Cinéma - Photographie
Un tonton flingueur au musée
Il est 15h au Musée des Avelines. Des visiteurs attendent patiemment le début de la visite guidée gratuite sur l’exposition Lino Ventura, une gueule de cinéma. Pourquoi cette exposition ici ? Pourquoi maintenant ? Le musée des Avelines, situé à Saint Cloud, se concentre sur l’histoire locale, et expose autour des personnalités qui ont marqué la ville. Voulant protéger sa famille du « star system », le célèbre acteur a habité Saint Cloud pendant 30 ans. Et 30 ans après son décès en 1987, il était temps que le musée lui rende hommage.
© Ville de Saint Cloud, Gilles Plagnol
Cette première exposition sur Lino Ventura fait découvrir en même temps un établissement particulier qui était autrefois la villa d’un riche pharmacien. La collection permanente est constituée de peintures, de sculptures, de porcelaines, de dessins, d’objets d'art et de gravures portant sur l'histoire de la ville et du parc de Saint-Cloud.« Nous sommes plutôt habitués à présenter des peintures. Cette exposition cinématographique est difficile en termes de médiation, surtout pour les enfants.
On arrive à retenir leur attention en évoquant les coulisses du film et les trucages qu’ils adorent. » me dit Joséphine Bathellier, médiatrice au musée. La visite guidée débute dans le couloir menant à la rotonde du musée, reconvertie en café gourmand. On commence avec un lavabo en marbre ayant appartenu à Lino Ventura. Laurine Antoine, chargée des publics, nous présente cet objet comme témoin de la vie quotidienne de l’acteur à Saint Cloud.Né à Parme en 1919, Lino Ventura quitte l’Italie à l’âge de huit ans avec sa mère pour rejoindre son père à Paris. Ce dernier ayant disparu, Lino fait son éducation dans les rues et enchaîne les petits boulots. Appelé à se battre pour l’Italie lors de la Second Guerre mondiale, Lino Ventura déserte et se cache à Paris, où il épousera sa femme Odette.
Au dessus de l’imposant lavabo se trouvent des photos encadrées du couple, de leur chien Muck, et de l’acteur à son bureau où il recevait les réalisateurs et lisait attentivement les scénarios qu’on lui proposait.La visite se poursuit dans une salle à l’étage intitulée « Des rings aux projecteurs » qui rappelle que Lino Ventura ne se destinait pas au cinéma : il fit d’abord carrière en tant que lutteur, puis catcheur, remportant le titre de champion d'Europe des poids moyens en 1950. Après une double fracture de la jambe la même année, il devient entraîneur.
Sa carrière d’acteur débute lorsqu’il est contacté par le réalisateur Jacques Becker, qui cherche quelqu’un pour jouer un costaud typé italien dans Touchez pas au grisbi. L’entraîneur présente ses poulains, mais c’est lui-même qui retient l’attention de Becker. Réticent à l’idée de faire un « métier de gonzesse », Lino Ventura cherche à se débarrasser du réalisateur en demandant « une brique » soit un million de francs. Un cachet quasiment égal à celui de l’acteur vedette du film, Jean Gabin... qui lui est accordé !Cette histoire racontée par Laurine Antoine est illustrée par un devis, exposé sous verre juste en dessous de l’affiche du film.
Lino endosse dans un premier temps des rôles de gangsters, dans des films de série noire. Soucieux de son image, il refuse de tourner des scènes intimes, se déguise rarement, et souhaite rester fidèle à son caractère. Il cherchera toutefois à se défaire progressivement de cette image de « brute italienne »; Riche en affiches aux couleurs criardes contrastant avec des photographies de plateau en noir et blanc, la salle suivante est consacrée à l’amitié entre Lino Ventura et Jean Gabin. Lino Ventura travaille selon ses affinités, c’est pour cela que ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent sur les affiches. C’est lui qui prendra Jean-Paul Belmondo sous son aile. Des extraits vidéo sont diffusés tout au long du parcours, avec non seulement des scènes de films cultes, mais aussi des témoignages des proches de l’acteur. Une interview de Claude Lelouch retrace avec humour le film « L’Aventure c’est l’aventure » où Lino Ventura partage l’affiche avec Jacques Brel.

© Ville de Saint Cloud, Gilles Plagnol
Cette exposition touchante, surtout à l’écoute des anecdotes relatées par la médiatrice, rassemble des prêts du musée Gaumont, de la Cinémathèque française, de l’INA, et du musée Jean Gabin. La visite se termine sur une photo de Lino Ventura prise la veille de son décès, alors qu’il profitait d’un restaurant entre amis. Que l’on soit cinéphile ou non, la carrière atypique de Lino Ventura constitue une narration très intéressante que l’on suit jusqu’au bout. La visite guidée est à privilégier si l’on souhaite connaitre « la petite histoire » derrière chaque film. A la sortie de l’exposition, nombreux visiteurs sont à féliciter la petite équipe du musée qui a réalisé un travail remarquable dans la conception et le montage de l’exposition. Des événements et même des ateliers pour enfants l’animeront jusqu’au 21 janvier 2018.
#hommage
#cinéma
Pour en savoir plus : http://www.musee-saintcloud.fr/les-expositions

" Rwanda " - Les représentations et les espaces blancs de Cordesse
« C’est impossible de toutraconter dans les détails […] c’est une longue histoire […] c’est difficile à expliquer, c’est lourd pour moi ».
Marthe
J’avais huit ans quand, en Italie, sur les nouvelles du soir, passaient les images brutes de ces cadavres et mes parents changeaient de chaîne ou me disaient de fermer les yeux, comme si la seule perturbation passait à travers ce qui peut être vu, en ignorant combien d’anxiété peut être transmise par la voix et la musique qui les accompagnent.
C’était en1994, et les images étaient celles du génocide qui se déroulait au Rwanda, où, en moins de 100 jours, d’avril à juillet, entre 800 000 et un million de personnes ont été tuées.
Alexis Cordesse en 1994 était à Sarajevo où, en tant que photojournaliste, il était engagé afin de documenter la guerre en Bosnie. Il est arrivé au Rwanda pour la première fois à 25 ans, après deux des massacres qui ont déchiré le pays dit des « mille collines ».
Pour Alexis Cordesse venir au Rwanda n’a pas été un voyage quelconque, mais le début d’une réflexion sur l’après-génocide qui l’a ramené à plusieurs reprises dans le cœur de l’Afrique, un vrai chemin de maturation en constante redéfinition. Il a constamment revu, essayé à nouveau, pensé autrement, articulé la dimension sonore, la puissance de l’image photographique et l'immédiateté de la parole écrite.
Mes parents et ma directrice m’ont supplié de changer de sujet quand, en 2008, le temps de choisir le sujet de mon mémoire à l’Université de Gênes, j’avais choisi d’étudier le génocide rwandais.
Je voulais acheter mon billet d'avion pour Kigali, aller faire du terrain sur ces collines africaines ; eux, en m’empêchant de partir, ils voulaient me protéger, me demandant, comme quand j'étais petite, de fermer les yeux. Moi, j’avais 22 ans, étant têtue et courageuse, je suis partie de toute façon.
J’ai fait mon terrain, j’ai recueilli les témoignages de ceux qui avaient vécu le génocide à leur dépens, en perdant leurs chers, les amis d’une vie, échappant par hasard ou après de nombreuses vicissitudes à ces machettes enfourchées sur des principes ethniques ayant des racines coloniales. A Murambi[1], j'ai vu l'enfer, la même horreur qui vivait dans les yeux des personnes qui ont péniblement revécu avec moi leurs histoires.
Après ma soutenance, j’ai caché le mois passé là-bas dans le tiroir le plus éloigné de ma mémoire, je pensais en avoir terminé pour toujours avec le Rwanda.
Aujourd’hui, vingt ans après toute cette horreur, la galerie Les Douches La Galerie présente « Rwanda », exposition du photo reporter français qui pour la première fois montre au public la totalité de son travailsur le sujet.
Je monte les escaliers au premier étage d'un immeuble du 10ème – c’est là que vous trouverez la galerie – et m’accueille le blanc. Celui du plancher, des murs et même du plafond. Je suis surprise par tout ce blanc, et puis par tout cet ordre, tout composé, si loin de la réalité du Rwanda.
À première vue, je me sens presque déçue, au fond un peu trompée, mais malgré l’égarement initial j’essaie de mettre de côté mon expérience, « mon » Rwanda, et de me laisser emmener confiante par ce blanc enveloppant. Tout prend ensuite sa place.
Alexis Cordesse, pour rendre le génocide « concevable », sentait qu’il devait le représenter, conscient de ce qu’un tel acte de représentation devrait exiger impérativement de mise en distance, de structuration d’un espace vide, neutre, où pouvoir s’arrêter et s’interroger, bref d’un espace blanc.
Voici que « Rwanda » se révèle être une clé d'accès aux espaces blancs qu’il a vécu, à ces laps de temps qui se sont écoulés entre ses trois voyages dans le pays, dans ses trois expériences de vie qui ont jalonné son propre questionnement en l’amenant, au fil du temps, à structurer les trois représentations complémentaires qui aujourd’hui dialoguent ensemble à la galerie Les Douches La Galerie.
C’est le documentaire Itsembatsemba, le génocide au Rwanda un plus Tard (1996)[2] qui retourne sur la première expérience de Cordesse dans le pays.
Né de la collaboration avec le cinéaste Eyal Sivan,ce court-métrage présente un mélange de photographies en noir et blanc, des enregistrements sonores réalisés par Alexis principalement lors des cérémonies de commémoration ainsi que l’exhumation des corps des victimes.
Itsembatsemba – qui est directement visible dansla galerie grâce à la création d’un poste vidéo équipé d’écouteurs – est le résultat du montage de ces documents dans les séquences, également accompagnées par des extraits audiodes archives de Radio télévision libredes Mille Collines, la fameuse « radio de la haine »[3].
Douze diptyques 30x40 cm constituent L'Avenu (2004), le fruit de son second voyage.
Dix ans après le génocide au Rwanda, Alexis est de retour – plus précisément dans la province de Kibuye – en tant que correspondant pour le quotidien Libération[4].
L’un des diptyques qui composent L’Avenu (2004)© Alexis Cordesse
A cette époque, encouragées par la réduction des peines et des libertés provisoires, dans les prisons, de nombreux détenus ont commencé à avouer les crimes de génocide commis. Alexis les interviewe et les photographie : certains sont en liberté provisoire, la plupart en attente de jugement.
Les diptyques sont des portraits frontaux d’hommes et de femmes qui ont participé au génocide et des extraits des aveux dans une interaction entre image et texte qui renvoie toute la complexité de ces personnes sans jamais exprimer de jugement moral.
En espaçant les diptyques réalisés neuf ans plus tôt, Absences (2013) brisent la tension : tirages photographiques de grand format[5] représentant la nature intacte du Rwanda, ils sont une bouffée d’air.
Deux diptyques de L’Avenu(2004) et l’un des paysages d’Absences (2013)│Vue d’ensemble à la Les Douches La Galerie© Alexis Cordesse
Aucune trace d’un être humain, seuls les espaces ouverts sur les collines de la région de Kibuye, la forêt de Nyungwe et encore des plaines de la régionde Bugesera sont le contrepoint de la chose la plus horrible que l’homme puisse commettre.
Mais tout n'est pas comme il semble, ou mieux, ces immenses espaces, en dépit de leur charme, ont été, il y a vingt ans, le théâtre de la haine aveugle. La nature que les persécutés croyaient être l’abri maternel s'est avéré être le pire des pièges, une tombe à ciel ouvert.
A ces silencieux trompe-l’œil naturalistes donnent voix les témoignages de trois femmes – deux survivantes et une hutue « juste »[6] – recueillies par le photographe lors de son dernier séjour.
Ce sont les portraits sonores de Marthe, Odette et Joséphine – traduits dukinyarwanda en français – écoutables dans la galerie grâce à un deuxième post emis en place juste à côté de celui qui permet la visualisation de Itsembatsemba (1996).
Alexis Cordesse une fois de plus ne demande pas au visiteur de prendre position mais structure un espace neutre, une chance « blanche » qui le prédispose à lancer son imagination : imaginer ce qui s’est passé dans l’écart entre des paysages silencieux et des témoins anonymes de la destruction humaine.
« Rwanda » se révèle être avant tout l’occasion de réfléchir et d’entrer en contact avec une réalité encore trop souvent méconnue en Occident.
Loin d'être un guide historique des événements, l’exposition semble même ne pas vouloir proposer de sensibiliser le public sur une plus grande échelle : le travail de Cordesse est ici exposé aux Les Douches La Galeriequi, comme son nom l’indique, est une galerie, de petite taille, au premier étage d’une rue latérale du 10ème : il est peu probable que vous tombiez par hasard sur ses expositions et les œuvres en vente.
Eh bien oui, même ses œuvres sont achetées directement dans la galerie, alimentant le débat toujours ouvert sur l’éthique et la légalité de la misesur le marché du travail artistique qui porte sur des tragédies humaines.
Flashback : la terre d'argile rougeâtre, des palmiers sur le lac Kivu, la coopérative de Butare, des moustiquaires et des nuits sans sommeil, le paludisme, « alors: vous faites ou ne faites pas le vaccin contre le paludisme ? », la main de Macibiri, la cheminée, les uniformes roses, les agriculteurs de Gatare, les camions de l’armée à la tombée de la nuit.
J’avais fermé mon « chapitre Rwanda », pensais-je, avant de rencontrer Cordesse.
Beatrice Piazzi
#LesDouchesLaGalerie
#Rwanda
#photographie
#témoignages
Pour aller plus loin :
[1] Murambi, Nyamata, Bisesero et Gisozi dans leur ensemblesont des sites mémoriaux du génocide perpétré contre les Tutsis entre les mois d’avril et juillet 1994 au Rwanda.Murambi, notamment, était un institut technique bâti quatre ans avant 1994 oùil est devenu l’un des lieux de la persécution. Encouragées par lesautorités locales et les anciennes forces armées rwandaises à s’y réfugier sous prétexte de garantir leur sécurité, entre 45 et 50 mille personnes vivant dans les collines environnantes, ils n’ont en fait trouvé que la mort. Aujourd’hui monument mémorial, ce complexe de douze locaux est devenu un site d’exposition de restes humains, d’objets utilisés par les tueurs ainsi que des éléments d’identification des victimes.
[2] Itsembatsemba, Rwandaun génocide plus tard │Un film d’Alexis Cordesse & Eyal Sivan │Documentaire│1996 │ 13 mn │ B/W │ 4:3 │ STEREO VO: kinyarwanda – sous-titres:français © Etat d’urgence (FR) Momento Production (FR).
[3] Créée en 1993 par des extrémistes Hutus, « la radiode la haine » transmettait alternativementde la musique populaire et des incitations racistes. D’abord elle a joué un rôle essentiel dans ladiffusion de l'idéologie ethnique,par la suite elle a directement coordonné et directement motivé les tueurs.
[4] Ce travail a fait l’objet, en 2004, d’un cahier spécialdu quotidien.
[5] Il s’agit de tirages satin-argentique 120 x 160 cm qui ont été réaliséscette année à Paris.
[6] Les « Justes » sont ceux Hutus rwandais quiont caché, protégé et souvent sauvé la vie de Tutsis pendant le génocide.
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“Rwanda”. Le rappresentazioni e glispazi bianchi di Cordesse
« C’est impossible de toutraconter dans les détails […] c’est une longue histoire […] c’est difficile àexpliquer, c’est lourd pour moi ».
Marthe
Avevo otto anni quando, in Italia, al telegiornale della sera, passavano lecrude immagini di quei corpi senza vita e i miei genitori cambiavano canale omi dicevano di chiudere gli occhi, come se il turbamento passasse soloattraverso ciò che può essere visto, ignorando quanta inquietudine possanotrasmettere le musiche e il parlato che le accompagnano.
Era il 1994 e le immagini erano quelle del genocidio che si stava compiendoin Ruanda, dove, in meno di 100 giorni, da aprile a luglio, trovarono lamorte tra le 800 000 eil milione di persone.
Alexis Cordesse nel 1994 era a Sarajevo dove, in quanto fotoreporter, eraimpegnato a documentare la guerra in corso in Bosnia. In Ruanda ci arrivò perla prima volta a 25 anni, a distanza di due dai massacri che straziarono ilpaese detto delle “mille colline”.
Per Alexis Cordesse non fu un viaggio qualunque quello in Ruanda, mal’inizio di una di riflessione post genocidio che lo ha riportato più volte nelcuore dell’Africa, un vero e proprio percorso di maturazione in costanteridefinizione. Ha riesaminato continuamente, cercato nuovamente, pensatoaltrimenti, articolato la dimensione sonora, al potere dell’immaginefotografica e all’immediatezza della parola scritta.
I miei genitori e la mia relatrice mi supplicavano di cambiare argomento quando,nel 2008, giunto il momento di scegliere l’argomento della mia tesi di laureaall’Università di Genova, avevo scelto d’occuparmi del genocidio ruandese.
Io volevo comprare il mio biglietto aereo per Kigali, andare a fare del camposu quelle colline africane; loro, impendendomi di partire, volevanoproteggermi, mi chiedevano, come quando ero piccola, di chiudere gli occhi. Io,22 anni, testarda e impavida partii comunque.
Ho fatto il mio campo, ho raccolto le testimonianze di chi quel genocidiolo aveva vissuto sulla propria pelle perdendo familiari cari, amicizie di unavita, sfuggendo per pura casualità o dopo mille peripezie a quei macheteinforcati dietro presupposti etnici dalle radici coloniali. A Murambi[2] ho visto l’inferno, quellostesso indicibile orrore che abitava gli occhi delle persone che dolorosamentehanno ripercorso con me le loro storie.
Una volta discussa la tesi, ho nascosto quel mese passato laggiù nelcassetto più remoto della mia memoria, pensavo d’aver chiuso per sempre con ilRuanda.
Oggi, a vent’anni di distanza da tutto quell’orrore, la galleria LesDouches La Galerie presenta “Rwanda”, personale del photoreporter franceseche per la prima volta mostra al pubblico la totalità del suo lavoro sul tema.
Salgo le scale che portano al primo piano di uno stabile del 10° – è lì chesi trova la galleria – e ad accogliermi,il bianco. Quello del pavimento, delle pareti e ancora del soffitto. Misorprende tutto quel bianco, e poi tutto quell’ordine, tutto così composto,tutto fuorché Ruanda.
A primo impatto mi sento quasi delusa, in fondo in fondo un po’ tradita, manonostante lo smarrimento iniziale provo a lasciare da parte la mia esperienza,il “mio” Ruanda, e a lasciarmi condurre fiduciosa dal bianco avvolgente. Tuttoallora si riposiziona.
Alexis, per rendere “pensabile” il genocidio, sentiva di doverlorappresentare, consapevole che tale atto di rappresentazione necessitasseimperativamente di una messa a distanza, della strutturazione di uno spaziovuoto, neutro, dove poter sostare per interrogarsi, di uno spazio biancoinsomma.
Ecco quindi che “Rwanda” si dimostra essere una chiave d’accessoinnanzitutto agli spazi bianchi da lui vissuti, a quei lassi spazio-temporaliche sono intercorsi tra i suoi tre viaggi nel paese, a quelle tre esperienzeesistenziali che hanno ritmato il suo proprio interrogarsi portandolo, neltempo, a strutturare le tre complementari rappresentazioni che oggi dialogandocoralmente a Les Douches La Galerie.
É il documentario Itsembatsemba, Rwanda un génocide plus tard(1996)[3] a restituire la primaesperienza di Cordesse nel paese.
Nato dalla collaborazione con il cineasta Eyal Sivan, questo cortometraggiopresenta un assemblaggio di fotografie in bianco e nero e di registrazionisonore realizzate da Alexis principalmente in occasione delle cerimonie dicommemorazione e delle esumazioni dei corpi delle vittime.
Itsembatsemba –che é visibile direttamente in galleria grazie all’allestimento di unapostazione video dotata d’auricolari – é il risultato del montaggio di talidocumenti in sequenze, accompagnate altresì da estratti audiodell’archivio della Radio Televisione Libera delle Mille Colline, lacelebre “radio dell’odio”[4].
Dodici dittici formato 30x40 cm costituiscono L’Avenu (2004), il frutto del suo secondo viaggio.
A dieci anni di distanza dal genocidio Alexis è tornato in Ruanda – piùprecisamente nella provincia di Kibuyé – come inviato del quotidiano Libération[5].
Uno dei dittici che compongono L’Avenu (2004)© AlexisCordesse
In quel periodo, incoraggiati dagli sconti di pena e dalla libertàvigilata, nelle prigioni, molti detenuti cominciarono a confessare i crimini digenocidio commessi. Alexis li intervista e li fotografa: alcuni sono in libertàprovvisoria, la maggior parte in attesa di processo.
I dittici rappresentano ritratti frontali di uomini e donne che hannopartecipato al genocidio e degli estratti delle confessioni in un’interazione traimmagine e testo che restituisce compiutamente la complessità di queste personesenza mai esprimere alcun giudizio morale.
Inframezzando i dittici realizzati nove anniprima, Absences(2013) spezzano la tensione: stampe fotografiche in gran formato[6] rappresentanti l’incontaminatanatura ruandese, sono una boccata d’ossigeno.
Due dei dittici de L’Avenu (2004) e un paesaggio d’Absences (2013)│Visione d'insieme alla Les Douches LaGalerie© Alexis Cordesse
Nessuna traccia d’essere umano, solo gli spazi sconfinati delle collinedella regione di Kibuye, della foresta di Nyungwe e ancora delle piane deldistretto di Bugesera, sono il contrappunto a quanto di più orribile possacommettere l’uomo.
Ma non tutto é come sembra, o meglio, questi immensi spazi, contrariamenteal loro fascino, vent’anni fa sono stati lo scenario dell’odio cieco. La naturache i perseguitati ritenevano essere materno rifugio si rivelò essere lapeggiore delle trappole, una tomba a cielo aperto.
A questi silenziosi trompe-l’œil naturalistici danno voce letestimonianze di tre donne – due sopravvissute e una “giusta”[7] hutu – raccolte dalfotografo nel corso del suo ultimo soggiorno.
Sono i ritratti sonori di Marthe, Odette e Josephine – tradotti dal kinyarwanda al francese – ascoltabili in galleriagrazie ad una seconda postazione allestita giusto accanto a quella che permettela visione di Itsembatsemba (1996).
Alexis Cordesse, ancora una volta non chiede al visitatore di prendereposizione ma struttura uno spazio neutro, un’occasione “bianca” che lopredisponga ad attivare la propria immaginazione: rappresentarsi quanto accaddesostando nello scarto tra i paesaggi muti e le testimonianze senza volto delladistruzione umana.
“Rwanda” si dimostra essere innanzitutto un’occasione per rifletteree entrare in contatto con una realtà della quale ancora troppo spesso poco sisa in Occidente.
Lungi dall’essere una guida storica agli eventi, l’esposizione sembra nonsi proponga neppure di sensibilizzare il pubblico su larga scala: il lavoro diCordesse è qui esposto alla Les Douche La Gallerie che, come lo indicail nome stesso, è una galleria, di piccole dimensioni, al primo piano di unavia secondaria del 10°: è difficile che ci si imbatta per puro caso nelle sueesposizioni e nelle opere che propone in vendita.
Ebbene si, anche le sue opere sono direttamente acquistabili in galleria,alimentando quel dibattito sempre aperto sull’etica e la legittimità diimmettere sul mercato artistico lavori che portano su tragedie dell’umano.
Flashback: laterra d’argilla rossastra, le palme sul Lago Kivu, la cooperativa di Butare, lezanzariere e le notti insonni, la malaria: “allora: lo fai o non lo fai ilvaccino contro la malaria?”, la manina di Macibiri, il camino acceso, leuniformi rosa, i coltivatori di Gatare, le camionette dell’esercitoall’imbrunire.
Avevo chiuso il mio “capitolo Ruanda”, pensavo, prima di incontrareCordesse.
Beatrice Piazzi
[1] “E’ impossibile raccontare tutto nei dettagli [...] è una lunga storia [...]è difficile spiegare, è dura per me” Marthe [traduzione dal francese di chiscrive].
[2]Murambi, Nyamata, Bisesero et Gisozi nel loro insieme sono i siti memoriali delgenocidio perpetrato contro i Tutsi tra i mesi d’aprile e luglio del 1994 inRuanda. Murambi, nello specifico, era un istituto tecnico costruito quattroanni prima di quel 1994 in cui si trasformò in uno dei luoghi dellapersecuzione. Esortate dalle autorità locali e dalle ex-forze armate ruandesi arifugiarvisi dietro pretesto di garantirgli sicurezza, tra le 45 e le 50 milapersone abitanti le colline circostanti vi trovarono in realtà null’altro chela morte. Oggi memoriale, questo complesso di 12 locali é oggi il luogo dell’esposizionedei resti umani, degli oggetti utilizzati dagli assassini e di alcuni elementid’identificazione delle vittime.
[3] Itsembatsemba, Rwanda un génocide plus tard │Un film d’Alexis Cordesse & Eyal Sivan │Documentario │1996 │ 13 mn │ B/N │ 4:3 │ STEREO VO: kinyarwanda – sottotitoli:francese © Etat d’urgence (FR) Momento Production (FR).
[4] Creata nel 1993da alcuni estremisti Hutu, “la radio dell’odio” trasmetteva alternativamentemusica popolare e incitazioni razziste. Se dapprima giocò un ruolo essenzialenella diffusione dell’ideologia etnica, successivamente coordinò e motivòdirettamente i carnefici.
[5] Questo lavoro èstato oggetto, nel 2004, di un allegato speciale al quotidiano.
[6] Si tratta distampe satinato-argentiche formato 120 x 160 cm realizzate quest’anno aParigi.
[7] I« Giusti » ruandesi sono quegli Hutu che hanno nascosto, protetto espesso salvato la vita dei Tutsi durante il genocidio.
"Après le Déluge", David LaChapelle à Mons
4 ans après avoir accueilli « Andy Warhol Life, Death and Beauty », Mons continue de surfer sur son titre de Capitale de la culture alloué en 2015 en mettant en scène David La Chapelle, l’ancien pupille du maître de la pop culture.
© David LaChapelle
Naomi Campbell, la famille Kardashian, Britney Spears, Michael Jackson, Cameron Diaz, etc. acteurs, chanteurs, mannequins, bien des people de ce monde sont passés derrière l’objectif de David La Chapelle. Si l’adjectif semble extrapolé, le photographe a pourtant mis en scène les personnes les plus bankable de la culture populaire (comprendre commerciale). Ces stars vues dans les magazines qu’on lit dans les salles d’attente ont une place toute trouvée dans l’album de cet artiste qu’ils « passionnèrent ». Mais ça c’était avant veut-il nous faire croire.
LaChapelle se rend en Italie et est transcendé par la « terrabilità » de Michel Ange. Il prend conscience de ce qui l’entoure et tente d’exprimer le rapport entre l’Homme et la Nature en créant des photographies plus engagées. Selon lui la société de consommation ne peut combler l’humain. Son art en est transformé ; exit les corps luisants (sauf pour dénoncer un propos), les couleurs criardes (sauf si nécessaires) et les clichés (sauf les vrais).
L’événement LaChapelle est conçu comme une rétrospective démarrant aux premières années de création de l’artiste jusqu’à aujourd’hui grâce aux 150 œuvres qui constituent l’exposition. Gianni Mercurio, commissaire et Xavier Roland responsable du pôle muséal de Mons, conçoivent cette rétrospective en fonction de la vie de l’artiste. Il y a un avant et un après 2006, ce qui se ressent dans ses œuvres tout comme dans l’exposition.
After The Deluge © Picturimage/Rino Noviello,
Le visiteur est accueilli par l’œuvre éponyme qui le plonge dans l’univers kitsch et coloré de David LaChapelle et situe immédiatement la gravité du propos. Le Déluge est une allégorie de la dissolution de la société contemporaine et donc une critique du monde qui nous entoure. Le propos religieux sert à véhiculer un message, celui de la décadence de notre société et sa fin préméditée. Si les moyens restent les mêmes qu’au début de sa création, l’artiste - photographe a pris un virage plus engagé. Il propose une réelle satire de ce monde de la consommation, dans lequel il a vécu et grâce auquel il a réussi,qu’il présente sous un jour très ironique. Les musées sont abandonnés, détruits ou ravagés par les intempéries, seules les œuvres « anciennes » subsistent en traversant les siècles. Ce sont les références que l’on perçoit dans les créations de l’artiste, dont les tableaux des grands maîtres de la peinture baroque et italiennes.
Si les photos semblent « trash » au premier regard, l’œil s’habitue et ne voit plus la nudité. Les corps sont tellement léchés, huilés, savonnés et brillent qu’on en oublie que ce sont des personnes, pour ne retenir que leur aspect plastifié. L’humain perd de sa teneur pour n’être qu’un réceptacle véhiculant des valeurs. Les sexes, les poitrines, les corps sont surreprésentés mais pas sexualisés.
La beauté est toujours présente dans ses photographies. Ce n’est pas parce le sujet est esthétique,traité avec attention, richesse et ornementation qu’il perd de son sens selon LaChapelle. L’esthétique LaChapellien ne est un vecteur d’idées, celle de liberté sexuelle ou encore de la surconsommation.
After the Deluge, Museum ©David LaChapelle
La seconde partie de l’exposition s’éloigne de ses premières préoccupations. Le monde du spectacle ne lui suffit plus, LaChapelle a une approche photographique plus conceptuelle. La caricature et les couleurs vibrantes, sont au service de problématiques éthiques ou écologiques actuelles.
En 2008, l’artiste provoque de manière délibérée avec la série Jesus is my homeboy . L’art conceptuel a déjà permis d’abaisser beaucoup de barrières mais la religion reste un tabou protégé par les puristes. Dans une interprétation toute personnelle du christianisme, LaChapelle met en scène le Jésus d’aujourd’hui,. Il s’est posé la question « avec qui Jésus resterait sur terre si il revenait ? », et en regardant la Cène qu’il a réalisée, on comprend que ce serait non avec les « aristocrates ou les riches » mais avec les personnes dans le besoin. En dépit de la « décadence » de certains clichés, sa foi ne l’a jamais quitté et il nous présente désormais une des « versions les plus sereines de lui-même ».

Last Supper © Picturimage/Rino Noviello
Après l’achat de sa ferme à Hawaï l’artiste exprime son engagement pour l’écologie avec une série intitulée Landscape qui occupe une place importante dans l’exposition. Désormais sortie de ce monde de surconsommation, l’artiste peut en faire une critique acerbe et engager une réflexion quant à notre consommation de carburant. Il se positionne à la place d’un archéologue qui reviendrait, des années après notre extinction, sur les ruines de notre civilisation. Stations services, usines et raffineries encore fumantes : les photos sont encore une fois colorées et vivantes malgré l’absence d’êtres humains. Comme à son habitude tout le travail de production est fait en amont et les clichés ne sont pas numériquement retouchés. Les maquettes sont toutes construites avec des matériaux recyclés tels que des gobelets, des pailles, des cannettes, etc. L’éclairage est la clef de la réussite, sans cela les images seraient sûrement mornes et peu attrayantes. Il reste fortement influencé par le travail qu’il effectuait dans le magazine Interview de Warhol, il fallait alors capter très rapidement le spectateur et lui faire cesser de tourner les pages.L’intensité et la saturation des couleurs, furent une réponse évidente à ce problème et est désormais la marque de fabrique de l’esthétique LaChapellienne.
Land Scape, Kings Dominion ©David LaChapelle
Roi de l’entertainment, David LaChapelle interpelle. « After the Deluge » présenté au BAM de Mons est l’occasion de revenir sur l’évolution de la carrière du photographe plasticien. Sa critique de la société contemporaine est acerbe et les thèmes sont actuels : religion,écologie, argent, moralités, etc. Son regard toujours ironique et centré sur l’esthétique, dédramatise la situation.
Les niveaux de lecture sont nombreux, chacun lit ce qu’il veut. Il est tout à fait possible de se contenter d’un plaisir esthétique et purement matériel ou de chercher une moralité plus profonde. Réels engagements ou coup de com’ lié à des thématiques à la mode ?La question reste ouverte et le visiteur est libre de ses croyances.
Charlotte Cabon--Abily
#Mons
#LaChapelle#BAM
"National Gallery" : Le musée à travers la caméra de Frederick Wiseman.
Comme les articles récents du blog le prouvent, le musée et le cinéma entretiennent une longue histoire commune, des films d'Alfred Hitchcock à ceux plus récemment de Wes Anderson, le musée a souvent investi le grand écran.
Affiche du film, 2014.
Cette année, c'est le réalisateur Frederick Wiseman qui s'est attaché àce lieu dans son dernier documentaire. Ce dernier a consacré sa carrière de cinéaste à filmer de grandes institutions publiques comme l'Université de Berkeley aux Etats-Unis, un service de soin intensif, et des institutions culturelles telles que l'Opéra de Paris. S'immergeant dans les lieux pendant des semaines jusqu'à faire oublier sa présence, il veut dresser un portrait fidèle de l'institution et son fonctionnement... Filmer le musée était doncla continuation logique de son entreprise, et c'est la National Gallery de Londres qui a été sélectionnée pour ce documentaire. Wiseman a accumulé 170 heures de rushes pour réaliser son documentaire de 3h.
NationalGallerycommence sur un plan fixe d'une des salles d'exposition du musée. Un technicien de surface passe devant la caméra. Comme tous les documentaires du cinéaste, celui-ci nous montre le fourmillement d'activités que le musée contient : restauration (de cadres, de peintures, nettoyage de toiles), analyses de tableaux, mais aussi démontage et montage d'exposition (réaménagements des salles comprenant la peinture, le changement des revêtements..), atelier de modèle vivant, médiation diverse sur divers aspects de diverses œuvres (technique, historique, artistique...), prise en photo des œuvres, scénographie (il montre par exemple une discussion sur la lumière naturelle et ses impacts sur la vision des œuvres), entretien (arrangement de bouquets de fleurs et plantes dans les espace), mais aussi les question de gestion (les questionnements de révision de dépenses dues aux restrictions budgétaires) et ainsi de suite.
Mais dans ce documentaire, une place particulière est accordée aux œuvres d'art, plus qu'à l'aspect social des institutions que Wiseman privilégie habituellement. Les tableaux sont présentés de face, morcelés parfois, pour en relever les détails, et ce parfois longuement. Il montre beaucoup ces œuvres, mais aussi le face à face entre celles-ci et les visiteurs. Il filme le regard des visiteurs vers l’œuvre. Il s'attarde ainsi sur ce jeu de regards dont l’œuvre est la cible.
Outre la rencontre directe des œuvres, Wiseman consacre une grande partie de son documentaire à présenter une autre forme de rencontre entre le public et les œuvres, à travers les médiations diverses, qui s'avèrent très intéressantes : une médiatrice fait revivre, par l'imagination, la façon dont les contemporains d'un triptyque issu d'une Église le regardaient. Une autre médiatrice révèle que l'acquisition des collections a été faite avec l'argent de la Lloyd's, et a donc été financée par la traite négrière, tout comme l'acquisition des collections de la Tate et du British Museum. Ces aspects de l'histoire des musées sont généralement tus et il est intéressant de voir des médiateurs rappeler ce qui n'est généralement pas dit.
National Gallery montre aussi les questions et les enjeux actuels qui pèsent sur l'institution muséale : surtout ceux de représentation et d'identité du musée. Comment prendre en compte le public ? Une des premières scènes nous donne à voir une discussion entre deux membres du musée. La première, chargée de la communication, rappelle que le musée est aussi une attraction touristique et que le public devrait être pris en compte dans le discours, quand l'autre interlocuteur, conservateur, dit ne pas vouloir faire une exposition à succès qui soit « moyenne », prenant le « plus petit dénominateur commun » et y préférant un échec « intéressant ».
Cela montre aussi les positions de professionnels du musée, une vision« marketing », mais plus ouverte sur le public qui rencontre une vision encore très verticale de la culture, qui oppose l'expert et le profane, et qui assimile « grand public » à « simplification ».
Aun autre moment, lors d'une réunion, la question de la participation à un événement populaire de charité (le marathon du « Sport Relief »), est posée. Celui-ci se termine devant le musée, et la population londonienne y est fortement attachée : quelle image le musée renvoie en ne s'associant pas à un projet que tout le monde apprécie ? Mais comment sera t'il perçu en s'associant à un événement populaire et non culturel ? Wiseman nous donne ainsi à voir les stratégies de communication mises en place par le musée.
Habilement, le film se termine sur une scène de danse dans les galeries, dont l'organisation a été discutée précédemment, les danseurs se retirent, la présentation est finie.
Le seul regret est que la question des démarches du musée envers les publics ne soit pas plus développée dans le documentaire, lequel est plus centré sur la rencontre avec les œuvres. L'exploration des coulisses, à part pour certains exemples évoqués ici, mettent les œuvres au centre de l'attention. Ainsi, le musée de Wiseman semble être plus tourné vers les œuvres que vers son public, comme certains le sont encore aujourd'hui. Le film reste une immersion passionnante à l'intérieur d'une institution telle que la National Gallery.
N.PPour en savoir plus : - Cliquez ici !#cinéma#NationalGallery#coulisses

