge, blanc, noir mat ou bleuté – se répondent et contrastent avec le vert de la pelouse et les reflets de l’eau : l’installation s’inscrit dans le paysage qui l’environne, incitant à y porter un regard nouveau. Elle invite le promeneur curieux à passer les portes du musée et prolonge la déambulation des visiteur·euses de l’exposition.
« Petite herberie jardinière pour promeneur nonchalant », Jardin de sculpture du LAAC (2021) © MR
Une écologie de l’attention et de l’humilité
Habituellement plutôt axée sur les artistes des années 1950 à 1980, dont les œuvres constituent le cœur des collections du musée, la programmation du LAAC affirme avec cette rétrospective une volonté de valoriser le travail d’artistes contemporains plus actuels. L’approche sensible de Marinette Cueco entraîne les regardeur·euses dans son univers : la virtuosité de la technique, proche des savoir-faire traditionnels des tisserandes, des vannières ou des dentellières, fascine et fait office de porte d’entrée vers son œuvre, y compris pour les non-initiés. L’humilité de sa pratique et l’importance accordée à la sensorialité – l’odeur des végétaux, la variété des matières et des textures qui invitent au toucher – fait appel à l’expérience vécue de chaque visiteur·euse. Dénué d’injonctions politiques, le travail de cette artiste-glaneuse est néanmoins porteur d’une écologie de l’attention. Il donne à regarder et à ressentir le monde du vivant dans ses aspects les plus humbles et questionne avec simplicité la relation de l’humain à une nature dont il s’exclue trop souvent. La rétrospective du LAAC, pour combler cet éloignement, contribue à sa mesure à la transmission de nouvelles manières de voir.
« tu ne vois pas, tu ne sais pas voir, au solsous tes pieds, les pétales fanés, les feuillesbrûlées, les brindilles, les écorces,les mousses desséchées, les cailloux brisés,les roches usées, les coquilles abandonnées,(…) les pierres éclatées, les argiles colorées,les mues, les peaux, les écailles, les poils,les plumes, les duvets, les graine volantes,les flottantes, les étamines, les pistils,(…) les herbes renversées,les bois pourris, les brisures, les fragments,les éclats, les débris, les déchets… tu ne veuxpas les voir et pourtant ils sont la terre. »
(Marinette Cueco, Herbailles, Petits herbiers de circonstance, t.10. Bris et débris)
Marion Roy
Pour aller plus loin :
- Muriel Berthou Crestey, « Entretien avec Marinette Cueco. La fibre du végétal », in Un art amoureux de nature: le land art et ses mutations, p.127-136.
- Marinette Cueco [cat. exp., Musée d'art moderne de la ville de Paris, Musée des enfants, Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart), 1986-1987], Paris : Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1987.
- Marinette Cueco. Pierres, ardoises, entrelacs [cat. exp., CAC Châteauvert,10 juillet-29 novembre 2020], Paris : LIENART éditions, 2020.
- Marinette Cueco, Herbailles, petits herbiers de circonstance (livres d’artiste, tomes 1 à 10 publiés).
- Site internet du LAAC : https://www.musees-dunkerque.eu/actualites/agenda/detail-laac/marinette-cueco-lordre-naturel-des-choses (le dossier de presse de l’exposition y est téléchargeable).
#MarinetteCueco
#LAAC
#artécologique
Miriam Cahn au Palais de Tokyo : choquer pour dénoncer ?
L’artiste Suisse Miriam Cahn de renommée internationale expose son travail au Palais de Tokyo du 17 février au 14 mai 2023. Alors que cette exposition, “Ma pensée sérielle”, fait polémique pour des peintures jugées choquantes, une des œuvres est la cible d’une dégradation, une semaine avant le finissage.
“L’incarnation plastique et spatiale des stridences et du chaos du monde”
Violence, sexualité et mort sont des mots qui guident Miriam Cahn dans son travail. Des peintures de monochromes noirs alternent avec des toiles aux couleurs vives, et toutes sont accrochées sur les murs blancs des trois salles de l’exposition. Des nuages de bombes nucléaires, paysages dévastés, corps humains représentés comme des déchets. Une nudité omniprésente, une sexualité violente… L’artiste suisse décrit la rage qui découle de ces actes comme “le moteur de son art”, le tout dans une volonté de dénonciation. Dans “Ma pensée sérielle”, elle expose son travail sur la guerre entre l’Ukraine et la Russie, et ses violences. Elle évoque l’expulsion, la fuite et la migration. Le livret accompagnant l’exposition explique que l’artiste “travaille intensément” pendant deux heures par jour, pour faire une production, une grande peinture, ou une petite toile, toute œuvre a droit à deux heures.
Monochromes noir et peintures aux couleurs vives, représentant des paysages désolés et des champignons nucléaires
Une exposition sur fond de polémique
Une polémique entoure l’ouverture de l’exposition : six associations de protection de l’enfance ont poursuivi en justice le musée pour l’affichage d’une toile de l’artiste, Fuck abstraction!. On y voit un soldat en train de violer une silhouette frêle, dont les poignets sont attachés dans le dos. Au vu des proportions, il est facile de voir en la silhouette celle d’un enfant, mais l’artiste se défend de cette interprétation, et bien que rien ne permette de le savoir, elle affirme qu’il s’agit d’un adulte.
L’affaire est portée au tribunal administratif de Paris, et après jugement, le musée obtient le droit de laisser l'œuvre Fuck abstraction!exposée. Le tribunal statue que l'œuvre “ne porte pas une atteinte grave et illégale à l’intérêt supérieur de l’enfant ou à la dignité de la personne humaine”[1]. Cependant, le musée prend la décision de renforcer la médiation humaine, pour que les visiteurs puissent échanger avec des professionnels au sujet des œuvres, et de celle-ci en particulier.
Cartel posté à l’entrée de la seconde salle de l’exposition, où se trouve l'œuvre Fuck Abstraction!
Choquer gratuitement ?...
Les murs de l’exposition sont blancs et les peintures sont simplement accrochées aux murs, sans qu’aucun cartel n’indique ni le nom de l'œuvre, ni sa date d’exécution, ni même un contexte particulier. Une seule œuvre bénéficie d’un court cartel explicatif : celle au centre de la polémique, Fuck Abstraction!. Il a été disposé après le procès, et spécifie que Miriam Cahn souhaite dénoncer les violences perpétrées pendant la guerre en Ukraine dont les viols. Mais qu’en était-il avant la plainte ? Le musée n’avait pris que peu de précautions pour avertir ses visiteurs du caractère choquant des images qu’ils s'apprêtaient à voir. La médiation humaine était moins présente, et par conséquent le visiteur qui pouvait être mineur se trouvait démuni face à une image violente.
Dans cette situation, le visitorat peut se demander où se trouve la différence entre la dénonciation et la simple représentation, si ce n’est l’explicitation d’un contexte. Il pourrait être reproché à l’artiste de vouloir faire passer un message sans mettre en place les canaux entre l'émetteur et le récepteur. Comment reprocher au visiteur de ne pas deviner le contexte, de ne pas le comprendre, si les outils nécessaires ne sont pas fournis ? Et ce d’autant plus sans avoir une base de connaissance artistique particulière ?
“Une exposition est une œuvre en soi et je l’envisage comme une performance”
- Miriam Cahn
Le panneau d’avertissement, même s’il a le mérite d’exister, ne donne pas d’information sur le contenu de ce que l’on s’apprête à voir, et il est donc difficile de déterminer si l’on peut s’aventurer dans l’espace ou s’il vaut mieux s’en tenir éloigné. Miriam Cahn évoque “Je m’intéresse aux échanges entre l’image et le spectateur”, mais pour quelles limites ? Une médiatrice évoque le fait que des parents viennent voir l’exposition accompagnés de leurs enfants. Quand elle leur dit que ce n’est peut-être pas une bonne idée, ceux-ci rétorquent parfois que ce n’est pas grave, “qu’ils sont trop jeunes pour comprendre, de toute façon”. L’exposition présentait peut-être des lacunes en termes de mise en garde.
… ou choquer pour dénoncer ?
L’échange de vive-voix avec un.e médiateur.trice semble nécessaire pour une compréhension plus poussée et plus juste du travail de Miriam Cahn. Au travers des médias, nous baignons régulièrement dans la violence, dans des images de violence, sans jamais vraiment regarder, sans jamais vraiment en parler. La volonté de Miriam Cahn est de faire une pause sur ces images, et de ne plus taire le sujet. Dans cet espace, on a l’obligation de regarder cette souffrance, cette violence qui est un sujet politique dont il faut parler.
“Le vagin est l’organe qui tout à la fois engendre l’humanité et figure aussi le terrain de bataille, où l’humanité se perd dans la bestialité et l’obscurantisme”
- Miriam Cahn
L’artiste a observé que lorsqu'un cartel est présent, les visiteurs “se jettent” dessus, ils se raccrochent à la lecture, se coupant de l’émotion qu’ils peuvent ressentir face à l'œuvre. Et en parcourant l’exposition, on constate bien qu’il est difficile de penser que Miriam Cahn promeut cette violence qu’elle s’échine plutôt à dénoncer. Les dispositifs de prévention ont été renforcés depuis le dépôt des plaintes. Un ou une médiatrice est constamment posté.e dans la salle centrale, des panneaux d’avertissement sont installés, et un cartel, comme nous le disions plus haut, a été associé au tableau “problématique”.
Cartel apposé à côté de l'œuvre Fuck abstraction!, cible de la plainte de 6 associations de protection de l’enfance
Chaque œuvre a une signification propre qu’il n’est possible de saisir ou de cerner qu’au travers de l’échange avec la médiation, ou bien en ayant une connaissance préalable du travail de l’artiste, ce qui n’est sans doute pas le cas de la majorité des visiteurs. Persiste la question de ceux qui n’osent pas aller parler à un médiateur, qui reste à disposition mais ne va pas forcément à la rencontre des visiteurs. La salle est grande, silencieuse, elle résonne. On peut imaginer qu’il n’est pas toujours aisé de briser le silence pour aborder le sujet de ces images violentes qui nous touchent avec un.e parfait.e inconnu.e, surtout si l’on n’a pas l’habitude des expositions d’art contemporain. Et si la médiatrice est déjà occupée ? Et si elle a dû s’absenter ? Il faut donc que plusieurs paramètres soient réunis pour aborder le contenu du tableau avec le contexte et le recul nécessaire.
Julie Pelletanne
[1] Ordonnance rendue le 28 mars 2023
#ArtContemporain #Peinture #Polémique |

Mons insolite : Installations urbaines, où vous cachez-vous ?
Quelle drôle de sensation que de découvrir une ville historique comme Mons à travers 15 installations urbaines contemporaines! A l’occasion de MONS 2015 et de sa saison estivale, la capitale européenne de la Culture égaye ses rues à l’aide d’œuvres surprenantes. Entre allusions et détournements, elles alertent avec fraîcheur notre regard sur l’environnement urbain.
Crédit photographique : Mons2015.eu
Ce sont donc plus de 15 artistes belges et internationaux qui s’expriment dans l’espace urbain de Mons. Si l’art urbain peut être perçu comme imposé aux habitants, il n’est pourtant pas envahissant. Installées dans un parc, le long d’un bâtiment ou d’une ruelle, ces interventions ponctuelles cherchent à surprendre le passant. Les œuvres questionnent notre rapport au territoire, au paysage, à l’architecture et au mobilier urbain. Que vous soyez touriste ou Montois, la surprise reste de mise. Collages, sculptures, fresques, installations numériques : les œuvres sont toutes différentes et pour tous les goûts.
Dominent les œuvres aux influences de street-art : des collages sur les encadrements (fenêtres, vitrines, panneaux publicitaires…) viennent perturber notre champ visuel. Les collages « Window » de Thierry Verbeeck sur les vitrines des commerces guident notre regard à l’aide d’une nuée de mains tendant l’index vers une fenêtre d’ordinateur. Comme un « pop-up » informatique, son œuvre apparait et surprend. L’Artiste OX, quant à lui, dénonce la pollution visuelle publicitaire en s’exposant dans les encarts prévus à cet effet. Ouvertures sur le monde, les collages de Calvin Dussart et Charles Myncke proposent d’entrer dans l’intimité des fenêtres murées de Mons au travers d’images de Comics. Elles nous racontent alors leur histoire. De la fenêtre à l’encart publicitaire, la ville est un endroit de tentation visuelle.Cependant, les fresques de Momo ou celle de Vincent Glowinski, « The Forest » redonnent des couleurs aux façades et attirent le regard.
Crédit photographique : Persona
Mons est aussi mise à l’honneur : la fresque d’Hell’O Monsters détourne les traditions du Doudou à l’aide de monstres au style enfantin. L’atelier Pica Pica fait aussi référence à la ville avec sa mosaïque de symboles liés à l’univers montois.
Crédit photographique : Mons2015.eu
Diverses installations surprenantes dévoilent une réalité parallèle imaginaire : l’avalanche de livres d’Alicia Martin tombant d’une fenêtre de l’Université de Mons, ou un immense vase en porcelaine sur son napperon déposé sur le toit d’un immeuble créent le décalage avec notre réalité quotidienne. Ailleurs, une œuvre s’assimile au mobilier urbain comme « City says No » du collectif Inject Love. Ces panneaux d’interdictions forment un cœur comme si il nous invitait gentiment à ne plus avoir le droit de rien. A contrario, les ailes dorées de Filip Gilissen dans le square Saint-Germain donnent l’illusion de s’envoler loin de l’asphyxie urbaine le temps d’un selfie. Enfin, la présence de menhirs en briques rouges ou de faux paresseux dans les arbres détournent avec humour et poésie le paysage urbain.
Crédit photographique : Mons2015.eu
Crédit photographique : Mons2015.eu
Quand la ville devient un terrain de jeu pour les artistes, le quotidien des habitants s’en trouve changé. Cette approche de l’espace urbain permet de s’évader de la morosité. Il devient un lieu d’expression. Ces installations ne sont pas forcément là pour être questionnées. Libre à tous de les interpréter ou non. Elles permettent de s’échapper un instant du monde réel en détournant notre point de vue. A travers ces 15 installations urbaines, Mons offre aux visiteurs et à ses habitants la possibilité de ponctuer leurs ballades.
Crédit photographique : Persona Crédit photographique : Persona
Au final, ces installations sont un bon avant-goût de ce que réserve la programmation culturelle de MONS 2015. Pour découvrir ces installations aux quatre coins de Mons, c’est très simple : Vous avez deux solutions. Pour les impatients, rendez-vous à l’Office de Tourisme de Mons. Des médiateurs vous inviteront chaleureusement à aller redécouvrir la ville munie d’une carte légendée. Les 15 œuvres y sont localisées. Vous pouvez retrouver le plan via Internet (Et ça se passe ici : http://www.mons2015.eu/fr/art-en-ville-parcours#mapactive). Pour les plus aventureux, laissez-vous errer dans les rues de la ville. Vous tomberez inévitablement sur quelque chose d’inhabituelle et insolite. En tous les cas, munissez-vous de bonnes baskets ou de chaussures de marches car, à Mons, ça monte et ça descend. Ce n’est pas les Montois et leur Card’Or[1] qui vous diront le contraire.
Persona
Pour plus d’informations :
L’installation du 04 avril se poursuit jusqu’au 21 septembre 2015 dans toute la ville de Mons.
http://www.mons2015.eu/fr/node/1664
#Art contemporain
# Parcours
# Urbain
#Insolite
[1] Le card’Or est un char sur lequel est placé la châsse de Sainte Waudru. Durant la procession, le char doit monter une ruelle pavée et pentue. Les habitants poussent le char afin d’aider les chevaux à le monter.

Museum Live #5 au Centre Pompidou
Au Centre Pompidou, le groupe Art Session, constitué de jeunes entre 18 et 25 ans propose régulièrement des soirées événementielles.
A l'occasion du Museum Live #5, L'Art de Muser est parti à la rencontre de ces bénévoles et de Florence Morat, chargée de programmation, qui les accompagne.
Aénora Le Belleguic-Chassagne
Pour en savoir plus :
Retrouvez l'intégralité des vidéos de la série "Médiations singulières" sur youtube
#CentrePompidou
#ArtSession
#Live

Œuvre vidéo ou vidéo d’une œuvre ?
Lors de ma dernière visite au Centre Pompidou pour Faire son temps de Christian Boltanski, j’ai re-découvert une œuvre bien connue et aussi chère à mes yeux qu’elle me pose problème. C’est Animitas Chili.
Questionnements
Découverte à la biennale de Venise en 2015, le contexte d’exposition était bien particulier. Il est certain que mon regard et ma maturité ont changé depuis, mais les propositions, l’installation, le propos en général, est bien différent d’ici, au Centre Pompidou, bien que la même pièce soit exposée. Et à chaque fois, devant cette œuvre je reste de longs instants contemplative, ressassant la même question : qu’est ce qui fait œuvre ?
Pour en faire une description succincte, il s’agit d’une vidéo avec son d’une installation de 2014 au pied du volcan Lascar, dans le désert d’Atacama au Chili. On voit des centaines de longues barres de métal (huit cents cinquante environ) d’à peu près deux mètres de haut, plantées verticalement dans le sol. La projection est à échelle 1. Ces longs bâtons sont incurvés à leur moitié pour former un léger angle. Au bout de ces pics sont accrochées de petites clochettes japonaises, et des languettes de plastique transparent, flottant dans le vent. Vu de dessus, les points matérialisés par les barres de métal dessinent la carte des étoiles, vue depuis l’hémisphère sud la nuit du 6 septembre 1944, nuit de naissance de l’artiste. On entend les clochettes sonnant au gré des vents, et l’installation dans le désert ne sera jamais enlevée. Ici, à Paris, la vidéo est projetée derrière un parterre de foin très odorant. De l’autre côté de la pièce, la vidéo a son pendant hivernal Animitas blanc(2017), le paysage y est glacé, et le sol recouvert de boules de papier symbolisant la neige que l’on retrouve dans la vidéo.
Christian Boltanski, Animitas blanc, 2017 © Gilles Delmas
Il y a eu quatre Animitas au total, installées aux quatre coins du monde : au Chili, au nord du Québec (Blanc, 2017), près de la mer Morte (2017) et sur l’île de Teshima, au Japon (La Forêt des Murmures, 2016), mais c’est sur l’installation chilienne que je vais m’attarder.
Est-ce que c’est la vidéo d’une œuvre ou une œuvre vidéo ? Qu’est ce qui va en changer la perception ? Pour en saisir toute la portée, le visiteur doit-il se rendre dans le désert au Chili et faire l’expérience de l’œuvre ?
Je ne sais rien, alors je reste assise des heures au son des clochettes et du vent.
Fantômes
Prenons les choses dans l’ordre car c’est une œuvre conceptuelle à plusieurs tiroirs. Tout d’abord son lieu d’implantation, le désert d’Atacama au Chili, était le lieu de prédilection de Pinochet pour y jeter les cadavres de l’opposition au régime. Aujourd’hui, beaucoup viennent encore chercher leurs morts dans ce désert et un important travail de mémoire sur cette période sombre de l’histoire est en cours au Chili. Pour ce qui est du titre, les animitas sont des autels dressés sur le bord des routes, par les Chiliens, à la mémoire de leurs morts. Ce terme veut dire « petites âmes, âmes errantes ». C’est une préoccupation récurrente chez Boltanski, la mort, la disparition, la mémoire des fantômes et leur présence. Il dit lui-même : « Je pense qu’il y a des fantômes autour de nous ».
Moins politiquement et plus poétiquement, il est important de préciser que l’œuvre a été créée pour une exposition à Santiago qui s’appelait Alma (âme, en espagnol), du même nom que le plus grand observatoire astronomique du monde, implanté dans ce désert. C’est l’endroit où toutes les conditions sont réunies pour faire le meilleur terrain d’observation des étoiles et de l’univers. D’ailleurs, comme je l’ai dit précédemment, les bâtons plantés dans le sol forment la carte du ciel vue depuis l’hémisphère sud la nuit de naissance de l’artiste. Cependant ce dessin n’est visible qu’à vol d’oiseau, et impossible à discerner avec la seule vue de la caméra - point de vue immersif, au cœur de l’œuvre, notre œil est à la hauteur de l’horizon du désert. On ne peut qu’imaginer ce dessin, mais il est nécessaire de savoir que ce dernier existe pour appréhender l’œuvre. Maintenant que je le sais, je le vois.
Pour ce qui compose techniquement l’installation, Boltanski choisit des clochettes japonaises utilisées pour adresser des vœux et installées devant les portes des maisons. Ceci dit, au Japon, ce n’est pas un plastique transparent qui y est accroché, mais un papier avec une phrase, une prière. Quand le vent fait entendre le carillon de la clochette, c’est comme redire la prière. Chaque pic dans la terre est une porte vers un autre monde, un au-delà possible. Le carillon produit par la multiplicité des clochettes évoque pour l’artiste « la musique des âmes, la voix des âmes flottantes ». C’est pour expérimenter le murmure de ce grand et délicat instrument résonnant au rythme du vent, que les vidéos ont été faites, pour se plonger dans l’état de méditation que l’artiste a cherché à susciter.
Précisons que pour les Animitas ce n’est ni lui ni personne qui va enlever l’installation, la détruire : le désert va l’absorber et l’assimiler. Un an après sa mise en place, il n’y avait peut-être plus que deux cents clochettes, puis sûrement plus qu’une vingtaine maintenant. On ne sait pas ce qu’il reste de la musique des âmes aujourd’hui.
Land art ?
Partons du principe que la vidéo est la documentation d’une œuvre in situ. Il s’agit d’une proposition installée dans un environnement ouvert, naturel, il n’y a pas d’indication sur sa nature. Le temps et les évènements dégraderont l’œuvre progressivement. De plus, se pose la question du parcours vu qu’il y a plusieurs Animitas dispersées de par le monde. Peut-on alors parler de land art ? Sans avoir répondu à la première question où je me demandais qu’est ce qui fait œuvre dans Animitas, s’ajoute à savoir quelle différence y a t’il entre cette installation dans le désert et une installation de land art ?
Pascale Planche, Convergences © Sophie Delmas
Pour exemple, cette œuvre de Pascale Planche, visible depuis les berges du lac du Tremlin en Brocéliande. Il n’y a pas de cartel sur place, pas de nom, aucune indication de l’artiste, juste l’œuvre dans son lac. Elle n’est constituée que de chêne, matériau que l’on trouve en abondance en Brocéliande. Elle existe et aucun doute n’est permis sur sa nature. C’est une œuvre d’art, inscrite dans un parcours défini, dans le cadre d’une manifestation précise (Etangs d’Art, 2018). Soit, il est vrai que le principe même du land art impose au spectateur de se déplacer et d’aller faire l’expérience de l’œuvre qui ne peut pas être virtuelle ou vécue par le biais d’un intermédiaire. La vidéo d’une œuvre de land art restera de la documentation et ne sera pas œuvre en elle-même.
Mais alors y a-t-il des visiteurs dans le désert d’Atacama, autres que les scientifiques et amoureux des étoiles ? Y a-t-il des gens pour écouter les carillons et les prières faites au vent ? Personne. L’artiste a été aidé, pour installer Animitas Chili, par une communauté Chilienne et elle seule sait où se trouve l’œuvre. Tout est détruit et reste cette vidéo comme unique témoignage de la création.
Ce n’est finalement pas comparable, cela supposerait d’emblée qu’Animitas Chili est la documentation vidéo d’une œuvre et non une œuvre vidéo et elle n’est pas présentée ainsi. Le cartel n’indique qu’« Animitas Chili, 2014 - Vidéoprojection avec son, format 16/9, couleur, 13 heures 16 sec., foin, fleurs ». L’œuvre est fixée, reproductible, et le musée est l’environnement dont elle a besoin pour exister et faire œuvre. Si le land art peut avoir de l’autonomie dans son environnement, l’œuvre de Boltanski a besoin d’un cadre, d’un écrin, de s’inscrire dans un discours et dans un parcours. La vidéo est-elle devenue l’œuvre au moment où le corps de l’œuvre à disparue ? Je ne suis pas allée dans le désert d’Atacama, mais je sais qu’Animitas Chili a existé et qui sait ce qu’il en reste. C’est peut-être là où est l’indice que j’avais toujours raté pour me dire que ce qui fait œuvre, c’est finalement ce que je vois et vis dans le présent, devant ce parterre qui sent l’écurie, et ces clochettes dont le carillon jamais ne cessera.
Sophie Delmas
Christian Boltanski, Faire son temps, Centre Pompidou visible jusqu’au 16 mars 2020
Commissariat Bernard Blistène & Annalisa Rimmaudo
#boltanski
#fantômes
#landart
Open Museum Passard, une mission réussie ?
Le Palais des Beaux-Arts de Lille a choisi un chef étoilé pour donner un nouveau regard sur ses collections, sa mission est-elle remplie ?
Je commence un stage en médiation dans cette incroyable structure. Le musée est en pleine effervescence : conception de son nouveau projet scientifique et culturel dédié aux publics, projet de réaménagement de l’Atrium, réalisation de l’Open Museum ZEP…
Tout en m’imprégnant des objectifs de cet Open Museum, revisiter l’histoire de l’art et attirer de nouveaux visages, ma principale mission était d’aider à la mise en place du vernissage enfants en réalisant les fiches des œuvres que ZEP a choisi de mettre en lumière. Faire le lien entre ces deux univers pour que les jeunes du Conseil Municipal d’Enfants soient les meilleurs guides d’un jour.
Affiche d’Open Museum #4 © PBA
Décembre 2015 – Palais des Beaux-Arts, Lille.
Je me sentais presque privilégiée de voir les dessins et animations exclusives que l’auteur de BD avait réalisés en s’appuyant sur les chefs d’œuvre du musée. Le pari était gagné. J’en étais certaine, cet Open Museum ferait un carton. Le père de Titeuf avait réussi à décomplexer notre rapport à l’histoire de l’art et à capter l’attention de ses amateurs mais aussi de ses initiés. On irait au musée par plaisir, on rirait devant des œuvres, on comprendrait leur histoire et sortirait avec l’envie de revenir l’année prochaine en se demandant ce que le PBA pourrait bien nous réserver.
Février 2016 – même lieu.
Ce questionnement, je l’ai moi-même eu. Discrètement, j’ai donc demandé à ma tutrice de stage si le musée avait une idée du nouvel invité de la quatrième édition de l’Open Museum. J’appris alors que le directeur, Brunon Girveau, était en discussion avec Alain Passard, le chef étoilé du restaurant l’Arpège, mais que rien n’était encore fixé. Décidément, le PBA me surprendrait toujours.
J’avais laissé libre cours à mon imagination : comment un chef pouvait apporter un regard nouveau sur les collections du Palais des Beaux-Arts ? Quel nouveau public pouvait-il attirer ? Quelle forme prendrait cet Open Museum ? Et puis, j’avais attendu patiemment son ouverture, sans savoir si Passard serait définitivement l’heureux élu.
Septembre 2016 – chez moi, Lille.
Ça y est, c’est officiel. Cela sera bien Alain Passard le centre de l’attention pour l’Open Museum #4. Le PBA lui offre sa fameuse carte blanche devenue un rendez-vous annuel. Que cela va-t-il bien donner ?
Je lis quelques articles de presse qui annoncent l’événement, me documente et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que ce chef Passard avait lui-même une pratique artistique autre que la cuisine. Ce féru d’art contemporain fait d’ailleurs ressentir dans sa cuisine ses autres passions : la sculpture, le collage à travers des associations de matières ou de formes…
Mars 2017 – le Sweet Flamingo, Lille.
Je déjeune avec mon ancienne tutrice de stage. Elle m’avait envoyé les documents de communication pour que je cerne cet Open Museum dont j’avais entendu quelques remarques par une amie agent d’accueil…
Surprise, Alain Passard est le commissaire de l’exposition et présentera quelques-unes de ses œuvres, mais, il donnera aussi la primauté à d’autres artistes contemporains. Il partagera l’événement avec Valentine Meyer, une curatrice indépendante et bien sûr Bruno Girveau et Régis Cotentin, le chargé de la programmation contemporaine.
À partir de ce moment, je doute. Je ne suis pas une initiée de l’art contemporain, et pourtant, je travaille dans le milieu culturel, qui plus est dans celui des musées. Alors, je me mets à la place de ceux qui ne sont pas des habitués, ceux qui sont éloignés de ces problématiques. Comment un Open Museum peut-il attirer de nouveaux venus en proposant un événement intégrant de l’art contemporain, qui peut selon moi, autant réunir qu’exclure. En choisissant cette orientation, le PBA s’est lancé dans un pari risqué mais conscient. Comment allait-il réussir son coup ?
30 avril 2017 – Palais des Beaux-Arts, Lille.
J’entre dans le PBA curieuse et décidée à m’ouvrir aux méandres de l’art contemporain. Je trouve toujours génialel’idée d’inviter un chef dans un musée mais je m’interroge quant à la façon de procéder. Ticket et livret d’aide à la visite en main, nous voilà lancées, Joanna et moi. Nous n’avons pas bien vu la première installation, les grandes pinces de homard installées dans l’entrée, dommage. Peut-être mériteraient-elles plus de lumières ou un autre lieu d’exposition… Mais nous nous sommes arrêtées un moment dans l’atrium. Les Marmites enragées de Pilar Albarracín qui reprennent l’Internationale nous font sourire et nous partons confiantes. L’art de la cuisine ou la cuisine de l’art est un monde à découvrir.

Les Marmites enragées de Pilar Albarracin © L.T.
Nous tentons de suivre le parcours, nous devons certainement rater quelques œuvres, nous passons plus ou moins de temps devant d’autres, nous nous promenons à tous les étagesdu musée. Certaines nous posent question : pourquoi ce choix ? quel lien ? quelle utilité ? Nous sommes parfois dubitatives. Malheureusement, ce n’est pas avec l’Open Museum Passard que je vais m’ouvrir plus largement à l’art contemporain, ; ce n’est pas l’art en lui-même qui me dérange, ici c’est la façon dont il intervient sur le parcours et le lien entre le musée et la cuisine. Le propos peut être évident lorsque l’on croise sur son chemin une tenue de cuisinier. Le montage vidéo avec Le Gobelet d’Argent de Chardin est intéressant : voir le chef à l’ouvrage dans le reflet des instruments de cuisine… Je reste sur ma faim. J’aurais souhaité que les liens avec les œuvres du musée soient plus intuitifs. Le dialogue entre la sculpture du vendeur ambulant indien faite de montres (Mumbai Dabbawala de Valey Shende, 2015) et d’un tableau qui évoque l’Orient avec L’adoration des mages n’est pas évident pour tout le monde… Pour avoir travaillé sur une édition précédente, je sais que les œuvres de l’Open Museum ne sont pas placées là par hasard, alors pourquoi en ai-je la sensation pour cette quatrième saison ?

Mumbai Dabbawala de Valey Shende, 2015 ©L.T.
Mai 2017 – chez moi, Lille.
En écrivant cet article, je me rends compte que je ne sais toujours pas ce que je pense de cette quatrième édition, Open Museum Passard. J’avais envie d’aimer. Je n’avais pas envie de ne pas aimer. Mais je dois me l’avouer, j’espérais que cela soit différent : plus de choses à toucher, sentir, plus de sons, d’effervescence. Bref, vivre et ressentir l’atmosphère même d’une cuisine, découvrir qu’en tant que lieu de travail, que contenant d’autres objets et personnages à l’ouvrage, en tant qu’ambiance, la Cuisine était une œuvre d’art, un art en elle-même. Passer après ZEP et son humour décalé était une difficulté en soi et créait chez le visiteur une véritable attente : inviter un chef lors de cette édition laissait à penser que cela serait surtout son métier d’artiste culinaire qui serait mis à jour et que des liens seraient tissés par ce biais. Cela est parfois chose faite grâce à l’exposition des menus qui selon qu’ils soient lus dans un restaurant ou dans un musée n’ont pas le même effet… De fait, le PBA nous a bien étonnées et continuera de tisser des liens entre les différents pans de la culture, des arts. Il fallait oser.
Lucie Taverne
#openmuseum
#pba
Pause florale
Dans le cadre de Renaissance, une exposition de fleurs étranges. L’accès n’est pas évident, sortant du métro Bois-Blanc Il faut du temps pour trouver La Maison Folie du Colysée.
Installation florale d’Azuma Makoto, vue macro.© QH
Le Colysée, La Maison Folie de Lambersart, vue de l’extérieur.© QH
Par contre, une fois arrivés,
Nous a accueilli un beau jardin immense.
Jusqu’où les amaryllis qui poussent
Sur les labyrinthes de béton
Nous mènent-elles ?
Les fleurs enveloppées de nylon
Les labyrinthes d’amaryllis qui mènent à l’installation.© QH
Fleuriste de profession avec les fleurs, il découvre d’autres horizons visibles dans ses créations : expérimentales installations.
Il a envoyé les bonsaïs dans l’espace et a emprisonné les fleurs dans la glace.
Cette fois-ci, qu’est-ce qu’il invente ? La vie des fleurs en suspend ?
Les fleurs en sachet nylon.© QH
L’exposition est d’un autre genre.
Non plus arrangement de fleurs
mais une façon de les dresser dans un sachet transparent
Une fleur emballée sous vide.© QH
Tout plat, tout fin, comme un herbier ?
Non, car les fleurs emballées sous vide
Gardent toujours leur couleur vide
Les visiteurs appréciant l’installation.© QH
Contemplation ?
ou leçon de botanique ?
Un visiteur lisant en savourant l’ambiance de l’exposition.© QH
Et pourquoi pas y venir pour simplement lire et passer des heures devant de magnifiques fleurs ?
Vue nocturne de l’installation.© QH
Sans parfum, sans plante vivante tout juste une installation dont la forme et les couleurs font illusion.
Dieu-Quynh HOANG
#artfloral
#rlille3000
#japon

Performance théâtrale pour découvrir l'art brut
La première chose que je remarque, ce sont ses pantoufles. Sous un costume noir très élégant et professionnel, le médiateur qui nous accueille à la Collection de l’Art Brut de Lausanne avec un regard qui brille d'intelligence, porte des pantoufles. D’accord, je pense en réprimant un sourire, ça doit être un exemple de la fameuse philosophie “take it easy” à la Suisse.
La visite démarre, et j’ai une deuxième surprise. Pas de contextualisation historique ou de digression artistique, pas de diligente pérégrination d’une œuvre à l’autre. Dès les premiers mots, il est clair que cette visite ne va rien avoir d’ordinaire ou de banal.
Ce jeune homme nous emporte tous (la dizaine très hétérogène de personnes qui constitue notre groupe), avec sa voix et son enthousiasme. Comme un moderne jongleur, il bouge frénétiquement d’un tableau à une sculpture, nous obligeant parfois presque à lui courir après pour ne pas perdre le fil du récit. Il parle des auteurs comme s’ils étaient des amis (le terme artistes est très controversé dans le milieu de l’art brut). Il les appelle par leurs prénoms, souvent avec une expression rêveuse ou amusée, comme s’il était en train d’évoquer des souvenirs partagés.
C’est comme cela, avec une grande douceur, qu’il nous raconte par exemple l’histoire d'Aloïse, de sa naissance en 1886, de son métier de couturière et de ses rêves de devenir cantatrice. Nous apprenons et presque vivons avec elle une passion autant brûlante qu’imaginaire pour l’empereur allemand Guillaume II et nous frissonnons en découvrant son enfermement dans un asile en 1918, suite à la manifestation d’une exaltation religieuse jugée pathologique. Pourtant ses dessins ne reflètent ni tristesse ni colère, ils sont des instantanées pris dans un univers parallèle de contes et d’amour où le rouge et les fleurs dominent le paysage.
A ce point, notre guide fait une pause et nous fait un signe de conspirateur. En se levant sur la pointe des pieds il atteint une enveloppe qui était posée au-dessus d’un tableau et il nous chuchote : “Une lettre d’Aloïse !”. Il invite alors un des visiteurs, une dame très émue, à la lire à voix haute pour tous. Pendant quelques minutes, nous pourrions ressembler à un groupe de fidèles qui se réunissent en silence dans un lieu sacré, tant la lettre et la voix qui l’accompagnent sont touchantes.
Cette première étape n’est qu’un avant-goût de l’incroyable visite qui nous est proposée. Un voyage de 45 minutes farfelu et un peu fébrile, constellé des personnages fascinants et enrichi d’éléments purement théâtraux : notre surprenant médiateur qui converse aimablement avec une chaise vide pour reproduire l’interview originale avec un des auteurs, ou une canne à pêche abandonné au dernier étage du musée par un des personnages (fictifs) de la narration.
Une fois la visite terminée, les chanceux participants n’ont pas seulement été sensibilisés à l’art brut et beaucoup appris sur plusieurs de ses représentants, mais ils auront vécu une expérience rare et, c’est le cas de le dire, magique.
Les créateurs de cette médiation sont Nicolas (metteur en scène) et Romain (acteur), futurs diplômés de la Manufacture de Lausanne (prestigieuse école de théâtre et danse). Ils ont été sollicités par La Collection de l’Art brut en occasion de la Nuit des Musées et ils ont imaginé cette déambulation extravagante. Le musée souhaitait présenter une médiation originale et n’a pas été déçu : le succès que cette médiation a rencontré est tel qu’aujourd’hui elle est insérée dans la programmation du musée. Croiser le spectacle vivant et les visites guidées n’est pas une expérience inédite dans le monde muséale, mais il est rare qu’une telle liberté soit accordée aux artistes de la part de l’institution accueillante. Nicolas et Romain travaillent pour l’imaginaire et parfois ont demandé des dérogations à l’exactitude “scientifique” : comme tromper les visiteurs en décrivant un tableau devant un autre, le cauchemar de tous les conservateurs !
Les visites de Monsieur Jean capturent et séduisent, guident dans un royaume enchanté et solennel. Seul avertissement, même si Nicolas vous quittera sans que vous ayez le temps de prendre congé des fantômes qu’il aura évoqués sous vos yeux, ils risquent de vous suivre pendant quelques temps.
Par rapport à d’autres médiations de comédiens dans un espace muséal, pourquoi est-ce plus pertinent et réussi dans ce cas ?
Lara Zambonelli
#incroyablevisite
#artbrut
#lausanne
En savoir plus :
- Collection de l’art brut de Lausanne
http://www.artbrut.ch/fr/21070/collection-art-brut-lausanne
- Les visites de Monsieur Jean
http://www.manufacture.ch/fr/2109/Les-visites-de-Monsieur-Jean
Retrouvez l'intégralité des vidéos de la série "Médiations singulières" sur youtube

Performer une visite pour une performance d'expo
Check-in
Naples. 31 octobre 2018. 10h01.
Entrée du Madre © Google
Embarquement
En vol
Mosaïque © LE
Panneaux explicatifs de l'exposition temporaire © Google
Vue du toit © LE
Deuxième cour © LE
Atterrissage
L.E.
#madre
#performancedexpo
#mediationsinguliere
Site du musée : http://www.madrenapoli.it/
Map : https://www.google.fr/maps/@40.8559445,14.253674,16z
Franco Battiato, Cuccurucucu : https://www.youtube.com/watch?v=GuB3f70cYnM
Petit guide du crowdfunding ou comment Appel d'air appelle au don
A l’heure où les restrictions budgétaires dans la Culture mettent en péril bon nombre de d’événements culturels, il devient essentiel de trouver d’autres moyens de financements. C’est face à cette problématique que l’équipe Appel d’air a trouvé une solution à sa portée pour la 2ème édition de son événement d’art contemporain à Arras[1] : Le crowdfunding !
Le grand logo d'Appel d'air, crédit graphique : Appel d'air (c)
Le crowdfunding ou « financement participatif » est une technique de financement communautaire de projet via une plateforme web. Les projets déposés sont de nature très diverse : édition de livre, réalisation cinématographique, production de nouvelles technologies, campagne humanitaire ou encore mise en place d’un événement artistique et culturel (tout comme nous). Dans cette quête, la soumission d’une campagne peut permettre le financement partiel ou total d’un projet.
Ainsi, sous la forme de dons participatifs, les internautes contribuent au financement d’un projet en échange d’une promesse de remboursement ou de contreparties. Outre son aspect collaboratif, les plateformes de crowdfunding sont de plus en plus sollicitées pour leur simplicité et leur rapidité de fonctionnement (finis les dossiers dantesques auprès des collectivités et ses méandres administratifs). Un bon plan pour soutenir la création artistique, n’est-ce pas ?
Alors parmi les différentes plateformes : Ulule, KisskissBankBank, Culture Time, Tipeee et j’en passe, laquelle choisir ? Chacune d’elles a ses avantages et ses inconvénients (visibilité, seuils, contreparties, nature du don, pourcentage de commission, défiscalisation, etc). Des guides sont accessibles sur Internet pour orienter votre choix mais le plus sûr est de se coltiner la charte de fonctionnement de chacune des plateformes ciblées. Il convient ensuite de sélectionner la plus pertinente en fonction de la nature du projet, de son ambition et de ses exigences. Ainsi après mûre réflexion et contre tout attente, Appel d’air a choisi Ulule : une bonne audience, une portée internationale, un pourcentage de commission dans la moyenne (soit 8%) et un délai de campagne court mais efficace. Parfait.

Le petit logo d'Ulule, crédit graphique: Ulule (c)
C’est bien tout ça mais comment s’y prendre ?
Il faut d’abord soumettre un projet avec comme objectif une portée citoyenne, créative et/ou solidaire. Appel d’air est un événement éphémère qui questionne l’intime dans la ville à l’aide d’œuvres artistiques participatives. Au service des habitants, nous ne pouvons être davantage dans le cœur du sujet ;
En fonction de son budget, choisir la somme à atteindre… Le choix est cornélien car on souhaite toujours viser plus haut que les étoiles. En effet, avec une plateforme restrictive comme Ulule, il faut atteindre l’objectif financier ciblé avant le temps imparti au risque de perdre la totalité des dons déjà accumulés. Or il est important de garder les pieds sur terre et jouer la carte de la faisabilité. Nous nous sommes fixés sur 1 500€ soit 10% de notre budget total ;
- Avoir une présentation attractive et concise du projet. A l’aide de notre note d’intention et de la présentation de nos 3 concepts : Intime, participatif et éphémère, on répond à vos interrogations !
- Fixer des contreparties. Si KissKissBankBank n’en fait pas une obligation, Ulule oui. En fonction de la somme du donateur, la contrepartie doit être de plus en plus intéressante. Alors oui, on peut voir ça comme une carotte pour faire avancer l’âne mais, au-delà de ça, il est toujours important d’offrir un cadeau de remerciement lorsque l’on fait appel à la communauté. Une simple preuve de bon sens et de respect solidaire. Surtout quand la contrepartie est une bière (Si si, je vous jure) ;

Un chaton, des origamis et un appel au don, crédit photographique: Persona (c)
Avoir une forte communication durant toute la campagne. Avant, pendant, après : il est indispensable d’avoir une communication soutenue pour atteindre votre objectif. Du blog (http://expoappeldair.tumblr.com/) aux réseaux sociaux (https://www.facebook.com/projet.appeldair/ et https://twitter.com/appeldair2), en passant par la presse et le relationnel, communiquer est la voix de la sagesse pour une campagne réussie. Elle nécessite d’entretenir vos réseaux privés et professionnels car ce sont eux vos donateurs (D’où la bière en contrepartie) ;
- Avoir un intérêt pour le marché. Pour nous, il s’agit de répondre à l’offre culturelle de la ville d’Arras et de ses habitants. A nous de voir si nous serons convaincants dans notre mission de démocratisation et de dynamisation culturelle;
- De la patience et du sang-froid. A mi-parcours, la campagne finit toujours par stagner. Il faut s’armer de courage et continuer à communiquer. C’est l’unique clef du mystère ;
Boules coco version Appel d'air sur Instagram, crédit photographique: Quynh Dieu Hoang(c)
- A la fin de la campagne, si le seuil est atteint, *Jackpot* la somme récoltée vous est directement versée sur le compte bancaire de votre structure. Si non, les dons sont remboursés à l’ensemble des donateurs et vous pouvez d’ores et déjà penser à faire des coupes drastiques dans votre budget * Insert new coin*.
En soi, le crowdfunding est un moyen de financement qui rentre en résonnance directe avec les nouvelles alternatives économiques. De Blablacar au Airbnb, l’explosion des plateformes communautaires font rimer rentabilité avec convivialité et sens du service.
Si vous voulez consulter notre projet sur Ulule et nous faire un don, Appel d’air est à 7 jours de la fin de sa campagne. Nous avons encore besoin de quelques dons pour atteindre l’objectif de 1 500€.
Alors n’hésitez à cliquer ici et faire un don :https://fr.ulule.com/appel-dair-2/ ! Merci !
Persona
#Appel d'air
#Projet
#Crowdfunding
[1] Pour les curieux, Appel d’air, 2ème édition aura lieu du 17 au 19 mars 2016.
Si vous passez par Arras à ce moment-là, n’hésitez pas !

