François Olislaeger, Sans titre, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
François Olislaeger, Sans titre, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Une exposition miniature
« Ce que j’aime bien, c’est que l’on partage des histoires, tous, et nous les lisons de manière différente, mais nous avons la même. On ne se connait pas mais on sait que la Joconde [de Léonard de Vinci] c’est une œuvre d’art et cela nous fait déjà un point commun. », François Olislaeger, Livret de visite du FRAC Picardie, 2023.
Les FRACS (Fonds Régionaux d’Art Contemporain), créés en 1982 sur la base d’un partenariat entre l’Etat et les régions, assurent depuis 40 ans le soutien aux artistes contemporains. Un FRAC est une institution ayant pour mission de constituer et de diffuser des collections publiques d’art contemporain en région, présentant de nouvelles formes de sensibilisation à la création actuelle. Le FRAC Picardie, depuis sa création en 1983, est implanté dans l’ancien couvent des Dames du Bon-Pasteur. Il est le seul FRAC de France à avoir constitué la collection la plus importante autour du dessin contemporain. Le premier dessin acquis au sein de cet établissement est une œuvre graphique de l’auteur belge de bandes dessinées, François Olislaeger, artiste associé 2023 du FRAC et exposé du 14 octobre 2023 au 2 mars 2024 à Amiens. Premier auteur de bande dessinée pensionnaire à la Villa Médicis en 2019, ses œuvres sont entrées dans la collection du FRAC Picardie en 2020, ouvrant un nouveau corpus autour d’écritures et d’œuvres dessinées, issues de l’illustration et de la bande dessinée. Le commissariat de Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe est réalisé par Pascal Neveux.
Afin de donner vie à cette exposition, François Olislaeger s’appuie sur l’aide d’étudiants en arts plastiques de l’Université Picardie Jules Verne : Oriane Limousin, Balsem Jeridi, Mustafa Aslan, et Edouard Sautai. Treize artistes sont exposés, comme Pierrette Bloch, Anne-Marie Schneider, François Morellet, Vassiliki Tsekoura, ou encore Olivier Debré, ainsi que des œuvres de François Olislaeger.
Au sein d’une émulation créative de plusieurs générations d’artistes, quelle histoire de l’art inventer et écrire ensemble ? De quelle manière François Olislaeger revisite-t-il l’Histoire de l’histoire de l’art sous le prisme de l’art contemporain et de la bande dessinée ?
Une collaboration scénographique entre propos scientifique et propos artistique
L’exposition se compose de quatre axes déterminés par quatre notions : l’espace, le support, le geste et la main, présentés par quatre cubes. Les notions ont été fixées par l’historienne de l’art Cécile Debray, et les œuvres sélectionnées par l’artiste François Olislaeger. De quelle manière ? Selon l’historienne de l’art, ce qui fait une œuvre est l’espace dans lequel on crée, une grotte aussi bien qu’un atelier. Le support, tel qu’une feuille ou une toile. Le geste, celui de créer, de chanter, de danser, en bref, de se mettre en mouvement. La main, qui permet au geste de s’accomplir, de déposer une trace sur le support, de signifier, de communiquer. Afin d’illustrer ce propos scientifique, François Olislaeger sélectionne de manière instinctive, dans les réserves du FRAC Picardie, des œuvres faisant écho aux concepts énoncés par Cécile Debray comme des mains, des œuvres parlant d’espace, ayant un langage proche de la narration d’une bande dessinée, questionnant le geste de faire.
Vue d’un cube ouvert où se déploie un monde intérieur et où se rencontrent diverses références d’Histoire de l’art sous format miniature, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Un travail de réflexion est conduit en amont, prenant en compte l’espace d’exposition. En partant de maquettes de cubes d’un mètre par un mètre, de quelle manière le visiteur pourrait-il déambuler entre ces formes ? Dans la salle d’exposition se trouvent des cubes ouverts, fermés, et dépliés. Cubes ouverts comme un white cube (type d’espace d’exposition répandu dans les années 70), cubes fermés comme réserves d’un musée, espace que le visiteur n’est pas amené à rencontrer, et cubes dépliés comme espace de travail, atelier de dessinateur. Sur une table-cube dépliée, les œuvres cohabitent, à travers différentes périodes de l’histoire artistique que l’artiste abolit en les exposant côte à côte, sur un même espace. Cette table horizontale rompt avec la verticalité des murs et casse l’idée de présenter, d’observer, des œuvres accrochées au mur.
