Des bandes dessinées créées à partir du textile, impressions 3D, photographies, monotypes, gravures, abstractions, vidéos d'animation… ? C’est par ici !
Knock Outsider Komiks, un projet de La « S » Grand Atelier qui lie la BD à la création outsider¹, crée à la demande du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, est maintenant exposé au Art et marges musée à Bruxelles².
Installation des gravures sur bois et du court-métrage d’animation Après la mort, après la vie, un projet de mixité entre Adolpho Avril & Olivier Deprez © L.M.
Le Art et marges musée, musée d'art brut et art outsider, est consacré à la conservation, à la recherche et à la diffusion des créations en dehors du circuit traditionnel artistique, questionnant l’art et ses frontières. Une partie importante de sa collection s’est constituée auprès d’ateliers artistiques pour personnes porteuses d’un handicap mental, dont La «S » Grand Atelier.
Situé à Vielsalm dans les Ardennes belges, La «S » est un laboratoire de recherche artistique qui accueille des artistes atteints d'une déficience mentale et des artistes non-déficients qui viennent en résidence. En sortant du discours de la « sanctuarisation » de l'art brut/outsider, au lieu d'isoler les individus en marge de toute sorte d'influences extérieures, le but de La « S » est justement le contraire. Loin de toute considération compassionnelle, positionnement emphatique de la structure, elle se singularise par sa volonté d'intégration, de rendre possible des rencontres et d’interagir avec tous les champs de l’art actuel. Dans cette perspective, à partir des résidences où artistes handicapés ou non échangent,expérimentent et créent ensemble, naissent des projets complètement étonnants et singuliers, notamment dans la BD.
La bande dessinée a connu des évolutions radicales ces dernières années sous l'impulsion des maisons d'éditions indépendantes ou alternatives, dont Frémok fait partie. Thierry Van Hasselt est l'un de ses fondateurs et également co-commissaire de Knock Outsider Komiks. Selon lui, « le Frémok envisage la bande dessinée d'une manière plus large. Pas une espèce de langage avec des règles définies, mais plutôt un terrain d'exploration, un terrain de jeu, un milieu en expansion qui essaie toujours de recréer les limites et les frontières de la BD, qui s'intéresse à la mixer avec d'autres domaines, à la faire sortir de ses cadres habituels. »
Anne-Françoise Rouche, directrice de La « S », avait trouvé des similitudes entre le travail des artistes de la structure et celui de Frémok. En réunissant l'aspiration de La « S » de s'ouvrir vers l'extérieur et vers le développement de la bande dessinée alternative, et la perpétuelle recherche des nouvelles formes de la part du Frémok, leur connexion était inévitable, sur un terrain qui n'était pas encore exploré.
Les cases de BD redessinées et agrandies par Jean Leclercq © L.M.
La bande dessinée et l'art outsider : une rencontre improbable ?
Selon Erwin Dejasse, également co-commissaire de Knock Outsider Komiks et historien de l’art, sous un premier regard l’articulation entre bande dessinée et art brut semble un lien improbable : « A priori, tout oppose la bande dessinée et les créations brutes ou outsider. La première est souvent présentée comme un langage dont la pratique exige la maîtrise d’un ensemble de codes voire d’un vocabulaire et d’une grammaire. Les secondes, au contraire, semblent se définir par leur totale absence de règles. »
La BD comprend tout ce qui est narratif et anecdotique. L'anecdotique est également présent dans l'art brut/outsider. La dimension narrative, en revanche, reste moins évidente lorsqu'une forte caractéristique dans les outsiders est notamment l'hermétisme. Le défi était donc de voir ce qui pourrait se passer si on mettait en relation les artistes de La « S », qui étaient plasticiens et qui travaillaient cette grande liberté graphique, et ceux du Frémok, qui ont l'habitude de manipuler narration et récit.
Thierry Van Hasselt témoigne de cette expérience : « À La « S » on pensait au départ du projet qu'on allait nous (le Frémok) ramener cette dimension narrative et construire du récit avec le matériel graphique qui amenait les artistes handicapés. Pourtant ça a été tout à fait une autre chose qui s'est passée. Leur poésie et leur manière d'être, de s'exprimer et de raconter des choses a complètement contaminé le travail narratif. Et ce que nous a complètement transformé lors de ce projet c'était justement quel type de narration cette rencontre nous permettrait d'explorer et de découvrir. Et donc nous aussi avons appris à raconter autrement en travaillant dans ce projet de mixité et cela nous a permis de mettre en place d'autres types de dispositifs narratifs. Sur Knock Outsider Komiksla narration était vraiment générée à quatre mains. »
Créations textiles, photographies et le «ciné-roman » Barbara dans les bois, un projet de mixité entre Barbara Massart& Nicolas Clément © L.M.
Erwin Dejasse complète : « Knock Outsider Komiks montre des artistes qui vont être à la fois plus qu'au limite de la bande dessinée. On peut se questionner si une création est de la BD et parfois la première réponse est non, même s'il y a des éléments en commun. Mais on sent qu'il y a un état d'esprit similaire, il y a des choses qui dialoguent. On ne s'arrête pas de poser des questions entre les limites de la BD et de l'art outsider, mais autant pour cette exposition il fallait se laisser aller, de faire au feeling. Donc on montre une photographie de ce qui a été produit à La « S » au long de ces années de résidence, plutôt orientée vers quelque chose qui touche à la BD. Mais on ne va pas arrêter de déborder ce domaine pour autant qu'il n'y aie pas une définition de bande dessinée que ne puisse être débordée des frontières instituées. »
Knock Outsider Komiks dans les murs du Art et marges musée
À Angoulême, La « S » a mis en place une exposition de qualité qui a connu énormément de succès. Néanmoins, la courte durée du festival - 4 jours - a laissé une envie d'aller plus loin et de rendre Knock Outsider Komiks accessible à un plus large public. Anne-Françoise Rouche a donc proposé à la direction du Art et marges musée, collaborateur de longue date, de l'exposer dans ses murs pou rune deuxième édition, quelque peu différente.