Petit Vade-mecum de la Conservation préventive
Conservation entropique pour œuvre périssable ?
La conservation préventive vise à anticiper et ralentir la dégradation des biens culturels. Des méthodes et des protocoles visant à réduire les effets (climat, lumière, agents biologiques, polluants) permettent de garantir les modalités de stockage et de conditionnement des artefacts. Les pratiques de la conservation préventive couvrent aussi des recommandations de stockage, d’accrochage, d’emballage et de téléchargement. Mais également l’archivage et la documentation en cas de perte ou de vol grâce à des Thésaurus tel que la base TREIMA II et l’Office Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels (OCBC), le groupe OVNAAB (pour objets volés de nature artistique d’antiquité et de brocante) ainsi que la base JUDEX. Il existe aussi un système d’alerte
Nous proposons ici de questionner ces pratiques dans les champs de l’art contemporain, afin de mieux cibler au plus tôt les modes de conservations préventives les plus adaptées selon leur contexte et médium. Quelles stratégies adopter selon les œuvres ?
LA CONSERVATION PRÉVENTIVE DANS L’ART “ULTRA”- CONTEMPORAIN EN POINTS CLEFS
Contre le vieillissement, mais pour le vivant ! ou L’art contemporain une histoire (hyper) matérielle à usage de nos crises actuelles
Certaines œuvres d’art contemporaines, par leurs matérialités - des organismes vivants qui se transforment posent question : comment accepter de conserver le périssable ? Le restaurateur est celui qui redonne vit, mais ne doit se poser en traître. Il sauve l’éphémère, mais ne peut rien faire sans les secrets de fabrication. Quand l'artiste est vivant, il rêve qu’il lui transmette son mode d’emploi.
Les nouveaux laboratoires sont constitués d’équipes tout terrains comprenant des : électriciens, taxidermistes, ébénistes, jardiniers, projectionnistes… pour pouvoir tout sauver.
À l’heure où le requin dans le formol de Damien Hirst a déjà été remplacé à l’identique, la question des vernis, des pigments est dépassée par l’accumulation de savoir. L’armada de spécialistes se pose des questions, en pose aux artistes qui n’ont pas toujours des réponses. Les œuvres d’art contemporaines nécessitent un entretien continu et pour ce faire un restaurateur à demeure existe depuis un moment dans des structures aux USA, au Royaume-Unis et en Hollande. En France, si la cathédrale de Strasbourg possède sa maison de chantier à son chevet depuis le commencement de son chantier, les musées ont recours au coup par coup à des spécialistes extérieurs. Ainsi, des œuvres se dégradent dans les réserves et les musées, à défaut de conservation préventive, doivent avoir recours à de lourdes opérations de restauration.
Comment gérer les œuvres d’art contemporaines ? Faut-il repenser le rapport au temps ? Une œuvre d’art se résume-t-elle à son support, aux matériaux employés ? Ou bien à son médium, aux concepts qui la constituent ? En changeant de statut les œuvres ont-elles modifié le rôle des musées ?
Volontés d’artistes - volontés du vivant
Dans les musées, il est très important d’être au contact des artistes vivants. Ce qui constitue un des avantages de l’art contemporain. On peut faire appel à eux. Il s’agit d’une gestion en direct avec les techniciens spécialisés. Pour Catherine Grenier (conservatrice en chef du Patrimoine et historienne de l'art), cela nécessite une réflexion en continu, au moment où l’on achète l’œuvre, au moment où on la présente et au-delà. Quelles seront les meilleures conditions d’expositions? Selon les volontés de l’artiste, elles peuvent être évolutives ou fixes. Il y a aujourd’hui autant de conceptions du devenir de l'œuvre que d’artistes, à l’image des pratiques. Les problèmes d’usures, peuvent par exemple lors de nouvelles expositions de l’œuvre générer de nouvelles contraintes ? Les prises en charge par les mécénats sont cruciales dans ses opérations.
Bianca Bondi, Ectoplasm (son), 2019 dans l’exposition Le Vaisseau d'Or Une proposition de Gaël Charbau à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois 36 rue de Seine, 75006 Paris ©Aurélien Mole
Entre réparation mimétique et acception mécanique
Une des premières pièces de Jean Tinguely des collections historiques du centre Pompidou, la méta-mécanique automobile se composait de petits fils de fer rouillé et cassé. Et le centre Pompidou avait demandé à l’artiste s’il pouvait faire quelque chose. Il était alors arrivé avec des morceaux de fer neuf, brillant. Mais ça ne l'intéressait pas de re-faire de la fausse rouille. Il avait alors montré comment il fallait tordre, préparer ses tiges et puis se débrouiller en suivant sa technique après démontage de sa réparation trop brillante. Mais le mécanisme pour remonter la machine était cassé, il n’a pas été remplacé et cette œuvre finalement ne bougera pas, avec l’accord de l’artiste.
Documenter les œuvres dès leur genèse et ou première acquisition
La différence entre la restauration des œuvres de la collection dite historique et la collection contemporaine, est une question de démarche, de réflexion. Comment sont faites les œuvres ? Le comité d’acquisition joue un rôle très important dans cette étape. Il travaille avec les assistantes de conservation, étudie les œuvres en détail. Au moment où l’œuvre rentre dans la collection, elle doit être complètement documentée. Comment l’œuvre a été faite ? Comment l’artiste a trouvé les matériaux ?
Ceci constitue des démarches obligatoires des nouveaux musées d’art contemporain.
Une proposition de réponse à ces problèmes est d’adresser un questionnaire spécifique aux artistes contemporains afin qu’ils livrent le mode d’emploi de leurs œuvres. Afin de combler le manque d’informations par secteurs (art graphique, photographique … ), le questionnaire reste ouvert pour être complété lors de la venue des artistes sur place. L’artiste n’est pas obligé de répondre. Il ne sait pas forcément quantifier les matières qu’il a utilisées lors de la création ou bien ne souhaite pas en faire part.
Les œuvres peuvent être faites de matériaux qui se dégradent extrêmement rapidement et avec des matériaux étrangers aux connaissances des restaurateurs qui travaillent sur des matériaux et œuvres beaucoup plus classiques en adéquation avec la formation qu’ils ont reçue. Faut-il faire évoluer la formation des restaurateurs qui aujourd’hui est divisé par secteurs et techniques ? Ce qui compte c’est l’expérience, c’est souvent du bricolage, comme un antiquaire qui sent le matériau, l’objet afin de le remettre en circulation.
Réseau documentaire
L’œuvre atypique de Daniel Dezeuze de l’époque support-surface témoigne dans son caractère sériel d’évolutions spécifiques aussi nombreuses que le nombre de musées qui la conserve. Il s’agit d’assemblages en réseaux en bandes de placage qui forment des sortes d’échelles. Chaque musée est confronté à des problèmes de vieillissement mécanique : de lacération des bandes de placage, de déformation, d’accrochage, de suspension, de stockage. On a ainsi eu au départ des œuvres à peu près identiques, et maintenant nous avons de nombreuses dérives par rapport au modèle initial, et sont par conséquent de moins en moins homogènes dans leur ensemble.
Aujourd’hui il est important de créer des réseaux où les spécialistes puissent s’informer, afin de ne pas avoir à chaque fois devoir réinventer des solutions, si ces dernières ont été traitées sur des problèmes identiques par d’autres musées. Cela pose la question de la fédération d’un réseau documentaire.
En découle une autre question celle de l’unique et du multiple. Jusqu’à la photographie, une œuvre était en principe unique et autographe. La question du multiple n’est pas la vraie question puisqu'elle est bien antérieure à la photographie si l’on pense aux images imprimées, à la gravure. Mais c’est celle plutôt de l’obsolescence et des œuvres médiatiques. Les matrices sont copiées, mais selon des formats et des standards différents, les soucis de transferts et de téléchargements apparaissent.
Geste artistique et conformité ou divergence du modèle d’origine
Buddha’s Catacomb de Nam June Paik, au musée des sables d’Olonne, acquise en 1996, créé en 1984 avec moniteur bulle des années 1960 tombait en panne. La solution, en accord avec l’artiste, a été de présenter l’œuvre sur un moniteur contemporain de la panne, présentant une image couleur au lieu du noir et blanc. Puis le moniteur JVC a été réparé pour une nouvelle exposition. Puis, le moniteur a été dérobé. La dernière solution de l’artiste fut finalement de refondre une coque selon le modèle d’origine avec un système neuf à l’intérieur. Dans un cas le geste artistique est respecté mais l’œuvre est non conforme, dans le second cas, l’œuvre est plus conforme à l’original mais le geste artistique ready-made du moniteur n’est plus respecté. Ce qui n’est pas sans poser la question des pratiques muséales.
Suivre la vie de l’œuvre
Une mentalité bien ancrée pense que respecter une œuvre suppose de la figer. Une œuvre numérique continue de vivre si on l’a changé de support régulièrement et au bon moment. Cependant l’œuvre ne peut pas être réduite à sa technique. Par exemple les ampoules électriques vont disparaître, beaucoup d’œuvres en sont constituées, comment fera-t-on ? etc … Si on peut le prévoir avec l’artiste, il faut le faire, sinon il faut trouver des solutions possibles afin de rester le plus proche de l’esprit de l’œuvre. Autrement, il faudra déterminer ce qui était le plus important pour l’artiste, et pour le musée ou tout autre responsable de l’œuvre, afin de rendre l’œuvre exposable. Est-ce que c’était de signifier un contexte et dans ce cas il vaut mieux garder l’objet et il n’est pas exposé dans son état initial prévu comme par exemple une sculpture de César dans laquelle une télévision est imbriquée. Nam June Paik, lui n’a pas de soucis pour changer le modèle comme nous l’avons vu. Nous n’avons pas de solutions uniques, mais sont conservées les différentes “peaux” de l’œuvre.
Intégrer la vie, y compris la vie de l’œuvre
Le piano recouvert de feutre de Joseph Beuys a marqué une étape de conservation préventive dans la restauration d’œuvre d’art contemporaine. Avant, les visiteurs pouvant s’approcher du piano, tapotaient les touches recouvertes de feutre. Une proposition a été de retourner le feutre de le doubler tel un col de chemise usé renforcé. Beuys n’a pas du tout aimé la proposition il a donc changé la house, et a créé une nouvelle pièce. La peau et le piano avec sa nouvelle housse constituant ainsi un nouvel ensemble de pièces distinctes.
Intégrer la vie dans l’œuvre, y compris la vie de l’œuvre qui va vieillir, se modifier, voire mourir. Certains artistes programment la mort de leur œuvre, soit si l’œuvre est totalement périssable et disparaît soit on refait l’œuvre et le processus de désagrégation reprend. Pas de solution idéale comme norme, mais essayer de conserver au maximum. On ne peut pas rendre une œuvre vivante comme un humain.
Vanité que la restauration préventive ? Révolte douce que d’échapper à sa fétichisation par le périssable ?
Michel Blazy, peint avec de la Danette en couche infra mince pour obtenir des sortes de laques, glacis. Cependant ce produit est adoré par les souris. Ce type d’œuvre peut “contaminer” le reste de la production. Au Palais de Tokyo, l’artiste, a eu carte blanche en 2007 et comme seule contrainte, celle de ne pas tacher le sol. Il pouvait venir re-alimenter l’ensemble de son œuvre durant toute la durée de l’exposition. Le temps n’épargne rien. Pour Michel Blazy, il est difficile de définir ce qui est vivant ce qui ne l’est pas. Cet artiste travaille donc avec des échelles de temps différentes.
Vendre des kits / dossiers de prévention pour les travaux à base d’aliments ?
L’artiste Michel Blazy fabrique des dossiers afin de re-fabriquer l’œuvre, selon le désir, et l’énergie. Si les conditions ne sont pas réunies, alors l’œuvre restera dans les dossiers, dans cet archivage qui constitue l’œuvre et intègre sa conservation et même l’anticipe par ce format mode d’emploi. Par extension, des enjeux anthropocènes actuels invitent les musées à devenir des bunkers en se prémunissant de guides et kit de suivies voir de survies alimentaires autonomes.
Les contrats : prévoir la conservation des œuvres
Au moment de l’acquisition, il faut prévoir sur les contrats pour les éventuels risques de l’œuvre. Par exemple, les accidents ir-restaurables, peuvent être anticipés par la prise en charge des assurances et le contrat permet d’obtenir que l’artiste re-travail sa pièce en cas d’imprévus, et recréer la pièce manquante en cas d’accident. Ce recours peut être intéressant en cas de rétrospective de l’artiste, s’il y a des difficultés à rassembler des pièces dispersées par exemple. Mais face aux urgences anthropocènes, l’urgence des musées n’est-elle pas de révéler le pouvoir d’action concrète des œuvres plutôt que leurs risques ?
Qu’est-ce que la conservation préventive en quelques points clefs
1 Une gestion a priori lourde mais gérable si anticipée
La restauration a pris de l’ampleur depuis des pratiques artistiques des années 1970. La restauration prévention reste lourde et coûteuse à chaque fois qu’une pièce est prêtée. Mais ce n’est pas une raison de ne pas acheter / acquérir des œuvres sous prétexte qu’elles sont périssables. (La preuve en est avec le travail de Yanna Sterbak. Sa robe de biftecks est facile à refaire, par son mode d’emploi. Certains musées la jettent une fois séchée, d’autres non. On achète la mannequin et le patron. Il faut coudre les biftecks, selon des gabarits de viande approximatifs retenue par un grillage.) On peut se demander ironiquement en cas de situation d’urgence, mais les denrées, surtout d’origine bovine très mal vue actuellement notamment par leur méthane généré, ne seront-elle pas nos réserves alimentaires de demain telles les poires tapées du terroir de Touraine (qui se conservent plus d’une dizaine d’années) ?
2 Qualifier l’œuvre permet de mieux assurer le devenir de l’œuvre et l’usage de savoirs oubliés en cas de crise
La question du statut de l’œuvre est cruciale. Les œuvres sous forme de performances posent la question de la documentation de l’œuvre. Le musée devient par conséquent un accompagnateur d’œuvres en tant que partenaire des artistes dans la conception de ce que va être le devenir de l’œuvre. On remarque que “l’idée de l’œuvre éphémère” dans les années 1970 est pérenne. Cependant des modes de présentation, des processus transcendent l'éphémère.
3 La conservation préventive doit permettre une approche globale afin d’être pertinente et de faire sens.
Elle a pour mission de trouver des modes de présentation qui sont conformes à ce que l’œil contemporain peut voir de la vérité de ses œuvres sans les trahir. La prévention doit donc être inclusive et contextuelle et surtout applicable à l’usage concret de gestions nécessaires à la pérennisation des des collections.
Charlène Paris
Crédit de l'image de haut de page : Michel Blazy, Pull Over Time, exposition du 6 février 2015 au 7 mars 2015 à la Galerie Art Concept
#conservationpréventive
#artcontemporain
#obsolenscencetechnologique
Pour aller plus loin :

Pompidou-Metz : entre centre d’art et musée…
Rencontre avec Hélène Guénin, responsable adjointe du pôle programmation
Découvrir par matin d’hiver, le centre Pompidou-Metz endormi sous une fine couche de givre blanc relève d’un bel instant de grâce… C’est une œuvre architecturale absolument impressionnante quand on sait que la source d’inspiration de l’architecte Shigeru Ban est née de l’achat d’un simple chapeau traditionnel chinois acheté à la Maison de la Chine à Paris ! Le bâtiment se présente coiffé d’un assemblage de poutres d’épicéa en lamelles collées qui s’entrelacent pour former un maillage hexagonal recouvert d’une fine membrane de téflon opaque et transparente de nuit.

Crédits : Marie Tresvaux du Fraval
On retrouve l’idée de l’hexagone dans l’architecture globale de l’édifice avec trois galeries auto portées traversant l’espace en se croisant. Ces trois galeries sont apposées à une colonne métallique sur laquelle est suspendue la toiture, laquelle va se reposer sur plusieurs poteaux-tulipes contournant le bâtiment. Passé le seuil de l’édifice, on entre alors dans une véritable relation sensorielle jouant entre l’espace architectural intérieur et l’environnement extérieur. Celui ci se dévoile à chaque étage par des pans de murs vitrés mettant en œuvre une magnifique interaction avec le panorama de la ville de Metz.
La structure se décline en trois parties avec ses trois galeries, un bâtiment annexe administratif, et un studio ; espace modulable de 500 m² dédié aux arts vivants. La grande nef, vaste hall translucide, permet d’accueillir une diversité d’évènements et dispose d’un premier espace d’exposition. Un auditorium pouvant diffuser films et conférences dont la particularité originale et innovante est attribuée à la réalisation de Shigeru Ban. Le plafond en forme de vagues conçues en tubes cartonnés contribue ainsi à la performance acoustique du lieu. Restaurant, café, bibliothèque, boutique terrasses et jardins enrichissent le lieu.
Le projet visant le mouvement de décentralisationdes collections nationales a été amorcé en 2003 et développé sous le ministère de la Culture dirigé par Jean-Jacques Aillagon. Il représente donc la première expérience de ce type en France. Metz a été retenue pour combler un manque en matière de structures régionales d’art moderne. La ville disposait d’une implantation urbaine et géographique intéressante avec l’idée de construire le musée dans le quartier de l’amphithéâtre (lieu d’anciennes friches ferroviaires). Plus d’une centaine d’hectares autour de l’édifice est dédiée à la construction de centres d’affaires, de commerces et d’habitations dans une démarche de projet HQE[1].
Un fonctionnement autonome
Le centre Pompidou-Metz est un EPCC[2]. Ce fonctionnement autonome lui confère également une plus grande liberté au niveau du choix de la programmation scientifique et culturelle qui cependant est validée et entérinée par Beaubourg. L’établissement ne possède pas de collections propres. Celles-ci ne dépendent pas non plus uniquement de Beaubourg mais peuvent passer par les circuits internationaux et nationaux. Les expositions reçues peuvent être itinérantes comme l’une des prochaines d’Hans Richter, programmée en septembre 2013 et coproduite avec le Lacma de Los-Angeles.
L’un des objectifs du projet scientifique et culturel est de mettre en avant la pluridisciplinarité, en présentant les arts vivants (danse, performance, musique, théâtres, cirque), le cinéma ou des cycles de conférences variés. Le budget alloué aux arts vivants ne représente que 10% du budget global mais cette programmation dans le prolongement des expositions et permettant de mettre en lien un chorégraphe avec un artiste ou un auteur comble les visiteurs. Ainsi dans le cadre d’un partenariat, et sous forme de coproduction avec l’EPCC Metz/Arsenal, l’œuvre majeure Fasede la chorégraphe Thérésa de Keersmaeker sera présentée au mois de janvier 2013 accompagnée d’une conférence Danse les années 80 et la naissance de l’auteur.
Actuellement la danse s’expose, la grande nef présente Parade, ballet présenté en 1917 au théâtre du Châtelet à Paris. Evènement exceptionnel dans l’histoire des arts qui rassembla Jean Cocteau, Erik Satie, Pablo Picasso, Léonil de Massine et Serge Diaghilev autour d’une œuvre magistrale de l’histoire de la danse. De la genèse au processus de création le visiteur défile au gré d’un parcours circulaire aux tons nacrés parmi une sélection documentaire exceptionnelle et centralisé par l’œuvre incontournable du rideau peint de Picasso.
Le FRAC au Pompidou Metz
Visite insolite en contraste total et déstabilisant avec Frac Forever ou pour fêter les trente ans de fonds régionaux d’art contemporain, le centre invite le Frac Lorraine à investir la galerie 3. Dans l’obscurité la plus totale, bruitage et éclats lumineux ajoute une dimension surréaliste. Le visiteur se doit de recharger la batterie d’une petite lampe de poche, distribuée à l’entrée de l’exposition, pour éclairer à sa convenance les œuvres d’une soixantaine d’artistes majeurs de ces quarante dernières années et réparties sur les murs d’un large espace vide.
Crédits : Isabelle Capitani
Au niveau de la galerie 2 est présentée une rétrospective sans précédent en Europe de l’artiste conceptuel américain Sol Lewitt (1928-2007). Trente-trois œuvres murales s’imposent magistralement à travers plusieurs combinaisons de noir et blanc, composées de lignes ou de formes géométriques. Contrairementaux deux autres expositions le parcours se poursuit rectiligne suivant l‘espace parallélépipède rectangle de la galerie.
Œuvre en lui-même, le centre Pompidou Metz rayonne au cœur d’un espace encore en construction ; contraste qui justifie la grandeur de l’art au service dudéveloppement culturel et économique d’une région et l’on ne peut éviter le clin d’œil au petit frère Louvre Lens en lui souhaitant un même second et grand succès dans la nouvelle conquête du territoire Nord-Pas de Calais…
Nous remercions chaleureusement Hélène Guénin pour son aimable présentation de l’institution.
Isabelle Capitani
[1] haute qualité environnementale
[2] établissement public de coopération culturelle

Pourquoi exposer l'art outsider?
L'art outsider, c'est l'art qui est réalisé dans des contextes où on ne l'attend pas, par des gens qui au départ n'ont pas l'intention de faire de l'art. C'est l'art qui se trouve en dehors des circuits officiels. C’est justement cette définition qui interroge aujourd'hui : si l'art outsider se trouve en dehors, en marge de l'officiel peut-il être exposé dans un musée ?

Annabel Sougné © Art et marges musée - exposition Guy Brunet et Josselin Pietri
Ce qui intéresse généralement dans l'art outsider c'est que les créateurs, "les artistes"[1] n'ont pas de limites, ils ne se plient pas à certaines règles de l'art et créent pour leur plaisir, pour s'exprimer, par nécessité... Par ailleurs ils utilisent des techniques moins communes comme le stylo bille qui prend une place prépondérante chez Amazine ou des matériaux originaux comme du plastique, du carton chez Josselin Pietri qui le sculpte. Cependant ils sont considérés comme artistes outsider. Alors quand leurs productions entrent au musée, quelle est leur place ?
Pierre Schawtrz © Le MIAM
Pour mieux répondre à cette problématique revoyons les missions d'un musée. Il permet de conserver, diffuser ou exposer, développer la recherche et animer, éduquer. Si les collections d'art outsider ne rentraient jamais dans les collections muséales on pourrait se demander si leur conservation serait assurée et si on aurait aujourd'hui une trace de ces œuvres si particulières. Le musée est aussi notre mémoire collective, la mémoire de l'humanité, alors garder trace de ce qui est créé même en dehors des marges peut avoir une certaine logique. L’art en marge pose des questions mais n'est-ce pas le propre de l’art ? Pour ce qui concerne leur importance dans la recherche et dans la connaissance de l’art, les productions des outsiders viennent dynamiser l'art, casser les barrières et les acquis académiques et réinterroger ce qu'est l'art. En effet leur exposition parfois choque ou est incomprise "ce n'est pas de l’art !" "Ce sont des gribouillis, des dessins d’enfants !" Aujourd'hui le regard change les conservateurs, les galeristes comprennent mieux la démarche, recherchent l'émotion, analysent la ligne, le trait comme on étudierait une œuvre du 19ème ou d'art contemporain. Par ailleurs certains commissaires d'exposition se sont amusés à exposer dans leur musée des œuvres d'art outsider en y trouvant des démarches artistiques proches de leurs artistes. Par exemple lors du projet « 20+20 » qui a eut lieu en Belgique en 2006, la conservatrice du musée Félicien Rops évoque les points communs de travail entre Rops et Hugues Joly autour du corps de la femme.
© La Collection de l’Art Brut Lausanne
Dubuffet estimait "qu'il faut choisir entre faire de l’art et être tenu pour un artiste"
Le problème de l'art outsider comme avec le street art c'est qu’on le sort de son contexte en l’exposant. Alors prend-t-il la même ampleur, peut-on le découvrir correctement dans un système muséal ? Par ailleurs le regard du commissaire en exposition d'art outsider a beaucoup plus d'impact d’autant que l’artiste s'exprime peu sur ses envies et sur la signification de ses œuvres, elles sont donc complètement ou du moins en partie sujettes au regard du commissaire qui en donne sa vision à un public. Les œuvres d’un artiste sont parfois très intimes et non destinées à être exposées. Leurs visibilités pour le public est donc très compliquée. Cependant le public vient au musée pour découvrir de nouveaux sujets d'intérêt, de nouveaux artistes ; échanger ses points de vue ; ressentir ; s’émouvoir ; trouver l’inspiration ; comprendre le monde et créer. L'art outsider répond à toutes ces demandes par une médiation travaillée sur la base de l’émotion. Il est accessible à différents types de publics car il ne demande pas de codes ou de connaissances pour le comprendre, le ressentir et l'appréhender.
Alors à la question de savoir pourquoi exposer l’art outsider, les réponses sont diverses mais en tous les cas il doit être connu pour son ouverture au monde, pour sa liberté et son accès à l’émotion. L’exposition de l’art outsider est encore jeune, et les structures le représentant sont en constante interrogation sur sa définition, mais n’est-ce pas là que l’institution muséale va prendre toute son ampleur, dans cette constante recherche et mise en question de ce qui nous entoure?
M.P
[1] Terme ici mis entre guillemets puisque bien souvent ils ne se revendiquent pas comme tel et ne le souhaitent pas
#artetmarges
#artbrut
#outsider

Promenons-nous dans les bois ?
Vous venez de terminer votre balade dans les jardins du Luxembourg, mais peut-être n’avez-vous aucune envie de rentrer tout de suite chez vous, même si le froid vous pique le visage. Vous errez alors dans les rues parisiennes et arrivez sans même vous en apercevoir devant un panneau “Musée Zadkine”. Vous ne vous attendiez pas à rencontrer un musée caché entre deux immeubles et pourtant vous voilà déjà franchissant la grille et vous aventurant dans une petite cour. Encore quelques pas, et vous voici devant une petite maison : poussez-donc la porte, et laissez-vous guider.
En l’espace de quelques mètres, c’est dans un univers carrollien que vous vous apprêtez à voyager. Vous vous trouvez à la lisière de l’exposition, à la lisière de la forêt. Comme tant d’artistes avant vous, vous allez pénétrer un lieu sauvage et sacré, puissamment empreint d’inspiration artistique. Si des vues de forêts d’artistes contemporains, comme Estefania Peñafel Loaza ou Patrick Bard, permettent d’embrasser un large champ, votre regard est néanmoins arrêté par des troncs d’arbres, placés au cœur de la pièce. Vous n’avez nul autre choix que de les contourner, pour enfin les voir se muer en des corps sculptés de la main d’Ossip Zadkine.
Première salle de l’exposition, sculptures de Zadkine © Jade Garcin
Comme à son habitude, le musée Zadkine met en avant la matérialité de ses collections. C’est pourquoi, les mains, encore engourdies de froid dans vos poches, vous percevez tout de même la douceur de ce bois, sa rugosité, et parviendriez même à le toucher, s’il n’était derrière sa vitre. Le lien entre vous et la forêt commence à se tisser, et vous mène ainsi un peu plus loin dans les bosquets, un peu plus loin dans la création.
Œuvre de Dubuffet / © Jade Garcin
C’est ici que tout commence peut-être à vous échapper. Des formes inconnues se détachent, des bruits vous parviennent, heureusement, quelques figures connues et rassurantes sont là elles aussi. Les meilleurs botanistes de l’exposition s’apercevront de la diversité des espèces : ici, la graine du Sein dans la forêt de Raoul Ubac a donné naissance au Parle Ment Branche (1) et (2) de Laure Prouvost, de 82 ans son cadet.
Les œuvres de Raoul Ubac et Laure Prouvost © Jade Garcin
C’est également un espace de grande liberté, où les formes sont inspirées de développements naturels, par des processus de morphogénèse. Les sons qui nous parviennent dépendent eux aussi de nos actions, comme le serait le craquement des branches au sol.
Vous sortez finalement dans le jardin de sculptures, pas encore prête à retrouver la rue parisienne. L’atelier vous offre alors un dernier moment de rêverie auprès de différents personnages sylvestres, avant de retourner à une réalité plus prosaïque.
Pour vivre cette expérience, vous avez jusqu’au 23 février 2020 pour vous rendre au musée Zadkine.
Jade Garcin
#Zadkine
#Forêt
#Rêveur

Punta della Dogana : une pointe de paradis ?
Situé à l’embouchure du grand canal de Venise, le centre d’art contemporain Punta della Dogana (pointe de la douane) est le résultat d’une volonté de la ville de Venise de réhabiliter ces anciens entrepôts maritimes, abandonnés depuis plus de trente ans.
© Palazzo Grassi
Situé à l’embouchure du grand canal de Venise, le centre d’art contemporain Punta della Dogana (pointe de la douane) est le résultat d’une volonté de la ville de Venise de réhabiliter ces anciens entrepôts maritimes, abandonnés depuis plus de trente ans. La collection d'art moderne et contemporain de François Pinault déjà présentée au Palazzo Grassi à Venise, trouve ainsi un second espace dans lequel se déployer, le bâtiment des anciennes douanes.
Ouvert au public depuis 2009, le travail de Tadao Ando a permis au lieu de garder toute sa magie. L’extérieur est majestueux, et très en adéquation avec l’architecture des palais vénitiens avoisinants. L’intérieur l’est tout autant par la hauteur sous plafond et le volume disponible. Mais sa beauté est bien plus brute et authentique, l’architecte n’ayant que très peu dénaturé cet édifice. Il est parvenu à maintenir une grande cohérence entre le bâtiment historique et les installations modernes muséographiques.
Ainsi le musée revêt une enveloppe très soignée pour des œuvres issues de l’une des collectons privées les plus importantes en art contemporain : celle de François Pinault, grand homme d’affaires et collectionneur français. L’espace exposition est entièrement dédié à des expositions temporaires longues. « L’éloge du doute », rassemble des pièces historiques et des productions nouvelles, exigeantes, porteuses de signification.
L'objectif affiché d'exposition est de nous interroger sur la force et la fragilité de l’homme en essayant à travers les œuvres présentées de réinventer notre regard sur le monde et sur nous même. La première salle, grandiose, très haute sous plafond avec briques et poutres apparentes nous donne une vision immédiate du type lieu dans lequel on vient de pénétrer. Chaque cimaise est support à un grand nom de l’art contemporain, Maurizio Catelan côtoie ici Donald Judd et bien d’autres. Les salles suivantes, d’une surface moindre, sont pour la plupart adaptées à l’œuvre d’un unique artiste, comme vous pouvez le voir avec Paul McCarthy dans la photographie ci-contre.
© Palazzo Grassi
Alors que peut on dire de exposition en elle même, de sa pertinence ? L'interrogation de l'identité, « L’éloge du doute », thématique qui a tout de suite retenu mon est passée presque inaperçue lors de la visite.Une fois entré dans exposition, plus rien ne fait référence à cette idée, et on finit par visiter l'exposition comme on visiterait le parcours permanent d’une grande institution d’art contemporain lambda. En effet, aucun texte ni cartel n’est présent sur les murs de l’espace exposition pour rappeler la thématique.
Aucun dispositif de médiation n’aide à mieux appréhender les travaux, souvent hermétiques, au risque de rebuter un public de non-initiés et de conforter l’image d’un art contemporain élitiste. Les conservateurs-commissaires de l'exposition ont choisi de laisser les œuvres parler d’elles-mêmes. L’expérience est donc tout d’abord esthétique et émotionnelle. Les informations sont en fait présentes, mais de façon discrète par le biais de fiches de salle disponibles en français, anglais et italien dans chaque espace. Celles-ci sont très complètes et permettent de comprendre très aisément la démarche de l'artiste en plus de donner les informations basiques indiquées en principe par les cartels.
Aussi intéressantes soit ces fiches, tout le monde ne fera pas spontanément la démarche de les consulter. Et ces personnes qui ne lisent pas, manquent par la même occasion des informations basiques comme le nom de l'œuvre, de l'artiste qui l’a conçue ainsi que sa date de création pour ne citer que ces quelques éléments. Ce part pris pousse la médiation au second plan, rendant l’art contemporain encore plus obscur aux non-initiés.
Une partie d'entre eux a surement déjà rebroussé chemin en voyant les prix affichés, qui sont de 15 € tarif plein et 10 € tarif réduit, une somme que seule une personne motivée est prête à dépenser. Mais une fois l’exposition terminée on ne regrette pas du tout cet investissement. Le lieu communie avec son cadre idyllique que l'on peut admirer lui aussi comme une œuvre d'art, notamment à travers la baie vitrée de l'espace de repos. De plus, la Punta della Dogana offre un panorama riche et éclectique de la création la plus contemporaine dans un lieu chargé d'histoire avec lequel les œuvres entrent en symbiose.
Anaïs Kraemer

Quand l'art contemporain s'invite dans les églises : entre opportunités et polémiques
Chœur de l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau d’Assy – Image disponible sur http://www.rhone-alpes.culture.gouv.fr/
L’art abstrait comme terrain d’entente
Tous les coups ne sont pas permis. La liberté d’expression restant tout de même limitée, les artistes et l’Église semblent trouver un terrain d’entente : l’art abstrait. La recherche de spiritualité à travers l’immatérialité rejoint la philosophie de chacune des parties. Il est alors plutôt question de sacré que de religieux. De son côté, le clergé récipiendaire, qui souhaite se détacher d’un art arrogant et triomphaliste, accueille aisément la légèreté de cet art dont la forme abstraite évite l’engagement de débats théologiques.
Commandes d’Etat et polémiques
Pour exemple, entre 1999 et 2004, le discours artistique iconoclaste de l’artiste Claude Rulault était entré en confrontation avec l’avis des paroissiens de l’église de Saint-Prim en Isère. Il repeint le chemin de croix de la même couleur que le mur, couvre de draps les statues des saints et décore les jours de stores aux couleurs primaires. A Jabreilles-les-Bordes en Haute, l’artiste Philippe Favier teste pour la première fois en 2004 l’installation de vitraux-lithophanies, de la porcelaine en fine couche peu translucide ne laissant passer qu’une lumière tristement terne au grand désespoir des fidèles, impuissants.
Intervention de Claude Rutault à l’église Saints-Prim-et-Félicien de Saint-Prim – Image disponible sur https://saintprim.fr/
Ces lieux hautement symboliques sont également le terrain de jeu sournois d’installations contemporaines temporaires provocatrices. La ruse est de créer une œuvre dont le sujet s’accorde avec la tradition chrétienne, de l’envelopper d’un discours moralisateur allant dans ce sens, mais dont l’aspect visuel contredit habilement la proposition. Ce fut le cas notamment de l’œuvre Heaven de Philippe Perrin, exposée en 2006 dans le chœur même de l’église Saint-Eustache. L’œuvre consiste en une couronne d’épines géante en barbelés posée à terre. Les paroissiens l’ont interprété comme un Christ moderne assumant sa souffrance avant la résurrection. Sauf qu’en posant la couronne au sol et en agrandissant ses dimensions, ce cercle de fer allait à l’encontre de l’image de la résurrection tournée vers le ciel, et était perçu plutôt comme une idole que comme un symbole. Son titre Heaven faisait référence à la chanson Stairway to Heaven de Jimmy Page qui, écoutée à l’envers, devient « Highway to Hell », c’est-à-dire « ceux qui proclament le ciel sont ceux qui créent l’enfer sur terre. »
PERRIN Philippe, Heaven, installation à l’église Saint-Eustache de Paris, 2006 © Marc Dommage. Courtoise Galerie Pièce Unique
Des collaborations réussies
Ces dernières années se développent également des interventions plus pérennes. Un exemple précoce est la Kunst-Station à l’église Saint-Pierre de Cologne où, depuis 1987, cohabitent grâce à un comité consultatif des cérémonies religieuses et expositions, ces dernières servant généralement d’outil de réflexion aux homélies. À la chapelle Notre-Dame-du-Marché à Jodoigne (Belgique), ont été installé une tribune télescopique motorisée d’une capacité de cent places, une scène composée de praticables, des cimaises contre les murs de la nef et un équipement de son et lumière pour pouvoir accueillir toute une programmation de concerts et expositions d’art contemporain, parallèlement aux offices qui continuent d’être célébrés.
Exposition et vue sur la tribune télescopique, chapelle Notre-Dame-du-Marché de Jodoigne – Image disponible sur http://www.culturejodoigne.be
Une nouvelle source d’opportunités
L’Église a en effet de bonnes raison d’ouvrir ses portes aux artistes contemporains. Durant des siècles, elle fut l’un des commanditaires majeurs des artistes, faisant défiler au sein de ses murs la succession des styles artistiques, de l’art paléochrétien à l’art contemporain. Au fil des époques, elle n’a cessé d’accorder une importance particulière aux artistes, pour des raisons variées. Aujourd’hui, les interventions artistiques permettent de débloquer des financements et sauver certains édifices voués à la destruction ou l’abandon mais aussi d’accueillir un nouveau public dans ces lieux qui se vident petit à petit. Ces interventions sont également souvent perçues comme des aubaines pour les élus et le secteur touristique. C’est alors toute une myriade de collaborations qui prennent forme entre associations diocésaines, conservateurs, galeristes, opérateurs artistiques et touristiques, municipalités, Régions, Ministère de la Culture, FRAC et bien d’autres encore.
Laurence Louis
#ArtContemporain
#Eglises
#LieuxSacrés

Quand la forêt s'invite sur les pavés
Pour sa 14ème édition, la ville de Nancy proposait un jardin éphémère permettant aux citadins de se plonger dans une forêt enchantée.
Pour sa 14ème édition, la ville de Nancy proposait un jardin éphémère permettant aux citadins de se plonger dans une forêt enchantée. Grâce à « Place à l’arbre », la statue de Stanislas et ses environs se paraient d’une dentelle végétale tout en plaçant au centre des attentions la figure de l’arbre. En effet, si les années précédentes les jardiniers de la Ville avaient mis en avant des dates anniversaires (205ème anniversaire du rattachement de la Lorraine à la France) ou encore questionnaient la place de la technologie dans les jardins pour l’édition passée ; cette année c’est la nature elle-même qui étaient montrée et racontée. « Place à l’arbre » vient sensibiliser le passant ou l’habitant sur le passé, le présent et le devenir de l’arbre au détour de 12 scènes végétales. Le jardin d’une surface de 3580 m² venait se déployer sous la forme en plan d’une feuille d’érable.
© Nancy-tourisme.fr
L’arbre. Ce végétal qui passe presque inaperçu dans nos espaces urbains vient s’épanouir au sein de cet ensemble architectural du XVIIIe siècle et révéler ses nombreux bienfaits. Par ce jardin éphémère le souhait de la Ville a été de rappeler le rôle de l’arbre comme acteur écologique et économique de notre Terre. Ainsi chaque espace d’exposition était agrémenté de textes venant informer le visiteur tant sur la surexploitation que sur l’utilisation des arbres dans le milieu médical.
Dans cet espace de nature luxuriante pas moins de 219 arbres et 20 000 végétaux différents se côtoient. Le visiteur est invité à s’asseoir sur les bancs en bois ou à se balancer entre deux palmiers dans un hamac afin de prendre le temps, de respirer, de contempler. Dans un monde où le rythme de disparition de certaines espèces est 10 à 100 fois supérieur au rythme d’extinction naturel, l’Homme est convié à s’interroger sur le devenir de ces végétaux. On nous présente alors des plantes dites « endémiques », qui ne sont connues qu’en un seul lieu, vouées à disparaître si elles ne sont pas protégées.
© M. S.
Ainsi les jardiniers de la Ville sensibilisent sur une de leur mission, à savoir la conservation et la protection de ces plantes « menacées ». Les jardins botaniques du Grand Nancy en partenariat avec l’Université de Lorraine, ont pour particularité de sauvegardes les plantes provenant des îles Mascareignes et de la Nouvelle Calédonie. Dans un propos plus large, « Biosphère III » (5ème tableau végétal), propose une prise de conscience collective en rappelant de manière poétique l’expérience « Biosphère II » (Nevada, 1987). Il s’agissait de créer un écosystème placé dans un dôme scellé, afin de voir s’il était viable pour la colonisation spatiale. L’échec de cette expérience incite donc à protéger l’existant, si dur à faire perdurer dans un écosystème qui n’est pas le sien.
© M. S.
© M. S.
Le jardin prend aussi un souffle artistique par diverses installations. Le bourgeon, future branche et symbole de croissance vient se matérialiser sous les mains d’un charpentier des Compagnons du Devoir et du Tour de France. Ce bourgeon, en bois tortueux, vient se refléter et s’admirer dans un miroir dévoilant ainsi la naissance d’un autre. Le renouvellement de la nature est alors assuré. Cette structure vient en écho de l’œuvre du sculpteur Rachid Khimoune, l’Arbrœuf. Image d’une symbiose imaginaire entre le monde végétal et animal. L’œuf vecteur de vie, espace clôt et rassurant vient se conjuguer à la force de l’arbre, devenant le squelette de l’oeuvre.
Au détour d’un pont suspendu au-dessus d’un bassin, le visiteur survole une forêt équatoriale peuplée d’érables du Japon. Au milieu de ces végétaux aux multiples couleurs une percée noire et rouge attire l’attention. D’un coup, le croassement des corbeaux et le crépitement du bois surprend. Marc Namblar, audio-naturaliste musicien, vient manipuler les ondes sonores et plonge les passants dans une atmosphère particulière. La fumée s’échappant d’un tas de branches calcinée laisse deviner le rôle économique de l’arbre.
Le visiteur, observateur et acteur était invité à laisser une trace de son passage grâce à une craie, faisant de son message tout comme le jardin une action éphémère dans la ville.
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Par ailleurs, cette nouvelle édition permet à la ville de Nancy de montrer son engagement écologique par le biais du plan « Zéro phyto », mis en place depuis 2005, assurant la non-utilisation de pesticides ou d’engrais sur tous les espaces verts de la ville. Pour ce tableau vivant, Pierre Didierjean, directeur des parcs et jardins de la ville de Nancy, s’est entouré dans un premier temps d’experts, avec une contribution bénévole parfois. C’est le cas de Jean-Paul Corneveau, architecte de la métropole, qui a aidé à la réalisation des structures, dont le foyer tropical. La ville met un défi supplémentaire à l’organisation de l’événement en ne mettant à disposition qu’une enveloppe de 10000€ de budget.
Ainsi toutes les astuces sont permises comme la récupération ou encore l’écoconception, avec cette année la formation des jardiniers à la technique du « bois cousu ». Dans ce jardin rien ne se perd, tout se transforme. Une vingtaine de partenariat locaux a notamment permis le prêt des bancs, les perruches d’un éleveur ou encore les champignons d’une céramiste locale. L’événement automnal fermait ses portes ce 5 novembre et a comptabilisé plus de 720 200 visiteurs. Il ne vous reste plus qu’à vous réserver un week-end durant l’automne 2018 pour visiter le nouveau jardin éphémère conçu par les jardiniers de la ville de Nancy.
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Maëlle Sinou
#jardin
#nature
#nancy
Pour en savoir plus :
Le Jardin éphémère de la Place Stanislas
Raymond Depardon, un voyage haut en couleur !
« Je ne savais pas que j’étais un photographe de la couleur
Elle était pourtant là. Dès les premières images »
Crédits : Lilia Khadri
La photographie, un art qui touche un large public
Le Grand Palais présente en ce moment une rétrospective des photographies en couleur de Raymond Depardon. Cet artiste, né en 1942, est connu pour son travail en tant que scénariste, réalisateur de films documentaires, journaliste et photographe.Il est membre de la coopération internationale photographique Magnum Photo qui est partenaire de l’exposition. Jusqu’ici seules ses photographies en noir et blanc étaient principalement connues du public, c’est pour cela que le Grand Palais a souhaité innover en présentant uniquement ses œuvres colorées, prises entre les années 1960 et nos jours, aux quatre coins du globe. En route pour le grand voyage !

Une scénographie lisse - Crédits : Lilia Khadri
L’exposition est séquencée en différentes thématiques. Elle débute par une série de photographies prises dans la ferme familiale du photographe et en France. Avec la série sur Glasgow, le propos est élargi. L’échelle s’agrandit lorsque les séquences présentent des pays tels que le Chili et le Liban. Puis on arrive délicatement au « moment si doux » très coloré qui représente un panel de photographies prises dans divers pays comme le Tchad, l’Ethiopie, la Bolivie ou encore l’Equateur et Hawaï. Le photographe fait un focus sur l’humain, la nature, les grands espaces ruraux, les intérieurs. Son leitmotiv est de capter le réel. Le public découvre Depardon-novice, Depardon-reporter et Depardon-chercheur de couleurs.

Une simplicité touchante, une couleur étincelante Crédits : Lilia Khadri
« La découverte de photos inédites en couleur (anciennes et récentes) et mes nouvelles prises de vues donnent un regard sur des thèmes importants pour moi : les grands espaces et la solitude des villes. L’exposition reflétera ma vision personnelle dans des lieux très différents mais unis par une grande douceur des couleurs. »
C’est une exposition intimiste à laquelle on assiste. Elle est petite et se déploie ausein d’une seule salle. La douce luminosité nous incite à entrer au sein de l’exposition. La scénographie est très épurée, simple et élégante. Les photographies sont sublimes, les couleurs étincelantes et la lumière incroyable. Au sein des expositions de photographie il est agréable de trouver une scénographie simple et épurée et le Grand Palais l’a compris. Les œuvres sont mises en valeur en étant disposées sur un mur aux tons blancs-gris et leurs cadres de bois sont simples et discrets.

L’humain au centre de l’Œuvre Crédits : Lilia Khadri
Elles dégagent une grande beauté de part des aspects esthétiques, humains et émouvants.Toutes ces images nous invitent à l’évasion, au voyage et à la découverte de l’Autre. Les 160 photographies exposées sont inédites et n’ont jamais été publiées à présent ce qui renforce l’idée de découverte intime avec l’œuvre du photographe. Depardon est retourné dans des pays qu’il affectionne pour nous offrir des clichés inédits pour cette exposition.
Cette exposition présente quelques aspects muséographiques plutôt innovants.

Crédits : Lilia Khadri
Les cartels présentant les œuvres se situent au niveau des plaintes murale set comprennent uniquement le nom de l’œuvre, la date et la ville. Cela est amplement suffisant, cela permet à chaque personne de ne pas être noyée par un trop plein d’informations et de retenir le nécessaire. Cependant il aurait été intéressant de trouver au sein de l’exposition la description de l’évolution de la technique utilisée par l’artiste. Avec l’évolution des nouvelles technologies, s’est-il muni de différents appareils ?
Les textes concis présentant les séquences sont dotés une police très originale, en noir et blanc, sa passion d’origine, ce qui les rend très signifiants.
De plus ces textes sont écrits à la première personne, avec modestie et émotion, le photographe nous explique ses démarches et ceci le rend proche du public.
Un petit manque à noter serait un texte introductif présentant l’artiste et sa vie en début d’exposition. Cela ne va pas de soi, en entendant le nom de l’artiste nous ne nous disons pas forcément « Depardon ! Evidemment que je le connais ! Ça tombe sous le sens ! ».
Une exposition certes bien courte mais qui vaut le coup. On en ressort avec des couleurs plein les yeux et une envie de faire notre valise sur le champ ! Et on a passé un doux moment. Un seul conseil : n’y allez pas en heure de pointe, la circulation est bien complexe !
Lilia Khadri

