Alors que les événements de photographie en plein air se multiplient chaque année, quelles nouveaux paradigmes met en place ce type d'exposition ?

Vue de l’exposition « Les expérimentales #2 » proposée par le festival Photo Saint-Germain sur le quai de Solférino en novembre 2023 ©J.N

 

Photographie en plein air : une offre de plus en plus récurrente

S’il n’est pas nouveau, le succès des expositions de photographie en plein air se confirme. Le Festival photo de La Gacilly par exemple, créé en 2004, accueille désormais 300 000 visiteurs annuels dans une expérience immersive et déambulatoire au cœur du village breton. Dans son texte de présentation, l’événement argue que “l’espace public devient un espace scénique, partagé et accessible à tous, gratuitement. Le Festival peut ainsi se prévaloir d’être suivi par un public de fidèles connaisseurs autant que par un public de complets néophytes.”

 

NICOLAS 2024 ExpoPhotoPleinAir IMG1

Visiteurs au Festival de la Gacilly ©Jean-Michel Niron

 

Deux arguments forts émanent de cette communication, d’ailleurs liés l’un à l’autre : accessibilité et gratuité : l’exposition dans l’espace public est souvent considérée comme le moyen le plus simple de rendre l’art accessible aux publics éloignés. Sur le papier donc, l’exposition de photographie en plein air ne semble avoir que des avantages : émancipation des contraintes de conservation des photographies par la présentation de reproductions ; affranchissement des contraintes liées à un espace délimité ; accessibilité et gratuité ; pas de personnel ni de billetterie à mettre en place, etc.
En région parisienne, l’été 2024 verra la première édition du Festival Mondes en Commun dans les jardins du Musée départemental Albert-Kahn. Cette nouvelle programmation annuelle part de la traditionnelle exposition des lauréats de la Société des Amis du Musée Albert-Kahn mais a été créée en tant que telle presque ex-nihilo en moins d’un an, depuis son manifeste à l’identité graphique, de la sélection des artistes par le jury à la production. La naissance de cet événement est représentative à la fois d’une volonté de dynamiser la programmation du musée et surtout d’exploiter les espaces du jardin qui permettent une grande liberté : multiplication des supports, des formats, possibilités de présenter des séries sans contrainte d’espace, accrochages originaux.
Ainsi, de nombreux événements photographiques historiques prenant place dans des galeries ou des centres d’art intègrent désormais des propositions en extérieur. Aux Rencontres d’Arles, c’est en 2019 qu’est proposée la première exposition en extérieur, avec « L’humanité végétale » de Mario del Curto dans le Jardin des Voyageurs. En 2021, le festival investit pour la première fois non pas un mais deux espaces verts de la ville. Depuis, chaque édition est accompagnée d’une programmation en extérieur. Les événements récemment créés comme Photo Saint-Germain (créé en 2010) ou les Rencontres Photographiques du 10ème possèdent, dès l’origine, une programmation complémentaire en plein air.

 

Quand la photographie s’installe dans l’espace urbain

Où placer une exposition de photographie en plein air ? Le choix des lieux d’implantation de ce type d’expositions est également intéressant à analyser. On observe bien sûr une forte préférence pour les lieux de passage ou d’affluence : parc, rues fréquentées, quais, gares…

 

NICOLAS 2024 ExpoPhotoPleinAir IMG2

Exposition “Club Ivoire" de François Prost sur les grilles du jardin Villemin lors des Rencontres Photographiques du 10ème en 2023.  ©J.N

 

Le lieu de passage quotidien “ultime”, le métro parisien, est aussi régulièrement utilisé par la RATP elle-même dans le cadre de la programmation “La RATP invite”, en collaboration avec des institutions comme le Jeu de Paume, des festivals comme Circulation(s) ou des magazines comme Fisheye. Créé en 2013, ce programme expose régulièrement des photographes variés ; sur la page consacrée de son site internet, la RATP décrit le choix du médium photographique par le fait qu’il s’agit d’un “art communautaire et d’une forme d'expression artistique accessible au plus grand nombre”. Argument souvent mis en avant dans les programmations liées à la photographie, et complété par les nombreux avantages concrets induits par le médium. L’exposition de photographie en plein air permet en effet de s’émanciper des contraintes habituelles de conservation : reproductibilité des œuvres, techniques résistantes, affranchissement du cadre, accrochage facilité, souvent sur des grilles ou en utilisant des pupitres lestés, qui peuvent être disposés à peu près n’importe où tant que l’autorisation en est donnée. Les événements mettent d’ailleurs généralement en place des partenariats directement avec les collectivités locales, ce qui permet de faciliter largement cette question de l’accrochage dans l’espace public. C’est par exemple le cas de la Biennale de l’Image tangible, soutenue à la fois par la Mairie du 20ème arrondissement et la Mairie de Paris.