"The Square"
« The Square est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme. Dedans, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs. »
"Too Young to Wed" : Trop tôt, trop jeunes et déjà mariées
Dans certaines parties du monde, à l’âge où d’autres vont à l’école, des fillettes sont mariées à des hommes beaucoup plus âgés. Le travail de la photographe Stephanie Sinclair lève le voile sur une réalité qui n’a pas de visage. Aujourd’hui, elle en a un et même plusieurs, ceux d’Aracely, Destaye, Ghada, Ghulam, Hawa, Tehani, autant de vies brisées que Stephanie Sinclair a immortalisées pour éveiller une prise de conscience.
Tehani (au second plan) avait 6 ans lorsqu’elle a été mariée à Majed, 25 ans. Elle est photographiée deux ans plus tard aux environs de Hajjah au Yemen avec son ancienne camarade de classe, Ghada.
© Stephanie Sinclair
Cette photographe lutte depuis treize ans contre les mariages forcés et les mutilations faites aux femmes. L’exposition « Too Young to Wed : mariées trop jeunes », du nom de l’ONG qu’elle a créée en 2012, rassemble 175 photos, dont 115 jamais présentées, et rend hommage à ces victimes-héroïnes. Elle inaugure avec force l’Arche du photojournalisme, située au 35e étage de la Grande Arche de la Défense à Paris.
Des chiffres alarmants pour un constat bouleversant
Dans plus de cinquante pays dans le monde, une jeune fille toutes les deux secondes est mariée contre son gré, soit 39 000 victimes chaque jour. Dans dix ans, ce ne seront pas moins de 140 millions de mineures mariées avant l’âge de 18 ans ; d’ici 2050, elles seront 1,2 milliard. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à 16 millions le nombre de filles entre 15 et 19 ans, chaque année, qui donne naissance à un enfant ; le chiffre se monte à plus d’un million pour les moins de 15 ans.
Au Bangladesh notamment, 29% des fillettes sont mariées avant leurs 5 ans. Or, les pays occidentaux ne sont pas épargnés par le phénomène. En Europe de l’est par exemple, 11% des jeunes filles deviennent des épouses avant l’âge de 18 ans. Aux Etats-Unis, un vide juridique persiste quant à l’âge minimum légal du mariage au niveau fédéral et qui concerne une trentaine d’Etats dans le pays. En effet, des adolescents auraient le droit de se marier s’ils ont le consentement des parents ou d’un juge.
Les statistiques glaçantes ne se limitent pas uniquement à la question des mariages forcés, d’autres sévices ajoutent des plaies physiques à des traumatismes psychologiques qui ne cicatrisent jamais. En effet, l’excision est encore trop souvent une condition préalable au mariage dans de nombreux pays de la péninsule arabique, d’Afrique et d’Asie. Cette pratique consiste à l’ablation partielle ou totale des parties génitales, dont le clitoris, et concerne chaque année 3 millions de jeunes filles à travers le monde selon l’Unicef. Les victimes de ces mutilations, pratiquées en principe sans anesthésie ni aucune précaution d’hygiène, se dénombrent en plusieurs centaines de millions.
En Indonésie, une fillette vient de subir une excision. © Stephanie Sinclair
Derrière l’objectif, un combat : mettre des visages devant une réalité qui dérange
Ils sont nombreux les visiteurs qui ne parviennent pas à soutenir les regards de tristesse et parfois de gravité de ces fillettes qu’on force à devenir des femmes ; il y a quelque-chose de gênant, comme si nous prenions soudain conscience de notre position de voyeurs immobiles et inertes. Cependant, ce n’est pas un Déjeuner sur l’herbe qui se déroule sous nos yeux mais bien une série d’existences sacrifiées. Stephanie Sinclair a sûrement voulu recréer volontairement chez le visiteur le malaise qu’elle a ressenti lorsqu’elle s’est confrontée pour la première fois au sujet des mariages d’enfants.
En 2003, dans le cadre d’un photoreportage sur la guerre en Irak, l’Américaine se rend au service des grands brûlés d’un hôpital et se retrouve frappée par le sort de jeunes filles qui ont choisi de s’immoler par le feu plutôt que de subir un mariage non consenti. Les destins tragiques de ces enfants d’à peine une dizaine d’années résignées à une mort atroce comme seule échappatoire bouleversent la journaliste. Dès lors, à travers ses photos, elle a fait de la cause de toutes les filles mariées contre leur gré avant l’âge adulte, son combat pour sensibiliser sur un fléau qui, sans forcément tuer, détruit des millions de vies.
Eduquer plutôt que juger
Faiz, un Afghan de 41 ans s’apprête à épouser Ghulam, une fillette de onze ans. © Stephanie Sinclair
Stephanie Sinclair a aussi montré une sorte de beauté dérangeante ; sur des tirages aux couleurs lumineuses, la beauté des visages juvéniles se dessine ; c’est la fin d’une innocence.
Jamais l’œil du photographe n’est intrusif ou grossier, il dévoile sans chercher le sensationnel ou l’image choc, comme on le ferait pour empêcher les gens de fumer. Au contraire, on ressent les liens privilégiés entre l’artiste et ses modèles, une confiance mutuelle dans laquelle le spectateur prend place et qui lui donne accès à une intimité mais toujours avec beaucoup de pudeur.
L’exposition se poursuit vers une salle de projection où six vidéos retranscrivent les entretiens de l’artiste photographe avec des jeunes mineures de différents pays. Il s’agit avant tout d’un minutieux travail d’enquête : la prise de contact, la rencontre avec les familles, parfois les chefs de villages. Peu à peu, ces jeunes se confient à elle, lui racontent les maladies, les viols, les grossesses non désirées, les séquelles des accouchements précoces, les violences conjugales, les mutilations. La photographe n’hésite pas à retourner plusieurs fois au même endroit, parfois à plusieurs années d’intervalle.
Aucun des clichés présents dans l’exposition n’a été pris sans l’accord des jeunes filles et de leurs proches. Stephanie Sinclair nous raconte leur histoire mais aussi celle de leurs familles, de leurs maris, sans jamais porter le moindre jugement. En effet, nous sommes face à des constructions sociales où le poids des traditions est considérable. Bien souvent, les familles n’ont pas pleinement conscience que ce qu’elles font subir à leur enfant est mal. Le mariage arrangé impliquant des mineurs n’est pas tabou dans ces sociétés. Il est coutume de vendre une fille en échange d’une dot, plus la fille en question est jeune, plus la dot est élevée. Or, la situation dramatique de ces filles déscolarisées ne fait qu’aggraver leur situation et leur rôle se limite à la maternité et au maintien du foyer.
Ainsi, l’éducation apparaît comme la seule alternative, la meilleure arme pour gagner leur liberté.
Au Guatemala, Aracely, 15 ans, pose avec son fils. © Stephanie Sinclair
Avec son ONG, l’artiste met des appareils photos à disposition des filles, organise des ateliers pour qu’elles puissent échanger sur leur histoire mais c’est aussi une façon pour elle de leur rendre ce qu’elles lui ont donné. Si certaines évolutions commencent à se faire jour, Stephanie Sinclair est consciente que le combat est encore loin d’être fini. Les institutions culturelles se doivent d’être un relai de cet engagement tout en assurant leur rôle d’information et de diffusion auprès du public le plus large. Et l’exposition se poursuit, au dehors, car le visiteur n’en ressortira pas indemne…
Mathilde Esquer
#mariageforcé
#stephaniesinclair
#ladéfense
Informations pratiques :
L’exposition de Stephanie Sinclair est à découvrir jusqu’au 24 septembre. La prise de conscience se mérite : la galerie de 1200m² est perchée à 110 mètres d’altitude, il faudra débourser 15 euros pour emprunter l’ascenseur et s’acquitter des 4 euros du droit d’entrée. L’espace est ouvert tous les jours de 9H30 à 18H30.
Site de l’association fondée par Stephanie Sinclair : www.tooyoungtowed.org

À l'air libre
La notion de Liberté est une valeur pleinement ancrée dans l’histoire de Bayeux. Première ville libérée de l’hexagone le 7 juin 1944, c’est aussi là que renaît la presse de la France libre avec les premières éditions de la Renaissance du Bessin.
Mémorial des reporters – Bayeux Crédit photographique : A.Gilles
« Se vouloir libre c’est aussi vouloir les autres libres » Simone de Beauvoir
La notion de Liberté est une valeur pleinement ancrée dans l’histoire de Bayeux. Première ville libérée de l’hexagone le 7 juin 1944, c’est aussi là que renaît la presse de la France libre avec les premières éditions de la Renaissance du Bessin.
Ma visite commence au sein de la « Liberty Alley », pôle de mémoire de Bayeux, où sont réunis le mémorial de labataille de Normandie, le cimetière britannique, ainsi que le mémorial desreporters. Créé conjointement par la ville de Bayeux et l’association Reporterssans frontières, le mémorial des reporters est un espace unique en Europe. Inauguré en 2007 ce lieu est dédié aux journalistes et reporters tués dans l’exercice de leur métier depuis 1944. Chaque année, à l’occasion du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, les noms des derniers reporters, ayant payé de leur vie leur liberté d’informer, sont gravés sur une stèle.
Cette année, sur la stèle de l’année 2015, on remarque parmi les noms gravés celui des sept journalistes assassinés le 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. À l’occasion de cet hommage, Riss, actuel directeur de la rédaction et de la publication de Charlie Hebdo nous rappelle le fait que les conflits ne sont finalement pas si loin de nous « On pensait que c’était loin, on pensait que ça ne nous toucherait pas, et on ne se rendait pas compte que les gens dont on parlait étaient derrière la porte ». Sur cette stèle de l’année 2015 sont aussi présents les noms de quinze reporters syriens victimes de la guerre civile qui fait rage en Syrie depuis 4 ans.
Libertéde la presse, liberté d’information, liberté d’expression …
Cela fait maintenant vingt-deux ans que Bayeux, associé au Conseil général du Calvados, accueille pendant une semaine, au mois d’octobre, des reporters venus du monde entier. Ce festival, dédié à la libre information, est l’occasion de rencontres, débats, projections, expositions, … où les professionnels échangent et viennent sensibiliser le public à l’actualité des conflits internationaux, connus ou moins connus.
Ce festival met aussi en lumière le métier de reporter de guerre. D’après Carlotta Gall, présidente du Jury 2015, c’est l’occasion d’expliquer au public « les dangers, les risques, mais aussi l’intégrité de cette profession. ». Ces reporters, qui malgré les conditions périlleuses, captent l’Histoire pour nous permettre d’accéder à l’information.
« De Mossoul à Rakka » une exposition à l’air libre
Parmi les sept expositions proposées cette année,l’exposition collective « De Mossoul à Rakka »présente vingt photographies de grand format qui couvrent les murs de la ville et viennent témoigner des conséquences de la montée en puissance du Califat auto-proclamé de l’organisation Etat Islamique. Disposées sur les bords de l’Aune, où le quotidien s’écoule paisiblement, les clichés installent la guerre au cœur des rues de Bayeux.
Ayman Oghanna Bayeux Crédit photographique : A.Gilles
Le contraste est saisissant, dans un cadre paisible notre regard rencontre des scènes d’horreurs, de destructions, de fuites, un quotidien qui nous est difficile d’imaginer mais pourtant bien réel pour desmilliers de Syriens.
Rodi Said pour l’agence Reuters Bayeux Crédit photographique : A.Gilles
Face à un parterre de fleurs la photographie de Rodi Said vient nous confronter à la fuite des Irakiens de la minorité ethnique yézidi cherchant à échapper aux répressions de l’Etat Islamique. Difficile de ne pas s’arrêter devant les pleurs d’un enfant, devant la peur et le désarroi qu’expriment ces visages de réfugiés, d’exilés. Villes en ruines, villes désertées, villes libérées, villes refuges, l’exposition nous présente des paysages détruits sur les belles pierres des rues bayeusaines. Les photographies des combattant brandissant les armes nous paraissent tout autant irréelles.
Bulent Kilic pour l’agence France presse Bayeux Crédit photographique : A.Gilles
Le parcours de l’exposition se termine face à la photographie de Bulent Kilic où l’on observe deux enfants au visage fermé fuyant devant l’avancée des djihadistes de l’Etat Islamique. Face à cette photographie on remarque clairement que l’espace urbain n’est pas neutre, il peut rentrer au service d’un propos notamment pour amplifier son impact. En effet, ce lieu ne semble pas avoir été choisi pour la surface au mur qu’il offre. Placée dans une cour, derrière des grilles, une distance nous est imposée vis-à-vis de la photographie, la légende l’accompagnant en est presque illisible. Pourquoi exposer la photographie dans un lieu où le rapport avec le public est rompu ? La photographie est en fait placée au sein de l’espace enfant-jeunesse et sport de Bayeux, lieu où sont mises en place des activités de loisirs. Les rires des petits bayeusains en train de jouer rentrent en contraste avec la photographie de ces enfants bien loin du monde de l’enfance.
« Le plus grand réseau social c’est la rue » Pierre Terdjman
Ce propos de Pierre Terdjman, fondateur de Dysturb, collectif de photojournalistes, illustre bien l’une des particularités d’une exposition à « l’air libre ». La visibilité, la rue est un lieu de passage, un lieu où l’exposition se présente à une multitude de regards. C’est notamment ce qui a amené le collectif Dysturb à s’emparer de l’espace urbain pour y présenter leurs clichés. La rue est le moyen de palier au manque de visibilité subi par certaines actualités. Placée en extérieur, l’exposition se veut accessible. Hors les murs, les photographies viennent à la rencontre du public pour le faire réagir, le troubler ou encore le déranger. Ainsi, des personnes qui ne seraient pas venues les voir en salle d’exposition s’y trouvent confrontées. Même si tout le monde ne s’arrête pas devant les clichés, même si tout le monde n’est pas touché par leurs propos, l’audience est quand même susceptible d’être plus large que si l’exposition se tenait en lieu clos. Placées dans un environnement familier les photographies se veulent plus abordables, décomplexent le rapport que nous établissons avec elles, et nous livrent un autre regard sur l’actualité.
« Au regard des événements du 13 novembre 2015, le choix d’écrire sur cette exposition se veut dénonciateur de toute barbarie où qu’elle soit. Ma pensée va aux victimes et à leurs familles, à qui je rends hommage »
Amandine Gilles
Pour en savoir plus : http://www.prixbayeux.org
#PBC2015
#Bayeux
#RSF
#Dysturb

Agnès Varda : femme pionnière de l’émancipation féminine
Quand la réalisation cinématographique des années 1950 reste fermée aux femmes, Agnès Varda, elle, franchit ces barrières et s’impose comme modèle d’émancipation des femmes.
Agnès Varda et son histoire avec le cinéma
Devant l’entrée de la Cinémathèque française à Paris, apparaît une grande peinture murale. Une femme à la coupe au bol bicolore interpelle le visiteur. C’est Agnès Varda, cinéaste de la Nouvelle Vague, photographe et artiste contemporaine à qui est dédiée la nouvelle exposition de la Cinémathèque française Viva Varda ! du 11 octobre 2023 au 27 janvier 2024.
Peinture murale - Façade de l’entrée - Cinémathèque française ©LS
Née à Ixelles en Belgique, Agnès Varda est à la fois photographe, cinéaste et artiste. Fervente défenderesse du cinéma libre, elle devient une des cinéastes emblématiques de la Nouvelle Vague. Mêlant courts métrages et documentaires innovants, sa création se définit par un processus d’expérimentation. De 1948 à 1960, elle accompagne Jean Vilar en tant que photographe officielle du Festival d’Avignon avant de s’élancer vers l’art dès 1980. À ce titre, elle réalise une de ses œuvres maîtresses, Les Glaneurs et la Glaneuse, démontrant sa volonté de mettre en lumière des thèmes comme ceux de la pauvreté et de l’exclusion.
Appréciée pour ses œuvres cinématographiques, Agnès Varda reçoit plusieurs distinctions comme le Lion d’or, en 1985 à la Mostra de Venise avec Sans toit ni loi, la Palme d’honneuren 2015 au Festival de Cannes, l’Oscar d’honneur en 2018 par l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences, et bien d’autres. Elle est la seule réalisatrice à avoir reçu trois grands prix d’honneur. Agnès s’affirme comme femme cinéaste tout au long de sa carrière et s’exprime sur la place des femmes dans le milieu du cinéma. Dans la lutte pour l’émancipation des femmes dans le cinéma et dans une globalité, elle devient aujourd’hui un modèle et une pionnière dans l’Histoire du cinéma.
Portraits d’Agnès Varda - Exposition “Viva Varda !” - Cinémathèque française ©LS
Inspirations et nouveaux concepts
Viva Varda ! retrace la carrière et la vie d’Agnès Varda, en laissant le visiteur entrer dans son univers. Elle est la première exposition rétrospective de la cinéaste depuis son décès en 2019. Quelles étaient ses inspirations, ses travaux, ses engagements, ses voyages et ce qui l’a animée toute sa vie ? Vêtues de rose, les premières cimaises exposent les portraits, autoportraits, dessins - portraits d’Agnès. Comme multi-facettes, ses images et son œuvre sont imprégnées de poésie, de théâtre et de littérature, reflétant sa curiosité et son ouverture.
Agnès Varda défend le cinéma libre et le concept de cinécriture, des partis-pris exposés dans une seconde section de l’exposition. Aux côtés des scénarios manuscrits, des séquences et photographies tirées de film, d’objets de ses personnages, le visiteur est projeté dans son univers filmographique.
Pour elle, le travail de cinéaste est un jeu d’écriture, une expérimentation continue jusqu’au montage final. Elle construit des personnages féminins réflexifs, rares dans les années 1950 et se compare à Nathalie Sarraute, écrivaine franco-russe, qui écrit des portraits inconnus avant le Nouveau roman. Agnès invente, imagine des tempéraments, des situations et surtout les pensées des personnages auxquels elle donne vie. Elle accorde une grande importance à la subjectivité du personnage à travers ce qu’il perçoit, et fait de chacun d’eux des personnages à part entière, caractéristique de son cinéma. Dans la forme, elle ajoute des structures narratives par des ellipses et des chapitres. Elle renouvelle ainsi le récit et tient à y intégrer une sensibilité féministe.
Projection, extrait de Sans toit ni loi - Exposition “Viva Varda !” - Cinémathèque française ©LS
Une femme ouverte sur le monde et ses enjeux
Deux salles, l’une aux murs rouges et l’autre oranges, à l’image de sa filmographie et de ses voyages, dépeignent une autre vie d’Agnès. Celle d’une femme engagée et soucieuse des enjeux sociaux, politiques, civiques et internationaux.
Couloir de l’exposition - Exposition “Viva Varda !” - Cinémathèque française ©LS
Curieuse du monde qui l’entoure, elle porte attention à la marginalité et la pauvreté et aux mouvements sociaux auxquels elle assiste : la révolution cubaine, la jeune génération en lutte contre la guerre du Vietnam à Los Angeles, ou les mouvements pour les droits civiques américains avec les Black Panthers. Sa grande alliée est sa caméra portable qu’elle emporte durant ses voyages. Chaque rencontre, parole ou mouvement devient une image ou une séquence forte retrouvée dans la filmographie d’Agnès.
Visages, Villages réalisé en 2017 est aussi le reflet de cette ouverture. À l’issue d’une rencontre artistique avec JR, elle entame un long périple sur les routes de France dans le camion photographique de l’artiste. Tous les deux sont curieux, aiment les gens et la photographie. Dans ce film documentaire, les deux artistes échangent avec les habitants des villages, écoutent leur histoire et tirent leur portrait qui devient une peinture du paysage rural. Visages et Villages devient une œuvre double, à la fois photographique et cinématographique.
Agnès Varda : modèle de l’émancipation féminine
“J’essayais de vivre un féminisme joyeux, mais en fait j’étais très en colère. Les viols, les femmes battues, les femmes excisées. Les femmes avortées dans des conditions épouvantables. Des jeunes filles qui allaient se faire un curetage à l’hôpital et des jeunes internes qui leur disaient : pas d'anesthésie, ça vous apprendra.” Les plages d’Agnès, 2008
“Je ne sais pas à quel moment j’ai pris conscience que ce n’était pas seulement la question d’être libre mais que le combat des femmes serait collectif ou ne serait pas. Parmi les revendications, la plus urgente était le droit d’avoir des enfants ou pas” Les plages d’Agnès, 2008
Autoportrait d’Agnès Varda - Exposition “Viva Varda !” - Cinémathèque française ©LS
En 1977, Agnès Varda réalise L’une chante, l’autre pas qui illustre le combat des femmes et son évolution, pour leurs droits et leur émancipation. Le droit à l’avortement et son instauration tient une grande importance dans ce film.
Souvent interrogée au sujet de son engagement féministe, Agnès Varda fait partie des femmes ayant une notoriété qui osent s’affirmer. À la télévision, elle défend que le cinéma des femmes existe violemment et que s’il découle d'un regard et de la sensibilité d’une femme, il ne doit pas être déterminé autrement que par du cinéma. Ainsi, si le cinéma “des femmes” est perçu socialement, selon la cinéaste, il éveille une délimitation entre celui des hommes et celui des femmes.
Agnès Varda s’implique politiquement dans la revendication des inégalités hommes-femmes et de la prédominance des hommes dans le monde du cinéma. Elle intègre le Collectif 50/50 crée en 2018 dont le but est de promouvoir l’égalité homme-femme et la diversité sexuelle et de genre dans le cinéma et l’audiovisuel.
Léa Sauvage
Pour en savoir plus :
- https://www.cinematheque.fr/exposition.html
- https://www.cinematheque.fr/cycle/viva-varda-1134.html
- https://www.arte.tv/fr/videos/RC-024172/le-cinema-d-agnes-varda/
#Féminisme #Exposition #Cinéma
Albert Khan : se dévoiler par nuances
Les deux promotions du Master MEM ont rencontré Valérie Perles et Jean-Christophe Ponce lors de leur « semaine expographique ». Cette dernière permet aux étudiants de rencontrer des professionnels qui fourniront un point de vue concret sur un thème prédéfini : celui de cette année est la rénovation et l’extension de musées. La conservatrice et le scénographe se sont libérés en pleine période de travail pour une journée d’échange afin d’exposer le projet de rénovation du Musée Albert Khan.
Un autochrome, s’il s’apparente à une des premières formes de photographie en couleur, se rapproche de la peinture par l’apport de couches successives afin de former une image. Cette dernière est captée grâce à l’application de vernis, de fécule écrasée, de carbone et d’émulsion sensible. Le résultat donne une photographie à l’aspect un peu décalé, voire poétique. La couleur tranche franchement avec l’aspect solennel des premières photographies, elle leur donne un ressort qui promet à celui qui prend le temps de les regarder un aperçu vivant et succinct du passé. Toutefois, l’autochrome est fragile, son procédé nécessite des conditions particulières de conservation qui ne permet pas une exposition sur le long terme. Des reproductions sont nécessaires pour pouvoir révéler ce qu’un autochrome veut donner à voir.
La plus grande collection d’autochromes a été formée par Albert Khan dans ce qu’il a appelé « Les Archives de la planète ». Ce banquier français a fait converger sa fortune et ses idéaux philanthropiques pour mobiliser des photographes et cameramen sur plus de 60 pays entre 1909 et 1931. Cela afin de saisir « des aspects,des pratiques et des modes de l’activité humaine » dont Khan avait -déjà- conscience de la disparition prochaine. Cet engouement documentaire a permis de constituer une collection de 72000 autochromes, portant sur les coutumes, les paysages, les portraits. Ce projet avait pour but de faire connaître les cultures étrangères afin de promouvoir le respect de chacune dans une optique pacifiste. Quatre axes permettent de comprendre la démarche de départ : le voyage, la géographie,l’actualité, l’ethnologie.
N°A69 807 X © Collection Archives de laPlanète - Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine
N°A70 472 XS © Collection Archives de laPlanète - Musée Albert-Kahn/Département des Hauts-de-Seine
Mais ce projet documentaire avait aussi vocation à être diffusé : Khan invitait dans sa maison de Boulogne-Billancourt artistes & diplomates internationaux dans le but de les confronter à l’étranger, au dépaysement et à sa propre sensibilité. La visite se déroulait alors entre deux espaces : la sphère intime avec le cabinet de projection et l’extérieur dans les quatre hectares de jardin qui entourent la maison, composés de serres, de reconstitutions d’architectures asiatiques.
Dans les années 1930, le krach boursier n’épargne pas Albert Khan : le département de la Seine rachète alors collections et jardins afin d’en faire un musée éponyme. Il ouvre ses portes au public en 1937. Le musée actuel prend place à Boulogne-Billancourt dans l’ancienne maison du banquier et s’accompagne des jardins départementaux qui le corroborent. Si le jardin est retravaillé dans les années 1990, la rénovation du musée débute en 2013, quatre ans après, les espaces d’exposition sont en phase d’aménagement ;
N°B778 S © Collection Archives de la Planète- Musée Albert-Kahn
© Département Hauts-de-Seine
Quel a été ce projet de rénovation ? Comment travailler à la fois sur une démarche universelle et sur la personnalité d’Albert Khan ?
Il était question alors de donner une cohérence à la pluralité des domaines qui composent les collections du musée : de l’immatériel recueilli, un jardin immense, des heures de films, des objets personnels, une maison.. et les fameux autochromes des Archives de la Planète. Dans le musée Albert Khan, le parti pris a été de se concentrer sur la démarche à la fois documentaire et philanthropique du banquier afin de plonger le visiteur dans le temps, le remettre dans les pas des invités d’antan. Mais alors serait-ce une énième immersion biographique à coup de dioramas, de photographies personnelles illustrant l’œuvre d’Albert Khan ? Loin de là, ici point d’épitaphe surannée, mais un voyage immobile, où l’imagination du visiteur est sollicitée afin de recréer l’univers de Khan, où on suggère un espace temporel plutôt qu’on ne l’impose.
© Scenorama- esquisse de parcours
Il existe une porosité entre le présent et le passé, rappelé par à-coups par la forme du mobilier, le dispositif scénographique, les montages sonores… Le portrait chinois d’Albert Khan en est représentatif : un plâtre de Rodin, un écorché, un vase en porcelaine bleue, une paire de lunettes … Khan est présenté au visiteur à travers une évocation de sa personne plutôt qu’une illustration explicite des différentes étapes de sa vie. Cette mise à distance permet en même temps une approche plus intime du personnage, une rencontre anachronique avec une personnalité pacifiste et réformiste.
L’évocation de la transmission des Archives de la Planète est aussi visible à travers un bâtiment nouveau qui propose un aperçu original et poétique des collections, articulant modernité et patrimoine. Le cabinet de diffusion du banquier est présenté par un espace voué à la projection des autochromes.
© Scenorama- esquisse du cabinet de diffusion
La salle n’est pas une reconstitution mais la suggestion dudit cabinet : le visiteur prend place face à l’écran aux côtés d’un extrait du mobilier original. Un montage sonore accompagne cette rencontre entre deux époques et propose au voyageur de comprendre d’emblée l’esprit documentaire et humaniste de Kahn.
Au milieu du désordre ambiant que propose l’actualité, aller au musée Albert Khan à sa réouverture en février 2018 promet une méditation sur les liens entre cette période et la nôtre ainsi qu’une pause poétique à travers le temps. Le projet du musée Albert Khan se comprend finalement comme un autochrome : par suggestions, il propose au visiteur un parcours réflexif sur une personnalité emblématique de son temps ; par touches successives, il met en exergue les nuances de l’âme humaine.
Coline Cabouret
#nuances
#autochromes
#rénovation
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Pour en savoir plus : http://renovation.albert-kahn.hauts-de-seine.fr/
Antarctica, Une Odyssée en Terre Adélie
Antarctica, c’est avant tout une exposition d’images, celles de la mission du même nom. L’association Wildtouch a recruté 11 hommes, dont Luc Jacquet (réalisateur de La marche de l’empereur et instigateur de l’expédition), Laurent Ballesta, Vincent Munier et Jérôme Bouvier tous artistes-scientifiques, qui durant 45 jours sont partis sur la base de Dumont d'Urville en Antarctique avec pour objectif de récupérer des images de la faune et flore locale à travers leurs appareils.
© Laurent Bellesta
Une exposition imagée
Cette mission quis’est déroulée d’octobre à décembre 2015 était à la fois scientifique et artistique. Malgré les températures polaires, et les conditions ardues qu’impose le climat au matériel et aux hommes, ils ont réussi à faire ressortir tout un écosystème méconnu. Grâce à un équipement de plongée très performant (et très lourd, environ 90kg pour la plongée), et des appareils de capture d’images très modernes, les reporters ont eu la possibilité de filmer et photographier des espèces habituellement inatteignables.
Cette documentation sur les modes de vie des êtres sous-marins d’Antarctique est exceptionnelle. Antarctica nous fait découvrir des animaux et des plantes aux allures martiennes, si particulières que l’on peut douter parfois de leur existence. Il y a peu de textes dans cette exposition, et ceux-ci sont toujours présentés de manière très visuelle. Les informations sont écrites en couleurs, dans différentes formes, tailles, calligraphies, comme sur un tableau d’école. Cela permet d’attirer l’œil mais est parfois un peu gênant pour la compréhension. Tout est écrit au même endroit, nuisant parfois à la distinction entre les différentes données. De plus, les renseignements sont déséquilibrés : nombreuses sur les espèces terrestres puisque celles-ci sont observables depuis de nombreuses années et beaucoup moins sur les sous-marines simplement citées.
C’est par le vestiaire que commence cette fabuleuse exploration. La première pièce de l’exposition est une réplique « exacte » du lieu où se préparent les plongeurs avant de faire le grand saut. Ainsi le visiteur se glisse directement dans leur peau. Au premier regard il perçoit le poids des combinaisons et du matériel, il entend le grondement du vent au dehors, ressent même le froid qui entre par la porte fermée de la cabine. Les conditions sont optimales pour débuter l’immersion. S’ensuit dans les salles suivantes un ensemble de photos et de vidéos toutes plus magnifiques les unes que les autres.
L’essentiel est visuel, des schémas très parlants montrent par exemple les différents courants traversant les océans qui l’entourent. Mais le visiteur reste passif, il reçoit les images, ressent l’expérience mais ne la vit pas. Les vidéos sont magnifiques, les images en haute définition sont impressionnantes, le dispositif des diffusions est intéressant, aucun écran n’est posé de la même façon. Il y a toujours une scénographie autour des vidéos, faisant qu’Antarctica n’est pas une exposition de films monotones où l’on passerait d’une salle de cinéma à l’autre.
L’homme et l’animal
Ces artistes-scientifiques ne se sont pas intéressés qu’aux espèces sous-marines, les différentes espèces d’oiseaux de l’Antarctique sont évoquées pour le ciel et les manchots et phoques sont omniprésents dans chaque pièce. Ces derniers n’avaient pas peur des caméras et été très curieux. Cette proximité donne des images magnifiques où l’homme et l’animal se confrontent. L’attachement, l’affection que portent ces chercheurs à l’objet de leur travail est flagrante. Il y a un regard presque amoureux de la caméra, qui donne envie de s’attacher à ces animaux pourtant à des kilomètres de nous.
© Vincent Munier
Ce rapport Homme/Animal se retrouve aussi dans toutes les explications. Les animaux dans leurs performances de plongées par exemple sont comparés aux humains. Les textes humanisent beaucoup les créatures, renforçant l’affection par identification. Dans les images de la mère phoque qui apprend à nager à son enfant, c’est réellement une mère et un enfant qui sont observés et non des phoques.
Les enjeux climatiques
Bien que les enjeux climatiques soient le but premier de cette exposition et de cette expédition, ils ne sont pas beaucoup posés tel quels. Au détour des quelques informations, on apprend que le réchauffement climatique perturbe les courants qui menacent ainsi la biodiversité de ce continent, que la fonte des glaces, sa fragilité grandissante, menace certaines espèces. Mais le problème n’est pas forcément visible dans les images qui sont le principal contenu de l’exposition. Il y a plus une envie de faire apprécier le voyage dans ces terres, de faire découvrir et aimer cette biodiversité pour avoir envie de la protéger. Ici pas de ton moralisateur, accusateur, seulement une envie de partager l’amour de l’Antarctique, et c’est un pari réussi, notamment avec la dernière salle, sans contenu scientifique mais avec un dispositif qui en met pleins les yeux.
Photo de l’exposition sur le toit des galeries Lafayette. © O.DS
Et après ?
L’exposition qui devait être présente jusqu’au 31 décembre 2016, est prolongée à la date du 16 avril 2017. En outre, des traces de l’expédition Antarctica seront visibles dans toute la France : les galeries Lafayette diffusent des photos de l’expédition depuis le 8 novembre sur la terrasse des galeries à Paris ; de plus l’équipe présentera son projet au festival de photos de Montier-en-Der le 17 novembre, enfin sont en préparation des documentaires en collaboration avec Arte.
Océane De Souza
#Luc Jacquet
#Antarctique
#Immersion
Pour en savoir plus:
Musée des confluencesExposition AntarcticaWild touch
Antarctica du 26 avril 2016 au 16 avril 2017
Musée des confluences. 69000 Lyon
Tarifs d’entrée : prix d’une visite au musée (Plein tarif :9€ ; Tarif réduit : 6€ ; Tarif pour tous à partir de 17h00 : 6€ ; Tarif 18 – 25ans : 5€)
Dansez au rythme de la photographie
La photographie est un geste, geste inhérent à la pratique du quotidien, geste qui façonne un regard sur le monde : il faut documenter, il faut témoigner, il faut se souvenir. C’est ce qu’offre l’Institut Pour la Photographie : un lieu POUR la pensée et l’expérience de l’image.
Dans l’exposition Fragments & Trans de Serge Clément © Sophie Delmas, 2020
L’Institut Pour la Photographie - IPP pour les intimes - est le tout nouveau haut lieu dédié à la photographie en France. Le projet initié par la Région Hauts-de-France, et en étroite collaboration avec les Rencontres d’Arles, prend place dans un ancien lycée de la rue de Thionville, au cœur du Vieux-Lille. Amoureux de la photographie, coutumiers des Rencontres d’Arles et tous les curieu.ses.x qui le souhaitent s’y retrouvent, car tout y est. Entre DJ sets, les brunchs et les transats, l’endroit est résolument « branchouille »
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Brunch au soleil dans la cour de l’IPP © Sophie Delmas, 2019
Mais quid de la photographie ? Elle est partout : à travers les conférences, les ateliers, la bibliothèque, les portfolios ouverts, les nocturnes, les rencontres, les séances de cinéma… et tous les autres espaces de détente informels et à la mode permettent au visiteur d’échanger, d’apprécier, de partager son émotion. Et enfin dans ces salles de classes aux papiers peints arrachés, où le plancher grince, encore imprégné de poussière de craie, la photographie s’expose. Le plaisir de retrouver l’ambiance d’un lieu détourné de sa fonction initiale est intact, et y voir toute la diversité des images et des regards invoque immanquablement le souvenir de la joie de cuire dans la poussière des ateliers SNCF d’Arles (épicentre des Rencontres de la Photographie), avant les travaux qui ont transformé ces hangars en espace d’exposition impersonnel aux cimaises blanches.
À l’étage de l’Institut, perspective de l’exposition Home Sweet Home, commissariat Isabelle Bonnet © Sophie Delmas, 2019
Les deux expositions déjà présentées — extraORDINAIRE et en QUÊTE — et sa programmation hors les murs de 2021, ne sont que les prémices de ce que proposera le lieu en 2022, pour sa réouverture après aménagements — notamment liés à l’accessibilité. Outre les expositions, son action est basée sur cinq principes fondamentaux : les expositions, la conservation de fonds d’archives photographiques, la transmission, l’édition, et le soutien à la création. Tous ces enjeux sont connexes et chacun des projets mené par l’Institut le démontre. Son ancrage dans le territoire est fort, en lien avec d’autres acteurs locaux de la photographie comme Le Château Coquelle à Dunkerque, Destin Sensible à Mons-en-Barœul, Diaphane pôle photographique en Hauts-de-France à Clermont-de-l’Oise, ou le CRP/ Centre Régional de la Photographie à Douchy-Les-Mines.
Lors de la dernière manifestation en QUÊTE, 10 expositions étaient présentées pour explorer le regard qu’offre la photographie sur le territoire, l’actualité historique, politique, environnementale, établir l’importance de l’enquête photographique. L’accent est mis sur la collaboration, entre artistes pour Mascarades et Carnavals où 10 artistes ont présenté leur travail autour de la thématique du rituel, de la tradition et du costume, mais aussi entre structures pour la carte blanche offerte au CRP/, à Diaphane, à Destins Sensibles, et enfin avec le public pour l’exposition participative Si j’étais.
Comme dans tout bon lieu culturel, le public est au centre des préoccupations de l’Institut. L’image sans spectateur a encore moins de sens qu’exposée dans le noir. La transmission artistique et culturelle se fait, là encore, en croisant les pratiques. J’ai eu la chance de suivre l’une des visites dansées à travers les expositions. Accompagnée par Alice Rougueulle, chargée des publics, la chorégraphe et danseuse contemporaine Sandrine Becquet nous emporte dans une folle expérience de déambulation sensible.
Début de l’atelier danse & photo dans l’exposition Mascarades et Carnavals, commissariat Anne Lacoste, Paul Leroux, Clémence Mathieu © Sophie Delmas, 2020
L’atelier commence par la présentation des visiteur.euse.s les un.e.s aux autres, pour se découvrir avant de rencontrer les œuvres, et ce n’est pas anecdotique, c’est l’occasion de mettre le groupe en confiance. Le premier mouvement commence dans l’espace Mascarades et Carnavals où toutes les images invitent à la danse et à en faire l’expérience par son corps. Les regards sont accrocheurs, les costumes flamboyants et on s’échauffe. Pour réveiller les corps, Sandrine propose d’abord de déambuler sans s’arrêter, en rythme avec la musique qu’elle diffuse. Cette première marche rappelle sans aucun doute le geste standard d’une visite d’exposition, marcher sans vraiment s’attarder, sans regarder activement les œuvres, croiser d’autres gens, et repasser encore et encore devant les images au mur. Contraint par l’espace dans lequel les allers-retour se multiplient, le regard change déjà doucement, glisse vers la reconnaissance, le dialogue avec les photographies peut commencer. Le rythme de la musique s’accélère, la marche passe à la course avec des arrêts soudains devant une image. L’assemblée de portraits de Marialba Russo semble bouger en même temps que nous, suivre des yeux tous les danseurs. Encourageants, ils soutiennent mon regard quand je me campe devant l’un d’eux, on se dévisage.
Portraits de Marialba Russo pour Mascarades et Carnavals © Sophie Delmas, 2020
La salle de danse suivante est dédiée aux œuvres de Charles Fréger qui travaille sur les héritages contemporains des fêtes rituelles où l’imaginaire d’une humanité sauvage, pulsionnelle et animale transpire. Les personnages sont tour à tour recouverts de poils, de paille, de tissus divers, de laine… Encore le temps d’une déambulation, Sandrine sort de son grand sac toutes ces matières, les distribue, elle offre alors l’opportunité de rentrer dans l’image, d’être en contact avec ces créatures anthropomorphes, de les toucher et de les sentir, de vivre l’image en plus de la regarder. Ces matériaux sont ensuite disposés par terre pour créer un totem éphémère, et après l’expérience du toucher, le groupe est à nouveau embarqué dans une danse, une transe rythmée par les percussions autour de la création au sol, les photographies deviennent alors spectatrices à leur tour, gardiennes de notre procession. L’ultime scène de cet acte consiste à écrire sur un papier ce dont on souhaite « se libérer ». Se libérer de quoi ? De qui ? Par quoi ? La danse comme action libératrice, se libérer du « regarder sans voir » ? Ce mot libérateur, anonyme, probablement sans futur, est caché sous le totem qui le protège.
© Sophie Delmas, 2020
On lance alors un dernier regard à ces personnages qui sont devenus des complices l’espace d’une danse avant de passer à une autre étape de la visite dansée.
La seconde expérience proposée par Sandrine est bien différente. Il n’y a pas de corps représentés dans les images d’Ilanit Illouz où l’humanité brille par son absence. Mais ces images sont aussi le témoignage de l’activité humaine ayant épuisé les ressources naturelles, ici la Mer Morte. Son assèchement crée des paysages lunaires et uniques, grâce au sel abondant, matière que l’artiste réutilise dans son processus de tirage photographique pour proposer des images oniriques invoquant l’identité physique du lieu de prise de vue. Dans cet espace, nous sommes amené.e.s à regarder à travers une longue vue faite d’une feuille A4 roulée.
Longue vue dans l’exposition Dolines, d’Ilanit Illouz © Sophie Delmas, 2020
Le regard est guidé et forcé d’observer les détails précis et précieux des images dans l’intimité d’un couloir où l’extérieur disparaît. Le rapport devient privé, intime et privilégié avec les images. On s’assied devant un carré de tissu noir au sol et la longue vue se transformant en entonnoir, un peu de matière sèche et granuleuse est versé. Chacun.e a son petit tas, de cette poudre qui rappelle étrangement la texture des images. Les yeux fermés on touche, caresse, dessine les formes et détails des images. Le frottement des doigts avec la matière rappelle la respiration de la mer, alors les gestes deviennent plus grands, sortent de l’espace du tissu et les doigts s’élèvent, dessinent dans l’air, sur les autres, sur soi. La texture encore en mémoire dans les mains, on dessine par le geste, le sel, devant les images. Tous les carrés de tissus sont alors assemblés les uns à côté des autres, les dessins blancs contrastent fort et c’est la deuxième œuvre collective de la visite où le geste photographique est repensé par le dessin dansé.
Matière © Sophie Delmas, 2020
Dolines, Ilanit Illouz, carte blanche au CRP/, commissariat Muriel Enjarlan © Sophie Delmas, 2020
L’espace de confiance offert par Sandrine est précieux, tous les sens sont mis à contribution et sont rassasiés par cette expérience de visite sensible et intelligente, réfléchie pour aborder la photographie et l’instant de l’exposition autrement, pas seulement pour faire de la danse en dehors d’un contexte de danse. L’émotion de cette visite s’étiole doucement mais son souvenir reste longtemps et change profondément le regard porté sur la visite d’une prochaine exposition, sur l’appréhension à venir d’une œuvre.
Dans les anfractuosités de l’IPP © Sophie Delmas, 2020
Sophie Delmas
D’autres articles du blog relatant l’expérience de la danse au sein de l’espace d’exposition, de l’espace muséal :
Alors on danse
Portrait d'artiste : Boris Charmatz
Page dédiée à l’atelier photo-danse de l’IPP sur la Plateforme des Médiations Muséales :
Atelier danse et photographie sur la Plateforme des Médiations Muséales
#photographie
#danse
#médiation

Deux films du MEM primés, en prime!
Ce mercredi 23 janvier, le SITEM avait déroulé le tapis rouge : à midi avait lieu la remise des prix du concours Musées(em)portables. Le principe de la compétition est simple : produire avec du matériel non-professionnel un film de trois minutes dans un musée ou un lieu patrimonial. Son but : inviter à une réappropriation du musée par une démarche créative très libre et très simple à mettre en œuvre.
Comme chaque année, les étudiant.es du MEM ont répondu présent.es au défi lancé par Museumexperts. Elles ont réalisé six films au Musée des beaux-arts d'Arras et ont accompagné 14 groupes d'élèves du secondaire, d'étudiant.es ou d'adultes pour la réalisation de leurs propres films dans diverses institutions volontaires des Hauts-de-France. Au total, le master a participé de près ou de loin à l'élaboration de 56 films envoyés aux organisateurs du concours, qui en ont reçu 78 pour cette édition.
Et il faut croire que la quantité n'a pas nui à la qualité pour cette édition puisque deux films réalisés par les étudiantes du MEM ont été primés : La Belle Hélènea obtenu le 1er prix décerné par Museumexperts et MBA Hotel a obtenu le 3e prix. Le jury a choisi de récompenser deux productions de tonalité et de facture très différentes qui ont néanmoins en commun, a précisé le jury, d’assumer un parti-pris, un regard original sur les lieux filmés. MBA Hotels’inscrit dans un tout autre registre : c’est un court-métrage humoristique, une réflexion décalée sur les nouvelles appropriations des musées par le public. La Belle Hélène est un court-métrage poétique, qui propose au spectateur de suivre le quotidien d'Hélène, une femme-muse. La Belle Hélène s’est également vu remettre un prix spécial de l’Association des Conservateurs des Collections publiques de France qui a ainsi voulu distinguer tant ses qualités esthétiques que l’audace de son propos.
Vous vous en voulez d'avoir raté la cérémonie ? Bonne nouvelle : vous pouvez visionner les six films produits par les étudiant.es du MEM ici.
Et bientôt les 6 films lauréats de cette édition sur : http://www.museumexperts.com/musees_em_portables/videos
C.R.
#SITEM
#Musées(em)portable
#vidéo