Réactiver un lieu historique par le biais de l’art contemporain? Le cas de la Pinacoteca Giovanni et Marella Agnelli à Turin et du Castello di Rivoli, Museo d’Arte Contemporanea
Voyagez entre passé, présent et futur, en découvrant des collections d’art contemporain qui vous accueillent dans un contexte historique et architectural original !
Transformer ces lieux aux XXe et XXIe siècles
Quelle(s) Histoire(s) ?
Espace dédié à la production d’expositions de projets in situ commandés à des artistes italiens et internationaux, la Pinacothèque Agnelli, inaugurée en 2002, résulte d’une transformation du quartier Lingotto à Turin, qui fut l’un des principaux sites industriels de FIAT. Jusqu’en 2019, le bâtiment abritait le siège et les bureaux du constructeur italien. Aucune FIAT Torpedo, 508 Balilla, 500 Topolino ou Lancia Delta n’est présente aujourd’hui. Si ce sont les voitures qui vous intéressent, dirigez-vous plutôt vers le Museo nazionale dell’Automobile situé à une vingtaine de minutes de la Pinacothèque. Si vous souhaitez avoir une vue panoramique sur Turin et sur les Alpes tout en déambulant à travers des projets d’installations artistiques, vous êtes au bon endroit. La Pinacothèque présente un parcours d’exposition en plein air qui s’étend sur la piste historique du toit du Lingotto, la Pista 500, utilisée par l’usine FIAT pour les essais automobiles. Les interventions opérées entre réaménagement architectural et passé industriel invitent à découvrir un circuit fermé au public au XXe siècle devenu une piste désormais ouverte semée d’installations sonores et de sculptures. La collection permanente de la Pinacothèque comprend 25 œuvres acquises par Giovanni Agnelli et Marella Caracciolo. Si vous aimez l’art européen, vous tomberez sous le charme de l’art vénitien du XVIIIe siècle de Canaletto, les statues en plâtre d’Antonio Canova, l’impressionnisme de Auguste Renoir, ou le futurisme de Giacomo Balla. Quant aux expositions temporaires, elles sont conçues et produites spécifiquement pour les espaces de la Pinacothèque. Entre expositions monographiques consacrées à des artistes contemporains (Salvo. Arrivare in tempo, Thomas Bayrle. Form form Superform, Sylvie Fleury. Turn me on...), la Pinacothèque organise des séries d’expositions intitulées Behind the Collection qui mettent en regard des parcours transhistoriques et transgénérationnels entre des artistes contemporains et des œuvres de la Pinacothèque. En 2023-2024, l’exposition Vulcanizzato faisait dialoguer l’œuvre de Lucy McKenzie avec Antonio Canova, et en 2022-2023, un dialogue artistique s’est opéré entre Simon Starling et Giambattista.
Le passé du Château de Rivoli est plus rocambolesque que la Pinacothèque Agnelli, accrochez-vous bien...
Forteresse militaire au XIe siècle, propriété de la Maison de Savoie au XIIe siècle, résidence de cour au XVIIe siècle, caserne militaire au XIXe siècle et situé à 15km de Turin, le Château de Rivoli accueille désormais une collection permanente et des expositions temporaires d’art contemporain. Le château, dressé sur la colline de l’amphithéâtre de Rivoli-Avigliana, se compose de deux structures : le château dans son aspect du XVIIIe siècle et la Manica Lunga (Aile Longue) construite dans les années 1600 et longue de plus de 140 mètres. L’historique architectural et historique détaillé remonte au XVIIIe siècle lorsque le duc Emmanuel-Philibert transforme sa première résidence piémontaise en palais d’agrément. Le complexe s’enrichit de la Manica Lunga qui correspond à la pinacothèque ducale et qui accueille aujourd’hui les expositions temporaires. Au XVIIIe siècle, cœur battant de la vie de cour de Savoie, le château reçoit au sein de sa pinacothèque les artistes les plus renommés de l’époque comme Sebastiano Conca, Sebastiano Ricci, Gaspar van Wittel, ou encore Francesco Trevisani.
Victor-Amédée II de Savoie, roi de Sicile, confie à l’architecte Filippo Juvarra l’agrandissement du château, un projet jamais abouti pour cause d’emprisonnement de Victor-Amédée II et du nouveau roi, Charles-Emmanuel III, qui ne souhaita pas continuer les travaux, préférant d’autres résidences comme le Palazzina di Caccia di Stupinigi (le Palais de la Chasse de Stupinigi). De l’entrée du château, nous pouvons observer l’arrêt des travaux avec les bases qui attendent leurs colonnes, restées dans la vallée de Suse.
À gauche : Entrée du Château de Rivoli vers la collection permanente ©LS.
À droite : Rampe FIAT menant à la piste 500 sur le toit du Lingotto, Pinacothèque Agnelli ©LS.
Mutations architecturales et modernisation
Dès le XXe siècle, la Pinacothèque Agnelli et le Château de Rivoli voient leur architecture se métamorphoser dans le cadre de l’avènement des deux institutions culturelles.
Véritable symbole de l’architecture industrielle, le Lingotto fut construit de 1916 à 1923 par l’architecte Giacomo Mattè Trucco qui s’inspira de l’usine Ford de Highland Park. Mesurant plus de 150 000m2 et 500 mètres de longueur, le Lingotto est l’une des premières constructions entièrement conçues en béton armé à Turin. Ce centre industriel majeur en Italie ferme ses portes en 1982. Le site devient le reflet du déclassement des zones industrielles. Un an après, l’architecte Renzo Piano remporte le contrat de réaménagement de l’usine. Le projet architectural défend le recyclage industriel et la revalorisation du lieu comme un morceau de ville dans la ville. Ainsi dialoguent sur cinq étages, bureaux, logements, hôtels, commerces, restaurants, centre des congrès, héliport, auditorium Giovanni Agnelli, et la Pinacothèque Agnelli inaugurée en 2002. L’architecture intérieure originelle ne trahit pas la mémoire du lieu. Le centre commercial accueille ses visiteurs par la chaîne de montage en spirale qui dessert chaque étage jusqu’à la toiture du bâtiment : la Pista 500. Véritable emblème du site et prouesse architecturale, les 1,5 kilomètre de la Pista 500 deviendront iconiques, et figureront dans le film The Italian Job de Peter Collinson en 1969. Sous la demande de Giovanni Agnelli, Renzo Piano complète cet espace par la Bolla, un ovni entièrement constitué de verre qui a pour fonction d’être une salle de réunion panoramique pouvant accueillir une vingtaine de personnes. Le réaménagement du site fut également l’objet d’un questionnement environnemental.
Benedetto Camerana et Cristiana Ruspa du Giardino Segreto Studio conçoivent un jardin de 28 mètres de hauteur, inséré au cœur du Lingotto et composé de plus de 40 000 plantes et 300 espèces et variétés choisies selon un critère écologique : utiliser uniquement des plantes du Piémont et des zones limitrophes.
« La Pista 500 est le plus grand jardin sur toit d’Europe, et la décision de la
construire sur le toit d’une usine du début du XXe siècle a pour nous une valeur
hautement symbolique : un lieu qui, il y a cent ans, était une source de pollution par
excellence, et une piste qui était alors secrète et inaccessible, et qui devient
aujourd’hui un jardin ouvert à tous les habitants de Turin. Tout cela souligne le fait
que notre objectif n’est pas seulement de promouvoir les voitures : notre nouvelle
voie inclut également le respect du climat, de la communauté et de la culture. »
Olivier François, PDG de FIAT et CMO de Stellantis, Stellantis.
À gauche : La Bolla, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©SB.
À droite : Le Scrigno, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©LS.
Au XXe siècle, après que le Château de Rivoli ait été endommagé par l’armée et que le mobilier ait été vendu durant la période napoléonienne, la Région Piémont décide de prendre le château en prêt à usage pendant 29 ans et de le restaurer sous l’égide de l’architecte turinois Andrea Bruno à l’occasion du centenaire de l’Unité d’Italie en 1961. Le budget étant trop moindre pour l’ampleur des travaux, le bâtiment ne put se satisfaire que de réparations structurelles avant que les murs, les plafonds, les fresques et stucs ne soient de nouveau infiltrés par l’eau quelques années après, provoquant des effondrements. Face à cette urgence patrimoniale, la Région du Piémont s’engagea dans des campagnes de travaux en vue de créer un établissement recevant du public et d'accueillir un musée d’art contemporain, inauguré en 1984. À la structure du bâtiment, conservée pour les parties n’ayant pas souffert des dommages précédents, s’ajoutèrent des structures modernes en acier et en verre. L’escalier de métal à l’intérieur du bâtiment dédié aux expositions temporaires, l’ascenseur entièrement constitué de verre laissant le visiteur entouré du paysage environnant, et le plongeoir panoramique en verre au troisième étage du bâtiment abritant l’exposition permanente - donnant alors la possibilité au visiteur de se retrouver seul face à l’intensité de ce bâtiment et des paysages du Piémont qui l’entourent - sont désormais devenus des éléments incontournables de l’architecture du château. Néanmoins, d’autres problématiques se posent quant à la restructuration du site de Rivoli, rappelons-le, situé sur une colline dans les hauteurs de la ville de Rivoli. De 2007 à 2010, la refonte du flanc de la colline sud-est est confiée aux architectes autrichiens Hubmann Vass afin d’estomper cet effet de frontière et de créer un lien plus fort entre la ville et le Château de Rivoli. L’ascension, alors simplifiée par des escaliers et des escalators, prend la forme d’une route linéaire, où, à chaque pallier, le flâneur rencontre une nouvelle perspective de Rivoli et de son château.
À gauche : Escalier métallique, intérieur de la Manica Lunga, Château de Rivoli ©LS.
À droite : Extérieur de la Manica Lunga, Château de Rivoli ©LS.
Une nouvelle vie à travers l’art contemporain
Le marquis Panza di Biumo, important collectionneur d’art contemporain, vient en aide à Rivoli en quête d’un lieu où installer une partie de sa collection. C’est en 1984 que le musée d’art contemporain est inauguré dans le château qui devient un complexe à vocation publique et culturelle, ayant même l’honneur d’être le premier musée d’art contemporain d’Italie ! Le musée s’articule sur trois étages d’exposition dans le château : deux étages comprenant la collection permanente axée sur l’Arte Povera (Art Pauvre), la Trans-avant-garde, le Minimalisme, le Body Art (art corporel) et Land Art (utilisation des matériaux de la nature), et le troisième étage réservé aux expositions temporaires. Le troisième étage de la Manica Lunga est également un espace d’exposition temporaire.
Au Château de Rivoli, l’art contemporain est insufflé par des artistes venus spécialement à Rivoli pour produire des œuvres in situ au sein des pièces du château et de la Manica Lunga, mais s’inscrit également dans leurs thématiques et programmations d’expositions temporaires. Depuis son ouverture, le château a mis en avant de nombreux artistes italiens (Giovanni Anselmo, Lucio Fontana, Luciano Fabro, Mario Merz, Giuseppe Penone...), et des artistes internationaux comme Richard Long, Christian Boltanski, Karel Appel, ou encore Otobong Nkanga. Si nous nous concentrons sur les artistes italiens, nous remarquons que ces derniers appartiennent pour la plupart au mouvement de l’Arte Povera. Cette thématique se révèle être récurrente au sein du site depuis son ouverture dans les années 1980. La dernière en date est celle intitulée Mutual Aid – Art in collaboration with nature (31.10.24-23.03.25) portée par Marianna Vecellio et Francesco Manacorda et traitant de l’interdépendance entre les humains et la nature, des années 1960 à nos jours. Cette exposition présente des œuvres engagées portées par des artistes de l’Arte Povera et des artistes influencés par la réflexion critique et artistique de ce mouvement des années 1960 à Rome et Turin. Ce mouvement s’accorde au cadre naturel du Château de Rivoli, situé sur les hauteurs de la ville avec vue directe sur les Alpes. L’identité du musée se dessine alors grâce aux réflexions critiques artistiques actuelles (écologiques, numériques, technologiques, géopolitiques)défendues au sein de ses parcours temporaires et permanents.
La collection de la Pinacothèque Agnelli est également constituée par un collectionneur d’art : Giovanni Agnelli, une personnalité italienne importante, à la fois copropriétaire et dirigeant du groupe FIAT. Il a constitué au fil des décennies un ensemble prestigieux de peintures et de sculptures, avec son épouse Marella Caracciolo. À l’origine destinée à revêtir les murs de leurs résidences privées, la collection Agnelli porte l’empreinte d’une sélection personnelle et intime rassemblant des chefs d'œuvre de l’art européen, parmi celles de Canaletto ou Canova, reflétant son goût pour les grands maîtres de l’histoire de l’art, mais également Matisse, La Baigneuse blonde de Renoir, Picasso, etc. Giovanni Agnelli joue également un rôle central dans la promotion de l’art en occupant des postes dans les conseils d'administration d’institutions renommées parmi le Palazzo Grassi, le Louvre et le Moma. En 2002, Giovanni Agnelli lègue à la ville de Turin une collection de 25 tableaux en l’installant au cœur du Lingotto, dans les salles permanentes de la Pinacothèque Agnelli.
Entre conservation et innovation : une expérience muséale singulière avec de nouvelles formes de réactivation des lieux par les artistes
Ancien site industriel, la Pinacothèque Agnelli est réactivée grâce à des sculptures et des installations sonores présentes sur la Pista 500 qui sont le résultat de commandes de la Pinacothèque passées auprès d’artistes. A titre d’exemple, l’institution fait appel en 2023 à Alicja Kwade pour réaliser Against the Run, une sculpture s’intégrant à merveille entre les parterres de fleurs de la Pista 500 car gardant un lien entre passé et présent. L’horloge, d’apparence ordinaire à première vue, a ses aiguilles qui semblent se déplacer vers l’arrière alors qu’en vérité, c’est le cadran de l’horloge qui bouge, tandis que les aiguilles continuent de marquer l’heure exacte. Cette horloge en aluminium se connecte à l’histoire de l’usine Lingotto car le design s’inspire du modèle À gauche : Against the Run, Alicja Kwade, 2023, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©SB.
À droite : Horloge présentée dans l’exposition Casa FIAT ©Pinacothèque Agnelli.d’horloge utilisé historiquement dans les usines FIAT. Cette évocation du rôle central que jouait la mesure du temps dans l’usine en tant qu’indicateur principal de la productivité des travailleurs fait aussi référence au « coup des aiguilles de l’horloge ». En 1920, en opposition à la mise en œuvre de l’heure d’été, les ouvriers FIAT Brevetti de Turin décident de reculer d’une heure toutes les horloges de l’usine.
À gauche : Against the Run, Alicja Kwade, 2023, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©SB.
À droite : Horloge présentée dans l’exposition Casa FIAT ©Pinacothèque Agnelli.
Les installations sonores dans l’espace extérieur sont exploitées aussi bien à la Pinacothèque Agnelli qu’au Château de Rivoli. A la Pinacothèque, l’œuvre sonore Temps mort (Échauffement de Melody) (2022) de Cally Spooner est conçue avec et pour les espaces de l’ancienne usine FIAT. Cette partition pour violoncelle résonne dans les cinq étages de la rampe que les ouvriers utilisaient pour amener les voitures des chaînes de montage à la piste d’essai sur le toit du Lingotto. La mélodie, Suite pour violoncelle n°1 en sol de Bach (Prologue), est rythmée par un « bip » intermittent, un écho à un des bruits présents dans les usines. Ce travail sur les formes de contrôle et de répartition du temps entre en résonance, comme chez Alicja Kwade, avec le travail à la chaîne et la difficulté à distinguer son temps libre de son temps productif. Le travail de Cally Spooner sur l’exploration de temporalités différentes - de la musique classique dans un lieu industriel, une rampe en béton armé froide et vide - donne à ce site une dimension mystérieuse. Un médiateur invite les visiteurs à poursuivre leur visite de la Pista 500 vers cette rampe qu’on ne voit pas au premier abord. En arrivant devant cette dernière, cet important rappel visuel nous remémore la rampe que nous avons vue en entrant dans le centre commercial ; elle s’impose à nous comme élément principal. Si les visiteurs ne sont pas au courant de l’existence de la Pista 500 ou ne sont tout simplement pas venus visiter la Pinacothèque, cet élément imposant en béton surprend. C’est pourquoi, en arrivant par le haut de cette rampe par le biais de la Pista 500, tout s’éclaire : cette rampe étrange vue du centre commercial qu’on n’ose explorer est en fin de compte réinterprétée quelques étages plus haut, de façon sonore, en donnant du sens à cet espace, et de ce fait, le fait revivre.
Les installations sonores sont présentes au Château du Rivoli à l’entrée des escaliers extérieurs menant au parcours permanent. Néanmoins, les musiques, The Internationale (1999) de Susan Philipsz et Senza Titolo (Untitled) (1995) de Max Nehaus, sont beaucoup moins évocatrices qu’à la Pinacothèque Agnelli. Les visiteurs ne comprennent pas le lien créé entre les musiques proposées, ce qu’ils entendent, et le lieu. De plus, les cartels ne sont pas d’une grande aide car, si nous ne connaissons pas les musiques proposées, même en lisant les explications données sur les œuvres sonores, nous ne savons pas quelle musique citée correspond à ce qu’on entend. Toutefois, ce site historique est tout aussi bien investi au sein des espaces permanents qu’à la Pinacothèque, en axant le travail des artistes sur des installations ou créations in situ. La salle dédiée à SolLeWitt soulève la question de l’enlèvement ou du renouvellement de l’œuvre qui est plus complexe, car l’artiste a peint une multitude de couleurs sur les quatre murs et le plafond. Comment renouveler le parcours permanent avec des œuvres créées in situ à-même les murs ? Faut-il changer les œuvres ne nécessitant qu’un transport d’une réserve d’œuvres aux salles ? Repenser totalement les espaces et repeindre les murs en blanc pour exposer de nouvelles œuvres ou faire appel à un nouvel artiste pour une création in situ ?
A l’occasion d’expositions temporaires, les commissaires d’exposition réalisent des commandes auprès d’artistes qui investissent le lieu et dont les œuvres sont ensuite
laissées au sein du parcours permanent. Ce fut le cas pour Roberto Cuoghi qui, à l’occasion d’une exposition monographique lui étant dédiée en 2008, a créé SS(IZ)m
dalla serie / from the series Pazuzu (2010) qui s’inscrit remarquablement dans la salle 12 du parcours permanent. Au premier abord, nous pourrions penser que cette œuvre trônant au milieu de la pièce est réalisée en marbre noir, tandis que cette dernière est conçue à l’aide d’un système digital qui a reproduit à l’identique la Statuette du démon Pazuzu, conservée au musée du Louvre à Paris. Cette créature apotropaïque à deux visages, divinité secondaire de Mésopotamie, dialogue avec les bustes de sculptures classiques de femmes et d’hommes du château. Cette association d’ancien - bustes en marbre et peintures murales du XVIIIe - et de contemporain, permet au Château de Rivoli d’avoir une identité forte quant à l’implication de l’art actuel au sein d’un passé historique troublé par les changements de règnes, pillages, et adaptations du lieu. La dualité entre palais d’agrément et œuvres contemporaines passe aussi par l’installation d’œuvres audiovisuelles. Les vidéos, les images et les sons nous immergent dans des dispositifs dénonçant le consumérisme et les conséquences environnementales et technologiques. Ces ambiances ambivalentes sont l’exemple-même de l’évolution du lieu : des plafonds peints avec des scènes allégoriques, aux écrans projetant des images de robots.
À gauche : Statuette du démon Pazuzu en bronze, surmontée d’un anneau de suspension, Assyrie, vers le VIIe siècle avant JC, Musée du Louvre ©Musée du Louvre.
À droite : SS(IZ)m dalla serie Pazuzu, Roberto Cuoghi, 2010, Château de Rivoli ©LS.
Comment ces lieux s’adressent-ils aux publics ?
Le Château de Rivoli adopte une médiation écrite particulièrement accessible aux publics les moins avertis. Dans son exposition permanente comme dans l’exposition
temporaire Mutual Aid. Arte in collaborazione con la natura, les cartels bilingues (italien et anglais) s’éloignent du langage souvent hermétique des lieux d’art contemporain. Ils décrivent de manière simple la démarche de l’artiste et le processus de création de l'œuvre lorsqu’il a lieu. Ce mode d’adresse favorise une meilleure appropriation de l’art contemporain, souvent perçu comme élitiste ou abstrait. À l’inverse, la médiation écrite à la Pinacothèque Agnelli adopte une approche plus traditionnelle, notamment dans le cadre de son exposition temporaire, Salvo.Arrivare in tempo. Ici, les cartels sont délaissés au profit des textes de salles, qui fournissent des clés de lecture générales plutôt qu’une approche œuvre par œuvre. Ce parti-pris pousse le visiteur à observer, contempler, des toiles de l’artiste Salvo, à s'imprégner de leur atmosphère colorée sans nécessairement chercher à en comprendre immédiatement le sens ou l’origine. Est-ce un parti-pris délibéré ? Contempler l’art, le ressentir, n’est-ce pas également lâcher prise sur la volonté de le comprendre, de le cerner ? Cette approche peut certes générer une certaine frustration chez les visiteurs.
Dans l’offre de médiation orale, les deux institutions présentent des différences notables. A la Pinacothèque Agnelli, les salles et les visites guidées semblent davantage être fréquentées par un public averti, touristes ou scolaires d’âge mûr, qui déambulent aux côtés des médiateurs de la Pinacothèque. Tandis que sont majoritairement des groupes scolaires élémentaires et secondaires qu’on retrouve au sein des expositions du Château de Rivoli. Cette fréquentation peut s’expliquer par la situation géographique du lieu emblématique, alors seul musée situé dans la commune de Rivoli, mais également par le choix des œuvres exposées. Des installations comme Tube de Trichoptère #1 réalisé par Hubert Duprat ou Le lâcher d’escargots de Michel Blazy, incongrues, loufoques, captivent les jeunes visiteurs en facilitant une appréhension de l’art contemporain. Pourtant, le parcours permanent du Château de Rivoli ne se prive pas d’exposer des œuvres plus déroutantes encore. Novecento de Maurizio Cattelan, son cheval naturalisé pendu à une corde au centre d’une salle illustre parfaitement le goût de choquer, la volonté de susciter un malaise. Cette œuvre aujourd’hui emblématique de la collection interroge sur son mode de présentation, difficile d’accès pour un jeune public et dépourvu de trigger warning. Bien que les deux institutions semblent accueillir le jeune public, une limite demeure, celle d’un parcours spécifiquement conçu pour les enfants ou familles en visite libre. Si certaines œuvres du Château de Rivoli favorisent naturellement leur compréhension dans les cartels écrits, aucun fil rouge spécifique n’est proposé.
Novecento, Maurizio Cattelan, 1997 cheval empaillé, élingues en cuir, corde, Château de Rivoli ©LS.
Conserver la mémoire, conserver le patrimoine ?
Réaménager un site historique, c’est faire un choix, celui de conserver ou de transformer, celui de mettre en valeur le passé ou d’intégrer le contemporain, le château de Rivoli en est un exemple troublant. L’architecte Andrea Bruno, lui, adopte une approche qui interroge notre rapport au patrimoine : doit-on restaurer intégralement ou laisser visibles les marques du temps ? Comment réaménager un site sans altérer sa mémoire ? Dans la Manica Lunga, bâtiment abritant l’exposition temporaire, Andrea Bruno manie l’équilibre de la conservation du site et de sa restructuration en optant pour des structures en acier et en verre qui préservent la lisibilité extérieure du bâtiment et de ses formes archaïques. Certains espaces de l’exposition permanente sont restaurés, à l’image d’une salle située au premier étage, érigé par Filippo Juvarra, ou de l’appartement du duc d’Aoste. D’autres sont volontairement inachevés, les fresques alors presque effacées, les lacunes des stucs conservées en abandonnant l’idée d’une reconstitution fidèle de l’époque des Savoie. Ces choix font d’Andrea Bruno un pionnier de la réversibilité. Ces altérations fascinent, invitent à la nostalgie, à l’imagination d’une vie antérieure que le temps a tenté d’effacer de ces murs. Alors que ces vestiges semblent pourtant si évocateurs, le musée d’art contemporain les rend presque absents en renonçant à accompagner le visiteur dans un historique détaillé. Aucun cartel ni texte de salle n’évoque l’histoire du lieu à l’intérieur des parcours, là où la présence de l’art contemporain pourrait prendre le dessus sur l’identité plurielle du château.
The Salt Traders (I commercianti di sale), Anna Boghiguian, 2015, Château de Rivoli ©LS.
À l’inverse, la Pinacothèque Agnelli adopte un parti-pris distinct dans la valorisation de l’histoire du Lingotto. Si le bâtiment a été transformé, l’histoire industrielle du lieu
reste omniprésente. Au carrefour de la boutique, la bibliothèque, la cafétéria et des accès aux expositions temporaire et permanente, l’exposition Casa FIAT, imaginée en collaboration avec l’entreprise, retrace l’évolution de FIAT depuis sa création en 1899 jusqu'à aujourd’hui. Photographies d’archives, structures de modèles FIAT, affiches de réclame, maquettes et objets iconiques témoignent de la continuité entre l’histoire du site et son usage actuel du lien étroit entre l’architecture futuriste du lieu et le design automobile. Aujourd’hui, FIAT et le Lingotto continuent de nouer des liens avec d’autres institutions voisines comme le Musée de l’Automobile, le Centre historique FIAT et le Heritage Club dans laquelle objets de collection et archives sont présentés.
Séléna Bouvard & Léa Sauvage
En savoir plus :
Pinacothèque Agnelli : https://www.pinacoteca-agnelli.it/en/
Château de Rivoli : https://www.castellodirivoli.org/en/
#Artcontemporain #Architecture #Patrimoine

Recommencer ce monde - Grande Ville : Chercher sa place dans un environnement en mutation
Cet article propose de croiser deux expériences, celle de la performance Recommencer ce mondeau Théâtre du Fil de l’eau et celle de l’exposition Grande Ville aux Magasins Généraux : deux propositions culturelles qui insèrent au cœur du tissu urbain parisien les questions écologiques et sociales.
© Denis Darzacq
Deux manifestations, une implantation géographique
Des dispositifs artistiques multiples questionnant les représentations de nos environnements vécus, urbains et naturels, et nos rapports à eux.
Recommencer ce monde (Les créatures fabuleuses)
Des muséographies propices au désir de renouveler le regard porté à ce(ux) qui nous entoure(nt).
Grande ville
Curatée par Anna Labouze et Keimis Henni (fondateurices d’Artagon), Grande ville regroupe, jusqu’au 17 novembre, 23 artistes et un collectif sur le plateau d’exposition des magasins généraux. Sans distinction de parties ou de parcours, le projet est une invitation à explorer des nouveaux horizons et à penser des modes de vie urbains renouvelés.
Alors que le titre, Grande ville, pourrait s’emplir d’images grises et de béton, de violence ou d’impasses, chaque artiste exprime intimement son rapport vécu à l’environnement urbain. La douceur et la vitalité qui émanent de cette exposition sont immédiatement visibles à travers la profusion de couleurs, les installations textiles et les propositions joyeuses d’investissements des espaces citadins : projet de faux déboulonnement de la statue de Gallieni, orchestré par l’artiste Ivan Argote, l’activiste Françoise Vergès et le journaliste Pablo Pillaud-Vivien, ou encore série photographique de Randa Maroufi qui met en scène des groupes de femmes dans des espaces généralement investis par des hommes.
CHOUROUK HRIECH - LA VOCE DELLE LUNA #1 © Chourouk_Hriech - Courtesy Galerie Anne-Sarah Bénichou
Volontairement non cloisonné, l’espace permet à chaque visiteureuse d’associer librement les oeuvres, en explorant ses propres chemins de désirs. Cette notion, utilisée notamment en géographie et en urbanisme, désigne des axes de circulations qui apparaissent spontanément à la suite d’un emprunt régulier par les humains mais aussi les animaux et contournant les passages existants ; les tracés habituels. Ici, cela permet la création d’une visite personnelle et unique, propice à inciter chacune à prendre le temps, à s’approprier l’espace ; le vivre.
© Marc Domage
Susciter l’espoir, initier le changement.
JEAN CLARACQ - Grindrs Hookup - 2017 © Jean Claracq - courtesy Galerie Sultana - Paris
Sasha Pascual
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Crédit photos :
- Recommencer ce monde : © Denis Darzacq avec l’aimable autorisation du festival d’automne
- Grande ville :© Chourouk_Hriech - Courtesy Galerie Anne-Sarah Bénichou, © Marc Domage, © Jean Claracq - courtesy Galerie Sultana - Paris, avec l’aimable autorisation des magasins généraux
#artcontemporain #écologie #natureculture

Régionalisation de l’art moderne au cœur de la Moselle
Le centre Pompidou à Metz a été le premier grand centre culturel national qui a abordé la décentralisation. Conçu en 2003, il a finalement ouvert en 2010. Le centre a pour mission d’être l’une des plus importantes plateformes pour la diffusion de l’art moderne, accueilli par la Lorraine et son envie de développer le secteur culturel, je dirais que c’est un pari gagné car je suis arrivée bien avant le moment de l’ouverture et il y avait déjà du monde qui attendait. On pourrait se demander, si le challenge de la décentralisation a bien été relevé ? Et bien, pour répondre, je vais vous dire que le projet a su conserver le concept d'espaces complètement modulables et susceptibles de s’adapter à des usages évolutifs et selon les besoins, qui ont si bien fonctionné à Paris.
On retrouve aussi des éléments qui nous rappellent le "Centre modèle", notamment les gros tuyaux qui sont visibles un peu partout dans la structure. En tant qu’étrangère cette découverte est justement l’idée que je me faisais d’un centre Pompidou, ailleurs. Exemple qu’après ont suivi : le Louvre-Lens, qui a ouvert ses portes au mois de décembre 2012, et Versailles avec le partenariat qui s’est mis en place au Musée des Beaux Arts d’Arras.
Ces deux derniers ont décidé d’injecter des ressources dans la naissante « Région des Musées » du Nord Pas-de-Calais. Mais, revenons à la Moselle,où on peut vite se rendre compte que le projet architectural de Shigeru Ban a été inspiré de l’architecture de la région, principalement des colombages et son bois si évident et chaleureux, et la touche de modernisme avec ces grandes fenêtres qui s’ouvrent et nous laissent découvrir de belles vues sur la ville, que les touristes trouvent plutôt « sympathique » pour faire une photo-souvenir.
Crédits : A.Vázquez
Au moment de ma visite, l'exposition de la deuxième salle portait sur les dessins muraux de Sol LeWitt entre 1968 et 2007, artiste qui porte bien le drapeau de l’art contemporain, et plus précisément de l’art conceptuel. Il a vraiment poussé ce dernier au point de ne valoriser que le concept : il a créé des œuvres (avec un répertoire simple,des lignes et des figures géométriques primaires) qu’il a minutieusement détaillées et réduites à une série d'instructions simples et concrètes, qui pourraient être reproduites par n’importe qui, n’importe où dans le monde. Ce qui m’a paru s’inscrire tout a fait dans l’esprit du Centre Pompidou, qui lassait le visiteur face à l’œuvre tout en restant disponible (via du personnel), si une médiation assistée était nécessaire.
Crédits : A.Vázquez
La troisième salle hébergeait une exposition en partenariat avec le Fond Régional d’Art Contemporain (FRAC) Lorraine, ensemble, ils ont trouvé la façon de rendre une exposition photographique en une expérience peu commune mais inoubliable ! En effet il s’agissait de rentrer dans une salle complètement plongée dans le noir, et de découvrir à l’aide d’une lampe torche les 200 œuvres présentées sur les murs.
Voilà une nouvelle façon de découvrir la photographie, au fur et à mesure que l’on avance, on est pris par l’émotion de la découverte, on ne sait pas ce que nous allons trouver. Ceci dit, l’expérience de ma visite était extraordinaire !! Avec à peine 2 ans d’ouverture il est encore tôt pour évaluer la réussite du projet, mais je vous invite à suivre de près cet établissement.
A. Vázquez
Rencontre avec Julien Salaud
Vous vous souvenez de L’extraordinaire voyage au Musée de la Chasse et de la Nature ? Cet article vous avait donné envie d’en savoir plus ? Il vous a rendu curieux de la programmation ? Ça a été mon cas également.
Le Musée de la Chasse et de la Nature est depuis plusieurs années l’un de mes favoris à Paris… mais depuis Arras,je ne suivais plus très bien son actualité. Grand mal m’en a pris ! Sans l’article publié sur L’Art de Muser, j’aurais surement manqué la visite organisée en présence de Julien Salaud pour l’exposition qu’il présentait jusqu’à la mi-juin !
Cela aurait été fort dommage, car cette visite a été un beau moment. Voici le témoignage de cette rencontre avec Julien Salaud.
Cerf aux bois perlés- Julien Salaud ©ALBC
La visite à laquelle j’ai assistée s’est passée lors du bel après-midi ensoleillé du 07 juin 2015. J’avais réservé par mail quelques jours auparavant et m’étais rendue avec hâte au musée.Visiter ce musée est toujours une joie, un moment d’évasion un peu à part, mais le faire en présence d’un artiste qui présente ses œuvres, c’était pour moi une expérience inédite. C’est donc avec le sourire aux lèvres, mon appareil photo autour du cou et mon calepin à la main que je m’y suis rendue.
Julien Salaud est un jeune artiste de 38 ans. Il travaille à Orléans et a déjà été présenté dans des lieux importants tels que la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) et le Palais de Tokyo. Quoi que jeune, il est donc reconnu sur la scène artistique. Malgré tout, c’est quelqu’un de très accessible. La visite s’est déroulée comme une discussion, il nous a commenté ses œuvres, leur réalisation, ses inspirations, a parlé de lui en tant qu’artiste, a raconté des moments qui l’ont marqué, nous a expliqué certaines des réflexions qui nourrissent son travail.
Le groupe était assez nombreux, environ une vingtaine de personnes, mais nous pouvions quand même lui poser des questions. C’est ce qu’il attendait de cette visite-discussion : un véritable échange entre lui et son public. Le moment était donc détendu et agréable.
La visite s’est déroulée de manière classique : nous avons suivi le parcours d’exposition prévu, c'est-à-dire les quatre salles qui lui étaient consacrées. La première a servi d’introduction. Dans les autres l’artiste nous présentait son travail en se ivrant. S’il nous a présenté son Cerfaux bois perlés il nous a aussi parlé de ses réflexions sur la mort. Cette œuvre est pour lui comme une chrysalide, une interrogation sur la mort considérée comme un état mais il laisse la possibilité à chacun d’y voir ce qu’il souhaite.
Son discours était ponctué d’anecdotes. Comment a-t-il fait pour enfiler toutes ces perles ? Il les a placées dans un tourne-disque. Lorsqu’il le mettait en marche, les perles s’enfilaient toutes seules sur l’aiguille qu’il avait posée au ras de l’appareil. Vous pourrez essayer chez vous si le cœur vous en dit.
D’une manière tout à fait détendue il nous a présenté son Faisanglier : « C’est Günter ! » … avant de livrer des réflexions sur son travail.S’il a sa propre technique de plumassier, il ne serait pas contre une formation. Dans tous les cas, il ne se considère pas comme un artisan mais bien comme un artiste.
Auparavant il tannait lui-même mais il a dû arrêter à cause des odeurs. Ce qu’il aimait dans cette activité était ce paradoxe entre la beauté et l’odeur, ce paradoxe qui laissait comme un espace de liberté. Paradoxe que l’on retrouve dans cette œuvre où deux espèces cohabitent pour n’en forme qu’une seule.
Faisanglier et Julien Salaud © ALBC
Les anecdotes et explications sur ses œuvres ont continué au long des deux autres salles, toujours dans un esprit de convivialité où l’artiste se présentait tel qu’il est sans se placer au dessus des autres. Alors merci à Anne Hauguel d’avoir écrit à temps son article. Merci au Musée de la Chasse et de la Nature d’avoir programmé unetelle rencontre. Et merci à Julien Salaud pour cette véritable rencontre.
Aénora Le Belleguic-Chassagne
Ensavoir plus :
http://blog.julien-salaud.info/
Pour voir ces oeuvres en ce moment :
- Corps recomposés. Greffe et art contemporain. Scriptorial, Musée des Manuscrits du Mont-Saint-Michel, Avranches
- Jusqu'au 20 septembre 2015
- Chasseur sachant chasser
- Les chasses seigneuriales au 16e siècle, Château de Kerjean, Saint-Vougay
#Rencontre
#JulienSalaud
#MuséedelaChasseetdelaNature
Rencontre avec l'artiste Lou Motin dans son atelier au Sprinkler
Étudiante en muséographie, je m’intéresse aux espaces d’expérimentations politique et sociale que peuvent être les musées et les centres d’art. J’aime imaginer que les institutions culturelles du futur seront des lieux de sensibilisation écologique, des lieux de récits et d’écoute du vivant mais aussi des personnes et des écosystèmes. J’ai rencontré l’artiste Lou Motin à l’occasion de l’ouverture du Salon de Montrouge (février 2025) oùl’on pourra découvrir son travail afin d’aborder ensemble ce que pourraient être des formes decréation et de production durable mais aussi des espaces d’exposition désirables.
© Lou Motin, Fragments du GIEC, P2.
David Altmejd, The Vibrating Man: The Fractured Prism, 2019
Plexiglas, expanded polystyrene foam, quartz, resin, epoxy gel, epoxy clay, Spandex, acrylic paint, bronze, glass eyes, synthetic hair, graphite and glass gemstones
Figure: 45 x 39 x 54 in. (114.3 x 99.1 x 137.2 cm)
© the artist. Photo © White Cube (Kitmin Lee)
Le deuxième souvenir c’est une exposition plus récente, Les fantômes d’Orsay, au musée éponyme. Sophie Calle y a travaillé avec un archéologue sur des collections de textes et d’objets qu’elle a récupéré quand elle se promenait en 1978 dans l’ancien hôtel d’Orsay, avant sa destruction. L’archéologue a produit deux séries de textes, l’une où il prend sa casquette d’archéologue pour enquêter, analyser ce qu’il se passait dans cet hôtel, l’autre où il décide de se mettre dans la peau d’un archéologue qui viendrait se confronter à ces objets dans un futur plus ou moins proche et qui essaierait de comprendre ce qu’il voit. J’ai toujours bien aimé cette tension, les doubles discours; pouvoir déplacer le sens des objets et voir comment, en fonction de la manière dont tu les présentes, tu peux leur faire dire n’importe quoi. D’autres artistes ont d’ailleurs des démarches similaires.
SP : Cela fait par exemple écho à la série Futur antérieur du photographe Suisse Laurent Flutsch ! Il y crée des décalages, humoristique ou absurde, entre ses clichés présentant des objets du quotidien mais considérablement détériorés, marqués par le temps de manière exagérée, et ses légendes qui détournent les usages de ces objets. Ce travail a donné lieu à plusieurs expositions du même nom, dans les villes de Louvres et Lausanne. De ton côté tu utilises beaucoup la gravure sur des matériaux de récupération ou d’autres médiums techniques et chronophages qui évoquent l’artisanat d’art, domaine dans lequel tu as suivi des enseignements. Cela appelle à repenser le temps de la production mais aussi la façon dont se construisent les artistes actuels. Peux-tu nous parler de ta pratique artistique avec comme point d’entrée l’environnement dans lequel tu travailles? Peux-tu nous le décrire, et nous expliquer en quoi il est signifiant dans les sujets que tu abordes ?
LM : Le cadre est quelque chose d’assez primordial pour moi. Cela fait maintenant quatre ans que je travaille avec la même association, dont deux ans dans le même lieu, le Sprinkler. Notre objectif est d’avoir un équilibre entre artisan.es et artistes afin de mélanger ces deux catégories qui se côtoient, travaillent ensemble mais qui ne se comprennent pas forcément ou n’ont pas nécessairement les mêmes enjeux. L’idée était de réfléchir à comment rendre ces liens plus faciles. Cela impacte beaucoup ma pratique puisqu’au départ, lorsque j’ai intégré cet atelier, j’étais presque exclusivement axé.e sur l’artisanat. J’ai travaillé quatre ans en fonderie, à couler du bronze, avant d’ouvrir la mienne, Brut de Fonte, avec un ami. Il y a deux ans j’ai arrêté pour me consacrer à ma pratique personnelle. Une étape charnière dans mon parcours a été quand j’ai commencé à récupérer des matériaux que l’on jetait à la fonderie et qui n’étaient plus destinés à être regardés ou appréciés. Je trouvais qu’ils avaient encore un intérêt et, en les accumulant, je réfléchissais à la manière dont je pourrais les réemployer. Cela m’a amené vers une pratique de glanage assez locale où l’espace dans lequel j'évolue va vraiment me servir de point d’entrée dans ma pratique. Par exemple, en ce moment, je travaille avec des matériaux de construction, que ce soit des morceaux de murs ou des blocs de béton, car notre atelier est situé dans une zone industrielle qui génère ce type de rebuts. Si j’étais dans un atelier à l’atmosphère moins « urbaine », ma pratique évoluerait dans une autre direction puisque je travaille avec ce que je trouve, c’est ce qui m’intéresse.
© Lou Motin, Fragments de la Fresque Phi X174.
LM : J’ai pas mal de pièces dont je pense que la destination finale serait les musées d’archéologie. leur compréhension est liée justement au fait d’être dans des espaces qui ne sont pas dédiés à l’art contemporain. Parce qu’il y a un basculement du réel qui se crée. Un musée où les visiteureuses savent qu’iels vont voir de l’art contemporain crée des attentes, des imaginaires, on ne poseras pas le même regard sur les pièces. Si je dis alors que ce sont des fragments archéologiques on me répondra que non, que c’est de l’art contemporain, alors que s’ils s’insèrent dans un musée archéo c’est différent. Un lieu qui m’inspire beaucoup est le musée archéologique d’Ensérune (Minervois), un musée sur une colline avec des ruines gallo-romaines. Je le trouve très intelligent dans sa façon de raconter. Il montre aussi des fragments d’industrie de l’époque et cela crée un vrai lien avec mes thématiques de recherches.
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© Lou Motin, Question de point de vue, arbres-caméléons / Lou Motin, Fragments du GIEC, int.2.
Pour retrouver son travail :
- Instagram : https://www.instagram.com/lou_motin_/?hl=fr
- Site internet : https://linktr.ee/lou_motin
Autres liens utiles :
- Salon de Montrouge : http://www.salondemontrouge.com
- Musée d’Art Moderne : https://www.mam.paris.fr/fr/expositions/exposition-david-altmejd
- Musée d’Orsay : https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/sophie-calle-et-son-invite-jean-paul-demoule
- Le Sprinkler : https://lesprinkler.fr
- Musée archéologique d’Ensérune : https://www.enserune.fr
- Oran : https://oran-g.com/6422-2/
#Art contemporain #Salon de Montrouge #création émergente
Rencontre du 3ème type
Les images de ce film de Spielberg me sont apparues comme une évidence lorsque j’ai pénétré dans l’espace qui abrite « Map for unthought thoughts », pièce maîtresse de l’exposition Contact d’Olafur Eliasson présentée jusqu’au 23 février 2014 à la fondation Louis Vuitton.
Map for unthought thoughts, 2014 ⓒ SM
Les images de ce film de Spielberg me sont apparues comme une évidence lorsque j’ai pénétré dans l’espace qui abrite « Map for unthought thoughts », pièce maîtresse de l’exposition Contact d’Olafur Eliasson présentée jusqu’au 23 février 2014 à la fondation Louis Vuitton. Contact…, Contact est une affaire de contacts, mais qui contacte qui?C’est tout d’abord la fondation Vuitton qui contacte Olafur Eliasson pour la première exposition consacrée à un artiste contemporain au sein du bâtiment inauguré le 27 octobre dernier.
D’une surface de 11 000 m2, l’édifice comprend onze galeries dédiées à la présentation des collections permanentes, à la création et aux expositions temporaires. Il accueille également un auditorium et ses terrasses offrent une vue imprenable sur la capitale. Son architecture est le fruit d’un travail de recherche fortement imprégné par l’architecture de verre et de jardin de la fin du XIXe siècle. Quoi de plus naturel pour un édifice implanté à la frontière du bois de Boulogne et du jardin d’acclimatation.
Ce qui frappe particulièrement le visiteur, c’est l’assemblage de blocs recouverts de verre que l’architecte nomme « iceberg ». Mais quand j’observe le bâtiment dans sa longueur, il me fait plutôt penser à un insecte rampant en train de déployer ses nombreuses pattes pour avancer. C’est au niveau -1 que les installations de l’artiste danois rentrent en contact avec le vaisseau de Frank Gehry.
L’ensemble comprend trois grandes installations (« Map for unthought thoughts », « Contact » et « Inside the horizon ») entrecoupées de pièces de petites dimensions: « Touch », une météorite au nom incitateur, deux lentilles qui donnent à voir l’extérieur du bâtiment de l’intérieur, un geyser miniature nommé « Big bang » ou encore une sculpture vortex aux allures de corne d’abondance. Elles prennent place au sein d’un parcours au plan original, dominé par les formes circulaires et sinusoïdales.
L’alternance obscurité/lumière est un élément qui marque profondément l’exposition et que je garderais probablement longtemps en mémoire. Nous avançons dans l’obscurité sans savoir ce qui nous attend et régulièrement notre chemin croise celui de la lumière. Orangée, douce et apaisante, elle est matérialisée par une ligne filant le long d’un mur circulaire dans la salle qui abrite « Contact ». Blanche et agressive, elle nous éblouit lorsqu’elle éclaire périodiquement la fontaine du Big bang, tandis que le jaune crépusculaire rétro-éclairé des 43 piliers de « Inside the horizon » apporte bien-être et réconfort.

Contact, 2014 ⓒ SM
Nous ne sommes pas seuls dans cette quête de la lumière. À l’aide de leur lampe de poche, les agents de surveillance nous permettent de déambuler d’une salle à l’autre, nous guident et nous sécurisent. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils font eux-mêmes partis du dispositif. Que le temps de l’expérience, ils endossent le rôle de passeurs ; qu’ils sont « notre contact ».
Et puis il y a le miroir. Véritable leitmotiv, il est présent dans les trois grandes installations. Celui de « Map for unthought thoughts » donne l’illusion que nous nous trouvons dans une pièce circulaire alors qu’elle ne l’est qu’à moitié. Paradoxalement ce n’est pas sur notre reflet dans ce miroir que nous nous attardons mais sur notre ombre projetée sur le mur d’en face. Face à cette ombre légèrement tremblante et dans un rapport d’échelle complètement bouleversé, nous avons l’impression de faire une rencontre du 3ème type. Or, ce troisième type, ce n’est que nous. Nous face à nous-mêmes. Chacun examine alors son ombre, avance, recule, prend conscience de son corps, tente différentes postures et après avoir fait le tour de la question regarde autour de soi pour voir ce que fait l’autre et, souvent, reproduire ses gestes.

Rencontres du 3ème type, Steven Spielberg, 1977 ⓒ DR
Le miroir de « Contact » nous permet quant à lui de penser que la totalité de la pièce est encerclée d’une ligne lumineuse. Là, nous marchons sur un sol bombé comme à la surface du globe. Dans la semi-obscurité nous tentons de regarder notre reflet. Nous évoluons avec plus de retenue, probablement du fait de la lumière plus intimiste. Bizarrement c’est dans « Contact » que je perds un peu le contact.
Le parcours se termine dans le Grotto, une galerie extérieure dans laquelle Eliasson a installé une œuvre permanente commandée spécialement pour le bâtiment. « Inside the horizon » est faite de 43 piles triangulaires éclairées de l’intérieur, recouvertes de miroirs sur deux faces et de mosaïque jaune sur la troisième. Notre image y est démultipliée. En avançant entre les piliers, nous nous demandons pourquoi certains ne sont pas placés de la même manière que d’autres. Et avec un peu de chance, nous parvenons à trouver le point qui nous permet de nous admirer dans tous les miroirs en même temps.

Inside the horizon, 2014 ⓒ SM
Vous l’aurez compris, Contact est bien plus qu’une exposition (en est-ce une d’ailleurs?). Nous ne sommes pas là pour contempler l’œuvre d’Eliasson, nous sommes au cœur de l’oeuvre, nous faisons l’oeuvre. Nous avons affaire à une oeuvre immersive. La proposition de l’artiste nous amène à rentrer en contact avec nous-mêmes ainsi qu’avec les autres. Elle invite à s’interroger sur sa place au sein du groupe de visiteurs, et plus largement au sein de la société et même de l’Univers. L’Univers que la main d’Eliasson rend ici tangible. Sommes-nous si peu de choses comme on a coutume de le dire ?
Avec Contact, de manière subtile et sans violence, Olafur Eliasson nous offre l’opportunité d’être au contact et de prendre conscience de l’autre. Alors, saisissons cette opportunité.
Olafur Eliasson : Contact
Jusqu’au 23 février à La Fondation Louis Vuitton
Application Your exhibition guide, 2014 conçue par l’artiste à télécharger gratuitement sur l’App Store ou Google Play
http://www.fondationlouisvuitton.fr/
http://www.olafureliasson.net/
#EliassonFLV
Salgado Amazônia : plongée sonore dans la forêt brésilienne
Pour une lecture aussi immersive que l’exposition, munissez-vous de vos écouteurs pour écouter la création sonore Amazônia de Jean-Michel Jarre.
Après les incendies très médiatisés de 2019, l’Amazonie a de nouveau fait la une des journaux en mai 2021 en réaction à une étude révélant que la forêt amazonienne brésilienne était désormais émettrice nette de carbone, c’est-à-dire qu’elle rejette désormais davantage de carbone qu’elle n’en stocke. Cette nouvelle alarmante appelle à une prise de conscience de l’urgence écologique et humaine dans laquelle se trouve ce territoire : la déforestation et ses facteurs (exploitation de bois précieux, orpaillage, construction de barrages hydroélectriques, élevage bovin et culture intensive du soja) menacent le biome amazonien en le faisant approcher dangereusement du point de non-retour où celui-ci n’aura plus les moyens de se régénérer. La sécurité et la survie des peuples autochtones est aussi en jeu, l’exploitation illégale des ressources n’hésitant pas à empiéter sur leurs territoires.
C’est à partir du constat de ces prédations que se construit l’exposition Salgado Amazônia, visible à la Philharmonie de Paris du 20 mai au 31 octobre 2021. Plus de 200 photographies de Sebastião Salgado, captées par le photographe au cours de ses nombreux voyages dans la forêt brésilienne entre 2013 et 2019, y sont mises en valeur par la scénographie de Lélia Wanick Salgado. Une création sonore immersive de Jean-Michel Jarre, conçue à partir du fonds d’archives sonores du Musée d’Ethnographie de Genève, entre en dialogue avec ces clichés.
Economiste de formation, Sebastião Salgado débute sa carrière de photographe à Paris en 1973. Il collabore avec plusieurs agences de photographies, dont la célèbre Magnum Photos, jusqu’en 1994 où il fonde Amazonas Images, exclusivement dédiée à son travail. Ses projets photographiques, qui font l’objet de nombreux livres et expositions, le font voyager partout dans le monde. Wim Wenders lui consacre le très beau documentaire Le Sel de la Terre en 2014, qui remporte le prix Un Certain Regard à Cannes. Le projet AMAZÔNIA, consacré à l’Amazonie brésilienne et aux communautés autochtones qui l’habitent, a pour objectif de faire connaître ce territoire et ses habitants et de faire prendre conscience des menaces auxquelles ceux-ci font face. Très engagés pour la causé écologique, Sebastião et Lélia Salgado s’emploient eux-mêmes depuis les années 1990 à reboiser une partie de la forêt atlantique brésilienne dans l’Etat de Minas Gerais, victime de la désertification et de la déforestation. Ils ont créé en 1998 l’Instituto Terra, organisation qui assume des missions de reforestation, de préservation et d’éducation environnementale.
Une plongée visuelle et sonore dans la forêt amazonienne
Photographies aériennes de la forêt amazonienne (vue de gauche)
Jeux d’ombres stylisées au sol (vue de droite) © Marion Roy
Avant même de pénétrer dans la salle, c’est d’abord le son qui enveloppe le spectateur : entre musique concrète et électronique, cette création sonore à la fois inspirée de la bioacoustique et de l’ethnomusicologie saisit par ses basses orageuses et ses mélopées répétitives. Dès l’entrée, la puissance de la musique couplée à la pénombre de la salle transportent le public dans un espace à part, celui de la forêt amazonienne, qui n’est jamais représentée par mimétisme mais toujours évoquée symboliquement à travers une scénographie très minimaliste. Ici, pas de simili-végétaux ni de couleur vert-chlorophylle : les nuances de gris dominent, faisant écho aux photographies en noir et blanc de Sebastião Salgado. Les tirages grand format, encadrés et suspendus à hauteur de buste par un système de filins presque invisibles, sont magnifiés par une lumière qui semble presque émaner de l’intérieur. Cet éclairage crée un jeu d’ombres géométriques, très esthétiques, qui s’entremêlent au sol et mettent en valeur l’objet photographique dans l’espace. La densité de l’accrochage renvoie à celle de la forêt : le visiteur est invité à déambuler entre les quelque deux-cent tirages comme entre autant de troncs, à se perdre sur l’immense plateau ouvert de la salle d’exposition tout en définissant le sens de son propre parcours, en l’absence d’un unique cheminement préétabli. Trois structures elliptiques ponctuent la salle, créant un contraste par leur couleur rouge et leur caractère clos : la forme de ces espaces s’inspire des ocas, habitations traditionnelles communautaires de certains peuples autochtones d’Amazonie, afin de montrer qu’il s’agit d’une forêt habitée, loin de l’image fantasmée d’un « enfer vert » indompté et impénétrable.
Portraits et paysages : visages d’une forêt en péril
Espace ouvert et nuances de gris pour les vues de paysages (vue de gauche)
Espace fermés, formes fluides et couleur rouge des parois des modules inspirés des habitations traditionnelles (ocas) (vue centrale et de droite) © Marion Roy
Le parcours se construit autour d’un dialogue entre ces deux pôles : paysages naturels dans le vaste espace ouvert, portraits de peuples autochtones dans l’espace délimité des ocas.
Afin de rendre compte avec justesse de la diversité du biome amazonien – qui recouvre 63% de la surface du Brésil –, les photographies de paysages font la part belle aux vues aériennes, prises depuis un hélicoptère. Ces clichés, dépourvus de présence humaine, s’organisent selon cinq thèmes principaux : certains, comme celui de la forêt, sont très attendus, tandis que d’autres mettent en valeur des aspects moins connus du territoire amazonien tels que ses zones montagneuses ou l’archipel d’eau douce des Anavilhanas. D’autres encore détaillent des phénomènes spécifiques du biome amazonien, à l’instar des pluies torrentielles et des « rivières volantes » issues de la vapeur d’eau rejetée par les arbres de la forêt, essentielles au renouvellement des stocks d’eau douce de la planète. De courts cartels localisent et contextualisent chaque photographie en lien avec ces thèmes.
Sebastião Salgado, Parc National d’Anavilhanas, archipel fluvial du Rio Negro (Amazonas) (gauche);
Sebastião Salgado, Arbre de la région de la rivière Tapajos, près de Santarém (Pará) © Marion Roy
Bela Yawanawá, Village de Mutum, Territoire Indigène du Rio Gregorio (Acre), 2016 (gauche) ;
Chaman Moisés Piyãko Asháninka, Territoire Indigène Kampa do Rio Amônia (Acre), 2016 centre)
Têtê-Shavô, Village Marubo de Morada Nova, Territoire Indigène Marubo de la vallée de Javari (Amazonas), 2018 (droite) © Marion Roy
Ces photographies sont porteuses d’une puissance esthétique indéniable : dans la lignée de sa précédente série Genesis (2004-2011), Sebastião Salgado choisit de montrer la beauté de ce territoire pour convaincre de la nécessité de le préserver. Toutefois, on peut regretter que ces images ne se concentrent que sur l’aspect édénique de cet écosystème, en ne représentant jamais directement la violence des dégradations qui constituent pourtant une réalité de plus en plus préoccupante en Amazonie. Par ailleurs, le choix de séparer les peuples et le milieu dans lequel ils vivent en deux espaces scénographiques distincts, suivant la traditionnelle et occidentale distinction entre nature et culture, semble relativement classique. Cette séparation a néanmoins l’avantage d’être claire et didactique pour un public non spécialiste. Le lien entre les communautés photographiées et leur environnement est en outre établi à travers les vidéos présentées au centre des ocas : celles-ci mettent l’accent sur les luttes autochtones qui sont au cœur des témoignages présentés.
Donner la parole aux peuples autochtones amérindiens
Témoignage vidéo au sein d’un module oca © Marion Roy
Ces courts films documentaires, captés par le journaliste et spécialiste du monde amazonien Leão Serva, donnent directement la parole à des chefs, chamans ou autres représentants autochtones plutôt que de parler en leur nom. La scénographe Lélia Wanick Salgado souhaitait « faire entendre [aux visiteurs] les voix des peuples de la forêt, leur faire comprendre comment ils vivent et perçoivent le monde » (Journal sonore de l’exposition). Le visiteur peut ainsi voir s’exprimer, face caméra et dans leur langue respective, les chefs Afukaka Kuikuro, Kotok Kamayurá, Biraci Yawanawá et Piyãko Asháninka, le chamane Mapulu Kamayurá ou encore Davi Kopenawa Yanomami, le célèbre porte-parole des Yanomami. Ces témoignages viennent compléter les photographies de Salgado en faisant état des problèmes rencontrés par ces peuples face à la situation politique et environnementale au Brésil. Tous les témoignages évoquent les changements dramatiques qui ont eu lieu au cours des dernières décennies : sécheresses et température croissante, incendies, déforestation au profit de l’agriculture, de l’élevage et de l’exploitation du bois, pollution des sols et des rivières du fait de l’activité aurifère, menace des barrages hydrauliques, invasion de groupes de chasseurs… La majorité de ces témoignages n’hésite pas à dénoncer avec force le gouvernement de Bolsonaro, dirigeant climatosceptique qui voit l’Amazonie comme une ressource à exploiter, soutient les gros exploitants de l’agrobusiness et de l’industrie minière et ne cache en rien son hostilité envers les peuples autochtones. De chacune de ces vidéos émane une volonté forte de faire entendre sa voix, de s’organiser afin de résister et de répliquer. Le message qui sous-tend l’exposition passe donc explicitement par ces captations audiovisuelles, destinées à sensibiliser le public occidental à la situation et aux combats autochtones.
Première incursion en territoire bioacoustique
Cette sensibilisation passe aussi par les sens : la forte identité sonore de cette exposition justifie sa présence au sein de la Philharmonie, qui fait ainsi ses premiers pas dans le domaine de la bioacoustique. La création sonore de Jean-Michel Jarre, diffusée en stéréo dans tout l’espace de l’exposition, a été composée en écho aux photographies de Sebastião Salgado. Le pionnier de la musique électronique française, engagé en faveur de l’écologie depuis les années 1970, dit avoir construit cette musique hybride « comme [s’il] disposait d’une boîte à outils, constituée d’objets sonores singuliers », en mêlant des éléments naturels, ethnographiques, orchestraux et électroniques afin d’évoquer la forêt dans l’imaginaire des auditeur·rice·s. Une attention particulière a notamment été portée aux basses fréquences, particulièrement présentes dans un paysage sonore forestier (Journal sonore de l’exposition).
Cette création s’est nourrie des archives du très riche fonds ethnomusicologique du Musée d’Ethnographie de Genève, constitué d’une quarantaine d’heures d’archives dont environ trente ont été recueillies in situ au Brésil et en Guyane entre 1968 et 1992 par des spécialistes du monde amérindien. La composition de Jean-Michel Jarre intègre une quarantaine de sources sonores issues de ces archives, enregistrées entre 1960 et 2019 dans plusieurs lieux de l’Amazonie. A l’origine orientée vers les sons de la nature, cette création accorde finalement autant d’importance à la présence sonore humaine qu’aux éléments sonores non-humains, en accord avec la perspective animiste amérindienne selon laquelle les êtres humains et non-humains partagent la même intériorité. L’audition, la perception et la production du son possèdent une importance particulière du point de vue des peuples autochtones : pour eux, le son permet aux êtres humains, aux êtres invisibles et aux animaux de la forêt de maintenir des liens et de communiquer. La présence de cette pièce sonore au sein de l’exposition permet donc de vivre autrement cette déambulation muséale et d’évoquer la forêt par le sensible.
Deux salles de projection mêlent également expérience visuelle et auditive : des photographies de Salgado y défilent, accompagnées par Erosion (origine du fleuve Amazone) d’Heitor Villa-Lobos – compositeur brésilien qui s’est beaucoup inspiré de l’Amazonie – dans la première salle, et par la création d’un ensemble contemporain brésilien dirigé par Rodolfo Stroeter dans la seconde.
L’intérêt de cette exposition réside justement dans les regards croisés qu’elle porte sur l’Amazonie : regard photographique de Sebastião Salgado donnant à voir la diversité du territoire et des populations qui l’habitent, points de vue des peuples autochtones à travers les témoignages vidéo, évocation sonore de la forêt par la création de Jean-Michel Jarre qui mêle éléments électroniques évocateurs et archives ethnographiques anciennes et récentes. Les perspectives photographiques et musicales, artistiques et documentaires, historiques et actuelles, factuelles et sensorielles, s’enrichissent mutuellement et constituent autant d’entrées possibles pour sensibiliser le public à la complexité du territoire amazonien brésilien et aux menaces écologiques auxquelles il est aujourd’hui confronté.
Marion Roy
Pour aller plus loin :
En parallèle de sa présentation à la Philharmonie, cette exposition ouvrira également à São Paulo, Rio de Janeiro, Rome et Londres, afin d’éveiller le public le plus large possible à la menace écologique qui pèse actuellement sur l’Amazonie.
- La création sonore Amazônia, de Jean-Michel Jarre, est disponible sur YouTube
- Articles et podcasts de la Philharmonie en lien avec l’exposition
- Entretien avec Jean-Michel Jarre
#Salgadoamazônia #Philharmonie #Jean-micheljarre
Salope ! Et autres noms d'oiselles
« Grosse chaudasse », « pute », « sale chienne », « dégueulasse»… et évidemment, « salope ». C’est ce que réunissait l’exposition « Salope ! Et autres noms d’oiselles » à Paris du 29 septembre au 18 octobre 2017 pour une seconde édition, menée par Laurence Rosier, linguiste et écrivaine.
« Salope » ©Eric Pougeau, 2001
A la Fondation Maison des sciences de l’homme, l’exposition mettait l’accent sur un mot, ce mot : salope.
Archétype de l’insulte, ce mot suggère la saleté, la malpropreté, la répugnance, et vise directement les femmes, dites alors « femmes débauchées aux mœurs dépravées » selon la définition officielle. Une insulte qui s’attaque donc à un comportement jugé inapproprié dans une société hautement hypocrite, pensée par des hommes et pour des hommes.
Autour de ces insultes, aux systématiques références sexuelles révélatrices, huit artistes étaient réuni.e.s : Cécilia Jauniau, Sara Júdice De Menezes, Tamina Beausoleil, Martine Seguy, Christophe Holemans, Lara Herbinia, François Harray et Eric Pougeau.
Huit artistes autour de six figures féminines publiques : Marie-Antoinette, George Sand, Simone Veil, Margaret Thatcher, Christiane Taubira et Nabila Benattia.
On peut se demander : quel est le rapport entre Marie-Antoinette et Christiane Taubira ? Entre George Sand et Nabila ?! Une seule réponse : toutes ont été humiliées sous une déferlante d’insultes sexistes.
La mère est la putain
©Tamina Beausoleil
Avez-vous déjà remarqué qu’il n’y a pas d’équivalent masculin au mot « salope » (à ne pas confondre avec « salaud », ayant lui aussi son féminin désuet « salaude »), ou au mot « putain » ? Et, avez-vous aussi déjà remarqué qu’on compare plus souvent les femmes que les hommes à des animaux ? Elle est un thon,une morue, une dinde, une chienne, ou encore une cochonne.
Même lorsqu’on veut insulter un homme, un « fils de pute » nous échappe. Et on se retrouve à insulter sa mère.
Cette réflexion est au cœur des problématiques de l’exposition, qui seveut résolument scientifique, artistique et éducative. Pour Laurence Rosier, il s’agit de « proposer une réflexion en miroir sur l’insulte, à partir d’un choix de figures controversées et mises en regard d’œuvres contemporaines qui interrogent les tabous, la transgression et la féminité ».
Pourquoi insulte-t-on ?
Cette vaste installation entend susciter chez le visiteur une réflexion sur les libertés, les normes, les règles du vivre-ensemble ainsi que sur les discriminations, non seulement sexistes, mais aussi racistes et sociales.
Mathieu GOLINVAUX ©EdA
A travers les différents travaux des artistes, mais aussi à travers la scénographie, on passe de figure en figure, d’insulte en insulte. « Grosse vache pleine d’encre », écrit Flaubert à propos de Georges Sand. « Guenon », scande la foule à Christiane Taubira. « Garage à bites », dit-on de Nabila.
Mathieu GOLINVAUX ©EdA
Puis les portraits de femmes (libres) de Lara Herbina. Des amazones aux Femen pour référence, on peut lire en ces portraits une certaine forme de réappropriation politique de ces insultes. Affirmer ce qu’on est pour contrer ce que l’on dit de nous.
On peut y lire une autre référence : celle du Manifeste des 343, paru dans Le Nouvel Observateur en 1971, présentant la liste de 343 courageuses femmes ayant signer le manifeste « Je me suis fait avorter ». Au lendemain, Charlie Hebdo publiait sa une : « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l’avortement ? »… Charmant.
Alors est arrivé une nouvelle dimension aux insultes : le positionnement.
Femmes libres, capture d’écran vidéo ©Lara Herbina
« Aux États-Unis, Madonna a réussi à se réapproprier les termes de "slut" et de "bitch" avec brio, pourquoi ne pas le faire en France ? », livre Laurence Rosier. Effectivement sont apparus des mouvements comme le « slut walk », soit littéralement « marche des salopes » en français, notamment en 2011 au Canada où des femmes marchaient, fièrement, protestant contre le viol, les violences sexuelles, la culture du viol et la stigmatisation des victimes (appelé aussi « slut shaming »). Il faut alors y lire une ironie qui en dit long, l’ironie de culpabiliser les victimes de viol, en utilisant des termes comme « elle s’est faite violer ». Faux. Elle A ÉTÉ violée.
Une violence verbale, une violence orale constamment vécue, au quotidien, par de nombreuses femmes. Voilà ce que cette exposition a voulu démontrer.
Fin du parcours. On arrive au « mur de la honte », sur lequel chacun pourra inscrire de nombreuses insultes insoutenables, trop employées,trop entendues. De quoi bien se défouler et s'interroger sur le pouvoir des mots.
Puis avant de partir, on frôle le lit en porcelaine conçu par Sara Júdice De Menezes. Un lit défait et immaculé, prêt à accueillir, prêt à réchauffer toutes ces « salopes » trop souvent citées.
©Laura Herbina
Car encore aujourd’hui, beaucoup sont sceptiques quant au féminisme : « on n’en a pas besoin en France » entendra-t-on. Rappeler ces insultes, c’est rendre public le sexisme ordinaire.
J. Parisel
#Féminisme
#8mars
#Journéedesdroitsdesfemmes