Vue d’un cube déplié formant une table où s’inscrivent des œuvres de papier et encre de chine, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
La bande dessinée : un art de raconter des histoires
« Pour moi, le dessin c’est un trait noir sur une feuille blanche. »
Abolissant les frontières artistiques, François Olislaeger crée des ponts entre la bande dessinée et les arts plastiques afin d’élaborer une œuvre pluridisciplinaire où se rencontrent des disciplines telles que le théâtre (il publie les Carnets d’Avignon, planche 2008-2012, après avoir passé plusieurs années de reportage au Festival d’Avignon, dans lesquels s’écrit une mémoire du théâtre contemporain), la danse (il réalise avec Mathilde Monnier, chorégraphe, la bande dessinée intitulée Mathilde : danser après tout, en 2013), et la musique.
L’artiste s’emploie à présenter un espace d’expression de l’Histoire de l’art unifiée et en continuité, où tout est lié, de la préhistoire à l’art contemporain. A titre d’exemple, dans la même pièce, l’artiste copie sur une simple feuille de papier avec un feutre noir, des peintures murales de la grotte de Lascaux, dessine la figure de la danseuse américaine Loïe Fuller, donne à voir la disposition des tableaux de l’exposition suprématiste et futuriste 0,10 (1916), et représente, par des traits simples, L’Homme qui marche de Giacometti (1960-61).
Gauche : François Olislaeger, La danse de Loïe Fuller, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Droite : François Olislaeger, L’Homme qui marche de Giacometti, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Le choix du noir et blanc est le parti pris de cette exposition, évoquant la simplicité de la réalisation et l’absence de hiérarchisation entre les œuvres. Toutes placées à la même échelle, elles évoquent des motifs géométriques reprenant le style de la case de BD, que François Olislaeger déstructure afin de laisser le champ libre au visiteur dans sa lecture et son interprétation. L’artiste mise davantage sur le fonctionnel que sur l’esthétique et souhaite que le propos de son histoire de l’art, créée dans cet espace, ne soit pas élitiste comme peuvent l’être les propos scientifiques, non vulgarisés, des cartels de musées des Beaux-Arts. François Olislaeger se réfère à l’essai d’André Malraux, Le Musée Imaginaire, où ce dernier évoque le rôle de la photographie dans la diffusion des œuvres d’art, en noir et blanc. La photographie a alors commencé à relier d’une certaine manière les œuvres entre elles, à leur donner un commun, à les rendre de la même manière à tous.
François Olislaeger, Fragments de peintures pariétales de la grotte de Lascaux, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Se laissant guider par l’évocation des quatre notions (l’espace, le support, le geste et la main), le visiteur déambule auprès d’œuvres non renseignées, sans cartel. Le dispositif est volontairement simple et accessible. L’artiste aime à penser que n’importe qui peut réaliser ce qu’il réalise, comme prendre une plume, de l’encre, et dessiner une œuvre d’art. Toutefois, l’exposition manque d’un dispositif qui permettrait au visiteur de prendre cette plume et cette encre afin de rendre compte de sa capacité à réaliser une œuvre. Cette démarche participative, de « faire ensemble », en « collaboration », est présente dans le propos écrit de l’artiste, mais non pas physiquement dans l’espace d’exposition.
Exposer la BD : quelle différence entre créer une bande dessinée en exposition ou pour la presse ?
Son travail de dessinateur donne lieu à des expositions où la bande dessinée se déploie dans des espaces en trois dimensions. François Olislaeger est dessinateur de presse pour Le Monde, Libération, et Les Inrockuptibles, et publie des reportages dessinés comme, en 2006, Un autre monde est possible, avec Pierre Cattan, portant sur une enquête au Venezuela sur le mouvement Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne). Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages tel que Le Carnet du promeneur publié en 2022, ou la bande dessinée Marcel Duchamp : un petit jeu entre moi et je, aboutie en 2014, et présente en fin d’exposition. Un ensemble de vingt dessins inédits de son projet de recherche sur Marcel Duchamp clôture l’exposition en présentant de manière narrative et sous forme de bande dessinée, la vie et l’œuvre de l’artiste surréaliste. Ludique et pédagogique, ce fragment d’ouvrage présenté en miniature inverse le prisme de grandeur entre l’œuvre et le visiteur. Couramment, les œuvres sont imposantes et inaccessibles, par le fait de leur valeur et par l’acte de ne pas toucher, alors qu’ici, il convient de se baisser et de se rapprocher de l’œuvre afin de la découvrir.
