Le surréalisme d’abord et toujours.
Photographie de la cimaise d’entrée de l’exposition reprenant les codes graphiques de l’affiche de la première exposition surréaliste présentée à la Galerie Pierre du 14 au 25 novembre 1925 à Paris (© Centre Pompidou, photo prise par Solène Bérus).
L’exposition Surréalisme du Centre Pompidou commémore le centenaire du Manifeste du surréalisme d’André Breton et retrace quarante années de création, des années 1924 à 1969.
L’exposition prend place au niveau 6 de l’établissement sur une surface de 2000 m2 et présente environ 500 œuvres. Le commissariat est confié à Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’Art moderne, et Marie Sarré, attachée de conservation au service des collections modernes. La scénographie est pensée par Corinne Marchand.
Pour accéder à l’exposition, les visiteurs doivent traverser un sas d’entrée conçu à la manière d’une “boîte magique”, prenant la forme d’une gueule monstrueuse imaginée par Thierry Dufrêne et réalisée en collaboration avec le magicien Abdul Alafrez [1] . Cette gueule monstrueuse fait référence à l’entrée du Cabaret de l’Enfer qui était située derrière l’atelier d’André Breton où les surréalistes avaient l’habitude de se rendre.
J. Hauser (éditeur), L'Enfer, 53, boulevard de Clichy, Montmartre, Entre 1910 et 1920, impression typographique, Photoglyptie, (© Paris Musées).
Entrée de l’exposition Surréalisme au Centre Pompidou, Imaginée par Thierry Dufrêne et réalisée en collaboration avec le magicien Abdul Alafrez, (© Centre Pompidou, photo prise par Solène Bérus)
Adoptant la forme d’un labyrinthe, l’exposition rayonne autour d’un tambour central au sein duquel est présenté le manuscrit original du Manifeste du surréalisme[2], publié le 15 octobre 1924. L’ouvrage est exceptionnellement prêté par la Bibliothèque nationale de France et est exposé pour la première fois dans son intégralité[3]. Plongée dans la pénombre, une projection audiovisuelle immersive introduit le Manifeste. La voix d’André Breton y est reconstituée par clonage vocal grâce à l’aide de l’intelligence artificielle, et conte la genèse du mouvement[4].
Plan de l’exposition Surréalisme du Centre Pompidou, brochure de l’exposition, (© Direction des publics, conception graphique de Céline Chip), 2024.
Ce parcours labyrinthique est similaire aux Expositions Internationales surréalistes de 1938 et 1947, scénographiées par Marchel Duchamp. Pour ces artistes, le labyrinthe renvoie à l’antique, à la mythologie et à l’inconscient. L’idée de labyrinthe est aussi suggérée par certaines cimaises ajourées, laissant percevoir ce qu’il se passe de l’autre côté de l’exposition[5]: de l’autre côté du miroir[6] ? Cette forme naît aussi de la volonté des surréalistes de bousculer la hiérarchie entre beaux-arts et arts populaires. Leurs modèles étaient davantage les fêtes foraines plutôt que les musées et les galeries. Le groupe empruntait ainsi pour leurs expositions le modèle du train fantôme ou encore du palais des glaces, témoignage de leur intérêt pour la culture populaire[7].
L’exposition Surréalisme du Centre Pompidou montre l’articulation entre la poésie et la politique chez les surréalistes. Cet engagement politique est discrètement suggéré tout au long du parcours par l’accrochage de manifestes politiques comme La révolution d’abord et toujours, un tract signé en août 1925 qui témoigne l’appartenance du mouvement surréaliste à une certaine forme de communisme lors de la guerre du Rif qui a eu lieu de 1921 à 1927. Il s’agit de la première prise de position politique du groupe sur la scène internationale.
Le groupe organise aussi une contre-exposition de l’exposition coloniale inaugurée au Palais de la Porte dorée en 1931, nommée La vérité sur les colonies. Ils signent alors le tract Ne visitez pas l’exposition coloniale, et invitent au boycott de l’événement.
Les commissaires de l’exposition ont aussi créé un complément à cette exposition en collaborant avec Arte pour produire un film en deux parties[8] qui montre de manière explicite l’ancrage du surréalisme dans la réalité sociale et politique de son temps[9].
Les femmes ont joué un rôle primordial dans le mouvement surréaliste, ce que l’exposition vient enfin souligner[10]. Au début des années 1930, de nombreuses femmes artistes[11] telles que Leonora Carrington, Leonor Fini, Lee Miller et Meret Oppenheim affluent à Paris, capitale de l’avant-garde. À l’époque, le surréalisme est un club uniquement masculin, un cercle d’artistes liés par l’amitié et réuni autour d’André Breton. Celui-ci veut mettre l’art au service d’une réorganisation de toute la société, ce qui attire de nombreuses jeunes femmes artistes . Mais aux prémices du mouvement, aucune femme ne figure sur les images, si ce n’est “les femmes de” : Marie-Louise Soupault, Gala Éluard et surtout Simone Kahn, l’épouse d’André Breton[12]. Dans les manifestations organisées par le groupe, les femmes artistes n’apparaissent qu’en 1936, lors de l’Exposition internationale du surréalisme de Londres. Elles représentent 5 % des participants lors de l’Exposition internationale du surréalisme de Paris en 1938, puis la proportion passe à 15 % lors de l’édition de 1947, puis à 22 % pour l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (EROS) à la galerie Daniel Cordier en 1959[13]. La dernière grande exposition consacrée au surréalisme en 2002 au Centre Pompidou n’en présentait que trois dont deux photographes, Claude Cahun et Dora Maar. Elles occupent dans l’actuel accrochage près de 40 % des cimaises [14].