Scientifiquement artistique
Le lien entre art et sciences est indéniable mais souvent oublié. Les sciences donnent aux artistes des clés et des outils pour penser le monde : l’invention de la peinture à l’huile, la photographie, l’informatique, autant de nouveaux supports artistiques. De son côté, l’art démocratise les découvertes scientifiques, les vulgarise et les remet en cause. Sans oublier le point commun de ces deux disciplines : questionner le monde en rendant visible l’invisible. Tour d’horizon de ces alliances expographiques.
image d'introduction : ©Sarah Pflug
La science au service de l’art
De nombreux courants artistiques ont marqué l’histoire de l’art, et pour beaucoup d’artistes, la science est une alliée. Comme l’a nommé Hervé Fischer en 2007, les Arts scientifiques semblent être la nouvelle aventure créative de notre siècle.
C’est ce qu’encourage l’école d’art du Fresnoy à Tourcoing depuis 1997, où les artistes collaborent avec des scientifiques. Les étudiants-artistes s’appuient sur la science pour mener à bien leur processus de création. La série annuelle d’expositions Panorama leur permet de présenter aux visiteurs leur projet artistique. Plus de 50 œuvres sont exposés à Panorama 24 L’autre côté jusqu’au 31 décembre 2022. Le visiteur y découvre des projets mêlant art et science comme le film Les Hommes de la nuit de Judith Auffray, qui raconte la relation entre humains et grands singes en filmant un explorateur observant, étudiant et dessinant des orangs-outans.
Beaucoup d’artistes se basent sur les progrès de la science et, en retour, certaines de leurs œuvres permettent de nouvelles avancées scientifiques. Lors de la cinquième édition de la biennale d’art contemporain Appel d’Air (Arras, 2022) – L’attention au vivant, l’artiste Héloïse Callewaert propose des logements durables pour des petits oiseaux. Ces nids, composés de paille de chanvre, de chaux et de sable, offrent aux oiseaux un abri sûr en pleine ville. De plus, sa composition absorbe le CO2 atmosphérique. En parallèle, l’artiste travaille sur la construction de maisons de la même composition.
Nid de paille de chanvre, de chaux et de sable par Héloïse Callewaert, cinquième édition de la biennal d’art contemporain Appel d’Air – L’attention au vivant ©AppelD’Air
Une exposition est aussi le prétexte pour unir ces deux « milieux » et construire un projet commun. L’exposition Des eaux artificielles au muséum aquarium à Nancy, en est un exemple. Le muséum s’est associé aux trois FRAC du Grand Est afin de questionner un monde de plus en plus fragilisé par l’action humaine. Jusqu’au 22 décembre 2022, le visiteur peut déambuler entre œuvres d’art et naturalisations pour prendre conscience de l’aquarium géant dans lequel il vit.
Enfin, pour d’autres artistes, la science est un vaste terrain de jeu où expérimenter devient artistique. Avec sa série Présages, Hicham Berrada s’improvise chimiste en mélangeant différents produits et faisant pousser des minéraux dans un aquarium afin de filmer les réactions. Cette série a été exposée au Centre Pompidou, à l’école d’art du Fresnoy, à la Fondation EDF ou encore au Palais de Tokyo.
L’art au service de la science
Les musées scientifiques ne sont pas en reste. On ne compte plus le nombre d’expositions dont le propos scientifique est soutenu par des projets artistiques. Souvent commandées pour l’exposition, les œuvres questionnent la science, défendent une cause, vulgarisent des notions complexes ou émerveillent.
L’écologie et le dérèglement climatique sont les grands sujets scientifiques du moment et les expositions sont un support de communication important pour cette cause, et ce, à travers le monde. Le muséum d’histoire naturelle de Rotterdam a accueilli les œuvres de la biologiste et artiste Arike Gill en 2021. Dans une petite salle blanche sont accrochés des tableaux de scènes naturelles au quotidien rythmé par les déchets des humains.
De nombreux sujets font débat en sciences notamment les limites de l’humain. L’exposition Aux frontières de l’humain au musée de l’Homme de Paris, du 13 octobre 2021 au 30 mai 2022, présente une œuvre d’art par séquence pour interroger les avancées scientifiques. Dans la séquence Je suis un mutant, il est question de la modification de l’espèce humaine grâce aux biotechnologies. L’œuvre grandeur nature de Patricia Piccinini trône au milieu de la pièce et choque le visiteur. Une femme tient dans ses bras un enfant transgénique à l’apparence troublante, et si nos enfants ressemblaient à cela ?
The Bond de Patricia Piccinini présenté au musée de l’Homme pour l’exposition Aux frontières de l’humain, ©MT
Jusqu’au 30 avril 2023, le musée de la Main à Lausanne présente une exposition sur l’intelligence artificielle. Même si elles font partie intégrante de nos vies, les IA restent encore un mystère pour beaucoup d’entre nous. Le musée a choisi de faire dialoguer recherches scientifiques et dispositifs artistiques, afin questionner et vulgariser des notions complexes. L’installation ECAL Alter ego créé par les étudiants du Bachelor Media & Interaction Design, permet aux visiteurs, à travers le jeu, de se familiariser avec l’intelligence artificielle.
Toujours autour de l’intelligence artificielle, Barbara Goblot a créé l’exposition A visages découverts dans le cadre du master Expographie Muséographie à l’Université d’Artois. L’exposition est narrée par une entreprise fictive de reconnaissance faciale Eyefinity. Ce dispositif mêlant art-fiction et science nous fait prendre conscience des limites de l’intelligence artificielle.
Exposition A visages découverts de Barbara Goblot, ©BG
L’art questionne, vulgarise, choque, défend une cause, mais peut aussi émerveiller et fasciner. L’exposition Regard(s) fascinant(s) en est un bon exemple. Tim Flach, un photographe animalier, présente ses photos au Muséum national d’histoire naturelle de Paris au cœur du zoo jusqu’au 31 décembre 2022. Absorbé par les yeux des animaux, le visiteur prend le temps de découvrir la nature sous un nouveau jour.
« Quand je regarde un animal, et qu’il me fixe de son regard en retour, je me demande toujours : à quoi pense-t-il ? Que ressent-il ? En quoi est-il différent de nous ? J’ai toujours éprouvé un sentiment d’émerveillement envers le monde naturel et les animaux en particulier. C’est cette émotion que je cherche à ressentir et à partager dans mon travail de photographe. » Tim Flach
Les expositions mêlant arts et sciences semblent plaire de plus en plus. Ces deux disciplines, très complémentaires, permettent d’aborder un sujet sous différents angles. Les visiteurs peuvent découvrir la science à travers l’art et découvrir l’art à travers la science. Qu’il s’agisse de questionner, s’amuser, s’engager, séduire, faire avancer la science ou la remettre en cause, ces alliances expographiques séduisent les professionnels comme les visiteurs.
Mélanie TERRIERE
En savoir plus :
#art #sciences #artscientifique #exposition

Sean Landers, un artiste aux multiples visages
Une évolution fascinante de l’artiste, du texte à la figuration
Image d'en-tête : Façade du Consortium Museum © André Morin
Je me souviens de la première fois que j’ai vu ce bâtiment : grand, d’une infinie blancheur et surtout pas du tout en accord avec le quartier. Après être passé devant plusieurs fois et avoir admiré l’affiche du moment, j’ai franchi les portes. J’ai préféré faire un tour seul, sans visite guidée.
Vue de l’exposition © Rebecca Fanuele
Comme je n’avais pas spécialement envie de lire le livret de visite, j’ai parcouru les salles sans m’arrêter, à pas de géant. J’ai découvert plusieurs styles d’œuvres d’espace en espace : que penser de cette évolution de Sean Landers ? Il me fallait revenir en arrière et saisir les commentaires de la médiatrice. Et cette fois à la cadence des tortues, en tendant le cou vers chaque toile de cet artiste. La première salle nous apprend que Sean Landers est américain, ce qui explique les mots en anglais dans ses peintures. Né à Springfield en 1962, il a appris à peindre avec sa mère et sa grand-mère. Apparemment très connu aux Etats-Unis mais un peu moins en Europe. Lorsqu’il était à l’Université, il créait des sculptures en bois figuratives inspirées d’œuvres classiques ou de scènes littéraires, allant à l’encontre des tendances conceptuelles et minimalistes alors enseignées à l’époque.
Il est l’un des grands représentants de l’art contemporain du milieu des années 1990.
Dans ce premier espace, je comprends qu’il travaille par thème mais pas forcément par série. Féru de littérature, il écrit des poèmes depuis l’adolescence. Le texte est très important pour lui. C’est en 1990 qu’il retranscrit ses écrits, qui sont une sorte de journal intime plus ou moins fictif, sur un bloc-notes jaune standard. C’est alors qu’il a un déclic et les expose à la galerie Postmasters. Son texte est jusqu’à présent plutôt spontané. Son inspiration vient de la première téléréalité qui est apparue en 1973, nommée An American Family. Cette série l’a poussé à utiliser sa vie comme support de vérité et de divertissement.
Fart, 1993 © Rebecca Fanuele
Cette combinaison entre art et vie a rencontré son succès, mais cela a généré des soucis personnels. Son entourage s’est senti trahi par des propos plutôt intimes exposés au regard de tous.
Vue de l’exposition © Rebecca Fanuele
C’est à partir de 1995 qu’il commence à sortir du texte sur toile, d’abord sa toute première était sur un fond océan et ensuite ce furent des ciels peints, comme les deux grandes toiles que je regarde attentivement. Le ciel est une thématique importante pour lui si lié au romantisme. Pour lui, les textes se trouvent sur le même pied d’égalité que la figuration. Il considère que le texte est un motif de composition, un dessin ou une image à part entière. Cependant, lorsque nous nous concentrons sur la lecture, nous quittons l’expérience de la peinture. La principale raison de ce changement de medium est que la toile de lin est plus durable que le stylo à bille et le papier. Il a d’ailleurs dit : « L’art est pour moi une question de survie, d’immortalité. La peinture dure plus longtemps que le stylo à bille sur le papier. Donc comme ça je peignais […] ».
Une forêt d’animaux au pelage tartan
Vue de l’exposition © Rebecca Fanuele
Tout à coup, je me sens transportée dans un univers inédit : de curieux animaux se promènent dans une forêt, me regardant avec intensité. J’ai été surpris de cette figuration si précise et de l’impression que les animaux comme les arbres ont une âme. Les nœuds des arbres sont des yeux qui nous fixent et le regard des animaux est aussi expressif que celui d’un être humain.
Les arbres en question sont des trembles et leur particularité c’est qu’ils sont liés par leurs racines, un symbole fort en accord avec le travail d’un artiste. Les gravures présentes sur les arbres sont directement inspirées d’une clairière d’arbres fortement gravées que l’artiste a vu près du musée du Prado à Madrid. Encore une autre manière d’intégrer le texte dans ses œuvres.
Si l’on regarde les animaux, on découvre que Sean Landers les a habillés d’un tissu tartan. La médiatrice explique qu’il s’agit d’une référence à la période Vache de René Magritte. Une période de liberté du peintre belge où son style est volontairement grossier. Les personnages qu’il fait figurer sont particulièrement grotesques et chacun d’entre eux présente des éléments en tartan.
Au sein toujours de cette forêt, une œuvre particulièrement lumineuse The Urgent Necessity of Narcissism for the Artistic Mind (Jaguar), 2014, fait partie de la série d’animaux nord-américains. Ces animaux à la fourrure tartan teinté de rose et de vert sont dans un environnement tel un diorama de musée d’histoire naturelle.
« Maintenant nous rentrons dans le fait que tout art fait avec sérieux est essentiellement un autoportrait » S.L
Sean Landers considère que toute peinture est autobiographique. Chaque animal peut symboliser l’artiste ou un trait de son caractère. Ainsi avec le Jaguar, on voit son reflet dans l’eau, ce qui rappelle aussi Narcisse.
La figure du marin chez Sean Landers
Vue de l’exposition © Rebecca Fanuele
Deux salles plus loin, de magnifiques peintures sur le thème marin et de la survie en mer en solitaire : le marin est une figure récurrente dans le travail de l’artiste. Derrière le tableau de Captain Homer, les médiatrices ont trouvé une note papier collée, qui décrit que : « les sept mers représentent la navigation autour de la terre, comme une image de notre voyage à travers la vie. C’est un thème ancien et important pour moi. Le marin est en fait une image de moi-même, avec toutes les pensées qui tournent en permanence dans ma tête, et tout le reste. Le fond du tableau vient du tableau de Winslow Homer, mon peintre américain préféré. »
La peinture Around the World Alone (Knox-Johnston) datant de 2011 a une anecdote plutôt amusante. Robin Knox Johnston est le portrait d’un vrai marin, qui a gagné le Golden Globe Challenge, lors du voyage en solitaire de 1968. Sur la photo du gagnant, il a remplacé la tête du vainqueur par une tête de clown. Rire grinçant : cette course a été très médiatisée car il y a eu des suicides, de la triche. D’ailleurs celui qui devait finir premier a décidé de faire demi-tour et de ne pas franchir la ligne d’arrivée.
Les sorts dramatiques de figures mythologiques
Enfin, la dernière salle montre un personnage en bois, nommé Plankboy. Encore une fois, cet alter égo est fortement lié à son histoire et plus particulièrement à son pays d’origine à ses origines : l’Irlande qu’il visite en 1999. Il imagine alors ce personnage seul, déboussolé et triste, qui s’apparente à son état d’esprit de n’être ni vraiment américain, ni vraiment irlandais.
On retrouve le thème de la mythologie grecque dans cet espace. Tous les personnages incarnent un mythe, avec un destin souvent tragique comme ceux de Narcisse, Sisyphe et Dédale.
De cette visite guidée, je retiens les liens que la médiatrice faisait avec les inspirations de Landers (Magritte, Narcisse, Robin Knox Johnston), les anecdotes autour des œuvres d’autant plus qu’il n’existe pas de cartels explicatifs dans les salles.
Vue de l’exposition © Rebecca Fanuele
https://www.leconsortium.fr/en/sean-landers
#seanlanders #Plankboy #texte #mythologie
Shomei-Tomatsu à la Maison Européenne de la Photographie : une réouverture japonaise
Vignette : Affiche de l’exposition Moriyama-Tomatsu à la Maison Européenne de la Photographie, Paris, 2021 © MEP
Introduction : Daido Moriyama, Untitletd, de la série « Platform », 1977, Tirage gélatino-argentique © Daido Moriyama Photo Foundation. Courtesy of Akio Nagasawa Gallery
La Maison Européenne de la Photographie inaugure l’exposition Moriyama-Tomatsu : Tokyo, ouverte jusqu’à fin octobre 2021. L’accrochage, qui rapproche deux grands maîtres de la photographie japonaise de l’après-guerre, avait été préparé par trois master classes de Simon Baker proposées en ligne par le musée pour revenir sur les pratiques photographiques propres aux artistes japonais des années 1950-1960. Actuellement, on ne peut s’empêcher de voir dans l’espace donné à Mari Katayama pour son exposition Home Again un écho féminin à l’exposition Tokyo installé au deuxième et troisième étage de la Mep. Ce « ménage à trois » japonais ouvre également une réflexion photographique sur les espaces de la ville.
L’exposition a été conçue par les artistes Daido Moriyama et Shomei Tomatsu avant le décès de ce dernier en 2012. Elle rassemble plus de 400 œuvres dont la plupart font l’objet de leur premier accrochage à Paris. C’est à travers une scénographie sobre, portée par des murs aux couleurs pastelles, claires et légères que la Mep propose de traverser les étapes de création les plus emblématiques de ces deux artistes.
Tokyo habité
Shomei Tomatsu, « Protest », 1969, Tirage jet d’encre, 59 x 42 cm © Shomei Tomatsu Interface
Redécouvrir la photographie documentaire japonaise
Daido Moriyama, et son mentor, Shomei Tomatsu partage un attrait pour un Japon au lendemain de la guerre, marqué au fer rouge par les explosions atomiques et par des changements brusques après l’arrivée des soldats américains dans les bases militaires du Japon. Pour Tomatsu, c’est l’occasion de présenter une photographie documentaire brute. La peau de la ville montre ainsi un tissu urbain vide, presque abstrait. Des cadrages inattendus montrent des fragments de réalités qu’on ne discerne pas tout de suite. Sa série Protest est la plus humanisée et habitée. Elle photographie les affrontements entre les étudiants révoltés et la police anti-émeute dans les rues de Shinjuku. A l’image du Paris de 1968, la série est prise dans un mouvement contestataire contre la guerre du Vietnam, contre l’américanisation du pays et contre le traité de sécurité nippo-américain qui instaure de nouvelles relations militaires et sécuritaires entre les deux pays. On s’attend à des clichés proches de « La Marianne de Mai 68 ». Pourtant, les noirs sont moins bruts, les gris plus doux et les héros de la résistances floutés. C’est une sorte de « jungle moderne » où les plans rejettent l’harmonie.
La Mep et les artistes ont choisi pour cette étape de création une place centrale. L’espace est restreint et propose une transition entre les clichés d’un Japon habité et la série Au cœur de la cité où se devinent des désastres écologiques dans une urbanisation pressée par la modernité.
La Mep nous parle de la ville
La programmation japonaise choisie par la Mep pour sa réouverture sera prolongée par l’exposition « Les reflets de la ville » à la Petite Galerie tournée vers le jeune public. Elle présentera une réflexion sur la création photographique. Exposer la banalité de la ville pour comprendre comment la photographie peut la documenter : c’est encore un point commun entre les représentations de Shinjuku, quartier populaire de la capitale japonaise chez Moriyama et Tomatsu. Cette initiation à la photographie et aux prises de vue entre l’architecture et les sujets de la ville pourra servir à tous et toutes. C’est avec des artistes tels que Lee Friedlander ou Brassaï que sont pensés les détails du décor urbain qui deviennent visibles grâce à la photographie. C’est ce que Tomatsu définit en comparant le point de vue de l’artiste au « regard de chien errant » qui permet à ces petits fragments de nous être familiers.
Enfin, la Mep propose des cartels qui lient le travail photographique des deux artistes japonais à leur engagement politique et à leurs écrits. De quoi donner des repères pour les amateurs de la photographie qui ont parfois peur des accrochages expérimentaux. Les œuvres en noir et blanc (en contraste avec la dernière section Pretty Woman, 2016 en couleur) sont encadrées par certains textes de Daido Moriyama et Shomei Tomatsu. Avant de voir le Shinjuku des deux artistes, on peut lire qu’il est « un quartier de jeunes / un quartier où l’on fait une halte en rentrant chez soi / un haut lieu de l’underground / un endroit où il se passe toujours quelque chose ».
Ainhoa Gomez
Pour aller plus loin :
Lien vers le site de la MEP : https://www.mep-fr.org/event/daido-moriyama-shomei-tomatsu/
#photographie #Tomatsu-Moriyama #Tokyo

SIDA : de l’oubli aux entrelacs. Une expérience immersive et intime au cœur de Strasbourg
L’exposition Aux temps du sida. Œuvres, récits et entrelacs est présente dans le Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg (MAMCS) jusqu’au 04 février 2024 pour les 40 ans de la découverte du VIH. En quoi cette exposition, liée à une question de société, nous montre-t-elle que la recherche va de cœur avec la monstration de « la maladie » par le biais de l’art ?
Vue d’installation de l’exposition « Aux temps du SIDA.Oeuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © M. Bertola / Musées de la ville de Strasbourg
Le SIDA, une maladie de société
L’exposition actuellement ouverte au MAMCS est un témoignage d’une société transformée à jamais par une maladie, un témoignage qui prend ici la forme d’œuvre d’arts. Elle s’ouvre par « Le Couloir du Temps », un mur qui raconte le SIDA sous tous ses aspects à l’aide de textes, de journaux, d’œuvres et d’objets d’aujourd’hui jusqu’à la découverte du virus. Une ligne du temps directement inspirée de la “aids timeline” du collectif d’artistes Group Materialconçu en 1984. Cette introduction rappelle que « le SIDA n’est pas de l’histoire ancienne, il est encore dans notre temps ».
Vue d’installation de l’exposition « Aux temps du SIDA.Oeuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © M. Bertola / Musées de la ville de Strasbourg
Le SIDA (Syndrome d'Immuno Déficience Acquise) est une maladie causée par le virus du VIH. Depuis sa découverte par l’institut Pasteur, le SIDA n’est pas qu’une maladie d’individus, c’est une maladie de société responsable de la mort de plus de 40 millions de personnes et du bouleversement de la vie de milliards d’autres. Vite apparue à la fin des années 70, le VIH se propageait comme une gangrène dans nos sociétés. Il effrayait et nombre d’atrocités ont été commises. Incompris pendant peu de temps, le SIDA a pourtant rapidement été désigné comme le « fléau homosexuel ». Finalement, qu’est-ce qui a fait le plus de dégâts, le virus ou la société ?
Chacune des salles de l'exposition aborde une thématique en lien avec le SIDA. Celle qui s’intitule « Je sors ce soir », empruntant son titre au roman éponyme de Guillaume Dustan, aux allures de boite de nuit, enveloppée de musiques et de lumière, représente particulièrement bien les risques qu’a fait naître ce virus. Sortir, c’est s’exposer : exposer son corps aux regards, aux rencontres, aux expériences…aux risques. S’exposer à une maladie incomprise. S’exposer à une société aveuglée par la peur. Dans une telle situation, il est normal de se demander « alors, pourquoi sortir ? ». L’exposition nous offre des réponses : par amour, par peur, pour oublier, pour contester, pour soutenir, etc. Face au virus, l’irrationalité dicte nos actions et nos pensées, c’est normal.
Vue de la salle “Je sors ce soir” de l’exposition « Aux temps du SIDA. Œuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © Antoine Dabé
Comparée à l’exposition VIH/SIDA du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, l’exposition strasbourgeoises n’aborde pas le sujet suffisamment en profondeur. Les récits et entrelacs annoncés par le titre de l’exposition strasbourgeoise sont relégués au second plan par les œuvres qui dominent. Même exposé dans un musée d’art moderne et contemporain, les questions sociétales de ce sujet d’ampleur doivent rester, à notre sens, une priorité. Nous pouvons néanmoins apprécier la force des œuvres exposées qui choquent et marquent justement, à l’image de cette maladie à la violence inouïe.
Une histoire, globalisée, et globalisante, qui démêle une histoire racisée et pleine de clichés
Le SIDA/VIH est une histoire scientifique, morale, sociétale, mais aussi géographique. Quand l’exposition du MAMCS de Strasbourg nous présente des photographies de Nan Goldin (Photographe Américaine), les œuvres textiles de Fabrice Hyber (Plasticien Français), les grands oubliés sont les pays du “SUD”, les pays où le taux de mortalité de ce virus est le plus élevé, avec plus de 50% des cas d’infection en 2022, et 42% des morts, surtout sur le continent africain.[1]
Vue d’installation de l’exposition « Aux temps du SIDA. Œuvre, récits et entrelacs » au Musée d’Art Moderne et Contemporain de la ville de Strasbourg © M. Bertola / Musées de la ville de Strasbourg
Cet oubli est encore plus net quand ceux de l’hémisphère nord sont très bien représentés. Que ce soit par une photographie de l’artiste Allemand Wolfgang Tillmans représentant une boîte de son traitement contre le virus, aux sculptures de médicament du groupe d’artiste General Idea. La seule œuvre du “SUD” est une toile de l’artiste Chéri Samba, un artiste du Congo qui invite les populations à se rassembler et à protester pour la « Marche de soutien à la campagne sur le SIDA » en 1988.
C’est à ce moment-là que nous réalisons un manque récurrent de contextualisation, que ce soit de la contextualisation de la création de l’œuvre, de l’artiste (nous ne savons pas s’il a décidé de présenter le SIDA en étant séropositif ou non), de sa région, de son pays et de sa génération.
Ce parti pris est aussi marquant du point de vue scénographique. L’agence ROLL, une agence d’architecture new-Yorkaise, a proposé à l'institution un « parcours linéaire ponctué d’ouvertures et de recoupements favorisant la multiplication des points de vue d’une thématique à une autre. »[2] Or, le premier tiers de l’exposition est le plus captivant, entre le mur de présentation et d'accueil (Un signe des temps) à la salle conçue autour d’une moquette rouge et d’une grande tapisserie de Fabrice Hyber, dont nous ne voyons qu’une face. Les deux suivants s’habillent de blanc et nous offre une scénographie “White Cube”, à l’allure d’un hôpital, faite de petite antichambre et de structure en bois. Ce choix traditionnel de présentation des œuvres dessert le propos sociétal et historique, sauf à insister sur un aspect clinique froid.
Scénographie de l’exposition « Aux temps du SIDA. Œuvre, récits et entrelacs » par l’agence © Roll Office
Alors, en quoi l’exposition de Strasbourg est-elle innovante sur ce sujet de société ? La valeur artistique des objets et des œuvres prévaut sur le contenu scientifique, ce qui ne nous semble pas pertinent compte tenu de ce qui est abordé.
Mais, dans le hall central du musée, appelé communément la nef, se trouve un espace gratuit avec sa propre programmation : la « Permanence ». Ce “lieu dévolu à la rencontre, à la pause, à l’échange”[3], permet de réunir des médecins, des spécialistes et des associations autour de la lutte contre ce fléau du 21e siècle. Entre conseil, éducation sexuelle et campagne de mécénat pour la recherche scientifique, ce lieu, intimiste, permet à chacun de montrer son intérêt, pour soi comme pour les autres, de se protéger afin de continuer à vivre et à créer. Ainsi, par cette « Permanence », le musée d’art s’ouvre pour devenir un lieu d’échange et d’expression citoyenne, un lieu de société.
Antoine Dabé & Lucas Gasgar
Pour en savoir plus :
- Visite de l'exposition « Aux temps du sida», disponible à l’adresse URL : https://www.youtube.com/watch?v=PIC6mki83eI&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fwww.musees.strasbourg.eu%2F&source_ve_path=Mjg2NjY&feature=emb_logo.
#SIDA #ArtContemporain #MuséeArtModerne
[1] Voir sur la page de l’exposition sur le site des musées de Strasbourg. Disponible à l’adresse URL : https://www.musees.strasbourg.eu/aux-temps-du-sida.-%C5%92uvres-r%C3%A9cits-et-entrelacs. Consulté le 29 janvier 2024.
[2] Dossier de presse de l’exposition « Aux temps du SIDA. Récits et entrelacs », disponible à l’adresse URL:https://www.musees.strasbourg.eu/documents/30424/437952888/DP_FR_AUX+TEMPS+DU+SIDA.pdf/a30b06a5-5f6b-a311-21cc-b06c9f93393e?t=1694695008040. Consulté le 29 janvier 2024.
[3] Fiche d'information — Dernières statistiques sur l'état de l'épidémie de sida | ONUSIDA, disponible à l’adresse URL : https://www.unaids.org/fr/resources/fact-sheet. Consulté le 29 janvier 2024.

Silencieux coup de gueule, exposition secrète
A partir de nos échanges avec Philippe Méaille, fondateur et directeur du musée, voici une proposition de visite imaginaire, une tentative une déambulation-contournement autour du secret, de l’exposition et du château. (Toute ressemblance avec des espaces réels n’est que fortuite).
Propos recueillis en décembre 2020.
Au rez-de-chaussée était la porte close, la censure.
Au premier niveau, un espace mental, celui d’une exposition mystère, à imaginer.
Chercher de l’inspiration pour un contenu pertinent à une exposition mentale donne lieu à la (re)découverte du mouvement Art & Language qui constitue une partie des collections du Château de Montsoreau-Musée d’art contemporain. Ce mouvement créé à la fin des années 60 est né d’un journal éponyme sur l’art conceptuel et avant-gardiste britannique et est fondé par Terry Atkinson, David Bainbridge, Michael Baldwin et Harold Hurell. Dès lors et jusqu’aux années 80 il sera animé par une cinquantaine d’artistes conceptuels saxons. Ce collectif d’avant-garde joue notamment avec les grandes questions de l’art conceptuel : le rôle et la place de l’œuvre, du contexte, de l’institution, désacraliser le tout.
Dans un couloir, un temps de pause, une respiration.
Le Château de Montsoreau héberge non seulement une exposition secrète mais aussi le Air Conditioning Show, installation des débuts d’Art & Language qui contient un climatiseur placé dans l’espace muséal. Ce courant d’air invisible permet de souffler sur les certitudes quant à notre rapport à l’art et nous offre aussi une respiration.
Enfin, le dernier niveau, celui qui monte à la tête, celui de la crise de nerf
En effet, le Château de Montsoreau - Musée d’art contemporain est un lieu radical et engagé tant à travers ses collections, que sa programmation artistique ou bien par ses prises de positions. Comme une provocation, l’exposition secrète rappelle « la crise de nerf du Modernisme » et du monochrome ou comme l’a rappelé Eric de Chassey dans Après la fin (2017), le temps suspendu où les artistes se sont arrêtés de peindre.
Au-delà du clin d’œil, c’est une crise de nerf plus actuelle et partagée qui est exprimée : celle face aux fermetures forcées. Plus largement la crise existentielle vécue cette année de covid repose sur la remise en cause du rôle et de la fonction des musées voire leur véritable utilité, de la nécessité de l’accès à la culture, de la relation aux publics. Cette crise touche aussi différemment les musées d’art contemporain, publics comme privés, lorsque que les galeries, elles, restent ouvertes.
L’exposition secrète englobe donc ce vaste trouble et ces questionnements. Lorsque je lui demande pour conclure notre échange si la fin de l’exposition marque la fin de cette crise de nerf, il répond qu’elle ne cessera d’être alimentée et qu’elle avait débuté bien avant le premier confinement. Dans ce cri sourd, le Château de Montsoreau – Musée d’art contemporain, essaye de proposer une forme de vérité, un peu à l’opposé des expositions virtuelles, par essence peu réelles, qui se multiplient à défaut de mieux.
Garance Mathieu
#artconceptuel
#secret
#chateau
Liens :
Eric de Chassey, Après la fin, Suspensions et reprises de la peinture dans les années 1960 et 1970, 2017, Editions Klincksieck, 272 pages. https://www.klincksieck.com/livre/2876-apres-la-fin
En savoir plus sur le Château de Montsoreau : https://www.chateau-montsoreau.com/wordpress/fr/

Spacejunk, Jérôme Catz : freestyle
Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussé à ouvrir les Centres d’Art Space junk, Jérôme Catz répond qu’il se devait de « rendre la monnaie de sa pièce » au milieu de la glisse.
Rideau métallique de l’espace Spacejunk de Grenoble revisité par le Street artiste Goin ⓒSM
Snowboarder professionnel pendant plus de dix ans sous l’égide de la marque Rossignol, Catz a conscience qu’il a vécu des moments privilégiés. En 2003, après avoir « ridé » aux quatre coins du globe, il ouvre Spacejunk à Grenoble, un espace dédié au Pop Surréalisme*, au Lowbrow*, à la Boardculture* et au Street art. Des mouvements issus de la culture populaire et qui ont en commun un certain goût pour la transgression, des esthétiques que Jérôme Catz a côtoyées durant toute sa carrière et qu’il souhaite faire connaître davantage.
Devanture de l'espace grenoblois ⓒSM
Pour « offrir des murs blancs » à des artistes plutôt habitués aux bars et boutiques de stations, il crée une association, engage ses fonds personnels et reçoit le soutien de Rossignol.
En douze ans, ce sont plus de cent quatre-vingt artistes qui ont défilé dans les « centres d’art et non galeries marchandes » (il insiste) de Grenoble, Lyon, Bayonne et Bourg-Saint-Maurice, dans le cadre d’expositions thématiques collectives ou monographiques. Certains pratiquent eux-mêmes la glisse ou ont fait carrière dans le domaine, d’autres utilisent le ski, le skate, ou le snowboard comme support de création, voire comme médium, à l’instar de Fabien Bonzi qui expose actuellement. Tous sont sélectionnés par Jérôme Catz qui tient seul les rennes de la programmation et fonctionne par coups de cœur « et non pour les retours financiers que les ventes pourraient générer » comme il se plait à le rappeler. Aujourd’hui, s’il reste en veille pour dénicher les nouveaux talents, il est aussi très sollicité par ces derniers.
Damien Hirst, Larry Clark, Olafur Eliasson et Shepard Fairey étaient exposés aux côtés du jeune grenoblois Fabien Bonzi en 2011 pour « Skateboarding is not a crime »ⓒSpacejunk
Un des objectifs de départ du projet Spacejunk est de faciliter l’accès à l’Art du public non adepte de musées ou de lieux d’Art contemporain. Ce fameux public « jeune » que tous les musées cherchent aujourd’hui à attirer. Et le contrat est pleinement rempli : les 16-30 ans composent 50% de la fréquentation du centre de Grenoble. Certes, l’espace est implanté en terrain conquis. La capitale des Alpes dont Catz est originaire est dotée d’un important campus universitaire qui accueille environ 60 000 étudiants chaque année. Parmi eux, certains avouent l’avoir choisie pour sa proximité avec les pistes.
Mais l’ambiance conviviale qui règne dans les espaces est sans doute un facteur essentiel d’attraction. Lors des vernissages, pas de grands discours, pas de parcours imposé. Chacun, bière en main, part à la rencontre des œuvres tout en discutant avec ses amis, avec l’artiste ou le personnel sur fond de musique rock.Spacejunk mise sur la proximité avec le public et « la médiation humaine avant-tout ». Il y a toujours un médiateur pour vous accueillir dans l’espace et vous proposer quelques explications sur l’exposition en cours. Les discussions s’engagent facilement, les connaissances s’échangent.
Pour le fondateur des centres, c’est justement en terme de médiation que le bât blesse dans le monde de l’Art contemporain qui n’a pas à ses yeux réussi à casser son image intellectualiste et élitiste.Le public scolaire est également une préoccupation majeure du centre qui propose des visites des expositions en cours et des ateliers de pratique artistique, parfois animés par les artistes eux-mêmes. Parallèlement, avec le projet Venus, le réseau s’est engagé dans une action de prévention du cancer du sein, fruit d’une collaboration de citoyennes et d’artistes.
Des photos de femmes en bustes customisées par des artistes sont exposées dans des lieux culturels ou sociaux culturels, des hôpitaux, des maisons de quartier, des bibliothèques, ou encore, des cafés et boutiques. Certaines sont vendues aux enchères et les bénéfices sont reversés à une association caritative spécialisée sur la question. Côté fonctionnement, une équipe permanente de sept personnes anime aujourd’hui les différents centres qui ne disposent pas de budgets reconduits annuellement, bien que soutenus par les collectivités territoriales.
Les subventions ne permettent pas de couvrir l’ensemble des frais et il faut trouver des sources de financement pour produire les cinq expositions annuelles. Alors, ici depuis le début de l’aventure on a recours au mécénat. Fabricants de matériel de glisse, de matériel de dessin, brasseurs de bière…Spacejunk a plus d’un tour dans son sac. Il est même arrivé certaines années que le directeur redevienne bénévole pour pouvoir boucler le budget.
L’anamorphose d’Étien’ et de Diseck réalisée dans le cadre du 1er Festival de Street Art à Grenoble (juin 2015) ⓒSM
Sensible à l’Art engagé, Jérôme Catz souhaite apporter aux jeunes une meilleure compréhension de leur environnement afin qu’ils se l’approprient plus facilement et deviennent citoyens.
Aussi peut-on voir en Spacejunk un outil au service de la Boardculture. Une culture qui tend à replacer l’homme au sein de son environnement naturel ou urbain. Une attitude, un état d’esprit, qui prône la complicité entre l’homme et les éléments et refuse de les mettre en opposition bien que la notion de danger soit bien présente dans les différentes pratiques de la glisse. C’est avec maîtrise et prise de risques que Catz aborde le monde de l’Art.
Quoi de plus naturel pour celui qui a fait du free-ride sa spécialité ? Enthousiaste et infatigable, il ne manque pas de projets. L’auteur de Street Art, mode d’emploi est récemment intervenu en tant que commissaire pour l’exposition « #Street Art, l’innovation au cœur d’un mouvement » à la Fondation EDF et a organisé cette année à Grenoble le premier festival destiné à montrer toutes les facettes de cet art.
*Pop surréalisme: Mouvement apparu dans les années 70 aux USA, le pop surréalisme regroupe des artistes de styles différents qui explorent les plaisirs et les cauchemars de la culture américaine dans des peintures figuratives et narratives.
*Lowbrow : Courant pictural du Pop surréalisme, le Lowbrow se réapproprie les codes issus des médias populaires (comics, publicité, graffiti, dessin animé…) dans des œuvres souvent humoristiques, joyeuses, espiègles ou sarcastiques.
*Board culture: l’ensemble des aspects intellectuels et artistiques issus des sports de glisse.
En savoir plus :
Jérôme Catz, Street art, mode d’emploi, Paris, Flammarion, 2013.
https://www.facebook.com/spacejunkgrenoble
https://www.facebook.com/grenoblestreetartfest?fref=ts
#spacejunk
#streetart
#boardculture
Street art au musée ? Le cas épineux d'ART 42
C’est à Paris, à l’occasion de la Nuit Blanche 2016, que le « premier musée de streetart de France » - ART 42 - a ouvert en grandes pompes. Un musée de Street art ? Pourquoi pas. Après tout, depuis sa naissance dans les années 1960, la discipline a fait son petit bout de chemin. Désormais relativement institutionnalisé, le street art a conquis le public, les murs des galeries, et fait les beaux jours du marché de l’art. Le musée ne serait donc finalement qu’une suite logique.
Le succès semble en tout cas au rendez-vous pour ce nouveau venu. Un simple coup d’oeil au pressbook1 qui n’en finit plus d’articles élogieux suffit à s’en convaincre. Et pour cause,la collection comprend de grands noms (Banksy, Obey...) et de plus jeunes artistes qui se trouvent ainsi soutenus dans leur pratique, dans la rue ou leur atelier. Mais curieusement, la collection n’est pas toujours au cœur du propos de ces articles. Le lieu lui pique souvent la vedette. Pourquoi ?Parce qu’un musée de street art qui prend place dans une école d’informatique, cela surprend.
ART 42 qu’est-ce que c’est ?
À l’origine du projet, on trouve d’abord Nicolas Laugero Lassere, directeur de l’ICART, président fondateur d’Artistik Rezo et collectionneur passionné d’Art Urbain. À ses côtés se trouve 42, l’école d’informatique créée par Xavier Niel, fondateur de l’opérateur téléphonique Free, qui se propose de révolutionner entièrement l’enseignement français de cette discipline. Ensemble,ils décident d’exposer les œuvres de l’un, dans l’école de l’autre, donnant naissance à ART 42.
Exposer du street art dans une école dédiée aux métiers du numérique peut paraître un choix surprenant. Et c’est surtout cet aspect qui est mis en avant dans les différents articles, tournant parfois à la publicité pour l’école.Les visites sont d’ailleurs effectuées par les étudiants qui ont pour mission de « faire découvrir les œuvres autant que le lieu »2.
Alors pourquoi 42 ? Il semble que les deux compères aient perçus des principes communs entre l’école et l’Art Urbain : l’accessibilité (l’école est ouverte7 jours sur 7 et il n’est pas nécessaire d’avoir le bac pour y être admis),et la gratuité. À cela, on peut ajouter une certaine dimension contestataire liant le street art des origines à 42, laquelle s’inscrit clairement en porte-à-faux du système d’enseignement français classique.
Musée ? Pas musée ?
« ART 42 Urban Art Museum Collection ». Rien que par son nom, le projet réactive cette dimension contestataire. Il se pose en contre-point du modèle classique du musée. Un choix qui peut faire écho aux valeurs qui ont animé le street art : un art populaire qui s’est érigé contre le musée en tant qu’instance légitimatrice, toute puissante à décider ce qui fait art ou non.
C’est donc pour s’éloigner de ce modèle que l’équipe d’ART 42 a cherché à proposer un dispositif novateur, propre à ne pas dénaturer l’essence et le message de ces œuvres. Pas question alors de reprendre un schéma classique etde dédier un espace uniquement pour l’exposition. Non, l’idée ici est d’hybrider les structures. Aussi, les œuvres - extraites de la rue, produites en atelier ou créées in situ - envahissent directement les salles de classe.
Un dispositif résolument nouveau qui va à l’encontre de notre conception du musée et bouleverse nos habitudes de visites. ART 42 s’affirmant alors comme un « Anti-Musée ».
Extrait du dossier de presse d'ART 42
C’est que la structure est coincée entre deux objectifs :
- Proposer un contre-modèle, à l’opposé de celui incarné parles musées,
- Légitimer les œuvres exposées et donc assoir la collection de Nicolas Laugero Lassere. Et ce dernier point se trouve largement facilité quand ART 42 se présente comme « le premier musée de street art de France ». C’est là tout le paradoxe : alors que la structure se veut un « anti-musée » l’équipe a constamment recourt au terme de « musée » pour la promouvoir. Aussi, n’allant pas au bout du contre-modèle qu’elle entend développer, elle ne fait en réalité que renforcer la position du musée comme instance de légitimation. Alors ART 42 : un musée ou un anti-musée ?
Du street art entre quatre murs au nom de l’accessibilité ?
Alors qu’il parle d’ART 42, Nicolas Laugero Lassere justifie ce choix de lieu par son intention de rendre le musée plus accessible, de l’amener jusque dans l’environnement quotidien de ces étudiants3. Une initiative intéressante à l’heure où l’on s’interroge sur le devenir du musée au XXIe siècle. Le rapprocher du public en est un des enjeux majeurs. Pourtant, dans le cas d’ART 42, cette démarche apparaît comme un non-sens.
Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’art urbain, c’est-à-dire d’un art par essence déjà parmi les plus accessibles. Comment son transfert de la rue vers une structure (musée ou non) pourrait-il en faciliter l’accès ? Comment pourrait-il tendre à l’accessibilité alors que c’est justement au nom de celle-ci que l’on s’efforce depuis quelques années de sortir l’art des musées ? L’Art Urbain, qui prend déjà place dans notre environnement quotidien, qui est déjà accessible à toute heure de la journée et de la nuit, et ce gratuitement, a-t-il réellement besoin d’une meilleure accessibilité ?
En outre, est-ce que le choix d’une école favorise vraiment un meilleur accès à ces œuvres ? Si l’idée d’un lieu hybride est intéressante et permet de nourrir le débat sur ce qu’est / doit être un musée, le choix d’une école,en terme d’accessibilité, pose justement problème.
Car 42est avant tout un lieu de travail. Il est donc inenvisageable que les étudiants soient constamment dérangés. Or, ce sont bien leurs salles de classes qui ont été choisies pour accueillir les œuvres. Les possibilités de visites s’en trouvent nécessairement restreintes, avec deux plages horaires seulement : le mardi de 19h à 21h et le samedi de 11h à 15h, sur réservation. Et à ce jour il vous faudra patienter pas moins d’un mois pour y mettre les pieds ! Un comble pour un musée qui prône l’accessibilité, non ?
Annaëlle
#street art
#arturbain
#musée
# muséeduXXIesiècle
1 Dossier de presse : http://art42.fr/resources/dossier_de_presse_art42.pdf
2 http://www.lequotidien.lu/culture/le-street-art-au-musee-va-t-il-perdre-son-ame/
3 http://alexandraboucherifi.blogspot.fr/2016/10/art-42-le-musee-du-street-art-en-france.html
Superpoze exp(l)ose le monde
Gabriel Legeleux, alias Superpoze, est un jeune prodige de la scène électro française. C'est un auteur-compositeur, musicien, et surtout un artiste à part entière qui nous plonge dans l'univers de la fin du monde pour son deuxième album « For We The Living ». Pour ce thème peu joyeux au premier abord, Superpoze réussit à nous captiver et à nous immerger dans une esthétique sonore et visuelle de l'apocalypse.
« ForWe The Living » © Superpoze
Ican't hear, Ican't feel the hours.Ican't see, Ican't breathe the air. »
©« A Photograph » Superpoze
L'album présente une vraie progression dans la catastrophe. Tout commence avec « Signal », titre dont l'alarme retentit pour nous annoncer la fin. L'album décompte le temps qu'il nous reste. La musique évolue lentement, le rythme est latent et provoque une tension dans la progression musicale. La succession des morceaux fait évoluer cette fiction de la fin du monde.
« Azur » présente l'urgence de la catastrophe, avec « Thousand Exploding Suns » le monde explose, c'est un cataclysme sublimé et fait en douceur. « The Importance Of Natural Disasters » termine la boucle, c'est le monde post-catastrophe. Idéalement, l'album s'écoute en entier et en respectant cette progression pour en apprécier toutes les nuances et subtilités.
« For We The Living » n'est pas seulement un album, c'est une œuvre polymorphe. Pour aller jusqu'au bout de l'univers de la catastrophe qu'il a créé, Superpoze a produit des vidéos en collaboration avec le groupe « Télévision ». Ces clips vidéos apportent une plus-value à la musique, elles accompagnent l'univers sonore par une esthétique visuelle et participent du fondement de l'album.
Les vidéos sont elles aussi captivantes, elles rendent le projet réel, ce sont des témoins de la fin du monde. En les regardant, on pourrait croire qu'il s'agit d'une image fixe, d'une photographie. En les observant, on perçoit des micros mouvements. Tout est ralenti,et cette lenteur de l'image et du son provoque une tension . Le spectateur devient alors plus attentif aux mouvements, à la vidéo. Superpoze nous livre un album qui s'écoute et se regarde, un album synesthésique.