Tatiana Veress, directrice du Art et marges musée, s'est montrée enthousiaste du projet : « Il y a cet aspect collaboratif qui correspond à la philosophie du musée depuis ses débuts, de faire des expositions qui présentent à la fois des artistes outsiders et des artistes insiders sans le besoin de préciser que l'artiste est in ou que l'artiste est out. »
Exposer Knock Outsider Komiks au Art et marges musée correspond également à l'envie de présenter des dialogues entre l'art outsider et les différents domaines de l'art en ne se limitant pas aux arts plastiques, mais de pouvoir toucher le cinéma, la musique, la photographie... et la bande dessinée fait partie de cette ouverture.
Sur le mur à gauche, les monotypes de Pascal Cornélis. À droite, Comix Covers, de Pascal Leyder © L.M.
Par ailleurs, faire venir cette exposition à Bruxelles est très important car la Belgique porte une identité particulière par rapport à l'histoire, à la reconnaissance et au constant développement de la bande dessinée. La BD est très présente dans la culture belge avec des grands éditeurs, des structures, des librairies spécialisées, un Musée de la BD, des personnages partout sur les murs des villes... Tous ces aspects font que dès qu'on parle de BD en Belgique, on rencontre une réceptivité singulière.
Tatiana Veress précise : « On présente la bande dessinée, mais c'est un "uppercut aux catégories instituées". Donc le visiteur qui vient en se disant "je vais visiter une exposition de bande dessinée" sera forcément déstabilisé. Et c'est cet aspect de déstabilisation qui est intéressant. Il y a des œuvres qui sont très proches de la BD, qui recréent ses cadres, par exemple, mais déjà avec des codes un peu différents, une certaine liberté naïve. Sinon il y a des choses qui sont apriori fort éloignées de la BD, où on est dans des œuvres très abstraites. Dans ce cas, c'est plutôt le principe sériel, l'accumulation et la séquence qui évoquent l'idée de la narration existante aussi dans la BD contemporaine. Donc on est plus proche d'un univers plus alternatif qui présente une nouvelle génération de bande dessinée. Et en même temps on a encore un regard en marge parce que dans l'exposition on intègre des artistes qui ne viennent pas du monde de la BD et qui ne viennent pas non plus du monde de l'art officiel.
Et à chaque fois qu'on travaille avec une thématique particulière c'est l'occasion de toucher des nouveaux publics. La possibilité d'aller à la rencontre d'un public plus amateur de bande dessinée qui pourrait découvrir l'art brut, qui ne la connaissait pas auparavant, cela joue en faveur de notre objectif de faire connaître ces artistes et l'art brut de façon plus large. »
Ateliers Créatifs pour les publics
Le Art et marges musée possède également un espace ouvert au public dédié à l'Atelier Créatif où les visiteurs sont invités à s'exprimer d'après ce qu'ils ont regardé et ressenti dans l'exposition. Dans le cadre de Knock Outsider Komiks, le sujet abordé par l'atelier concerne la narration et les différentes techniques graphiques.
« Lorsque l'exposition met en avance des projets menés en collaboration, l'idée est de construire une histoire ensemble, à plusieurs mains et à plusieurs techniques. Dans l'atelier on trouve des grandes feuilles de papier accrochés sur les cimaises avec des cases pré-dessinées où chacun peut apporter sa contribution plastique dans ce qui deviendra une narration, ou pas. En tout cas, qui aura une allure de planche de bande dessinée. », affirme Sarah Kokot, responsable des publics du Art et marges musée. « Et dans ce qui concerne l'activité prévue pour les enfants, l'idée est d'aborder la gravure et comment elle est faite. Il y aura des créations à partir des décalques en feuilles de carbone et du monotype à la gouache. »
L'Atelier Créatif du Art et marges musée pour l'exposition Knock Outsider Komiks © L.M.
Rencontres autour de l’exposition
Afin d'élargir le débat sur la bande dessinée et l'art outsider, le Art et marges musée, La « S » Grand Atelier et l'ISELP (Institut Supérieur pour l'Étude du Langage Plastique) organisent encore des conférences et des visites guidés autour de Knock Outsider Komiks.
Art Brut et bande dessinée : influences, convergences et sympathies sera une conférence présentée par Erwin Dejasseet Voyage à FranDisco une conférence-performance réalisée par Marcel Schmitz (artiste de La « S ») et Thierry Van Hasselt sur leur projet de mixité homonyme³.
Luana Medeiros
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¹ L’art outsider désigne la création en dehors du circuit traditionnel de l’art. Elle englobe des créateurs marginaux, des autodidactes, souvent provenant d’ateliers artistiques pour personnes porteuses d’un handicap mental ou du milieu psychiatrique.
² Infos pratiques Knock Outsider Komiks
Exposition du 29 septembre 2017 au 28 janvier2018
Art et marges musée
Rue Haute 314, Bruxelles
Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.Fermeture les lundis et les jours fériés officiels.
³Infos pratiques des rencontres
Jeudi 9 novembre 2017
A L’iselp, 18h30-19h45 : Conférences d’Erwin Dejasse, Marcel Schmitt et Thierry Van Hasselt.
Au Art et marges musée, 20h15 : Visite guidée de l’exposition en compagnie des commissaires.Plus d'informations:
http://www.lasgrandatelier.be/
Remerciements à Erwin Dejasse, Sarah Kokot,Thierry Van Hasselt et Tatiana Veress qui ont été interviewés afin de collaborer sur cet article.