 

NICOLAS 2024 ExpoPhotoPleinAir IMG3

Exposition de photographies sur les quais du RER B dans le cadre du Festival Circulation(s) en 2022. ©Hamdi Chref

 

Certains événements peuvent même investir les supports publicitaires dans l’espace public :  c’est le cas de la Biennale de l’Image Tangible qui proposait, à l’automne dernier, des photographies dispersées dans l’est parisien sur des panneaux d’affichage, dans le cadre d’un partenariat avec Clear Channel. Ce type de collaboration peut d’ailleurs poser question, tant un partenariat avec un magnat de l’affichage publicitaire semble éloigné des valeurs d’accessibilité mises en avant par la Biennale autour de cette programmation.

 

NICOLAS 2024 ExpoPhotoPleinAir IMG4

Un panneau d’affichage Clear Channel dans la cadre du projet in situ de la Biennale de l’Image tangible en 2023 ©BIT20 2023

 

Des expositions réellement accessibles ? Publics et évaluations

Comme vu précédemment, la gratuité est souvent un argument mis en avant dans la communication des expositions de photographie en plein air. De même, ce mode d’exposition peut résoudre le problème de l’effet de seuil, enjeu majeur pour bon nombre de musées. Mais paradoxalement, ce type d’exposition - en dehors des festivals dédiés - n’intègre que très rarement des médiateurs : difficile à mettre en place, la médiation se résume généralement aux textes et aux cartels.

 

NICOLAS 2024 ExpoPhotoPleinAir IMG5

En novembre 2023, le festival Photo Saint-Germain proposait une exposition sur les quais de Seine ©J.N

 

Comment construire de véritables études de public pour ce type de manifestations ? L’exposition de photographie en plein air est un cas intéressant pour l’étude de ses publics. La difficulté de compter précisément les visiteurs - à la différence d’un lieu fermé -, celle de différencier clairement les visiteurs réels des passants, l’attention limitée par l’environnement extérieur… font de ce type d’expositions un cas très particulier auquel on ne peut pas appliquer les éléments d’une étude de public classique.
Contrairement à un musée, la « visite » d’une telle exposition n’est en général pas un moment dédié volontairement à la visite et à l’apprentissage, mais un moment de passage, transitoire et plutôt éphémère. Ce n’est pas un moment clairement identifié, ce qui modifie donc la posture de visite qui n’est pas la même qu’une exposition clairement délimitée dans le temps et dans l’espace. Au final, une telle visite en surface permet-elle réellement d’apprendre ?
La complexité d’une évaluation conduit rapidement à se poser une question plus générale : à quoi sert une exposition de photographie en extérieur ?

Autour de cette question, deux visions de ces manifestations peuvent être mises en regard : l’exposition comme un médium, un moyen d’apprentissage ou d’ouverture d’esprit d’une part, et une approche plus sensible d’autre part, où le but n’est pas forcément d’apporter des informations mais de distiller de l’art dans l’espace public. En ce sens, l’exposition photographique en plein air est un médium idéal : relativement simple à mettre en place, se découvrant au détour d’une promenade ou d’un trajet quotidien, elle permet, sinon de sensibiliser, d’habituer les regards à l’observation de la photographie et de désacraliser des pratiques encore élitistes. L’image est là, appartient à chacun, et se prête à autant d’interprétations que de regardeurs, et ce sans la pression “d’être visiteur” impliquée par le cadre du musée.

 

Jeanne Nicolas

 

Pour en savoir plus :

 

#photographie #pleinair #hors-les-murs

Retour