« ForWe The Living » © Superpoze
La fin du monde a existé pour Superpoze et pour témoigner de cette apocalypse, l'artiste a mené un travail d'archéologie fictive. Pendant le tournage de ses vidéos, Superpoze a fouillé les sites, répertorié et archivé des objets qu'il avait trouvés ou utilisés. Il leur a attribué des numéros d'inventaire, les a numérisés et archivés. Ce travail permet de conserver les preuves réelles de ce récit imaginaire de la fin du monde que raconte Superpoze. Il associe lui-même le travail d'un compositeur à celui d'un archéologue.
En littérature, Orhan Pamuk avait déjà initié ce type de démarche avec « Le Musée de l'innocence » où tel un collectionneur il a inventorié des objets pour concevoir son musée idéal, sa fiction. Compositeur ou archéologue, dans les deux cas il s'agit de chercher des choses, les nommer, les classer. Le processus et la rigueur font le parallèle entre ces deux mondes apriori opposés et qui sont ici en harmonie.
Superpozea créé un album narratif où il nous raconte sa vision de la fin du monde. Pour aller encore plus loin dans sa démarche artistique, il était important pour lui de réunir toutes les composantes de son travail dans un seul et même lieu physique. Le musicien a donc monté son exposition à la Danysz Galerie à Paris. « For We The Living », du même titre que l'album, est une petite exposition qui présente l'ensemble des morceaux, vidéos, images, recherches et objets de la fin du monde fascinante de Superpoze.
L'exposition est dans une salle en sous-sol. Le visiteur est plongé dans une légère obscurité ce qui permet de profiter pleinement des vidéos présentées. Là encore, le parcours est progressif. La salle est un cube où le long des murs sont disposés 8 écrans, qui correspondent au 8 titres de l'album. Le visiteur passe d'un écran à un autre, il écoute les morceaux les uns après les autres dans l'ordre de l'apocalypse imaginée par Superpoze. Des casques sont mis à disposition pour s'immerger dans l’œuvre, dans le son et l'image.
Sous chaque écran, le cartel indique le numéro d'inventaire de la vidéo. Tout est répertorié. Une fois tous les titres écoutés et observés, le dernier mur expose une collection d'objets. Ces objets sont ceux récoltés par Superpoze pendant le tournage de ses vidéos, ce sont les preuves de son travail archéologique. Il s'agit de ce qui reste du monde après son bouleversement. Ces objets apparaissent alors comme les vestiges de cette fiction de la fin du monde. Fragments de roche, échantillon de terre, papiers sous pochette plastifiée, tout est pensé minutieusement. Le visiteur peut reconnaître certains objets car ils apparaissent dans les vidéos.
Espace Danysz Galerie, Cartel de « Signal », Collection d'objets exposés © C.D.
« OnThe Moutain Top », objets exposés, objets scannés © C.D.
Au centre de la salle, un piano avec les partitions des titres de l'album est mis à disposition. Le visiteur peut librement interpréter la fin du monde. Pendant la durée de l'exposition,d'autres musiciens ont été invités à investir cet espace pour réinterpréter l'album. Simples performances lives ou véritable moyen d'appuyer la démarche de l'artiste pour qu'après sa fin du monde l’œuvre subsiste, tout est cohérent. L'exposition est une space libre d'interprétation, elle transmet un passé fictif et s'ouvre à un avenir réel.
Espace Danysz Galerie, partition de « On The Moutain Top » ©C.D.
Un livret a également été conçu par Superpoze. Avec l'apparence d'un catalogue d'exposition, ce livre est plutôt un outil qui permet de comprendre plus précisément tout le travail mené pour cet album. C'est l'archivage de la collection de la fin du monde. On retrouve dans ce livret les objets récoltés et exposés dans la galerie et aussi d'autres éléments.
Tout a véritablement été répertorié : coordonnées GPS des lieux de tournage des vidéos, tests visuels, liste de numéros d'inventaire, photographies, scans, zooms sur des objets, collages. Tout est extrêmement précis et nommé. Superpoze présente son travail d'archéologie musicale. L'imaginaire de l'artiste est une expériences sonore, visuelle et intellectuelle.
Cette thématique de la fin du monde a souvent été traitée dans le cinéma ou encore la littérature. L'humain a cette tendance à être fasciné par ce qui sera sa fin. L’œuvre que propose Superpoze est très actuelle, il s'interroge sur nos problématiques contemporaines. Vers quoi allons-nous ? Que restera t-il de notre existence ? Superpoze réussit à sublimer la fin, ce n'est pas négatif mais au contraire c'est l'occasion de bâtir un nouveau monde.
Extraits du livret « For We The Living » de Superpoze. Pages 51 et54 « Compositing », page 7 « Locations »,page 29 « Scan tests » © C.D.
« Whenall is falling down allis falling down allis falling down... »
©« APhotograph » Superpoze
L'album :
1 Signal
2 For We The Living
3 Azur
4 Thousand Exploding Suns
5 On The Mountain Top
6 Hidden
7 A Photograph
8 The Importance Of Natural Disasters
L'exposition : du 14/10 au 28/11 2017 à la Galerie Magda Danysz, 78 rue Amelot, 75011 Paris.
En 2018 : vous pourrez entendre Superpoze au théâtre, il a composé la musique du nouveau spectacle « Hunter » de Marc Lainé.
C.D.#Superpoze#Musique#ForWetheLiving
Sur les pas des artistes des Libres Figurations
Que faire à Calais ?
Le fameux dragon déployé sur la plage comme une bête de foire, déjà vu cinq fois ; La Cité de l’Europe, aucune envie d’achat ; le beffroi, déjà visité avec mes enfants. Alors pourquoi pas un musée ? Le prix sera toujours moins cher qu’une place de cinéma et cela me rappellera mes années de fac en histoire de l’art, bien loin du métier que j’exerce.
Image de couverture : © La Ville de Calais, juin 2021
A chaque nouvelle exposition un espace immersif est dédié. L’imagination de toute l’équipe et en particulier des médiatrices culturelles, Marieke Rollandi et Julie Parenty est alors vivement sollicitée.
En entrant dans le Musée des Beaux-arts de Calais, Le Klub, une sorte d’immersion dans une boîte de nuit, très réussie, me rappelle mes années d’étudiant, où l’on continuait jusqu’au bout de la nuit, pourvu qu’il y ait encore de la musique. Les douches sonores m’ont rappelé un temps malheureusement passé. Les bouteilles d’alcool sur le bar ont été minutieusement décorées d’une étiquette rappelant les couleurs des années 80.
© La ville de Calais, Klub, espace immersif, juin 2021
Les frères Di Rosa et leurs drôles de personnages
© Héloïse Putaud, Raoul, sculptures de Richard Di Rosa à partir des personnages inventés par son frère Hervé Di Rosa
D’autres m’interpellent comme les frères Di Rosa, qui se ressemblent tant sur les clichés de l’artiste Louis Jammes. Selon la médiatrice, Hervé Di Rosa invente sa propre mythologie nommée la Diromythologie avec des créatures plus burlesques les unes que les autres ayant des caractéristiques physiques et morales. Ils sont comme des super héros peints à l’acrylique : la Péteuse, les Vagabonds, Docteur Tube, Professeur X, les Renés ou encore les Raoul. Et son frère, Richard Di Rosa, sculpteur, met en volume ses personnages. Pendant près de dix ans une collaboration étroite entre les deux frères s’établit « naturellement » selon les propos de Richard Di Rosa. Certaines sculptures sont mises à l’honneur dans le hall du musée. Selon le sculpteur « tout ce qui est parfait perd de son charme », c’est donc pour cela que les sculptures ne sont pas « parfaites », n’ont pas de symétrie, ni de proportions exactes. Quant à Hervé Di Rosa, il crée son style de narration à partir de bandes-dessinées, de science-fiction, de médias et de magazines, comme presque tous les artistes français des Libres Figurations. Il met en scène la vie et le quotidien teinté de violence. Ses peintures se caractérisent par des images hyper colorées, très illustratives. La rue du malheur, est un très bon exemple de son travail. Deux tableaux sont mis côte à côte, l’un présente une rue avec ses personnages telle la situation initiale, et l’autre montre la rue de manière apocalyptique. Un monstre rouge à trois yeux détruit tout sur son passage, un incendie s’est propagé, etc. Les œuvres d’Hervé Di Rosa sont plus complexes qu’il n’y paraît, et illustre une métaphore de la société.
Revenons à Hervé Di Rosa, ce collectionneur compulsif qui glane dans les brocantes d’innombrables figurines, babioles et bandes dessinées. Il s’est créé des galeries de personnages : des formes esthétiques, des représentations d’amis, ou psychologiques (le méchant, l’intelligent). C’est l’un des premiers artistes à être à la tête d’une institution culturelle : le MIAM, Musée International des Arts Modestes qui a exposé plus de 600 artistes. Hervé Di Rosa définit l’art modeste comme tout ce qui n’est pas au centre de l’attention, les objets du quotidien et les créations marginales. Il refuse toute hiérarchisation des arts. Ce terme a été prononcé par une petite fille, qui a tenté de dire le Musée d’Art moderne, et qui s’est transformé en Musée d’Art modeste.
A la fin des années 80, en période d’égocentrisme des artistes, Hervé Di Rosa a voyagé pour rencontrer les gens, apprendre leurs savoirs faire, leurs techniques. Il a ainsi développé plusieurs pratiques comme la sculpture, la céramique, la tapisserie ou encore le dessin animé.
Mais les Libres Figurations, ainsi nommées par l’artiste Ben, sont apparues un peu partout dans le monde, aussi bien aux Etats-Unis, qu'en Allemagne ou en Russie ou encore en Italie (même si l’exposition ne détient pas d’œuvres d’artistes italiens).
Elvira Bach
L’exposition présente l’œuvre de l’artiste allemande Elvira Bach. Apparentées à des autoportraits, ses peintures sont à la fois chaleureuses et colorées. Elle impose son univers sur une scène très masculine. Ses peintures sont spontanées faites de grands coups de brosse et de pinceaux sur la toile sur des formats souvent monumentaux. Elle souhaite montrer la femme en tant qu’individu, l’image de la femme et son rôle dans la société. Ce qui l’intéresse c’est de voir comment une femme pouvait sortir seule dans les années 80. Lorsqu’elle est devenue mère de deux enfants, elle abandonne la représentation de la femme-diva et les scènes de genre (fêtes, soirées) pour représenter une femme aux fourneaux. Elle peint avec humour son changement de statut et se représente envahie par les pommes de terre, des casseroles sur la tête, le pinceau toujours à proximité. Quelques symboles alimentent la composition : chat, cerise, fraises, colliers, boucles d’oreilles, cigarette, verre de vin, chaussures à talons, palmiers, cœurs….sont liés au quotidien, à l’enfance ou aux souvenirs.
Graffiti
En poursuivant ma visite, un graffiti, celui de Futura 2000 attire mon attention. Cet artiste est le premier à produire des graffiti abstraits. Il a été longtemps comparé à Vassily Kandinsky, l’un des fondateurs de l’art abstrait. C’est grâce à Keith Haring et Jean Michel Basquiat qu’il a touché les galeristes. Selon le livret,l'une des grandes caractéristiques de ce courant est l’entraide entre les artistes. Non seulement proches, ils partagent ateliers et appartements, créent des expositions et performances ensemble. On pourrait les considérer comme une grande bande d’amis, qui vêtus de leur veste peintes et customisées, sortent le soir et consomment alcool et drogue. C’est d’ailleurs le lien qui est établi entre le Klub et les artistes. Il a aussi réalisé une performance salué dans le milieu des graffeurs, celle de bomber intégralement un train.
Dans l’esprit de rendre accessible l’art à tous, les artistes ont au départ une même pratique du graffiti dans le métro, la rue ou les squats. Le métro est un endroit accessible à tous et par leur simplicité, les dessins peuvent être compris par tout le monde. Le graffiti est apparu dans les années 70 dans un contexte de tensions politiques : révolutions, occupation, guerre d'Algérie, mai 1968, Mur de Berlin. Des peintres qui ne sont pas issus de quartiers défavorisés et ont suivi un cursus en Arts, s'associent aux writers. Parmi-eux Crash, Futura 2000, Keith Haring, Tseng Kwong Chi, Samantha McEwen, Blade, Kenny Scharf. Ces artistes exposent ensemble, participent à des actions collectives, partagent ateliers et appartements.
En 1981, une exposition intitulée « Graffiti et société » prend résidence au Centre G Pompidou. L’émission H.I.P H.O.P va également médiatiser ce phénomène : très populaire, elle a encouragé cette culture et créée des relations entre breakdance, graffiti et musique.
Après 1989, le métro de New York adopte une règle, disant que tout wagon tagué devait être retiré. Le maire de New-York a fait également installer des barbelés. Il pensait qu’en combattant le graffiti, il limiterait la criminalité. La presse les considérait comme des délinquants.
Punk
Les artistes de la Libre Figuration sont également liés au mouvement punk, style musical apparu en 1976 et véritable manière de vivre. Les Punks crient leur haine du monde, souhaitent à tout prix choquer et sont contre cette société dite pourrie et de consommation. A la Cité de la dentelle et de la mode (car l’exposition se trouve dans les deux musées), beaucoup de signes sont évoqués par les artistes. La fameuse crête iroquoise est immortalisé par l’artiste Krikri et les VLP (Vive La Peinture) inventent un nouveau style vestimentaire. Les jeans se déchirent, le tee-shirt se salit, le perfecto se customise à grand renfort de badges, clous, chaînes de vélo, épingles à nourrice et têtes de mort, la résille noire est déchiquetée et la jupe en tartan rouge et noire reprend du service; collier et bracelets cloutés, piercings, tatouages et maquillage outrancier, rouge à lèvres et teint blafard ou encore bretelles pendantes terminent le style. Certains artistes incarnent la culture punk : la peinture sur du tartan de Krikri, la crête de la peinture des VLP, leur Docs ou encore leur veste en jean peint.
Les artistes recevaient des commandes de scène de spectacle, illustraient des pochettes d’album comme le célèbre titre Téléphone – un autre monde. Ils formaient même leur propre groupe de musique , comme "Les démodés" alors que même ils ne savaient ni jouer d’un instrument, ni chanter, et qu’ils écoutaient dans leur atelier. Aujourd’hui le groupe a changé de nom et continue de jouer. Tout comme les punks, les artistes affirmaient leur liberté de penser et le rejet des valeurs établies d'une société sclérosée.
Pour en savoir plus :
https://www.lavoixdunord.fr/1024210/article/2021-06-10/l-exposition-libres-figurations-annees-80-se-devoile-dans-les-musees-calaisiens
https://www.youtube.com/watch?v=b13rtWZwPBM
https://www.facebook.com/watch/?v=280020797173132
http://www.blog.stripart.com/art-urbain/martha-cooper-graffiti/
https://www.youtube.com/results?search_query=les+sans+pattes
#libresfigurations #graffiti #punk
Suspension au "bord des mondes"
Avez-vous déjà étudié vos larmes sous la lentille d’un microscope optique ? Parlé le langage des oiseaux ? Capté l’eau des nuages pour favoriser le développement de la vie organique en milieux désertiques ?
Si ce n’est pas le cas, courrez au Palais de Tokyo découvrir l’exposition « le bord des mondes ». Vous y trouverez des esprits libres, généreux, faisant l’ineffable présent du « pas de côté », de l’invention, d’une présence toujours attentive au monde. Monde de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, monde rêvé, éprouvé, aimé…
A travers cette exposition, le Palais de Tokyo présente des inventions issues de créateurs biologistes, ingénieurs, mathématiciens, architectes, amateurs, travaillant hors des cadres consacrés de l’art. Sa jeune et talentueuse commissaire, Rebecca Lamarche-Vadel, interroge ainsi la définition de l’œuvre, Entoile de fond, les célèbres paroles de Marcel Duchamp « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas "d’art ?" ».
« Le territoire de l’artécrit le président de l’établissement Jean de Loisy dans le magazine Palais n°21 n’est pas limité car l’art n’est pas une discipline, mais un système de connexions entre la totalité des connaissances et des aspirations humaines. Depuis toujours, il embrasse science, philosophie, spiritualité, expériences personnelles, jeux du corps, politique, urbanisme - et probablement bien d’autres domaines - et se joue des frontières. Des pratiques, extérieures au champ de la notion convenue de« Beaux-Arts », ne pourraient-elles prétendre relever de sa souveraineté ?».
Suivant ces réflexions, Rebecca Lamarche-Vadel met en exposition des gestes créatifs forts. Elle nous invite à les regarder attentivement, à nous laisser surprendre par leur dimension poétique.
Bridget Polk, balancing rocks©2013 Patrice D.
Au niveau 1, à l’entrée de la Galerie Seine, les « balancing rocks » de Bridget Polk ouvrent le bal. Pierres, dalles en ciment et briques brutes sont mises en équilibre, s’élevant à la verticale. Pour cela,l’artiste américaine identifie les points de contact qui permettent aux éléments superposés de tenir, comme par magie. Ephémères, ces équilibres se défont à un moment ou l’autre, dans un bruit assourdissant. Chaque jour l’artiste américaine réitère la performance. Concentrée, elle assemble les pierres devant son public stupéfait.
Quelques mètres plus loin, les photographies de Rose-Lynn Fisher lui succèdent.La photographe a produit près d’une centaine de clichés de larmes observées sous la lentille d’un microscope optique. Ces images s’assimilent à des étendues paysagères. Singulières, elles évoquent tour à tour motifs animal et végétal (troncs d’arbre, fleurs et feuilles), tracés géographiques ou circuits électriques… De ces larmes transparentes émergent des étendues denses, mouvementés, perspectives ouvertes sur des manifestations émotionnelles composites. Rose-Lynn Fisher qualifie ses photos de « vues aériennes de terrains émotionnels ». Chacune d’entre elle porte le nom du typede larmes versées : « Tears ofrelease », Tears of grief », « Tears of laughing till I’m crying », « Onion tears ».
Rose-Lynn Fisher, Tears of release, © 2013 RLF
Rose-Lynn Fisher, Elation at a liminal moment © 2013 RLF
Le parcours de l’exposition se poursuit avec la diffusion de séquences vidéo. Elles montrent les habitants de Kuşköy,un village anatolien où la langue sifflée se transmet depuis près de quatre siècles. Le Kuşdili,littéralement « langue des oiseaux » retranscrit chaque syllabe de la langue turque en un chant d’oiseau spécifique. Il permet aux habitants de communiquer à distance, en toute discrétion.

Habitants de Kusköy pratiquant le kus dili. © Cémil Batur Gökçeer
Dans ce parcours, les transitions nous mènent subtilement d’un instant de suspension à un autre, repoussant les frontières de l’impossible : pierres lévitantes, larmes touffues, homme-animal.
Et ce ne sont que les trois premières œuvres de l’exposition…
N. D.
Pour en savoir plus : http://www.palaisdetokyo.com/fr/le-bord-des-mondesLe bord des mondes jusqu’au 17 mai 2015 au Palais de Tokyo, tous les jours de midi à minuit.
Tendez l’oreille...
A l’heure où nos oreilles n’ont, pour seul refuge, que le sommeil pour lutter contre les agressions sonores de notre quotidien, Baudouin Oosterlynck, plasticien belge, nous invita, lors d’une exposition monographique, à « écouter la forme de l’air ».

© M. Tresvaux du Fraval
A l’heure où nos oreilles n’ont, pour seul refuge, que le sommeil pour lutter contre les agressions sonores de notre quotidien, Baudouin Oosterlynck, plasticien belge, nous invita, lors d’une exposition monographique, à « écouter la forme de l’air » (1). L’artiste s’installa, durant près de trois mois, dans un site reculé, loin de toute pollution : le Musée d’arts contemporains (MAC’s) du site du Grand Hornu, dans le Hainaut (Belgique).
Dans l’œuvre d’Oosterlynck se rencontrent l’histoire de l’art et la gymnastique, deux de ses passions : les visiteurs, en entrant dans l’unique salle d’exposition, s’apprêtaient à effectuer une acrobatie auditive.Cependant, rassurez-vous, pas de courbatures au sortir de cette exposition, uniquement une délicate impression d’avoir redécouvert l’un de nos sens.
Disposées de manière ordonnée sur des tables et mises à disposition de chacun (petit ou grand), des « prothèses acoustiques » composées de stéthoscopes, d’aquaphones et d’instruments de chimie en verre, intriguaient et interrogeaient les visiteurs. Les murs blancs de la pièce d’exposition pouvaient rappeler l’atmosphère froide et aseptisée de certaines salles d’hôpital où nous retrouvons, également, des instruments aux formes similaires. Malgré l’invitation appuyée du personnel du musée à venir les manipuler, les futurs auditeurs hésitaient devant la beauté fragile de ces objets… Quelques secondes plus tard, ni une, ni deux, ils se lançaient dans cette expérience sensorielle.
Si l’ouïe est requise, la vue et le toucher sont aussi importants pour l’appréciation de ces œuvres tout à la fois ludiques, poétiques et drôles. L’exposition accorde une place importante à l’hygiène des visiteurs, en leur proposant de nettoyer, après chaque utilisation, les embouts des stéthoscopes grâce à des mouchoirs désinfectants disposés de manière discrète, dans une petite boîte blanche, au centre de chaque table.
Certaines œuvres, intouchables, étaient soit placées sous vitrines, soit suspendues au plafond par des fils transparents. Une quantité importante de dessins de l’artiste (des croquis préparatoires précédents chaque réalisation d’objet), difficilement compréhensibles – car il s’agit plus de dessins poétiques que techniques – étaient accrochés au mur à proximité les uns des autres.
L’interactivité entre les œuvres et les visiteurs justifie en grande partie le succès de cette exposition. Cependant, de nombreuses questions demeurent en suspens. Mais, qu’en est-il de la connaissance théorique du travail de l’artiste ? Pourquoi a-t-il réalisé ces instruments ? Quelles sont ses réflexions ? Où sont les cartels ?
Il est important de noter qu’aucune information n’était transmise aux visiteurs – hormis un livre, disposé sur une table à l’extérieur de l’exposition, dont à première vue, nous pouvions penser qu’il correspondait au livre d’or ; il s’agissait en réalité de la monographie de l’artiste.
Trois agents de surveillance vous permettaient d’entrer dans la salle (une file d’attente était prévue à l’unique entrée-sortie afin d’optimiser au mieux la visite). De plus, ceux-ci nous indiquaient comment manier les objets. Cependant, nous pouvions regretter l’absence de guides ou de médiateurs. En effet, malgré la grande écoute adonnée à chacun des visiteurs, le personnel interrompait brusquement ses explications afin d’interdire la manipulation de certaines œuvres, réservées uniquement à l’usage de l’artiste (point de cartels ni de panneaux explicatifs ne prévenaient les visiteurs).
Pour les explications, mieux valait être au MAC's lorsque l'artiste est venu en personne présenter ses œuvres. En effet, Baudouin Oosterlynck est intervenu à deux reprises au cours de l’exposition. Entre les objets, les visiteurs et l’artiste, une relation viscérale se mettait en place. L’artiste expliquait alors, à l’intérieur de la salle d’exposition ou dans la cour principale et verdoyante du Grand Hornu, ses instruments avec humour, passion et patience.
Une exposition déconcertante dont l’originalité ne tenait pas à l’événement en lui-même, mais bien aux œuvres de cet artiste malheureusement peu connu du grand public.
Marie Tresvaux du Fraval
Exposition Instruments d’écoute (du 20 novembre 2011 au 5 février 2012) au Musée des Arts Contemporains du Site du Grand-Hornu
(1) Baudouin Oosterlynck, cité dans le magazine lesoir.be, le 21 janvier 2012

The Gift – L’histoire des donations architecturales. Une exposition au Architekturmuseum der TUM de Munich
Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture » © Gasgar Lucas
Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture”
Le contexte historique des donations architecturales
Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture »
Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture »
La vie des populations
Sources :
- https://www.architekturmuseum.de/en/exhibitions/the-gift/
- https://www.architekturmuseum.de/wp-content/uploads/2023/09/AM_THE_GIFT_BROCHURE_SCREEN_AUFLAGE2-1.pdf
- https://www.youtube.com/watch?v=arunnmFkOsM
- https://www.e-flux.com/architecture/the-gift/
- https://www.youtube.com/watch?v=ETAGTSbIQ6w
#Nuit ; #Hotel ; #Experience
The revolutionary woman
« Je suis née avec le décoratif comme abstraction, et cet art n’a rien d’inférieur quand on voit dans les mosaïques la beauté des formes pures et la répétition comme une sorte de louange à cette beauté. La beauté est pour moi très spirituelle et a une réelle signification. La beauté est un plaisir que les artistes devraient réintroduire. » Ghada Amer
Il est des expositions dont on se souvient inévitablement des années après, tellement elles ont su nous marquer. Octobre 2012 : alors en voyage d’études dans le Val-de-Loire avec ma promotion de BTS, une étape nous mène à Tours. La pluie ayant eu raison de notre excursion à vélo, nous avons trouvé refuge au Centre de Création Contemporaine. Son exposition d’alors, « L’âge atomique » était consacré à Claude Levêque. Ce dernier avait conçu spécialement pour l’occasion une installation investissant l’entièreté de la salle d’exposition ; tel un lieu de retranchement en cas de guerre. Une découverte artistique frappante en raison de la puissance de l’œuvre qui traite des conflits armés et des menaces pesant en permanence sur le monde contemporain.
J’ai été d’autant plus marquée par le discours mis en œuvre autour de cette exposition. Accueillis par la responsable du Service des publics, nous avons bénéficié d’une visite qui s’est déroulée en trois temps. Premièrement, une introduction à l’exposition à travers une présentation de l’artiste et de son travail. Dans un deuxième temps, la découverte des œuvres durant une déambulation libre, avant de conclure par un échange autour de l’expérience vécue dans le cadre de cette visite. La raison pour laquelle cette exposition m’a tant marqué ? Avant tout, parce que je découvrais ce qu’était la médiation culturelle que je ne connaissais pas, et que j’allais moi-même pratiquer sans le savoir bien des années après.
Cette approche spécifique des publics m’a incitée à suivre l’actualité du CCC. En 2008, le centre d’art reçoit une donation de 159 dessins de l’artiste tourangeau Olivier Debré, s’ajoutant aux cinq toiles que le CCC lui avait commandé en 1992. Cette donation confirme l’ambition du centre d’art de se doter d’un bâtiment pérenne, d’après la volonté d’Olivier Debré : intégrer son œuvre au cœur d’un lieu en dialogue constant avec la création contemporaine afin d’apporter une nouvelle lecture de son art. Conçu par les architectes portugais Aires Mateus, le nouveau bâtiment (nouvellement nommé CCC OD) est érigé non loin de la Loire et inauguré le 11 mars 2017. A mon arrivée à Tours en septembre dernier, j’étais d’autant plus empressée de découvrir les nouveaux locaux. J’étais loin de me douter que j’allais y vivre un deuxième coup de foudre artistique.
Depuis le 2 juin 2018, les visiteurs sont invités à découvrir les dernières recherches picturales et sculpturales de Ghada Amer, artiste franco-égyptienne dont le centre d’art avait déjà consacré une exposition monographique en 2000. Née en 1963 au Caire, Ghada Amer emménage en France à l’âge de 11 ans, avant de poursuivre ses études entre Nice et Paris. Au milieu des années 1990, elle s’installe à New-York où elle réside encore à l’heure d’aujourd’hui. D’enfant née dans le monde oriental à adulte formée en France, le regard critique de l’artiste envers les droits des femmes et la société patriarcale se modifie. Consciente des évolutions en termes de conduite et de statuts imposés aux femmes en Occident, ces problématiques vont marquer le début de sa pratique artistique.
Deux salles du CCC OD ont été investies par Ghada Amer, dont la galerie noire qui y regroupe une vingtaine d’œuvres. D’une part, ses toiles brodées à l’esthétique unique qui a contribué à faire sa renommée dans les années 1990. D’autre part, ses récentes productions sculpturales où elle étudie le métal. Dark Continent : tel est le titre de cette première exposition, en référence à Freud qui qualifie la sexualité féminine de continent noir. Référence également à l’essai Le Rire et la Méduse de la philosophe Hélène Cixous. L’auteure y traite notamment de l’attribut féminin et de la nécessité de s’écarter des discours paternalistes en encourageant les femmes à découvrir leur sexualité bien trop souvent passée sous silence. Sexualité qu’elle nomme symboliquement : le continent noir.
Suite à son installation aux Etats-Unis, Ghada Amer emploie la broderie pour s’attaquer à la peinture et s’insère dans la tradition de ce médium, devenu, pour des femmes artistes, un instrument politique depuis les années 1970. Elle puise son inspiration à travers des sources aux domaines diversifiés : les contes enfantins, la mode, les poèmes médiévaux orientaux ou encore la pornographie. Sont représentés des sujets variés, allant de l’amour aux sentiments, en passant par les clichés préconçus de la femme. Corps féminins et mots sont brodés sur ses toiles, à la manière de revendications. Des citations minutieusement choisies et empruntées à des figures du féminisme, destinées à reproduire des prises de parole qui mettent en avant la place des femmes.
C’est uniquement en s’approchant que deviennent visibles les silhouettes féminines, laissant apparaître des figures dénudées aux poses lascives provenant de revues pornographiques. Les hommes sont volontairement absents de ses œuvres, odes à l’auto-érotisme féminin où ces héroïnes n’ont besoin de personne et encore moins d’un homme. Au fil de l’exposition se remarque un changement dans les toiles de Ghada Amer, évoluant vers la peinture abstraite. Dorénavant, l’enchevêtrement de fils brodés constituant la surface de ses compositions laisse place à des coulures de peinture, semblables à d’épais mouvements de brosses expressionnistes apposés sur la toile.
Parallèlement à ses compositions picturales, Ghada Amer réalise un travail autour des jardins depuis 1998. C’est en 2000 que le CCC de Tours l’invite pour sa première exposition personnelle. Dans Monographie et Jardins, elle conçoit trois formes de jardins répartis sur des sites distincts : le premier dans le parc du Musée des Beaux-Arts de Tours, le deuxième dans les jardins du Château du Rivau. Enfin, le dernier prenait place rue Marcel Tribut, au sein des anciens locaux du centre d’art. Aujourd’hui, ce jardin d’hiver fait l’objet d’une reconstitution dans la seconde exposition consacrée à Ghada Amer (Cactus Painting) où l’artiste investit cette fois-ci la somptueuse nef du CCC OD.
Cactus Painting constitue la production la plus hors-norme en termes de dimensions parmi celles ayant pris place jusqu’à présent au CCC OD. Cette installation horizontale de 24 x 7 mètres se compose de 16 000 plantes au total. Cinq jours de travail et une équipe de 25 personnes auront été nécessaires pour faire apparaître le motif, à partir d’un système de roulement. En partant d’un dessin de Ghada Amer, le sol de la nef a été quadrillé à la manière d’un enchevêtrement de fils de trames (apposés dans le sens de la largeur), et de fils de chaînes propres au tissage de tissu (apposés dans le sens de la longueur). Déployé tel un immense tapis de cactus et de plantes grasses formant des zig-zags, ce jardin se lit aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur à travers la vitrine du bâtiment.
Bien plus qu’un motif, ce parterre offre une tout autre lecture où se mélangent les tendres plantes grasses à l’aspect indéniablement phallique des cactus. Un message de revendication délivré par Ghada Amer suite au constat de l’absence des femmes dans l’histoire de l’art dictée par les ouvrages. A l’instar de la broderie, médium typiquement féminin qu’elle utilise pour s’attaquer à la peinture, l’artiste s’emploie ici à l’art floral comme moyen d’action pour détourner les codes de la peinture abstraite américaine d’après-guerre. Au-delà de la forme décorative et de la recherche esthétique, Ghada Amer s’appuie sur une activité féminine pour faire émerger des problématiques récurrentes liées aux relations entre les femmes et les hommes.
Pari réussi pour cette découverte des nouveaux locaux du CCC OD, qui a su m’époustoufler une seconde fois par la qualité de ses installations. Je demeure bluffée par Cactus Painting qui constitue le point d’orgue de l’exposition, magnifiée par la somptueuse nef. Ghada Amer est de ces artistes au parcours fascinant et au message inspirant en réponse au monde de l’art dominé par : « les mâles blancs et anglo-saxons. » A la manière d’un geste politique en réponse à l’exclusion des femmes, cette œuvre anti-machiste est plus que nécessaire à l’heure où tant de voix peinent encore à se faire entendre pour revendiquer les droits des femmes.
Expositions :
- Dark Continent : du 2 juin 2018 au 4 novembre 2018
- Cactus Painting : du 2 juin 2018 au 6 janvier 2019
Pour en savoir plus :
- Sur le CCC OD et les deux expositions : https://www.cccod.fr/

Tony Oursler, visite à double regard
L’ami sceptique : L’art contemporain, je n’y comprends pas grand-chose. Tu m’as dit que cet artiste a fait ce clip que j’ai vu. C’était étrange ce visage animé de David Bowie, disproportionné, posé comme cela au-dessus d’un petit corps figé.
L'ami enthousiaste : Director avec D. Bowie est finalement la sculpture-vidéo qui m'a le moins étonné. Peut-être est-ce en raison du visage connu. Elle me paraît moins intrigante, moins étrange. Je n'ai rien projeté en elle. Ce qui m'a surpris c'est le lieu d'exposition, ce tout petit espace près de la porte, avant dernière respiration dans les espaces occupés par l'artiste. Je ne connais pas assez bien le Mac's - les images et les souvenirs s'altèrent rapidement - pour comprendre s'il s'agit d'un espace façonné pour l'occasion ou si Oursler a pris plaisir à investir une sorte d’alcôve providentielle. Ce qui m'a amusé ici, c'est la composition de l'installation. D. Bowie, accroché dans le coin tel un Malevitch figuratif et bigarré, de relief et de son. Une véritable icône.
L’ami sceptique : Elle est placée à la fin, oui, après des œuvres qui nous en mettent plein les yeux. La première œuvre, diffusée sur une télé, est aussi un peu dans un coin. J’ai préféré l’installation avec les yeux, je me suis senti plus libre, moins assigné à une place dans l’espace,moins guidé que dans l’installation de la longue pièce, la seule pour laquelle un texte nous guide aussi dans la compréhension de ses inspirations ?
L'ami enthousiaste : J'ai également apprécié la vaste salle peuplée de grands et de petits yeux qui observent mais je me demande si le visiteur la parcourt vraiment ou s'il la traverse d'une traite sur son pan droit en cherchant la salle suivante. Il est agréable de dépasser l'orée, d'oser avancer vers le cœur de cette forêt, de déambuler à la rencontre de ce peuple sphérique et cillant. C'est impressionnant aussi. J'ai finalement eu l'impression d'éprouver un espace décuplé. Peut-être est-ce l'effet de la pénombre, du calme qui règne ici ?
La section qui précède l'installation créée pour le Mac's m'a également beaucoup plu. D'autres sculptures-vidéos. Tu sais, celles qui figurent de minuscules univers habités d'êtres hétéroclites, étranges et bavards. A ce stade de la visite, deux questions occupent mon esprit : comment les surveillants de salles vivent-ils cette expérience ? Comment tiennent-ils dans cette ambiance sonore « élevée », répétitive, aux accents parfois inquiétants ?
Si je réfléchis bien, j'ai plus ressenti l'atmosphère « fantasmagorique » hors de l'installation clé de l'exposition : Phantasmogoria, œuvre qui semble porter discours, légitimité et enjeux. Son statut de commande, d'acquisition,conditionne le fait qu'elle soit explicitée. Avec, entre autres, les indications dictées par les deux voix féminines synchrones, à la toute fin de l'installation, elle contient intrinsèquement une volonté de guider précisément le visiteur dans son expérience. L'assurance que le visiteur a bien goûté un instant de pure fantasmagorie ?
L’ami de moins en moins sceptique : L’œuvre à diables, fantômes et toile d’araignée, acquise parle Grand Hornu, a donc été pensée pour ou avec le lieu ? Entre d’une part le jeu vidéo de guerre, L’Exorciste, les dessins de « diables contemporains » demandés à des enfants, et d’autre part la descente au mausolée de la famille fondatrice du site, hommage au liégeois Étienne-Gaspard Robertson, qui inventa la fantasmagorie au18e siècle (je l’apprends !), le projet renvoie plutôt à une culture américaine, non ?
Cela ne m’étonne pas que tu penses au gardien, à celui qui vit l’exposition autrement que nous. Il n’était pas dans la salle où le « ballon vidéo visage »coincé sous un matelas ne cesse de crier « Fuck you ». Oursler nous teste, combien de temps on supporte ? Dans la salle des yeux, si habituellement exposés à la blessure (Buñuel, Dali) ou exorbités, l’œil vit, tu as raison, on reste fasciné par le modèle de la caméra. C’est moins violent, à première vue… J’ai eu envie de photographier les reflets de ces yeux dans le regard du visiteur. Mais si l’œil vit ou cille, difficile d’y lire des émotions. Les yeux regardent à vide.
L'ami ravi: Oui, moins violent à première vue... le visiteur doit pourtant avoir à l'esprit que ces yeux sont déconnectés d'un tout, d'un visage. Ce sont des fragments perdus ; cet état fragmentaire est très présent dans l’œuvre de Tony Oursler. Immergé dans l'installation, il est assez difficile d'échapper au réflexe de reconstituer un ensemble autour de l’œil, un visage ; même de façon inconsciente...
Phantasmagoria a été créée pour et avec le lieu ! Le Mac's en a fait l'acquisition. L'installation insitu est le fruit d'une collaboration entre l'artiste, ses assistants et l'équipe du Mac's. Une grande part du travail s'est effectuée à distance et a nécessité la mise en place d'une organisation subtile afin de mener à bien la production de l'exposition en général et de l’œuvre en particulier. Jérôme André, responsable de la conservation, a endossé pour l'occasion le rôle d'assistant de production et géré aspect financier et négociations ; tandis que Denis Gielen, commissaire d'exposition, est resté l'interlocuteur privilégié de Tony Oursler pour le volet artistique. Une telle répartition des rôles a permis de conserver intacte l'entente sans nuage entre l'artiste et celui qui a, ici, longtemps œuvré à la réalisation du projet d'exposition, loin des contraintes techniques et des crispations inhérentes aux négociations budgétaires.
Jérôme André n'évoque pas cette facette du travail sans un sourire entendu. Une autre dimension dans la collaboration et le travail en équipe s'ajoute ici : l'artiste a confié la réalisation des dessins des grands visages sur panneaux de bois à de jeunes artistes issus d'écoles d'art de la région et a invité, tu l'as mentionné, des enfants d'écoles environnantes à exprimer et représenter leur peur. Une sélection des dessins issus de l'exercice constitue une séquence de l'installation.
L’œuvre installée au sein du mausolée dela famille fondatrice du site industriel du Grand Hornu est également une œuvre in situ. Constituée d'une simple ampoule suspendue au plafond localisée en un point du mausolée circulaire et dont la lumière faible et vacillante éclaire un périmètre réduit du caveau ; elle génère,chez moi, une impression plus vive, franche évocation d'un monde inquiétant.
C'est ce dispositif minimaliste ainsi que les sculptures-vidéos qui m'ont le plus interpellé si l'on considère la thématique de l'exposition : il active certainement des peurs profondément ancrées ; elles évoquent un monde étrange et assez poétique - ce que n'a pas produit la pièce maîtresse de l'exposition – j'y associe donc plus volontiers l'idée de fantasmagorie.
Si Tony Oursler est américain, les référents imaginaires sont loin d'être des référents à une culture exclusivement américaine et comme tu le dis, c'est un hommage à un belge. Étienne-Gaspard Robertson est une figure emblématique pour l'artiste, une figure au fondement même de son travail, de sa rencontre avec Denis Gielen et de l'aventure au Grand Hornu. Ce personnage a en effet été le « prétexte », le lien idéal pour faire venir l'artiste en Belgique.
L’ami qui reviendra au Grand Hornu : On vient de parler d’œuvres, mais aussi fortes soient-elles, on ne vient pas voir que des œuvres, si poétiques ou provocatrices,on vient appréhender une proposition d’ensemble dans un lieu précis. J’ai compris que, pour une monographie sur un artiste,l’exposition évitait le parcours chronologique, si souvent adopté.
L'ami ravi: Oui, l'exposition n'est pas chrono-didactique, elle propose une divagation au cœur de l’œuvre de l'artiste sans cadre chronologique, sans schéma apparent ; cette errance, ce cheminement est pourtant structuré autour de l’œuvre éponyme, pièce maîtresse de l'exposition. De part et d'autre de celle-ci, les poupées et sculptures-vidéos seraient les accents toniques de la grande composition tandis que les pièces présentant le motif de l’œil représenteraient les silences, les respirations ; la dernière pièce nous éjecte de cette étrange partition, un retour brutal à la réalité.
Pour aller plus loin :
L'exposition : Tony Oursler -- Phantasmagoria
# Tony Oursler
# fantasmagorie
# sculpture-vidéo
# Grand Hornu
Crédits : marin
Crédits : marin
Crédits : marin
Tribulations d'une francophone au Canada
Dans le cadre d’un stage effectué entre mars et août 2016 au Canada, j’ai eu la chance d’être invitée à un colloque international sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, organisé à l’Université Laval de Québec. En tant que francophone en visite au sein d’une province très riche artistiquement et historiquement, je tenais à découvrir des institutions culturelles locales. Raison pour laquelle j’ai visité le Musée de la Civilisation à Québec-Ville.
Le Musée de Civilisation de Québec © Musée de la civilisation
Inauguré en 1988 par le gouvernement du Québec, le Musée de la Civilisation fut créé dans un contexte de diversification sociétale, marqué par une importante immigration, et une volonté d’affirmation de l’identité nationale québécoise face au reste du pays. Par-delà l’ambition du gouvernement de développer les politiques culturelles, l’établissement représente la figure même du projet muséal novateur, à l’origine d’une rupture qui va contribuer à l’apparition des musées dits de société. Ce terme qui regroupe les musées d’ethnographie, d’ethnologie, d’histoire, et de la vie locale, désigne des institutions qui favorisent une approche pluri thématique, valorisant les différentes composantes de la vie sociale.
En tant que visiteuse étrangère qui a l’habitude de fréquenter des institutions culturelles françaises, mon premier constat à la suite de cette visite au Musée de la Civilisation, est l’importance de la place accordée à la démocratisation, et l’élargissement des publics. En conciliant son ambition de valoriser la société québécoise, et de s’élargir à d’autres civilisations humaines, cette institution se distingue également par une politique d’exposition innovante, axée sur l’interaction et la participation. Au total, ce ne sont pas moins de cinq expositions basées sur l’identité québécoise, ou d’envergure internationale qui étaient présentées ; parmi lesquelles deux m’ont particulièrement marqué.
Ma visite débuta avec Lignes de vie, la plus importante exposition consacrée à l’art contemporain aborigène au Canada, réalisée en collaboration avec le Kluge-Ruhe Aboriginal Art Collection de l’Université de Virginie. Elle témoigne du processus de création des premiers peuples d’Australie, qui s’inspirent de traditions artistiques existant depuis plus de 60 000 ans, et de la manière dont elles s’inscrivent au sein des grands mouvements artistiques contemporains. A travers un espace ouvert qui joue sur les variations de lumières, ainsi que sur le contraste des couleurs, la visite immersive nous plonge littéralement dans l’ambiance de l’environnement australien (le bleu pour le ciel, le marron pour la terre, et le vert pour la végétation).
Lignes de vie© Musée de la civilisation
Y sont présentées une centaine d’œuvres (artefacts, masques, sculptures et tableaux) qui traite du devoir de mémoire, en rappelant les cruautés impunies et subies par les Aborigènes. Le numérique y possède une place importante puisque trois montages vidéo à vocation documentaire ponctuent la visite, et permettent d’étayer notre regard face à cet art ancestral. Deux bornes interactives sont également à la disposition du visiteur, et complètent les informations apportées par les cartels, permettant ainsi de situer l’œuvre géographiquement et historiquement ; puis d’avoir accès à l’interprétation des histoires racontées à travers les œuvres.
Lignes de vie © Musée de la civilisation
Le parti-pris de l’exposition est d’avoir choisi un parcours non pas géographique mais thématique, divisé en trois zones. Tout d’abord, une zone qui s’intitule « Terres de rêves » rappelle que les premières créations réalisées par ces Autochtones étaient éphémères car conçues à l’aide d’éléments organiques, (tels que la roche, le sable ou encore la terre) et comment au fil du temps, ces œuvres se sont adaptées aux nouveaux médiums. La seconde zone, appelée « Terres de Savoirs » fait ressortir l’influence des éléments de la nature et des légendes ancestrales, ainsi que l’impact qu’a leur identité spirituelle dans leur pratique artistique. Enfin, la troisième et dernière section, « Terres de pouvoirs », témoigne du rôle de leur art, en tant que revendication identitaire, et vecteur des aspirations politiques de ces peuples.
Ma visite se poursuivit par une autre exposition : C’est notre histoire, Premières Nations et Inuit du XXIème siècle, qui traite d’un sujet à travers une approche spatio-temporelle : à la fois revenir sur le passé, évoquer le présent, et envisager l’avenir des 93 000 Autochtones et Inuits qui peuplent la province québécoise à l’heure actuelle. Le terme Premières Nations désigne les Indiens vivant au Canada, qu’ils possèdent le statut d’Indien ou non. L’usage de ce terme s’est répandu au cours des années 1970, afin de remplacer le mot « Indien », considéré alors par certains comme étant choquant. On compte actuellement plus de 600 Premières Nations, et plus de 60 langues autochtones au Canada.
Cette exposition est le résultat d’une collaboration entre le Musée de la Civilisation, et la Boîte Rouge vif, une association sans but lucratif québécoise œuvrant à la valorisation des cultures autochtones. Ensemble, ils ont sollicité onze nations autochtones vivant au Québec, dont ils ont rencontré les représentants à l’occasion d’assemblées consultatives organisées sur deux ans. Au total, ce ne sont pas moins de 800 personnes issues de 18 communautés différentes, qui ont participé à la mise en place de ce projet.
C’est notre histoire, Premières Nations et Inuit du XXIème siècle © Studio du Ruisseau, SMQ
En présentant plus de 450 objets issus des collections du musée (armes, instruments, maquettes et vêtements entre autres), le rôle même de C’est notre histoire, réside dans sa volonté d’amener le visiteur à réfléchir sur ce que signifie être Autochtone au XXIème siècle. Les choix scénographiques ont consisté à partir d’une vaste salle, au design résolument contemporain, dans le but de symboliser le regard neuf à travers lequel le Musée de la Civilisation souhaite aborder les questions relatives aux Premières Nations.
Des archives audiovisuelles, ainsi que des projections sur écran (réalisées grâce à l’appui de l’Office national du film du Canada) sont disséminées au sein du parcours, et illustrent à merveille le propos véhiculé à travers les œuvres présentées. Par ailleurs, six bornes audio ont été installées, permettant ainsi de compléter notre visite par l’écoute d’un récit élaboré par Naomi Fontaine, jeune auteure innue.
De même que pour l’exposition précédente, un parcours thématique divisés en cinq sections différentes fut privilégié. La première, intitulée « Ce que nous sommes aujourd’hui - la réserve, nos communautés », aborde l’héritage, le mode de vie, ainsi que la réalité aujourd’hui à laquelle sont confrontés les Premières Nations. La deuxième section, « Nos racines », évoque la diversité culturelle autochtone, ainsi que la traversée effectuée au Nord de l’Amérique il y’a 12 500 ans.
Quant à la troisième section, « La grande tourmente », elle traite du choc des civilisations dû à 400 ans de colonisation, empreints de changements et de résistances. La quatrième section, « La décolonisation - La guérison », étudie les revendications culturelles et politiques qui ont été menées, en vue d’aboutir à une reconnaissance, et à un rétablissement des faits historiques. Enfin, pour ce qui est de la cinquième section : « De quoi rêve-t-on pour l’avenir ? », cette dernière fait état des ambitions et des craintes actuelles ressenties par ces communautés autochtones.
C’est notre histoire, Premières Nations et Inuit du XXIème siècle © Jean-François Vachon, la Boîte Rouge Vif
L’intérêt de ces deux expositions réside dans le choix des œuvres, qui dans les deux cas, mettent parfaitement en lumière les traditions ancestrales, ainsi que la fierté de ces peuples, qui n’ont jamais cessé de revendiquer leur existence. La documentation y possède également un rôle primordial, avec des outils en libre-accès pour le visiteur, qui complètent de manière juste les informations dont il dispose au sein de ces deux parcours.
Les deux parcours certes, portent sur deux thématiques différentes, mais véhiculent un message revendicateur commun, à savoir : comment réparer les préjudices injustement subies par ces deux civilisations, et de ce fait, transmettre aux futures générations pour ne pas oublier les erreurs commises ? Le visiteur ne peut qu’être touché par la richesse de la création artistique aborigène, par la culture, et le mode de vie hérité de traditions ancestrales chez les Premières Nations, ainsi que les Inuits. Ce qui le conduit à réfléchir à sa propre place au sein de la société actuelle.
Joanna Labussière
#Civilisations
#Héritage
#Traditions
#Québec
Pour plus d’informations : https://www.mcq.org/fr/