Dialogues photographiques en Asie
L'atelier "Concordances et jeux visuels" invite les visiteurs du musée Guimet de Paris, à aiguiser leur regard sur les oeuvres de la collection permanente du musée national des arts asiatiques (MNAAG).
La photographe Nadia Prete accompagne les participant(e)s de cet atelier grand public dans cette balade photographique. En binôme, chacun(e) parcourt le musée, découvre les formes et les détails : une démarche favorisant un nouveau dialogue visuel.
En savoir plus :
- Photos sur le compte Instagram du musée Guimet
- Collections en ligne du musée national des arts asiatiques
- Conférence le 1er avril sur Margaret Bourke-White, par la photographe Nadia Prete
- Prochains ateliers animés par Nadia Prete les samedis 25 juin et 9 juillet 2017 à 14h.
Retrouvez l'intégralité des vidéos de la série "Médiations singulières" sur youtube.
Jérôme Politi (réalisation vidéo)
Hélène Prigent (article)
29 mars 2017
#jeux
#Asie
#baladeartistique
Du fonds photographique à l'exposition
Pour lancer les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, la Bibliothèque historique de la Ville de Paris propose au public une exposition originale dans le regard qu'elle porte sur le conflit. Tout le monde a entendu parler des tranchées, tout le monde connaît Verdun, mais qui sait ce qui se déroule dans les rues de Paris pendant la guerre ?
Charles Lansiaux, « Place du Châtelet.
Groupe desoldats revenant du front. », 6 octobre 1914
© BHVP/Roger-Viollet
« Paris 14-18, la guerre au quotidien, Photographies de Charles Lansiaux »
Exposition temporaire de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Galerie des bibliothèques,
15 janvier-15 juin 2014
Un fonds photographique révélé
L'aventure de l'exposition démarre avec le fonds photographique d'un photographe autodidacte, Charles Lansiaux (1855-1939), que la Bibliothèque historique de la Ville de Paris possède dans ses collections. Ce fonds commence à se constituer le 21 septembre 1914, alors que la guerre a débuté depuis moins de deux mois. À cette date, le photographe facture à la Bibliothèque la première partie d'un reportage qu'il intitule « Aspects de Paris pendant la guerre de 1914 ».
Près de 400 clichés rejoignent alors les collections de la Bibliothèque et ce fonds s'enrichit tout au long du conflit, jusqu'en 1918, bien que le rythme et le nombre des achats de la Bibliothèque diminue dès le mois d'octobre, la guerre que l'on pensait courte s'installant dans le quotidien. À la fin de la Grande Guerre, ce sont plus d'un millier de photographies qui composent le fonds retraçant les étapes de l'installation du conflit dans la capitale.
C'est un fonds d'une richesse exceptionnelle, une richesse due au nombre de photographies qu'il contient mais aussi et surtout à l'instantanéité et à l'originalité du travail du photographe. Instantanéité parce que Charles Lansiaux photographie les rues de Paris et les Parisiens pendant que le conflit se déroule, originalité parce qu'il n'adopte pas le regard neutre du reporter. Ces deux aspects font de cette collection « une véritable histoire visuelle du temps présent »[1], car oui ! c'est bien un reportage que nous livre ce photographe, un reportage composé de photographies au format standardisé montées sur des cartons eux-mêmes standardisés datés et légendés de sa main. Reste à faire de ce reportage une exposition...
Comment construire une exposition à partir de ce fonds ?
Vue de l'exposition Crédits : Cécile Lapouge
Plus d'un millier de photographies : chaque photographie transmet un message mais il faut effectuer une sélection qui réponde à l'objectif de l'exposition. La première chose à faire est de déterminer cet objectif sachant que l'exposition ne pourra présenter que 200 photographies environ : l'exposition souhaite témoigner de la vie à Paris pendant la Première Guerre mondiale à travers l'objectif du photographe qui arpente les rues de la capitale.
C'est une histoire originale car l'on met le plus souvent en avant la guerre au front et non à l'arrière, et qui plus est à Paris. Cet aspect de la guerre est méconnu du public d'où l'importance du choix des photographies qui seront présentées. Les techniques photographiques étant encore en développement lorsque Charles Lansiaux fait son reportage, certaines photographies sont écartées naturellement par leur qualité insatisfaisante pour être agrandies.
Le choix est plus délicat lorsque certaines photographies sont similaires par leur sujet car chaque photographie est singulière de par sa luminosité, sa composition ou l'émotion qui s'en dégage. La sélection est d'autant plus délicate du fait de ce déséquilibre entre le nombre de photographies prises pendant les premiers mois de l'année 1914 et celles prises en 1918 : ce déséquilibre est réel et expliqué mais il ne doit pas trop se ressentir dans l'exposition qui couvre toute la durée du conflit. Ces paramètres pris en compte, le choix s'effectue naturellement pour présenter au public un ensemble cohérent qui témoigne d'un événement majeur de l'Histoire. Regardons le résultat dans l'exposition.
Les photographies mises en scène
Vue de l'exposition Crédits : Cyrielle Danse
Tout ce travail de sélection aboutit à la mise en exposition des photographies. Comment sont-elles finalement mises en valeur dans l'espace ? La sélection laisse ressortir des thèmes qui sont repris pour construire le discours de l'exposition. Les photographies sont donc rattachées chacune à un thème et sous-thèmes suivants : « La guerre vue de la rue » – « Appels », « Exodes », « Défenses », « Acclimatations » –, « Le partage de l'information » – « Nouvelles », « Médias » –, et « Signes de guerre » –« Secours », « Dommages », « Victoire ? ».
L'exposition s'étant construite à partir du fonds photographique de Charles Lansiaux, le choix est fait de réellement mettre en valeur les photographies. Elles sont presque toutes présentées dans le même format et encadrées discrètement de telle sorte que seule la photographie ressorte. Un panneau de présentation présente chaque section, puis les seules inscriptions sont celles portées sur les cartels des photographies qui ne reprennent que le titre et la légende que le photographe a lui-même écrit sur les cartons de chaque photographie.
Seules quelques affiches contemporaines des événements sont exposées avec les photographies mais de façon mesurée, ce choix se justifiant par le fait que Charles Lansiaux ait photographié des murs d'affiches pendant le conflit. Cette mise en espace permet au visiteur de porter son attention sur les photographies et les nombreux détails qui y sont cachés, détails que l'on ne remarquerait peut-être pas si le choix scénographique était différent. Le visiteur est ainsi invité à se plonger dans les rues et l'atmosphère de Paris pendant la guerre pour mieux apprécier la force du témoignage du photographe. Cent ans après sa réalisation, ce reportage offre un autre regard sur le conflit, à découvrir.
C. D.
Pour en savoir plus :
Gunthert André, Paris 14-18, la guerre au quotidien, Photographies de Charles Lansiaux,
Paris bibliothèques, 2013
Pignot Manon, Paris dans la Grande Guerre,Parigramme, 2014
Site internet : Paris en images
#photographie
#PremièreGuerremondiale
#expositiontemporaire
[1]AndréGunthert (commissaire de l'exposition), Paris 14-18, la guerre au quotidien, Photographies de Charles Lansiaux, Paris bibliothèques, 2013, p. 11.

Éric Miot, un passionné du 7ème art
Délégué général du Festival international du film d'Arras et de l'association Plan séquence, Éric Miot met en valeur le patrimoine cinématographique grâce à un certain nombre de missions notamment avec le jeune public. Entre le professionnel et l'associatif, la structure existe depuis 21 ans et est remaniée en 2003.
Éric Miot a présenté d'abord le patrimoine cinématographique de manière générale. Un panorama de la grande histoire du Cinéma nous est brossé, de la création du média par les frères Lumière en 1895 en passant par l'impulsion des films muets comme ceux de Georges Méliès, l'industrie Gaumont, Hollywood, l'expressionnisme allemand de Metropolis, l'apparition du film sonore avec Le chanteur de Jazz, ou encore les films de propagande de Goebbels.
Éric Miot a également mis en avant les problèmes de conservation liés aux supports fragiles et a insisté sur l'intérêt de préserver ce patrimoine, source et témoin historique.
Le professionnel a ensuite parlé de son activité et de son rôle dans le cadre du Festival international du film d'Arras. Gagnant en notoriété, il met en valeur le cinéma européen à travers une sélection de films à la fois artistiques et divertissants, tout en portant un regard sur notre société. De nombreuses activités et thèmes sont proposés tels que des compétitions, des avants-premières, des ciné-concerts, des hommages, des expositions ainsi que des projections de films européens mais également du monde, ou destinés aux enfants.
Lucile Tallon

Et pourquoi pas Rousse ?
Organisée à la cinémathèque française du 6 octobre 2010 au 16 janvier 2011, l'exposition Brune Blonde traite du thème de la chevelure telle qu'elle est perçue non seulement dans le cinéma mais également dans l'art.
© Crédits images : Tous droits réservés
Cette exposition permet en réalité de voir comment le Septième Art intègre, retravaille et interroge les représentations féminines et les mythes présents dans les autres arts que sont la sculpture, la peinture ou encore la littérature, comme l’a expliqué le commissaire d’exposition, Alain Bergala.
Depuis le début du cinéma, les cheveux ont toujours été très utilisés par les cinéastes car c’est la partie du corps humain la plus malléable et la plus simple (couleur, forme, gestes, coupes, etc.).
Si dès le XXe siècle, le cinéma impose toutes les modes capillaires, comme la blonde hollywoodienne, l’exposition remet en jeu la dualité brune/blonde. Aux débuts du cinéma jusqu’aux années 1930, la femme brune est la tentatrice, la bad girl alors que la blonde est la femme au foyer, la « gentille ». C’est alors qu’Hollywood lance un nouveau mythe, un nouvel modèle de femme : la blonde tentatrice. La brune devient alors la femme au foyer, la femme sage.
Tout au long de la visite, le public peut suivre une brune qui n’est autre que le protagoniste du Millenium Mambo, Shu Qi. Elle l’attend à l'entrée sur l'écran qui surplombe la première porte et l’entraîne d'une pièce à l'autre, défilant dans un tunnel et laissant flotter derrière elle, sa chevelure.
La scénographe, Nathalie Crinière (dont le nom se prête au jeu) a souhaité diviser l’exposition en cinq parties :
- Le Mythe : la chevelure nourrit l’imaginaire des XIXe–XXe siècles. Le visiteur passe des tableaux de Picabia à ceux de Rossetti, il y trouve la Lana Turner d’Andy Warhol, des films de David Lynch, de Luis Buñuel (avec Catherine Deneuve dans Belle de Jour : la blonde représentant la fragilité et la pureté enfantine...Ou la froideur et la perversion sexuelle), etc. Un écran géant décomposé en petits écrans, met en scène la blondeur souveraine affrontant sa rivale brune.
- Histoire & Géographie de la chevelure : le cinéma dicte la mode capillaire depuis toujours. Dès la fin des années 30, Hitler récupère le mythe de la blondeur nordique pour l’utiliser à des fins raciales. Ce concept se répand aux États-Unis et en URSS et exclut les minorités de l’imaginaire national: les Noires et les Latino-américaines aux Etats-Unis, etc. Aujourd’hui, c’est le poids des modèles venus d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine qui fait tourner la mode et affaiblit le mythe et l’impérialisme de la blonde occidentale.
- Les Gestes de la chevelure : voilée, dévoilée, relevée, lâchée, dénouée, brossée, ornée… la gestuelle de la chevelure féminine durant la seconde moitié du XIXe siècle est très riche en termes d’iconographie. Elle est immortalisée par des peintures, des sculptures, même des œuvres littéraires et le cinéma lui offre le mouvement. Il la rend ambiguë et capable de suggérer des sentiments contradictoires dans une même image.
- La Chevelure au cœur de la fiction (rivales, métamorphose, travestissement, relique) : cette pièce retrace les trois scénarios de la chevelure féminine. Le plus classique est la rivalité « brunes/blondes » que plusieurs peintres, photographes ou encore cinéastes ont tenté de mettre en exergue. Le cheveu devient dédoublement mystérieux chez Alfred Hitchcock et chez David Lynch. Le plus troublant est le travestissement ou la métamorphose. Les femmes se transforment en Méduse, en sorcière, en fleur ou en Ophélie flottant dans l’eau. Mais la chevelure peut aussi devenir funeste, avoir un coté reliquaire ou fétichiste, fantomatique ou spectral.
- Vers l’abstraction (cheveu-matière) : c’est-à-dire, la chevelure comme vecteur de l’émotion à la place du visage: on le voit à travers les chevelures noires en tôles ondulées de Fernand Léger qui renvoient autant au matériau industriel qu’aux toisons opulentes de la grande peinture classique ou dans les cheveux blonds toujours en mouvement de Monica Vitti dans L’avventura de Michelangelo Antonioni.
Enfin, un cabinet photographique présente trois artistes : Man Ray, qui a mis en scène la chevelure comme une matière tactile, animée d’une vie plastique quasi indépendante, loin de tout naturalisme. Édouard Boubat, qui, a photographié de façon intime la chevelure des femmes de sa vie. Pour finir, Bernard Plossu (élève d’Edouard Boubat), qui fait plutôt partie de ces photographes qui prennent des photos spontanément, même à l’insu de ses sujets mais sans aucune vulgarité.
C’est une exposition tout à fait passionnante, rythmée et envoûtante ; certainement dû au fait qu’Alain Bergala a mis plus de vingt ans à aborder ce sujet. Dans le grand espace de la Cinémathèque, le public déambule facilement, contrairement à l’exposition Metropolisou l’on peut se sentir plus à l’étroit. Ici, toutes les salles sont plus intéressantes les unes que les autres ; même si parfois, l’exposition semble un peu « fourre-tout ». Mais étant donné l’étendue du sujet, il ne faut pas être difficile. L’originalité dans certaines thématiques (comme la reconstitution d’un salon de coiffure africain de base) surprend chacun d’entre nous. Chaque visiteur doit s’attendre à retrouver les personnalités phares comme Brigitte Bardot ou Marylin Monroe (évidemment) mais la représentation d’actes poignants de la vie (des coupes à la garçonne voire rasées pour certaines femmes ou encore le fait d’ôter le voile).
Au cœur du parcours, des dispositifs sont installés afin d’accueillir deux à trois personnes pour visionner des extraits de films. Cela offre un espace de repos. Les jours de forte influence, il ne faut pas s’attendre à avoir sa place. Pour finir, c’est une exposition très plaisante à parcourir malgré le manque de témoignages de coiffeurs de stars, de coiffures de westerns, de chevelure masculine et surtout, de comique. Il est vrai que l’on aurait pu attendre des clichés comme dans Mary à tout prix. Et une question persiste… qu’en est-il des rousses ?
Enfin, un cycle de six conférences a été organisé afin de décrire et de présenter les enjeux de l'exposition, ainsi qu’une programmation de films (nous sommes à la cinémathèque, tout de même !). De plus, une exposition virtuelle permettait un prolongement de la visite.
Célia HANSQUINE
Expo Jurassic World : Science ou fiction?
La Cité du Cinéma, à Saint-Denis en région parisienne, a accueilli en 2018 l’exposition événement Jurassic World dans le cadre de la sortie du second opus intitulé Fallen Kingdom. Ce parcours immersif jalonné de dinosaures mécaniques monumentaux proposait au visiteur de déambuler dans des décors inspirés de la mythique saga cinématographique, qui compte actuellement cinq opus divisés en deux « sous-séries », Jurassic Park et Jurassic World. L’une des particularités de cette exposition était de décliner un thème issu de l’industrie du divertissement mainstream mais avec une forte composante scientifique et l’objectif de transmettre des connaissances au public.
Peut-on alors considérer Jurassic World comme une exposition scientifique en dépit de son caractère hollywoodien ?
Dinosaure mécanique et tunnel de passage vers une salle de médiation - © M.T.
L’expo joue sur la ressemblance de concept entre Jurassic World et les parcs zoologiques - © M.T.
« En marketing, le mainstream (courant principal en anglais) désigne le marché grand public, la tendance majeure de consommation. Le mainstream recouvre la plus grande partie de la demande et s’adresse donc au plus grand nombre de consommateurs potentiels.
C’est un phénomène de masse, qui peut être amené par l’actualité, la mode, les médias, les relais d’influence (stars, journalistes, blogueurs, youtubeurs). »
(Source : www.journaldunet.fr)
La franchise regroupant les sagas Jurassic Park et Jurassic World constitue l’un des exemples les plus connus de cette culture de masse. Sorti en 1993, le premier opus réalisé par Steven Spielberg avait révolutionné la façon de montrer les dinosaures au cinéma, en s’appuyant sur des données scientifiques récentes qui contredisaient totalement l’image que le public se faisait en général de ces espèces disparues. La vision improbable d’un tyrannosaure à la stature verticale avec une queue traînant par terre laissait place à un animal beaucoup plus réaliste (et donc plus apte à effrayer des spectateurs moins facilement impressionnables qu’autrefois). Cette alliance réussie entre cinéma et science ne s’est néanmoins pas toujours vérifiée, et force est de constater que de nombreuses invraisemblances subsistent dans le scénario des différents films. Ces dernières ont notamment été analysées dans le cadre de la sortie du premier opus de Jurassic World (en 2015) par le magazine Sciences & Avenir1.
Faut-il pour autant reléguer le mainstream au rang de « sous-culture » tout juste bonne à offrir du divertissement sans proposer aucune médiation ? Utiliser des films, des romans, BD ou jeux-vidéos célèbres comme support de transmission de connaissances est certes un exercice délicat : cela nécessite de passer au crible leur contenu afin de repérer d’éventuelles erreurs et distinguer les détails relevant d’une réalité scientifique (ou historique) de ceux purement inventés pour les besoins de l’intrigue. Mais si ce travail de vérification est effectué avec rigueur et que l’exposition qui en découle établit des limites claires entre réalité et fiction, permettant ainsi au visiteur de faire la part des choses, alors le mainstream devient un formidable outil de médiation.
Il attire en effet un public plus large que les expositions purement scientifiques et constitue donc une « porte d’entrée » accessible pour des personnes n’ayant pas l’habitude de s’intéresser à ce type de sujet. Car la science, même vulgarisée, revêt pour beaucoup un aspect intimidant ou rebutant pouvant s’expliquer par un certain nombre de facteurs : mauvais souvenirs d’école, sentiment d’échec face à des notions incomprises, croyance selon laquelle cette discipline serait réservée à une élite d’intellos pas très glamour… Tandis qu’une saga telle que Jurassic Park (ou World) peut être appréciée par tous, sans distinction de rang social, d’âge ou de niveau d’études. C’est là l’un des principaux atouts du mainstream : il abolit l’effet de compartimentation que créent les expositions « spécialisées » et s’adresse à tous les publics – à l’exception peut-être des élites intellectuelles, qui ont parfois tendance à mépriser cette culture de masse car elle se permet de prendre des libertés avec la réalité et affiche sans fard ses objectifs lucratifs (quitte à ne pas faire dans la dentelle). Il n’est d’ailleurs pas besoin d’analyser longuement la question pour comprendre que Jurassic World avait pour principal objectif de faire la promotion du film Fallen Kingdom, sorti en France un mois après l’ouverture de l’exposition.
Version anglophone de la salle InGen - © Encore Productions
Outre les enjeux marketing qui pèsent sur ce type d’événement et peuvent influencer la muséographie, des problèmes de confusion surviennent lorsque la frontière entre imaginaire et réalité n’est pas assez bien mise en évidence. Les visiteurs non-initiés peuvent alors retenir des informations erronées et se forger de fausses croyances. La question est particulièrement épineuse dans le cas de la science-fiction, où tout est fait pour rendre vraisemblable une histoire en vérité impossible. Ainsi, la reconstitution de la salle InGen nous laisserait presque croire que l’on peut véritablement ressusciter des dinosaures grâce à un moustique extrait d’un morceau d’ambre – technique dont rêveraient sans doute les paléontologues mais qui dans la pratique demeure tout à fait irréalisable. L’anatomie des espèces présentées pose également question : nous avons ici affaire à des animaux génétiquement modifiés dont l’apparence est parfois assez éloignée du « modèle initial », mais cette information n’est pas toujours clairement précisée ; certains dinosaures sont présentés comme fidèlement inspirés de la réalité même lorsque ce n’est pas le cas.
On notera néanmoins que malgré cette « zone de flou », Jurassic World propose des outils de médiation intéressants – voire ingénieux, tels les panneaux pédagogiques qui décomposent les noms à rallonge de certains dinosaures de manière à en faciliter la lecture et la prononciation. Le fait de pouvoir manipuler des moulages d’ossements fossilisés inclut par ailleurs une dimension tactile appréciable. Quant à la fameuse salle InGen, elle contient des informations pertinentes sur la géologie et la génétique. Ajoutons à cela une scénographie efficace grâce aux décors immersifs, aux nombreux effets sonores et visuels, et aux dinosaures mécaniques particulièrement bien réalisés.
Exemple d’un panneau pédagogique et de moulages à manipuler - © M.T.
En conclusion, Jurassic World ne saurait être qualifiée d’exposition scientifique en raison d’un manque de clarté dans la distinction entre fiction et réalité (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle fut présentée à la Cité du Cinéma, et non au Palais de la Découverte ou au Muséum d’Histoire Naturelle). Elle crée cependant une passerelle entre science et culture populaire – passerelle qui pourrait peut-être à terme contribuer à réconcilier une partie du public avec les musées.
M.T.
Pour aller plus loin :
#mainstream
#jurassicworld
#culturepop
#sciencefiction

Exposition Noir et Blanc à la BnF : le scénario et la scéno à la rescousse d’un sujet difficile
Face à une thématique aussi large que le noir et blanc en photographie, comment cadrer un propos et créer une exposition dynamique sans ennuyer ou perdre le visiteur ? Une scénographie bien pensée pourrait être une solution...
Initialement prévue pour prendre place au Grand Palais au printemps 2020, plusieurs fois repoussée, et finalement implantée à la Bibliothèque François Mitterrand en 2023, l’exposition Noir et blanc, une esthétique de la photographie ne démarrait pas sous les meilleurs auspices. D’autant que pour une passionnée de photographie, ce titre ne présageait rien de très palpitant : un thème trop large, vu et revu, pour une exposition très dense (plus de 300 images présentées), de quoi faire une indigestion. Ma visite m’a pourtant permis de découvrir un très beau travail de sélection d’images, autant qu’un propos pertinent soutenu par une scénographie bien pensée.
Un projet d'exposition ambitieux (et risqué?)
A travers le texte mural introductif, l’ambition de l’exposition, dont le commissariat a été confié aux quatre conservatrices du département des Estampes et des Photographies de la BnF, est clairement présentée : montrer la richesse et la qualité des collections de photographie noir et blanc de la Bibliothèque et souligner le soutien à la création dont celle-ci fait preuve encore aujourd’hui. Cette ambition se traduit par un choix très réfléchi de photographies et en particulier de chefs-d’œuvre conservés par l’institution et bien identifiés comme tels par le public, ou au moins par les amateurs de photographie. Sur les cimaises des classiques comme la série Paris de nuit de Brassaï (1932), l’homme sautant au-dessus d’une flaque de Cartier-Bresson (Derrière la gare Saint-Lazare, 1932) ou encore les prêtres dansant la farandole de Giacomelli (Prêtres dansants, 1961).
La transition entre la section consacrée aux jeux de contrastes (cimaise blanche) et celle sur la neige (cimaises bleues). ©J.N
Dès son introduction, puis par sa construction même en grandes parties thématiques, l’exposition prend le parti d’analyser et de regrouper les images à travers des catégories visuelles assez formelles. Cette façon d’organiser les quelques 300 photographies présentées permet non seulement d’éviter l’écueil de la présentation chronologique ou géographique, qui crée souvent répétition et ennui, mais invite aussi chaque visiteur à comparer des groupes d’images à l’aune de leurs similitudes : jeux de contraste, motif géométrique, paysage enneigé, photo de nuit… C’est une découverte dynamique des photos qui est ainsi créée, le regard passant d’une œuvre à l’autre en construisant un propos et pas seulement en accumulant des données visuelles. Cette construction parle autant au visiteur novice et aux plus jeunes qu’au public plus spécialisé, ravi de voir “en vrai” tant d’icônes réunies, et d’en découvrir d’autres.
Une sélection d’images iconiques soutenue par une scénographie de qualité
Au-delà du strict contenu, cette exposition est un très bon exemple de scénographie réussie, à la fois simple mais efficace, cohérente avec les œuvres exposées et servant leur propos. Ce travail a été confié à Maud Martinot et ses équipes, qui avait déjà créé la scénographie de l’exposition annulée du Grand Palais en 2020.
Schéma simplifié du plan de l’exposition, avec ses différentes sections. ©J.N
La construction scénographique reprend un parcours général assez récurrent, celui du “couloir”, un parcours donc linéaire qui guide le visiteur, ici de manière sinueuse avec des aller-retours parallèles pour maximiser l’espace disponible (voir plan). L’écueil principal de ce type de plan, en particulier lorsque l’on présente uniquement des photographies - médium en deux dimensions, accroché aux cimaises, aux formats assez proches - est d’aboutir à un parcours très répétitif, sans relief, dans lequel le visiteur s’ennuie et dont il ne voit pas la fin. C’est ce que j’ai ressenti en visitant l’exposition en cours au Centre Pompidou Corps à corps ; à la thématique semblable, tout comme la quantité de photographies présentées et le prestige du musée. Mais là où, à Beaubourg, il me tardait d’arriver au bout de ce morne couloir aux murs gris, je ne me suis pas sentie enfermée dans Noir et blanc. D’abord parce que les espaces créés par les cimaises sont plus grands, mais aussi grâce aux larges ouvertures qui traversent l’exposition et qui permettent, dès le début du parcours, d’apercevoir la dernière salle. Ces sortes de fenêtres servent également d’assises, ce qui permet de ne pas encombrer l’espace avec des bancs et d’offrir de larges volumes très agréables. La hauteur modérée des cimaises laisse également de larges espaces vides sous le haut plafond.
Vue en enfilade de l’exposition à travers les ouvertures de chaque mur. L’image est prise dans la première section, et l’on aperçoit déjà au bout la dernière salle de l’exposition. ©J.N
Enfin, comme nous pouvons le voir sur le plan présenté plus haut, le parcours linéaire est scandé de cimaises perpendiculaires qui créent de petits espaces thématiques, comme des respirations. L’usage raisonné des vitrines rythme également le cheminement dans l’exposition ; celles-ci présentent uniquement des livres et s’adressent donc aux visiteurs qui souhaitent approfondir les œuvres accrochées. Leur nombre réduit et contenu non indispensable à la compréhension de l’exposition, les attroupements empêchant de bien voir sont évités.
Les vitrines présentent uniquement des documents complémentaires : livres, cartes postales, dépliants… ©J.N
D’un point de vue graphique, les couleurs variées des murs permettent de bien appréhender chaque partie, sans toutefois s’opposer aux nuances de gris des images, avec une palette de noir, blanc et de différents bleus. L’encadrement en bois clair des tirages se fait discret et apporte plus de douceur que des cadres noirs. Mes photographies prises par téléphone ne rendent vraiment pas honneur à l’élégante simplicité de ces choix graphiques efficaces.
Texte de salle de la section « Ombre et lumière », en français et en anglais. A droite (cimaises noires), la section consacrée à la photographie de nuit. ©J.N
Vers une “médiation autonome” ?
Je finirai cette élogieuse critique, en conseillant cette exposition gratuite aux étudiants en art et histoire de l’art. Je souhaite enfin vous laisser à une réflexion concernant la médiation autour de cette exposition, ou plutôt sur son absence presque totale en dehors des visites guidées classiques et de visites-conférences menées par des artistes contemporains. Pas de parcours enfant donc, pas d’activités proposées, pas de livret jeux, ni même de livret de visite qui fait pourtant partie des supports récurrents dans la majorité des expositions. Cela signifie-t-il pour autant que cette exposition est réservée aux connaisseurs de photo, aux adultes déjà sensibilisés à ce médium ? L’observation du public m’a semblé démontrer l’inverse, d’abord par sa relative hétérogénéité pour une exposition de ce type (exposition d’un médium précis de l’art moderne, dans une bibliothèque), conviant à la fois des enfants, des adultes de tout âge et des personnes âgées. J’ai observé la médiation “se faire d’elle-même” grâce aux juxtapositions bien pensées des œuvres, qui créent chez le visiteur une sorte de déclic : “ces deux œuvres ont des points communs, mais aussi des différences, je peux donc les comparer, regarder chacune d’elles plusieurs fois, puis ajouter les autres œuvres de la section à ce regard dynamique”... C’est déjà une forme de médiation puisque ce mode de présentation implique un regard actif. Et outre les cartels détaillés qui nourrissent la soif de connaissance des plus sérieux, il est possible d’être sensible à ce dialogue des œuvres.
Jeanne Nicolas
Pour en savoir plus
- La page du site de la Bibliothèque nationale de France dédiée à l’exposition : https://www.bnf.fr/fr/agenda/noir-blanc-une-esthetique-de-la-photographie
- La critique (enthousiaste) des Midis de la Culture sur France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/debat-critique-quelles-expositions-aller-voir-9591358
#photographie #scénographie #noiretblanc
George Clooney is not inside ! - Mes aventures de stage - Episode 1
Sous ce titre bien tapageur se cache une chronique de ces petits moments bien agréables qui font que le statut de stagiaire peut vous faire vivre des moments qui sortent de l'ordinaire...
Par exemple quand le samedi 12 avril, j'ai eu la chance d'assister à la cérémonie officielle de remise d'un tableau tout droit sorti de « Monuments Men » si ce n'est que non l'action ne se passe pas pendant la seconde guerre mondiale et que re-non, George Clooney n'était pas assis à mes côtés ce jour-là. Hélas !

Après la lecture, 1865Alix Marie de La Pérelle-Poisson Crédits : S.V
Qu'importe, car c'est dans la chapelle du musée de la Chartreuse, à l'initiative de Madame Labourdette, conservatrice du lieu, entourée de sommités culturelles (parmi lesquelles Mesdames Christina Kott, commissaire scientifique et Gaëlle Pichon-Meunier commissaire associée), et devant un auditoire de professionnels de l'univers muséal et culturel, de photographes, de journalistes et d'élus locaux parmi lesquels j'évoluais/je déambulais (merci au master expo-muséographie encadré par Serge Chaumier de me permettre de mettre facilement un nom sur un visage et d'avoir la chance/la possibilité de saluer et d'échanger avec ces personnes), que je fis partie des privilégiées qui eurent la chance d'assister à ce moment assurément unique : la restitution de « Après la lecture » dérobé par l'armée allemande en septembre 1918 d'Alix de Lapérelle-Poisson dont le destin rocambolesque ne peut nous laisser de marbre tant il questionne les problématiques hélas encore actuelles autour de la propriété, de la sauvegarde et de la préservation du patrimoine archéologique et artistique en tant de guerre notamment.
De quoi, en tout cas, avoir envie de se précipiter à l'exposition « Sauve qui veut » pensée conjointement et présentée simultanément à Douai et à Bavay.
Les discours et échanges se firent en français et en allemand... traduit, heureusement pour moi d'ailleurs, car après « Guten Tag », j'eus comme une perte d'audition... et de compréhension subite, mais comme un sens (ou plusieurs dans mon cas !) compense toujours la défaillance d'un autre, c'est à l'issue des discours que la vue, puis l'odorat et enfin le goût me permirent de profiter d'un très savoureux buffet. De quoi dépasser l'adage « après l'effort, le réconfort » car ce moment exceptionnel de ma vie de stagiaire à la photothèque Augustin Boutique-Grard fut pour moi source de découvertes, de rencontres et d'échanges.
What else ?

Vue de l'exposition - Crédits : S.V
D'autres moments de rencontres conviviales et riches aussi bien professionnellement qu'humainement m'attendent encore car le vendredi 16 mai aura lieu le vernissage de l'exposition « deux regards sur la grande Guerre : Charles Goujaud et Edouard Baron » présentée en deux actes par la photothèque et, dès le lendemain, la Nuit des musées permettra au plus grand nombre des publics de découvrir gratuitement ce lieu (accueillant en outre l'aquarium et le musée des Sciences Naturelles) et l'exposition. A cette occasion, je verrai bien si l'atelier pour enfants que je compte mener et le livret de médiation à destination des familles que j'ai conçu durant le stage plaisent. Certainement pour moi l'occasion d'écrire la suite de ces aventures d'une accro du...master MEM !
Sabrina
#vernissage
#stage
#restitution
Pour en savoir plus sur l'exposition « Sauve qui veut » présentée en deux lieux : A Bavay, « Sauve qui veut ! Des archéologies mobilisés : 1914-1918 »
A Douai, « Sauve qui veut ! Des musées mobilisés : 1914-1918 »
Il faut sauver le soldat Goujaud ! - Mes aventures de stage - Episode 2
Pour de multiples raisons, c'est une exposition qu'il me tient à cœur de vous présenter dans cette seconde chronique des « Aventures de Sabrina en stage » (de master 1 expo-muséographie).
Mes respects mon maréchal ! C'est tout d'abord pour moi l'occasion de communiquer sur la photothèque Augustin Boutique-Grard du musée de la Chartreuse de Douai qui, à travers l'exposition « Deux regards sur la Grande Guerre : Charles Goujaud et Edouard Baron », met en avant le courage de ces hommes qui, de par leur travail photographique mené il y a un siècle, devinrent les témoins de l'Histoire.

Vue de l'exposition - Crédits : S.V
Plus concrètement, c'est le premier regard proposé actuellement aux visiteurs, celui de Charles Goujaud (1880-1956), maréchal des logis du 25ème régiment d'artillerie qu'il faut sauver de l'ignorance et de l'oubli. Parce que finalement rien ne prédestinait ce représentant de commerce en vins et spiritueux il y a 100 ans à s'engager à l'arrière-front du conflit et à saisir sur plaques de verre les instants de la vie quotidienne des soldats de son régiment, tout comme les destructions massives des villages de la Meuse, la Marne, la Somme et l'Aisne... Rien si ce n'est la possession d'une malle et de matériel photographique (elle aussi exposée!...et inventoriée et dépoussiérée par votre serviteur herself ! L'occasion de retrouver des instruments protégés dans du papier journal daté de 1914, « emballage » d'époque qui prend une toute autre valeur historique et patrimoniale un siècle plus tard... Un bon sujet de mémoire, non ?) et la volonté consciente ou non d'être le témoin direct de ce conflit pour les générations futures...
Plus prosaïquement, c'est aussi le moyen de remercier du fond du cœur l'équipe de la photothèque qui m'a accueillie chaleureusement, m'a aidée et m'a fait confiance notamment lors du montage de l'exposition.
De l'action !Ce sont en effet des responsabilités et des fiertés de future professionnelle, comme la réalisation d'une vitrine (après constitution du discours et sélection des expôts), l'élaboration du livret-jeu familial, mais aussi des rencontres avec des collectionneurs et prêteurs qui m'enthousiasmèrent.
Ce sont aussi de réelles réjouissances que furent pour moi le vernissage du vendredi 16 mai et l'animation d'un atelier à destination des enfants dès le lendemain lors de la Nuit des musées où l'accueil et le contact avec le public adulte et enfant de ce samedi nocturne sont pour moi essentiels.
Séquence émotion !

Atelier à destination des enfants - Crédits : S.V
Et telle l'heureuse lauréate de la palme d'or de l'expo-muséographie, saisie par l'émotion qui m'envahit fréquemment, je remercie pour leur présence et leur soutien ce soir-là mes enfants, mon mari, ma maman, mes collègues et surtout mes élèves et leurs parents qui me firent la surprise de leur visite... ainsi que tous les visiteurs « anonymes » qui partagèrent leurs découvertes et leurs connaissances... comme ce gentil monsieur (il avait 15 ans en 1914, faites le calcul) qui revint spontanément ce vendredi nous présenter les documents officiels ayant appartenus à son père et son grand-père... L'émotion était à fleur de son regard... et du mien. La preuve supplémentaire, s'il en fallait, de la richesse et des apports en terme de professionnalisation, de culture personnelle et de relations humaines des stages dans lesquels le master nous plonge pour mon plus grand plaisir !
Sabrina
#guerre
#exposition
#stage
Pour en savoir plus sur l'exposition :
« Deux regards sur la GrandeGuerre : Charles Goujaud et Edouard Baron »

J'avais envie de vous donner envie - Garry Winogrand au Jeu de Paume
Un dimanche après-midi unpeu gris, j’étais de passage à Paris pour rendre visite à une amie. Nous avons décidé d’aller visiter une expo’ : Garry Winogrand au Jeu de Paume. Nevous inquiétez pas, je ne vais pas vous raconter ma vie … mais j’ai très envie de vous parler ce que j’ai vu, là-bas.
Le Jeu de Paume propose une programmation d’expositions temporaires très riches. De jeunes artistes yont été présentés mais également des figures emblématiques de l’art moderne et contemporain, notamment des photographes ayant marqué l’histoire de l’art du XXème siècle. Les clichés de Diane Arbus, Richard Avedon ou encore de Robert Franck ont été exposés dans l’enceinte de l’établissement. Depuis le 14 octobre, c’est l’américain Garry Winogrand (1928-1984) qui fait l’objet d’une grande rétrospective, la première depuis vingt-cinq ans. Elle a d’ailleurs été réalisée en collaboration avec le San Francisco Museum Of Modern Art et la National Gallery of Art de Washington.
D’abord photographe pour des magazines, Garry Winogrand s’est ensuite intéressé à la photographie « de rue ». A New York, il débuta une série de photographies de personnes, en action, riant aux éclats devant les magasins, discutant dans les cafés ou patientant devant un feu rouge. Pendant près d’une trentaine d’années, Garry Winogrand a fait le portrait de l’Amérique en « mitraillant » avec son objectif les lieux, les gens, les événements importants et dérisoires. Ce sont des moments de vie qu’a saisis le photographe, illustrant un pan entier de l’histoire des Etats-Unis qui s’étend de la fin de la Seconde Guerre Mondiale à la période de la guerre du Viêtnam. La curiosité de Garry Winogrand était insatiable : plus de 6000 pellicules n’avaient pas été développées lorsque l’artiste est décédé. Une grande partie des clichés présentés ont été tirés spécialement pour l’exposition.
«Parfois, c’est comme si […] le monde entier était une scène pour laquelle j’ai acheté un ticket. Un grand spectacle, mais où rien ne se produirait si je n’étais pas sur place avec mon appareil. » G.W
J’ai beaucoup aimé le fait que des planches-contacts originales soient exposées. Une marque au feutre rouge faite par l’artiste signale sur chacune d’elles l’image qui devait être tirée.

G. Winogrand Park Avenue New York1959
© The Estate of Garry Winogrand,
courtesy Fraenkel Gallery,San Francisco

G. Winogrand, New York,Vers 1962
© The Estate of Garry Winogrand,
courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco
L’exposition est dotée d’une scénographie très simple, tout comme l’accrochage qui est extrêmement sobre. Le parcours se déroule de façon chronologique, suivant les grands jalons de la carrière de l’artiste. Trois parties séquencent la visite : la première, « descendu du Bronx », présente des photographies prises à NewYork, de 1950 à 1971 ; la seconde, « c'est l'Amérique que j'étudie », rassemble des travaux réalisés durant la même période mais hors de New York ; enfin, « splendeur et déclin », montre les photographies de l’artiste de 1971 jusqu’à sa mort en 1984. L’exposition est très intéressante car elle donne à voir l’ensemble de la production de Garry Winogrand jusqu’à sa disparition.

Vue de l'exposition© A.M
Les premières photographies de l’artiste sont pleines de vie et de mouvement ; elles sont presque bruyantes. C’est comme si l’on pouvait entendre le bruit des klaxons et de la foule. Sa manière de cadrer est très dynamique, très directe. Garry Winogrand a photographié des personnalités et des anonymes, des gens aisés comme les plus pauvres. J’ai vraiment été enthousiasmée par ce début d’exposition. Je me suis mise à penser à l’histoire de ces personnes : qui elles étaient, ce qu’elles faisaient là… La photographie immortalise comme nul autre les petits moments de la vie. J’ai été touchée par le regard profondément humain de l’artiste. Ses photographies dégagent une atmosphère de liesse mais aussi un profond sentiment de désarroi.

G. Winogrand, New YorkVers 1960
© The Estate of Garry Winogrand,
courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

G. Winogrand, Los Angeles,1964© The Estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco
Les dernières productions de l’artiste n’ont plus ce même mouvement qui caractérisait le début de son travail. Les scènes sont plus figées, les personnes, plus immobiles et isolées.