L’exposition met en lumière la diversité des médiums utilisés par les artistes surréalistes, sculptures, collages, photographies, en passant par le cinéma, l’installation, la performance, et l'écriture par l'exposition de documents littéraires[15]. L’art surréaliste se caractérise par un foisonnement d’inventions[16] comme le dessin automatique inventé par André Masson en 1924, le cadavre exquis inventé en 1925, la décalcomanie notamment utilisée par le peintre Espagnol Óscar Domínguez, le frottage mis au point en 1925 par Max Ernst, le fumage utilisé par Wolfang Paalen, la méthode paranoïaque-critique inventée par Dalí, ou encore la peinture de sable conçue par André Masson en 1926[17] .
Elle présente de nombreuses œuvres reconnues du mouvement, mais met aussi en avant des œuvres et des artistes moins en vogue tels que la peintre belge Jane Graverol et le britannique Grace Pailthorpe. L’exposition rend compte du caractère international du mouvement et montre de nombreux artistes internationaux comme les surréalistes belges René Magritte et Paul Devaux, mexicains Manuel Alvarez Bravo et Remedios Varo, ou encore des artistes de Suède, du Danemark, de l’Egypte ou encore du Japon. La dimension mondiale du surréalisme s’affirme dès 1936 avec la première Exposition internationale du surréalisme de Londres aux New Burlington Galleries, suivies de deux ans plus tard de celle de Paris à la galerie des Beaux-Arts[18].
La dernière exposition consacrée par le Centre Pompidou à ce mouvement date de 2002 avec La Révolution surréaliste[19]. Le Centre a entre-temps organisé nombre d’expositions thématiques sur ce thème comme La Subversion des images Surréalisme - photographie, film[20] en 2009, Le surréalisme et l’objet[21] en 2013, ou encore l’exposition Art et liberté - rupture, guerre et surréalisme en Egypte (1938-1948[22]) en 2016. Des monographies ont aussi été organisées comme celle consacrée à la figure de Dalí[23] en 2012, à René Magritte - La trahison des images[24] en 2016 et enfin une grande rétrospective consacrée à Dora Maar[25] en 2019.
Mais pourquoi le surréalisme est-il autant sur le devant de la scène ? Le surréalisme a longtemps été considéré comme un mouvement d’avant-garde qui aurait pris fin en 1940. Celui-ci est en réalité dissous en octobre 1969 dans une tribune du journal Le Monde nommé Le Quatrième Chant[26], écrit par Jean Schuster [27], écrivain, poète et journaliste qui rejoint le groupe en 1947.
Il était donc nécessaire pour les commissaires de l’exposition Didier Ottinger et Marie Sarré de présenter l’ensemble du mouvement à l’aune des recherches récentes en accordant au surréalisme d’après-guerre et son caractère international sa juste place.
Aussi, cette exposition permet de mettre en lumière des questions contemporaines déjà appréhendées par les surréalistes comme la place de l’art non-occidental, la question de la mondialisation et du colonialisme, la place des femmes artistes ou encore la question du genre, notamment par l’artiste Claude Cahun, avant même que celui-ci ne soit conceptualisé[28]. Toutefois, comme l’écrit Whitney Chadwick dans son livre Les Femmes dans le mouvement surréaliste publié en 2002 : “Le culte d’Éros dans le surréalisme [...] était un langage masculin. Son sujet était la femme, son objet la femme, et même lorsqu’il s’agissait de proclamer la liberté de la femme, c’était à travers le désir de l’homme [29]”.
L’exposition fait l’objet d’une itinérance de grande envergure avec une réinterprétation de l’exposition en fonction des contextes culturels et historiques des étapes de sa circulation. En effet, celle-ci a été présentée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles du 21 février au 21 juillet 2024, prendra place en Espagne à Madrid à la Fundación MAPFRE du 4 février au 11 mai 2015, à la Kunsthalle de Hambourg en Allemagne du 12 juin au 11 mai 2025, puis au Philadelphia Museum of Art aux États-Unis fin 2025 à fin 2026 [30].
Ainsi, l’exposition incarne un hommage vibrant au mouvement surréaliste qui révolutionne la pensée artistique et littéraire au XXe siècle.
Par une sélection audacieuse et éclectique d'œuvres, elle parvient à mettre en lumière non seulement l'effervescence créative des figures emblématiques surréalistes et celles qui le sont moins, mais aussi l'actualité et la pérennité de ses idéaux.