Trop classe !
Depuis le 25 septembre, la MAIF Social Club présente une nouvelle exposition à vivre sur la thématique de l’apprentissage et de la transmission : Trop classe !
MAIF Social Club, késako ?
Commençons par présenter ce lieu atypique qui a ouvert rue de Turenne dans le 3ème arrondissement de Paris en novembre 2016 et qui s’inscrit dans la politique de mécénat culturel mise en place par la Maif depuis de nombreuses années.
Plan de la Maif Social club © AG
L’espace s’ouvre sur le “forum” (voir photo ci-dessus) composé d’une zone d’accueil, d’un café et d’une petite boutique qui propose à la vente des gourdes et autre artillerie zéro déchet dans l’air du temps. Juste derrière se trouve un espace d’exposition, tandis qu’à gauche une aire modulable dotée d’une bibliothèque en accès libre est composée de tables et chaises à destination des usagers qui souhaitent travailler, seuls ou en groupe. Cet espace accueille également les ateliers prévus dans la programmation. Enfin, à l’étage, une salle est disponible à la location pour les entreprises lorsqu’elle n’est pas utilisée pour des conférences.
Depuis son ouverture, le design a évolué et la bibliothèque s’est considérablement enrichie avec tout un coin dédié à la littérature jeunesse adapté aux enfants (consultation sur place uniquement mais en accès libre). Le fonds a été constitué de manière thématique : écologie, habitat, urbanisme, sociologie, jardinage, innovation… en accord avec la vocation et l’identité du lieu.
L’endroit est calme, propice au travail, mais aussi aux échanges, à la discussion, à la dé tente, bref à la con-vi-via-li-té, concept à la mode dans l’éco-système culturel mais relativement difficile à trouver, notamment dans les musées traditionnels.
Dans l’ensemble, la Maif social club réunit pas mal de concepts très tendances en ce moment : expérimentation, innovation, enjeux sociaux, convivialité, taille humaine, transgénérationnel etc.
La Maif social club propose deux expositions thématiques et transdisciplinaires par an, appelées « permanentes » sur le site internet, quoique le terme semi-permanent semblerait plus adapté. La Maif social club s’inscrit dans une tendance générale de ralentissement des expositions, à l’inverse de la boulimie que les institutions pouvaient avoir il y a de ça quelques années. Ces expositions sont gratuites et une programmation dense et cohérente leur sont associée.
“Trop classe !”
L’exposition présentée en cette rentrée 2020 bouleversée par la crise du covid-19, a pour thématique la transmission. L’un des objectifs affichés de l’exposition est “d’appréhender l’école autrement” et de proposer une réflexion autour de la circulation des savoirs et de la question de l’apprentissage. Cette thématique n’a rien d’étonnant quand on sait que l’acronyme MAIF signifie Mutuelle Assurance des Instituteurs de France.
Le texte d’introduction rappelle qu’à l’échelle mondiale 263 millions de jeunes ne peuvent pas aller à l’école puis nous questionne sur ce qu’est l’apprentissage en France aujourd’hui où “la théorie de la reproduction sociale déconstruit l’idéal méritocratique”.
De prime abord, elle semble assez “enfantine”, des pièces de bois trainent au sol, des poufs placés en escaliers sont surmontés de tablettes pour jouer et au fond une grande fresque en tableau ardoise est recouverte de dessins d’enfants faits à la craie.
“Exposition à pratiquer”, elle propose une succession d’expériences corporelles qui sont au tant de “places” réparties dans l’espace : place pour faire, place pour jouer, place pour naviguer, place pour parler, place pour matières grises, place pour rêver, place pour s’insurger et enfin fenêtre sur cour.
Ces différentes places forment un univers “commun” mis à disposition des usagers, petits ou grands.
Vue de l’exposition Trop classe ! © AG
La dizaine d’œuvres présentées proviennent de jeunes créateur·rice·s, et ont été créées entre 2013 et 2020. Parmi elles, certaines ont été produites pour l’exposition à l’instar de la fresque de l’artiste Bonnefrite sur laquelle les visiteurs sont invités à dessiner et s’exprimer librement. Le soutien à la création contemporaine fait partie des missions de la Maif Social club. Certains artistes exposés participent à la programmation en animant des ateliers.
Pensée comme une aire de jeu, chaque élément est adapté aux enfants. Une échelle sécurisée leur permet de dessiner sur la fresque de Bonnefrite. Les bibliothèques en liège sont pensées pour éviter les collisions. Les tablettes numériques à disposition sont emballées dans une coque protectrice fort élégante pour prévenir les chutes.
Une place particulière est faite au numérique dans cette exposition avec les jeux proposés en libre accès sur les tablettes, les questions soulevés par l’œuvre de Filipe Vilas-Boas et enfin le Mobilab et sa Fabmanageuse. Il s’agit de montrer que le numérique et les outils informatiques peuvent être mis au service de l’éducation et du développement de la curiosité chez les enfants grâce à des applications numériques ludiques proposées par la Souris Grise. Même si évidemment l’usage des écrans doit être encadré comme le montre le reportage d’Arte Génération écran, génération malade ?
Tablette de l’exposition Trop Classe ! © AG
J’ai beaucoup aimé cette exposition et je ne peux que conseiller de suivre une visite guidée. La place que j’ai préférée est celle intitulée “Fenêtre sur cour” qui présente quatre vidéos abordant l’enfance réalisés par Valérie Mréjen et Mohammed El Khatib. Dans La Peau de l’Ours, les artistes donnent la parole aux enfants en leur posant des questions liées au langage et aux expressions. Dans Quatrième, des adolescents en internat sont interrogés un par un sur leurs rêves, leurs appréhensions, leurs modèles etc. La vidéo La dispute présente des enfants entre 8 et 10 ans qui parlent des disputes de leur parents, de l’arrivée de la séparation puis du divorce. La parole lucide des enfants m’a rappelé le podcast Entre de Louie Média qui aborde les mêmes thématiques de transmission et de passage d’un âge à un autre. Ces films sont très émouvants de par le cadrage (plan fixe sur les visages), la liberté de ton des enfants et adolescents interrogés, et les thématiques, parfois difficiles, abordées sans filtre. Ces films méritent que le visiteur s’y arrête quelque temps et se plonge dans ces récits tantôt joyeux, tantôt graves où les mots des enfants sont mis en valeur comme le seraient des mots d’adultes.
Vue de la place « Fenêtre sur cours » de l’exposition Trop classe ! © AG
L’exposition est modeste, mais dans un sens positif, c’est à dire qu’elle est simple, à taille humaine. Un·e visiteur·euse lambda a le temps en une heure de visite de s’arrêter sur chaque œuvre, avec la possibilité d’approfondir celles qu’il ou elle désire, en se faisant accompagner ou non par les médiateur·ice·s présent·e·s.
Le lieu reçoit gratuitement des groupes de scolaire sur demande, de la maternelle aux études supérieures.
Un livret de visite pour les 6-12 ans est disponible et propose des jeux en lien avec les œuvres de l’exposition. Il peut éventuellement servir aux enseignant·e·s.
La Maif propose également des visites accompagnées à destination des adultes. Gratuites sur inscription, elles durent environ une heure et permettent d’appréhender différemment les œuvres présentées, que les adultes sont invités à découvrir par la pratique et l’expérimentation.
AG
#MaifSocialClub
#Tropclasse
#exposition
Tzuri Gueta sublime le jardin des plantes
Parfois, le textile et le végétal se subliment, s’entremêlent l’un l’autre. C’est en tout cas ce qui attendait le visiteur de l’exposition « Noces Végétales » dans la grande serre du Jardin des plantes de Paris. En février 2014, Tzuri Gueta, créateur de bijoux et … de textiles pour la haute-couture, y a exposé ses dentelles siliconées. L’originalité repose sur la manière dont est traitée la dentelle, entre les mains de l’artiste elle devient sculpturale, à l’aide notamment de silicone – selon une technique qu’il a brevetée en 2005. La dentelle prend alors des couleurs et des formes surprenantes. Aperçu en texte et en images de cette exposition de textiles végétalisés.
Entrée de l’exposition La calèche « Vestige » Crédits: C.C.
De la dentelle entre les lianes
Au fil du parcours, sur les cours d’eau Îlots « Réminiscences » Crédits: C.C.
Dans la serre
En 2012 Tzuri Gueta propose un projet d’exposition dans le cadre du concours Le Créateur, de la Fondation Ateliers d’Art de France. Il remporte le prix quelques mois plus tard, et son projet passe de la fiction à la réalité. Durant trois mois, les végétaux de la grande serre du Jardin des plantes vont, en quelque sorte, se transformer en présentoir pour les dentelles du créateur ; car elles sont véritablement suspendues aux lianes, aux branches ou posées sur les cours d’eau. Mais qui des plantes ou des textiles révèlent l’autre ? Au fil du parcours, le visiteur s’aperçoit que les dentelles et les végétaux se subliment, se mettent en scène l’un l’autre. Les dentelles semblent animer la végétation dense et luxuriante des grandes serres du Jardin des plantes.
Au centre du parcours « Alliances » Crédits: C.C.
Quelques dentelles qui reprennent la forme de lianes se mêlent à elles dès l’entrée ; si bien que certains des visiteurs passent sans les voir. Rien n’indique les six créations présentes dans les serres, de façon à ce qu’elles se confondent pleinement à sa végétation. Seul un dépliant, disponible à la billetterie, éclaircit les idées du créateur et indique les œuvres textiles sur le parcours.
Après une première réalisation très discrète – mis à part la calèche trônant sur les escaliers de l’entrée de la grande serre, qui semblait tout droit sortie d’un conte de fée – quatre autres créations attendaient de charmer les sens du visiteur. La plaquette de l’exposition promettait un « parcours initiatique dans les rites et les symboles du mariage », celui « de la dentelle siliconée et d’une flore exubérante ». En effet, tout au long du parcours, le visiteur retrouvait une calèche, des robes de mariées qui habillaient les écorces de deux arbres… ou bien encore de minuscules îlots, des portiques… Il y avait donc un thème, mais son entière compréhension ne semble pas être une priorité. L’absence de cartel laissait à penser que l’esthétisme des créations prime sur leur message. La seule manière de connaître le nom des œuvres était de se référer au dépliant.
Au fil du parcours « Ponctuation discrète » Crédits: C.C.
En dehors de son activité d’artiste, Tzuri Gueta est créateur de bijoux pour sa propre marque mais il est également l’un des fournisseurs textile de la haute-couture ; lieux où importe essentiellement la beauté et la grâce des objets. « Noces Végétales » proposait un parcours pour un visiteur en quête de merveilleux ; la dentelle mêlée aux végétaux appelle au rêve. Aidé par l’ambiance d’une serre tropicale en plein Paris, le créateur a remporté son pari ; le visiteur pouvait aisément se laisser prendre au jeu, s’imaginer dans un lieu féerique où les arbres tissent d’étranges et sublimes matières. Pour quitter cette exposition à l’univers enchanteur et continuer la visite des grandes serres, le visiteur passait au travers d’une immense cascade, laissant derrière lui lianes et dentelles et retourne ainsi à l’ordinaire.
Capucine Cardot
Pour aller plus loin :
Musée National d'Histoire Naturelle de Paris
#Noces végétales
#Jardin des Plantes
#Textile

Un mini Centre Pompidou en Andalousie
De passage à Malaga, j’ai visité les musées environnants. Après un passage par le musée Picasso – rappelons le, Picasso était malagueño– c’est finalement le Centre Pompidou qui a retenu mon attention. Tout beau,tout neuf, le centre a ouvert ses portes en mars dernier. Vue de l’extérieur,il ressemble à un grand cube coloré de bleu, rouge et jaune ; une œuvre de Daniel Buren.

Picasso, période bleue © J.D

Vue de El Cubo de dessous © J.D
De passage à Malaga, j’ai visité les musées environnants. Après un passage par le musée Picasso – rappelons le, Picasso était malagueño– c’est finalement le Centre Pompidou qui a retenu mon attention. Tout beau,tout neuf, le centre a ouvert ses portes en mars dernier. Vue de l’extérieur, il ressemble à un grand cube coloré de bleu, rouge et jaune ; une œuvre de Daniel Buren.
A celui qui pense que le Centre Pompidou c’est un peu comme le Louvre, un classique que l’on connaît déjà, je dirais que l’antenne de Malaga a la particularité d’être un lieu de petite taille, ce qui permet de redécouvrir les œuvres, de s’y attarder et rend la visite bien plus agréable. Installé pour cinq ans, le centre provisoire présente une sélection de 90 œuvres, réparties sur 7000 m2 dans une dizaine de salles. Je ne m’attarderai pas sur l’exposition temporaire, des dessins de Miró – que j’aime pourtant beaucoup –disposés de manière assez classique, je vais plutôt vous parler de la collection permanente, qui m’a le plus touchée.
L’exposition permanente a pris le parti de traiter la figure du corps et met en avant l’art vidéo. Dès son entrée dans l’exposition, le visiteur est confronté à un enregistrement de caméra de surveillance, postée à l’entrée du musée. Ce dispositif crée un effet miroir, une mise en abyme de la visite.
Le corps en morceaux
Arrivée dans la pièce principale, une foule de statues en aluminium, corps à genoux qui semble se recueillir, m'accueille. Toutes se tournent dans la même direction. L’uniformité de ces corps fantômes, de cette masse et leur anonymat interrogent. En créant ces corps sans visages, Kader Attia réalise un travail sur l’aliénation et la quête identitaire.
Ghost, Kader Attia, 2007© J.D
Les métamorphoses
Plus bas, un rire sarcastique se fait entendre ; celui d’une marionnette à échelle humaine posée à même le sol. Une projection lui donne vie, le dispositif est visible par le spectateur. La tête de la poupée a une dimension monstrueuse, qui exacerbe l’émotion qu’elle véhicule. C’est une installation de Tony Oursler, dont d’autres œuvres sont présentées au fil du parcours. De nouveau la vidéo fait irruption dans la visite, avec l’œuvre de Pierrick Sorin. Trente deux visages filmés en gros plans nous font face. Tour à tour, ils répètent d’une voix mécanique « It’s really nice », titre éponyme de l’œuvre. Les personnages ont été réalisés par une superposition de différents visages, ce qui leur donne un aspect grotesque, presque monstrueux.
It’s really nice,Patrick Sorrin, 1998 © J.D
L’autoportrait
Dans l’ensemble, les cartels sont parfois difficiles à lire, mal placés, il faut parfois un moment pour réussir à les trouver, comme si on avait voulu préserver l’architecture du lieu et laisser place à une libre interprétation des œuvres. Disposées en enfilade autour de la pièce principale, les salles abordent chacune un thème spécifique, lié au corps humain. Parmi elles, la salle des autoportraits mêle aussi bien celui de Frida Khalo que de Raoul Dufy.
Le corps politique
La salle du corps politique est probablement celle qui m’a le plus marquée.Avec la captation Barbed Houla, l’artiste israélienne Sigalit Landau réalise une performance dans laquelle ellefait du hula hoop, nue, avec un cerceau formé par des barbelés. La vidéo a été tournée sur une plage de Tel Aviv. Il faut y voir une représentation symbolique du peuple palestinien opprimé. Le sang coule. Dans la même pièce, est présenté Le baiser de l’artiste d’ORLAN. Des photographies reviennent sur cette performance dans laquelle ORLAN, devenue un distributeur de baisers, questionne le rapport entre l’art et le commerce qui tend parfois vers la prostitution.
Un peu plus loin, nous sommes face à une collection de… moineaux ! Empaillés,triés et habillés, l’installation est très déroutante. Les Pensionnairesd’Annette Messager raconte le quotidien de ces animaux naturalisés, envisagés comme des enfants à éduquer ou punir. Je dois reconnaître que, encore aujourd’hui, je n’ai toujours pas réussi à saisir le sens de cette œuvre.
La visite presque terminée, nous retournons sur nos pas. Le Centre Pompidou de Malaga, par le choix des œuvres présentées nous propose une relecture de l’histoire de l’art du XX et XXIe, n’hésitant pas à aborder des sujets sensibles, qui font encore débat. Si Picasso et d’autres figures emblématiques de l’art contemporain y sont présentées, quelle ne fut pas ma surprise en découvrant que même Hello Kitty semblait avoir trouvé sa place au musée ! Après avoir visité le Centro de Arte Contemporaneo de Malaga, c’est la deuxième fois que je reconnaissais le petit chat nippon dans une des œuvres exposées.
Mention spéciale aux toilettes parlants (Tony Oursler est partout) !

Sculpture Hello Kitty, de Tom Sachs, 2001 © J.D
J.D
#CentrePompidou
#Malaga
#corps
Pour en savoir plus :
> Centre Pompidou Malaga : http://centrepompidou-malaga.eu
> Pour une visite virtuelle : https://www.youtube.com/watch?v=TkxLYS91v1k
> Le clip de David Bowie réalisé par Tony Oursler : https://www.youtube.com/watch?v=QWtsV50_-p4

Un musée au plafond bleu
En pleine zone urbaine (ou non), au creux de nos campagnes ou proche de friches industrielles : les jardins éclosent et égrènent nos offres culturelles. Quels en sont les enjeux ?
image d'introduction : Museum Insel Hombroich ©Alexis
S’évader au grand air, fouler l’herbe de ses pieds nus, sortir de sa masure et se reconnecter à notre Nature : un rêve, une scène idéale pour beaucoup de citadins durant la succession de plusieurs confinements. Road trip, vagabondage, vivre l’ailleurs, reconnexion à la nature et expérience simple : la fréquentation des jardins ne fait qu’augmenter.
Rattachés à des musées, les jardins sont considérés comme un prolongement extérieur d’une exposition, comme une salle à part entière. Sont alors pensés la muséographie et la scénographie de ces lieux. Cependant, ce rayonnement ne s’arrête pas à la structure muséale : potager, jardin naturel, jardin artificiel, jardin botanique, jardin pédagogique, jardin de contemplation, de plaisir, de promenade, collaboratif, associatif, de repos… Éphémère ou permanent : des lieux de tous les possibles, où les fantasmes d’un monde plus lent et vertueux s’expriment. Découvrons les ensemble.
Un feu créativement destructeur
Le Jardin Éphémère, Place Stanislas ©Claire Delon - Exposition “Le Feu Effleure !” ©Mélanie Terrière
“Nous ne sommes plus sur une crise, mais un changement de modèle climatique [...] personne ne peut le nier” annonce Isabelle Lucas, adjointe au Maire de Nancy, à l’ouverture du Jardin Éphémère à Nancy, édition 2022.
Chaque année d’octobre à novembre, le Jardin Éphémère place Stanislas est le rendez-vous automnal attendu par les Nancéien.nes. Lieu de promenade, de délectation, d’engagement, de surprises et d’expérimentation : c’est un événement qui, depuis plusieurs années, aborde notre relation avec Dame Nature.
Depuis plusieurs éditions, une récurrence s’installe au choix de la thématique annuelle : la municipalité souhaite utiliser le Jardin tel une œuvre engagée et y aborder des thématiques brûlantes. “Terre ou désert ?", “Eau de vies”, “Place à l’arbre”... Cette année, “Le Feu effleure” est annoncé en lien avec le Congrès National des Sapeurs-Pompiers : un jardin hommage au travail effectué pendant les feux de cet été. Sont également proposés des visites guidées, des créations d'œuvre d’art contemporain, des ateliers et une exposition temporaire au milieu des buissons.
Tantôt engagé ou visuellement accrocheur, comment par le jardin et la nature, sensibiliser tous les publics, tout en valorisant un savoir faire local ? Un manifeste pour valoriser des connaissances nécessaires à une transition écologique évidente. 36 000 visiteurs y ont participé cette année.
Un Eden allemand
Museum Insel Hombroich ©Alexis - Museum Insel Hombroich ©Alexis
Une harmonie entre la nature et l’art, un parc idyllique de 20 hectares entre plénitude et zénitude : en tout cas, c’est comme ça qu’on nous le vend.
Autre exemple : le Museum Insel Hombroich est un lieu perdu au fond de la campagne allemande. Les visiteurs ne s’y bousculent pas même les jours de beau temps. Ils peuvent y savourer un temps de calme, de repos et de contemplation en pleine nature. Tantôt jardin, parfois musée : s’y chevauchent et s'entremêlent plusieurs bâtiments abritant des collections privées d’art contemporain et sentier en friche où poussent champignon et mousse. Cette œuvre humaine entre en résonance avec l'œuvre naturelle.
Passé l'accueil, un univers parallèle qui s’ouvre à nous : étangs, lacs, verdure luxuriante, sentier sinueux, fleurs, herbes folles et dansantes, plantes exotiques, prairies où le temps semble être arrêté. Dans ce jardin, c’est la nature qui prend ses droits, et l’humain qui l’accompagne et la contemple. Bien que tout soit aménagé artificiellement, ce n’est pas par la force et le contrôle qu’il est pensé : au contraire. Ce n’est pas un jardin à la française, mais plutôt du type anglais : on s’y pavane, s'arrête, s'étend dans l'herbe. Les visiteurs se laissent surprendre par des bâtiments entre deux bambous ou deux hortensias : on y vit son soi et sa curiosité. Il n’y a pas de parcours imposé. A chacun sa propre interprétation, place au lâcher prise.
Au détour d’un chemin, même si nous sommes dans un musée jardin, nous ne tombons pas nez à nez avec des cartels ou des textes de salles, mais directement avec des œuvres abritées ou en pleine nature. Ce n’est pas un lieu d’apprentissage pur : le public est amené à se demander comment l’objet est arrivé ici, d’où il vient, et comment s'intègre-t-il dans son nouvel environnement : il y mobilise son imaginaire, ses sens et se sent à l’aise. Au calme. Le bruit du vent est perceptible, le craquement des feuilles résonne, les buissons semblent se déplacer et les oiseaux s’époumonent. Une ode à la vie.
Le parc est construit sur un ancien site industriel aux allées géométriques et rangées. En 1994, le site est réaménagé : tout est pensé en courbe, asymétrique, le plus naturel possible où des œuvres en acier rouge corrodé rencontrent une nature au feuillage multicolore. Un pied de nez à cette époque industrielle dévastatrice. C’est radical.
Un simple carré de terre
Le jardin des simples et des saveurs oubliées ©La Ferme du Temps Jadis
La ferme du temps Jadis à Auby est un écrin de nature, une ferme et un musée d'anciens matériels agraires dans le Nord Pas-de-Calais. Sous l'appellation “écomusée”, ce lieu revendique son mode de fonctionnement bénévole, sous forme d’adhésion à leur association à but non lucratif, collectif, ludique et pédagogique. Une revendication assumée : la nécessité de transmettre un savoir-faire essentiel pour mieux appréhender les années à venir. Faire germer, faire une bouture, planter, transplanter, arroser, patienter… Y germent près de 150 variétés de plantes aromatiques, médicinales, tinctoriales dont l’origine ancienne intrigue et fascine.
“Ce jardin permettra de faire découvrir certaines plantes qu’on trouve à l’état naturel, qu’on peut considérer comme de la mauvaise herbe mais qu’on peut utiliser dans la cuisine, pour soigner des brûlures…” détaille le président de l’association et porteur du projet : Jean-Pierre Lesage. La transmission est le leitmotiv du projet : (ré)apprendre à utiliser ses mains, à produire sa propre alimentation et en comprendre le processus.
Ce n’est pas seulement la vue qui est mise à l’honneur : bien que les couleurs du site apaisent, le toucher et l’odorat sont également mobilisés. Un sentier à parcourir pieds nus afin de ressentir les différentes matières terrestres est proposé : terre, boue, écorce ou lin séché. Les bénévoles de l’association proposent d’y apprendre à créer son propre purin, de s’informer sur l’art du compostage et d’apprendre à cuisiner les légumes du potager de saison. Des chantiers participatifs gratuits sont annoncés, et mobilisent les habitants locaux à planter des arbres fruitiers et d’étendre les vergers déjà existants. Des nids d’oiseaux sont installés ainsi que des refuges pour les animaux. Ce maillage végétal et écologique est destiné à rétablir une faune et une flore qui étendent ses racines sur un paysage rongé par le travail minier.
Un avenir fait de plantes
C’est un constat général, la fréquentation des musées n’est pas similaire à ce qu’elle était avant la pandémie. Certains pourraient annoncer que les publics sont moins curieux : ne sont-ils pas juste ailleurs, en pleine nature, à la recherche d’un sens nouveau, plaisir et délectations ?
A l’heure où on pense chaque jour aux sales années à venir, où une transition écologique n’est peut-être plus suffisante, les Jardins (et ils sont nombreux!) offrent un havre de sérénité, d’espoir, de relaxation afin de mieux appréhender le futur à venir. Chérissons-les, et découvrons-en d'autres !
Museum Insel Hombroich ©Alexis
Alexis
Pour en savoir plus :
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Japon, l’art du jardin zen - Arte
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Série de documentaire (4 vidéos) - La vie sauvage d’un jardin - Arte
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Série de documentaire (3 vidéos) - La nature, l’art et nous - Arte
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Azur et Asmar - Le jardin de Jénane - Gabriel Yare
#jardin #transitionecologique #musée

Un noir en demi-teinte : Soleils Noirs au Louvre-Lens
En apprenant que le Louvre Lens tenait une exposition temporaire intitulée Soleils Noirs, j’ai tout de suite été enthousiaste. J’espérais visiter un parcours qui explorerait toutes les symboliques sociales associées au noir, les aventures artistiques menées autour de cette couleur, les problématiques chimiques de l’obtention des pigments nécessaires pour en faire de la peinture, les définitions physiques de la lumière et de l’obscurité... Bref, je m’attendais à une croisée dynamique des savoirs de tous ordres autour de cette teinte fascinante. C’est ce que j’espérais, tout simplement car c’est sûrement ce que je ferais si j’étais en charge d’une exposition sur la thématique du noir.
Pour me renseigner, je consulte alors le site internet du musée, et vois l’exposition décrite comme « poétique et sensorielle », « croisant les époques et les disciplines, entre peinture, mode, arts décoratifs, projections et installations », « de l’antiquité à nos jours ». Exit la physique, la chimie, l’anthropologie, je comprends donc qu’il s’agit avant tout des arts plastiques, avec une incursion – timide – dans le monde social par le biais du vêtement et par l’histoire locale de la mine. C’est un parti-pris intéressant, car plutôt que de partir dans toutes les directions, l’exposition est cadrée sur une thématique présente de manière transversale dans l’art de toutes les époques. Un parcours dans l’histoire de l’art par le biais d’une couleur peut être l’occasion de faire de belles découvertes.
Mais lors de la visite, j’ai trouvé que la multiplicité des périodes était limitée à quelques époques spécifiques (d’un côté, de la 2nde moitié du 18e siècle aux années 1900 en Europe, de l’autre l’art contemporain international). L’art contemporain est présent autant par des œuvres déjà bien inscrites dans le panorama artistique (de Soulages ou Hans Hartung par exemple) que par le recours à des commandes à des artistes en vie, ce qui enrichit considérablement le parcours. Le Moyen Âge, en revanche, est à peine présent via le transi de Guillaume Lefranchois, des collections du musée des Beaux-Arts d’Arras et La chute des anges rebelles du Louvre. Les périodes couvertes sont donc moins nombreuses que ne le laissent penser communiqués de presse et communication internet, et sont aussi les plus mises en avant dans les musées de beaux-arts français en général.
La chute des anges rebelles © Musée du Louvre/A. Dequier - M. Bard
Il me semble qu’au fond, plutôt qu’une question de discipline ou d’époques, ce qui fait la cohérence de l’exposition, c’est l’orientation vers l’esthétique, la beauté forcément sublime d’une couleur abondamment présentée comme ambivalente.
La solitude, Alexander HARRISON, © RMN-Grand Palais, musée d'Orsay, Hervé Lewandowski
Lee BAE, Issu du feu, conservé au FIMAC (Fonds d’investissement et de mécénat en art contemporain) de Lille © MH
un texte de séquence de Soleils Noirs sur la technique de la silhouette © MH
Simon Hantaï, étude I, suite pour Pierre Reverdy conservée au MAC/VAL (détail) © MH
Pour finir, je regrette que Soleils Noirs présente si peu d’œuvres de femmes. En excluant les œuvres d’artistes anonymes, toutes les œuvres présentées antérieures au 20e siècle sont faites par des hommes, et seul l’art contemporain permet d’insérer des œuvres de femmes dans le parcours. J’ai pris des photographies de chaque œuvre de femme artiste pour le compte twitter @accrochee_s, qui recense les œuvres de femmes présentées dans des expositions temporaires ou permanentes en musées : au total, et sauf erreur de ma part, seules 5 œuvres présentées sur 140 en font partie, plus une œuvre réalisée par un couple de photographes mariés qui travaillaient et signaient leurs œuvres ensemble. Ce relevé indicatif ne dit rien de la qualité de l’exposition, mais signale tout de même un problème de diversité saisissant.
Misty Road de Renie Spoelstra (Frac Picardie Hauts-de-France) © MH l’une des rares œuvres de femmes dans le parcours et l’une de mes œuvres favorites de l’exposition
En somme, cette exposition ne m’a pas entièrement convaincue, même si elle m’a donné l’occasion de voir des œuvres variées et parfois très belles, car j’ai eu l’impression de ne pas accéder à des contenus sur le noir mais seulement à des œuvres d’art dont la couleur noire était une composante. Malgré tout, j’ai particulièrement apprécié l’effort mené pour sortir du cadre monographique ou chronologique qui domine souvent dans les expositions de beaux-arts en France.
Marie Huber
#soleilsnoirs
#artcontemporain
#LouvreLens
Lien pour aller plus loin :

Un promenoir infini
Retour sur la 27ème édition du Festival International des Jardins où la pensée est mis à l'honneur au coeur du domaine de Chaumont-sur-Loire. Laissez-vous embarquer dans cette déambulation bucolique avec des installations éphémères qui n'ont pas fini de vous inspirer !
Le château de Chaumont-sur-Loire © Eric Sander
Surplombant la Loire à 40 mètres de hauteur, le château de Chaumont-sur-Loire allie architecture défensive de la période gothique et architecture d’agrément de la Renaissance. Bâti au XVème siècle, le château vit au cours du XVIIIème et XIXème siècles une forte période d’effervescence intellectuelle. Devenu la propriété de Jacques-Donatien Le Ray, le monument accueille des artistes renommés tels l’écrivaine Germaine de Staël et le sculpteur Nini. Seront également reçues des personnalités internationales, parmi lesquelles Benjamin Franklin. Cette période fructueuse se poursuit jusqu’en 1938, date à laquelle l’édifice est transmis à l’Etat par la Princesse de Broglie, dernière propriétaire privée du château suite à son acquisition en 1875.
Le parc historique © Joanna Labussière
D’ancienne forteresse à demeure d’agrément, le domaine ne possédait pas de jardin du XVIème siècle. C’est au XIXème siècle que le comte d’Aramon y fait planter de nombreux espèces d’arbres, dont des cèdres. Le parc tel qu’on le connaît à l’heure actuelle est conçu par le Prince de Broglie et le paysagiste Henri Duchêne. Crée dans un style paysager à l’anglaise, le parc se distingue par un relief légèrement vallonné, constitué de pelouses délimitées par des allées curvilignes. Isolés ou groupés en bosquets, les arbres orientent le regard vers les éléments phares du domaine : le château, le fleuve et la forêt. En parallèle, un second parc a été conçu en 2012. Réparti sur 10 hectares, le Pré du Goualoup regroupe des jardins représentatifs des grandes civilisations.
Le Pré du Goualoup © Joanna Labussière
Le Domaine de Chaumont-sur-Loire est réputé pour être le premier Centre d’Arts et de Nature exclusivement dédié à la liaison entre la création contemporaine et le patrimoine paysager. Y sont organisés chaque année une saison d’art contemporain ainsi que le Festival International des Jardins, rendez-vous incontournable de l’innovation jardinistique consacré à la relation entre la culture et le paysage. Ce dynamisme culturel se reflète dans la programmation mise en œuvre au cœur de ce domaine, ancienne propriété de Catherine de Médicis et de Diane de Poitiers : expositions photographiques, installations contemporaines et jardins de création rythment le site au fil des saisons.
La 27ème édition du Festival International des Jardins
Lancée le 24 avril 2018, la 27ème édition du Festival International des Jardins convie les visiteurs à explorer les jardins du château parsemés d’espaces éphémères. Architectes, jardiniers et paysagistes ont façonné leurs créations autour du thème « Jardins de la pensée » et déclinés à leur manière. Des productions fructueuses qui donnent lieu à une balade agréable et saisissante au cœur de ce domaine verdoyant planté au-dessus de la Loire. Cette année, le jury présidé par l’écrivain Jean Echenoz, a examiné près de 300 candidatures provenant du monde entier (Canada, Chine, Etats-Unis, France et Russie, etc.) avant de sélectionner les lauréats invités à investir le parc jusqu’en novembre.
Affiche du festival © Domaine de Chaumont-sur-Loire
Ainsi, c’est la pensée sous toutes ses formes qui est mise à l’honneur, comme le souligne Chantal Colleu-Dumont, directrice du domaine de Chaumont-sur-Loire et du festival : « Quand on regarde la littérature, la philosophie, la pensée a une relation privilégiée avec le jardin. C’est l’endroit où elle se libère, où elle prospère. C’est aussi l’endroit où il est le plus facile et le plus agréable de réfléchir. On y va pour oublier ses soucis et on finit par se retrouver soi-même. » Ancienne professeure de latin grec, Chantal Colleu-Dumont confesse que le thème de cette nouvelle édition lui tient d’autant plus à cœur : « Nous avons deux références à Jose Luis Borges, une à Montaigne, une autre à Shakespeare et même à Michel Houellebecq. C’est effectivement un thème qui m’est cher. Pour moi la pensée est forcément connectée avec la littérature. Pour bien réfléchir, il faut lire en permanence. Je sais, cela peut faire un peu intello comme ça. Mais dans les jardins, c’est plus ludique et léger. »
La possibilité d’une île (Ulli Heckmann) © Joanna Labussière
C’est là toute la magie de l’événement. Nul besoin d’être un connaisseur avisé pour profiter de ce spectacle luxuriant aux installations toutes plus inspirantes les unes que les autres. Si l’on regrette parfois le manque d’informations relatives aux œuvres, on se laisse très facilement porter par cette déambulation bucolique qui n’en finit pas de nous émerveiller ; y compris par la beauté du domaine en lui-même. Coup de cœur en particulier pour « La possibilité d’une île », jardin minimaliste avec une étendue d’eau plantée d’un érable. De même pour « Sculpture de verre », composé de volutes en dégradés de bleu faisant office de support à des plantes grimpantes dans des tonalités similaires.
Sculpture de verre (Dale Chihuly) © Joanna Labussière
Expositions :
- Les 10 ans d’art (château, parc historique, écuries et cour de la ferme) : du 31 mars au 4 novembre 2018
- Les 10 ans d’art (Pré du Goualoup) : du 24 avril au 4 novembre 2018
Festival International des Jardins :
- Jardins du Festival et Pré du Goualoup : du 24 avril au 4 novembre 2018
Pour en savoir plus :
- Sur le Domaine de Chaumont-sur-Loire et le Festival International des Jardins : http://www.domaine-chaumont.fr/

Un rappeur comme commissaire d’exposition ?
Jusqu’au 4 mai 2025, le musée d’art contemporain des Abattoirs à Toulouse laisse carte blanche à Olivio Ordoñez du fameux duo de rappeurs toulousain Bigflo et Oli. À travers une sélection d'œuvres issues des réserves du Frac Occitanie et des créations inédites, les visiteurs déambulent dans le Musée imaginaire d’Oli. Cependant, qu’en est-il du discours scientifique ? Le jeune rappeur peut-il s’inventer commissaire d’exposition ?
Photographie de l’affiche Le Musée imaginaire d’Oli © Moïse Luzolo et graphisme © S.A.C. Studio
Une descente dans l’intime
Avant même de descendre à l’intérieur du Musée imaginaire d’Oli, une notion bien souvent reprise lorsqu’un artiste est invité pour une carte blanche, le visiteur perçoit au sous-sol le titre de l’exposition, immense, accompagné d’une musique au piano inédite, inspirée de Claude Nougaro. Dans les escaliers, Jean-Publik, un personnage crée par Pierre Mortel spécialement pour l’exposition, nous escorte jusqu’en bas. Dessiné sur les murs, il donne le ton de l’exposition : “On a le droit de prendre son temps, de critiquer, d’inventer des explications, de ne pas tout lire, d’aimer”.
Vues de l’exposition Le Musée imaginaire d'Oli, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse, 5 décembre 2024 - 4 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel
La première salle se situe à la croisée des trois autres, elle introduit l’exposition. La projection d’un clip original occupe un mur entier, dévoilant les coulisses du projet en mettant en valeur les travailleurs invisibles du musée : un gardien de nuit et une agente d’entretien. Des télévisions diffusent des reportages télévisés d’anciennes expositions des Abattoirs qu’Oli a visité lorsqu’il était plus jeune. Une œuvre de Juliette Green nous interpelle dans un coin : Comment peut-on rendre les musées plus accueillants ? Autour de ce titre, un patchwork de réponses originales : pour convaincre Rachel, il faudrait qu’elle ne fasse plus la queue ; pour convaincre Ilona, il faudrait qu’elle soit sûre que l’exposition est adaptée à ses trois enfants ; pour convaincre Otto, il faut réussir à convaincre sa femme, parce qu’il ne veut pas y aller sans elle. Cette œuvre originale créée pour l’exposition souligne de nouveau un discours qui semble probant : le musée doit être accessible à tous et chacun devrait être au courant de ce qui est mis en place pour favoriser l’accessibilité.
Dans un espace nommé “Album de famille”, Oli expose des œuvres qu’il rapproche à son père, sa mère et son frère. Au centre, un grand cube vitré reproduit la pièce dans laquelle il compose ses chansons. Si le visiteur peut voir dans cet espace comme s’il s’agissait d’un aquarium, le message est clair : sa famille l’inspire et le supporte dans sa création. D’un côté, des œuvres accompagnées de commentaires amusants de son père, de l’autre, sa mère peinte à la façon de la Marilyn d’Andy Warhol. La famille est ici celle qui transmet une histoire, une culture et un héritage qui font partie de notre identité.

Vues de l’exposition Le Musée imaginaire d'Oli, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse, 5 décembre 2024 - 4 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel
À l’opposé de la famille, un espace nommé “À ciel ouvert” présente l’amour porté par Oli à la culture urbaine et sa jeunesse passée dans les rues, que le texte de salle définit comme « un espace unique d’expression libre et une des premières sources d’inspiration du monde du rap ». Le street art est alors mis à l’honneur, au travers des graffitis, des affiches ou d’une mosaïque de Space Invaders. Des bancs publics et la reconstitution de la façade d’un kebab ouvert en pleine nuit. Dans un coin de la pièce, les portes des réserves sont recouvertes d’un grand texte; démystifiant ce qu’il se passe derrière ces portes. Une base de données accompagne ces portes, permettant aux visiteurs de naviguer virtuellement dans les collections du Frac Occitanie tout comme Oli l’a fait lors de la sélection des œuvres de l’exposition.
Enfin, la dernière salle, “L’art de la rencontre”, est la « place publique de [s]on monde où les œuvres et les visiteurs se croisent. » Du mobilier reprenant les caisses de transport d'œuvre permet aux publics de s’asseoir devant un mur qui expose pêle-mêle une soixantaine d'œuvres d’art de la collection entre lesquelles se cachent le maillot de Maradona ou encore un disque du rappeur Eminem. En face, l’ombre de Claude Nougaro joue sur un piano à queue. Enfin, un mur d’expression sur lequel les visiteurs peuvent librement dessiner sur des cartes reprenant des graphismes de Jean-Publik. Ce mur juxtapose trois photomatons. En écho à leur dernier album Les autres, c’est nous, la photo qui est imprimée est celle de la personne qui nous a précédé, on doit alors attendre les prochains visiteurs pour récupérer sa photo. Elle pourra repartir avec nous ou être accrochée au mur, le public prenant alors part à l’exposition.
Donner la parole à un non-spécialiste ?
Quand j’ai entendu parler du Musée imaginaire d’Oli, j’avoue que je ne m’attendais pas à grand-chose. Je n’écoute pas Bigflo et Oli, ce sont surtout des fans qui m’ont vanté cette exposition et je me suis questionné sur le possible culte de la personnalité sous-jacent. Commissaire d’exposition, c’est un métier, ça ne s’invente pas, quoique bien des artistes (chef cuisinier, écrivain, dramaturge, peintre) sont invités à être commissaires et travaillent avec les chargées de collection et conservateur du lieu ; d’ailleurs dans la mise en place de cette exposition, Oli a été aidé par les équipes des Abattoirs et notamment par Lauriane Gricourt, directrice du Musée-Frac Occitanie. Comment Oli pouvait-il proposer un contenu intéressant sans être trop égocentrique ? Et pourtant, dès ma descente dans son musée imaginaire, je savais que cette exposition allait me toucher comme rarement.

Vues de l’exposition Le Musée imaginaire d’Oli. À gauche, le mur d’expression avec les cartes de Jean-Publik en libre service et les tables pour dessiner. À droite, le mur de photographies laissées par les visiteurs © J.C.
En nous laissant pénétrer dans sa créativité et dans ses sources d’inspiration, Oli a surtout ouvert les portes d’un musée d’art contemporain. Les Abattoirs s’enrichissent de nouveaux publics, des visiteurs qui n’étaient pas habitués à ces salles d'exposition, venus pour voir ce qu’a réalisé un de leurs chanteurs favoris. Mais le contenu de l’exposition essaie de parler à tout un chacun, de valoriser les visiteurs et de les prendre par la main ; cela est fait avec brio grâce à un contenu plus amusant, des références de la culture populaire et un ton moins sérieux que d’habitude. L’exposition s’accompagne d’une très large programmation avec des scènes ouvertes, des performances, des projections ou des concerts qui font vivre le Musée imaginaire d’Oli.
Les cartels sont un outil de médiation particulièrement réussi. Tous les textes de l’exposition sont “doublés” : à gauche, le cartel développé habituel qui explicite l’auteur, le titre et les autres informations scientifiques sur l'œuvre ; à droite, la note d’Oli. Il explique pour chacune des œuvres pour quelle raison il l’a sélectionnée parmi tant d'autres, ce qu’elle raconte, ce pourquoi elle est sortie des réserves. Ceux qui n’aimeront pas lire des informations (trop) sérieuses sur l’histoire de l'œuvre ou de l’artiste trouveront leur compte dans la lecture subjective de Oli. Même lorsqu’on ne connaît pas le jeune rappeur, on se laisse porter par ses explications.

Scan d’un cartel de l’exposition Le Musée imaginaire d’Oli.
À gauche, le cartel scientifique, à droite, le texte écrit par Oli © J.C.
Contrairement aux artistes qui sont parfois commissaires de leur propre exposition, ici Oli nous parle des œuvres qui ont bercé son enfance et marqué sa vie d’artiste. Sa musique n’est pas particulièrement mise en valeur par rapport à d’autres expôts, même si elle est un fil rouge. Ce qui le berce aussi, ce sont les gens qui l'écoutent. Une véritable place est donnée à l’expression des publics leur donnant le sentiment de participer à l’exposition. Cet espace d’expression n’est pas dans une salle annexe ou en dehors du parcours, il est au cœur de l’exposition. Dessiner, écrire, se prendre en photo, afficher ce que l’on a fait au mur, l’exposition ne cesse jamais d’évoluer. Ceux qui gardent leurs photos où leurs dessins repartent avec un cadeau souvenir gratuit et unique !
J. Crépin
#artcontemporain #commissariatd’exposition
Pour aller plus loin :
Le Musée imaginaire d’Oli sur le site des Abattoirs : https://www.lesabattoirs.org/Expositions/le-musee-imaginaire-doli/

Un white cube qui porte le concept artistique
Exposition : "Fantôme sans château" du 18 mars au 18 avril 2015
Cette exposition est présentée au parvis, la scène nationale de Tarbes. Ce théâtre atypique, grand centre de création qui propose aussi un cinéma et un centre d’art contemporain, se situe dans un centre commercial.
Le village blanc, stéréolithographie, © « Le parvis »
Au premier étage de ce grand complexe commercial chargé de couleurs, d’animations et de personnes venues faire leurs courses, le centre d’art contemporain du Parvis propose un monde fantomatique. Tout de blanc vêtu, ce paysage rappelle les montagnes encore blanches qu’encadrent les vitres du centre commercial. Dans ce décor atypique, le calme de ce blanc immaculé est un choc esthétique et artistique.
Visiteurs dans l’exposition, © « Le parvis »
Sont ici invités Christophe Berdaguer et Marie Péjus, un duo d’artistes qui depuis 1992 développe une œuvre où la perception de l’espace se mêle à une psyché empreinte de pathologie. Ils travaillent pour cette exposition sur les « Psychoachitectures », dessins d’enfants réalisés lors de tests psychologiques que les artistes ont traduits en maquettes. Elles sont présentées sur des socles au milieu d’une forêt étrange d’arbres blancs. Ces maisons de poupées sont alors des transpositions de la psyché d’enfants perturbés ou autistes. Elles semblent sorties d’un cauchemar avec formes troubles et leurs contours presque insensés,bien loin des maisons chaleureuses auxquelles chacun de nous aspire. Le blanc est alors clinique et laisse la psyché du visiteur se projeter sur les œuvres. De plus, cette exposition est associée à un atelier pour enfants, où chacun d’entre eux peut créer sa drôle de maison.
Bien souvent le white cube est utilisé comme un espace conçu pour ne pas dénaturer le concept des œuvres. Même si mettre en regard des œuvres d’art, c’est déjà leur faire dire autre chose. Ici, le white cube est le concept de l’exposition. La proposition faiteau visiteur est d’entrer dans un espace où les reliefs et les limites s’effacent pour créer un trouble optique amplifié par la présence de différentes sculptures de « couleur » blanche. Cette vision totale propose une expérience entre la psyché, le rêve et l’hallucination.
Bien souvent le parvis propose un commissariat artiste. Chaque artiste fait une proposition complète pour exposer son œuvre. Il est invité à penser son œuvre dans l’espace et pour un public. C’est donc dans cette démarche que Berdaguer et Préjus ont,pour leur deuxième exposition au parvis, proposé ce paysage intérieur in situ,qui plonge totalement le visiteur dans un monde à part.
#exposition
#commissariatartiste
#whitecube
Plus d'informations: http://www.parvis.net/le-programme/centre-dart-contemporain

Une expérience des sens d'essence personnelle
L'Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne est né de la fusion d’un centre d'art contemporain et du Fond Régional d’Art Contemporain Rhône-Alpes. Parallèlement à la diffusion permanente de sa collection sur le territoire, l’Institut d’art contemporain présente in situ sa collection tous les deux ans. Le thème choisi pour cette biennale 2014 est « Collection à l’étude, Expériences de l’œuvre », un projet porté par le Laboratoire espace cerveau et le Centre de Recherche et d’Etudes Anthropologiques (CREA) de l’Université Lyon II.
Ann Veronica Janssen, Brouillard coloré Blue Red and Yellow, 2000 ©Blaise Adilon
Intriguée par l’idée d’«Expérience de l’œuvre », je me rends dans l’espace d’exposition de l’IAC transformé en une sorte de laboratoire expérimental dans lequel le visiteur est invité à découvrir un total de 63 œuvres à caractère plus ou moins immersif. L’idée principale est d’instaurer un corps à corps entre l’œuvre et le public afin d’interroger sa réception et sa restitution à travers la perception et les sensations du visiteur. Le « protocole » de l’expérience invite chacun à se munir d’un petit carnet et d’un crayon disponibles à l’entrée de l’exposition. Rien n’est explicité, pas de mention « servez-vous », mais la façon dont ils sont placés laisse penser qu’ils sont, comme le serait le livret d’exposition, l’outil nécessaire à la visite du lieu. Au dos de ce « carnet d’expérience » est soulignée l’idée de participation de chaque visiteur. Dès lors je comprends que mon rôle ne sera pas uniquement passif mais que mon retour d’expérience est le véritable enjeu de l’exposition.
Dans les différents espaces d’exposition, renommés espaces d’expérience, il n’est pas toujours facile « d’éprouver » les œuvres, aucun texte, aucun médiateur n’est là pour me guider. Le visiteur fait véritablement face à l’œuvre. L’expérience ne porte pas sur une capacité à décrypter le sens de l’œuvre mais elle privilégie l’écoute intérieure afin d’attirer l’attention sur ses propres sensations. Les modalités de l’expérience esthétique sont en quelque sorte libérées mais l’introspection n’en demeure pas moins difficile.
Basserode, Sans titre (table de lettres), 1998 ©Blaise Adilon
Je me retrouve alors à marcher sur du Pierre-Olivier Arnaud tout en contemplant l’œuvre de Gerhard Richter, à fumer le brouillard aveuglant d’Ann Veronica Janssens ou encore à jouer les écolières sur l’immense table alphabétisée de Basserode. Je m’étonne d’un bruit, d’une installation, je m’imprègne d’une atmosphère… Que le visiteur comprenne ou non, qu’il puisse aimer ou non, peu importe, l’essentiel est de ressentir.
C’est d’ailleurs ce que rappelle une petite équipe d’étudiants de l’Université de Lyon II qui, caméra à l’épaule, propose au visiteur de raconter à l’issue de l’exposition l’expérience vécue. Le Laboratoire espace cerveau est également à disposition du public dans le jardin de l’IAC pour poster toutes sortes de photos, vidéos ou tweets sur internet. L’ensemble des données et des informations récoltées à l’issue de cette expo-expérience permettront ensuite d’aboutir, le 11 janvier 2015, à l’analyse des effets produits sur chacun avec pour problématique principale la question suivante : comment reconsidérer l’art comme un vecteur privilégié de la relation à soi ?