François Olislaeger, Marcel Duchamp : un petit jeu entre moi et je in Le Carnet du promeneur 2014, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Dans le cas d’une exposition au FRAC et de la création de dessins dans la presse, le point commun, et de départ, est la narration. C’est l’ouverture de cette dernière qui diffère en fonction du support d’exposition. Pour l’un, la narration est ouverte, et le visiteur peut lui-même relier ces éléments de narration à sa guise, afin de créer sa propre histoire. Le sens de lecture, la logique de construction de son propre récit, le sens de déambulation, au FRAC, sont des données libres. Au contraire, dans la presse, l’autorité de l’auteur fait que rien n’est laissé au hasard. Tout est cadré, sous forme d’encart, dans des traits, des bulles, que le lecteur doit suivre dans l’ordre de lecture donné. Sont imposés l’histoire et le point de vue. La case est figée. C’est pourquoi l’espace du FRAC offre une liberté de mouvement et laisse l’opportunité au visiteur de pouvoir visiter à plusieurs, lire ensemble, de se créer une histoire, à la fois commune mais différente.
La miniature : une affaire de taille ?
« Le minuscule, porte étroite s’il en est, ouvre un monde », Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, p.146, 1957
D’après les philosophes, la miniature est considérée comme mineure, et réservée aux enfants. Contrairement au détail ou au fragment, la miniature donne une vision globale, en réduction. Toutefois, la réduction de taille peut rendre difficile la vision, et de ce fait éloigner le visiteur de l’objet rapetissé. Le temps d’observation de ces œuvres miniatures est donc rallongé. Néanmoins, prendre le temps de regarder, de contempler la finesse des détails et la petitesse des dimensions permet aussi de prendre de la hauteur et de voir ensemble, de voir l’ensemble du dispositif.
La miniature au FRAC Picardie est-elle plutôt une œuvre d’art ou un dispositif moteur ? La miniature, même si nourrissant un imaginaire enfantin que les adultes sont enclins à délaisser, permet d’éveiller chez le visiteur des émotions et des plaisirs esthétiques pouvant différer des œuvres accrochées au mur. Même si le dispositif de miniature du FRAC Picardie ne permet pas le plaisir du jeu car non manipulable, le visiteur peut néanmoins activer un imaginaire, un récit, et se conter une histoire au travers de ces représentations miniaturistes. L’œuvre de François Olislaeger est à la fois une œuvre d’art, et est également un dispositif moteur permettant d’ouvrir les sens du visiteur, en particulier l’imaginaire.
(Isabelle Roussel-Gillet et Evelyne Thoizet, La miniature, dispositif artistique et modèle épistémologique, Brill/Rodopi, Chiasma vol n°43, p.1-20, 2018)
François Olislaeger, Extrait de La poétique de l’espace (1957) de Gaston Bachelard, Ces petits objets n’étaient nullement nécessaires à la survie matérielle du groupe, FRAC Picardie, Amiens, ©S.B.
Casser les codes
Au sein de cette exposition, l’artiste s’affranchit des codes classiques de l’histoire de l’art, c’est-à-dire de la toile et du châssis, ce qu’il n’est pas le premier à faire il s’entend, pour élaborer un vocabulaire graphique qui lui est propre, en liant simplicité et bande dessinée. Entre peinture à l’huile, encre sur papier découpé, gouache, sculpture en papier, et aquarelle japonaise, le travail de François Olislaeger sort des codes classiques de la bande dessinée, et donc de l’histoire de l’art classique, afin de prendre en compte le déplacement et le point de vue du visiteur dans un espace d’exposition sous forme de cubes placés en ilot, où règnent le noir et le blanc.
Séléna Bouvard
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