Quand Pikachu rencontre le maître néerlandais…

Pokémon x Van Gogh Museum presentation ©Sven Mooij

 

Que se passe-t-il au musée Van Gogh ?

Pour célébrer son 50e anniversaire, le musée Van Gogh d'Amsterdam a collaboré avec la franchise Pokémon créant une exposition inédite : L’aventure Pokémon, un jeu de piste qui permet aux visiteurs de découvrir les chefs-d'œuvre de Vincent Van Gogh à travers le prisme des Pokémon.

Créée par Satoshi Tajiri, créateur et producteur de jeux vidéo japonnais, en 1995, Pokémon est une franchise japonaise de jeux vidéo, de cartes à collectionner, d'animes, de mangas et de jouets. Les Pokémon sont des créatures fictives, souvent anthropomorphes, qui possèdent des pouvoirs et des capacités uniques. Ils sont répartis en plusieurs types, chacun ayant ses propres forces et faiblesses, une des créatures les plus connues n’est autre que Pikachu, une petite souris jaune pouvant manier l’électricité. 

Trois célèbres illustrateurs du jeu de cartes Pokémon ont participé à cette campagne, créant des réinterprétations originales des œuvres de Van Gogh. Pikachu inspiré par l'Autoportrait au chapeau de feutre, Héliotronc dans Les Tournesols et Goinfrex Ronflex dans la Chambre à coucher sont quelques-uns des exemples de ces illustrations. 

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 Pikachu inspired by Self-Portrait with Grey Felt Hat, Naoyo Kimura (1960), The Pokémon CompanyInternational.
Sunflora inspired by Sunflowers, 2022, Tomokazu Komiya (1973), The Pokémon Company International
Munchlax & Snorlax inspired by The Bedroom, sowsow (1988), The Pokémon Company International

 

Lors de la seconde édition de l’Open Museum du Palais des Beaux-Arts de Lille, en 2015, des réinterprétations d’œuvres iconiques étaient réalisées par le collectif InterDuck. Ainsi, les visiteurs pouvaient apprécier Le Canard à la Perle ou encore le sarcophage du roi Duckamon Ier, version affublée d’un bec à la Donald Duck. Les réinterprétations d’œuvres d’art permettent d’attirer de nouveaux visiteurs. C’est en intégrant la pop-culture que les musées tentent de rajeunir leur image. L’Open Museum est une initiative lancée par le Palais des Beaux-Arts de Lille, en 2014, qui a pour objectif d’offrir une nouvelle expérience à son public. Cette année, pour sa 8e édition, l’institution a intégré dans son parcours la thématique des jeux vidéo, questionnant à nouveau le rapport entre le musée et une entreprise commerciale, dans ce cas précis les deux studios Ankama et Spiders.

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 Sarcophage du roi Duckamon Ier par InterDuck - M.Libert / 20 Minutes
Le Canard à la Perle, réinterprétation de La Jeune fille à la perle de J. Vermeer, par InterDuck
Affiche de la seconde édition de l’Open Museum du Palais des Beaux-Arts de Lille mettant en avant les artistes du collectif allemand InterDuck. 10 avril - 05 juillet 2015

 

Mais pourquoi avoir choisi la franchise ?

Emilie Gordenker, directrice générale du musée, affirme dans un communiqué de presse que ce choix n’est pas anodin. L’influence de l'art japonais sur Van Gogh est indéniable. Ses estampes japonaises, avec leurs couleurs vives, leurs compositions innovantes et leurs représentations de la nature et de la vie quotidienne, ont laissé une empreinte indélébile sur l’artiste : Les Tournesols et La Nuit étoilée.  

 

Comment s’interprète cette collaboration ? 

Le musée Van Gogh a créé le parcours L’Aventure Pokémon dans un but éducatif, destiné aux enfants de six ans et plus. Grâce à un livret fourni par le musée, disponible en néerlandais, anglais, espagnol, français et italien, les visiteurs sont guidés à travers les chefs-d’œuvre emblématiques de Vincent Van Gogh qui ont inspiré les illustrateurs de la franchise Pokémon. Par le biais de ce jeu de piste, le public est immergé dans les histoires cachées des œuvres majeures. Une fois le livret complété, une surprise attend chaque visiteur : une carte Pokémon exclusive représentant la réinterprétation de Pikachu par Naoyo Kimura.

Une variété d'activités sont offertes, allant de cours de dessin visant à capturer le style graphique Pokémon à des leçons adaptées aux élèves de fin de primaire et de début de collège. Ces cours sont également accessibles en ligne via la plateforme Van Gogh at School. Cette collaboration se manifeste également dans ses aspects marketing à travers la vente de produits dérivés exclusifs, destinés tant aux visiteurs qu'aux fans de la franchise. Parmi ces produits : des cartes postales classiques, des affiches, des crayons et des stylos ornés de l'univers de Pokémon.

 

Une collaboration victime de son succès

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Capture d’écran du site eBay hébergeant des reventes de la carte exclusive de Pikachu au chapeau de feutre gris, 25 octobre 2023 ©E. LAVERDURE

 

L'initiative a suscité une diffusion massive à travers les plateformes de médias sociaux, précipitant ainsi une déferlante de fans en direction du musée Van Gogh. L’objet de toutes les convoitises était la carte exclusive de Pikachu, offerte aux visiteurs qui se prêtaient au jeu de piste. Cette carte a engendré des attroupements chaotiques au sein du musée, où des amateurs de cartes Pokémon se sont précipités sans ordre établi pour mettre la main sur ces objets tant désirés, comme l’attestent les vidéos postées par des visiteurs sur les réseaux sociaux.

En l'espace de quelques jours seulement, cette carte ainsi que la plupart des produits dérivés ont été épuisés. Le musée s'est trouvé dans l'incapacité de gérer l'engouement suscité. En conséquence, l'institution a dû annoncer l'interruption de la distribution de la carte la rendant d’autant plus rare. Cette situation a déclenché des spéculations, la carte, qui était initialement offerte, se négocie désormais aux alentours de 200 euros. 

 

Quelle conclusion ? 

Ce cas constitue une illustration révélatrice des contraintes inhérentes aux partenariats entre certaines institutions culturelles et des entreprises internationales. Ce projet, initialement conçu avec des objectifs éducatifs novateurs et étayé par un programme de médiation particulièrement élaboré, a transformé le musée Van Gogh en un lieu de divertissement.

Le musée Van Gogh avait déjà établi sa réputation en tant que défenseur actif de la médiation culturelle pour les jeunes, en proposant des cours en ligne depuis plusieurs années, en organisant des "Family Days" et en créant des chasses au trésor. Cependant, l'expérience des visiteurs a pris un virage inattendu, ces derniers étant désormais davantage attirés par les produits dérivés et les activités liées à Pikachu que par les chefs-d'œuvre de Vincent Van Gogh. Une question se pose alors : aurait-il été possible pour le musée néerlandais d'éviter cette marée humaine en refusant de céder à la tentation des bénéfices immédiats, notamment en ce qui concerne la vente de produits dérivés ou la distribution de cette carte inédite ? La prise en compte de l'impact colossal de Pokémon a peut-être été minorée quant aux comportements des joueurs. 

La collaboration, innovante et populaire, a entraîné le musée dans les méandres des médias de masse. Pris de vitesse par la diffusion de l’information, il a été contraint de composer avec les complexités inhérentes aux partenariats culturels avec des géants de l'industrie.

 

Emma LAVERDURE

 

Pour en savoir plus

 

#VanGogh #Pokémon #collaboration 

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