Elle rappelle également l'importance du surréalisme comme outil de résistance face aux oppressions, et résonne profondément avec les enjeux contemporains. Par cette plongée dans l'imaginaire, l’exposition offre une réflexion sur le dialogue entre passé et présent. Le surréalisme, loin de s'éteindre, continue d'inspirer et de nourrir les esprits, invitant chacun à réinventer sa propre réalité.
Solène Bérus.
[1]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.8 ↩
[2]Centre Pompidou, Surréalisme, le surréalisme d’abord et toujours, brochure de l’exposition, Direction des publics, 2024, conception graphique Céline Chip. ↩
[3]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=xI2rYajgGWI&t=54s, Visite exclusive de l'exposition « Surréalisme », Centre Pompidou, Didier Ottinger et Marie Sarré (co-commissaires), [consulté le 06/01/2025]. ↩
[4]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.8 ↩
[5]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA, Le mensuel, spécial Surréalisme, Centre Pompidou, 2024, consulté le 06/01/2025]. ↩
[6]Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir, (titre original : Through the Looking-Glass, and What Alice Found There ; littéralement : « De l'autre côté du miroir, et ce qu'Alice y trouva »), Macmillan & Co, Londres, 1871.↩
[7]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA, Le mensuel, spécial Surréalisme, Centre pompidou, 2024, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[8]Le Monde, https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/01/revolutions-surrealistes-sur-arte-tv-un-morne-cours-magistral-sur-le-mouvement-artistique-mene-par-andre-breton_6340628_3246.html, « Révolutions surréalistes », sur Arte.tv : un morne cours magistral sur le mouvement artistique mené par André Breton, Renaud Machart, publié le 01/10/2024, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[9]YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA, Le mensuel, spécial Surréalisme, Centre Pompidou, 2024, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[10]Beaux-Arts Magazine, Hors série, Surréalisme l’exposition du centenaire au Centre Pompidou, paru le 28/08/2024, p.52↩
[11]Arte, https://www.youtube.com/watch?v=P_gErzGUuM8, Surréalisme au féminin, [consulté le 06/01/2025].↩
[12]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.22 ↩
[13]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.22 ↩
[14]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.24 ↩
[15]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.4 ↩
[16]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.18 ↩
[17]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.18 ↩
[18]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.18 ↩
[19]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cxxAMEq, Exposition La Révolution surréaliste, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[20]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cz6qgE, Exposition La Subversion des images Surréalisme, photographie, film, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[21]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/ccAyeG, Exposition Le surréalisme et l’objet, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[22]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/ce5nBKj, Exposition Art et liberté - rupture, guerre et surréalisme en Egypte (1938-1948), [consulté le 06/01/2025]. ↩
[23]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/c5eBAda, Exposition Dalí, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[24]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/c65EMjd, Exposition René Magritte - La trahison des images, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[25]Centre Pompidou, https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cXE9ay8, Exposition Dora Maar, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[26]Le Monde, https://www.lemonde.fr/archives/article/1969/10/04/le-quatrieme-chant_2416345_1819218.html, Tribune Le quatrième chant, Jean Schuster, 1969, [consulté le 06/01/2025]. ↩
[27]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.6 ↩
[28]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024 ↩
[29]Télérama, hors série, Surréalisme un siècle d’avance Exposition au Centre Pompidou, Yasmine Youssi, 2024, p.24 ↩
[30]Dossier de presse de l’exposition Surréalisme, du 4 septembre 2023 au 13 janvier 2025, Centre Pompidou, p.5 ↩
Pour en savoir plus :
Podcast de l’exposition, un parcours littéraire : En suivant les thématiques de l’exposition, le podcast met en valeur la dimension littéraire du mouvement surréaliste. Au fil du parcours, des comédiens et des comédiennes livrent des textes des artistes, poètes et écrivains surréalistes .
Le podcast est disponible sur le site du Centre Pompidou et sur toutes les plateformes de streaming : https://www.centrepompidou.fr/fr/podcasts/podcasts-visites-dexpos
Le “Paris surréaliste” des galeries : parallèlement à l’exposition, dans le cadre d’une collaboration entre le Centre Pompidou, l’Association Atelier d’André Breton, et le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), de nombreuses galeries parisiennes et librairies consacrent des expositions et événements sur le thème du surréalisme.
Le détail de la programmation est à retrouver sur : https://www.comitedesgaleriesdart.com/actualites/paris-surrealiste-programmation-des-galeries-en-echo-a-lexposition-du-centenaire/
Le Mensuel | Spécial « Surréalisme » | Centre Pompidou : Une rencontre animée par Marie Sorbier. Avec les commissaires de l'exposition « Surréalisme » Didier Ottinger et Marie Sarré, le collectif Obvious AI & Art, et l’artiste Damien MacDonald qui présente sa bande dessinée préfacée par Didier Ottinger, Le Rayon invisible (2024, coll. Denoël Graphic).
La retranscription de cette rencontre est à regarder sur YouTube grâce à ce lien :
https://www.youtube.com/watch?v=sNkJzsQXjVA&t=2377s
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