Entrée de l'Institut d'Art Contemporain
Une véritable expérience des sens d’essence personnelle, qui aurait pu s’accommoder d’une visite en deux temps, un « aller » en autonomie, puis un « retour » accompagné d’un médiateur, afin d’aboutir, à mon sens, à une complète expérience de l’œuvre dans l’étude de sa collection.
#experienceIAC
« Collection à l’étude, Expérience de l’œuvre », du19 septembre 2014 au 11 janvier 2015
Institut d'Art Contemporain
11 rue duDocteur Dolard
69100, Villeurbanne
France
Une Histoire de l’art dessinée
François Olislaeger, Sans titre, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
François Olislaeger, Sans titre, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Une exposition miniature
« Ce que j’aime bien, c’est que l’on partage des histoires, tous, et nous les lisons de manière différente, mais nous avons la même. On ne se connait pas mais on sait que la Joconde [de Léonard de Vinci] c’est une œuvre d’art et cela nous fait déjà un point commun. », François Olislaeger, Livret de visite du FRAC Picardie, 2023.
Les FRACS (Fonds Régionaux d’Art Contemporain), créés en 1982 sur la base d’un partenariat entre l’Etat et les régions, assurent depuis 40 ans le soutien aux artistes contemporains. Un FRAC est une institution ayant pour mission de constituer et de diffuser des collections publiques d’art contemporain en région, présentant de nouvelles formes de sensibilisation à la création actuelle. Le FRAC Picardie, depuis sa création en 1983, est implanté dans l’ancien couvent des Dames du Bon-Pasteur. Il est le seul FRAC de France à avoir constitué la collection la plus importante autour du dessin contemporain. Le premier dessin acquis au sein de cet établissement est une œuvre graphique de l’auteur belge de bandes dessinées, François Olislaeger, artiste associé 2023 du FRAC et exposé du 14 octobre 2023 au 2 mars 2024 à Amiens. Premier auteur de bande dessinée pensionnaire à la Villa Médicis en 2019, ses œuvres sont entrées dans la collection du FRAC Picardie en 2020, ouvrant un nouveau corpus autour d’écritures et d’œuvres dessinées, issues de l’illustration et de la bande dessinée. Le commissariat de Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe est réalisé par Pascal Neveux.
Afin de donner vie à cette exposition, François Olislaeger s’appuie sur l’aide d’étudiants en arts plastiques de l’Université Picardie Jules Verne : Oriane Limousin, Balsem Jeridi, Mustafa Aslan, et Edouard Sautai. Treize artistes sont exposés, comme Pierrette Bloch, Anne-Marie Schneider, François Morellet, Vassiliki Tsekoura, ou encore Olivier Debré, ainsi que des œuvres de François Olislaeger.
Au sein d’une émulation créative de plusieurs générations d’artistes, quelle histoire de l’art inventer et écrire ensemble ? De quelle manière François Olislaeger revisite-t-il l’Histoire de l’histoire de l’art sous le prisme de l’art contemporain et de la bande dessinée ?
Une collaboration scénographique entre propos scientifique et propos artistique
L’exposition se compose de quatre axes déterminés par quatre notions : l’espace, le support, le geste et la main, présentés par quatre cubes. Les notions ont été fixées par l’historienne de l’art Cécile Debray, et les œuvres sélectionnées par l’artiste François Olislaeger. De quelle manière ? Selon l’historienne de l’art, ce qui fait une œuvre est l’espace dans lequel on crée, une grotte aussi bien qu’un atelier. Le support, tel qu’une feuille ou une toile. Le geste, celui de créer, de chanter, de danser, en bref, de se mettre en mouvement. La main, qui permet au geste de s’accomplir, de déposer une trace sur le support, de signifier, de communiquer. Afin d’illustrer ce propos scientifique, François Olislaeger sélectionne de manière instinctive, dans les réserves du FRAC Picardie, des œuvres faisant écho aux concepts énoncés par Cécile Debray comme des mains, des œuvres parlant d’espace, ayant un langage proche de la narration d’une bande dessinée, questionnant le geste de faire.
Vue d’un cube ouvert où se déploie un monde intérieur et où se rencontrent diverses références d’Histoire de l’art sous format miniature, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Un travail de réflexion est conduit en amont, prenant en compte l’espace d’exposition. En partant de maquettes de cubes d’un mètre par un mètre, de quelle manière le visiteur pourrait-il déambuler entre ces formes ? Dans la salle d’exposition se trouvent des cubes ouverts, fermés, et dépliés. Cubes ouverts comme un white cube (type d’espace d’exposition répandu dans les années 70), cubes fermés comme réserves d’un musée, espace que le visiteur n’est pas amené à rencontrer, et cubes dépliés comme espace de travail, atelier de dessinateur. Sur une table-cube dépliée, les œuvres cohabitent, à travers différentes périodes de l’histoire artistique que l’artiste abolit en les exposant côte à côte, sur un même espace. Cette table horizontale rompt avec la verticalité des murs et casse l’idée de présenter, d’observer, des œuvres accrochées au mur.
Vue d’un cube déplié formant une table où s’inscrivent des œuvres de papier et encre de chine, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
La bande dessinée : un art de raconter des histoires
« Pour moi, le dessin c’est un trait noir sur une feuille blanche. »
Abolissant les frontières artistiques, François Olislaeger crée des ponts entre la bande dessinée et les arts plastiques afin d’élaborer une œuvre pluridisciplinaire où se rencontrent des disciplines telles que le théâtre (il publie les Carnets d’Avignon,planche 2008-2012, après avoir passé plusieurs années de reportage au Festival d’Avignon, dans lesquels s’écrit une mémoire du théâtre contemporain), la danse (il réalise avec Mathilde Monnier, chorégraphe, la bande dessinée intitulée Mathilde : danser après tout, en 2013), et la musique.
L’artiste s’emploie à présenter un espace d’expression de l’Histoire de l’art unifiée et en continuité, où tout est lié, de la préhistoire à l’art contemporain. A titre d’exemple, dans la même pièce, l’artiste copie sur une simple feuille de papier avec un feutre noir, des peintures murales de la grotte de Lascaux, dessine la figure de la danseuse américaine Loïe Fuller, donne à voir la disposition des tableaux de l’exposition suprématiste et futuriste 0,10 (1916), et représente, par des traits simples, L’Homme qui marche de Giacometti (1960-61).
Gauche : François Olislaeger, La danse de Loïe Fuller, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Droite : François Olislaeger, L’Homme qui marche de Giacometti, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Le choix du noir et blanc est le parti pris de cette exposition, évoquant la simplicité de la réalisation et l’absence de hiérarchisation entre les œuvres. Toutes placées à la même échelle, elles évoquent des motifs géométriques reprenant le style de la case de BD, que François Olislaeger déstructure afin de laisser le champ libre au visiteur dans sa lecture et son interprétation. L’artiste mise davantage sur le fonctionnel que sur l’esthétique et souhaite que le propos de son histoire de l’art, créée dans cet espace, ne soit pas élitiste comme peuvent l’être les propos scientifiques, non vulgarisés, des cartels de musées des Beaux-Arts. François Olislaeger se réfère à l’essai d’André Malraux, Le Musée Imaginaire, où ce dernier évoque le rôle de la photographie dans la diffusion des œuvres d’art, en noir et blanc. La photographie a alors commencé à relier d’une certaine manière les œuvres entre elles, à leur donner un commun, à les rendre de la même manière à tous.
François Olislaeger, Fragments de peintures pariétales de la grotte de Lascaux, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Se laissant guider par l’évocation des quatre notions (l’espace, le support, le geste et la main), le visiteur déambule auprès d’œuvres non renseignées, sans cartel. Le dispositif est volontairement simple et accessible. L’artiste aime à penser que n’importe qui peut réaliser ce qu’il réalise, comme prendre une plume, de l’encre, et dessiner une œuvre d’art. Toutefois, l’exposition manque d’un dispositif qui permettrait au visiteur de prendre cette plume et cette encre afin de rendre compte de sa capacité à réaliser une œuvre. Cette démarche participative, de « faire ensemble », en « collaboration », est présente dans le propos écrit de l’artiste, mais non pas physiquement dans l’espace d’exposition.
Exposer la BD : quelle différence entre créer une bande dessinée en exposition ou pour la presse ?
Son travail de dessinateur donne lieu à des expositions où la bande dessinée se déploie dans des espaces en trois dimensions. François Olislaeger est dessinateur de presse pour Le Monde, Libération, et Les Inrockuptibles, et publie des reportages dessinés comme, en 2006, Un autre monde est possible, avec Pierre Cattan, portant sur une enquête au Venezuela sur le mouvement Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne). Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages tel que Le Carnet du promeneur publié en 2022, ou la bande dessinée Marcel Duchamp : un petit jeu entre moi et je,aboutie en 2014, et présente en fin d’exposition. Un ensemble de vingt dessins inédits de son projet de recherche sur Marcel Duchamp clôture l’exposition en présentant de manière narrative et sous forme de bande dessinée, la vie et l’œuvre de l’artiste surréaliste. Ludique et pédagogique, ce fragment d’ouvrage présenté en miniature inverse le prisme de grandeur entre l’œuvre et le visiteur. Couramment, les œuvres sont imposantes et inaccessibles, par le fait de leur valeur et par l’acte de ne pas toucher, alors qu’ici, il convient de se baisser et de se rapprocher de l’œuvre afin de la découvrir.
François Olislaeger, Marcel Duchamp : un petit jeu entre moi et je in Le Carnet du promeneur 2014, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Dans le cas d’une exposition au FRAC et de la création de dessins dans la presse, le point commun, et de départ, est la narration. C’est l’ouverture de cette dernière qui diffère en fonction du support d’exposition. Pour l’un, la narration est ouverte, et le visiteur peut lui-même relier ces éléments de narration à sa guise, afin de créer sa propre histoire. Le sens de lecture, la logique de construction de son propre récit, le sens de déambulation, au FRAC, sont des données libres. Au contraire, dans la presse, l’autorité de l’auteur fait que rien n’est laissé au hasard. Tout est cadré, sous forme d’encart, dans des traits, des bulles, que le lecteur doit suivre dans l’ordre de lecture donné. Sont imposés l’histoire et le point de vue. La case est figée. C’est pourquoi l’espace du FRAC offre une liberté de mouvement et laisse l’opportunité au visiteur de pouvoir visiter à plusieurs, lire ensemble, de se créer une histoire, à la fois commune mais différente.
La miniature : une affaire de taille ?
« Le minuscule, porte étroite s’il en est, ouvre un monde », Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, p.146, 1957
D’après les philosophes, la miniature est considérée comme mineure, et réservée aux enfants. Contrairement au détail ou au fragment, la miniature donne une vision globale, en réduction. Toutefois, la réduction de taille peut rendre difficile la vision, et de ce fait éloigner le visiteur de l’objet rapetissé. Le temps d’observation de ces œuvres miniatures est donc rallongé. Néanmoins, prendre le temps de regarder, de contempler la finesse des détails et la petitesse des dimensions permet aussi de prendre de la hauteur et de voir ensemble, de voir l’ensemble du dispositif.
La miniature au FRAC Picardie est-elle plutôt une œuvre d’art ou un dispositif moteur ? La miniature, même si nourrissant un imaginaire enfantin que les adultes sont enclins à délaisser, permet d’éveiller chez le visiteur des émotions et des plaisirs esthétiques pouvant différer des œuvres accrochées au mur. Même si le dispositif de miniature du FRAC Picardie ne permet pas le plaisir du jeu car non manipulable, le visiteur peut néanmoins activer un imaginaire, un récit, et se conter une histoire au travers de ces représentations miniaturistes. L’œuvre de François Olislaeger est à la fois une œuvre d’art, et est également un dispositif moteur permettant d’ouvrir les sens du visiteur, en particulier l’imaginaire.
(Isabelle Roussel-Gillet et Evelyne Thoizet, La miniature, dispositif artistique et modèle épistémologique, Brill/Rodopi, Chiasma vol n°43, p.1-20, 2018)
François Olislaeger, Extrait de La poétique de l’espace (1957) de Gaston Bachelard, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Casser les codes
Au sein de cette exposition, l’artiste s’affranchit des codes classiques de l’histoire de l’art, c’est-à-dire de la toile et du châssis, ce qu’il n’est pas le premier à faire il s’entend, pour élaborer un vocabulaire graphique qui lui est propre, en liant simplicité et bande dessinée. Entre peinture à l’huile, encre sur papier découpé, gouache, sculpture en papier, et aquarelle japonaise, le travail de François Olislaeger sort des codes classiques de la bande dessinée, et donc de l’histoire de l’art classique, afin de prendre en compte le déplacement et le point de vue du visiteur dans un espace d’exposition sous forme de cubes placés en ilot, où règnent le noir et le blanc.
Séléna Bouvard
#Bande Dessinée #Art contemporain #FRAC
Une lettre ouverte au Victoria and Albert Museum
Londres, le 11 novembre 2014
Chère Victoria and Albert Museum, Merci beaucoup pour votre accueil quand je suis venue visiter votre musée cette semaine. Vos instructions sur votre site web étaient très claires et précises : j'ai facilement trouvé le musée. Les prix des expositions temporaires sont abordables, surtout en sachant que les expositions permanentes sont gratuites.
Affiche de l'exposition Crédits photo : JC
En tant que visiteur, j'ai pu découvrir votre exposition, Wedding Dresses 1775-2014, sur les robes de mariage. En tant que femme qui approche de la trentaine, avec toutes ses copines qui se marient en ce moment, j'ai trouvé l'exposition particulièrement pertinente sans trop nous asticoter (pour dire que les membres féminins de la famille qui demandent aux jeunes femmes de nos jours "quand est-ce que tu vas te marier ?" reproduisent une pression collective et un modèle. Certes, l'exposition ne choisit pas la glorification de la construction de la famille comme thème central, mais on vit une exposition au prisme de son expérience aussi.). Je trouve que la façon chronologique de raconter l'évolution des robes de mariage était un bon fil à suivre pour le parcours muséographique, et de restituer le mariage de la Reine Victoria d'Angleterre avec le Prince Albert où la robe de mariage blanche est devenue à la mode.
J'aurais vivement recommandé votre exposition pour ceux -- ou plutôt celles -- dans ma tranche d'âge (c'est-à-dire, les femmes entre 20-35 ans nées dans un pays occidental et qui ont grandi sans handicap sans aucune autre envie que de vivre une histoire féerique en recherchant le Prince Charmant) ; mais heureusement, ou malheureusement selon votre regard, nous ne sommes pas tous et toutes les mêmes sortes de visiteur. J'ai trouvé particulièrement absente l'interaction entre le musée et le visiteur : pour un sujet si individuel comme le mariage, il n'yavait aucune personnalisation dans le discours. Pour cela, j'ai préparé une liste des petites améliorations pour un plus grand public, sans dépenser trop d'argent (même avec votre mécène Waterford, la marque de la cristallerie mondialement célèbre, c'est la crise). Sans délai :1. L'accessibilité des publics. Les mariées et les mariés ont toutes les tailles et formes, mais l’exposition ne montre que très peu d'effort pour atteindre ces publics. J'ai vu à l'entrée un livre avec tous les textes des cartels en grande police pour les malvoyants. Bravo ! Mais sans contexte, comment pourrais-je savoir quelle robe va avec quel texte ? Les ascenseurs se trouvent en dehors de l'exposition, ce qui veut dire que je dois sortir de l'exposition si je suis en fauteuil roulant ou si je ne peux pas monter desmarches pour l'étage. Et alors, le discours est totalement interrompu.
Crédits : JC
2. La diversification du discours. Le mariage existe bien sûr dans différentes cultures. Malgré la diversité ethnique du Royaume Uni, les robes exposées reflètent presque uniquement l'idée de la robe blanche occidentale. Il est vrai que vous avez présenté des robes des femmes non-anglaises (notamment une mariée chinoise et une mariée nigérienne qui sesont mariées avec des Anglais avec les robes avec quelques influences de ses pays d'origine; également une femme qui voulait un style indien pour sa robe), mais aucune de ces robes ne parlait de l'histoire du mariage dans ces autres cultures, et donc l'influence sur le marché de nos jours. Je vous félicite pour l'inclusion des costumes pour les hommes dans le contexte du mariage pour tous.
Crédits : JC
3. Je veux toucher les robes ! Je connais les problèmes soulevés par la conservation des textiles, et les robes de mariées ne font pas exception. Mais vous parlez sans cesse de l'importance de la qualité du tissu, en otage en pleine vue derrière les vitres. Qu'est ce qui se passe quand un enfant, qui n'est jamais allé dans un magasin de tissu ou qui n’a jamais touché les tissus riches, comprend si on dit que cette robe-ci est faite de soie, tandis que celle-là est faite de mousseline ? A quoi servent les cerceaux trouvés sous les jupons ou les corsets ? Un public savant saura que ces éléments étaient à la mode de l'époque, mais peut-être il n’en saura pas les raisons. Peut-être faut-il ajouter un petit atelier sur la fabrication de la dentelle, ou l'application des billes en verre pour montrer la main d'œuvre nécessaire pour réaliser chaque robe. Comme votre collection est visible sur Pinterest, quel est l'intérêt à venir au musée si lavisite n'ajoute pas une autre dimension ?
4. Laissez jouer l'imagination ! Je sais à quel point c’est nunuche, mais j'ai rêvé de ma robe de mariée depuis que je suis toute petite. Après avoir vu toutes ces robes bien travaillées, j'avais tellement envie de partager mon avis sur les robes et faire "retravailler" la mienne dans l'imaginaire. Ceserait "la cerise sur la pièce montée" de trouver un moyen de partager mes idées en s'inspirant de toutes ces robes présentées. Imaginez si vos visiteurs pouvaient trouver à la fin de l'exposition un logiciel interactif pour créer sa propre robe de mariage, et de l'envoyer à sa boîte mail ? Encore plus loin, sur votre site web peut-être vous pouvez proposer de "pinner" les créations du public sur Pinterest ?
5. Laissez-moi témoigner! Une grande lacune est le manque de conversation entre le musée et le visiteur. Plus concrètement, le musée alimente le visiteur, mais le visiteur ne peut pas alimenter le musée. En 2011 pour le mariage du Prince William et Kate Middleton, le monde a été témoin de la cérémonie la plus diffusée dans le monde. Ceci est particulièrement touchant pour la population régulière du musée car le lieu royal du mariage, Westminster Abbey, se situe seulement à quatre arrêts de métro du musée, on y est en quinze minutes. Les vidéos des mariages royaux britanniques depuis le 20ème siècle sont diffusées dans la salle, mais il n'est pas possible d'ajouter ses sentiments--et vu les chiffres des spectateurs pour le mariage de Will et Kate ,la population anglaise, et le monde entier d'ailleurs, ont quelque chose à partager. Je propose de créer un tableau interactif pour ajouter les souvenirs du public de ces jours. Selon les âges des visiteurs, le musée peut cueillir des souvenirs de la cérémonie de la Reine Elizabeth et le Prince Philip en 1947, le mariage du Prince Charles et Lady Diana en 1981, et bien sûr le mariage de Will et Kate. Laissez-nous la parole, et vous augmentere zénormément notre expérience en tant que visiteur.
Crédits : JC
J'espère que vous ne prenez pas mal ces recommandations, j'avoue que celles-ci visent à vous aider pour ne pas capter uniquement les 40 autres femmes (moi y compris) qui visitaient alors l'exposition. Comme j'ai beaucoup entendu parler de vos efforts d'accessibilité et d'interactivité dans les expositions du passé, honnêtement je m'attendais à plus d'interactions. Merci pour votre attention. Je vous invite à me contacter pour toutes questions (ou offres d'emploi auprès de votre service des publics). Veuillez agréer l’expression de ma considération distinguée,
Mademoiselle CARLSON
#Londres
#robedemariage
#textiles
#recommandations
#VandAmuseum

Une oeuvre pour vous ! (avec l'Artothèque)
Le 13 mai, les Audomarois(es) avaient rendez-vous à l’ancien Hôtel de Ville de Saint-Omer pour découvrir la nouvelle exposition présentée par l’Espace 36, association d’art contemporain. « Une œuvre pour vous ! » est la quatrième édition de cette biennale organisée en partenariat avec l’Inventaire, Artothèque des Hauts-de-France. Le principe ? Les visiteurs ont la possibilité d’emprunter des œuvres d’art, puis de les exposer à leur domicile ou sur leur lieu de travail.
Affiche de l’exposition ©Nicolas Lavoye
Ce vernissage célébrait les trente ans d’existence de l’Espace 36. Quatre adhérents de l’association ont ouvert leurs portes où étaient exposées des œuvres empruntées à l’Artothèque. Une balade dans la ville de Saint-Omer a conduit des visiteurs à découvrir les intérieurs de ces médiateurs d’un jour qui ont présenté leurs coups de cœur. Mais avant de débuter la visite, une petite présentation de l’Espace 36 s’impose.
Depuis 2001, ce centre d’art associatif basé à Saint-Omer a mis en œuvre un projet de création unique dont la base est le soutien envers la création et la sensibilisation à l’art contemporain. Les actions majeures développées par l’association sont la conception d’expositions et le soutien à la diffusion de l’art contemporain, ainsi que l’élaboration d’outils de médiation et l’organisation de visites.
Espace36 – Exposition de Marie Hendricks © Benoît Warzée
L’association assume un rôle d’intermédiaire entre lesartistes et les publics grâce à une collaboration et une concertation auprès de différents acteurs territoriaux. L’Espace 36 met un point d’honneur à sensibiliser les publics qu’il reçoit dans le cadre de ces expositions. Le but étant de leur apporter des outils de compréhension pour les aider à développer leur réflexion personnelle. Une démarche axée sur la médiation participative, qui consiste à permettre à tout type de visiteur de s’ouvrir à ses propres ressentis et sentiments.
A travers ces différents projets, l’association espère que les participants s’ouvrent à la culture et soient en mesure d’élargir leur raisonnement. La base des relations entre les artistes plasticiens et les publics repose essentiellement sur l’échange ainsi que l’écoute, et s’efforce de rendre les visiteurs acteurs de leur propre culture.
Atelier-Visite avec le Musée de l’Hôtel Sandelin © Benoît Warzée
Venons-en à l’Inventaire. Basée à Hellemmes dans la métropole lilloise, L’Inventaire, Artothèque des Hauts-de-France a été fondée en 2009. Cette association propose aux habitants de la région un service itinérant et solidaire de prêts d’œuvres d’art sur le même principe qu’une bibliothèque. Autrement dit : chacun peut emprunter une à plusieurs œuvres originales par mois, qu’il expose ensuite chez lui. Au-delà d’encourager la présence de l’art au sein de lieux privés et professionnels, cette démarche aide à favoriser l’appropriation de la création contemporaine auprès des adhérents.
L’Inventaire Artothèque ©Clotilde Lacroix
Emprunter à l'Arthothèque
Riche et diverse, la collection de l’Artothèque s’élève à 1200 œuvres, regroupant estampes, peintures, photographies et sérigraphies réalisées par de jeunes créateurs, ou des artistes reconnus sur la scène régionale et nationale, voire internationale. Cette collection s’enrichit au fil des ans par de nouvelles acquisitions, dans le but de valoriser la multiplicité des techniques artistiques actuelles.
Plus de 10 000 prêts ont été enregistrés depuis sa fondation, avec des œuvres qui circulent dans le cadre de projets mis en œuvre avec différents acteurs socio-culturels. D’une part, des expositions organisées dans des galeries d’art, et d’autre part des interventions effectuées au sein d’établissements scolaires. A travers ces actions, ces œuvres voyagent sur le territoire pour aller à la rencontre des publics les plus larges, et souvent peu adeptes de l’art contemporain.
En complément des institutions muséales et autres centres régionaux de diffusion, l’Inventaire soulève la question de la place de l’œuvre d’art dans la sphère privée, au-delà de la simple notion d’acquisition ou de consommation. Ainsi, les publics touchés nouent une relation approfondie à l’œuvre et posent désormais un regard nouveau sur la création contemporaine. En se basant sur des valeurs liées à l’économie sociale et solidaire, cette démarche de transmission amène une réflexion sur la fonctionnalité, et sur la manière de repenser l’économie dans un principe de développement durable.
© Clotilde Lacroix
Retour sur cette balade-vernissage, vécue comme une expérience originale. Le contact privilégié avec des œuvres d’art figure parmi les objectifs de l’Inventaire, qu’il nomme joliment : « intrusions artistiques ». Avec cette volonté de raviver une mécanique du désir, d’amener des particuliers à entretenir une relation décomplexée avec l’art, et plus spécifiquement, de se familiariser à l’art contemporain. « Ça permet de vivre plusieurs semaines avec une œuvre, de la voir différemment, ailleurs que dans un lieu de passage. » indique Ségolène Gabriel, médiatrice culturelle de l’Espace 36¹. Donc, quoi de mieux que de donner l’occasion à des membres de l’association d’exposer des œuvres à leur domicile et d’en ouvrir les portes à des visiteurs lambdas ?
Visiteurs du Vernissage-Balade ©Joanna Labussière
La force de cette opération participative réside dans le rôle joué par les adhérents qui se sont glissés dans la peau de médiateurs le temps d’une après-midi. Un parcours informel en somme, dans une ambiance détendue, et qui a permis à la plupart de découvrir le patrimoine architectural au domarois. Cette démarche rejoint les fondements de l’Espace 36 en termes de médiation, où l’accueil du public ne se résume pas à expliquer les œuvres aux visiteurs, mais à apporter à ces derniers des clefs de réflexion propre à leurs émotions.
C’est ainsi que Thérèse, sculptrice autodidacte, nous a reçu en premier. Son choix s’est porté sur deux sérigraphies réalisées en 1960 par Salvador Dalí et inspirées du poème « La Divine Comédie » de Dante. D’après elle, ces sérigraphies donnent à voir un autre aspect du travail de Dalí, à l’opposé de ses œuvres surréalistes qui ont fait sa renommée en tant que peintre parmi les plus influents de son siècle.
La Divine Comédie de Dante #1 et #2 ©Inventaire l’Artothèque
S’ensuivit la découverte d’un second appartement où nous ont accueillis Virgile et Aurélien, membres du Conseil d’Administration des Amis des Musées de Saint-Omer. La visite débuta avec Virgile qui nous présenta sa sélection : une héliogravure de René Magritte datant de 1973. Intitulée « La Folie d’Almayer »,cette œuvre s’inspire du premier roman du même nom de Joseph Conrad, dont le héros, Almayer, un jeune hollandais au destin tragique qui rêvait de partir à la découverte d’un trésor caché par des pirates. Ancien étudiant en gestion et valorisation du patrimoine, Virgile a choisi cette gravure qu’il considère comme étant la métaphore de notre héritage culturel qui constitue le fondement de nos racines.
« La Folie Almayer » de René Magritte© Inventaire l’Artothèque
Aurélien lui, a sélectionné deux peintures de l’artiste Sylvain Dubrunfaut issues de sa série « Ados 3 » exécutée en 2012. La première représente un adolescent placé de profil, le visage encapuchonné, et aux traits graves. Aurélien a placé cette toile sur une étagère de sa bibliothèque, près de ses romans de vampires qu’il affectionne particulièrement. Selon lui, l’air assombri du jeune garçon s’accordait avec un sujet angoissant tel que celui des vampires. En parallèle, la seconde peinture a été installée à proximité de photos de familles. Notre hôte estimait que cette œuvre, aux couleurs chaudes et marquées par le sourire de l’adolescent avait davantage sa place auprès des photos de ses proches, synonymes de convivialité.
Sanstitre, série Ados 3 de Sylvain Dubrunfaut © Inventaire l’Artothèque
Pour conclure, les visiteurs ont achevé leur balade en se rendant à la maison de Florence, écrivaine audomaroise. Au total, ce sont deux sérigraphies œuvres qu’elle a empruntées auprès de l’Inventaire. L’une réalisée par Honoré, porte le titre « H2O ». Si Florence a décidé de l’exposer à son domicile, c’est parce qu’elle traite d’une thématique, à savoir le réchauffement climatique, qui lui tient particulièrement à cœur. Un sujetd’actualité qui la concerne personnellement, en lien avec ses problèmes de santé.
CO2 de Honoré © Inventaire l’Artothèque
Dans un tout autre style, la seconde sérigraphie sélectionnée par Florence est signée Gérard Duchêne. Datée de 1990, elle s’intitule : « Papier Peint ». Connu pour son emploi des médias imprimés, le style de Duchêne est particulièrement reconnaissable à son travail de la peinture sur papier qui donne naissance à une écriture illisible, mettant ainsi en exergue la matérialité de l’écrit. Accrochée aux murs de sa salle à manger, cette œuvre renvoie aux créations de Florence qu’elle réalise sur des tapisseries.
Papier peintde Gérard Duchêne,© Inventaire l’Artothèque
Comme expliqué précédemment : quel est l’intérêt pour l’Espace 36 et l’Inventaire de permettre à leurs adhérents de participer à une opération telle que celle-ci ? La particularité de cette manifestation réside bien au-delà du projet d’exposition en lui-même, et du principe de posséder une œuvre originale pour un temps déterminé. Le but premier ne consistait pas à expliquer ces œuvres via le prisme de l’histoire de l’art, ni à imposer un code de lecture définitif.
Au contraire, l’ambition première de ces deux associations est d’une part de faire découvrir des œuvres à travers le regard d’autrui, selon ses émotions, son ressenti et son propre vécu. D’autre part, leur volonté consiste à permettre à ces emprunteurs d’expérimenter une relation davantage intime avec l’art, qu’ils soient connaisseurs ou néophytes. Une approche totalement différente qui a également permis de connaître ces personnes sous un angle différent, le tout dans un moment d’échange, d’écoute et de partage.
Vernissage-Balade©Clotilde Lacroix
L’exposition « Une œuvre pour vous ! » est visible jusqu’au 8 juillet 2017 à l’Espace 36, association d’art contemporain de Saint-Omer. Les modalités d’emprunt sont les suivantes : 5€ d’adhésion à l’Inventaire | Petit format : 10€ par œuvre et par mois, et15€ les deux œuvres parmois | Grand format : 20€ par œuvre et par mois. Penser à se munir d’une pièce d’identité et d’une attestation d’assurance habitation.
Joanna Labussière
#Brèvedestage
#Espace36
#Inventairel’Artothèque
#Artcontemporain
Pouren savoir plus sur l’Espace 36 : http://espace36.free.fr/
Plus d’informations sur l’Inventaire, Artothèque des Hauts-de-France : http://linventaire-artotheque.fr/____________________________¹ La Voixdu Nord, A l’Espace 36, empruntez une œuvre d’art pour chez vous, publié le 12 mai 2017, [en ligne] : http://www.lavoixdunord.fr/161574/article/2017-05-12/l-espace-36-empruntez-une-oeuvre-d-art-pour-chez-vous
Une rue peut-elle devenir un musée ?
C’est ce que nous propose la galerie Itinerrance et la Mairie du 13ème arrondissement sur le boulevard Vincent Auriol avec le concept de « musée à ciel ouvert ». Depuis une dizaine d’années, la ville de Paris affiche son ambition de devenir l’une des grandes capitales mondiales du street art à l’image de Londres et de New York. Pour cela la ville a décidé d’exposer le street art dans le 13ème arrondissement en pleine évolution et peu pourvu d’équipements culturels. Grâce au street art, ce quartier se dote d’une nouvelle identité culturelle.
Vue du boulevard Vincent Auriol, fresques de Shepard Fairey, Add Fuel, et D*Face. ©galerie Itinerrance
Vue de la Tour Paris 13, 2013. ©artstreetic
L’importance des acteurs publics et privés
À gauche, le maire du 13ème arrondissement Jérôme Coumet, à droite le directeur de la galerie Itinerrance Medhi Cheikh. ©Le Figaro
Les spécificités du projet de « musée à ciel ouvert » du Boulevard Paris 13
Vue de l’Urban Nation de Berlin. ©Jaime Em / Vue de l’exposition The World of Banksy, 2019. ©Lise Lanot
Une cohabitation réussie de différents univers artistiques

Fresque de Shepard Fairey, Liberté, Égalité, Fraternité du 186 rue Nationale, 2016. ©Céline Carrez / Fresque de D*Face, Love won’t tear us apart du 10 place Pinel, 2017. ©Galerie Itinerrance

Fresque de Conor Harrington, Lutte et Étreinte du 85 boulevard Vincent Auriol, 2017. ©Galerie Itinerrance / Fresque de C215, Le chat du 185 boulevard Vincent Auriol, 2013. ©Un oeil qui traîne
Shepard Fairey, The Peace Waratah, Sydney, 2017. Plus grande fresque de Sydney / Shepard Fairey, Welcome, Costa Mesa, Californie, 2017. Plus grande fresque de Shepard Fairey / Shepard Fairey, Knowledge + Action, Paris, 2019. 100ème fresque mondiale de Shepard Fairey réalisée à Paris. ©Galerie Itinerrance
Pour une vision plus précise du parcours de street art Boulevard Paris 13 : https://youtu.be/urKXvZiJSAY
Axelle Gallego-Ryckaert
#streetart
#13èmearrondissement
#Muséeàcielouvert