G. Winogrand, Los Angeles1980-1983© The Estate of Garry Winogrand, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco
Vous l’avez compris, j’ai été touchée par Garry Winogrand et séduite par l’exposition (sobre mais efficace) du Jeu de Paume. On peut, cependant, s’interroger sur le choix de certaines photographies. Des centaines sont présentées et certaines d’entre elles m’ont semblé moins pertinentes d’un point de vue plastique. Néanmoins l’ensemble forme un tout cohérent qui témoigne de la personnalité de l’artiste. J’ai également beaucoup aimé écouter les visiteurs parler, imaginer les histoires de ces photographies durant l’exposition…. Bref, je voulais vous donner envie d’aller visiter cette exposition.
Astrid Molitor
A découvrir jusqu'au 8 février 2015
Pour en savoir plus : Le site de la galerie du Jeu de Paume
#Photographie
#Exposition
#Winogrand
Knock Outsider Komiks
Des bandes dessinées créées à partir du textile, impressions 3D, photographies, monotypes, gravures, abstractions, vidéos d'animation… ? C’est par ici !
Knock Outsider Komiks, un projet de La « S » Grand Atelier qui lie la BD à la création outsider¹, crée à la demande du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, est maintenant exposé au Art et marges musée à Bruxelles².
Installation des gravures sur bois et du court-métrage d’animation Après la mort, après la vie, un projet de mixité entre Adolpho Avril & Olivier Deprez © L.M.
Le Art et marges musée, musée d'art brut et art outsider, est consacré à la conservation, à la recherche et à la diffusion des créations en dehors du circuit traditionnel artistique, questionnant l’art et ses frontières. Une partie importante de sa collection s’est constituée auprès d’ateliers artistiques pour personnes porteuses d’un handicap mental, dont La «S » Grand Atelier.
Situé à Vielsalm dans les Ardennes belges, La «S » est un laboratoire de recherche artistique qui accueille des artistes atteints d'une déficience mentale et des artistes non-déficients qui viennent en résidence. En sortant du discours de la « sanctuarisation » de l'art brut/outsider, au lieu d'isoler les individus en marge de toute sorte d'influences extérieures, le but de La « S » est justement le contraire. Loin de toute considération compassionnelle, positionnement emphatique de la structure, elle se singularise par sa volonté d'intégration, de rendre possible des rencontres et d’interagir avec tous les champs de l’art actuel. Dans cette perspective, à partir des résidences où artistes handicapés ou non échangent,expérimentent et créent ensemble, naissent des projets complètement étonnants et singuliers, notamment dans la BD.
La bande dessinée a connu des évolutions radicales ces dernières années sous l'impulsion des maisons d'éditions indépendantes ou alternatives, dont Frémok fait partie. Thierry Van Hasselt est l'un de ses fondateurs et également co-commissaire de Knock Outsider Komiks. Selon lui, « le Frémok envisage la bande dessinée d'une manière plus large. Pas une espèce de langage avec des règles définies, mais plutôt un terrain d'exploration, un terrain de jeu, un milieu en expansion qui essaie toujours de recréer les limites et les frontières de la BD, qui s'intéresse à la mixer avec d'autres domaines, à la faire sortir de ses cadres habituels. »
Anne-Françoise Rouche, directrice de La « S », avait trouvé des similitudes entre le travail des artistes de la structure et celui de Frémok. En réunissant l'aspiration de La « S » de s'ouvrir vers l'extérieur et vers le développement de la bande dessinée alternative, et la perpétuelle recherche des nouvelles formes de la part du Frémok, leur connexion était inévitable, sur un terrain qui n'était pas encore exploré.
Les cases de BD redessinées et agrandies par Jean Leclercq © L.M.
La bande dessinée et l'art outsider : une rencontre improbable ?
Selon Erwin Dejasse, également co-commissaire de Knock Outsider Komiks et historien de l’art, sous un premier regard l’articulation entre bande dessinée et art brut semble un lien improbable : « A priori, tout oppose la bande dessinée et les créations brutes ou outsider. La première est souvent présentée comme un langage dont la pratique exige la maîtrise d’un ensemble de codes voire d’un vocabulaire et d’une grammaire. Les secondes, au contraire, semblent se définir par leur totale absence de règles. »
La BD comprend tout ce qui est narratif et anecdotique. L'anecdotique est également présent dans l'art brut/outsider. La dimension narrative, en revanche, reste moins évidente lorsqu'une forte caractéristique dans les outsiders est notamment l'hermétisme. Le défi était donc de voir ce qui pourrait se passer si on mettait en relation les artistes de La « S », qui étaient plasticiens et qui travaillaient cette grande liberté graphique, et ceux du Frémok, qui ont l'habitude de manipuler narration et récit.
Thierry Van Hasselt témoigne de cette expérience : « À La « S » on pensait au départ du projet qu'on allait nous (le Frémok) ramener cette dimension narrative et construire du récit avec le matériel graphique qui amenait les artistes handicapés. Pourtant ça a été tout à fait une autre chose qui s'est passée. Leur poésie et leur manière d'être, de s'exprimer et de raconter des choses a complètement contaminé le travail narratif. Et ce que nous a complètement transformé lors de ce projet c'était justement quel type de narration cette rencontre nous permettrait d'explorer et de découvrir. Et donc nous aussi avons appris à raconter autrement en travaillant dans ce projet de mixité et cela nous a permis de mettre en place d'autres types de dispositifs narratifs. Sur Knock Outsider Komiksla narration était vraiment générée à quatre mains. »
Créations textiles, photographies et le «ciné-roman » Barbara dans les bois, un projet de mixité entre Barbara Massart& Nicolas Clément © L.M.
Erwin Dejasse complète : « Knock Outsider Komiks montre des artistes qui vont être à la fois plus qu'au limite de la bande dessinée. On peut se questionner si une création est de la BD et parfois la première réponse est non, même s'il y a des éléments en commun. Mais on sent qu'il y a un état d'esprit similaire, il y a des choses qui dialoguent. On ne s'arrête pas de poser des questions entre les limites de la BD et de l'art outsider, mais autant pour cette exposition il fallait se laisser aller, de faire au feeling. Donc on montre une photographie de ce qui a été produit à La « S » au long de ces années de résidence, plutôt orientée vers quelque chose qui touche à la BD. Mais on ne va pas arrêter de déborder ce domaine pour autant qu'il n'y aie pas une définition de bande dessinée que ne puisse être débordée des frontières instituées. »
Knock Outsider Komiks dans les murs du Art et marges musée
À Angoulême, La « S » a mis en place une exposition de qualité qui a connu énormément de succès. Néanmoins, la courte durée du festival - 4 jours - a laissé une envie d'aller plus loin et de rendre Knock Outsider Komiks accessible à un plus large public. Anne-Françoise Rouche a donc proposé à la direction du Art et marges musée, collaborateur de longue date, de l'exposer dans ses murs pou rune deuxième édition, quelque peu différente.
Tatiana Veress, directrice du Art et marges musée, s'est montrée enthousiaste du projet : « Il y a cet aspect collaboratif qui correspond à la philosophie du musée depuis ses débuts, de faire des expositions qui présentent à la fois des artistes outsiders et des artistes insiders sans le besoin de préciser que l'artiste est in ou que l'artiste est out. »
Exposer Knock Outsider Komiks au Art et marges musée correspond également à l'envie de présenter des dialogues entre l'art outsider et les différents domaines de l'art en ne se limitant pas aux arts plastiques, mais de pouvoir toucher le cinéma, la musique, la photographie... et la bande dessinée fait partie de cette ouverture.
Sur le mur à gauche, les monotypes de Pascal Cornélis. À droite, Comix Covers, de Pascal Leyder © L.M.
Par ailleurs, faire venir cette exposition à Bruxelles est très important car la Belgique porte une identité particulière par rapport à l'histoire, à la reconnaissance et au constant développement de la bande dessinée. La BD est très présente dans la culture belge avec des grands éditeurs, des structures, des librairies spécialisées, un Musée de la BD, des personnages partout sur les murs des villes... Tous ces aspects font que dès qu'on parle de BD en Belgique, on rencontre une réceptivité singulière.
Tatiana Veress précise : « On présente la bande dessinée, mais c'est un "uppercut aux catégories instituées". Donc le visiteur qui vient en se disant "je vais visiter une exposition de bande dessinée" sera forcément déstabilisé. Et c'est cet aspect de déstabilisation qui est intéressant. Il y a des œuvres qui sont très proches de la BD, qui recréent ses cadres, par exemple, mais déjà avec des codes un peu différents, une certaine liberté naïve. Sinon il y a des choses qui sont apriori fort éloignées de la BD, où on est dans des œuvres très abstraites. Dans ce cas, c'est plutôt le principe sériel, l'accumulation et la séquence qui évoquent l'idée de la narration existante aussi dans la BD contemporaine. Donc on est plus proche d'un univers plus alternatif qui présente une nouvelle génération de bande dessinée. Et en même temps on a encore un regard en marge parce que dans l'exposition on intègre des artistes qui ne viennent pas du monde de la BD et qui ne viennent pas non plus du monde de l'art officiel.
Et à chaque fois qu'on travaille avec une thématique particulière c'est l'occasion de toucher des nouveaux publics. La possibilité d'aller à la rencontre d'un public plus amateur de bande dessinée qui pourrait découvrir l'art brut, qui ne la connaissait pas auparavant, cela joue en faveur de notre objectif de faire connaître ces artistes et l'art brut de façon plus large. »
Ateliers Créatifs pour les publics
Le Art et marges musée possède également un espace ouvert au public dédié à l'Atelier Créatif où les visiteurs sont invités à s'exprimer d'après ce qu'ils ont regardé et ressenti dans l'exposition. Dans le cadre de Knock Outsider Komiks, le sujet abordé par l'atelier concerne la narration et les différentes techniques graphiques.
« Lorsque l'exposition met en avance des projets menés en collaboration, l'idée est de construire une histoire ensemble, à plusieurs mains et à plusieurs techniques. Dans l'atelier on trouve des grandes feuilles de papier accrochés sur les cimaises avec des cases pré-dessinées où chacun peut apporter sa contribution plastique dans ce qui deviendra une narration, ou pas. En tout cas, qui aura une allure de planche de bande dessinée. », affirme Sarah Kokot, responsable des publics du Art et marges musée. « Et dans ce qui concerne l'activité prévue pour les enfants, l'idée est d'aborder la gravure et comment elle est faite. Il y aura des créations à partir des décalques en feuilles de carbone et du monotype à la gouache. »
L'Atelier Créatif du Art et marges musée pour l'exposition Knock Outsider Komiks © L.M.
Rencontres autour de l’exposition
Afin d'élargir le débat sur la bande dessinée et l'art outsider, le Art et marges musée, La « S » Grand Atelier et l'ISELP (Institut Supérieur pour l'Étude du Langage Plastique) organisent encore des conférences et des visites guidés autour de Knock Outsider Komiks.
Art Brut et bande dessinée : influences, convergences et sympathies sera une conférence présentée par Erwin Dejasseet Voyage à FranDisco une conférence-performance réalisée par Marcel Schmitz (artiste de La « S ») et Thierry Van Hasselt sur leur projet de mixité homonyme³.
Luana Medeiros
#BandeDessinée
#BDalternative
#ArtOutsider
¹ L’art outsider désigne la création en dehors du circuit traditionnel de l’art. Elle englobe des créateurs marginaux, des autodidactes, souvent provenant d’ateliers artistiques pour personnes porteuses d’un handicap mental ou du milieu psychiatrique.
² Infos pratiques Knock Outsider Komiks
Exposition du 29 septembre 2017 au 28 janvier2018
Art et marges musée
Rue Haute 314, Bruxelles
Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.Fermeture les lundis et les jours fériés officiels.
³Infos pratiques des rencontres
Jeudi 9 novembre 2017
A L’iselp, 18h30-19h45 : Conférences d’Erwin Dejasse, Marcel Schmitt et Thierry Van Hasselt.
Au Art et marges musée, 20h15 : Visite guidée de l’exposition en compagnie des commissaires.Plus d'informations:
http://www.lasgrandatelier.be/
Remerciements à Erwin Dejasse, Sarah Kokot,Thierry Van Hasselt et Tatiana Veress qui ont été interviewés afin de collaborer sur cet article.

L'aviateur et l'enfant
« Antoine de Saint Exupéry : Un Petit Prince parmi les Hommes » : une exposition itinérante jusqu’au 6 novembre 2022 à Bruxelles
Le soleil se couche, la nuit commence, le rêve arrive. Et là, sous vos paupières closes, un enfant, cheveux couleur blé apparait, sa main tendue, comme une invitation au voyage. Vous croisez son regard, ce regard d’enfant qui ne voit bien qu’avec le cœur. Le petit homme vous sourit, son récit peut commencer, l’enfant en vous peut voyager et écouter le récit d’un « petit prince parmi les hommes ».
Image d'intro : Projection sur livre géant entouré de titres de l’auteur / Photos LG
Ce petit prince parmi les hommes, c’est saint Exupéry. Auteur, aviateur, et rêveur. Poète et reporter. Cette exposition parle de lui, mais aussi du petit garçon aux cheveux blés, de cette histoire qu’il a créée. Créée à l’occasion du 120ème anniversaire de l’auteur et du 75ème de son roman phare, cette exposition se tient à Brussels Expo jusqu’au 6 novembre 2022. Ce projet a vu le jour grâce à ses partenaires : La Fondation Antoine De Saint Exupéry Pour La Jeunesse, La succession Consuelo De Saint Exupéry, L’envol des Pionniers, le Musée de l’air et De l’espace - Paris - Le Bourget, et l’INA. Réalité et fiction se mêlent tout au long du parcours guidée, liée par la voix de sa mère, Marie qui raconte des anecdotes sur le petit prince et sur la vie de son fils. Sa voix est parfois interrompue par des témoignages de l’auteur et de ses amis. L’audioguide est un fil conducteur dans ce parcours qui joue sur une alternance de focus sur la vie de Saint-Exupéry et l’histoire du petit prince. Ces deux chemins de vie ne sont-ils pas intimement liés ?
Un parcours rythmé
Vous, rêveurs, déambulez à travers l’exposition, tantôt dans un décor immersif sans grande lecture, tantôt plongé dans les méandres de la vie de Saint-Exupéry imagés par des textes et des images d’archives devant lesquelles vous pouvez vous installer et vous reposer avant de poursuivre.
Plan overview de l'exposition /©Tous droits réservés - Tempora
Un début au cœur du rêve
Sculpture Nazare-Aga / Photos LG
La visite commence : plongé dans une pièce obscure, éclairée par un millier d’étoiles, vous avancez et apercevez des personnages étranges que le petit prince a rencontré en quittant sa rose. Un roi, un vaniteux, un buveur, un allumeur de réverbères, un géographe aussi… Ce dernier lui conseille d’aller sur Terre où il rencontre le renard. Les personnages sont éclairés par une douce lueur bleue. La voix maternelle vous accompagne, elle compte les anecdotes de ces drôles de personnages interprétés en sculpture par Arnaud Nazare-Aga. Le dernier protagoniste rencontré est le mouton. Personnage qu’il a demandé à l’aviateur de dessiner, aviateur qui n’est nul autre que Saint-Exupéry.
Du rêve à la réalité
Saint-Exupéry : on le connait notamment grâce au récit du Petit Prince, mais lui le connait-on vraiment ? Les créateurs de l’exposition se sont posés la question : comment expose-t-on un écrivain ? Selon laquelle de ces deux tendances classiques : montrer ses livres ou parler de sa vie qui a inspiré ses romans ? Ils ont choisi la seconde option en introduisant le propos par une frise chronologique de la vie de l’artiste. Qu’a-t-il vécu avant de disparaitre lors d’une expédition au-dessus de la mer Méditerranée ? Le choix s’est porté sur une exposition immersive, où sont exposés ces ouvrages, et manuscrits, mais avec forts effets de scénographie par des projections, des reconstitutions ; contrairement au musée des arts décoratifs de Paris où à l’image d’une galerie, sont exposés ces manuscrits et dessins réalisés pour l’histoire du petit prince.
L’exposition présente 4 axes : le pilote, l’homme intime, l’humaniste et l’écrivain combattant.
Frise chronologique de la vie de Saint-Exupéry / Photos LG
Le pilote
Grâce à la frise, vous comprenez sa vie d’écrivain et son parcours d’aviateur sont intimement liés. Vous avancez et découvrez sa passion pour l’aviation enfant : il deviendra un des pionniers de l’aviation aéropostale en Afrique et Amérique du Sud. A l’appui, une reconstitution d’avion, des photographies, des carnets de voyages, des affiches de l’aéropostale, un témoignage que l’on peut écouter avec l’audioguide en se plaçant à un endroit précis. Attention à ne pas se décaler lors de l’écoute car vous risquez de passer sur un autre audio automatiquement. Le ton est celui de l’émerveillement que l’auteur ressentait à chaque nouvelle découverte, nouveau paysage. Une invitation au voyage est lancée.
Visiteur écoutant documentaire devant borne audiovisuel / Photos LG
Saint-Exupéry, pilote ? Oui, mais pas seulement. Dans ce domaine, il est également inventeur créatif. Il va participer à augmenter la sécurité des vols par des avancées techniques.
La fatigue commence à arriver, vous apercevez des sièges devant un écran. Ce sont des sièges de cinéma confortables, c’est un clin d’œil au documentaire qui évoque les films auxquels l’auteur a apporté son concours que ce soit en tant que scénariste, ou réalisateur par exemple. Les affiches de ces films le prouvent.
Cette thématique fait la transition entre ses passions et sa personnalité, sa famille et ses amis. Vous êtes maintenant immergés dans des photos, de récits de vie, d’anecdotes, de sa vie d’enfant à sa vie de famille. Des objets sont exposés : des jeux de sociétés qu’il aimait partager avec ses amis. Un instant de joie pour le visiteur avant la tempête qui s’annonce pour la suite du parcours.
La suite conduit sur un terrain plus sinueux, celle d’un écrivain engagé, d’un humaniste, d’un combattant. Le chemin est ponctué de photos, de témoignages sur le régime soviétique, sur la propagande nazie, mais également de l’enrôlement de l’auteur lors de la Seconde Guerre Mondiale.
La dernière salle, celle de son dernier vol, un vol de reconnaissance en 1944 au-dessus de la France est immersive : l’ombre de la mer se projette, autour de vous, des photos de l’auteur, un sourire sur son visage comme un hymne à la vie, et… les décombres de son avion.
Une symbiose
Un accident d’avion, l’aviateur ne rencontre-t-il pas le petit prince après un événement similaire ? Transition par un couloir éclairé d’étoiles vers une bibliothèque tel un mémorial mêlant les mots, les rêves qu’a écrit Saint Exupéry et son histoire. Le dernier sourire de Saint-Exupéry, vous fait alors penser au dernier mot du petit prince à l’aviateur lors de son départ : « Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m'avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir... Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras : "Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire !" ».
Une exposition initiatique
Le parcours est ponctué de questionnements que s’est posé l’auteur, parfois, directement écrits en blanc sur le mur noir, parfois portés par la voix de Marie.
La philosophie du roman et de son auteur
Tout le parcours est lié à un aller-retour entre le petit prince et l’histoire de Saint-Exupéry. Ce parcours est tracé comme un chemin initiatique sur la prise de conscience du monde qui l’entoure et de l’incompréhension qu’il ressent face à sa violence. L’exposition raconte sa vie et questionne sur la limite entre humanité et inhumanité. Celui qui possède la sagesse dans le roman, ce n’est pas un humain, c’est le renard.
L’exposition se clos par une salle « d’interrogations » sur des thèmes chers à l’auteur présenté sous forme d’un atelier interactif. Chaque visiteur, muni de sa télécommande est invité à réagir, choisir une attitude, une réaction parmi celles proposées face à des situations présentées sous format vidéo. Réflexion sur des thèmes intemporelles présentées dans les œuvres de Saint-Exupéry tels que solidarité, spiritualité, amitié, responsabilité et humanité. « Quelle est votre forme de solidarité ? » ; « Quelle est votre humanité ? ». Dispositif intéressant mais qui aurait peut-être mérité d’être plus approfondi avec des questions plus impactantes et qui font davantage réfléchir à notre façon de penser, et d’aborder le monde et les autres. Un façon de nous confronter aux valeurs humaines qui vous importe…
Loona
Pour en savoir plus :
#EXPOSITION #AUTEUR #PETITPRINCE

L'essence de la visite - Steve McCurry, Icons and Women
À Forlì, une petite ville de 100 000 habitants à côté de Bologne, se trouve l’ensemble des Musées San Domenico, l’un des plus beaux exemples de reconversion architecturale réussie d’un ex bâtiment clérical en espace culturel public. L’ancienne église et le cloître qui lui sont annexés ont été complètement rénovés pour y installer deux collections permanentes, l’une d’archéologie, l’autre de beaux-arts, sans compter un espace sur deux étages consacré aux expositions temporaires.
Forlì est une commune qui possède deux raisons principales de fierté : l’Université, qui héberge le Master en Relations Internationales le plus prestigieux d’Italie, et la piadina, un pain spécial typique de la région qui se déguste avec de la charcuterie et un bon verre de vin rouge (un lambrusco, de préférence). Un peu comme sa « grande sœur », Bologne, Forlì est une ville de nourriture pour le corps et pour l’esprit, où la réputation d’un lieu comme les Musées San Domenico n’a pas tardé à se répandre, tant que ses expositions temporaires ont rapidement gagné le statut d’un rendez-vous immanquable pour les habitants, jamais déçus par la qualité de son offre culturelle.
Salle d'entrée du Musée San Domenico - L'ancien réfectoire © L. Zambonelli
C’est à Forlì que j’ai déjà visité, l’été 2015, une magnifique exposition sur Boldini, un peintre du XIXème siècle originaire de la région Emilia-Romagna qui a fait fortune en représentant les femmes de la haute société parisienne. L’architecture classique et les fresques de la Renaissance laisseraient penser que les expositions dédiées au contemporain ne soient pas les bienvenues, mais il ne faut pas se laisser tromper par les apparences. En effet, je suis retournée aux Musées San Domenico pour voir les photographies de Steve McCurry.
Personnage fascinant et inspirateur, McCurry a travaillé pour Time, Life, National Geographic et il est l’archétype du photographe-reporter qui est prêt à mettre en danger sa propre sécurité pour immortaliser un instant magique avec son fidèle Nikon. En accédant à l’espace d’exposition, nous rencontrons d’abord une biographie concise et bilingue (italien et anglais) du photographe américain, avant de nous plonger dans une ambiance sombre et mystérieuse, comme une grotte pleine de nuages noirs desquelles émergent les magnifiques couleurs des images.
Première salle © L. Zambonelli
Telle est l’impression : les photographies sont mises en valeurs comme des soupirs de soulagement au milieu d’un monde hostile. Elles sont accrochées à des morceaux des tissus noirs transparents formant un jeu vraiment hypnotique de multiplication de perspectives qui permet en un seul regard d’apercevoir toutes les photos de la salle. Les seuls textes présents (à l’exception de la biographie sur McCurry déjà citée) sont les légendes des photographies, qui portent le concept de sobriété à une nouvelle échelle : le visiteur pourra y lire le lieu et la date où elles ont été prises, mais rien de plus. Il n’ en a pas besoin.
Pour la plupart, il s’agit de portraits. Le sujet nous regarde dans les yeux depuis l’Inde, l’Éthiopie, l’Italie, l’Afghanistan, Cuba, le Japon, les États-Unis. C’est un dialogue muet qui se met en place entre chaque visiteur et chaque homme, femme ou enfant sur les photos, un miroir qui nous renvoie des images de notre humanité.
Un audio-guide est proposé gratuitement à l’entrée du Musée pour accompagner la visite avec le récit (disponible dans les deux langues, italien et anglais) de la genèse de telle ou telle photographie, que cela soit par hasard ou au contraire le fruit d’une longue mise en scène. Mais au fil des salles, je m’aperçois que les gens, beaucoup plus intéressés par une confrontation personnelle avec les œuvres, tendent à abandonner ce guide virtuel, qui pend d’un air désolé à leur cou.
La scénographie est sobre et la lumière en est la reine : parfois en formant des cadres immatériels autour des photos, parfois en nous guidant gentiment dans l'espace.
Jeu de transparences - deuxième salle © L. Zambonelli
Le parcours physique évolue doucement en harmonie avec les sujets des œuvres, et dans la dernière partie de l’exposition le visiteur a l’impression de recommencer à respirer à pleins poumons devant les magnifiques paysages immortalisés par l’objectif du photographe. Une échelle à barreaux en bois est modulée sous différentes formes (support pour un grand écran sur lequel passe une interview de McCurry ou véritable socle pour accrocher les photographies) peut-être pour symboliser le thème du voyage, très présent dans cette partie.
La scénographie renforce le parti-pris qui se dégage de l’exposition toute entière : il n’y a pas de morale à tirer, ni de message. Même le choix des formats des photographies n’est pas hiérarchisé : une image du 11 Septembre peut faire la taille d’un miroir de poche alors que celle d’un groupe des moines tibétains en prière peut être grande comme une fresque.
Ce sont des fenêtres sur le monde ouvertes par le regard d’un intrépide voyageur, à nous de les remplir de sens. Certains y verront la représentation des injustices humaines, d’autres la beauté de la diversité, d’autres encore apprécieront la virtuosité technique du photographe. C’est l’un des rares cas où il me semble que la quasi-absence du texte soit un choix bien raisonné, assez pour pouvoir contextualiser les images, mais pas trop présent pour ne pas brider la libre interprétation et surtout, pour éveiller la curiosité. À la fin de la visite l’immanquable passage à la boutique confirme cette théorie : les catalogues d’exposition se vendent comme de la glace italienne lors d’une journée d’été, et les réserves de posters sont épuisées !
Qu’est-ce qui fait d’une exposition un succès ? STEVE MCCURRY: Icons and Women n’a pas déployé des dispositifs futuristes, ni mis en place une scénographie hollywoodienne, on dirait la traduction en muséographie de la pensée libérale politique et économique : l’état doit intervenir le moins possible dans la vie des citoyens, il doit être présent mais invisible. La queue devant l’entrée, les commentaires sur le livre d’or, le nombre des visiteurs qui cachent une larme d’émotion devant les œuvres affirment qu’ici, le muséographe (ET scénographe ET architecte) Peter Bottazzi a bien fait son travail.
(Trois jours après avoir visité « McCurry, Icons and Women », j’ai acheté deux manuels de photographie.)
L. Zambonelli
#photographie
#forli
#stevemccurry
À Forlì du 26 Septembre 2015 au 10 Janvier 2016.
Vol Ryanair Bruxelles Charleroi - Bologne : 1 heure 40.
Train régional Bologne Gare Centrale - Forlì : 34 minutes.
Pour en savoir plus :

L’exposition photographique en plein air : enjeux et limites d'un modèle d'exposition contemporain
Alors que les événements de photographie en plein air se multiplient chaque année, quelles nouveaux paradigmes met en place ce type d'exposition ?
Vue de l’exposition « Les expérimentales #2 » proposée par le festival Photo Saint-Germain sur le quai de Solférino en novembre 2023 ©J.N
Photographie en plein air : une offre de plus en plus récurrente
S’il n’est pas nouveau, le succès des expositions de photographie en plein air se confirme. Le Festival photo de La Gacilly par exemple, créé en 2004, accueille désormais 300 000 visiteurs annuels dans une expérience immersive et déambulatoire au cœur du village breton. Dans son texte de présentation, l’événement argue que “l’espace public devient un espace scénique, partagé et accessible à tous, gratuitement. Le Festival peut ainsi se prévaloir d’être suivi par un public de fidèles connaisseurs autant que par un public de complets néophytes.”
Visiteurs au Festival de la Gacilly ©Jean-Michel Niron
Quand la photographie s’installe dans l’espace urbain
Où placer une exposition de photographie en plein air ? Le choix des lieux d’implantation de ce type d’expositions est également intéressant à analyser. On observe bien sûr une forte préférence pour les lieux de passage ou d’affluence : parc, rues fréquentées, quais, gares…
Exposition “Club Ivoire" de François Prost sur les grilles du jardin Villemin lors des Rencontres Photographiques du 10ème en 2023. ©J.N
Le lieu de passage quotidien “ultime”, le métro parisien, est aussi régulièrement utilisé par la RATP elle-même dans le cadre de la programmation “La RATP invite”, en collaboration avec des institutions comme le Jeu de Paume, des festivals comme Circulation(s) ou des magazines comme Fisheye. Créé en 2013, ce programme expose régulièrement des photographes variés ; sur la page consacrée de son site internet, la RATP décrit le choix du médium photographique par le fait qu’il s’agit d’un “art communautaire et d’une forme d'expression artistique accessible au plus grand nombre”. Argument souvent mis en avant dans les programmations liées à la photographie, et complété par les nombreux avantages concrets induits par le médium. L’exposition de photographie en plein air permet en effet de s’émanciper des contraintes habituelles de conservation : reproductibilité des œuvres, techniques résistantes, affranchissement du cadre, accrochage facilité, souvent sur des grilles ou en utilisant des pupitres lestés, qui peuvent être disposés à peu près n’importe où tant que l’autorisation en est donnée. Les événements mettent d’ailleurs généralement en place des partenariats directement avec les collectivités locales, ce qui permet de faciliter largement cette question de l’accrochage dans l’espace public. C’est par exemple le cas de la Biennale de l’Image tangible, soutenue à la fois par la Mairie du 20ème arrondissement et la Mairie de Paris.
Exposition de photographies sur les quais du RER B dans le cadre du Festival Circulation(s) en 2022. ©Hamdi Chref
Certains événements peuvent même investir les supports publicitaires dans l’espace public : c’est le cas de la Biennale de l’Image Tangible qui proposait, à l’automne dernier, des photographies dispersées dans l’est parisien sur des panneaux d’affichage, dans le cadre d’un partenariat avec Clear Channel. Ce type de collaboration peut d’ailleurs poser question, tant un partenariat avec un magnat de l’affichage publicitaire semble éloigné des valeurs d’accessibilité mises en avant par la Biennale autour de cette programmation.
Un panneau d’affichage Clear Channel dans la cadre du projet in situ de la Biennale de l’Image tangible en 2023 ©BIT20 2023
Des expositions réellement accessibles ? Publics et évaluations
Comme vu précédemment, la gratuité est souvent un argument mis en avant dans la communication des expositions de photographie en plein air. De même, ce mode d’exposition peut résoudre le problème de l’effet de seuil, enjeu majeur pour bon nombre de musées. Mais paradoxalement, ce type d’exposition - en dehors des festivals dédiés - n’intègre que très rarement des médiateurs : difficile à mettre en place, la médiation se résume généralement aux textes et aux cartels.
En novembre 2023, le festival Photo Saint-Germain proposait une exposition sur les quais de Seine ©J.N
Autour de cette question, deux visions de ces manifestations peuvent être mises en regard : l’exposition comme un médium, un moyen d’apprentissage ou d’ouverture d’esprit d’une part, et une approche plus sensible d’autre part, où le but n’est pas forcément d’apporter des informations mais de distiller de l’art dans l’espace public. En ce sens, l’exposition photographique en plein air est un médium idéal : relativement simple à mettre en place, se découvrant au détour d’une promenade ou d’un trajet quotidien, elle permet, sinon de sensibiliser, d’habituer les regards à l’observation de la photographie et de désacraliser des pratiques encore élitistes. L’image est là, appartient à chacun, et se prête à autant d’interprétations que de regardeurs, et ce sans la pression “d’être visiteur” impliquée par le cadre du musée.
Jeanne Nicolas
Pour en savoir plus :
- La page dédiée à RATP invite x Festival Circulation(s) : https://www.ratp.fr/groupe-ratp/newsroom/culture/la-ratp-invite-le-festival-circulations-sur-son-reseau
- Le partenariat entre la Biennale de l’Image tangible et Clear Channel : https://bit20.paris/edition-2023/projet-in-situ
- L’exposition de Photo Saint-Germain au Quai de Solférino : http://www.photosaintgermain.com/editions/2023/parcours/quai-de-solferino
#photographie #pleinair #hors-les-murs

La Nuit au Musée ou la solution miracle
« Tout ce qui est dans ce musée n’est-il pas supposé être plus ou moins mort ? » Larry, futur gardien de nuit du Muséum d’Histoire Naturelle de New-York.
2007, j’ai 12 ans. Mon objectif dans la vie : réussir mon interro’ d’anglais et convaincre mes parents d’avoir un téléphone portable. L’histoire, les musées, l’art, le patrimoine…c’est intéressant, oui, mais vite barbant. Je n’ai jusque-là que très peu fréquenté les lieux de culture. J’ai même du mal à me souvenir de ma première visite dans un musée, comme quoi celle-ci ne m’a pas marquée.
Le 7 février de la même année sort dans les salles ce film où les collections du Muséum d’Histoire Naturelle de New York prennent vie à la nuit tombée… Vous savez, ce blockbuster américain où Ben Stiller est le nouveau gardien qui fait face à des papis malfrats en plus de ce phénomène mystérieux. Déjà à cette époque, j’avais été conquise par le principe du film… Qui n’a jamais rêvé de voir des animaux naturalisés, des miniatures ou des statues s’animer et danser sur September d’Earth, Wind and Fire ?
Aujourd’hui, j’ai 22 ans. Mon objectif dans la vie : réussir à écrire cet article et convaincre que l’avenir de la Culture se trouve dans les médiations originales et innovantes. Ma fréquentation et mon esprit critique vis-à-vis des lieux culturels se sont largement accrus. Non, l’histoire, les musées, l’art, le patrimoine ne sont pas barbants, bien au contraire, ils seraient à mon sens aussi intéressants qu’un film américain au pitch déluré et bourré d’effets spéciaux.
En retombant un soir sur Night at the Museum, je me suis demandée si le film donnait une vraie image des musées. Pas d’inquiétude pour ma santé mentale, je sais bien, hélas, que les collections du Muséum de New-York ne prennent pas vie la nuit, quoi que... Tout l’intérêt de la réflexion est le questionnement sur la place et l’image du musée dans le film : le musée comme personnage à part entière, comme prétexte au scénario ou comme simple décor ? C’est aussi l’occasion de donner le premier rôle au gardien, le plus souvent laissé à la discrétion de l’ombre et de la nuit. Grâce à Larry, celui-ci n’est plus le potiche statique et impassible.
La tension entre réalité vécue et fiction tient à l’imaginaire, à l’inconscient collectif. Bref à l’image que l’on se fait du musée. La représentation commune que nous nous faisons se reflète évidemment dans le cinéma où les musées sont présents mais ne sont que rarement utilisé comme la base d’un scénario. Avec La Nuit au Musée, c’est plutôt parlant. Ici le musée est le personnage central du film.

Crédit photo : Allociné
« Tout ce qui est ici est vieux » Cecil Fredericks, ancien veilleur de nuit du musée.
Bien sûr, ce ne sont pas des muséographes qui ont écrit le scénario du film. Celui-ci, réalisé par Shawn Levy, est inspiré du livre éponyme de Milan Trenc. Les deux scénaristes, Thomas Lennon et Robert Ben Garant, sont deux New-Yorkais qui rêvaient étant petits de donner vie aux collections du Muséum qu’ils fréquentaient assidument. Alors, le film s’inscrit pleinement dans l’imaginaire collectif donc dans les idées reçues et les stéréotypes qui collent à la peau du monde muséal.
Après tout, penser à ce qui fait parfois dresser le poil à nous autres, muséologues en herbe, est obligatoire. Tout est une question d’identité et de reconnaissance du musée. Voir dès le début du film son architecture monumentale, ses grands escaliers, ses colonnes, ses immenses salles recouvertes de marbre ou ses œuvres impressionnantes pose le décor. Demandez à la première personne que vous croisez dans la rue de vous décrire l’aspect physique d’un musée… Déjà par son cadre prestigieux et ses colletions qui semblent inaccessibles (incompréhensibles ?) le musée exclut. Avez-vous remarqué comment Larry (le personnage de Ben Stiller) défie le musée et hésite à y entrer ? Écoutez la musique choisie pour ce passage. Oui, pour beaucoup, les musées sont des temples réservés aux élites et ne sont pas faits pour eux.
Deuxième constat : une fois notre personnage passé le pas de la porte, il règne une ambiance très calme, trop calme. Hormis les quelques enfants en visite, les personnes âgées ou les visiteurs perdus, le musée est vide. À croire que cela ne serait pas qu’un phénomène français, surtout lorsque l’on apprend que le Muséum de NY n’a pas de politique tarifaire fixe, chacun est libre de donner ce qu’il veut. Mais, nous ne tarderons pas à avoir l’explication de la crise du musée au moment où le Professeur McPhee, le directeur, fait son entrée sur un agressif « on regarde, on ne touche pas ! ». Cette fois, ce sont les conservateurs de musée qui en prennent pour leur grade et ils ne seront pas déçus. Voyez son accoutrement, un costume trois pièces en tweed marron et d’une chemise pastel rehaussée par une cravate violette. Voilà un look très british, très sage, très coincé. Et son côté acariâtre se révèle de plus en plus lorsqu’il maugrée contre la « populace » ou s’adresse à un parent gentiment « surveillez votre progéniture enfin ! ». Le cadre est donc posé : le public quel qu’il soit n’est pas le bienvenu au musée, tout comme le rêve ou l’humour.
Troisième constat : l’arrivée de Larry comme nouveau gardien s’explique par la volonté de remplacer les trois précédents, nos papis malfrats, par un seul homme. L’un des agents explique alors que le musée se vide de son public (pas étonnant vu le directeur) et perd de l’argent. Triste réalité. Grâce à ces pépés gardiens, le spectateur en apprend un peu plus sur les métiers et pratiques du musée. Bien qu’il ne soit pas en contact direct avec le public, Larry, veilleur de nuit, revalorise l’image des gardiens de musée en général. D’accord, tous les surveillants n’ont pas un aussi joli uniforme ou un si beau matériel (les clés du bâtiment, le manuel de fonctionnement et la torche – pratique pour un gardien de nuit). Il fait aussi la connaissance de Rebecca, la guide du musée qui rédige une thèse sur Sacagewea entre plusieurs visites à des scolaires. Ou encore, lorsque les œuvres se sont échappées dans Central Park, Robin Williams (Théodore Rooselvet) procède à l’inventaire des collections : une autre pratique essentielle dans les institutions muséales.
Après avoir épuisé les stéréotypes qui malgré tout parlent à tout le monde, l’équipe du film s’est aussi permis quelques petits arrangements avec la réalité. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre qu’aucune scène n’avait été tournée au sein même du vrai Muséum d’Histoire Naturelle ! Eh oui, la production n’en a pas eu l’autorisation. Les quelques passages en extérieur ont bien été pris aux abords du musée mais toutes les scènes en intérieur ont été tournées dans des studios à Vancouver où le musée a été reconstitué grandeur nature. Bien que la ressemblance soit frappante quelques petits couacs, volontaires ou non, sont visibles. L’aspect général des salles est plus ou moins fidèles, certaines œuvres / objets s’inspirent des collections mais ne sont pas pour autant des copies. Par exemple, le petit singe Dexter n’a rien à faire dans la salle des mammifères d’Afrique puisque les capucins sont originaires d’Amérique du Sud, la statue de l’île de Pâques (Gum Gum) n’est pas à sa place et s’inspire seulement de la véritable, la zone des pyramides, elle, s’inspire de celle du MET…
« Saisissez-votre chance Larry ! » Théodore Roosevelt, statut de cire du 26ème président des États-Unis.
Finalement, l’équipe n’a fait que construire son musée idéal pour le film et pour le monde. Plus La Nuit au musée se poursuit, plus les spectateurs font face à une image positive du musée. D’abord par les collections prestigieuses mises en valeur par le cadre de la caméra ou par l’intérêt que leur porte Larry lorsqu’il veut apprendre à les connaître. On le voit alors éplucher des livres d’histoire, suivre une visite… Quoi de mieux que de savoir qu’Attila Le Hun était fasciné par la magie pour l’apprivoiser ? Le musée est vu comme un lieu de savoir, de transmission où dialoguent les cultures : au sens propre comme au figuré lorsqu’on assiste à de féroces batailles entre soldats romains et Cow-boys. De plus, dans la philosophie-même du film, on comprend que grâce au musée, l’histoire reste vivante : la statue de cire de Sacagewea ne va-t-elle pas raconter son histoire à celle qui lui dédie ses recherches ?
Visiblement, tout est bien qui finit bien au musée… Le vol (autre fantasme du musée) des papis malfrats est résolu, Larry trouve sa vocation grâce à son ami de cire Théodore Roosevelt, personne n’a été réduit en cendre ou presque... Mais mon passage préféré reste la résolution involontaire de toutes ces péripéties. Lorsque New-York s’éveille le lendemain de la fuite des œuvres, tous croient à un coup de pub du musée. Les traces de Tyrannosaurus Rex dans la neige, les peintures rupestres dans les stations de métro, l’homme des cavernes sur le toit … ont fait venir une foule impressionnante au musée qui se presse pour voir les collections. Cela ne serait-il pas un présage pour l’avenir des lieux culturels ? Voilà que le film souligne l’importance de l’événementiel qui est présenté comme un remède à la crise des musées. Il faut donner envie aux gens d’aller au musée, rendre ces lieux plus attrayants sans tomber dans le spectacle. Face aux nombres de visiteurs se massant dans le hall, le directeur McPhee est d’ailleurs obligé de reconnaitre le succès accidentel de Larry et lui rend son travail. Ne serait-ce pas là la légitimation de l’événementiel au musée ? Tout est une question d’équilibre : ici, le gardien a réussi à attirer les gens au Muséum de façon ludique et originale sans dénaturer le propos scientifique et l’offre culturelle du musée. D’un musée imagé et stéréotypé, nous voici passé à un musée idéal où le public est au rendez-vous, où les gens s’épanouissent et ont soif de savoir. Un musée comme je les aime.
Alors, on fait moins les malins ?
Vous l’avez compris, La Nuit au musée, film populaire, peut être regardé d’un point de vue plus sérieux et ancré dans l’actualité muséale. Je me suis en dernier lieu intéressée à l’acteur qui incarne le musée du film, le Muséum américain d’Histoire Naturelle, afin de savoir si cette production avait changé sa vie. J’ai été ravie de découvrir que oui, le musée a en effet développé son offre culturelle depuis la sortie du premier film…
Depuis deux ans environ, il propose de passer une vraie « Night at the museum ». Plusieurs fois dans l’année, le musée ouvre ses portes à 300 enfants de 6 à 13 ans (accompagnés d’un adulte) à qui il propose (de 18h à 9h) une exploration des collections à la lampe torche, un Live animal Show et une nuit dans le Milstein Hall of Ocean Life sous la grande baleine bleue. Il suffit de se munir de sa brosse à dent, son oreiller et de 145$. Pour les plus peureux, le musée a mis en place un parcours spécial de visite, le Night at the Museum Tour qui invitent les visiteurs à découvrir les œuvres du film ou celles dont il s’est inspiré. Sans aucun doute, les films de Shawn Levy ont eu un impact plus que positif sur sa fréquentation, la programmation du Muséum mais aussi sur la vision globale que l’on peut avoir des musées. Il faut cependant souligner qu’un musée d’histoire naturelle comme un musée de Beaux-Arts se prêtent plus au jeu qu’un musée des techniques…

Crédit photo : Julian Jourdès pour The New-York Times
Pour ma part, le premier musée que je visiterai à New-York sera sans nul doute celui-ci : grâce à La Nuit au Musée. Et vous ?
Lucie Taverne
#Nuit au musée
#Cinéma
#Événementiel
BULLOT Érik, DALLE VACCHEAngela, MICHAUD Philippe-Alain et JOUBERT-LAURENCIN Hervé, « Cinéma et musée : nouvelles temporalités », Perpectives [En ligne], n°1, 2011.
VAN-PRAËT Annie, « L’image du musée dans le cinéma de fiction », Hermès, La Revue, n°61, 2011, p. 61-63.
Le City-trip immobile au Pavillon de l’Arsenal La nouvelle maquette numérique
Qui n’a jamais rêvé de survoler Paris, surplomber tous les quartiers de la capitale, voir toujours plus, explorer la ville dans sa totalité? Le city-trip immobile est maintenant possible au Pavillon de l’Arsenal.
Qui n’a jamais rêvé de survoler Paris, surplomber tous les quartiers de la capitale, voir toujours plus, explorer la ville dans sa totalité ? Le city-tripimmobile est maintenant possible au Pavillon de l’Arsenal. Ré-ouvert le 14décembre 2011, la nouvelle exposition permanente du Pavillon de l’Arsenal, lieu chargé d’exposer l’histoire urbanistique et architecturale de la capitale, intègre une gigantesque maquette numérique « Paris, métropole 2020 », créée par le Pavillon en partenariat avec Google et JC Decaux.
Ce projet de 37m² règne en maître des lieux dans le hall. Aménagé sous la forme d’un patio et centré par rapport à la mezzanine, il cohabite parfaitement avec l’architecture des lieux. Au total, ce sont 4 pupitres tactiles multipoints, 17 ordinateurs, 48 écrans LCD basse consommation, donc 48 Google Earth synchronisés, cent millions de pixels et mille mètres de câbles, qui rassemblent 1300 projets en 2D ou en 3D. Absolument impressionnant, ce dispositif haute technologie, conçu sur le principe cartographique du logiciel Google Earth, procure une expérience interactive unique, ludique et pédagogique. Sur le site internet, vous pouvez admirer la vidéo de l’installation de la maquette. En une minute quarante-cinq, celle-ci montre en accéléré les quelques jours de montage et la complexité du matériel utilisé, nécessitant de s’armer de techniciens expérimentés et d’informaticiens ingénieux.
Ce projet multimédia permet au Pavillon de l’Arsenal de dépasser les limites géographiques de l’ancienne maquette en carton, précédemment à cet emplacement, qui ne reprenait que le centre « construit » de Paris. Actuellement, ce sont plus de 12 000 km² du territoire métropolitain que l’on survole d’un doigt, de 15m à 50km d’altitude, permettant de traverser « les grands territoires de projets en mutation, les nouveaux ou futurs réseaux de transport et les architectures emblématiques de la ville de demain ou déjà en construction dans la métropole parisienne ». L’utopie n’est pas de mise, l’ensemble ne reprend que les projets déjà pourvu d’un permis de construire.
Cette première mondiale donne donc la possibilité unique de présenter simultanément l’existantet le futur d’une agglomération sur Google Earth, pour découvriraujourd’hui les quartiers de demain : voir en 3D les projets de la Philharmonie, des Halles, la fondation Louis Vuitton pour la Création, … . Au travers d’une “navigation libre ou thématique”, elle propose des visites guidées (bientôt disponibles), thématiques – architecture, urbanisme, transports- ou par recherche libre. Facilement manipulable et étonnamment fluide, il faut cependant prendre le temps de comprendre son fonctionnement car le doigté n’est ni celui du MACbook, ni celui connu de Google Earth. Le zoom, l’inclinaison, et la rotation nécessite une dextérité particulière comme de retourner chaque fois en bas de l’écran pour utiliser les flèches et icônes de l’option en question.
Cet outil, permettant bien des surprises, paraît cependant encore bien incomplet. Les principaux bâtiments et monuments y sont déjà modélisés (de la même façon qu’une bonne partie des villes de New-York et de San Francisco l’ont été faites), mais beaucoup de travail attend encore la communauté d’internautes de Google Earth pour lui assurer un ensemble harmonieux et cohérent. Fort heureusement, il a été conçu pour être « constamment et simplement complété et actualisé » car c’est bien un outil commun aux acteurs qui façonnent notre lieu de vie. Terrible challengede rassembler tous les projets d'architecture et d'urbanisme en cours d'élaboration pour donner une pré-vision complètement unifiée.
Ses concepteurs ont la volonté que cet outil soit « accessible à tous, jeunes, étudiants, parisiens et franciliens, professionnels français ou étrangers ». Il ne l’est cependant pas totalement car, certainement par soucis de pureté, il manque de clarté : les noms des rues et des arrondissements ne sont malheureusement pas indiqués, ce qui ne rend pas évident l’orientation. Les fiches techniques sont elles aussi bien inégales dans leurs informations. On trouve parfois une date, parfois une photo, parfois un texte informatif sur le projet, mais bien souvent, elles sont en attente de traitement.
L’application « Paris, métropole 2020 » sera bientôt téléchargeable pour vivre cette expérience chez soi, bien installé dans son divan. La question qui se pose est : qu’offre-t-elle de plus au Pavillon de l’Arsenal ? Sa force première est bel et bien les différents points de vue qu’offre son emplacement. Sa taille monumentale en fait aussi l’élément agréable qui permet de s'accouder à la balustrade de lamezzanine pour se laisser guider par un autre utilisateur, qui mène la barque un étage plus bas.
Cette innovation technologique questionne, comme bien d’autres, l’utilité qu’offrent de tels outils. Pour le moment, ce sont surtout les fantasmes de la transposition des supports qu’elle révèle, s'avérant des limites plutôt qu'un avantage. Le manque de contenu induit cette envie technophile d’attirer, de surcroit avec des grands partenaires tels que Google et JC Decaux. Cette technologie avant-gardiste devrait avant tout être conçue comme un élément de médiation permettant une meilleure accessibilité au contenu. Ne serait-est pas nécessaire d’y amener le jeu pour que les plus petits découvrent et apprennent eux aussi en s’amusant ? Des animations ou diverses vidéos lui permettraient d’acquérir l’ensemble des possibilités et des opportunités du multimédia, complémentaires à l’exposition permanente, réalisée de panneaux traditionnels et exposée sur les murs du Pavillon de l’Arsenal.
Clara Louppe

Le musée, muse du cinéma
Alors que le musée propose aujourd’hui de plus en plus de documents filmiques, intégrant le 7èmeart à ses chefs d’œuvre[1], [2], on peut à l’inverse s’interroger sur la place que prend celui-ci au grand écran. Les représentations que nous avons du musée peuvent en dire beaucoup sur l’imaginaire collectif, les préjugés ou plus positivement les projections dans ce lieu emprunt de poésie, de fantasmes, d’exotisme. Comment le musée est-il mis en œuvre par le cinéma ? Comment un espace de contemplation devient-il une scène "d'action" cinématographique ? Cette sélectionne ne se veut pas exhaustive, mais propose quelques grands angles de regard.
Photogramme du film "L'affaire Thomas Crown" 1999,©UnitedArtists
Le musée, espace de tous les possibles
La place du musée dans le cinéma réside avant tout dans son attachement aux « trésors », à l'objet précieux, érigé au domaine du sacré. Ce lieu si prestigieux, si stable, parfaitement surveillé, contrôlé, suscite un désir de transgression. L'idée de profanation d'un lieu sacré se retrouve aussi bien dans les scénarios de vols d’œuvres d'art que de meurtres au musée.
Pour cette raison le musée constitue l'objet de toutes les convoitises, et l'action s'attachera donc aux moyens mis en place afin de dérober l'œuvre d'art. On comprend donc la quantité impressionnante de long-métrages à suspensposant leur caméra au musée. Toute l’intrigue du film réside alors dans le très long processus de pénétration du musée, et dans l'organisation tout entière, du vol . Les plans qui sont fait du bâtiment mettent en exergue l'aspect prestigieux, colossal de l'architecture, et surtout son caractère institutionnel et inviolable. Cette idée résonne dans « L'affaire Thomas Crown »,film où l'art sort véritablement du tableau à travers des dizaines de figurants arborant le chapeau melon du tableau de Magritte, sauvant ainsi le protagoniste – auteur du vol- de ses assaillants.
(Metropolitan Museum of Art, New York)
Summum du vandalisme ? Agir au musée, et verser sans remords des litres de peinture rouge sur les tableaux les plus prisés du moment. Cet exercice de style, réalisé par Tim Burton, dans « Batman » (1989), montre le terrible Joker invitant cordialement ses acolytes à dégrader les œuvres du musée de Gotham City – et ne s'arrête que lorsqu'il s'agit de Francis Bacon (« J'aime assez celui-là »).
(Musée de Gotham City – fictif)
Dans un registre plus onirique, le musée inspire aussi les cinéastes y trouvant parmi ses collections des objets d’évasion. Le musée demeure ancré dans un imaginaire fantastique, nous permettant, par les objets qu’il contient, de rêver, de voyager, de se projeter dans un autre temps … Ce rapport au musée s'applique d'avantage aux musées d’ethnologie ou d’histoire naturelle : le très connu « La Nuit au Musée » (Shawn Levy, 2006), avec ses 2 millions d'entrées, en est la preuve ! Les statues, dinosaures, animaux naturalisés, etc. viennent alors prendre vie et troublent le bon fonctionnement du musée. Cette liberté d'appropriation du musée se retrouve avec « L'Arche Russe » (Alexandr Sokurov, 2003), dans lequel le spectateur se voit offrir un voyage dans le passé par le biais des 33 pièces du musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg. Film tourné en une seule prise, l'action permet d'aborder au travers des collections 4000 ans d'une histoire russe haute en couleurs.
(Museum Américain d'Histoire Naturelle de New York) (Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg)
Le musée, espace de séduction
Woody Allen et Diane Keaton dans Manhattan, 1979, ©Jack Rollins & Charles H. Joffe Productions
Par son architecture et le comportement qu'il suggère, le musée s'apparente également au miroir des passions humaines. Le visiteur, invité à déambuler parmi les nombreuses pièces et dédales du musée, peut voiret être vu au travers des colonnes, enfilades, statues... Cet espace clôt, hors du monde, semble propice aux errances amoureuses. Woody Allen exploite fréquemment cette dynamique : un grand nombre de ses longs-métrages pose sa caméra au musée . En portant un regard vif sur le milieu intellectuel new-yorkais, le réalisateur emmène les personnages entre flâneries amoureuses et réflexions existentielles. Au travers des réactions que suscite un tableau ou une œuvre, le personnage révèle aussi beaucoup de lui-même : indifférence, surprise, amusement... La rencontre au musée semble alors permettre à chacun de mieux comprendre l'autre, de mieux connaître ses aspirations, ses sensibilités. Pour le réalisateur, l’art est aussi un moyen de revendication et de libération des mœurs. Dans le plus récent « Whatever Works » (2009), une mère de famille très conservatrice se tourne subitement vers l’art contemporain et réalise des collages sexuellement explicites exposés dans une galerie new-yorkaise. Pour Woody Allen, c'est grâce à l'art que nous pouvons revendiquer notre identité politique et sexuelle.
(Musée d'Art Moderne, New York)
Cette représentation se retrouve en écho dans le cinéma plus brutal de Brian de Palma. L'exemple de « Pulsions » (1980) est assez parlant dans la mesure où le musée devient un véritable lieu de rencontres pour une femme malheureuse dans son couple. Voulant s'assurer qu'elle peut encore séduire, le réalisateur la montre alors arpentant pendant de longues minutes les dédales du musée, guettant l'attention et l’intérêt de la gente masculine. Un jeu de cache-cache se joue alors entre Kate Miller et un visiteur anonyme du musée, jeu dans lequel le musée n'est qu'un moyen métaphorique de représenter les rites de séduction.
(Musée des Beaux Arts de Philadelphie)
Le musée, espace d’introspection
Photogramme issu de Sueurs Froides (Vertigo),©ParamountPictures
Enfin, le musée semble incarner pour les cinéastes un lieu d'introspection, de refuge pour des personnages tourmentés, à la recherche de réponses à leurs questionnements. Pourquoi cette projection ?
Ce regard s'explique surtout par la place que le musée occupe dans son rôle de « gardien » de l'histoire et de la mémoire commune. Est-il donc étonnant, en perdant ses repères personnels et son identité, de se « re-trouver » au musée ?
Le meilleur exemple en est sans doute le film culte d'Alfred Hitchcock, « Sueurs froides », où l’héroïne de l'action, Madeleine, une jeune femme psychiquement instable, revient régulièrement au musée pour contempler durant de longues heures le portrait présumé de son arrière-grand-mère. Au delà de l'aspect narratif de ce plan, il apparaît que cette scène est la seule dans laquelle ce personnage semble apaisé, quittant temporairement un monde et une réalité qui la torturent.
(California Palace of the Legion of Honor, San Fransisco)
Desplechin illustre cette idée dans la scène qui clôt « Rois et Reine » (2003). Ismaël, le musicien, erre dans les salles des collections anthropologiques avec Elias, le fils de dix ans de son ancienne compagne. C'est dans cet environnement qu'Ismaël explique à l'enfant qu'il ne peut l'adopter, contrairement aux désirs de sa mère. Métaphoriquement, les collections pleines de passé représentent aussi la transmission de l'adulte à l'enfant, ce rapport à la filiation et les responsabilités qu'elles impliquent. Les plans très serrés sur les visages et les corps des deux personnages ne permettent pas au spectateur de saisir l'ambiance et les collections du musée, et occultent donc le lieu pour servir le propos. Ce cadre d'action participe aussi à l'atmosphère de calme et de sérénité dont la scène est baignée.
(Musée de l'Homme, Palais de Chaillot, Paris)
Ce rapide tour d'horizon du cinéma met en avant la prépondérance des musées de beaux-arts, d'histoire naturelle ou d'ethnologie comme cadre narratif. Par ailleurs, le cinéma s'attache moins aux spécificités du musée dans lequel le film est tourné qu'à son aspect esthétique et symbolique : les émotions que provoque ce lieu intemporel deviennent alors universelles. En dehors de quelques grandes institutions mondialement connues (Le Louvre, Le British Museum, le musée Guggenheim,...), il est souvent impossible d'identifier le lieu du tournage, car le musée n'est qu'un décor mettant en avant le propos du film.
Le cinéma ne vise donc pas à retranscrire parfaitement le discours muséal, la particularité des collections, son aspect éducatif, mais véhicule avant tout une atmosphère, une « aura » . C'est un faire-valoir qui met en lumière le propos de l'œuvre cinématographique.
En continuité avec l'article, un film sorti en 2013 : « Museum Hours » de Jem Cohen. Celui-ci relate l’amitié se tissant progressivement entre un gardien de musée et une visiteuse. Le lieu devient alors prétexte à une réflexion sur la vie, sur le monde, et sur l'art, dans un espace si distant de l'agitation quotidienne.
Alléchés ? Voici une filmographie sélective, parmi laquelle certaines œuvres sont disponibles à la Bibliothèque Universitaire d'Artois ! La liste est longue, en dehors des films américains, russes et français. Amusez vous à chercher la scène de musée du prochain film que vous aurez la chance de voir !
Sueurs froides – Alfred Hitchcock, 1958 (USA)
Bande à part- Jean-LucGodard, 1964 (France)
Annie Hall – Woody Allen, 1977 (USA)
L'affaire Thomas Crown– Norman Jewison, 1968 (USA)
L'affaire Thomas Crown (remake)– John Mc Tiernan, 1999 (USA)
Pulsions – Brian dePalma, 1980 (USA)
Le syndrome de Stendhal– DarioArgento, 1996 (Italie)
L'arche russe - Alexander Sokourov, 2003(Russie)
Rois & Reine – Arnaud Desplechin, 2004(France)
Whatever Works– Woody Allen, 2009 (USA)
Pauline Wittmann
#cinéma
#image du musée
#représentation
[1] « L’image animée est si attractive qu’elle contamine le parcours muséal. » L’extension du domaine de l’art, Michel Guerrin, Le Monde, 29 novembre 2013
[2] Cinéma au Musée : expositions, installations, production Paris, Berlin, New York...Cahiers du Cinéma n°611, Avril 2006

Le robot voit-il ?
Après le monde du hip-hop et les friches industrielles, la Maison Folie de Wazemmes profitait d'un « Fantastic » élan pour nous faire découvrir l'univers de la science-fiction. Sobrement intitulée Science et Fiction, cette exposition, réalisée par la Cité des Sciences et de l'Industrie, en partenariat avec Ankama et Science Fiction Archives, nous proposait jusque mi-janvier un voyage initiatique aux portes de l'irréel.
Retour vers le futur !
© Imaginelf
L'exposition abordait le genre de manière très large, dans le but de faire dialoguer sciences et fiction. Pour les non-initiés à ces mondes remplis de robots, vaisseaux spatiaux et monstres en tous genres, pas de panique ! Si les fans y trouvaient leur compte, les novices n'étaient pas oubliés. Ainsi, en abordant des thèmes précis, le propos général n'était jamais noyé sous un trop-plein d'informations. Du rêve d'alunissage aux sociétés robotisées, le tout illustré par les incontournables du genre que sont les films Stargate, Star Wars ou encore Dune. L'exposition ne surprenait pas dans son discours et même si la partie sur la robotisation de nos sociétés et la multiplication des puces RFID (Radio Frequency Identification) se permettait d'être critique, ce n'est pas là qu'il fallait chercher la force de cette exposition. Mais alors où ?
C'est dans la scénographie que résidait le potentiel de Science et Fiction. Cela paraît évident pour un genre qui a toujours été soigneux de son esthétique (les costumes exposés en témoignent). La scénographie donc, était très travaillée et les jeux de lumière participaient astucieusement à l'immersion du visiteur. Obscurité des lieux, jeux d'ombres, éclairage particulier pour les cartels ; la lumière était un point fort de l'exposition. S'il fallait associer un sens à cette exposition c'est bien la vue qui était mise à l'honneur. Qu'en est-il alors des publics mal ou non-voyants ? C'est à cette question que répondait tout un ensemble d'outils de médiation adaptés à ce public.
© Gentlegeek
En effet, l'éventail des outils utilisés était large. Chose la plus commune peut être, la transcription des cartels en braille. Une grande partie des panneaux introductifs étaient traduits. Dispositif plus rare, le braille était toujours accompagné de motifs en relief qui figuraient les thèmes abordés : combinaison spatiale, fusée, planète, robot, etc. En plus de permettre une meilleure compréhension de l'exposition et d'appuyer les écrits en braille, ce dispositif rendait le lieu accessible à des personnes non voyantes qui ne liraient pas le braille. Ces motifs jouaient, bien sûr, sur les formes des objets et en particulier leurs contours mais aussi sur leur texture. En proposant différents « grains » en relief la représentation spatiale de l'objet était plus aisée. Cela permettait d'appréhender plus facilement les objets mais aussi leur échelle. Dès lors, ce dispositif d'écriture en trois dimensions, couplé aux ambiances sonores du lieu nous plongeait tout entier dans un univers futuriste. Notons que de nombreux visiteurs, qu'ils soient malvoyants ou non, se laissaient aller à cette expérience tactile.
Autre outil de cet ensemble : l'audio-description. L'exposition comportait de nombreuses vidéos. Et même si elle étaient toutes accompagnées d'une voix off, le côté technique de certaines pouvait être incompréhensible sans l'image. L'audiodescription jouait donc un rôle important dans le décryptage de ces vidéos. Elle permettait, par exemple, de mieux apprécier le contexte de chaque vidéo et son environnement. Plus que cela, ce dispositif faisait appel à des images, des représentations qui permettaient à l'individu de ne pas se limiter à une visite sonore des lieux.
Thibault Leonardis

Les photographes au musée : entre pratiques et réglementations
Cet article s’inscrit dans la continuité des réflexions du groupe de travail mis en place par le Ministère de la Culture et piloté alors par Jacqueline Eidelman. De grandes institutions parisiennes, des juristes, des activistes, des chercheurs et le master ont proposé des journées d’étude sur la question au Louvre-Lens en 2013. Grâce aux travaux menés, une Charte nommée Tous photographes ! a vu le jour et une recommandation du Ministère aux institutions a été faite pour favoriser l’usage de la photographie. Ainsi cette Charte est appliquée depuis dans les musées ainsi que dans les monuments nationaux.
Les pratiques des « visiteurs-photographes »
Différents profils observés
Il n’est pas rare lorsqu’on circule dans un musée ou une exposition, d’observer de nombreux comportements face aux œuvres. Nous allons nous intéresser ici aux visiteurs-photographes.
Parmi-eux, Lola, une jeune étudiante en histoire de l’art, accro à son image sur les réseaux sociaux et qui compte bien tirer parti de ces lieux, de la scénographie, des lumières et des décors pour alimenter son compte Instagram. Dans le but de fixer de beaux moments, Lola, est ce qu’on appelle un visiteur-photographe touriste et n’hésite pas à mettre en scène son expérience au musée. Cette jeune fille est venue avec son petit frère Tom âgé de 10 ans, sous sa responsabilité cet après-midi là. En trainant à moitié les pieds, et suivant sa sœur d’espace en espace, Tom s’est mis à prendre lui aussi des photos : une statue grecque représentant Pygmalion, une peinture d’Alizard ressemblant étonnament à une photographie, et quelques détails de tableaux qu’il trouvait amusant de partager avec ses amis. Ce type de profil, selon les études faites de l’équipe de travail citée plus haut, se nomme l’improvisateur. Il utilise l’appareil de son Smartphone, afin de combler son ennui et de paraître plus actif.
Devant lui, près d’une fenêtre donnant sur la cour intérieure, se trouve Alicia et Jeanne. Jeanne est photographe amateur, Alicia est sa meilleure amie et toutes deux apprécient les endroits insolites pour réaliser toujours davantage de portraits. Pour elles, l’aspect vintage du musée des Beaux-arts est intéressant pour la mise en valeur d’un portrait. Tom les observe un instant, troublé par les pauses que prend Alicia face à l’appareil photo. À chaque série de prises, les voilà parties, en quête d’un nouvel endroit. Ces profils s’appellent les « photographes de mode » et leur visite se ponctuent par la réalisation de portraits.
Lucas est considéré comme un boulimique, sa quête est de tout prendre en photographie, du cartel, à l’écriture sur les murs, passant d’une œuvre à une autre. La scénographie comme la muséographie sont ses sujets de prédilections. Seul, dans sa bulle, méticuleux et rigoureux il est très lent dans ses déplacements cherchant à se constituer une mémoire du lieu.
D’un pas plus décidé, dans une volonté de prendre des clichés qu’elle trouve intéressants, Marie, à travers son écran déambule au sein des espaces en passant d’un objet à un autre. Elle fait partie du profil intensif. Elle regrette que son cousin ne l’ait pas accompagnée. Ce dernier se classe dans le profil des reporteurs. Il préfère photographier des événements organisés par le musée. Par contre, sa petite sœur, passionnée par la mise en lumière des œuvres, est venue. Marie sait pertinemment combien la visite sera longue. Sa sœur Lou aime s’imprégner des lieux en prenant le temps de parcourir les salles d’exposition et réaliser la visite dans son intégralité, une fois fini, c’est reparti. Hop elle enchaîne un second parcours en revenant prendre des photographies. Lou reflète le profil du dichotomique. Durant sa déambulation, elle a croisé un caméraman et un photographe qui avaient tous deux l’air professionnel. On les appelle les amateurs experts ou les experts professionnels qui exercent leur maîtrise technique de l’image.
Mais d’autres raisons existent pour sortir son appareil de son sac. Notamment, ceux passionnés d’architecture ou de mobiliers anciens illustrant leur passion par une belle prise d’images.
Toutes ces conduites citées ne font pas toujours partie d’une seule et même catégorie de profil type. En effet, nuançons, leurs pratiques peuvent évoluer avec le temps, d’une proposition scénographique à une autre.
Prise de vue de l'exposition Syncopes et Extases. Vertiges du Temps au Frac Franche-Comté. Une photographie qui prend en compte la scénographie. ©Héloïse Putaud.
On remarque que le cadrage choisi par les visiteurs peut être analysé. Un plan plutôt serré montre une volonté d’isoler l’objet de sa mise en espace. Tandis qu’un plan plus large aura tendance à prendre en considération la scénographie et la muséographie.
Quels sont les bénéfices tirés d’une visite ponctuée par la photographie ?
Faire des prises de vue peut être un facteur de sociabilité entre les visiteurs, entre amis, au sein des membres d’une famille ou d’un couple. En effet, l’angle et les réglages peuvent-être matière à discuter et à stimuler les échanges. Une co-construction de regards se crée alors entre visiteurs au fil de leur parcours. Mais aussi, plus intéressant, une construction d’un jugement propre, sur ce qui vaut la peine d’être pris ou non. Par ailleurs, une part importante est donnée à la mise en valeur de certains objets, grâce aux lumières et à la place qu’ils occupent dans l’espace. Ainsi, le regard porté par l’institution constitue une influence quant à la prise de photographie d’un objet plutôt qu’un autre.
À l’inverse, la prise de clichés peut aussi être un obstacle relationnel. Comme on a pu le constater auprès de Lou ou de Lucas, leur perspective de garder en mémoire l’exposition par des photographies, les isolent plus qu’autre chose. Ils sont focalisés et mènent leur visite solitaire. La prise de vue peut mettre des distances entre les visiteurs même s’ils sont venus à plusieurs. Un simple écran constitue l’obstacle entre deux personnes et peut diminuer les interactions.
Comme le fait si bien Marie, se photographier et se mettre en scène parmi les œuvres d’art est une manière contemporaine d’immortaliser sa présence en ces lieux. De montrer à tous qu’elle voit de ses yeux des photographies de Girault De Prangey. Aujourd’hui, vivre quelque chose est associé à prendre des photos. Et cela est perçu comme une preuve irréfutable de ce que l’on vit. Pourtant, c’est aussi une représentation faussée, améliorée de la réalité. Simplement par le choix d’un angle de vue, d’un cadrage ou de retouches.
Mise en scène d'un visiteur devant l'oeuvre La Vie... Une hésitation (1990) de Marie-Jo Lafontaine, exposition Syncopes et extases. Vertiges du Temps, au Frac Franche-Comté. ©Florine Beligny.
Considérons, alors, que le visiteur, en se mettant lui-même en situation devant une œuvre propose aux yeux de tous sa propre confrontation et rencontre à l’œuvre. La photographie est un excellent moyen de s’approprier et d’accéder à une œuvre. Elle permet à chaque visiteur d’être actif, de proposer son propre discours et son propre regard. Ce qui est facilement observable est l’intention donnée par les visiteurs à réaliser sa propre photo, montrant leur relation avec l’œuvre.
Une attention particulière est portée à la circulation même des visiteurs face aux attitudes des photographes. On a intégré ces pratiques. Par exemple, il est impoli de passer devant une personne qui photographie : on s’arrête puis on circule à nouveau lorsque la prise de vue est effectuée. Toutefois, lorsqu’il y a foule, cette mesure n’est pas toujours respectée.
Au cours de l’histoire, certaines règles régies par l’administration représentent de véritables freins à la prise de photographies au sein des institutions. En 1866, un règlement interdisait de photographier dans les salles car le statut des photographes de l’époque étaient proches de celui des copistes.
Puis entre 1866 et 1947, des règlements se succèdent, pour les musées nationaux. Dans un premier temps, il était interdit de déplacer les objets destinés à la prise de vue. De plus, les photographes étaient soumis à des autorisations (pour 3 mois mais reconductibles et seulement 2 photographes par département) et les créneaux horaires étaient très stricts.
Ensuite, en 1931, les règles se renforcent. Le travail des photographes demande le paiement d’une taxe qui s’élevait à 500 Francs par photographie. Enfin, en 1883, Adolphe Braun obtient un contrat d’exclusivité de 30 ans entre la maison Braun & Ci et les musées nationaux. Il a la tâche de photographier les chefs-d’œuvre du musée du Louvre. Il dispose également d’un atelier et d’un point de vente dans le musée. Puis sans tarder, il obtient le titre de « photographe officiel des monuments nationaux ». Beaucoup de privilèges lui sont accordés et ce contrat est très mal vu des autres du métier.
Ainsi, les contraintes se multiplient (demande d’autorisations, contrainte du créneau, paiement de la taxe) en plus de celle du coût des appareils.
Les institutions face aux pratiques photographiques
Les institutions culturelles qui interdisent l’usage de la photographie sont plutôt rares de nos jours. En effet, la charte Tous photographes !, citée au début a été moteur pour introduire la photographie au sein des structures.
Le groupe Orsay Commonsest un groupe de militants visiteurs activistes qui protestait contre l’interdiction de l’usage de la photographie au Musée d’Orsay. Leurs actions ont été entendues et ont fait polémique. Depuis 2015, le groupe n’est plus actif car leur demande satisfaite, le groupe n’a plus raison d’être.
Il est erroné de dire que l’utilisation du flash par les visiteurs nuit à la bonne conservation de l’objet ou de l’œuvre. En effet, une étude du C2RMF en a relativisé l’impact. Les campagnes faites par les professionnels du musée avec de forts éclairages sont plus problématiques pour les œuvres que ceux d’un flash d’un visiteur. Très peu d’œuvres sont « flashées » en permanence pour que cela pose problème. En revanche, l’interdiction est surtout valable car désagréable pour les autres visiteurs, et qui plus est inutile pour réaliser une photographie de qualité.
Au niveau du confort de visite, les photographes prennent beaucoup d’espace et peuvent gêner les autres visiteurs et ralentir les flux. C’était d’ailleurs le motif implicite de l’interdiction de la pratique à Orsay durant longtemps. Pourtant, le musée d’Orsay insinuait que les visiteurs passaient trop vite d’œuvre en œuvre, sans prendre le temps de les regarder. Or, le nécessaire cadrage pour la prise de vue d’une photographie pousse le visiteur à observer, même si c’est à travers son appareil.
Ce qui est plus embêtant se trouve dans l’usage de la perche à selfie (voir l'article Les expositions, sanctuaires à selfie ?). Elle constitue un problème car prend beaucoup d’espace et peut gêner les autres visiteurs, et des accidents peuvent survenir.
Les institutions ne peuvent pas interdire l’usage de la photographie en soi. Elles peuvent seulement restreindre son usage destiné à une diffusion publique. Ainsi les visiteurs ont le droit de réaliser une photographie d’une œuvre pour leur usage personnel.
Certains établissements estiment que les photographies prises en masse leur permettent une communication et une publicité à ne pas négliger. Elles peuvent développer des publics. Les photographies (même faites par des amateurs) permettent de conserver une trace et de documenter les institutions. Pour une raison de sécurité, la photographie permet de limiter le trafic d’œuvres. Mais aussi le vol car plus l’œuvre est connue, moins il est facile de la vendre.
Aujourd’hui, les institutions ont mis en place des mesures pour intégrer la photographie au sein de leurs murs par le biais d’actions. Des dispositifs muséographiques ont été mis à disposition, notamment à l’exposition Dali, au Centre Pompidou où les visiteurs se prennent en photo sur le sofa lèvre de Dali. Des ateliers sont également mis en place afin d’éduquer « au regard », d’apprendre la technique (les réglages) ou encore par l’intermédiaire d’une proposition artistique. Les concours sont, quant à eux, un moyen d’intégrer la photographie dans un espace et un cadre choisi par l’institution.
Largement intégrée dans nos vies, la photographie au sein des institutions a longtemps fait débat suite à des mesures d’interdiction de son usage. Elle est aujourd’hui une demande sociale forte qui permet de garder un souvenir, de s’approprier une œuvre, de se construire une trace des expositions, ou encore un jugement. Grâce aux appareils portatifs, la prise de clichés garde une mémoire comme preuve de notre vécu. Finalement, vivre quelque chose revient de plus en plus à le regarder sous forme photographique.
Héloïse Putaud
Image de couverture : Exposition en 2019 au Space Junk à Grenoble. Prise de vue avec l’appareil d’un téléphone portable. © Héloïse Putaud
Pour aller plus loin :
https://www.dygest.co/susan-sontag/sur-la-photographie
https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Documentation-administrative/Tous-photographes-!-La-charte-des-bonnes-pratiques-dans-les-etablissements-patrimoniaux
https://journals.openedition.org/ocim/326
https://doc.ocim.fr/LO/LO115/PP.23-30.pdf?fbclid=IwAR2ovkeUEHR0h0kgjCUKH4a62FSOvMeyAyyXm7vO9Q4lJpRSZkdJaAA2XeI
Et toujours l'ouvrage dirigé par Serge Chaumier, Anne Krebs, Mélanie Roustan, Visiteurs photographes au musée, La Documentation française, 2013.
#visiteursphotographes
#relationmuséephotographe

Mercredi jour de pluie
Aujourd'hui, c'est mercredi. Comme chaque personne en vacances, je n’ai pas fait la moitié de ma To do List. Et pourtant, troisième case à cocher et programme du jour : l'exposition Comédies Musicales à la Cité de la Musique.
Dans le train je réfléchis à ce qui m'a donné envie d'aller la voir : élargir mes connaissances sur ce sujet, certes, mais surtout, oui surtout parce que j’espère qu’ils ont intégré West Side Story, comédie musicale que je chéris depuis le lycée. Voilà, c'est ça. C'est West Side Story qui m'amène à Paris. J’arrive Tony !
Mary Poppins © The Walt Disney Pictures
Murs d’affiches de films © L.L.
Sautons dans le contexte de la comédie musicale
Mon billet en poche, je mets le casque de musique qu’on me tend. Je suis immédiatement séduite, le son est bien meilleur que dans des écouteurs. Je fais quelques pas et me retrouve face à un mur d'affiches. Les demoiselles de Rochefort..., La mélodie du Bonheur..., et mon œil s'arrête net sur l'affiche de West Side Story. Ouf ils ne l'ont pas oublié ! La scénographie moquette et salles sombres rappelle l’univers du cinéma. Il y a déjà du monde. Une petite fille s'arrête devant un portant de costumes dissimulé dans un coin et, comme s'il était réservé à des V.I.P., la fillette hésite puis enfile une robe de princesse.
Nous sommes introduits dans l’exposition par la comédie musicale à succès Singin’ in the rain diffusée sur un grand écran ainsi que les nombreux films qui citent cette chanson : même Les Daltons la chantent ! Ce film de 1952 s’inscrit dans les débuts du genre de la comédie musicale à Hollywood. Cette entrée en matière suggère les thèmes de l’exposition : le scénario, la danse, le chant. Je me sens très vite immergée : je me concentre sur chaque son que j’entends. Je perçois Le Prologue de West Side Story dans la grande salle. Beaucoup d’informations sont projetées sur le mur sur l’histoire et l’évolution de la comédie musicale des années 1920 au phénomène La La Land. Les premiers films comportant de la musique diffusaient le son sur des phonographes placés dans la salle de projection, c’est le système du Vitaphone. Puis Le Chanteur de Jazz (1927), premier long-métrage sonore, insère des scènes chantées et des dialogues. C’est ainsi que le musical dans le film fait son apparition. L’apogée de la comédie musicale dans les années 1950 n’est pas ralentie par la guerre froide. Elle est considérée comme un réel divertissement puisque le film Un Américain à Paris reçoit l’Oscar en 1951.
Même s’il subit les restrictions de la censure, ce genre parvient à exprimer des sujets majeurs de l’époque tels que la lutte syndicale et le racisme. En 1973, Jesus Christ Superstar est un opéra-rock sous un air de mouvement hippie. Dès les années 2000 le cinéma développe ses effets visuels et les comédies musicales tendent vers le rêve et l’imaginaire comme dans Le retour de Mary Poppins (2018). A regarder le peu de personnes à mes côtés, il me semble que ce mur présente une quantité trop importante de données, d’autant plus qu’elles défilent chronologiquement et qu’il faut donc attendre le déroulement complet pour avoir un aperçu de cette évolution. Même si l’idée d’une projection est plutôt agréable et varie d’un panneau classique.
Musique, danse, chant, cinéma
Les petites salles qui suivent traitent chacune d’un thème. Celle sur le chant propose d’utiliser notre casque audio. Je n’attends pas très longtemps une place sur le module où on peut déplacer une statuette afin d’entendre chanter des acteurs dans certains films.
Module Les acteurs chantent © L.L.
Le chant est ici travaillé en amont et devient partie prenante du défi du comédien. Je poursuis ma déambulation vers Bernstein et ses compositions, notamment les partitions de West Side Story et Un Jour à New York. Je ne peux dire s’il y a une quelconque chronologie dans l’agencement des espaces car le focus suivant porte sur le succès 2016 : La La Land. Les deux acteurs dansent sur un support en carton tandis que les visiteurs écoutent le réalisateur, inspiré des Parapluies de Cherbourg, mélodrame amoureux de 1964.
Qui a dit pour enfants ?
Une petite salle est réservée au cinéma pour enfants. Je suis plutôt ravie par les planches de dessins préparatoires de Baloo ou de Simplet, mais moins par l’ambiance de la pièce que j’aurais souhaitée plus magique, la plupart des films projetés étant des Disney. Cette salle semble dissimulée dans un coin et n’est pas signalisée, alors qu’elle peut permettre aux enfants de regarder un extrait de film puis de s’interroger sur celui-ci en soulevant des panonceaux questions.
Dessins préparatoires de Disney Enterprises © L.L.
Bienvenue au cinéma
Je suis attirée par la grande salle, avec en son centre une longue banquette pour le visionnage d’extraits de comédies. L’écran surprend par sa longueur et les films sont diffusés chronologiquement par thèmes : après les claquettes de Fred Astaire, on retrouve New York et la tension des clans dans West Side Story. L’air de la fête de La Belle est La Bête est dynamisé par le fractionnement de l’image à l’écran selon le rythme de la chanson. Les images du film de 2017 sont confrontées à celles du dessin d’animation et des dessins originaux.
Grand écran avec images de West Side Story © L.L.
Claquettons ensemble
Derrière moi, on chantonne sur le fameux “lolita” de Maryline Monroe, on claque des doigts, on applaudit même. On peut aussi constater l’importance de la danse et ses effets visuels avec Busby Berkeley. La danse a une part importante dans l’exposition, et dès l’affiche avec la chaussure à claquettes. Dans The Artist, le rôle majeur du chorégraphe a permis une scène de danse culte. Les vidéos des entrainements jusqu’aux images finales affirment la difficulté des acteurs pour apprendre une danse. Chaque visiteur se promène avec son câble du casque audio, cherchant à pouvoir le brancher là où cela lui chante et je croise à nouveau la fillette qui déambule. Je me décide enfin à me diriger vers la petite porte au centre du grand écran, non sans une certaine gêne en pensant à tous ses regards dirigés indirectement vers moi. Ce que je découvre me fait très plaisir. Sur le mode de l’expérimentation, une petite salle mystère nous propose une initiation aux claquettes, avec un professeur présent tout l’après-midi. La moitié de la vingtaine de personnes présentes est sur scène. Dans une ambiance détendue et rythmée, Fabien Ruiz leur apprend une courte chorégraphie sur un fond musical.
Affiche de l’exposition
Ouvrir et réfléchir
La fin de l’exposition m’a semblée décousue car les thèmes abordés ne sont pas toujours en relation immédiate les uns avec les autres. On découvre les costumes de Peau d’âne dans une section réservée aux métiers de créateurs avec de délicates maquettes de costumes. Tout près d’elle, le thème “La comédie musicale à travers le monde” semble nous inviter à approfondir le sujet par des vidéos. Cette thématique aurait-elle dû être plus développée ? Je pense que l’intérêt premier de cette exposition est de refaire vivre les comédies musicales qui ont fait grandir ce genre, les recontextualiser pour mieux les remontrer au public. Cette partie intéressante semble intégrée au reste alors qu’il s’agit d’une ouverture sur le monde qui mérite de questionner le visiteur.
Maquette de costume pour Cyd Chariss dans Tous en scène © L.L.
En sortant de cette exposition, je réalise que j’ai le sourire aux lèvres et que je me pose plein de questions. Elle a réveillé ma curiosité et m’a donné envie de danser et chanter, de regarder les films que je ne connaissais pas et de partager mon ressenti !
Dans la boutique, je croise le monsieur de caméra café : Bruno Solo. Il semble très content de l'exposition et achète l'affiche de Sing'in the rain. C'est la fin de ma visite. Les gens sortent souriants, un catalogue d'exposition ou une affiche sous le bras, et sous la pluie. Et moi j’ai l’air de Sing'in the Rain qui danse dans ma tête.
Lauréline Lefay
Pour en savoir plus :
https://www.cnc.fr/cinema/dossiers/les-comedies-musicales_899184
https://www.universalis.fr/dossier-du-mois/article/la-comedie-musicale/
https://www.francemusique.fr/comedies-musicales