Urbex et culture avec la Clermontoise de Projection Underground
Depuis 2014 je participe tous les ans à l'Underfest, un festival culturel qui proposed'assister à des concerts et des projections de courts métrages dans des lieuxinhabituels.
Underfest 2014, The Delano Orchestra © Clermontoise de Projection Underground
Tous les Clermontois le savent, la butte de la vieille ville est trouée de caves, formant un formidable labyrinthe souterrain. Grâce à la Clermontoise de Projection Underground, ces caves accueillent musique et cinéma le temps d'une soirée au début de l'été.
Pour participer, il faut s'inscrire via la page Facebook de l'organisation. Le jour même de l'évènement, on reçoit une heure et un point de rendez-vous, ainsi qu'une liste d'équipements nécessaires, gants, vêtements chauds et résistants, lampe frontale, … Quelques heures plus tard, les participants se regroupent àl'heure et au lieu dit, nous sommes une quinzaine, parfois près de trente mais pas plus, il faut rester discret …
Édition 2014, Julien Estival © Clermontoise de Projection Underground
La soirée débute par un concert, joué par un groupe ou un artiste clermontois, j'ai eu la chance d'assister aux performances de Morgane Imbeaud et Guillaume Bongiraud, The Delano Orchestra, Julien Estival ou encore The Arberdeeners cette année. Petite cave exiguë ou immense espace vide, éclairé à la bougie, l'effet est saisissant, l'ambiance intimiste.
En 2015, les concerts étaient remplacés par une rencontre avec un.e chef clermontois.e et une dégustation. Les chefs ont cuisiné devant nous, tout en présentant leurs produits et parfois partageant leurs recettes. Chips violettes, panacotta à l'agar-agar, tourte aux orties, des mets originaux mais surtout délicieux. Le nombre d'assiettes étant restreint, tout le monde partage et discute avec son voisin.
Édition 2015. Tourte aux orties, fleur de mauve et tomates anciennes.
Après le concert / la dégustation, petite pause exploration, tout seul ou en petit groupe, tout le monde s'éparpille lampe de poche au poing. Certaines caves semblent ne jamais se finir, les salles voutées et les escaliers se succèdent, s'enfonçant toujours plus sous la terre. La première année, alors que nous étions réunis dans un cave près de la place de la Victoire, accompagnés de l'organisateur de l'évènement, nous nous sommes aventurés plus loin. Nous avons tous rampé dans une petite ouverture à travers une porte à moitié défoncée communicant avec la cave d'à côté. Encore quelques mètres plus bas et nous étions sous la place de la Victoire. Surprise, on peut y voir les restes d'un aqueduc, datant probablement de l'antiquité tardive ou du haut Moyen Âge.
Chaque soir, la projection propose plusieurs courts métrages autour d'un thème choisi. Lors de ma première participation au festival, tous les courts métrages traitaient de l'Urbex. Ce fut une sacrée découverte pour moi et depuis cette soirée je regarde la ville différemment, rêvant moi aussi de m'introduire dans les réserves d'un grand musée parisien ou d'explorer une friche industrielle. Cet été, j'ai pu voir La Jetée, réalisé par Chris Marker en 1962. S'agit-il d'un clin d’œil du centre de documentation du même nom dédié au festival du court métrage de Clermont-Ferrand ?
Édition 2016, The Aberdeeners. On aperçoit les photographies derrière le groupe. ©Clermontoise de Projection Underground
Les caves ne sont pas l'unique terrain de jeu de la Clermontoise de Projection Underground. Le festival s'est introduit plusieurs fois dans un bâtiment en travaux sur une des rues les plus passantes de Clermont-Ferrand. Alors le soir, il ne faut pas trop s'approcher des vitres avec nos lampes, pour ne pas attirer l'attention. Dans ce bâtiment, un photographe a installé ses créations, des portraits noir et blanc, imprimés en grands formats. Quiconque s'introduit dans le bâtiment peut venir les contempler, aussi longtemps qu'il le souhaite et à n'importe quelle heure, ce musée n'a pas d'horaires...
L'illégalité du festival signifie que chacun engage sa propre responsabilité, pas d'assurance pour les blessés ! À chaque festivalier de faire attention là où il marche et à se conduire de façon responsable.
Quelques heures plus tard, les festivaliers émergent, les vêtements souvent salis par la poussière ou la boue, suffocant dans leurs vêtements trop chauds pour la saison mais comblés.
L'Underfestallie culture et exploration urbaine, festival gratuit, il se veut accessible à tous (enfin, ceux qui connaissent!), avec une forte dimension locale, promouvant des artistes de Clermont-Ferrand et faisant écho au festival ducourt métrage. Pour les participants, c'est l'occasion de découvrir des espaces auxquels ils n'ont pas accès en temps normal et d'assister à des évènements culturels dans des lieux insolites, dans une ambiance chaleureuse et détendue. L'enjeu est de s'approprier l'espace urbain et de jouer avec, de sortir la culture des musées ou des salles de concert.
Clémence L.
Facebook de la Clermontoise de Projection Underground
#urbex
#arts
#cinéma
#concert
#culturealternative
Urs Fisher à la Fondation Pinault, entre minimalisme et spectaculaire
Rudi © Éva Augustine
Né en Suisse, Urs Fisher vit et travaille à New York. C’est un artiste prisé par le marché de l’art, connu pour ses sculptures et installations, qui aime travailler des matériaux éphémères et fait souvent appel à une iconographie populaire. L’exposition Untitled, 2011 présente un ensemble de sculptures-bougies faites en cire. L’œuvre centrale est la reproduction de L’Enlèvement des Sabines (1579-1582) de Giambologna, avec sept assises (tabouret africain, fauteuil d’avion, chaise en plastique), que contemple l’effigie doublée de l’artiste Rudolf Stingel.
Au centre, surplombante et stupéfiante, la reproduction de L’Enlèvement des Sabines (1579-1582) de Giambologna, attire l’œil. Surélevée par un socle inspiré des places italiennes*, l’œuvre répond à la hauteur du cylindre poussant le visiteur à lever le regard vers la coupole trônant à plus de 40 mètres de hauteur. L’ensemble des assises est en discussion avec l’iconographie de la grande toile de la coupole. Les sculptures sont présentées comme des symboles de la mondialisation contemporaine, elles répondent aux représentations du commerce et des échanges entre les continents à la fin du 19ème siècle, incarnant l’idéologie coloniale et la culture folkloriste de cette période.
Le travail de Fisher rappelle la tradition classique des vanités dont le symbole de la chandelle évoque le temps qui passe. La cire s’étire, coule aux pieds du visiteur en un mouvement entropique et saisissant. L’œuvre, par son matériau éphémère évolue. Lors de mon passage, un bras cassé et des copeaux jonchaient le sol. Des morceaux se détachent, et reforment sensiblement la statue qui, à chaque allumage des mèches, est aux prises de l’imprévisible. Lorsque la nuit survient, la lumière émise par les bougies s’intensifie créant un effet hors du temps.
Un espace édifiant
Espace d’exposition avec coupole © photographe Jean-Max Louison
L’exposition de l’artiste Urs Fisher inaugure l’ouverture de la Bourse de Commerce-Fondation Pinault. Ouvert en 2021, ce nouveau lieu concentre les acquisitions du collectionneur François Pinault, de plus de 10 000 œuvres de près de 350 artistes : peintures, sculptures, vidéos, photographies, œuvres sonores, installations et performances. Pour accéder à cette collection, il faut payer entre 10€ et 14€. Les tarifs sont relativement onéreux, une carte adhérente gratuite permet cependant aux étudiants de bénéficier d’une entrée gratuite après 16h00. L’effet spectaculaire est d’une certaine façon attendu par le visiteur qui paye autant pour voir la collection que la découverte du nouvel espace.
Une fois les premières portes passées, le spectateur est saisi par le contraste entre la rotonde patrimoniale habillée par des œuvres contemporaines sous vitrines, et le cylindre contemporain en béton de neuf mètres de haut lui faisant face. L’espace est baigné d’une lumière zénithale naturelle irradiant de la coupole vitrée. Ce geste architectural a été réalisé par Tadao Andō qui investit le centre de l’ancienne Bourse de Commerce, lieu central de la ville de Paris qui accueillit le commerce du blé jusqu'en 1873, avant d’être réaménagé pour devenir la Bourse de commerce de Paris à partir de 1889. L’effet provoqué est édifiant et spectaculaire, les teintes sobres argentées, cobalt, beiges des œuvres subliment l’architecture bétonnée simple et polie à la japonaise.
Une exposition spectaculaire, un dispositif minimaliste
Plusieurs entrées jalonnent le cylindre, l’espace fait trente mètres de diamètre. Le spectateur peut entrer par n’importe quelle ouverture, de ce fait le parcours est subtilement suggéré mais aucunement imposé. La circularité pousse le visiteur à se déplacer en rond autour des œuvres. Celles-ci ne sont ni mises à distance, ni présentées par des cartels individuels. Quatre cartels identiques disposés à côté des ouvertures résument de façon succincte le travail de l’artiste. Les visiteurs déambulent, observent, se penchent, s’inclinent librement. Ce choix scénographique univoque illustre la volonté de recréer l’ambiance d’une place publique. Ainsi, il est possible de regarder l’exposition avec une perspective différente depuis l’étage supérieur. L’exposition est construite par des jeux de miroirs esthétiques et des parallèles conceptuels. Les œuvres répondent à la fresque picturale présente sur la coupole, deux statues se répondent de part et d'autre de la pièce. Cependant, la concision du discours ne permet pas au visiteur de faire des liens avec les détails inaccessibles de la fresque. Par ailleurs, l’artiste a choisi certaines de ces reproductions au musée du Quai-Branly, mais ce n’est pas mis en avant par le propos expographique à l’instar de toute la démarche artistique.
Cartel d’exposition accroché le long des différentes entrées © Éva Augustine
Lors d’un échange, une médiatrice m’explique que les œuvres se suffisent à elles-mêmes, le choix étant de promouvoir au maximum la liberté du visiteur. Ce que provoque la fonte des œuvres prend le pas sur le discours écrit peu consulté. La présence quasi permanente des médiateurs est justifiée et répond à une forte demande de la part des publics davantage curieux du processus d’allumage et de la technique utilisée que par la démarche artistique. Ainsi, sur le site internet Bourse de commerce, un article est réservé à l’explication et à la démonstration de la technique d’allumage des œuvres. De façon générale, le sentiment d’être dans une galerie d’art plus que dans un musée d’art contemporain ne m'a pas quitté. Le but pourtant n’est pas de vendre, mais de valoriser le travail d’un artiste.
Œuvre éphémère ou œuvre à matérialité intermittente ?
Chaise airplane seat © Éva Augustine
L’esthétique de la détérioration provoque la conscience de ne jamais revoir cette œuvre de la même façon. Cette série s’inscrit dans la tradition des œuvres d’art dites éphémères, qui ont émergé dans les années 60, avec pour prémisses des œuvres du land Art, happenings, œuvres détruites après exposition ou matériaux fragiles de l’Arte Povera. L’éphémérité transforme le rapport du visiteur à l’œuvre créée. Selon la sensibilité, la conscience de la décrépitude de la création comporte une dimension tragique dont seul le visiteur est témoin. Seule la mémoire de l’instant conserve réellement l’empreinte de l’œuvre, le regard devient créateur et est intimement lié à un moment à jamais perdu.
L’œuvre de Urs Fisher est éphémère dans la mesure où l’écoulement de la matière est indéterminé et hasardeux jusqu’à ce que cire fonde. Néanmoins comme me l’a rappelé la médiatrice, l’œuvre appartient au collectionneur et peut être réactivée au besoin. Elle pourrait être qualifiée d’œuvre à protocole, la matérialité des pièces apparaît uniquement le temps de leurs expositions, les matériaux sont renouvelés à chaque fois que le détenteur souhaite l’activer. Sa matérialité est intermittente, et sa présentation au public est toujours temporaire. Ce système adopte les mêmes codes qu’une partition de musique qui attend d’être interprétée, ou une pièce de théâtre jouée.
Pour aller plus loin :
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Processus d’allumage des œuvres : https://www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce/lallumage-de-loeuvre-durs-fischer
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Site de l’artiste : https://ursfischer.com/images
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Focus sur Tadao Ando : https://magazine.artland.com/master-of-light-tadao-ando/
#artcontemporain #Urs Fisher #Fondation Pinault
Verdures, du tissage aux pixels au Musée Bargoin à Clermont-Ferrand
Le Musée Bargoin se situe en plein cœur de Clermont-Ferrand et ses collections permanentes sont constituées de découvertes archéologiques locales. À cela s'ajoutent des expositions temporaires à la scénographie originale centrées sur les arts textiles.
Le musée accueillait jusqu'au 21 mai 2017 l'exposition Verdures, qui a l'originalité d'allier textile ancien et numérique. Quel lien peut-on établir entre des tapisseries datant de la renaissance et des œuvres très contemporaines ?
© photo C. L.
La première œuvre s'intitule Akousmaflore, voilà un titre bien curieux ! Le sous-titre l'est encore plus : « Vous êtes invités à caresser les plantes délicatement ». Lorsque l'on touche les plantes, elles émettent des sons, nous parlent. L'interaction avec les végétaux est beaucoup plus riche qu'elle ne l'est habituellement, même s'il s'agit peut-être de cris de protestation de la part des plantes...
On beat one tree, Naziha Mestaoui © photo C. L.
Au premier étage, la salle est plongée dans le noir, équipée d'un immense écran. Des formes vertes apparaissent, se transforment petit à petit sous nos yeux en arbre. Grâce à On beat one tree, en se plaçant sur un socle tactile, vous pouvez créer un arbre et le voir s'épanouir. Il grandit au rythme des battements de cœurs du planteur. Je n'ai pas compris si bouger les bras permettait de contrôler le dit arbre, mais j'ai essayé.
Planter un arbre n'a pas que des vertus esthétiques, les végétaux jouent un rôle important pour maintenir l'équilibre de l'écosystème mondial, Ainsi dans le même espace, une vidéo montre la plantation de mangroves dans des espaces menacés par la montée des eaux. Interroger la relation entre les hommes et la nature interpelle les publics à propos de la crise écologique que nous traversons.
La visite se poursuit un étage plus haut, à notre droite, une installation de l'artiste Anne-Sophie Emard, Souche. Des cubes empilés les uns sur les autres diffusent des vidéos, ou plutôt des images en mouvement, mélangeant des parcelles de nature et d'humanité. L'expérience du sensible est au cœur de cette œuvre, rappelant que notre environnement nous façonne. L’œuvre résulte de l'assemblage de plusieurs éléments : les images semblent tissées, tout comme les tapisseries fabriquées par un enchevêtrement de fil.
Souche, Anne-Sophie Emard © photo C. L.
Tout en transparence, Paysage DPI d'Isabelle Dehay, montre le développement de végétaux, grandissant lentement sur des écrans de voile qui se superposent. Ici le textile devient le support de la création.
Paysage DPI, Isabelle Dehay © photo C. L.
Deux œuvres assez contemplatives qui nous obligent à passer plusieurs minutes à les observer pour les apprécier pleinement. Des sièges disposés dans les deux espaces permettent de le faire confortablement et le spectacle est assez reposant.
Juste à côté, sont exposées les fameuses tapisseries d'Anglards-de-Salers, fabriquées à Aubusson. Ici, l'ambiance diffère beaucoup, plus d'obscurité mais une ambiance très bucolique. La scénographie nous transporte dans un jardin verdoyant où de confortables transats sont installés face aux tapisseries.
© photo C. L.
Parfois de taille impressionnante, parfois plus petites, elles sont les témoins du savoir-faire des manufactures d'Aubusson. Confectionnées en 1586 lors du mariage de Renée de Chalus d'Orcival et de Guy de Montclar, elles constituent un ensemble baptisé le « Bestiaire fantastique ». Au cours du XVIe siècle, elles seront déplacées dans le château de la Trémollière et redécouvertes cent ans plus tard lorsque le bâtiment devient un presbytère. Les tapisseries, exceptionnellement bien conservées, restaurées à deux reprises et d'une grande richesse iconographique, sont classées Monuments Historiques en 1908.
Dans leur décor, une végétation luxuriante se mêle à l'architecture médiévale, à la faune et aux créatures fantastiques, le réalisme et le fantastique. Si les humains sont absents de ces représentations, on aperçoit des bâtiments en haut des tapisseries, des châteaux, des églises et des villages qui symbolisent la Culture. Cette dernière est matérialisée en haut des tapisseries, elle jouxte la nature mais une séparation est clairement établie entre les deux. Ces œuvres illustrent la pensée médiévale opposant humanité et nature. Notre regard est-il toujours le même cinq siècles plus tard ?
© photo C. L.
Au sol, deux reproductions de tapisseries sont des puzzles géants. Les pièces ont beau être énormes, nous avons beau avoir bac +9 à nous deux, il nous a bien fallu dix minutes pour terminer le plus petit …
© photo C. L.
L'unité de base de l'exposition est le pixel. Dans l'escalier, les tapisseries sont minutieusement découpées, mettant ainsi en valeur tous leurs éléments, toute la richesse de leur décor. Les tentures d'Aubusson et les œuvres numériques exposées se composent d'un assemblage d'éléments, qu'il s'agisse de fils entrelacés ou de minuscules pixels.
© photo C. L.
Cette exposition a l'audace de réunir des œuvres du XVIe siècle et trois œuvres numériques, elles ne sont pas exposées dans le même espace mais traitent du même sujet. Cette mise en regard de créations qui diffèrent par leur temporalité et leur support permet de renouveler la vision que nous pouvons porter sur l'art de la renaissance. D'autres parts, toutes les œuvres interrogent le rapport entre humanité et nature et surtout, remettent en cause le regard anthropocentré dans lequel nous vivons.
Clémence L.
#ArtsTextiles
#MuséeBargoin
#ArtContemporain
Vertiges au Mac Val
A l’occasion de ses 10 ans, le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne (Mac Val) questionne la notion de musée au sein de sa nouvelle exposition permanente par la mise en abîme d’une des caractéristiques qui lui est associé. En effet, lieu dédié à la conservation, il n’en reste pas moins que le musée est aussi un lieu de questionnements et de réflexions tourné vers le présent et le futur, et a la volonté de rendre acteur le spectateur.
Vue de l’exposition L’Effet Vertigo, crédit photographique S.H.
Une question de temps
Dans un musée se rejoignent et cohabitent plusieurs temporalités, ce sur quoi met l’accent L’Effet Vertigo. Les artistes présentés, comme tous les autres d’ailleurs, réalisent leurs œuvres à un instant précis de l’histoire. Toutefois les œuvres sélectionnées ici ont pour point commun selon Alexia Fabre, la conservatrice en chef, de reconsidérer au moment de leur réalisation « les faits historiques, les usages des matériaux,les motifs et sujets ». Des œuvres qui apportent un regard rétrospectif sur le passé mais à destination de spectateurs qui y seront confrontés dans un futur plus ou moins lointain. Les œuvres exposées portent donc en elles plusieurs temporalités : s’entrechoquent ainsi passé et présent, présent et futur ou parfois même passé, présent et futur. A l’échelle de l’exposition toute entière sont convoquées plusieurs temporalités dont le spectateur est la mesure. Vous me suivez toujours ?
Vue de l’œuvre de Pascal Convert, Histoire Enfant, crédit photographique S.H.
J’explicite. Au-delà d’une banale confrontation passé-présent, L’Effet Vertigo sous tend la notion de cycle, de boucle, de continuité temporelle. L’œuvre de Pascal Convert, Histoire Enfant (2011), illustre parfaitement cela. Sérigraphiées sur plaques de verre et ensuite recouvertes de peinture métallisée, les différentes photographies qui tapissent le mur de l’exposition représentent des hommes et des femmes arborant un large sourire. Le cartel nous apprend qu’il s’agit de personnes fusillées durant la Seconde Guerre mondiale. Le spectateur devient ainsi témoin de la joie de ses personnes mais aussi témoin de leur devenir tragique.
L’implication de celui-ci dans l’œuvre est d’ailleurs redoublée en raison de la réflexion de sa propre image dans le miroir. Le spectateur n’est plus seulement témoin, mais fait ainsi partie prenante de l’œuvre. Par une double action, l’œuvre ancre le visiteur dans l’histoire passée et dans l’œuvre, le visiteur ancre l’histoire passée dans le présent.
Un visiteur impliqué et éprouvé
Le titre même de l’exposition fait référence à l’effet filmique mis au point par Alfred Hitchcock dans le film éponyme Vertigo (titre original de Sueurs Froides) visant à traduire la sensation de vertige éprouvée par l’un des protagonistes. Comme Hitchcock qui a voulu faire ressentir cette sensation de vertige au spectateur par le regard du personnage, les organisateurs de l’exposition ont souhaité éprouver physiquement le visiteur.
La volonté de produire une expérience de visite est notamment palpable, nous l’avons vu, par le choix des œuvres qui rend le spectateur témoin du passé ou d’un futur en devenir, mais encore par la scénographie de l’exposition.
Vues de l’exposition L’Effet Vertigo,crédit photographique S.H.
Les œuvres dialoguent entre elles grâce à la présence de miroirs et aux effets de transparence qui en composent certaines, permettant alors de refléter ou d’entrevoir d’autres œuvres. Un effet accentué par les espaces de l’exposition qui sont ouverts les uns sur les autres ; ils sont délimités mais ne sont pas cloisonnés. D’une certaine façon, les œuvres s’interpénètrent, réduisant ainsi l’espace et le temps. D’autre part, les deux premiers grands espaces de l’exposition sont lumineux. Ce qui s’oppose nettement aux deux espaces suivants plongés dans le noir. Dans l’avant dernière salle est disposée l’installation lumineuse de Sarkis, Trésors de la mémoire(2002). Dans l’autre, sont pour l’essentiel projetées des vidéos et diapositives.
Vue de gauche : l’installation de Sarkis, Trésors de la mémoire.Vue de droite : la dernière salle de l’exposition présentant l’œuvre d’Ange Leccia, Maria Callas et Monument de Christian Boltanski,crédit photographique S.H.
En passant d’un environnement très lumineux à un espace très sombre, la perception du visiteur est troublée. Un changement d’ambiance qui éprouve le corps du spectateur, lui impose de se réadapter à un nouvel environnement. Cette volonté de perturber sa perception renvoie à l’effet de vertige qui désoriente et déstabilise physiquement.
Comme toujours le Mac Val donne à voir une exposition à fort partis-pris tant dans le choix de la thématique (tel Chercher le garçon), que par la sélection d’œuvres étonnantes ou le mode de présentation. Créant de multiples interactions entre les œuvres et le regardeur, l’exposition L’Effet Vertigo entreprend, entre autres, la relecture et la reconsidération de certains faits établis par le spectateur, en le mettant ainsi au cœur de la démarche.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’exposition temporaire SevenCorridors actuellement visible au Mac Val est celle de François Morellet qui déclare : « J’étais, et je reste persuadé que la part accordée aux créateurs est disproportionnée par rapport à celle accordée aux spectateurs. Il y a là toute une histoire de l’art à réécrire ». Si ce n’est pas là une invitation à vous y rendre en visiteur actif ?
Sarah Hatziraptis
Lien vers le site de l'exposition : http://www.macval.fr/francais/collection/l-effet-vertigo/article/presentation-5828
#Exposition
#Macval
#Effet Vertigo
Visions Chamaniques. Arts de l'Ayahuasca en Amazonie péruvienne
« Les dessins sont nous-mêmes, notre propre rivière, tous nos ornements. Jamais les Blancs ou d’autres personnes puissantes ne pourront nous les enlever » Agustina Valera Rojas / Ranin Ama
L'exposition "Visions Chamaniques : Arts de l'Ayahuasca en Amazonie péruvienne" transporte les visiteurs dans un voyage à travers les traditions chamaniques et les expressions artistiques des peuples autochtones de l'Amazonie péruvienne. En explorant les mystères de l'ayahuasca, cette exposition révèle la puissance de cette plante sacrée dans la vie spirituelle et culturelle de sa région. À travers une variété d'œuvres d'art, des peintures hypnotisantes aux sculptures colorées, elle offre un aperçu sur la connexion intime entre l'art, la nature et la spiritualité dans l'Amazonie péruvienne.
La collection du musée du quai Branly – Jacques Chirac est mise en dialogue avec une sélection d’œuvres d'artistes contemporains Shipibo-Konibo, dont une peinture murale spécialement réalisée par les artistes de l’Asociación de Shipibas Muralistas Kené Nete de Lima. Cette exposition met en lumière les évolutions contemporaines de cet art visionnaire autochtone. La légitimation de la dimension visionnaire de l’art Shipibo-Konibo, parfois contestée par certains chercheurs, est examinée à travers les prismes de la patrimonialisation, de la promotion touristique et de l'affirmation culturelle.
Une parole directe accordée aux artistes et auteurs
Cette exposition met en avant plusieurs perspectives culturelles et prismes de vues d'artistes, de chamanes, d'anthropologues ou d'autres experts soucieux de la préservation et la transmission des traditions chamaniques de l'Amazonie. Cet aspect est tenu tout au long de l’exposition qui laisse une grande place à la parole des artistes et auteurs de l’Amazonie péruvienne, notamment ceux de la communauté Shipibo-Konibo dans la région de l’Ucayali au Pérou. La première section de l’exposition se concentre sur la culture, l'art et l'artisanat des Shipibo-Konibo, en mettant en avant les œuvres et les objets qui représentent les kené, emblématiques de la production artistique de ce peuple. Connus sous le nom de kené, ces motifs graphiques et géométriques sont appliqués sur divers supports tels que textiles, poteries, sculptures et compositions de perles.
Img. 1 vue de l’espace « Les kené shipibo-konibo : un art visionnaire autochtone ». Le tableau représentant une pluralité de kené. © CP
La particularité de l’exposition est que ses textes et ses cartels intègrent de nombreuses citations d'artistes et d'auteurs-chercheurs shipibo-konibo, ce qui transmet directement leurs voix. Lorsque cela est possible, les cartels fournissent à la fois le nom civil péruvien et le nom shipibo-konibo de ces artistes et auteurs, offrant ainsi une reconnaissance culturelle complète. Tout ceci est mentionné dans un petit cartel « avertissement » en début de section. Ce cartel mentionne également l’utilisation de deux ouvrages [1]contemporains de chercheurs péruviens qui ont largement servi à l’élaborer le contenu scientifique de l’exposition, ils ont d’ailleurs fait l’objet de citations ou de références directes dans les textes et cartels.
Cette exposition ne se contente pas seulement de mettre en lumière les artistes, mais également l’expertise des chercheurs et anthropologues péruviens, citant explicitement leurs ouvrages en début et en fin d'exposition. Il ne s'agit pas de donner à entendre leur parole, car ils auraient pu être interviewés pour l'exposition, mais de plutôt valoriser leurs ouvrages, qui ont joué un rôle crucial dans la reconnaissance des kené en tant que patrimoine culturel national du Pérou. Ce qui souligne ainsi les luttes et les victoires de certains chercheurs. Cette démarche place la connaissance scientifique de ces anthropologues péruviens au cœur du discours scientifique de l'exposition. On observe une véritable volonté de mettre en avant les contributeurs qui ont documenté ce que nous contemplons dans l’exposition. Cette initiative louable permet aux peuples autochtones de légitimer leur parole au musée.
Place accordée aux pratiques chamaniques et leur apprentissage
L'exposition propose également une plongée dans les pratiques chamaniques de l'Amazonie péruvienne. Quels sont les outils de leurs pratiques ? Comment les utiliser ? Quels sont leurs bienfaits ? Toutes les réponses à ces questions se trouvent dans la seconde section de l’exposition « les outils de la cure chamanique ». Cette exposition se concentre sur les créations artistiques sous l’effet d’ayahuasca, et sur des pratiques chamaniques péruviennes, en particulier celles des shipibo-konibo. Les plantes nous sont présentées dans leur contexte d’utilisation pour guérir les corps des patients à travers des rituels filmés diffusés au sein de l’exposition. A savoir que toutes les plantes exposées viennent du marché de Pucallpa au Pérou. De plus, chaque plante ou rituel est aussi nommé en langue shipibo-konibo.
L’exposition propose une contemplation artistique, explore les relations complexes entre le chant, le dessin et les plantes médicinales dans la formation des chamans. Les motifs traditionnels appelés kené ne sont pas de simples décorations artistiques, ils se retrouvent également au cœur même des pratiques chamaniques. Pour les shipibo, les kené brodés ou peints sont presque comme des partitions musicales qu’il suffirait de suivre du doigt pour être guidé dans son chant. Leur exploration offre un aperçu de la manière dont la musique et l'art visuel se rejoignent dans la pratique chamanique, ceci grâce à une ambiance sonore immersive, avec trois chants de rituels shipibo de Claudio Sinuiri Lomas et Amelia Panduro. Une manière de nous transporter dans un chant de guérison ou un autre censé amplifier les pouvoirs amoureux.
L'exposition ne se limite pas à une exploration visuelle, elle engage également les sens olfactifs. Le musée a mis en place un orgue à parfum, permettant aux visiteurs d'explorer les fragrances des rituels chamaniques de la culture péruvienne. Ces parfums, spécialisés chez certains guérisseurs, sont utilisés à des fins thérapeutiques, de purification et d'attraction de l'amour ou de l'amitié. Ils ont été spécialement élaborés par une communauté péruvienne à partir de plantes locales.
Img. 2 Vue de l’orgue à parfums chamaniques © CP Img. 3 Espace “Les outils de la cure chamanique” © CP
L’essor d’un tourisme chamanique : un regard occidental sur l’ayahuasca requestionné
Comment parler d’ayahuasca sans parler de tourisme chamanique ? Depuis les années 1990, un nombre croissant d'Occidentaux se rendent en Amazonie péruvienne pour s'immerger dans les pratiques associées à l'ayahuasca, alimentant ainsi l'émergence d'un "tourisme chamanique" qui induit des changements économiques et culturels significatifs dans la région.
La fin de l’exposition propose une rétrospective de l'histoire de l’ayahuasca à travers le prisme occidental. Depuis sa découverte au XIXe siècle jusqu'à son exploration dans le domaine de l'ethnobiologie, puis la diffusion des résultats de recherches sur cette substance hallucinogène encore énigmatique pour les Occidentaux, cette section met en lumière l'évolution de l'intérêt occidental pour l'ayahuasca. Elle souligne également l'émergence d'un tourisme chamanique de masse à la suite de la diffusion de ces recherches auprès du grand public. Plus récemment, l'intérêt croissant de la communauté scientifique pour les propriétés thérapeutiques des substances psychédéliques a stimulé une nouvelle vague de recherches sur l'ayahuasca ces dernières décennies.
Cette section est particulièrement pertinente puisqu’elle juxtapose le regard contemporain occidental sur l'ayahuasca et les interactions historiques des Occidentaux avec cette substance en Amazonie. Elle met en lumière la manière dont des terres appartenant aux autochtones ont été le terrain de recherches européennes dès le XIXe siècle, s'étendant ensuite avec l'émergence de la contre-culture américaine à partir des années 1960. Cette perspective révèle comment certains se sont approprié cette substance et ont tissé tout un récit autour d'elle, la rendant ainsi extrêmement attrayante et mystique pour un grand public souvent peu informé de ses effets et dangers.
Img. 4 Salle reprenant chronologiquement l’histoire de l’ayahuasca. © CP
Quel effet ça fait l'ayahuasca ? Une expérience hallucinogène au musée
Tout au long de l'exposition, l'ayahuasca est un sujet récurrent, mais pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette substance, la question persiste : quels sont ses effets ? Heureusement, la conclusion de l'exposition offre une réponse à cette interrogation en proposant aux visiteurs une expérience de réalité virtuelle de 18 minutes les plongeant au cœur d'un voyage hallucinogène sous l'effet de l'ayahuasca.
La dernière salle du parcours explore les effets de l’ingestion d'ayahuasca sur les artistes contemporains péruviens et internationaux, mettant en lumière la façon dont cette tradition ancestrale continue de nourrir l'inspiration, nourrit les récits visuels et les expressions artistiques contemporaines, notamment à travers des productions audiovisuelles telles que celles de Jan Kounen. L'artiste néerlandais s'est lancé le défi de recréer l'expérience de l'ayahuasca grâce au cinéma en utilisant des images de synthèse.
Lors de cette expérience hallucinogène virtuelle, les visiteurs sont transportés par le chant d'un guérisseur traditionnel shipibo, évoquant un état de transe inspiré des rituels. Ils sont plongés au cœur des paysages amazoniens et des rituels chamaniques par des images vibrantes et sons envoûtants. Cette expérience VR ajoute une dimension immersive pour comprendre les pouvoirs de cette boisson dont les effets peuvent perdurer jusqu'à six heures après ingestion. En raison d’images sensibles et parfois terrifiantes, l’activité n’est accessible qu’aux personnes de + de 13 ans et déconseillée aux personnes qui ont une épilepsie. Une mise en garde est d’ailleurs annoncée à l’entrée puisque le film comprend aussi des images d’insectes mouvants qui pourraient gêner certains insectophobes.
Camille PARIS
#ayahuasca #autochtones #amazoniepéruvienne #chamanisme
Pour en savoir plus :
- Le dossier de presse de l’exposition :https://m.quaibranly.fr/fileadmin/user_upload/1-Edito/6-Footer/1-Espace-presse/DP_VISIONS-CHAMANIQUES_VDEF.pdf
[1]Agustina Valera Rojas et Pilar Valenzuela Bismarck, Koshi Shinanya Ainbo : el testimonio de una mujer shipiba, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Lima, 2005. Et Luisa Elvira Belaunde, Kené: arte, ciencia y tradiciôn en diseño, Instituto Nacional de Cultura del Perü, Lima, 2009 ↩
Visite ta nuit
Sas. Noir. Etoile. Prépare toi.
Ferme les yeux, que vois-tu ? Qu'entends-tu ?
Prends ton pinceau et peins.
C'est le noir. Puis c'est le crépuscule. Puis c'est la peine ombre. Puis c'est la nuit. Puis tu fais la fête. Tu fais la fête à Paris. Tu fais la fête ailleurs. Tu reconnais les réverbères. Et puis tu ne les reconnais plus. Tu penses reconnaître ces formes. Et tu t'envoles. Le cosmos ?
Admire ces étoiles qui pétillent, le calme autour de toi. Abstraction. Immersion ?
Tu es déboussolé ? Juste un instant, habitue-toi.
Cette citation, dans la pénombre, ravit
ton imaginaire.
«Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés des campagnes, l’on
voit, plongé dans d’amères réflexions, toutes les choses revêtir des formes jaunes,
indécises, fantastiques. L’ombre des arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court,
vient, revient, par diverses formes, en s’aplatissant, en se collant contre la terre.»
Comte de Lautréamont,
Les chants de Maldoror,1890
Comme les ombres que tu supposes dans la nuit,
l'encre de chine et l'aquarelle semblent précieuses dans ces faisceaux blancs.
Tu t'approches, tu plisses les yeux
Tu reconnais ces paysages, ce sont ceux qui t'entourent, des halos
Ils te rappellent le cinéma, des couleurs, des néons, un univers rétro à la Lalaland.
Le réverbère ? La couleur dans la nuit ? C'est l'éclat.
Tes yeux doivent s'habituer à cette œuvre de Philippe Parreno,
qui réveille tes sens engourdis,
C'est l'entrée de la nuit ?
L'entrée dans le côté festif de la Nuit.
Paris. Tu fais la fête avec Auguste Chabaud.
Libre, sans jugement.
Les formes prennent des couleurs,
mais du gris, du noir, du sombre, des ombres, le soir, la nuit.
Tout d'un coup. Un rythme ? Qu'entends-tu ?
La fête vient te chercher, elle t'appelle.
Tu rentres de soirée ? La vie nocturne. Toi, tu ne dors pas.
Les fenêtres sont éteintes
tu passes de l'interieur à l'exterieur ce n'est plus seulement
la lumière artificielle qui vient sur toi c'est toi
qui est éclairé
tu es dehors tu es dedans tu vois les phares quelqu'un vient te chercher
t'es peinard chez toi mais tu sens des irruptions c'est hors de ta portée
Avec qui es-tu ?
Es-tu seul.e ?
La nuit te confronte à toi même
et à tes peurs
à une certaine oppression ?
L'inspiration, le malaise, c'est troublant, la nuit t'inspire
Ces formes, ces halos, tu les perçois ?
Ca vient d'ici ou de là bas
Ca te donne envie de peindre, de dessiner, de créer
Ils l'ont fait eux, les surréalistes.
Mais ça t'échappe.
A quel moment tu rêves ?
Ferme et ouvre un œil, ils faisaient comme cela
Un peu de blingbling
(Jean-Luc Verna et Bruno Pelassy)
C'est éphémère,
et pourtant si présent et poignant
We are with you in the night
« Dans le jour, nos yeux sont arrêtés par un inscrutable (le
soleil, que l’on ne peut regarder en face), dans une nuit, ils
sont entraînés plus loin par le fait qu’il y a toujours davantage
à contempler que ce que l’on a déjà vu. (...) L’infini du ciel étoilé
ne se laisse pas totaliser dans une image. (...) Les deux
facultés qui rendent la connaissance possible sont tenues
en échec : l’entendement est incapable de dénombrer les
étoiles, l’imagination ne parvient pas à les disposer dans une figure.
C’est donc « le ciel étoilé » tel qu’on le voit, sans souci de le connaître, qui éveille
un sentiment de sublime. Le sublime de la nuit enseigne à l’Homme qu’il possède
une autre destination que le savoir. »
Michael Foessel, La Nuit, 2017
D'un coup tu t'envoles, tu quittes la surface
l'abstraction et la représentation
La nuit est présente dans les objets mais aussi sur les tableaux
ton regard va du bas vers le haut.
Stop. Tu te balades dans les visions de quelque chose,
un coup dans un sens un coup dans l'autre, un coup à l'endroit un coup à l'envers ?
c'est solide, minéral, tu découvres un nouveau territoire
il semble inhabité,
toute la fascination de la découverte en une série de photo
La conquête spatiale à la conquête de ce sol rocailleux ?
La lune, les constellations, les étoiles, les planètes, toi aussi tu es là haut
Après avoir vu les formes, la nature, les corps se transformer tu assistes à la découverte du cosmos
les différents horizons se perdent
Et si tu ne voyais plus ?
La transition entre les couleurs et formes qui se créent la nuit
Stop.
Ferme les yeux et peints. Que ressens-tu ?
Les fluides sont en mouvement, des paillettes sous tes paupières
Et puis tu sors de toi, et tu rentres dans la nuit
Tu perds tes repères,
à nouveau, et tu t'envoles et là c'est parti
Dans l'espace, la voie lactée, cette traînée violette, qui t'entraine ça ressemble à des UV tu rêves et tes rêves t'emportent, et ton équilibre avec, tu peux même entendre le son de l'espace. Ferme les yeux et laisse toi guider par les lucioles.
Le bien-être de l'espace, du vide, du noir.
Et puis,
Tu t'émerveilles une dernière fois devant la verdure, le bleu de la nuit, le blanc de la voie lactée,
ce nouveau monde découvert, et ta perception remise en cause
Ils me rappellent le cinéma, des couleurs, des néons, un univers rétro
Œuvres et projection dans la partie Se perdre dans la nuit © C.Camarella
tu es dehors tu es dedans tu vois les phares quelqu'un vient te chercher
Œuvre de Spencer Finch, Study for light in an emply room (studio at night) © C.Camarella
Ferme et ouvre un œil, ils faisaient comme cela, les surréalistes.
Œuvres surréalistes © Capture de la vidéo La nuit tous les châssis sont gris
Et si tu ne voyais plus ?
Mortuary de Daisuke Yokota © C. Camarella
Dans l'espace, la voie lactée, cette traînée violette, qui t'entraine ça ressemble à des UV tu rêves.
Œuvre de Helen Frankenthaler, Stargazing © C.Camarella
Vous l’avez compris, j’ai vécu l’exposition de façon très immersive, sans doute à l’image de ce qu’indique le Centre Pompidou :
« À travers une approche liée à la perception de la nuit plutôt qu’à son iconographie, l’exposition se présente elle-même comme une expérience nocturne, une déambulation qui transforme le visiteur en noctambule, et qui transmet ce vertige que procure la nuit : vertige des sens, vertige intérieur, vertige cosmique. On avance dans l’exposition comme on avance dans la nuit. »
C. Camarella
#Peindrelanuit
#CentrePompidouMetz
#Visitetanuit
Pour plus d'info :
Vivre l'expérience Hirschhorn
L'exposition de Thomas Hirschhorn présentée au Palais de Tokyo...
Je reprends : L'événement de Thomas Hirschhorn présenté au Palais de Tokyo jusqu'au 23 juin...
Ou plutôt : L'œuvre de Thomas Hirschhorn à vivre au Palais de Tokyo apparaît comme une cour de récréation pour adultes.
Cet OVNI difficilement définissable investit l'espace du premier niveau du Palais sur environ 2000 m². L'immense squatattise la curiosité. Nous sommes invités à pénétrer gratuitement dans une zone chaotique de non-droit parfaitement organisée. Comme à son habitude, l'artiste suisse propose une œuvre faite de matériaux issus de notre quotidien, on ne peut plus ordinaires, pour créer un espace hors de notre quotidien tout à faire extra-ordinaire.
© des visiteurs actifs, créatifs. A.H.
Les esprits se libèrent, les corps de détendent et rapidement on s'y sent bien : on s'allonge sur un canapé momifié dans du scotch de déménagement, on regarde un film, on surfe sur internet, on tague les parois, on boit une, deux, trois bières à un euro autour d'un feu artificiel, on sculpte une baignoire en polystyrène à s'en mettre des billes dans tous les orifices et on tente de grimper tant bien que mal sur des montagnes de pneus récupérés à la casse. Le temps s'arrête, depuis combien de temps sommes-nous ici ? Peu importe, l'exposition est ouverte jusqu'à minuit, nous avons le temps.
© vue de l'exposition,A.H.
Thomas Hirschhorn propose aux visiteurs de vivre une expérience inhabituelle, qui se situe loin des attentes que l'on peut avoir en passant la porte d'un centre d'art contemporain. Aucune cimaise, aucune œuvre exposée (si l'on exclut les livres mis à disposition dans l'espace bibliothèque), aucun cartel. Mais à lire la joyeuse insouciance sur le visage des jeunes adultes lookés s'appropriant l'espace, se situe-t-on si loin des attentes du public qui semble aimer se faire surprendre ?
« Il faut avoir une parfaite conscience de ses propres limites surtout si on »
© vue de l'exposition, A.H.
Des demi-slogans tagués sur des banderoles font un pied-de-nez à l'impératif utilisé dans les proverbes ou autres conseils moralisateurs à vocation universelle. Une invitation à la réflexion sur la société et sur l'art qui s'empare ici de toute la liberté qui lui est offerte.
Indéniablement,l'exposition fait ici œuvre. Selon le philosophe américain John Dewey, l'art est à considérer comme une expérience pouvant prend repart dans le quotidien. Supposant un déroulement avec un début et une fin qu'on ne connait jamais à l'avance, elle nous surprend et nous emmène là où ne l'attend pas, à l'image du parcours labyrinthique de « flamme éternelle ».
En ce moment même, dans un autre arrondissement parisien, Monumenta nous invite à découvrir la cité idéale d'Emilia et Ilya Kabakov au Grand Palais. Thomas Hirschhorn ne nous proposerait-il pas la sienne à travers « Flamme éternelle »?
Un monde utopique fait de bière, de philosophie et de liberté d'expression à expérimenter jusqu'au 23 juin 2014.
Anne Hauguel
« Flamme éternelle » de THOMAS HIRSCHHORN
du 25.04.14 au 23.06.14
Au Palais de Tokyo
13 Avenue du Président Wilson, 75016 PARIS
Métro Iéna ou Alma-Marceau
Ouvert de midi à minuit, tous les jours sauf le mardi.
Entrée libre.
Pour aller plus loin : Site internet de l'œuvre pour connaître la « non-programmation » des philosophes qui interviennent tout au long de l'événement : http://www.flamme-eternelle.com/
Site internet du Palais de Tokyo : http://www.palaisdetokyo.com/fr/exposition/flamme-eterne
# Hirschhorn
#PalaisdeTokyo
#Exposition

Vous reprendrez bien une petite tasse ?
Le visuel de l’affiche interpelle mais ne donne pas encore la réponse.
©MarcMartin
Il faut donc aller sur place pour comprendre enfin de quoi et de qui Marc Martin a choisi de nous parler. « Les tasses » c’est l’argot parisien qui désigne les vespasiennes, les pissotières, les toilettes publiques masculines, haut lieu de vie et de rencontre presque disparu aujourd’hui. Cette exposition était présentée il y a deux ans au Schwules Museum de Berlin (Musée Homosexuel), et ne trouvait pas de lieu d’accueil à Paris, pourtant première concernée par le sujet1. Le Point Éphémère a décidé d’être ce lieu pour une semaine de novembre 2019 et j’en ai profité.
©LC
©LC
Le Point Éphémère fait partie du projet Usines Éphémères5qui réadapte d’anciennes friches industrielles pour installer des résidences artistiques et programmations festives et culturelles. L’association existe depuis 1987 et a permis à de nombreux bâtiments d’effectuer une reconversion architecturale pour devenir des centres de création, dans ce cas il s’agissait d’un ancien magasin de matériaux de construction Point P, créé en 1922. Le lieu est partagé avec la maison des associations du 10ème arrondissement de Paris et la caserne des Pompiers. C’est le programmateur spectacle vivant et évènement David Dibilio qui a donné cette carte blanche à Marc Martin pour son exposition. L’aspect industriel de l’endroit s’accorde facilement au sujet, et les toilettes installées contre le mur pourraient être un vestige original.
©LC
La trace de ces objets/lieux n’existe plus que dans les mémoires matérielles et immatérielles. Les dernières ont été démantelées dans les années quatre-vingt, et de n’avoir pas connu leur existence, je ne me rends pas compte de leur aspect emblématique dans l’espace public. En réalité en tant que femme l’accès à ces micro-monuments ne m’était pas destiné. Les pissotières affirment un ordre patriarcal dans la ville du XIXème et XXème siècle : en effet pourquoi se soucier du confort hygiénique des femmes puisqu’elles ne sont pas censées circuler librement dans la ville et qu’on ne veut pas savoir ce qui se trouve sous leurs grandes jupes longues…Espaces sexistes et point de rendez-vous pour les minorités illégales bravant l’interdit en même temps, les vespasiennes rassemblent de nombreuses problématiques contemporaines. Cette exposition à la fois légère, ludique, artistique et édifiante a le mérite de s’adresser à tous, pour peu qu’on ne s’offusque pas devant un imaginaire homo-érotique affirmé. Tout est politique, l’intime et le public. Les témoins d’autres époques nous permettent de créer des perspectives avec notre présent. L’exposition invite à considérer la richesse sociale et historique de ces endroits qui ne payaient pas de mine à priori et l’importance de discrets collectionneurs qui suivent leur intuition sans s’encombrer du qu’en dira-t-on.
©LC
Lorette
Exposition Les Tasses, toilettes publiques, affaires privées.
Du 19 novembre au 6 décembre, Point Éphémère, 200 quai de Valmy (10e).
#WC
#PointEphémère
#Marc Martin
1 Paris n’a pas de musée consacré à l’histoire du mouvement LGBTQIA+, contrairement à Berlin, Amsterdam, San Francisco. Un projet est en cours depuis plus de dix ans, pour les curieux.ses : https://archiveslgbtqi.fr/
3 https://lafabrique.fr/manifeste-contre-la-normalisation-gay/
4 http://www.marcmartin.paris/about.php?rub=INTERVIEW+-+KEVIN+CLARKE%2C+VICE+-+2017
5 http://rozweb.free.fr/spip/spip.php?article10
Voyage en territoires industriels
La nouvelle exposition de Centre Régional de la Photographie de Douchy-les-Mine, intitulé « Resilient Images », nous transporte le temps d’une visite. Elle raconte l’histoire d’une résidence croisée, de deux artistes, deux sensibilités, regards étrangers ; en immersion dans deux anciens territoires industriels. Justine Pluvinnage, réalisatrice, artiste vidéaste lilloise et David Schalliol, sociologue et photographe de Chicago, nous offrent le résultat artistique de leur regard,posé sur la terre de l’autre.
FM Suprême, « Amazones »,2017
Coproduction CRP/et Hyde Park Center ©Justine PLUVINNAGE
Lauréats du programme de résidence« Resilient Images », David Schalliol a réalisé deux séjours de résidence dans les hauts de France et Justine Pluvinnage est partie deux mois explorer la ville de Chicago.
Un échange de part et d’autre de l’atlantique entre le Hyde Park Center de Chicago et le Centre Régional de la Photographie de Douchy-les-Mines, autour d’une thématique forte : la Résilience. Ce mot faisant référence à la capacité d’une matière, d’un espace à reprendre sa forme initiale, après avoir subi un choc. Un clin d’œil au passé industriel sidérurgique de ces deux territoires.
Les artistes questionnent notre place dans l’héritage industriel et culturel, puisque leur création est guidée par le rapport entre l’Homme et le territoire.
L’exposition prend forme en deux espaces présentant successivement le travail photographique de David Schalliolet l’installation vidéo de Justine Pluvinnage.
Le premier espace d’exposition est de forme cubique autour d’un tronc central. Sur ce fond blanc, les photographies aux couleurs plutôt foncées, ressortent par îlots puisqu’ accrochés par série. Ce qui créé un contraste car le second espace, bien plus petit et plus sombre, nous plonge dans une ambiance particulière. Deux espaces plutôt immersifs, dépourvus de texte, seul l’image joue le rôle de médiateur entre le visiteur et l’artiste ce qui fonctionne étrangement bien.
Les images de David Schalliol
©David SCHALLIOL – Vue partielle de l’exposition « Resilient Images »
Sociologue de formation, son étude des communautés est fortement liée à sa création. Il questionne la résilience des territoires à travers la réappropriation des lieux par les habitants. Il met en exergue ces lieux de l’industrie passé à travers leurs nouveaux usages et la manière dont l’activité humaine a changé ces espaces.
Sa série de wagonnets marque le décalage entre l’usage d’origine et l’usage actuel de l’objet. L’artiste joue sur l’objet mémoire confronté à l’objet décoratif questionnant le rapport à l’héritage.
Mais c’est son travail sur les habitants qui est sans doute le plus significatif. Il les confronte à leurs espaces de vie emprunts d’une activité passé. Nouveaux terrains de jeux, de chasses, de soirées, il montre comment l’homme a réinventé le territoire industriel, le façonnant au gré de ses activités.
Déambulant dans l’espace d’exposition, le visiteur est intrigué par ces séries qui prennent une dimension particulière comme si elles tentaient de nous parler, de nous présenter des personnes. David Schalliol a réalisé de véritables portraits des habitants du nord en allant directement à leur rencontre, brisant toute barrière linguistique, révélant des personnalités singulières au cœur de leur territoire. Il a créé une relation d’empathie avec ces sujets ce qui donne à ces portraits une autre dimension peut être plus sociale, allant au-delà du simple effet documentaire. Une tension est alors palpable entre le personnage et son espace de vie, racontant une histoire particulière, celle de la résilience de ces territoires montrant la résistance à un choc : celui de la disparition d’une activité. L’artiste nous présente alors la fierté de ces habitants à habiter ces lieux dont on pensait l’existence terminée.
Les images de Justine Pluvinnage "Amazones"
©Justine PLUVINNAGE – Vue partielle de l’exposition « Resilient Images
Ce voyage en territoires industriels continue de se déployer sous les yeux du visiteur mais cette fois, sous forme d’images animées. Nous voilà de l’autre côté de l’atlantique, aux states, à Chicago dans une ambiance plus que singulière. L’installation vidéo de Justine Pluvinnage se compose de trois écrans synchronisés qui diffusent des images de femmes marchant sur un fond musical au rythme étrange dont les basses donnent toute la puissance à la création. Immersive,cette création éveil notre ouï en plus de notre vue, redynamisant l’exposition.En effet elle créé une séparation entre l’espace de déambulation autour des œuvres de David Schalliol, pour stopper le visiteur face à la vidéo.
Impossible de décoller les yeux de ces trois écrans, d’où se dresse le portrait de huit femmes, guerrières des temps modernes. Ce n’est pas anodin si l’artiste a nommé son œuvre « Amazones », elle met en image et en mot le caractère spécial de ces femmes. Huit fortes personnalités, toute combattantes pour la paix, réalisant comme une performance. En marchant vers nous, elles revendiquent le droit d’exister à travers une manifestation politique personnelle. La démarche, le regard, le cadrage, tous les détails nous plongent dans un univers étrange et théâtral, comparable à celui d’un vieux western.
Activiste pour la paix, bodybuildeuse, poétesse-rappeuse, artiste atteinte d’alopécie, performeuse voguing…. elles illustrent la résilience montrant la capacité d’un individu à surmonter un traumatisme. Justine Pluvinnage met en image l’émancipation de ces personnalités dans un contexte socio-économique complexe où violences et injustices font partie intégrante de la réalité. Justement, l’artiste présente en arrière plan,les différents quartiers de la ville auxquels ces femmes donnent littéralement corps à travers leur façon de marcher ou de danser. Elle travaille le corps dans l’espace et la manière dont celui-ci agit, prenant possession de l’espace publique. C’est le territoire et son passé que ces femmes ré-enchantent. Elles réinventent la ville en existant à travers la différence, utilisant leur activité, leur comportement et leur combat comme une arme défiant tous les espaces de la ville.
Si le visiteur a eu la chance de parcourir la ville de Chicago, alors, l’émotion est d’autant plus poignante. Cette installation se vit comme une expérience. Elle ne laisse pas indifférent !
David Schalliol et Justine Pluvinnage ; par le biais de cette exposition révèlent une sorte de mécanisme vital de l’individu, celui de se réinventer face aux bouleversements de son territoire de vie. Mécanisme psychanalytique pensé par les Anglossaxons, vulgarisé en France par Boris Cyrulnik.
Le corps, en mouvement ou en portrait est acteur de l’œuvre, ce qui donne à l’exposition toute son émotion.
Un voyage surprenant dont on ressort, tremblant, bouleversé et en même temps remonté à bloc !
Justine Faure
#résilience
#territoire
#habitant
Pour en savoir plus : www.crp.photo/exposition/david-schalliol-et-justine-pluvinnage/

Wellcome Collection : La rencontre audacieuse entre la science et l’art, un musée qui éveille la curiosité
Imaginez un musée qui ambitionne d’explorer les liens entre la science, la médecine, la vie et l'art. Un musée qui vous invite à réfléchir sur les grandes questions qui touchent notre société, de la santé à l'humanité. Bienvenue à la Wellcome Collection, un musée unique en son genre situé à Londres.
Wellcome Collection, Londres
La curiosité est souvent l'élément moteur qui pousse les passionnés à découvrir de nouveaux horizons et à chercher des défis passionnants. C'est exactement ce qui a pu pousser une jeune muséographe, comme moi, à franchir les portes de ce musée lors d'un week-end dans la capitale anglaise. Sans attentes particulières ce musée à sur générer de la surprise et de l’inspiration. Au-delà de ses expositions sur des sujets variés, la Wellcome Collection est un espace de réflexion et de questionnement sur les grandes problématiques de notre époque.
L’histoire d’une collection aussi fascinante qu’éclectique
Le Wellcome Collection, fondé en 2007, est une institution culturelle gratuite qui se donne pour mission de défier la façon dont les gens pensent et ressentent la santé. Elle est inspirée par les collections assemblées par Henry Wellcome, un entrepreneur pharmaceutique et philanthrope du 19ème siècle. La collection comprend plus de 1,5 million d'objets qui témoignent de l'histoire de la médecine, de la santé et de la société, ainsi que de nombreux ouvrages rares et précieux en matière de médecine, de science et d'histoire.
Le musée propose des expositions temporaires sur des sujets variés, allant des pratiques de guérison traditionnelles aux dernières avancées scientifiques.
Une exposition permanente qui explore la notion d’humanité
La visite de la Wellcome Collection dirige dans un premier temps les visiteurs vers “Being Human", une exposition permanente qui cherche à explorer ce que signifie être humain au 21e siècle. Dans un espace peu vaste, des concepts complexes dialoguent à travers une variété de médias : vidéos, objets, créations artistiques, artefacts scientifiques, cartels et dispositifs ludiques, pour n'en nommer que quelques-uns.
Chaque section de l’exposition explore différentes facettes de notre pensée, de nos sentiments, de nos corps et de notre relation avec le monde en mettant toujours en avant l’importance de la diversité, qui porte le message que nous sommes tous uniques dans un monde commun. Ce qui rend cette exposition si captivante, c'est qu'elle ne se contente pas de montrer, elle interpelle. Les œuvres rassemblées sont comme des échantillons aux grandes questions que tout être humain peut se poser. L'exposition invite à prendre du recul, à remettre en question notre environnement, notre identité et les traces que nous laissons. Les éléments de collections exposés sont des œuvres engagées mélangeant art, design, science et bien d'autres.
Par exemple, une section est dédiée au changement climatique et à la crise écologique, mettant en question la capacité de l'humanité à passer à l'action. Les œuvres exposées dans cette section, comme la série de photo “Too” de Adam Chodzko, explorent la relation complexe entre l'être humain et le monde qui l'entoure, à une époque de profonds bouleversements. Certaines œuvres se concentrent sur les signes de ces changements, tandis que d'autres exposent des futurs potentiels, comme l'œuvre ‘Recipe for Potable Water” de Allie Wist qui présente un système de filtration d’eau fabriqué à partir d'objets du quotidien . Cette section suscite avant tout une question essentielle : sommes-nous prêts à nous adapter et à évoluer dans un monde en pleine transformation ?
Une installation remarquable, "Refugee Astronaut III" de Yinka Shonibare, met en scène un astronaute tenant précieusement quelques objets rassemblés à la hâte. Le titre suggère un exil forcé, un acte de désespoir plutôt qu'une exploration galactique confiante. Alors que la dégradation de l'environnement déplace de plus en plus de populations, cette œuvre interroge sur le nombre de personnes qui pourraient devenir des réfugiés.
"Refugee Astronaut III" de Yinka Shonibare, Wellcom Collection, Londres
Une autre section explore le corps et l'esprit, et cherche à offrir un regard différent sur le handicap et les différences. Une installation ludique intitulée "Oh my gosh, You're Wellcome... Kitten" réalisée par l'artiste The Vacuum Cleaner, est le fruit de six mois de collaboration avec quinze jeunes membres du personnel de l'unité Mildred Creak de l'hôpital Great Ormond Street. Ensemble, ils ont imaginé comment différentes expériences et environnements pourraient favoriser la santé mentale. Dans cette installation, les visiteurs sont invités à imaginer un lieu qui créerait une meilleure santé mentale pour tous. Les enfants participants ont proposé des réponses pleines d'imagination, telles que la présence d'un bébé rhinocéros dans chaque service de santé mentale pour enfants, des chambres avec des lacs, des montagnes et une bibliothèque de Poudlard, des infirmières aux grandes oreilles, et des seaux d'empathie.
Cette exposition offre un espace de réflexion où les préjugés sont remis en question, où l'on peut considérer les défis auxquels l'humanité est confrontée et envisager des solutions créatives. Elle illustre l'engagement du musée à explorer les multiples facettes de l'expérience humaine et à encourager des discussions approfondies dans un monde en constante évolution.
Exposition temporaire : Object in stereo
Cette exposition temporaire questionne le fonctionnement du musée, et ses collections, nous plongeant dans l’histoire des réserves du musée et de la conservation des collections pour mettre en évidence la façon dont ces espaces peuvent influencer la perception et la compréhension des trésors du passé.
L'exposition, intitulé “Objects in Stereo” se visite avec un habile dispositif permettant de voir les photographies stéréoscopiques de Jim Naughten en 3D. Elle se révèle être une véritable mise en abyme des collections du musée et de notre relation aux objets. Elle nous plonge au cœur des réserves et des problématiques de stockage, comme si en plein cœur d'une séance de psychanalyse, le musée partagerait lui aussi ses doutes et ses questions. Une grande table centrale présente une documentation accessible, recréant ainsi l'atmosphère d'un espace de recherche au sein d'une salle d'archives. Une véritable invitation à participer avec le musée, où chaque visiteur se sent convié à une expérience de découverte unique et immersive.
Exposition Object in stereo, 2023, Wellcome Collection, Londres
Un espace de lecture hybride
En plus des expositions, le musée abrite au premier étage une grande bibliothèque remarquable, riche d’ouvrages et de photos, meublée de canapés années 40 et réservée aux « incurables curieux ». Ici, les amoureux du savoir, qu'ils soient étudiants, chercheurs chevronnés, ou qui viennent d’ailleurs, trouvent refuge et inspiration. Cet espace est conçu comme un véritablement un lieu hybride, alliant les caractéristiques d'une bibliothèque et d'un musée et va bien au-delà d'un simple espace de recherche. En effet, elle est le reflet du musée dans son ensemble, offrant non seulement des ressources documentaires, mais également des médiations et des espaces d'exposition. L’espace n’est pas organisé par genre de livre ou par ordre alphabétique, mais il est organisé en grandes catégories. On retrouve par exemple des sections comme “Lives”, “vies” en français, qui regroupent des titres sur les thèmes de la biographie, de la maladie d’Alzheimer, du vieillissement ou des portraits. La section “Faith” qui se traduirait par “foi”, regroupe les ouvrages traitant d’amulettes, de religion et de médecine, de la mort et du processus de mort, ou d’autres sections, aux thématiques plus difficiles, comme la section “Breath”, “respiration” en français, qui aborde des sujets comme la cigarette, les guerres chimiques, les systèmes respiratoire, ou encore l'asphyxie.
A l’image des expositions, la bibliothèque encourage l'interaction et la contribution des visiteurs, des marque-pages sont mis à disposition pour laisser des traces, des avis et des critiques dans les différents livres. Des médiations sont judicieusement dispersées dans les espaces, pour offrir des expériences qui approfondissent les sujets, comme par exemple la création de journaux intimes, dresser son propre portrait ou encore s'adonner à des activités artistiques. L'espace est vaste, ouvert, et des coussins recouvrent les grands escaliers pour permettre aux lecteurs de s'y installer confortablement. La curiosité y est contagieuse. L'affluence est notable, loin d'un silence religieux, mais toujours dans le respect de tous les usagers.
Bibliothèque, Wellcome Collection, Londres
L'art de dialoguer avec son public
La Wellcome Collection résonne profondément avec la conviction que les musées sont des espaces de partage, de dialogues et d’interactions qui ont une mission primordiale de rendre accessible la culture auprès du public. Ce musée, un véritable bijou de curiosité, ne se contente pas simplement de présenter des objets de la collection de Henry Wellcome, il s’exprime de lui-même en créant un véritable dialogue avec le visiteur.
Le génie du musée réside dans sa manière accessible de présenter les choses et dans son intégration de la médiation. Il offre un espace ouvert et accueillant, où les publics se rencontrent et se retrouvent. La librairie et le café ajoutent à la convivialité à ce lieu de vie partagé, où la curiosité est valorisée. Les connexions entre les différents domaines créent du lien et montrent l'ancrage des sujets abordés dans un spectre plus large, celui du vivre ensemble, de l'innovation et de la réflexion collective pour un monde meilleur.
Pour en savoir plus :
- https://wellcomecollection.org/
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Wellcome_Collection
- //www.youtube.com/@WellcomeCollection
- https://wellcomecollection.cdn.prismic.io/wellcomecollection%2F4207b8c8-70d1-461e-bea6-f9da13f9a55a_wellcome+collection+who+we+are+and+what+we+do_2.pdf
Τ(ρ)όποι λατρείας. Τάσος Βρεττός Wor(th)ship
T/r/opoi latreias- façon Sites1 de culte-Wor(th)ship
Tassos Vrettos
Musée Benaki, Athenes Quand les couleurs du labyrinthe de la ville ressemblent au musée...
Qui croit aujourd'hui? Qu'est-ce que la prière? Et comment se pratique-t-elle ? Comme une discussion de chaque «Autre» et le besoin de sentir qu'il appartenir. Plutôt un souhait qu’une prière pour ceux qui ont été déracinés, ou une gratitude pour la patrie temporaire et la terre actuelle. Cette exposition présente 400 photos couleurs, de 44 sites de culte improvisés, 400 "portes" qui s'ouvrent l’une après l'autre, déroulant un récit qui révèle l'Athènes de l’«autre », du différent, l'invisible Athènes, photographié par le photographe Tassos Vrettos dans un voyage commencé il y a trois ans (l'exposition a eu lieu jusqu'au janvier 2015, Vrettos a commencé sa recherche 2012) dans le labyrinthe religieux d'Athènes. Des lieux de cultes dans des appartements, des garages , des sous- sols des endroits vraiment inattendus qu'ils ont été loués par les communautés de migrants pour pratiquer leur cultes...le photographe, pendant ces années, a pu tisser des liens et il a pu assister à ces moments singuliers et prendre des photos.
T. Vrettos
L’exposition coïncide avec les pages noires de l'histoire sur la question des réfugiés et des immigrés en Europe. Soudain, le matériel collecté a une autre dynamique du fait de son exposition. Le message de l’exposition se met en question. La recherche de cette diversité, dans "la recherche de l'Autre" est-il la même ? Maintenant que la diversité à l’Union Européenne ne semble pas être acceptable…
« Le plus touchant de ce parcours était le moment de l'arrivée de tous ces gens (Ethiopiens, Afghans, Égyptiens, Pakistanais, Nigérians, Sénégalais, Philippins, Indonésiens, des Irakiens…) à l'ouverture de l'exposition. Plus de 1.500 personnes, de différentes nationalités et religions, tous ravis, m’embrassaient, me serraient, parlaient les uns aux autres, existaient dans le même espace, »explique le photographe avec enthousiasme.
T. Vrettos
L’exposition ne cherche pas l'implication affective et critique du visiteur. Elle traite des sujets de notre histoire, de notre mémoire actuelle, et fonde un nouveau rôle social pour le musée grec. Elle introduit entre autres une narration et le témoignage des œuvres qui éliminent les stéréotypes, le racisme et l'exclusion sociale et cherchent des réponses à des questions sur le passé, mais aussi sur les problèmes actuels de la vie sociale et culturelle. Elle relève l'importance de la participation à l’agonie comme à la survie de l'homme.
Plan de l'exposition
Je sens ce labyrinthe avec attention, intérêt et curiosité tout au long de mon parcours dans l’exposition. Des installations sont jetées comme pour figurer l’architecture d’une ville. On sent qu’on est dans une ville, aux endroits lumineux et plus tard sombres. Nous laissons les moments de culte qui célèbrent la joie de la vie religieuse et on passe à l’autopunition et à la flagellation. Le parcours ressemble à une étude continue de variations sur le concept d'extase. Remontent à l’esprit les désirs et les répressions primitifs, et parfois obscurs .Les corps tendus, en sueur, à genoux, la danse, les corps ensanglantés, les yeux fermés, les larmes et les dents serrées sont si intenses et puissants dans toute cette frénésie, la manie religieuse bizarre, ou calme, détecte également une sexualité forte.
Vues de l'exposition
Pendant cette expérience nous sommes accompagnés par les compositions de Michael Kalkani qui a enregistré une partie audio de l’enquête de Vrettos. Une musique qui tente a unifié l'atmosphère de dévotion de l'espace représenté. S’il y avait un moyen de diffuser des odeurs (pas l'odeur des sueurs spécialement (mais pourquoi pas..?) mais aussi des arômes, des fleurs, des épices etc) qui correspondent aux photos nous aurions une parfaite orientation par l'expérience de l'exposition.

T. Vrettos
I. B. « Poisson de la méditerranée »
IB
Pour aller plus loin :
http://www.benaki.gr/index.asp?lang=en&id=50101&sid=879
http://www.benaki.gr/index.asp?id=202020001&sid=1779&cat=0&lang=en
1. le mot "façon Sites" je crois, correspond mieux au jeu de mot" tRopoi" en grec tropoi=façons, topoi=lieux, sites
#expositionphoto
#Grèce