Photos hautes en couleur ! Regard d’un géant sur un monde microscopique.
Le Musée d’histoire naturelle de Lille propose une exposition temporaire de photographies totalement psychédéliques. Depuis le 20 février et jusqu’au 20 mai 2012, la salle qui suit celle consacrée aux mammifères est investie de photographies d’insectes et de plantes géantes signées Gilles Martin.
© Gilles Martin Sauterelle de Costa Rica, exposition Zoom au Musée d’histoire naturelle de Lille
Ce photographe naturaliste excelle dans son domaine en capturant les animaux de toutes espèces, des plus grandes aux infiniment petites. Le portique passé, c’est une explosion de couleurs, de textures et de formes qu’il est rare de croiser dans nos villes et même dans nos campagnes, qui nous envahissent. En se concentrant sur le contenu, ces formes semblent nous présenter les dernières découvertes zoologiques voir même ufologiques. Puis, en se penchant sur les loupes-lampes qui accompagnent chacune de ces photographies, on reconnait grâce à la précision de la taille réelle de ces espèces colorées et si singulières, que ce sont des insectes ! Il ne s’agit donc pas de nouvelles espèces mais bien d’un zoom, comme le titre de l’exposition l’indique, sur ces chères petites bêtes qui nous entourent et qui passent encore trop inaperçues du fait de leur taille minuscule. Le format des images, qui est de 120x180cm pour chacune des photographies, permet aux visiteurs de faire la connaissance d’un monde, de sa faune et de sa flore, encore bien souvent considérés comme répugnants et sans intérêt. Cette exposition de photographies révèle la beauté de ces petits êtres et nous rappelle leur réalité grâce à ces loupes-lampes en les replaçant dans leur état de vulnérabilité due à leur petitesse.
© Gilles MartinLoupe-lampe Exposition Zoom
© Gilles Martin Exposition Zoom
Cette exposition se veut également pédagogique, car au centre de cette salle se trouvent installés des microscopes et des loupes qui nous permettent d’observer des acariens par exemple. Une autre salle, celle-ci accessible uniquement en présence d’un animateur, est également consacrée à l’initiation d’observations aux microscopes ou encore à la loupe binoculaire. L’apprenti biologiste y trouvera son compte !
Les observations que l’on peut effectuer dans la salle d’exposition temporaire sont guidées par des cartels directifs qui posent des énigmes sur les êtres observés au microscope. S’il n’est pas possible d’effectuer un grossissement par soi-même, on est au moins mis dans la posture du chercheur penché sur son microscope, les yeux perdus dans l’infiniment petit, pour ensuite constater grâce à ces cartels fixés à côté des outils d’observation, le résultat de celle-ci.
Cette imbrication de l’observatoire scientifique et de la vision de l’artiste est tout à fait pertinente. L’œil du scientifique décortique un monde magnifique qu’il peine à mettre en lumière, à ce que nous appellerons le « grand public ». L’artiste apporte une vision accompagnatrice de cette pratique du zoom en révélant en taille surdimensionnée les objets d’étude. S’il ne révèle pas la complexité de leur fonctionnement, Gilles Martin met en lumière l’infiniment petit dans le but de faire prendre conscience au public de l’existence de ce microsystème et de l’intérêt qu’il peut susciter pour les chercheurs mais aussi pour les néophytes au sortir de cette exposition ! La manipulation initie les plus jeunes, tout comme les plus grands, à la discipline de la zoologie. Ces manipulations placées au centre d’une série de photographies qui sortent de l’ordinaire, plonge les visiteurs dans un univers insoupçonné.
Pour aller encore plus loin dans l’initiation à l’observation du vivant, les concepteurs de l’exposition ont imaginé un concours qui permettra aux gagnants de remporter l’ouvrage Macrophotographie de Gilles Martin. Il s’agit de retrouver des détails de la collection permanente dans le musée.
Zoomdévoile le monde de la macrophotographie et en même temps de l’entomologie. Cette immersion dans l'infiniment petit surligné par des photographies géantes provoque surprise, étonnement, contemplation, prise de conscience et connaissance. L’œuvre de Martin Gilles est extraordinaire par sa beauté envoutante et surprenante, et mérite véritablement le détour.
Katia Fournier

Pixar, 25 ans d'animation
Cet hiver Buzz l’Éclair, Walle-E et Némo s’invitent au musée de l’ « Art Ludique » grâce à l’exposition « Pixar, 25 ans d’animation », qui se tient à Paris du 16 novembre 2013 au 2 mars 2014.
Crédits : Art Ludique
Lors de son inauguration au Museum of Modern Art de New York en 2006, elle avait permis au musée d’attirer la plusgrande affluence de visiteurs depuis sa création. Elle prend aujourd’hui place dans un musée privé entièrement consacré à l’art contemporain issu de la créationdes mangas, bandes-dessinées ou encore films d’animation ayant marqué notre imagination et influencé notre culture.
Récit, personnages, univers…

Crédits : TF1
L’exposition s’articule autour des trois principaux ingrédients nécessaires à la réalisation d’un bon film d’animation selon John Lasseter, directeur de création du studio : Le récit, les personnages et l’univers. Ces trois parties sont elles-mêmes traitées à travers plusieurs exemples de films, ce qui permet au visiteur de voyager d’un film à l’autre et de vivre une expérience rythmée et diversifiée. Chaque partie est illustrée par différents supports, comme des dessins préparatoires, des croquis, des pastels, des story-boards, des sculptures en résine ou encore des peintures, originaux pour la plupart.
La variété ainsi que le grand nombre de ces supports (plus de 500 œuvres exposées au total) ne dérange pas la visite et permet au contraire d’appréhender rapidement la complexité du travail nécessaire au montage d’un film d’animation. Dans l’une des salles sont par exemple exposés plusieurs croquis montrant l’évolution du personnage de Woody le Cowboy (Toy Story) depuis la toute première idée jusqu’au résultat final. L’accrochage de ces dessins côte-à-côte permet au visiteur de comprendre dès le premier coup d’œil les difficultés techniques et les nombreuses recherches nécessaires à l’élaboration d’un personnage, sans qu’il n’ait besoin de se référer à d’autres supports de médiation.
Les sculptures en résine illustrent la partie sur les personnages. Celles-ci sont en effet utilisées par les créateurs de films d’animation pour permettre aux infographistes de passer du support en deux dimensions (le dessin) à la création d’un personnage entièrement numérique (3D).
La partie traitant de l’Univers s’articule quant à elle autour de grandes études préparatoires de paysages, sur lesquels on peut voir différents essais de couleurs ou de textures.
Où sont passés les textes ?

Crédits : TF1
Le parcours contient très peu de textes. Tous sont traduits en français et en anglais. Cette rareté de supports écrits est compensée par la clarté de la muséographie, qui permet au visiteur d’appréhender l’ensemble des problématiques du film d’animation par sa propre observation des œuvres. Quelques textes viennent cependant tout de même compléter l’ensemble. Une salle d’introduction permet dès l’entrée de comprendre le plan de l’exposition. Cette salle se compose d’un texte d’introduction général de 83 mots, duquel ressortent trois mots en gras : « récit », « personnages », « univers ».
Trois petites stations font écho à ce texte d’introduction et permettent d’expliquer en quelques mots les enjeux liés à chacun de ces trois thèmes. Le visiteur peut donc se projeter dans sa visite dès l’entrée de l’exposition, ce qui rend le parcours plus facile et retarde la fatigue. Quelques citations inscrites aux murs de chaque salle permettent d’apporter de nouveaux indices de lecture au visiteur, en s’appuyant toujours sur les mots et les définitions des créateurs eux-mêmes. Aucun autre texte de salle n’est présent, en dehors des cartels et des titres de films introduisant chaque sous-partie.
Exposition sur le film d’animation ou exposition d’art contemporain ?

Crédits : Le Journal des Deux Rives - Pollux
Les œuvres présentées transportent le visiteur au cœur des films d’animations des studios Pixar en évoquant leurs paysages, leurs personnages ou encore leurs rebondissements, grâce aux différentes planches de story-boards. Mais elles permettent également d’évoquer la technique et le travail nécessaire à leur élaboration. Deux écrans sont donc également présents afin de montrer les différentes étapes de préparation des films, du premier coup de crayon jusqu’à la mise en animation. À ces films s’ajoutent des dessins techniques permettant au visiteur de comprendre l’ensemble du processus de création.
L’exposition s’intègre également parfaitement au Projet Scientifique et Culturel du musée, qui est de promouvoir le travail des artistes contemporains présents derrière chaque création issue du monde de la bande-dessinée, du manga, du jeu-vidéo, du cinéma ou du film d’animation. Le visiteur vit en effet également sa visite comme celle d’une véritable exposition d’art, comme avec les nombreuses réalisations au pastel d’images du film Le Monde de Némo, qui s’observent simplement pour elles-mêmes.
Mélanie BREITFELDER
Exposition : Pixar, 25 ans d'animation
#Pixar, #art ludique, #exposition
Portraits d’intérieurs - une exposition sur tout le monde, pour tout le monde
Vue de l’exposition Jean-Louis Schoellkopf, Exposition Portraits d’intérieurs, 2024, Théâtre du Nord, Lille. ©N.C
L’Institut pour la photographie de Lille étant fermé pour agrandissement et restauration de l’édifice jusqu’en 2026, un important dispositif hors les murs est mis en place. Actuellement, trois expositions sont dispersées dans la métropole lilloise dont Vivantes ! (Le Colysée, Lambersart), Chambre 207 (Musée de l’Hospice Comtesse, Lille) et Portrait d’intérieurs par le photographe Jean-Louis Schoellkopf au Théâtre du Nord. Le théâtre reçoit à lui seul six expositions de l’Institut durant sa fermeture. Incorporées aux espaces communs, ces dernières sont visibles aux horaires d’ouverture du théâtre et en libre accès.
Une fois trouvée, une exposition accessible sur tous les fronts
Tous ces détails tendent à un manque de visibilité, dû à l’architecture du théâtre plus qu’à l’exposition en elle-même, qui est au contraire à féliciter pour son dispositif inclusif. Avant de descendre les quelques marches menant aux premiers panneaux, le·la spectateur·rice ne peut manquer la signalétique indiquant l’accès à des dispositifs inclusifs, mis en place par l’Institut pour la photographie. Le·la visiteur·rice dispose d’un livret Facile À Lire et à Comprendre réalisé en collaboration avec l’association les Papillons Blancs de Roubaix, de trousses sensorielles, ainsi que de deux audiodescriptions dans l’espace d’exposition signalées par un QR code au sol et sur la cimaise.
Pochette sensorielle, table basse comprenant l’image tactile et le livre d’or, le coin repos devant la série Jean-Louis Schoellkopf, Rotterdam, Alexanderpolder (1992), Exposition Portraits d’intérieurs, 2024, Théâtre du Nord, Lille. ©N.C
Enfin, au niveau inférieur, un espace de repos est composé de deux fauteuils, permettant à celleux qui le souhaitent de se poser, suffisamment proche d’une série de photographies pour en discuter.
Jean-Louis Schoellkopf, Portraits d’intérieurs (1990-2008), Exposition Portraits d’intérieurs, 2024, Théâtre du Nord, Lille. ©N.C
Une scénographie sans artifices
L’accrochage de l’exposition semble à première vue… inachevé ? Les photographies sont tenues par deux clous peu enfoncés, seulement plantés aux deux coins supérieurs, entraînant un léger recourbement de la partie inférieure. Par ce choix, la conservatrice Carole Sandrin semble combattre l’immobilité de la photographie, renforcée par les poses statiques prises par les sujets que Jean-Louis Schoellkopf portraiture. Cet accrochage, en principe simple, détonne des expositions où les photographies sont aplanies ou mises à distance par des cadres — pratique de plus en plus courante dans les expositions d’art contemporain.
Vue de l’exposition Jean-Louis Schoellkopf, Portraits d’intérieurs (1990-2008), Exposition Portraits d’intérieurs, 2024, Théâtre du Nord, Lille. ©N.C
Un arrêt sur image, mais pas sur la vie
Informations pratiques :

Qui a peur des femmes photographes ? Le piège d'une approche de la photographie en termes de genre
En France, à partir du 7 novembre à 16h34, les femmes ne sont plus payées. Plusieurs manifestations dénoncent les inégalités salariales entre hommes et femmes. Inégalités présentes dans de nombreux domaines dont celui de l’art et de la culture. L’occasion pour moi de revenir sur une exposition qui a eu lieu en 2016 et qui proposait de replacer à sa juste valeur le travail des femmes, resté dans l’ombre, dans la pratique photographique.
Qui a peur des femmes photographes ? propose d’éclairer le rôle joué par les femmes dans l’histoire et l’évolution du médium photographique. L’exposition suit un déroulement chronologique et thématique. Le travail des femmes photographes entre 1839 et 1919 est présenté au musée de l’Orangerie. La seconde partie, au musée d’Orsay, aborde la période comprise entre 1918 et 1945. L’exposition se réclame d’être l’une des premières à vouloir questionner et replacer la place de la femme dans l’histoire de la photographie. Comment l’exposition retrace-t-elle le travail des femmes photographes sur presque un siècle ? Quel est le parti pris des commissaires ? Et, que retient-on une fois sorti du musée ?
Alice Austen, Julia Martin, Julia Bredt and self dressed up as men, 1891 ©Alice Austen House
Les premières salles sont consacrées à la faune, à l’intime ou à l’enfance pour l’Orangerie et au portrait, à la mode et au nu pour le musée d’Orsay. Ces thèmes sont fondamentalement différents de ceux, plus engagés, des dernières salles sur la guerre, les suffragettes et tout ce qui se rapporte au photoreportage. Il s’agit d’une progression thématique axiologique visant à classer les photographies selon les valeurs qui leurs sont conférées.
Les photographies de sujets considérés comme mineurs sont placées dans les premières salles parmi lesquelles les œuvres intimes de Julia Margareth Cameron telles que Blessingand blessed de 1865 ou des portraits tels que celui de Madame Yevonde par Joan Maude. Les thèmes considérés comme sérieux et engagés sont traités à la fin des expositions. Parmi eux, les œuvres d’Olive Edis réalisées pendant la Première Guerre mondiale et la Vue clandestine de Joanna Szydlowska en 1944. Ce parcours permet aux commissaires d’évoquer une progression thématique dans le travail des femmes photographes.
Cette disposition de l’exposition laisserait supposer que leur singularité et leur émancipation tiendraient uniquement au fait qu’elles ont su se détacher du privé pour photographier l’actualité. Ce qui me pose problème est cette classification subjective et axiologique qui nous amène à considérer l’importance du rôle de la femme dans la photographie à partir du moment où celui-ci se rapproche des sujets photographiés par des hommes. C’est tout le paradoxe de l’exposition. Mettre en avant le travail photographique des femmes mais ne le considérer pleinement accompli que lorsqu’il s’apparente à celui des hommes.
À cela s’ajoute un manque de lisibilité des thématiques des salles. Dans certaines sections, les photographies présentent des sujets si variés qu’il est difficilede comprendre ce que les commissaires ont voulu montrer en les rassemblant. Certes, les textes donnent des éléments de contexte pour comprendre le thème général des salles mais ces derniers ne sont pas toujours accessibles. En effet, souvent placés dans des endroits peu lisibles, les textes explicatifs sont longs et fastidieux. Il est donc dommage de perdre du temps à essayer de trouver une information qui ne s’offre pas de manière spontanée au visiteur. C’est ici que le catalogue intervient pour remplir son rôle de complément scientifique de l’exposition.
La première partie du catalogue rédigé par Guy Cogeval est celle qui me semble la plus pertinente pour comprendre les motivations de l’exposition. Qui a peur des femmes photographes ? serait le fruit d’un questionnement sur la politique culturelle et scientifique du musée d’Orsay au regard de la place occupée par les femmes artistes au sein de l’institution (catalogue, p.12). Le but serait alors d’évaluer et de replacer le travail des femmes dans la pratique photographique selon des critères liés au genre. Il y a donc une dissociation entre la pratique photographique masculine et féminine.
Seulement, l’exposition suit un parcours évolutif à travers le travail des femmes. Le point ultime de cette évolution est justement présenté comme le moment où la pratique féminine se rapproche le plus de celle masculine, à travers la conquête du photoreportage par exemple. C’est une fois de plus paradoxal puisque tout en séparant les genres, l’exposition ne peut s’empêcher d’indexer le travail des femmes sur celui des hommes. Il me semble que c’est, justement, en faisant dialoguer et se confronter les genres que l’on parvient à considérer l’ensemble du travail des femmes, au regard de celui des hommes, comme un ensemble cohérent et consubstantiel.
Mais ce n’est pas la première fois que le musée d’Orsay sépare les genres. Masculin/Masculin.L'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours[1] fitpolémique en 2013 et, inéluctablement, attira de nombreux visiteurs.Il semblerait que ces expositions commerciales s’inscrivent dans une politique qui consiste à aborder des sujets de société, d’actualité, tels que le féminisme, l’homosexualité ou la prostitution[2]. Or, traiter des expositions sur l’homosexualité ou sur la prostitution en termes de genre me semble être lacunaire.
Laure Albin-Guillot, Nu masculin 1935-1939 ©Laure Albin-Guillot / Roger-Viollet
Finalement, le but de l’exposition est partiellement atteint. L’esthétisme et la grâce de certaines photographies comme le magnifique Nu masculin de Laure AlbinGuillot (1935-1939) soulignent le talent de leurs auteurs. Il est impossible de nier la place importante que les femmes occupent dans l’histoire de la photographie. Cependant, l’exposition montre plus qu’elle ne questionne. L’accrochage en ligne est monotone et manque de rythme, ce qui ne sert pas le propos. L’exposition tombe dans une sorte de dichotomie de la masculinité et de la féminité, ce qui ne nous permet pas de replacer le travail des femmes dans un contexte plus général. C’est là tout le risque de considérer l’histoire de la photographie en termes de genre.
M.D
Commissariat général : Ulrich Pohlmann
Commissariat scientifique (Orsay) : Marie Robert
Commissariat scientifique (Orangerie) : Thomas Galifot
#equalpay
#photographie
#musée d’Orsay
Qui a peur des femmesphotographes ? du14 octobre 2015 au 24 janvier 2016
1ère partie : 1839-1919 (Orangerie) : http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-generale/article/qui-a-peur-des-femmes-photographes-42675.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=252&cHash=a73bf3d30a
2e partie : 1918 -1945(Orsay) : http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-generale/article/qui-a-peur-des-femmes-photographes-42673.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=252&cHash=69a4cec919
[1] Masculin/Masculin. L'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours,24 septembre 2013 - 12 janvier 2014, Musée d’Orsay, Guy Cogeval, Ophélie Ferlier, Xavier Rey, Ulrich Pohlmann, Tobias G. Natter
[2] Splendeurs et misères. Images de la prostitution,1850-1910, 22 septembre 2015 - 17 janvier 2016, Musée d’Orsay, Marie Robert, IsoldePludermacher, Richard Thomson, Nienke Bakker

Raymond Depardon, un voyage haut en couleur !
« Je ne savais pas que j’étais un photographe de la couleur
Elle était pourtant là. Dès les premières images »
Crédits : Lilia Khadri
La photographie, un art qui touche un large public
Le Grand Palais présente en ce moment une rétrospective des photographies en couleur de Raymond Depardon. Cet artiste, né en 1942, est connu pour son travail en tant que scénariste, réalisateur de films documentaires, journaliste et photographe.Il est membre de la coopération internationale photographique Magnum Photo qui est partenaire de l’exposition. Jusqu’ici seules ses photographies en noir et blanc étaient principalement connues du public, c’est pour cela que le Grand Palais a souhaité innover en présentant uniquement ses œuvres colorées, prises entre les années 1960 et nos jours, aux quatre coins du globe. En route pour le grand voyage !

Une scénographie lisse - Crédits : Lilia Khadri
L’exposition est séquencée en différentes thématiques. Elle débute par une série de photographies prises dans la ferme familiale du photographe et en France. Avec la série sur Glasgow, le propos est élargi. L’échelle s’agrandit lorsque les séquences présentent des pays tels que le Chili et le Liban. Puis on arrive délicatement au « moment si doux » très coloré qui représente un panel de photographies prises dans divers pays comme le Tchad, l’Ethiopie, la Bolivie ou encore l’Equateur et Hawaï. Le photographe fait un focus sur l’humain, la nature, les grands espaces ruraux, les intérieurs. Son leitmotiv est de capter le réel. Le public découvre Depardon-novice, Depardon-reporter et Depardon-chercheur de couleurs.

Une simplicité touchante, une couleur étincelante Crédits : Lilia Khadri
« La découverte de photos inédites en couleur (anciennes et récentes) et mes nouvelles prises de vues donnent un regard sur des thèmes importants pour moi : les grands espaces et la solitude des villes. L’exposition reflétera ma vision personnelle dans des lieux très différents mais unis par une grande douceur des couleurs. »
C’est une exposition intimiste à laquelle on assiste. Elle est petite et se déploie ausein d’une seule salle. La douce luminosité nous incite à entrer au sein de l’exposition. La scénographie est très épurée, simple et élégante. Les photographies sont sublimes, les couleurs étincelantes et la lumière incroyable. Au sein des expositions de photographie il est agréable de trouver une scénographie simple et épurée et le Grand Palais l’a compris. Les œuvres sont mises en valeur en étant disposées sur un mur aux tons blancs-gris et leurs cadres de bois sont simples et discrets.

L’humain au centre de l’Œuvre Crédits : Lilia Khadri
Elles dégagent une grande beauté de part des aspects esthétiques, humains et émouvants.Toutes ces images nous invitent à l’évasion, au voyage et à la découverte de l’Autre. Les 160 photographies exposées sont inédites et n’ont jamais été publiées à présent ce qui renforce l’idée de découverte intime avec l’œuvre du photographe. Depardon est retourné dans des pays qu’il affectionne pour nous offrir des clichés inédits pour cette exposition.
Cette exposition présente quelques aspects muséographiques plutôt innovants.

Crédits : Lilia Khadri
Les cartels présentant les œuvres se situent au niveau des plaintes murale set comprennent uniquement le nom de l’œuvre, la date et la ville. Cela est amplement suffisant, cela permet à chaque personne de ne pas être noyée par un trop plein d’informations et de retenir le nécessaire. Cependant il aurait été intéressant de trouver au sein de l’exposition la description de l’évolution de la technique utilisée par l’artiste. Avec l’évolution des nouvelles technologies, s’est-il muni de différents appareils ?
Les textes concis présentant les séquences sont dotés une police très originale, en noir et blanc, sa passion d’origine, ce qui les rend très signifiants.
De plus ces textes sont écrits à la première personne, avec modestie et émotion, le photographe nous explique ses démarches et ceci le rend proche du public.
Un petit manque à noter serait un texte introductif présentant l’artiste et sa vie en début d’exposition. Cela ne va pas de soi, en entendant le nom de l’artiste nous ne nous disons pas forcément « Depardon ! Evidemment que je le connais ! Ça tombe sous le sens ! ».
Une exposition certes bien courte mais qui vaut le coup. On en ressort avec des couleurs plein les yeux et une envie de faire notre valise sur le champ ! Et on a passé un doux moment. Un seul conseil : n’y allez pas en heure de pointe, la circulation est bien complexe !
Lilia Khadri

Réinventer Calais
J’écris cet article le vendredi 1er novembre 2019, à l’heure où la crise migratoire fait partie du paysage quotidien, dans les journaux français. Nous sommes englués dans cet état anxiogène où les images qui nous sont proposées se font de plus en plus violentes, de plus en plus choquantes, pour alimenter ce besoin de se savoir bien au chaud, chez soi. Ça fait trois ans que la jungle de Calais est démantelée. Il est temps de poser un regard neuf sur cette autre urbanité, sur cette cité impensable de tous les possibles et sur les humains qui l’ont habitée. Ce regard neuf, c’est le Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU) et le Cnap qui le commandent à huit photographes entre 2015 et 2016. Lofti Benyelles, Claire Chevrier, Jean Larive, Elisa Larvego, Laurent Malone, André Mérian, Gilles Reynaldi et Aimée Thirion, qui ont travaillé à changer de point de vue sur Calais, la ville, la jungle, les habitants. Le Centre photographique d’Ile de France (CPIF) s’empare des images du Cnap et expose Réinventer Calais pour lutter contre la sur-représentation du pire dans les médias dont la jungle de Calais a fait les frais.
L’humain au cœur du sujet
Gilles Reynaldy - exposition Réinventer Calais © Sophie Delmas
Dès le hall d’entrée du CPIF, on rentre dans la jungle par l’œuvre de Gilles Reynaldy, où il n’y a qu’une photographie encadrée, au-dessus d’une table où est posé un journal. Une chaise nous invite à prendre le temps de le feuilleter. La photographie montre un terrain piétiné, recouvert de traces d’un départ précipité. C’est juste après le démantèlement. On imagine et on ressent tout le mouvement qui a été là, on le voit presque en accéléré, du début à la fin comme dans un film. Une note du photographe accompagne ses photos, au tout début du journal, le besoin vital d’écrire son ressenti de la première arrivée à Calais. On ne sait pas bien d’ailleurs s’il s’adresse réellement à nous. Est-ce qu’on regarde une page de son journal intime qu’il a décidé de partager ou est-ce bien une note d’intention pour éclairer son travail ? Les photos de Gilles Reynaldy emmènent directement au cœur de la jungle, dans ses habitudes et ses habitants, ses cultures et son quotidien. Que ce soit sur la couverture du journal ou dans la photo au dessus, l’humain est absent, tandis que dans les pages se dévoile l’intimité des gens et des gestes. Partage des instants de complicité, de confiance et de proximité entre humains, où on ne sait pas qui est l’étranger de qui.
Claire Chevrier - exposition Réinventer Calais © Sophie Delmas
Plus loin, Elisa Larvego s’est demandé s’il était bien nécessaire de montrer encore des images de Calais pour parler de la crise des flux migratoires. Les bénévoles étant les grands absents de ces images, elle a interrogé leur rapport avec les réfugiés, et l’environnement de la jungle. Sur son site internet, l’artiste dit que ses images « sèment le doute sur le statut des personnes présentées, ne précisant pas leur rôle d’aidant ou d’aidé et montrant par là-même l’absurdité d’une identité qui entrave ou qui libère selon son lieu d’origine. »
La part du rêve
Quelques photographes tirent un parti pris poétique et sortent du cadre documentaire et du style photo-journalistique. Claire Chevrier, qui a décidé de ne pas rentrer dans Calais, a exploré la narration, le voyage à travers la vitre d’un camion, qu’elle appelle Ley Land. Elle photographie ce qu’on voit tous les jours et qu’on ne regarde plus, comme on s’habitue aux images extrêmement violentes et anxiogènes imposées par les médias. Elle montre les lieux de passage, les ferrys, gares, tunnels, des ZAC, et depuis son camion elle photographie d’autres camions, ceux dans lesquels des humains se cachent et tentent de passer la frontière. Le paysage va vite et s’étire au loin, avec la mer tout au fond. Elle emprunte de longs passages du livre de Marguerite Duras Le Camion, et du film éponyme où l’écrivain lit des passages de son livre, avec Gérard Depardieu, dans un camion. Le passage de la photo au roman photo avec le texte donne un nouveau statut aux images, et une place au rêve.
Le rêve, on y goute avec Jean Larive et le Calais des Oiseaux. On ne croise pas un seul visage, mais beaucoup de gens, des mains qui jouent, un torse tatoué puis les oiseaux. Il y a les vrais oiseaux, les mouettes et goélands de Calais qui sont accrochés bien haut, à l’écart, puis dans le même petit format mais plus bas sur le mur, les oiseaux-hommes. Ils sont comme des sportifs aux Jeux Olympiques. C’est très graphique, le corps est transformé, les lignes sont fortes. Les corps ne sont plus des corps mais des oiseaux sur leur perchoirs et prêts à l’envol, à s’éloigner de la mer et à gagner la liberté.
Jean Larive - exposition Réinventer Calais ©S ophie Delmas
Ce qu’il en reste
Le parcours se termine par une main imprimée en très grand format qui invite le spectateur à rentrer dans une salle obscure dans laquelle est projeté un diaporama d’images. A travers 110 objets sauvés d’une cité en devenir, détruite en quelques jours de novembre 2016 par la ville de Calais et le gouvernement français, Laurent Malone saisit les débris de la vie quotidienne des habitants de cette cité, et les décrit comme les « vestiges d’hier, […] voués à devenir les pièces archéologiques de demain ». Toutes les images suivent le même protocole, une éponge, une boîte de sardines, des cartes à jouer, et tout a l’air déterré, figé dans sa dernière utilisation. La pièce est noire, intime, invite au recueillement. Plongés dans ces images et dans son imaginaire, on entend presque le déclic des diapositives.
Tout le long de l’exposition, on sent la volonté forte des photographes de se tenir à distance du sujet, de ne pas mal le traiter, de ne pas « rajouter une couche » à toutes les images que la machine médiatique a produite, de ne pas être un photographe dans la cohorte des journalistes, et de respecter les habitants. Il y a à la fois l’envie de détourner les yeux et son impossibilité : il faut montrer, mais il faut montrer autrement. La jungleurbaine de Calais à son apogée a été un avant-goût de l’enfer sur terre, mais aussi un témoignage de la volonté de créer une vie ensemble et de faire société.
Laurent Malone - exposition Réinventer Calais ©Sophie Delmas
Sophie Delmas
Réinventer Calais, une exposition collective au Centre photographique d’Ile de France, dans le cadre de la manifestation L’engagement, en partenariat avec le Centre national des arts plastiques, visible jusqu’au 22 décembre 2019.
#photographie
#calais
#jungle

Rencontre du troisième regard
À la promesse de réouverture au 16 décembre pour les musées français, bon nombre d’expositions ont été montées, prêtes à être découvertes par le public à grands renfort de gel hydroalcoolique.
Parmi ces expositions installées mais fermées au public, il y a Le Regard d’Hélène. Au cœur du Palais des Beaux-Arts de Lille, la photographe Hélène Marcoz propose un dialogue entre ses images et les œuvres du parcours permanent. C’est Jean-Marie Dautel, commissaire de l’exposition, qui m’a accompagnée pour cette visite, l’occasion d’un riche échange autour du regard porté sur l’image photographique :
« - La photo, c’est aussi des goûts qu'on apprend à aimer. Il faut savoir aussi que je n'emploie jamais le mot photo, j'emploie toujours le mot image.
Il me montre Sainte Marie-Madeleine en extase de Rubens, devant laquelle nous sommes assis,
- Vous voyez, c'est une photo, c'est une image. Le processus, le raisonnement est le même. Je me trompe peut-être et il y aura toujours un historien de la photo pour dire le contraire. Mais pour moi c'est la même chose, une photo se compose exactement de la même manière que Rubens a fait pour composer sa mort de la vierge. On va voir la première photo d'Hélène ? »
Le regard d’Hélène : le regard d’Hélène Marcoz
Le regard d’Hélène… pour Jean-Marie Dautel est un titre qui fait référence à Rhomer, au film Le genou de Claire. Mais c’est surtout le terme de « regard » qui m’intéresse. Le regard, c’est ce qui émane des images d’Hélène, c’est ce qui m’attrape, et pourtant, rares sont les visages photographiés. Utiliser le terme de « regard », c’est aussi ce qu’on peut mettre « en regard de » c’est à dire « à côté de » et ça c’est la véritable vision qu’Hélène a apportée, c’est son regard sur le musée, sur les rapports de construction de composition entre peinture et photographie, et enfin le regard qu’elle porte sur les visiteurs.
Les premières photographies sont distillées dans le parcours permanent, installées proches des peintures au gré des associations thématiques et graphiques. Ce sont des images tirées de séries réalisées entre 1998 et 2020. Jean-Marie Dautel m’explique que les choix de positionnements se sont faits en totale harmonie avec l’artiste.
« - Là où c'est une très belle expérience, c'est que tout ce qu'elle a proposé, c'est exactement ce que moi aussi j'aurais proposé. »
Il est clair qu’aucun positionnement n’est anodin, et cela se ressent très fort une fois face à l’œuvre. Le regard ne s’arrête pas aux bords de l’image, il glisse et s’égare sur le mur et les toiles de maîtres à côté desquelles Hélène Marcoz a installé sa photographie. L’image par laquelle je débute mon parcours est un bouquet de lys blanc, de la série Still Alive accrochée à côté d’une vanité de Van Hemessen. De loin c’est un simple bouquet, rien de bien compliqué. Je m’approche, et me fais surprendre par sa réelle complexité : c’est une image multiple, qui semble très animée pour une nature morte !
Je m’interroge sur l’apparente simplicité des images comparé au travail accompli et Jean-Marie Dautel abonde : « - elles paraissent évidentes ! Mais souvent - je m'en suis rendu compte au fil des années dans mon métier - plus une chose est simple, plus en réalité derrière y'a du boulot ! Il y a énormément de boulot pour obtenir la simplicité.
- Un travail bien fait est un travail qui ne se voit pas.
- Oui. Exactement ! Effectivement c'est un vase de forme globulaire avec des fleurs, on pourrait très bien ne lire cette photo que comme ça, mais en réalité ça va beaucoup plus loin, il faut s'approcher, il faut regarder, et il faut prendre le temps de regarder pour s'apercevoir que c'est une vanité.
- Au regard d'une vanité.
- Au regard d'une vanité, qui la regarde. Exactement. C’est ça aussi, le regard. »
Still alive, Lys blanc, 2010, ©Hélène Marcoz
Le regard d’Hélène, Palais des Beaux-Arts de Lille, 2020-2021 ©Jean-Marie Dautel
« - Le procédé photographique qu'elle a depuis de très nombreuses années, c'est de la surexposition. Grosso modo, cela peut prendre une à deux semaines de prises de vues : dans son atelier, elle fait son éclairage, règle son trépied, son appareil est posé. Elle ne touche plus à rien et laisse faire le temps. Première prise de vue, elle revient deux ou trois jours après, deuxième prise de vue, et ainsi de suite. Ce qui fait qu'en une seule image, il y en a plusieurs - un peu comme Muybridge ou Marey. La vie qui coule, la vie qui passe. Les fleurs s'affaissent, un pétale qui disparait, dans certains vases on voit même le niveau d'eau qui descend. »
Etienne-Jules Marey, Arab Horse Gallup, 1887 ©CC
Les images d’Hélène rappellent beaucoup la chronophotographie, mais cette technique a été appliquée pour pousser à bout la technique photographique, et décomposer un mouvement rapide, qui ne pouvait être vu à l’œil nu (le galop d’un cheval pour Etienne-Jules Marey). Ici Hélène œuvre sur la chronophotographie du lent, de ce qui ne se voit pas, non pas parce cela va trop vite, par ce qu’on ne prend pas le temps de le regarder. Dans le fond, c’est aussi un éloge à l’attente, à la lenteur, en accéléré. En une image il y a deux semaines de temps. Que ce soit dans sa série Still Alive ou Concrete Jungle (où elle capture la course du soleil) c’est une sensation, une surprise au-delà de l’image, qui nous est offerte.
Les associations à faire sont multiples, tout aussi évidentes que subtiles. Plus loin, une seconde nature morte - des cosmos - à côté d’un bouquet de roses peint par Vuillard. Ces deux bouquets semblent identiques, même techniquement, c’en est troublant. Que ce soit graphiquement ou thématiquement, les liens sont là. À côté d’un paysage de marine, il y a un drapeau de sa série Au vent. Le rapport semble évident entre le drapeau et les voiles des bateaux sur la mer, gonflées par le vent annonçant une tempête dans le port. L’association graphique ne vient que dans un second temps, grâce aux ciels : dans les deux images il y a un petit trou de ciel bleu et un nuage très sombre. Les ciels sont aussi dramatiques et travaillés dans la peinture que dans sa photo, soulignant le soin qu’a pris Hélène Marcoz pour choisir et positionner ses images.
Le regard d’Hélène, Palais des Beaux-Arts de Lille, 2020-2021 ©Jean-Marie Dautel
Le regard d’Hélène, Palais des Beaux-Arts de Lille, 2020-2021 ©Jean-Marie Dautel
Dans une autre salle, une vidéo, d’une durée de 10 minutes, est un plan fixe du parc Vauban, à Lille, une brise printanière irise la surface de l’étang et joue entre les feuilles des bambous, un héron passe… Les toiles accrochées au-dessus, à côté sont des paysages romantiques que je n’aurais pas pris le temps de regarder aussi longuement s’il n’y avait pas eu cette vidéo. Surprise : c’est l’hiver ! L’étang est gelé, et les arbres nus. Puis l’herbe verdit à nouveau et le ciel se dégage mais l’étang est toujours gelé… Hélène Marcoz a réussi le tour de force technique de faire passer les quatre saisons en un seul temps.
Le regard d’Hélène, Palais des Beaux-Arts de Lille, 2020-2021 ©Jean-Marie Dautel
Après
D’après Barthel Bruyn, 2019 ©Hélène Marcoz
C’est enfin au sous-sol, dans le grand couloir devant l’entrée des plans-reliefs, que se visite la série D’après. Commencée en 2018 et toujours en cours, ce sont les images que les visiteur·euse·s s’attendent le plus à voir, le PBA ayant pensé toute la communication de l’exposition autour de cette série. C’est encore la question de son regard sur le musée qu’Hélène expose, mais loin de l’installation formelle des œuvres les unes par rapport aux autres, elle fait rentrer cette interrogation dans le cœur de son œuvre.
« - Pour série D'après, est ce qu'on met les œuvres de sa série en regard des tableaux originaux ? On s'est posés la question, mais on s'est tous les deux dit « non, ça serait trop littéraire ». Est-ce que dans ce cas on ne présenterait pas une seule des œuvres du musée avec la série D'après ?
- Que vous auriez descendu dans la galerie devant les plans reliefs ?
- Oui pourquoi pas, mais on ne l'a pas fait et je trouve qu'on a eu raison. Quand quelque chose se suffit à soi-même on n'a pas besoin d'en rajouter. Il faut arrêter de croire que Mr. et Mme Lambda sont complètement cons, Mr. et Mme Lambda ils comprennent. S'ils ne comprennent pas c'est pas grave, ils ont une belle vision devant eux. Donc la série D'après est bien isolée, sans regard avec les œuvres originales qui, de toute façon, sont sur la photo. »
Sa recherche pour que la technique photographique réponde à une idée conceptuelle fait mouche. C’est une rare satisfaction que de regarder la permanence des toiles et l’évanescence des personnages.
Le regard d’Hélène, Palais des Beaux-Arts de Lille, 2020-2021 ©Jean-Marie Dautel
Tout est sensible dans ces images, chaque détail tombe juste et les modèles résonnent avec les peintures. C’est doux et intime, un regard à la volée d’une personne qui danse avec l’œuvre, qui joue dans l’œuvre.
D’après Giuseppe Ribéra, et détail, 2018 ©Hélène Marcoz
Je me sens dans et hors de l’image, je comprends que l’œuvre reste et que moi, je pars. Les œuvres d’art ne font-elles œuvre qu’une fois exposées et regardées ? Ce travail c’est la recherche de la rémanence de l’art dans la mémoire, mais aussi celle des visiteur·euse·s au sein des musées.
Ceci n’est pas un catalogue
Avec le concours du Palais des Beaux-Arts, Hélène Marcoz a pu réaliser une publication où l’exposition devient en fait un prétexte à une réflexion sur le rapport entre la peinture et la photographie. Ce n’est pas un catalogue d’exposition mais bien un ouvrage pour penser et repenser, encore, la photographie et ses enjeux dans les musées. Les différent·e·s auteurs et autrices lèvent ici la question de la naissance du regard photographique, de ce que la photographie et la peinture s’échangent et s’apportent mutuellement au gré des mouvements artistiques. « - On a sollicité des auteurs comme Dominique De Font-Réaulx — Conservatrice générale du Musée du Louvre — qui s'interroge depuis une 20aine d'années sur la relation peinture-photo. Hélène a demandé à Héloise Conésa — conservatrice à la BNF, responsable des collections contemporaines, Sonia Cheval-Floriant — sémiologue. C’est un beau prétexte pour que des gens puissent réfléchir[à travers leurs recherches et le travail d’Hélène] sur le musée en tant qu'objet photographiable. »
Sophie Delmas
L’artiste photographe, avec le PBA, met à disposition une série de six vidéos sur l’exposition, diffusées au fur et à mesure du temps de l’exposition, pour permettre à tou·s·tes d’avoir un peu du regard d’Hélène.
C’est une visite privée où elle parle de son travail et des procédés mis en place dans sa pratique de la photographie. On peut les retrouver la série complète sur la plateforme Viméo, sur laquelle elle publie aussi ses œuvres vidéos : https://vimeo.com/helenemarcoz/videos
L’ensemble de ses travaux est disponible sur son site internet : http://helenemarcoz.fr/
L’exposition sur le site du Palais des Beaux-Arts : https://pba.lille.fr/Agenda/Le-Regard-d-Helene
Merci à Jean-Marie Dautel qui a rendu ce croisement de regards possible.
Rencontrez les Divas à l'Institut du Monde Arabe - point de vue d'Elise
L’exposition Divas a fait de l'œil à Elise et Marco qui l’ont vu de concert sans le savoir. L’occasion était trop belle pour ne pas comparer leur point de vue. Écrits entre quatres yeux, ces deux articles montrent que malgré deux visites différentes, leurs impressions sont au diapason. Au regard de nos compte-rendus, vous pouvez aller voir cette exposition les yeux fermés … et les oreilles grandes ouvertes !
Image d'en-tête : Tenues de scène, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF
Le week-end du 22 et 23 mai 2021, les Français.e.s pouvaient courir les bars ou visiter des expositions fraîchement réouvertes. Moi, j'étais au musée. En plus, il pleuvait à Paris : la perspective de finir trempée devant une bière ne m'enchantait guère. Les belles expositions ne manquaient pas et on peut dire que j'avais l'embarras du choix. Je me suis donc décidée pour l'exposition “Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida”. Le samedi, munie de mon billet, je me dirige vers l'Institut du Monde Arabe. Non sans jouer des coudes, je découvre cette exposition sonore et colorée qui dresse les portraits de grandes chanteuses et actrices. L’exposition se déploie sur 1000 m² répartis sur deux étages. Elle suit un parcours chronologique de 1920 à nos jours, avec en toile de fond le contexte historique et politique de l’époque. “ Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida” est une exposition signée Hanna Boghanim et Elodie Bouffard à découvrir jusqu'au 26 septembre 2021.
Une rencontre avec les divas
L’exposition plonge le.la visteur.euse dans l’intimité de ces icônes comme pourrait le faire la presse “people”, relatant leurs amours, divorces et remariage. Il est également question d'exil et de retour en terre natale. Les modules ou salles dédiées aux divas expliquent les moments clés de la carrière de chacune. Le module mettant à l’honneur Dalida permet par exemple de découvrir un pan de sa carrière en Égypte moins connu par le grand public français. L’exposition documente aussi la vie de ces artistes arabes grâce à des interviews inédites, des extraits de presse, des disques, des costumes et parures de scène mais aussi des objets plus personnels leur ayant appartenu. Par exemple, au niveau 2, une vitrine consacrée à Warda expose ses vêtements, son oud, sa valise, ses passeports, son poudrier, son parfum, son livre de chevet ou encore son pilulier. Ces objets personnels sont attendus par les admirateur.rice.s de l’artiste. Par cette mise en vitrine, un statut presque reliquaire est conféré à ces objets du quotidien, créant une rencontre entre le.la visiteur.euse et cette artiste emblématique.
Vitrine dédiée aux objets personnel de Warda, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF
Une exposition musicale
Borne d’écoute, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF
Une exposition mettant en lumière des féministes et militantes
Reconstitution d’une bibliothèque fémniste et d’un salon, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF
Fin de visite au pas de course
Collage de Nabil Boutros à partir de photogramme du film “Ma femme est PDG” de Fatîn abdel-Wahab, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF
Vitrine inspirée du roman graphique “ô nuit, ô mes yeux” de Lamia Ziadé, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF
Il existe d'autres façons de prolonger sa visite. L'Institut du Monde Arabe propose une websérie sur youtube autour des grandes thématiques de l’exposition et une playlist inspirée des divas disponible sur Deezer.
Elise Franck
Le point de vue de Marco est à lire ICI !
Pour aller plus loin
- Playlist Deezer inspirée de l’exposition :https://www.deezer.com/fr/profile/3478685424.
- Web Série : https://www.youtube.com/watch?v=SclFMPjkZ40&list=PLiykn3soZGDkcq6WMh5O3nPCZI3BNjPYb
#divasarabes #IMA #expositionparis
Rencontrez les Divas à l'Institut du Monde Arabe - point de vue de Marco
L’exposition Divas a fait de l'œil à Elise et Marco qui l’ont vu de concert sans le savoir. L’occasion était trop belle pour ne pas comparer leur point de vue. Écrits entre quatres yeux, ces deux articles montrent que malgré deux visites différentes, leurs impressions sont au diapason. Au regard de nos compte-rendus, vous pouvez aller voir cette exposition les yeux fermés … et les oreilles grandes ouvertes !
Image de vignette : Shirin Neshat, Ask My Heart, Looking for Oum Kulthum, 2018 @Marco Zanni
Image d’en-tête : Entrée de l’exposition sous le regard des divas @Marco Zanni
“Diva” : ce mot vous évoque-t-il une grande cantatrice à la vie tumultueuse et indépendante ? Maria Callas, la Castafiore ou Mariah Carey ? C’est pour découvrir un autre type de divas que j’ai bravé la foule du premier week-end de réouverture des musées à l’Institut du Monde Arabe (IMA). L’exposition Divas, de Oum Kalthoum à Dalida présente ces icônes de la musique et du cinéma du monde arabe, en grande partie méconnue du public occidental. Retour sur une (re)découverte musicale et visuelle.
Une rencontre avec les divas
L’exposition plonge le.la visteur.euse dans l’intimité de ces icônes comme pourrait le faire la presse “people”, relatant leurs amours, divorces et remariage. Il est également question d'exil et de retour en terre natale. Les modules ou salles dédiées aux divas expliquent les moments clés de la carrière de chacune. Le module mettant à l’honneur Dalida permet par exemple de découvrir un pan de sa carrière en Égypte moins connu par le grand public français. L’exposition documente aussi la vie de ces artistes arabes grâce à des interviews inédites, des extraits de presse, des disques, des costumes et parures de scène mais aussi des objets plus personnels leur ayant appartenu. Par exemple, au niveau 2, une vitrine consacrée à Warda expose ses vêtements, son oud, sa valise, ses passeports, son poudrier, son parfum, son livre de chevet ou encore son pilulier. Ces objets personnels sont attendus par les admirateur.rice.s de l’artiste. Par cette mise en vitrine, un statut presque reliquaire est conféré à ces objets du quotidien, créant une rencontre entre le.la visiteur.euse et cette artiste emblématiqVitrine dédiée aux objets personnel de Warda, exposition “Divas, de d’Oum Kalthoum à Dalida” à l’Institut du Monde Arabe © EF
Le parcours : “un voyage en quatre actes”
Le parcours est divisé en quatre sections, déployées sur deux niveaux. Les trois premières parties sont chronologiques.
1920 : l’époque des pionnières. Au rez-de-chaussée, le public est accueilli par une introduction sur le Caire au début du XXème siècle. Dans cette capitale cosmopolite, la musique se popularise avec l’apparition des salles de concerts et des disques 78 tours. Les premières chanteuses participent à la naissance d’une industrie musicale et du cinéma. Elles s’appellent Mounira al-Mahdiyya, Badia Massabni, Bahiga Hafez, Assia Dagher. La transformation est aussi sociale, les développements du féminisme dans la bourgeoisie cairote accompagnent la présence nouvelle des femmes seules sur scène.
1930-1970 : l’âge des grandes voix. Cette deuxième section, introduite par un panneau au rez-de-chaussée, débute à l’étage. Dans les années 1930, l’essor du cinéma parlant et de la radio contribue à la starification des interprètes. Elles sont quatre “voix d’or” ‒ Oum Kalthoum, Warda, Asmhahan et Fayrouz ‒ adulées dans le monde arabe pour leur performances scéniques et leur vie.
1940-1970 : le temps des stars de Nilwood. Dans l’après-guerre, le cinéma égyptien domine avec ses comédies musicales ou ses mélodrames. Les intrigues simples laissent toute la place aux nouvelles égéries du grand écran : danseuses (Samia Gamal), chanteuses (Laila Mourab, Sabah) ou actrices (Faten Hamama, Souad Hosni). Le couloir les présentant une à une s’achève sur Dalida, qui débute sa carrière en Egypte en 1954. Cet âge d’or de l’industrie culturelle égyptienne s’éteint dans les années 1970, marquées par plusieurs crises diplomatiques, économiques et politiques.
Les différentes ambiances des trois sections chronologiques @Marco Zanni
La dernière section évoque l’héritage de ces divas des années 1930 à 1970. Ces femmes ont créé un patrimoine culturel populaire et ont traversé de grands changements sociaux ou politiques. La section contemporaine vient justement questionner leur place et leur héritage au regard du monde arabe contemporain. La réutilisation de ces figures indépendantes en fait des personnalités d’actualité, symbole d'émancipation ou d’une recherche identitaire. Elles peuvent devenir au contraire l’exemple critique de l’instrumentalisation du corps des femmes dans les industries du divertissement.
Nabil Boutros, Futur Antérieur : Par ses photomontages utilisants des extraits de films égyptiens des années 1960, l’artiste interroge les promesses sociales d’une époqueavec un regard critique et nostalgique @Marco Zanni
Ce parcours chronologique, principalement sur l’Egypte et le Levant, est classique mais clair. Les sections s’enchaînent avec la même structure, malgré quelques dissonances : introduction, présentation individuelle des divas, un focus culturel ou social. L’affluence m’a fait remarquer les espaces contraints et sinueux. L’abondance du multimédia et des textes, marqués par la succession des divas, donne une certaine redondance et longueur à la visite. Heureusement, l’exposition reste dynamique par sa muséographie centrée sur la notion de “spectacle”.
De la salle de spectacle...
Photo de la salle, avec Fayrouz sur scène @Marco Zanni
Randa Mirsa & Waël Kodeih, Dernière Danse, 2020 @Marco Zanni
La diversité des dispositifs multimédias ou immersifs va de pair avec leur nombre. A noter que la multitude de sollicitations visuelles peut gêner les personnes sensibles aux bruits, aux stimulations visuelles ou aux espaces confinés
… aux vedettes.
Le spectaculaire de l’exposition est également assuré par l’omniprésence de la figure de la vedette, de la diva, de la star.
Les différentes tenues de scène sont ainsi centrales dans l’exposition, en ce qu’elles incarnent la silhouette de la diva autrement que par l’image ou le son. La retenue reste de mise sur le strass et les paillettes : l’ambiance est plutôt celle d’une visite privilégiée en coulisses qu’une débauche de luxe et de sequins. Les robes de scène sont accompagnées de bijoux, coiffes, effets personnels … représentant l’apparence publique et flamboyante des interprètes.
Tenues de Dalida. Le musée a consacré un mini-reportage à leur arrivée dans l’exposition @Marco Zanni
L’emphase est particulièrement mise sur les visages des divas. Elles apparaissent dès l’entrée de l’exposition, projetées sur un grand rideau de fils. Sur chaque panneau leur étant dédié, ces visages apparaissent comme sur des affiches de cinéma. L’en-tête des panneaux, en relief, peut également rappeler les affiches de cinéma. La chanteuse libanaise Fairouz n’est elle pas exposée via ses tenues mais par des affiches placardées sur toute la hauteur du mur.
Des supports plus originaux contribuent à la théâtralisation de la vie des chanteuses et actrices. Celle de la chanteuse syrienne Asmahan est illustrée par une vitrine scénarisée, alternant extraits de films sur plusieurs écrans et des dialogues fictifs diffusés en regard d’objets éclairés.
Vitrine sur la chanteuse Asmahan, chanteuse syrienne divorcée, libre, espionne qui illustre parfaitement l’idée de diva au destin exceptionnel @Marco Zanni
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Une exposition qui se poursuit...
Je ressors de l’IMA avec l’impression d’avoir assisté à une représentation d’anthologie. J’ai surpris plusieurs personnes chantonner leur chanson favorite ou s’émouvoir à la vue d’une vidéo de concert. Difficile de sortir de l’exposition sans avoir des chansons plein la tête, et l’envie d’en découvrir plus. L’IMA a justement mis en place plusieurs dispositifs autour de l’exposition, parfois anecdotiques (un ensemble de filtres Instragram) ou plus documentaires. Une série de mini-vidéos permet d’en découvrir plus sur certaines figures, et une programmation culturelle viendra mettre l’accent sur la place des femmes dans les sociétés arabes. Une playlist donne enfin l’occasion de se replonger dans l’exposition et de continuer de se familiariser avec les grandes voix des divas.
Marco Zanni
Le point de vue d'Elise est à lire ICI !
#divasarabes #IMA #expositionparis
Salgado Amazônia : plongée sonore dans la forêt brésilienne
Pour une lecture aussi immersive que l’exposition, munissez-vous de vos écouteurs pour écouter la création sonore Amazônia de Jean-Michel Jarre.
Après les incendies très médiatisés de 2019, l’Amazonie a de nouveau fait la une des journaux en mai 2021 en réaction à une étude révélant que la forêt amazonienne brésilienne était désormais émettrice nette de carbone, c’est-à-dire qu’elle rejette désormais davantage de carbone qu’elle n’en stocke. Cette nouvelle alarmante appelle à une prise de conscience de l’urgence écologique et humaine dans laquelle se trouve ce territoire : la déforestation et ses facteurs (exploitation de bois précieux, orpaillage, construction de barrages hydroélectriques, élevage bovin et culture intensive du soja) menacent le biome amazonien en le faisant approcher dangereusement du point de non-retour où celui-ci n’aura plus les moyens de se régénérer. La sécurité et la survie des peuples autochtones est aussi en jeu, l’exploitation illégale des ressources n’hésitant pas à empiéter sur leurs territoires.
C’est à partir du constat de ces prédations que se construit l’exposition Salgado Amazônia, visible à la Philharmonie de Paris du 20 mai au 31 octobre 2021. Plus de 200 photographies de Sebastião Salgado, captées par le photographe au cours de ses nombreux voyages dans la forêt brésilienne entre 2013 et 2019, y sont mises en valeur par la scénographie de Lélia Wanick Salgado. Une création sonore immersive de Jean-Michel Jarre, conçue à partir du fonds d’archives sonores du Musée d’Ethnographie de Genève, entre en dialogue avec ces clichés.
Economiste de formation, Sebastião Salgado débute sa carrière de photographe à Paris en 1973. Il collabore avec plusieurs agences de photographies, dont la célèbre Magnum Photos, jusqu’en 1994 où il fonde Amazonas Images, exclusivement dédiée à son travail. Ses projets photographiques, qui font l’objet de nombreux livres et expositions, le font voyager partout dans le monde. Wim Wenders lui consacre le très beau documentaire Le Sel de la Terre en 2014, qui remporte le prix Un Certain Regard à Cannes. Le projet AMAZÔNIA, consacré à l’Amazonie brésilienne et aux communautés autochtones qui l’habitent, a pour objectif de faire connaître ce territoire et ses habitants et de faire prendre conscience des menaces auxquelles ceux-ci font face. Très engagés pour la causé écologique, Sebastião et Lélia Salgado s’emploient eux-mêmes depuis les années 1990 à reboiser une partie de la forêt atlantique brésilienne dans l’Etat de Minas Gerais, victime de la désertification et de la déforestation. Ils ont créé en 1998 l’Instituto Terra, organisation qui assume des missions de reforestation, de préservation et d’éducation environnementale.
Une plongée visuelle et sonore dans la forêt amazonienne
Photographies aériennes de la forêt amazonienne (vue de gauche)
Jeux d’ombres stylisées au sol (vue de droite) © Marion Roy
Avant même de pénétrer dans la salle, c’est d’abord le son qui enveloppe le spectateur : entre musique concrète et électronique, cette création sonore à la fois inspirée de la bioacoustique et de l’ethnomusicologie saisit par ses basses orageuses et ses mélopées répétitives. Dès l’entrée, la puissance de la musique couplée à la pénombre de la salle transportent le public dans un espace à part, celui de la forêt amazonienne, qui n’est jamais représentée par mimétisme mais toujours évoquée symboliquement à travers une scénographie très minimaliste. Ici, pas de simili-végétaux ni de couleur vert-chlorophylle : les nuances de gris dominent, faisant écho aux photographies en noir et blanc de Sebastião Salgado. Les tirages grand format, encadrés et suspendus à hauteur de buste par un système de filins presque invisibles, sont magnifiés par une lumière qui semble presque émaner de l’intérieur. Cet éclairage crée un jeu d’ombres géométriques, très esthétiques, qui s’entremêlent au sol et mettent en valeur l’objet photographique dans l’espace. La densité de l’accrochage renvoie à celle de la forêt : le visiteur est invité à déambuler entre les quelque deux-cent tirages comme entre autant de troncs, à se perdre sur l’immense plateau ouvert de la salle d’exposition tout en définissant le sens de son propre parcours, en l’absence d’un unique cheminement préétabli. Trois structures elliptiques ponctuent la salle, créant un contraste par leur couleur rouge et leur caractère clos : la forme de ces espaces s’inspire des ocas, habitations traditionnelles communautaires de certains peuples autochtones d’Amazonie, afin de montrer qu’il s’agit d’une forêt habitée, loin de l’image fantasmée d’un « enfer vert » indompté et impénétrable.
Portraits et paysages : visages d’une forêt en péril
Espace ouvert et nuances de gris pour les vues de paysages (vue de gauche)
Espace fermés, formes fluides et couleur rouge des parois des modules inspirés des habitations traditionnelles (ocas) (vue centrale et de droite) © Marion Roy
Le parcours se construit autour d’un dialogue entre ces deux pôles : paysages naturels dans le vaste espace ouvert, portraits de peuples autochtones dans l’espace délimité des ocas.
Afin de rendre compte avec justesse de la diversité du biome amazonien – qui recouvre 63% de la surface du Brésil –, les photographies de paysages font la part belle aux vues aériennes, prises depuis un hélicoptère. Ces clichés, dépourvus de présence humaine, s’organisent selon cinq thèmes principaux : certains, comme celui de la forêt, sont très attendus, tandis que d’autres mettent en valeur des aspects moins connus du territoire amazonien tels que ses zones montagneuses ou l’archipel d’eau douce des Anavilhanas. D’autres encore détaillent des phénomènes spécifiques du biome amazonien, à l’instar des pluies torrentielles et des « rivières volantes » issues de la vapeur d’eau rejetée par les arbres de la forêt, essentielles au renouvellement des stocks d’eau douce de la planète. De courts cartels localisent et contextualisent chaque photographie en lien avec ces thèmes.
Sebastião Salgado, Parc National d’Anavilhanas, archipel fluvial du Rio Negro (Amazonas) (gauche);
Sebastião Salgado, Arbre de la région de la rivière Tapajos, près de Santarém (Pará) © Marion Roy
Bela Yawanawá, Village de Mutum, Territoire Indigène du Rio Gregorio (Acre), 2016 (gauche) ;
Chaman Moisés Piyãko Asháninka, Territoire Indigène Kampa do Rio Amônia (Acre), 2016 centre)
Têtê-Shavô, Village Marubo de Morada Nova, Territoire Indigène Marubo de la vallée de Javari (Amazonas), 2018 (droite) © Marion Roy
Ces photographies sont porteuses d’une puissance esthétique indéniable : dans la lignée de sa précédente série Genesis (2004-2011), Sebastião Salgado choisit de montrer la beauté de ce territoire pour convaincre de la nécessité de le préserver. Toutefois, on peut regretter que ces images ne se concentrent que sur l’aspect édénique de cet écosystème, en ne représentant jamais directement la violence des dégradations qui constituent pourtant une réalité de plus en plus préoccupante en Amazonie. Par ailleurs, le choix de séparer les peuples et le milieu dans lequel ils vivent en deux espaces scénographiques distincts, suivant la traditionnelle et occidentale distinction entre nature et culture, semble relativement classique. Cette séparation a néanmoins l’avantage d’être claire et didactique pour un public non spécialiste. Le lien entre les communautés photographiées et leur environnement est en outre établi à travers les vidéos présentées au centre des ocas : celles-ci mettent l’accent sur les luttes autochtones qui sont au cœur des témoignages présentés.
Donner la parole aux peuples autochtones amérindiens
Témoignage vidéo au sein d’un module oca © Marion Roy
Ces courts films documentaires, captés par le journaliste et spécialiste du monde amazonien Leão Serva, donnent directement la parole à des chefs, chamans ou autres représentants autochtones plutôt que de parler en leur nom. La scénographe Lélia Wanick Salgado souhaitait « faire entendre [aux visiteurs] les voix des peuples de la forêt, leur faire comprendre comment ils vivent et perçoivent le monde » (Journal sonore de l’exposition). Le visiteur peut ainsi voir s’exprimer, face caméra et dans leur langue respective, les chefs Afukaka Kuikuro, Kotok Kamayurá, Biraci Yawanawá et Piyãko Asháninka, le chamane Mapulu Kamayurá ou encore Davi Kopenawa Yanomami, le célèbre porte-parole des Yanomami. Ces témoignages viennent compléter les photographies de Salgado en faisant état des problèmes rencontrés par ces peuples face à la situation politique et environnementale au Brésil. Tous les témoignages évoquent les changements dramatiques qui ont eu lieu au cours des dernières décennies : sécheresses et température croissante, incendies, déforestation au profit de l’agriculture, de l’élevage et de l’exploitation du bois, pollution des sols et des rivières du fait de l’activité aurifère, menace des barrages hydrauliques, invasion de groupes de chasseurs… La majorité de ces témoignages n’hésite pas à dénoncer avec force le gouvernement de Bolsonaro, dirigeant climatosceptique qui voit l’Amazonie comme une ressource à exploiter, soutient les gros exploitants de l’agrobusiness et de l’industrie minière et ne cache en rien son hostilité envers les peuples autochtones. De chacune de ces vidéos émane une volonté forte de faire entendre sa voix, de s’organiser afin de résister et de répliquer. Le message qui sous-tend l’exposition passe donc explicitement par ces captations audiovisuelles, destinées à sensibiliser le public occidental à la situation et aux combats autochtones.
Première incursion en territoire bioacoustique
Cette sensibilisation passe aussi par les sens : la forte identité sonore de cette exposition justifie sa présence au sein de la Philharmonie, qui fait ainsi ses premiers pas dans le domaine de la bioacoustique. La création sonore de Jean-Michel Jarre, diffusée en stéréo dans tout l’espace de l’exposition, a été composée en écho aux photographies de Sebastião Salgado. Le pionnier de la musique électronique française, engagé en faveur de l’écologie depuis les années 1970, dit avoir construit cette musique hybride « comme [s’il] disposait d’une boîte à outils, constituée d’objets sonores singuliers », en mêlant des éléments naturels, ethnographiques, orchestraux et électroniques afin d’évoquer la forêt dans l’imaginaire des auditeur·rice·s. Une attention particulière a notamment été portée aux basses fréquences, particulièrement présentes dans un paysage sonore forestier (Journal sonore de l’exposition).
Cette création s’est nourrie des archives du très riche fonds ethnomusicologique du Musée d’Ethnographie de Genève, constitué d’une quarantaine d’heures d’archives dont environ trente ont été recueillies in situ au Brésil et en Guyane entre 1968 et 1992 par des spécialistes du monde amérindien. La composition de Jean-Michel Jarre intègre une quarantaine de sources sonores issues de ces archives, enregistrées entre 1960 et 2019 dans plusieurs lieux de l’Amazonie. A l’origine orientée vers les sons de la nature, cette création accorde finalement autant d’importance à la présence sonore humaine qu’aux éléments sonores non-humains, en accord avec la perspective animiste amérindienne selon laquelle les êtres humains et non-humains partagent la même intériorité. L’audition, la perception et la production du son possèdent une importance particulière du point de vue des peuples autochtones : pour eux, le son permet aux êtres humains, aux êtres invisibles et aux animaux de la forêt de maintenir des liens et de communiquer. La présence de cette pièce sonore au sein de l’exposition permet donc de vivre autrement cette déambulation muséale et d’évoquer la forêt par le sensible.
Deux salles de projection mêlent également expérience visuelle et auditive : des photographies de Salgado y défilent, accompagnées par Erosion (origine du fleuve Amazone) d’Heitor Villa-Lobos – compositeur brésilien qui s’est beaucoup inspiré de l’Amazonie – dans la première salle, et par la création d’un ensemble contemporain brésilien dirigé par Rodolfo Stroeter dans la seconde.
L’intérêt de cette exposition réside justement dans les regards croisés qu’elle porte sur l’Amazonie : regard photographique de Sebastião Salgado donnant à voir la diversité du territoire et des populations qui l’habitent, points de vue des peuples autochtones à travers les témoignages vidéo, évocation sonore de la forêt par la création de Jean-Michel Jarre qui mêle éléments électroniques évocateurs et archives ethnographiques anciennes et récentes. Les perspectives photographiques et musicales, artistiques et documentaires, historiques et actuelles, factuelles et sensorielles, s’enrichissent mutuellement et constituent autant d’entrées possibles pour sensibiliser le public à la complexité du territoire amazonien brésilien et aux menaces écologiques auxquelles il est aujourd’hui confronté.
Marion Roy
Pour aller plus loin :
En parallèle de sa présentation à la Philharmonie, cette exposition ouvrira également à São Paulo, Rio de Janeiro, Rome et Londres, afin d’éveiller le public le plus large possible à la menace écologique qui pèse actuellement sur l’Amazonie.
- La création sonore Amazônia, de Jean-Michel Jarre, est disponible sur YouTube
- Articles et podcasts de la Philharmonie en lien avec l’exposition
- Entretien avec Jean-Michel Jarre
#Salgadoamazônia #Philharmonie #Jean-micheljarre
Silence… BIG BANG !
Ambiance feutrée rouge. Alignement de sièges cosys. Ecrans plats. Présentation des « acteurs ». Générique…Non nous ne sommes ni au cinéma, ni au théâtre, mais bien dans l’un des dispositifs muséographiques du PLUS. Le Palais de l’Univers et des Sciences de Cappelle-la-Grande pousse lexicalement le rapprochement en intitulant cette installation multimédia « le théâtre du Big Bang ». Appellation quelque peu spectaculaire, mais qui, finalement, concorde parfaitement avec l’ambiance de l’exposition permanente et sa promesse de voyage au cœur de l’Univers !
© droits réservés
L’expérience interactive, la réplique phare
Le synopsis du guide de visite nous prévient : « une quarantaine d’expériences interactives » nous attendent tout au long du parcours. Ainsi, les écrans et les manettes se dupliquent. Tout le monde peut regarder et manipuler, en d’autres termes participer. La nouvelle technologie s’invite donc dans cet équipement culturel, sans malheureusement réussir à vaincre son ennemi : la panne a en effet la fâcheuse manie de se dupliquer elle-aussi !
Dans le « théâtre du Big Bang », tout fonctionne. Hubert Reeves, Marc Lachièze Rey et François Bouchet, astrophysiciens et cosmologues de renom, sont nos interlocuteurs privilégiés. Ils nous expliquent le Big Bang, en effaçant petit à petit la part de mystère que revêtent des termes comme la température de Planck, le quark ou encore le fonds diffus cosmologique.
Multiplicité de plans et d’écrans ou l’invention du travelling humain
Ici ce n’est pas la caméra qui effectue un travelling circulaire, mais bel et bien le visiteur. A l’aide d’un siège rotatif, il est amené à suivre le film projeté tour à tour sur trois écrans différents. Du spectateur passif, nous passons au spectateur actif voire même sélectif. En effet, le film ne se contente pas de passer d’un écran à l’autre. Quelquefois, les écrans se complètent : soit l’astrophysicien se présente sous différents profils selon les écrans, soit un schéma ou une photographie appuie ses propos sur un autre écran, soit les deux ! De plus, un fond sonore, fait de bruits sourds et généralement puissants, amènent le visiteur à s’immerger totalement dans cette présentation du temps zéro de notre Univers.
Bien sûr, il serait évident de rétorquer que toute la partie sonore ne pense pas aux visiteurs sourds. En réalité, le PLUS a développé de nombreux équipements pour les personnes souffrant de handicaps, notamment des maquettes tactiles pour les malvoyants. Ici, deux écrans, certes plus petits, viennent s’ajouter aux trois autres. L’un montre la vidéo présente sur les écrans principaux, l’autre la traduit en langue des signes française. Malheureusement, ces spectateurs perdent ce qui pour moi fait tout l’intérêt de ce dispositif, et marque sa différence avec une vidéo classique : le choix d’un spectateur actif !
Le hors-champ
Mais l’éveil ne s’arrête pas là. Les murs de cet espace de projection sont volontairement sectionnés par endroit afin d’ouvrir la perspective et de proposer une interaction entre le film et d’autres modules. Il se peut, en effet, que le visiteur-spectateur n’est pas entièrement compris l’information donnée par des spécialistes au langage et à la formulation quelque peu soutenus (c’est effectivement mon cas). Alors, pas de panique ! La scénographie l’incite à se diriger vers des modules expliquant et complétant la vidéo suivant différentes présentations plus ou moins attractives : un élémentaire tableau sur les particules élémentaires, une maquette du satellite Planck lancé en 2009 pour dévoiler les secrets du Big Bang, une BD rétro-éclairée sur la découverte du fonds diffus cosmologique, pour n’en citer que quelques-uns.
Ce dispositif conserve tout de même un paradoxe. La difficulté de comprendre une théorie aussi complexe que celle du Big Bang pourrait être augmentée par cette nécessité, toutes les deux minutes, de changer d’orientation, d’écran et d’interlocuteur. Mais dans un sens, cela rejoint l’idée du modèle cosmologique qu’est le Big Bang : c’est-à-dire un univers toujours en expansion, et donc non statique !
Alors, nos yeux, sortes d’électrons libres, se déplacent dans cet espace, pour finalement suivre une trajectoire aléatoire propre à chacun !
Marion Monteuuis

Sortez vos baguettes ! Harry Potter à la Cité du cinéma
L’exposition Harry Potterdébarque enfin à Paris ! Après Star Wars, c’est donc une autre saga culte de la littérature et du cinéma qui envahit les espaces de la Cité du cinéma pour le plus grand bonheur des fans de la première heure, mais aussi pour les enfants qui ont découvert le personnage de Harry Potter au cinéma.
Avec un tarif d’entrée très élevé (22 euros sans tarif réduit) et une réussite pour l’exposition précédente, Star Wars Identities, on peut s’attendre à une immersion totale dans l’univers des sorciers.
Affiche de l'exposition- C.P : LT
Bienvenue à Poudlard !
L’aventure commence dès la file d’attente ; lamusique, les images de la célèbre école de sorcellerie, la pénombre…le visiteur n’est plus à Saint-Denis mais bien à Poudlard. Petit passage obligé devant un fond vert pour prendre une photo une baguette magique à la main, puis il pénètre dans l’espace d’exposition.
La visite commence en tant que simple élève de Poudlard accompagné de médiateurs qui introduisent l’exposition et effectuent quelques animations pour les enfants ; la frustration se fait sentir chez les visiteurs adultes.
Dans la seconde salle, une dizaine d’écrans projettent des extraits des huit films qui permettent de remettre le visiteur dans le contexte. C’est ici que les médiateurs quittent le public qui continue en visite libre.
Découvrir l’envers du décor
S’ensuit une longue succession d’ambiances et de décors des films agrémentée de vitrines qui exposent les objets emblématiques des personnages principaux. Là encore, rien n’est laissé au hasard ; l’ambiance sonore et la scénographie se veulent rassurante et chaleureuse dans la reconstitution des dortoirs et des salles de classe, maléfique et sombre dans la forêt et imposante dans la grande salle de Poudlard. Les fans peuvent se réjouir : tous les objets de leur saga préférée sont présents et bien mis en valeur. Des cartels en forme de grimoire agrémentent la visite, mais nul besoin d’explications, les visiteurs de l’exposition connaissent déjà tout sur le bout des doigts !
Cette exposition a le souci du détail : le mobilier, la signalétique respectent parfaitement l’univers de la saga et tout est fait pour que le visiteur se sente immergé et ne retourne pas une seconde dans le monde des moldus ! Entre reconstitution et exposition, le visiteur déambule facilement et agréablement entre les différents espaces malgré la forte affluence.

Vitrine présentant différents accessoires des films - C.P : LT
Le multimédia est très peu présent dans l’exposition. Cependant, il est utilisé à bon escient ; à proximité des différentes ambiances, les extraits vidéo de la saga diffusés restituent les différents objets présentés dans les vitrines.
La magie prend fin
Quelle déception de quitter l’exposition après 45 minutes de visite intense pour atterrir dans la boutique de la cité du cinéma !
La visite est beaucoup trop courte par rapport à la richesse de l’univers de la saga Harry Potter. En outre, la contribution du visiteur est quasi réduite à néant. Seuls deux jeux, assez simplistes, font participer le public : une animation pour les enfants consistant à ôter des mandragores de leurs pots pour entendre leur cri strident et un jeu de lancer de balle. Pourtant, il aurait été extrêmement intéressant de développer des dispositifs interactifs sur le thème de la magie ou encore de proposer de se mettre dans la peau des personnages à l’aide d’un bracelet connecté comme pour l’exposition Star Wars Identities. L’audioguide basique proposé en supplément à la visite n’est pas adapté à une exposition blockbuster qui ressemble plus à un parc d’attractions (mais sans les attractions !).
Si le visiteur fan n’est pas déçu car il peut contempler de nombreux décors et accessoires emblématiques des films, Harry Potter aurait néanmoins mérité mieux qu’une exposition figée et exclusivement créée pour les passionnés.

Dispositif pour jouer au Quidditch - Source : leparisien.fr
LT
Pour en savoir plus: Harry Potter l’exposition est à découvrir du 4 avril au 6 septembre 2015
Cité du cinéma
20, rue Ampère
93413 SAINT-DENIS
#harrypotter
#citéducinéma
#blockbuster
Superpoze exp(l)ose le monde
Gabriel Legeleux, alias Superpoze, est un jeune prodige de la scène électro française. C'est un auteur-compositeur, musicien, et surtout un artiste à part entière qui nous plonge dans l'univers de la fin du monde pour son deuxième album « For We The Living ». Pour ce thème peu joyeux au premier abord, Superpoze réussit à nous captiver et à nous immerger dans une esthétique sonore et visuelle de l'apocalypse.
« ForWe The Living » © Superpoze
Ican't hear, Ican't feel the hours.Ican't see, Ican't breathe the air. »
©« A Photograph » Superpoze
L'album présente une vraie progression dans la catastrophe. Tout commence avec « Signal », titre dont l'alarme retentit pour nous annoncer la fin. L'album décompte le temps qu'il nous reste. La musique évolue lentement, le rythme est latent et provoque une tension dans la progression musicale. La succession des morceaux fait évoluer cette fiction de la fin du monde.
« Azur » présente l'urgence de la catastrophe, avec « Thousand Exploding Suns » le monde explose, c'est un cataclysme sublimé et fait en douceur. « The Importance Of Natural Disasters » termine la boucle, c'est le monde post-catastrophe. Idéalement, l'album s'écoute en entier et en respectant cette progression pour en apprécier toutes les nuances et subtilités.
« For We The Living » n'est pas seulement un album, c'est une œuvre polymorphe. Pour aller jusqu'au bout de l'univers de la catastrophe qu'il a créé, Superpoze a produit des vidéos en collaboration avec le groupe « Télévision ». Ces clips vidéos apportent une plus-value à la musique, elles accompagnent l'univers sonore par une esthétique visuelle et participent du fondement de l'album.
Les vidéos sont elles aussi captivantes, elles rendent le projet réel, ce sont des témoins de la fin du monde. En les regardant, on pourrait croire qu'il s'agit d'une image fixe, d'une photographie. En les observant, on perçoit des micros mouvements. Tout est ralenti,et cette lenteur de l'image et du son provoque une tension . Le spectateur devient alors plus attentif aux mouvements, à la vidéo. Superpoze nous livre un album qui s'écoute et se regarde, un album synesthésique.

« ForWe The Living » © Superpoze
La fin du monde a existé pour Superpoze et pour témoigner de cette apocalypse, l'artiste a mené un travail d'archéologie fictive. Pendant le tournage de ses vidéos, Superpoze a fouillé les sites, répertorié et archivé des objets qu'il avait trouvés ou utilisés. Il leur a attribué des numéros d'inventaire, les a numérisés et archivés. Ce travail permet de conserver les preuves réelles de ce récit imaginaire de la fin du monde que raconte Superpoze. Il associe lui-même le travail d'un compositeur à celui d'un archéologue.
En littérature, Orhan Pamuk avait déjà initié ce type de démarche avec « Le Musée de l'innocence » où tel un collectionneur il a inventorié des objets pour concevoir son musée idéal, sa fiction. Compositeur ou archéologue, dans les deux cas il s'agit de chercher des choses, les nommer, les classer. Le processus et la rigueur font le parallèle entre ces deux mondes apriori opposés et qui sont ici en harmonie.
Superpozea créé un album narratif où il nous raconte sa vision de la fin du monde. Pour aller encore plus loin dans sa démarche artistique, il était important pour lui de réunir toutes les composantes de son travail dans un seul et même lieu physique. Le musicien a donc monté son exposition à la Danysz Galerie à Paris. « For We The Living », du même titre que l'album, est une petite exposition qui présente l'ensemble des morceaux, vidéos, images, recherches et objets de la fin du monde fascinante de Superpoze.
L'exposition est dans une salle en sous-sol. Le visiteur est plongé dans une légère obscurité ce qui permet de profiter pleinement des vidéos présentées. Là encore, le parcours est progressif. La salle est un cube où le long des murs sont disposés 8 écrans, qui correspondent au 8 titres de l'album. Le visiteur passe d'un écran à un autre, il écoute les morceaux les uns après les autres dans l'ordre de l'apocalypse imaginée par Superpoze. Des casques sont mis à disposition pour s'immerger dans l’œuvre, dans le son et l'image.
Sous chaque écran, le cartel indique le numéro d'inventaire de la vidéo. Tout est répertorié. Une fois tous les titres écoutés et observés, le dernier mur expose une collection d'objets. Ces objets sont ceux récoltés par Superpoze pendant le tournage de ses vidéos, ce sont les preuves de son travail archéologique. Il s'agit de ce qui reste du monde après son bouleversement. Ces objets apparaissent alors comme les vestiges de cette fiction de la fin du monde. Fragments de roche, échantillon de terre, papiers sous pochette plastifiée, tout est pensé minutieusement. Le visiteur peut reconnaître certains objets car ils apparaissent dans les vidéos.
Espace Danysz Galerie, Cartel de « Signal », Collection d'objets exposés © C.D.
« OnThe Moutain Top », objets exposés, objets scannés © C.D.
Au centre de la salle, un piano avec les partitions des titres de l'album est mis à disposition. Le visiteur peut librement interpréter la fin du monde. Pendant la durée de l'exposition,d'autres musiciens ont été invités à investir cet espace pour réinterpréter l'album. Simples performances lives ou véritable moyen d'appuyer la démarche de l'artiste pour qu'après sa fin du monde l’œuvre subsiste, tout est cohérent. L'exposition est une space libre d'interprétation, elle transmet un passé fictif et s'ouvre à un avenir réel.
Espace Danysz Galerie, partition de « On The Moutain Top » ©C.D.
Un livret a également été conçu par Superpoze. Avec l'apparence d'un catalogue d'exposition, ce livre est plutôt un outil qui permet de comprendre plus précisément tout le travail mené pour cet album. C'est l'archivage de la collection de la fin du monde. On retrouve dans ce livret les objets récoltés et exposés dans la galerie et aussi d'autres éléments.
Tout a véritablement été répertorié : coordonnées GPS des lieux de tournage des vidéos, tests visuels, liste de numéros d'inventaire, photographies, scans, zooms sur des objets, collages. Tout est extrêmement précis et nommé. Superpoze présente son travail d'archéologie musicale. L'imaginaire de l'artiste est une expériences sonore, visuelle et intellectuelle.
Cette thématique de la fin du monde a souvent été traitée dans le cinéma ou encore la littérature. L'humain a cette tendance à être fasciné par ce qui sera sa fin. L’œuvre que propose Superpoze est très actuelle, il s'interroge sur nos problématiques contemporaines. Vers quoi allons-nous ? Que restera t-il de notre existence ? Superpoze réussit à sublimer la fin, ce n'est pas négatif mais au contraire c'est l'occasion de bâtir un nouveau monde.
Extraits du livret « For We The Living » de Superpoze. Pages 51 et54 « Compositing », page 7 « Locations »,page 29 « Scan tests » © C.D.
« Whenall is falling down allis falling down allis falling down... »
©« APhotograph » Superpoze
L'album :
1 Signal
2 For We The Living
3 Azur
4 Thousand Exploding Suns
5 On The Mountain Top
6 Hidden
7 A Photograph
8 The Importance Of Natural Disasters
L'exposition : du 14/10 au 28/11 2017 à la Galerie Magda Danysz, 78 rue Amelot, 75011 Paris.
En 2018 : vous pourrez entendre Superpoze au théâtre, il a composé la musique du nouveau spectacle « Hunter » de Marc Lainé.
C.D.#Superpoze#Musique#ForWetheLiving

Tim Burton, Le Labyrinthe : exposer l’artiste ou exposer l’œuvre ?
« Y’a-t-il un médecin dans la salle pour me dire si je suis mort ? » Tim Burton.
L’exposition « Tim Burton, Le Labyrinthe », présentant des billets allant de 22 à 26 euros, se déroule du 19 mai au 20 août 2023 au Parc de la Villette. Avec près de 100 œuvres exposées au total, elle fait suite à une première itinérance qui a eu lieu à Madrid dans l’espace Ibercaja Delicias, pour laquelle elle eut connu un franc succès, accueillant près d’un demi-million de visiteurs. Dès le seuil, le visiteur fait face aux dents acérées d’un monstre gigantesque. Il est ensuite invité à entrer dans la gueule d’une deuxième créature imaginaire aux yeux luminescents. La scénographie de l’exposition, réalisée par Alvaro Molina reprend le principe du labyrinthe : le visiteur fait son choix de parcours en activant un bouton qui lui permet de choisir sa porte : quatre possibilités s’offrent à lui. Impossible de revenir en arrière.
© Fabien Morasut
L’objectif de cette exposition est double : proposer une expérience immersive qui fait écho à l’esthétique du réalisateur Tim Burton, et découvrir ou redécouvrir l’œuvre du cinéaste. De ce point de vue l’expérience est réussie. Différentes salles présentent des statues grandeur nature des personnages des films les plus célèbres du réalisateur (la Reine Rouge d’Alice aux Pays des Merveilles, Edward Scissorhands d’Edward aux Mains d’Argent ou encore Jack Stellington de l’Étrange Noel de Monsieur Jack) ainsi que des œuvres issues de ses tournages (accessoires, décors, costumes, bandes originales). De plus, une multitude d’œuvres tels que des croquis, des dessins, des tableaux, permettent de toucher du doigt le processus de travail du cinéaste, passant systématiquement par le dessin et l’image pour construire la narration de ses films :
« De nombreuses personnes pensent que mes films ne reposent que sur leur seule esthétique, qu'ils sont fondés là-dessus. Ils n'arrivent pas à imaginer que tout ce que j'ai fait doit avoir une signification, ne serait-ce qu'à titre personnel et même si je suis le seul à la connaitre. Et plus les éléments sont absurdes et plus je dois être sûr de comprendre leur sens caché. Voilà pourquoi le cinéma nous fascine tant. Les films frappent à la porte de nos rêves et de notre subconscient », Tim Burton entretiens avec Mark Salisbury.
Quant à l’expérience immersive, l’exposition dévoile un parcours thématique plutôt qu’un parcours linéaire qui révèle la filmographie du réalisateur : les salles abordent des thèmes chers à l’artiste tel que les clowns ou encore les jouets terrifiants. L’idée est de traverser le tumultueux esprit créatif de Tim Burton par la mise en place d’un univers physique avec des matériaux et des lumières différentes. Des décors grandeurs natures tel que des sucres d’orge géants et des lumières colorées théâtralisent une expérience à l’esthétique pop et gothique gaiement monstrueuse.
© Fabien Morasut
« Était-il une bête, pour être à ce point ému par la musique ? », « La métamorphose », Franz Kafka, 1915.
Ainsi pendant près d’une heure (durée du parcours de visite) nous nous hasardons dans l’exposition aux tonalités surréalistes. Nous regrettons quelque peu de ne pas pouvoir appréhender davantage les aspects techniques de l’œuvre du réalisateur : ses jeux d’ombres et de lumières, ses inspirations, ses cadrages et ses mouvements de caméra. L’expérience immersive aurait également pu impliquer encore plus le spectateur, notamment par le biais de manipulations ou de jeux participatifs. Ceci étant, la rétrospective de Tim Burton présentée au MOMA en 2010 avec près de 700 œuvres explorait déjà les différents courants d’inspiration de l’artiste de son enfance jusqu’à aujourd’hui ainsi que son processus de travail, selon le conservateur Ron Magliozzi. Des décryptages des effets spéciaux de ses films jusqu’à la projection des films qui l’ont inspiré, la vie du célèbre cinéaste et de son œuvre ont déjà été minutieusement traitées. Le choix d’une scénographie labyrinthique pour cette exposition révèle ainsi davantage d’une expérience proposée pour les visiteurs. Ni exposition d’auteur, ni exposition d’œuvres, une véritable expérience immersive à partager et à vivre en famille est proposée, notamment par la mise en place d’un décorum original burtonien qui ne laissera personne indifférent !
© Fabien Morasut
Theo Balcells
#Lavillette, #Timburton, #exposition

Un Parcours Photographique loin des clichés
Une déambulation gratuite au Havre et ses alentours, organisée par l’association : « Are You Experiencing » jusqu’au 30 avril et 7 mai pour certains des 28 lieux. 42 Photographes, 2 Collectifs.
42 photographes, 42 regards portés sur le monde.
Depuis 2007, les passionnées et professionnels de photographie de l’association proposent à des photographes de tous horizons d’exposer leurs photos dans différents lieux de la ville. La 14e édition présentait le parcours « Gestes Gitan », une plongée dans la communauté gitane de Perpignan avec Jeanne Taris comme invitée d’honneur. Sur les réseaux sociaux et principalement sur Instagram l’association fait un appel à des artistes émergents. Cette année, à travers la photographie artistique ou documentaire, ce sont quarante-deux regards portés sur le monde qui sont présentés dans cette 15e édition. Depuis 15 ans, ce printemps de la photographie propose une programmation riche avec cette année des photographes locaux et une invitée d’honneur russe. Cette exposition est accessible pour tous dans toute la ville du Havre. « Hors de toute contrainte thématique, seuls l’esthétisme, le propos ou encore la poésie servent de critères pour justifier des propositions éclectiques dans les domaines du voyage, du reportage ou de l’artistique » explique Charles Maslard, président de l’association organisatrice « Are You Experiencing ».
Zoom sur 2 photographes : un autre regard sur la Russie
Maria Passer est une jeune journaliste et photographe russe. Depuis 1 an, l’équipe « Are You Experiencing » est en contact avec Maria Passer. L’artiste a été choisie avant la guerre mais l’exposition a été volontairement maintenue, elle présente alors sa première exposition à l’étranger. L’exposition était initialement prévue au Théâtre de l’Hotel de ville, un haut lieu culturel havrais cependant elle a dû être déprogrammée pour des raisons politiques. Pour arriver jusqu’au Havre, la photographe a quitté Moscou mi-février et a passé plusieurs semaines en Arménie avant de trouver un billet d’avion pour la France. Consciente de la vision de la Russie aujourd’hui elle s’exprime : "J’aime mon pays. Je voudrais que les gens voient à quel point il est immense et beau, même si en ce moment il fait du mal". L’artiste a quitté le sol français pour aller dans un pays de l’Est. Dans le cadre de son travail, elle a réalisé des reportages, ce qui lui a permis de capter l’atmosphère qu’elle découvrait. L’artiste a sillonné près de la moitié des régions de la Russie. Elle expose à la galerie La Glacière un voyage photographique avec des images de drone époustouflantes, à travers un road trip montrant les traces de l’URSS dans la Russie d’aujourd’hui. De Kaliningrad à Sakhalin, avec un détour en Ukraine, dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Parmi ses photos, celles de Vorkuta, ancien centre minier piégé dans la glace, montre une ville devenue en partie fantôme avec d’imposants blocs d’habitation abandonnés, pénétrés par la glace. A travers le regard de Maria Passer Vorkuta devient une véritable œuvre d’art.
Photos tirées du dossier de presse Are You Experiencing, © Maria PASSER
Un autre regard sur la France
Jusqu’au 7 mai à la bibliothèque Niemeyer, Jean-Michel Leligny expose « 2°20, La France par le milieu » une traversée de Dunkerque jusqu’à la frontière espagnole à vélo avec son appareil photo. Un voyage de près de 1800km pour se confronter au monde réel, à la rencontre d’une France loin des cartes postales. Le photographe a choisi de capturer une France ordinaire, éloignée du champ médiatique.
Une déambulation dans la ville
Ce parcours photographique favorise la découverte du Havre tout en portant un regard sur le monde. Ce parcours d’une grande diversité, libre et accessible, passe par des galeries d’arts, une bibliothèque, une salle de spectacle ou encore des lieux de convivialités, bars et restaurants. « Are You Experiencing » s’installe dans des lieux non conventionnels, dont 18 lieux sur 28 qui ne sont pas habituellement dédiés à l’exposition. La photographie contemporaine est au cœur de la ville. Un parcours photographique et une ville à découvrir.
Suzon Auber
Pour aller plus loin :
- Plan des lieux culturels du Havre. Disponible sur : https://fr.calameo.com/le-havre-etretat-tourisme/read/0004270178d6e7508a011
- Suivre ce lien pour découvrir le plan et les horaires du parcours photographique havrais 2022 : http://areyou-experiencing.fr/plan-2022/
#Exposition #Photographie #Le Havre

Und....Aktion !
Le musée du cinéma de Berlin, ou Museum für Film und Fernsehen, se confond dans l'architecture du Sony Center sur une des places emblématiques de Berlin, la Potsdamer platz. Dès 1963, une collection constituée d'archives vidéo, de costumes, d'affiches et de photographies existait dans les archives de la Deutsche Kinemathek mais ce n'est qu'en 2000 qu'elle est rendue accessible au public avec l'ouverture de ce musée. Le musée est situé dans un ensemble appelé le Filmhaus où se trouve également la cinémathèque allemande, une importante bibliothèque sur le cinéma et un institut pour le film et l'art vidéo. La visite de ce musée - pourtant peu connu des flux de touristes qui visitent Berlin - est particulièrement marquante car la muséographie et la scénographie en font davantage qu'un musée sur le cinéma allemand, pour diverses raisons.
Spiegelsaal © Deutsche Kinemathek
Le Filmmuseum ne présente pas une histoire exhaustive du cinéma allemand : seulement certaines périodes sont abordées et illustrées d’objets, de photographies et d’extraits de films emblématiques. Le parcours de la visite est chronologique et traverse une période de 1895 jusqu’à aujourd’hui. Certains espaces marquent le parcours par une scénographie et une muséographie intrinsèquement liées.
A l'entrée, le visiteur accède à la Salledes miroirs (Spiegelsaal), un espace saisissant pour le visiteur. Prologue dumusée, le circuit de visite est entouré de toutes parts par des miroirs et quelquesécrans diffusant des extraits de films emblématiques qui se reflètent àl’infini. Le visiteur retrouve ces films à travers l’exposition permanente etl’effet de multiplication d’écrans est aussi récurrent. Les images diffuséesmontrent surtout des couples, des personnages isolés et des gros plans sur desvisages. Par exemple, des extraits de Métropolis de FritzLang, du Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene ou de LolaRennt de Tom Tykwer animent les murs. La musique d’ambiance évoque labande originale d’un film à suspense.
Salle Caligari © T. Rin
Les sections du musée se suivent comme autant de plongées historiques dans des périodes du cinéma allemand. Celle consacrée au film muet de Robert Wiene, le Cabinet du docteur Caligari, par exemple, immerge dans l'univers du film. Ce dernier a fortement marqué l’Histoire du cinéma allemand à ses débuts. Les thèmes abordés, comme l’hypnose, les forces occultes ou les excès de cocaïne, en font un film à l’atmosphère particulière. Cette dernière est très bien rendue dans la salle du musée. Elle est plutôt sombre et un son inquiétant provenant du film est diffusé, comme le râle d’un des personnages. De longs extraits sont projetés dans un renfoncement noir, qui évoque une salle de cinéma. Concernant les objets exposés, il y a des affiches et des croquis, une reconstruction en maquette du studio et des décors... La pièce devient presque un décor de ce film, une immense photographie de scène de rue et un faux mur de briques où est écrit « Du musst Caligari werden » plaçant le visiteur dans la position de l’acteur.
Salle sur le cinéma nazi © T. Rin
La section « Transatlantique » montre quant à elle comment Berlin a été un centre européen du cinéma avec des vitrines consacrées à Murnau, Lubitsch et Stronheim mais aussi les artistes qui sont partis aux Etats-Unis où leur renommée fut très importante. C’est le cas par exemple d’Emil Jannings qui reçoit le premier Oscar à Hollywood pour le prix du meilleur acteur en 1927. Pour représenter cette émigration, l’espace du musée a également été réfléchi. Au fond, le visiteur peut distinguer une barrière avec une photo de paysage en arrière-plan. Sur les côtés, des hublots font office de fausses fenêtres. La volonté de l’architecte a donc été d’évoquer un bateau ; ce bateau qui emmenait les artistes de l’autre côté de l’Atlantique.
Cette salle contraste énormément avec celle consacrée à la période nazie. Cette dernière est très froide et les murs sont quasiment nus, couverts de plaques de métal. Dans ces murs, quarante tiroirs, qui contiennent aussi bien des documents papiers que des vidéos, peuvent être ouverts. Ce sont des extraits ou des documents en lien avec le cinéma de propagande qui envahissent la culture de l’Allemagne. Le fait que ces tiroirs soient fermés et l’atmosphère si froide renvoient à cette période sombre de l’Histoire allemande. A travers ces quelques exemples, il est facile de comprendre la réflexion poussée des muséographes et scénographes pour nous faire comprendre l'histoire du cinéma allemand.
Tunnel du temps © Deutsche Kinemathek
Cette réflexion se poursuit d'ailleurs dans la partie consacrée à la télévision. Le but de l’exposition permanente est de donner un aperçu de l’évolution de la télévision, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Elle comprend tout d’abord la galerie des programmes où le visiteur a accès aux archives de la cinémathèque et peut regarder des émissions et des films en entier. Ensuite, l’accès à la deuxième partie de l’exposition se fait par un escalier blanc entouré de miroirs et d’écrans blancs très lumineux. On arrive alors dans la pièce appelée le « tunnel du temps » qui rappelle les étapes de l’Histoire de la télévision. Des dates et des écrans entrent en écho et le couloir matérialise l’évolution de la télévision jusqu’à son omniprésence dans notre société actuelle. Son aspect minimal et très lumineux paraît futuriste. Cela renvoie certainement à la modernité de la télévision, qui a bouleversé notre quotidien en seulement quelques décennies.
La fin du parcours nous conduit dans une autre salle de miroirs, qui fait écho à l'entrée. Un documentaire projeté sur des dizaines d'écrans et se reflétant sur 141 miroirs retrace l’histoire de la télévision. La vidéo est réalisée en mosaïques : des dizaines et des dizaines d’extraits d’émissions se confrontent. Des thèmes émergent : le divertissement, la musique, les informations, les scandales, la cigarette à la télévision. C’est un véritable kaléidoscope de la télévision de 1950 jusqu’aux années 2000.
Spiegelsaal 2 © Deutsche Kinemathek
Ainsi, ce n'est pas un musée sur les techniques du cinéma même s’il y a beaucoup de matériels cinématographiques dans leurs archives, comme des caméras. Ce musée est en réalité un musée sur l'Histoire allemande sous le prisme du cinéma comme le montre les divisions chronologiques du musée, toutes en écho avec une période historique. Le musée montre à quel point le cinéma est souvent un reflet de sa société et de son époque. Pourtant le parcours évoque aussi la force critique du cinéma face à l'Histoire et sa force d'anticipation. La section sur l'œuvre de Fritz Lang, Métropolis de 1927 nous rappelle son audace pour l'époque, en nous immergeant dans un décor de ville tentaculaire et aliénante comme peuvent l'être les mégalopoles d'aujourd'hui.
Ce parcours évocateur est le résultat des travaux de l'architecte Hans Dieter Schaal. Il explique ainsi sa conception de la scénographie du musée : «I imagined the pathway through film history like a musical score : still, quietzones give way to loud, shrill areas, there are slow increases in intensity,eddies, melody-clusters and harmony fields. Then again disharmony breaksthrough the wall of images like a stabbing knife ». Au risque de paraphraser, il montre ici que l’espace du musée n’est pas linéaire, chaque pièce procure une sensation particulière au visiteur. Il y a des pièces classiques où des éléments de l’histoire du cinéma allemand sont présents dans des vitrines mais il y a aussi des pièces où la scénographie est plus importante que le contenu.
La musique, la lumière et tous les autres éléments scénographiques ont une place majeure dans le musée. Ils ponctuent la visite et renvoient aux sens éveillés par le cinéma : l’ouïe et la vue. En quelque sorte, l’espace muséal possède la même dramaturgie qu’un film : il y a des espaces inquiétants, d’autres plus calmes, d’autres bruyants, etc. Les sections du musée ont quelque chose de métaphorique : elles représentent une période historique et cinématographique grâce à leur décor, leur lumière et la collection présentée. Hans Dieter Schaal explique d’ailleurs qu’il a choisi les matériaux de chaque pièce en fonction de l’atmosphère de la période exposée.
Hans Dieter Schaal parle également d’un aspect intéressant qui peut nous faire comprendre l’importance de la muséographie et de la mise en scène dans un musée sur le cinéma. Il est difficile de parler du cinéma en tant que tel car il est lié a beaucoup d’éléments. Le film dans un musée n’est pas présenté comme au cinéma mais sous un autre angle : on voit l’envers du décor si on peut dire. En effet, le Filmmuseum présente des maquettes des décors, des photographies, les biographies des acteurs ou actrices, des costumes ou des objets utilisés pendant les tournages. La présentation de ces éléments est donc fondamentale.
La singularité du musée vient du contexte historique particulier dans lequel le cinéma allemand a évolué. Sa visite est aussi bien une expérience visuelle qu'un aperçu de l'Histoire de l'Allemagne. Ce musée est à l'image de la ville de Berlin sur de nombreux points : innovant, singulier, en perpétuelle reconstruction, tout en gardant, toujours visibles, les traces du passé.
#cinéma
#histoire
#scénographie
Pour en savoir plus :

Urbex et culture avec la Clermontoise de Projection Underground
Depuis 2014 je participe tous les ans à l'Underfest, un festival culturel qui proposed'assister à des concerts et des projections de courts métrages dans des lieuxinhabituels.
Underfest 2014, The Delano Orchestra © Clermontoise de Projection Underground
Tous les Clermontois le savent, la butte de la vieille ville est trouée de caves, formant un formidable labyrinthe souterrain. Grâce à la Clermontoise de Projection Underground, ces caves accueillent musique et cinéma le temps d'une soirée au début de l'été.
Pour participer, il faut s'inscrire via la page Facebook de l'organisation. Le jour même de l'évènement, on reçoit une heure et un point de rendez-vous, ainsi qu'une liste d'équipements nécessaires, gants, vêtements chauds et résistants, lampe frontale, … Quelques heures plus tard, les participants se regroupent àl'heure et au lieu dit, nous sommes une quinzaine, parfois près de trente mais pas plus, il faut rester discret …
Édition 2014, Julien Estival © Clermontoise de Projection Underground
La soirée débute par un concert, joué par un groupe ou un artiste clermontois, j'ai eu la chance d'assister aux performances de Morgane Imbeaud et Guillaume Bongiraud, The Delano Orchestra, Julien Estival ou encore The Arberdeeners cette année. Petite cave exiguë ou immense espace vide, éclairé à la bougie, l'effet est saisissant, l'ambiance intimiste.
En 2015, les concerts étaient remplacés par une rencontre avec un.e chef clermontois.e et une dégustation. Les chefs ont cuisiné devant nous, tout en présentant leurs produits et parfois partageant leurs recettes. Chips violettes, panacotta à l'agar-agar, tourte aux orties, des mets originaux mais surtout délicieux. Le nombre d'assiettes étant restreint, tout le monde partage et discute avec son voisin.
Édition 2015. Tourte aux orties, fleur de mauve et tomates anciennes.
Après le concert / la dégustation, petite pause exploration, tout seul ou en petit groupe, tout le monde s'éparpille lampe de poche au poing. Certaines caves semblent ne jamais se finir, les salles voutées et les escaliers se succèdent, s'enfonçant toujours plus sous la terre. La première année, alors que nous étions réunis dans un cave près de la place de la Victoire, accompagnés de l'organisateur de l'évènement, nous nous sommes aventurés plus loin. Nous avons tous rampé dans une petite ouverture à travers une porte à moitié défoncée communicant avec la cave d'à côté. Encore quelques mètres plus bas et nous étions sous la place de la Victoire. Surprise, on peut y voir les restes d'un aqueduc, datant probablement de l'antiquité tardive ou du haut Moyen Âge.
Chaque soir, la projection propose plusieurs courts métrages autour d'un thème choisi. Lors de ma première participation au festival, tous les courts métrages traitaient de l'Urbex. Ce fut une sacrée découverte pour moi et depuis cette soirée je regarde la ville différemment, rêvant moi aussi de m'introduire dans les réserves d'un grand musée parisien ou d'explorer une friche industrielle. Cet été, j'ai pu voir La Jetée, réalisé par Chris Marker en 1962. S'agit-il d'un clin d’œil du centre de documentation du même nom dédié au festival du court métrage de Clermont-Ferrand ?
Édition 2016, The Aberdeeners. On aperçoit les photographies derrière le groupe. ©Clermontoise de Projection Underground
Les caves ne sont pas l'unique terrain de jeu de la Clermontoise de Projection Underground. Le festival s'est introduit plusieurs fois dans un bâtiment en travaux sur une des rues les plus passantes de Clermont-Ferrand. Alors le soir, il ne faut pas trop s'approcher des vitres avec nos lampes, pour ne pas attirer l'attention. Dans ce bâtiment, un photographe a installé ses créations, des portraits noir et blanc, imprimés en grands formats. Quiconque s'introduit dans le bâtiment peut venir les contempler, aussi longtemps qu'il le souhaite et à n'importe quelle heure, ce musée n'a pas d'horaires...
L'illégalité du festival signifie que chacun engage sa propre responsabilité, pas d'assurance pour les blessés ! À chaque festivalier de faire attention là où il marche et à se conduire de façon responsable.
Quelques heures plus tard, les festivaliers émergent, les vêtements souvent salis par la poussière ou la boue, suffocant dans leurs vêtements trop chauds pour la saison mais comblés.
L'Underfestallie culture et exploration urbaine, festival gratuit, il se veut accessible à tous (enfin, ceux qui connaissent!), avec une forte dimension locale, promouvant des artistes de Clermont-Ferrand et faisant écho au festival ducourt métrage. Pour les participants, c'est l'occasion de découvrir des espaces auxquels ils n'ont pas accès en temps normal et d'assister à des évènements culturels dans des lieux insolites, dans une ambiance chaleureuse et détendue. L'enjeu est de s'approprier l'espace urbain et de jouer avec, de sortir la culture des musées ou des salles de concert.
Clémence L.
Facebook de la Clermontoise de Projection Underground
#urbex
#arts
#cinéma
#concert
#culturealternative

Vous reprendrez bien une petite tasse ?
Le visuel de l’affiche interpelle mais ne donne pas encore la réponse.
©MarcMartin
Il faut donc aller sur place pour comprendre enfin de quoi et de qui Marc Martin a choisi de nous parler. « Les tasses » c’est l’argot parisien qui désigne les vespasiennes, les pissotières, les toilettes publiques masculines, haut lieu de vie et de rencontre presque disparu aujourd’hui. Cette exposition était présentée il y a deux ans au Schwules Museum de Berlin (Musée Homosexuel), et ne trouvait pas de lieu d’accueil à Paris, pourtant première concernée par le sujet1. Le Point Éphémère a décidé d’être ce lieu pour une semaine de novembre 2019 et j’en ai profité.
©LC
©LC
Le Point Éphémère fait partie du projet Usines Éphémères5qui réadapte d’anciennes friches industrielles pour installer des résidences artistiques et programmations festives et culturelles. L’association existe depuis 1987 et a permis à de nombreux bâtiments d’effectuer une reconversion architecturale pour devenir des centres de création, dans ce cas il s’agissait d’un ancien magasin de matériaux de construction Point P, créé en 1922. Le lieu est partagé avec la maison des associations du 10ème arrondissement de Paris et la caserne des Pompiers. C’est le programmateur spectacle vivant et évènement David Dibilio qui a donné cette carte blanche à Marc Martin pour son exposition. L’aspect industriel de l’endroit s’accorde facilement au sujet, et les toilettes installées contre le mur pourraient être un vestige original.
©LC
La trace de ces objets/lieux n’existe plus que dans les mémoires matérielles et immatérielles. Les dernières ont été démantelées dans les années quatre-vingt, et de n’avoir pas connu leur existence, je ne me rends pas compte de leur aspect emblématique dans l’espace public. En réalité en tant que femme l’accès à ces micro-monuments ne m’était pas destiné. Les pissotières affirment un ordre patriarcal dans la ville du XIXème et XXème siècle : en effet pourquoi se soucier du confort hygiénique des femmes puisqu’elles ne sont pas censées circuler librement dans la ville et qu’on ne veut pas savoir ce qui se trouve sous leurs grandes jupes longues…Espaces sexistes et point de rendez-vous pour les minorités illégales bravant l’interdit en même temps, les vespasiennes rassemblent de nombreuses problématiques contemporaines. Cette exposition à la fois légère, ludique, artistique et édifiante a le mérite de s’adresser à tous, pour peu qu’on ne s’offusque pas devant un imaginaire homo-érotique affirmé. Tout est politique, l’intime et le public. Les témoins d’autres époques nous permettent de créer des perspectives avec notre présent. L’exposition invite à considérer la richesse sociale et historique de ces endroits qui ne payaient pas de mine à priori et l’importance de discrets collectionneurs qui suivent leur intuition sans s’encombrer du qu’en dira-t-on.
©LC
Lorette
Exposition Les Tasses, toilettes publiques, affaires privées.
Du 19 novembre au 6 décembre, Point Éphémère, 200 quai de Valmy (10e).
#WC
#PointEphémère
#Marc Martin
1 Paris n’a pas de musée consacré à l’histoire du mouvement LGBTQIA+, contrairement à Berlin, Amsterdam, San Francisco. Un projet est en cours depuis plus de dix ans, pour les curieux.ses : https://archiveslgbtqi.fr/
3 https://lafabrique.fr/manifeste-contre-la-normalisation-gay/
4 http://www.marcmartin.paris/about.php?rub=INTERVIEW+-+KEVIN+CLARKE%2C+VICE+-+2017
5 http://rozweb.free.fr/spip/spip.php?article10
Voyage en territoires industriels
La nouvelle exposition de Centre Régional de la Photographie de Douchy-les-Mine, intitulé « Resilient Images », nous transporte le temps d’une visite. Elle raconte l’histoire d’une résidence croisée, de deux artistes, deux sensibilités, regards étrangers ; en immersion dans deux anciens territoires industriels. Justine Pluvinnage, réalisatrice, artiste vidéaste lilloise et David Schalliol, sociologue et photographe de Chicago, nous offrent le résultat artistique de leur regard,posé sur la terre de l’autre.
FM Suprême, « Amazones »,2017
Coproduction CRP/et Hyde Park Center ©Justine PLUVINNAGE
Lauréats du programme de résidence« Resilient Images », David Schalliol a réalisé deux séjours de résidence dans les hauts de France et Justine Pluvinnage est partie deux mois explorer la ville de Chicago.
Un échange de part et d’autre de l’atlantique entre le Hyde Park Center de Chicago et le Centre Régional de la Photographie de Douchy-les-Mines, autour d’une thématique forte : la Résilience. Ce mot faisant référence à la capacité d’une matière, d’un espace à reprendre sa forme initiale, après avoir subi un choc. Un clin d’œil au passé industriel sidérurgique de ces deux territoires.
Les artistes questionnent notre place dans l’héritage industriel et culturel, puisque leur création est guidée par le rapport entre l’Homme et le territoire.
L’exposition prend forme en deux espaces présentant successivement le travail photographique de David Schalliolet l’installation vidéo de Justine Pluvinnage.
Le premier espace d’exposition est de forme cubique autour d’un tronc central. Sur ce fond blanc, les photographies aux couleurs plutôt foncées, ressortent par îlots puisqu’ accrochés par série. Ce qui créé un contraste car le second espace, bien plus petit et plus sombre, nous plonge dans une ambiance particulière. Deux espaces plutôt immersifs, dépourvus de texte, seul l’image joue le rôle de médiateur entre le visiteur et l’artiste ce qui fonctionne étrangement bien.
Les images de David Schalliol
©David SCHALLIOL – Vue partielle de l’exposition « Resilient Images »
Sociologue de formation, son étude des communautés est fortement liée à sa création. Il questionne la résilience des territoires à travers la réappropriation des lieux par les habitants. Il met en exergue ces lieux de l’industrie passé à travers leurs nouveaux usages et la manière dont l’activité humaine a changé ces espaces.
Sa série de wagonnets marque le décalage entre l’usage d’origine et l’usage actuel de l’objet. L’artiste joue sur l’objet mémoire confronté à l’objet décoratif questionnant le rapport à l’héritage.
Mais c’est son travail sur les habitants qui est sans doute le plus significatif. Il les confronte à leurs espaces de vie emprunts d’une activité passé. Nouveaux terrains de jeux, de chasses, de soirées, il montre comment l’homme a réinventé le territoire industriel, le façonnant au gré de ses activités.
Déambulant dans l’espace d’exposition, le visiteur est intrigué par ces séries qui prennent une dimension particulière comme si elles tentaient de nous parler, de nous présenter des personnes. David Schalliol a réalisé de véritables portraits des habitants du nord en allant directement à leur rencontre, brisant toute barrière linguistique, révélant des personnalités singulières au cœur de leur territoire. Il a créé une relation d’empathie avec ces sujets ce qui donne à ces portraits une autre dimension peut être plus sociale, allant au-delà du simple effet documentaire. Une tension est alors palpable entre le personnage et son espace de vie, racontant une histoire particulière, celle de la résilience de ces territoires montrant la résistance à un choc : celui de la disparition d’une activité. L’artiste nous présente alors la fierté de ces habitants à habiter ces lieux dont on pensait l’existence terminée.
Les images de Justine Pluvinnage "Amazones"
©Justine PLUVINNAGE – Vue partielle de l’exposition « Resilient Images
Ce voyage en territoires industriels continue de se déployer sous les yeux du visiteur mais cette fois, sous forme d’images animées. Nous voilà de l’autre côté de l’atlantique, aux states, à Chicago dans une ambiance plus que singulière. L’installation vidéo de Justine Pluvinnage se compose de trois écrans synchronisés qui diffusent des images de femmes marchant sur un fond musical au rythme étrange dont les basses donnent toute la puissance à la création. Immersive,cette création éveil notre ouï en plus de notre vue, redynamisant l’exposition.En effet elle créé une séparation entre l’espace de déambulation autour des œuvres de David Schalliol, pour stopper le visiteur face à la vidéo.
Impossible de décoller les yeux de ces trois écrans, d’où se dresse le portrait de huit femmes, guerrières des temps modernes. Ce n’est pas anodin si l’artiste a nommé son œuvre « Amazones », elle met en image et en mot le caractère spécial de ces femmes. Huit fortes personnalités, toute combattantes pour la paix, réalisant comme une performance. En marchant vers nous, elles revendiquent le droit d’exister à travers une manifestation politique personnelle. La démarche, le regard, le cadrage, tous les détails nous plongent dans un univers étrange et théâtral, comparable à celui d’un vieux western.
Activiste pour la paix, bodybuildeuse, poétesse-rappeuse, artiste atteinte d’alopécie, performeuse voguing…. elles illustrent la résilience montrant la capacité d’un individu à surmonter un traumatisme. Justine Pluvinnage met en image l’émancipation de ces personnalités dans un contexte socio-économique complexe où violences et injustices font partie intégrante de la réalité. Justement, l’artiste présente en arrière plan,les différents quartiers de la ville auxquels ces femmes donnent littéralement corps à travers leur façon de marcher ou de danser. Elle travaille le corps dans l’espace et la manière dont celui-ci agit, prenant possession de l’espace publique. C’est le territoire et son passé que ces femmes ré-enchantent. Elles réinventent la ville en existant à travers la différence, utilisant leur activité, leur comportement et leur combat comme une arme défiant tous les espaces de la ville.
Si le visiteur a eu la chance de parcourir la ville de Chicago, alors, l’émotion est d’autant plus poignante. Cette installation se vit comme une expérience. Elle ne laisse pas indifférent !
David Schalliol et Justine Pluvinnage ; par le biais de cette exposition révèlent une sorte de mécanisme vital de l’individu, celui de se réinventer face aux bouleversements de son territoire de vie. Mécanisme psychanalytique pensé par les Anglossaxons, vulgarisé en France par Boris Cyrulnik.
Le corps, en mouvement ou en portrait est acteur de l’œuvre, ce qui donne à l’exposition toute son émotion.
Un voyage surprenant dont on ressort, tremblant, bouleversé et en même temps remonté à bloc !
Justine Faure
#résilience
#territoire
#habitant
Pour en savoir plus : www.crp.photo/exposition/david-schalliol-et-justine-pluvinnage/

WIP : Work In Progress
L’unanimité se fera sûrement sur le côté bien propre et bien rangé de chacune des expositions, peu importe le thème. Quelques inventivités dans certaines scénographies, mais rien de totalement innovant.
Vue de l'extérieur des WIP © Océane De Souza
Photos jetées par terre, accrochage de bric et de broc, apparence des défauts du lieu : un véritable squat photographique. Les WIP sont un laboratoire pour ces étudiants qui peuvent expérimenter de nouvelles choses. Leur jeunesse dans le milieu et leurs moyens limités, leur permet de s’approprier l’espace avec originalité.
Occupation de la cuisine des escaliers et de la cheminée par les étudiants © Océane De Souza
Pas de noms apposés à côté des photos, ce ne sont pas des œuvres ou des artistes particuliers que l’on vient voir, mais une œuvre commune et spontanée, et c’est rafraichissant !
Accrochage par les étudiants © Océane De Souza
En tant que muséographe, le manque d’explication, et la non-conservation des œuvres sont déroutants, le côté très « nature » du lieu prête à sourire parfois, mais ce sont ces petits « défauts » qui lui confèrent son intérêt.
Accrochage par les étudiants © Océane De Souza
Organisées par l’association des étudiants de l’ENSP, les WIP ont lieu chaque année depuis plus de 10 ans. C’est la première fois qu’elles investissent une maison. Jusqu’à présent, l’exposition avait lieu dans l’église Saint Julien. Les promos étant différentes chaque année, le projet aussi. Pas seulement les photographes mais dans la façon de s’approprier un lieu ou de créer des partenariats. Ainsi en 2010, les étudiants avaient fait appel pour le commissariat aux élèves du master Master Métiers et Arts de l'Exposition de l'université de Rennes. En 2012, ils ont travaillé avec une commissaire-photographe. En 2016, les étudiants-photographes étaient accompagnés d’un commissaire, d’une scénographe et deux graphistes. Cette année c’est seul qu’ils se sont présentés.
Hâte de voir ce qu’il en sera l’année prochaine !
Océane De Souza
#Photos
#Etudiants
#Rencontres
#Expérimentations
Pour aller plus loin :
Le site de l’école de photo : http://www.aeensp-arles.fr/2018/06/25/work-in-progress-exposition-aux-rencontres-internationales-de-la-photographies-2018/
Le site des rencontres : https://www.rencontres-arles.com/
Τ(ρ)όποι λατρείας. Τάσος Βρεττός Wor(th)ship
T/r/opoi latreias- façon Sites1 de culte-Wor(th)ship
Tassos Vrettos
Musée Benaki, Athenes Quand les couleurs du labyrinthe de la ville ressemblent au musée...
Qui croit aujourd'hui? Qu'est-ce que la prière? Et comment se pratique-t-elle ? Comme une discussion de chaque «Autre» et le besoin de sentir qu'il appartenir. Plutôt un souhait qu’une prière pour ceux qui ont été déracinés, ou une gratitude pour la patrie temporaire et la terre actuelle. Cette exposition présente 400 photos couleurs, de 44 sites de culte improvisés, 400 "portes" qui s'ouvrent l’une après l'autre, déroulant un récit qui révèle l'Athènes de l’«autre », du différent, l'invisible Athènes, photographié par le photographe Tassos Vrettos dans un voyage commencé il y a trois ans (l'exposition a eu lieu jusqu'au janvier 2015, Vrettos a commencé sa recherche 2012) dans le labyrinthe religieux d'Athènes. Des lieux de cultes dans des appartements, des garages , des sous- sols des endroits vraiment inattendus qu'ils ont été loués par les communautés de migrants pour pratiquer leur cultes...le photographe, pendant ces années, a pu tisser des liens et il a pu assister à ces moments singuliers et prendre des photos.
T. Vrettos
L’exposition coïncide avec les pages noires de l'histoire sur la question des réfugiés et des immigrés en Europe. Soudain, le matériel collecté a une autre dynamique du fait de son exposition. Le message de l’exposition se met en question. La recherche de cette diversité, dans "la recherche de l'Autre" est-il la même ? Maintenant que la diversité à l’Union Européenne ne semble pas être acceptable…
« Le plus touchant de ce parcours était le moment de l'arrivée de tous ces gens (Ethiopiens, Afghans, Égyptiens, Pakistanais, Nigérians, Sénégalais, Philippins, Indonésiens, des Irakiens…) à l'ouverture de l'exposition. Plus de 1.500 personnes, de différentes nationalités et religions, tous ravis, m’embrassaient, me serraient, parlaient les uns aux autres, existaient dans le même espace, »explique le photographe avec enthousiasme.
T. Vrettos
L’exposition ne cherche pas l'implication affective et critique du visiteur. Elle traite des sujets de notre histoire, de notre mémoire actuelle, et fonde un nouveau rôle social pour le musée grec. Elle introduit entre autres une narration et le témoignage des œuvres qui éliminent les stéréotypes, le racisme et l'exclusion sociale et cherchent des réponses à des questions sur le passé, mais aussi sur les problèmes actuels de la vie sociale et culturelle. Elle relève l'importance de la participation à l’agonie comme à la survie de l'homme.
Plan de l'exposition
Je sens ce labyrinthe avec attention, intérêt et curiosité tout au long de mon parcours dans l’exposition. Des installations sont jetées comme pour figurer l’architecture d’une ville. On sent qu’on est dans une ville, aux endroits lumineux et plus tard sombres. Nous laissons les moments de culte qui célèbrent la joie de la vie religieuse et on passe à l’autopunition et à la flagellation. Le parcours ressemble à une étude continue de variations sur le concept d'extase. Remontent à l’esprit les désirs et les répressions primitifs, et parfois obscurs .Les corps tendus, en sueur, à genoux, la danse, les corps ensanglantés, les yeux fermés, les larmes et les dents serrées sont si intenses et puissants dans toute cette frénésie, la manie religieuse bizarre, ou calme, détecte également une sexualité forte.
Vues de l'exposition
Pendant cette expérience nous sommes accompagnés par les compositions de Michael Kalkani qui a enregistré une partie audio de l’enquête de Vrettos. Une musique qui tente a unifié l'atmosphère de dévotion de l'espace représenté. S’il y avait un moyen de diffuser des odeurs (pas l'odeur des sueurs spécialement (mais pourquoi pas..?) mais aussi des arômes, des fleurs, des épices etc) qui correspondent aux photos nous aurions une parfaite orientation par l'expérience de l'exposition.

T. Vrettos
I. B. « Poisson de la méditerranée »
IB
Pour aller plus loin :
http://www.benaki.gr/index.asp?lang=en&id=50101&sid=879
http://www.benaki.gr/index.asp?id=202020001&sid=1779&cat=0&lang=en
1. le mot "façon Sites" je crois, correspond mieux au jeu de mot" tRopoi" en grec tropoi=façons, topoi=lieux, sites
#expositionphoto
#Grèce