Le fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture (FHEL) situé à Landerneau présente du 17 octobre 2021 au 3 avril 2022 une exposition rétrospective sur l'artiste contemporaine Françoise Pétrovitch.
Image de couverture : Vanité, 2020, lavis d'encre sur papier. Courtesy Semiose, Paris. © Sibylle N.
Françoise Pétrovitch, née en 1964, vit et travaille à Cachan (Val-de-Marne) et Verneuil-sur-Avre (Eure). Artiste pluridisciplinaire (peinture, sculpture, vidéo...), elle crée des images ouvertes aux interprétations, traversées par des apparitions à la fois familières et inquiétantes. Figures de contes, jeux d'enfants, corps endormis ou morts, créatures hybrides, chaque œuvre semble issue d'une mythologie oubliée et mystérieuse. Ses sujets humains flottent dans un espace indéterminé, souvent laissé vide, et semblent eux-mêmes empreints d’une certaine fragilité. Ils se cachent derrière leurs mains ou dans leur tee-shirts trop grands. Insaisissables, leur âge est difficile à définir, leur genre bien souvent ambigu. "Je lutte contre la narration, contre ce qui donnerait des limites aux figures que je montre. Je propose des blocs d'image, je ne veux pas d'une histoire qui se referme. Si on dit tout, il n'y a plus rien à penser…" (Françoise Pétrovitch, entretien avec Pascal Neveux, Valérie Pugin, Paul Ripoche et René-Jacques Mayer dans Françoise Pétrovitch, Monographie, Paris, Semiose Editions, 2014, p. 15).
Sans titre, 2020, lavis d'encre sur papier, Collection Ginguay, Paris. © Sibylle N.
Promenons-nous...
Les commissaires Camille Morineau et Lucia Pesapane contribuent depuis des années à la valorisation du travail des femmes artistes, notamment à travers l'exposition Elles@Centre Pompidou (2009-2011), ou l'association Aware, qui met en lumière la recherche sur les artistes femmes. Pour l'exposition du FHEL, elles ont travaillé en collaboration avec Françoise Pétrovitch pour proposer un parcours cohérent retraçant son travail de création depuis les années 1990. Neuf salles se succèdent, selon une double logique chrono-thématique. L’exposition éclaire ainsi certaines des obsessions de l’artiste et ses motifs de prédilection (le double, l’ombre, les gestes, l’hybridation humain / animal…) tout en mettant l’accent sur quelques séries marquantes : Les regards d’Ingres dans les années 1990, jusqu’aux Saint Sebastien (2019-2021) en passant par les Nocturnes (vers 2013). Deux salles de projection, l’une au centre de l’exposition, l’autre dans ses marges, comme une transition entre deux espaces, présentent des installations vidéos de l’artiste (voir les salles en noir sur le plan). L’exposition s’achève sur la diffusion d’un film, cette fois documentaire, réalisé par son collaborateur Hervé Plumet, présentant l’artiste dans son atelier, en conversation avec les commissaires ainsi qu’avec le réalisateur lui-même (Françoise Pétrovitch, film documentaire, 55 minutes).
Plan d'exposition du livret © Sibylle N.
Vue de l'exposition, salle des "Nocturnes" © Sibylle N
Dans chacune des salles, certaines des œuvres apparaissent comme des pivots. Dans la séquence « Nocturnes » plongée dans une pièce aux murs violets, il s’agit de L’Ogresse (2021). Plantée au centre de la pièce, la sculpture de jeune fille tenant entre ses dents un os immense frappe intensément le regard.
Les « Motifs-Traits »
Mise à part la vidéo, les différents médiums utilisés par Françoise Pétrovitch sont présents dans toutes les salles. Il semble inconcevable de les séparer, tant certaines peintures semblent liées aux sculptures ou aux dessins, dans un jeu d’échos. A ces connexions formelles tissées d’un medium à l’autre, Françoise Pétrovitch donne le nom de « motifs-traits ». Il s’agit parfois de formes très simples, dont elle propose une multitude de variations : mains tenant un objet, yeux cachés, figures étendues… Les créatures hybrides occupent une place importante dans les dessins et sculptures de Françoise Pétrovitch. Faisant appel à l'imaginaire des fables, des contes et des mythes, elles donnent à voir Peau d’Âne, des hommes à tête de chien, de faon, ou des créatures en cours de métamorphose.
C’est toujours le dessin qui guide son travail, quel que soit le medium par lequel elle s’exprime, et parle encore de dessin pour ses sculptures : « le croquis est la structure de la sculpture. Il traverse mon travail, je n’abandonne jamais le dessin, même dans la sculpture, il est partout. » (Françoise Pétrovitch, entretien avec P. Neveux, V. Pugin, P. Ripoche et R.-J. Mayer dans Françoise Pétrovitch, op. cit. p.21).
→ Vue de l'exposition © Sibylle N.
Une promenade sans corps ?
L'espace d'exposition de la Fondation Leclerc est habituellement divisé en une multitude de petits espaces séparés par des cimaises. Pour l'exposition de Françoise Pétrovitch, les commissaires et scénographes ont choisi de faire de la salle un chemin traversant, donnant l'impression de voir toute l'étendue de la salle, même si chacune des salles reste tout de même bien identifiable. La scénographie, réalisée par Jasmin Oezcebi, fait la part belle au regard, qui embrasse l'espace ouvert comme une succession de portes emboîtées permettant aux œuvres de se répondre d'un espace à l'autre. Les cimaises sont parfois adaptées pour accueillir à la fois sculptures et peintures, et les observer conjointement.
La scénographie oublie cependant quelque peu le corps du visiteur et la fatigue physique que peut procurer la visite d'une exposition. L'exposition ne compte que deux bancs, l'un placé devant les œuvres, l'autre devant le film documentaire de conclusion. Le choix de laisser une grande part à l'interprétation du visiteur et de ne pas surcharger les textes pousse d'ailleurs nombre de visiteurs à chercher des informations dans ce documentaire (qui, malgré sa durée de 55 minutes, n’est pas disponible ailleurs), ce qui crée une file d'attente devant la salle de projection et le seul banc disponible.
Vues de l’exposition, © Sibylle N.
Le dessin filmé
J'ai particulièrement apprécié les deux installations vidéo, réalisées avec le réalisateur et compositeur Hervé Plumet, qui relèvent le défi de créer des vidéos à partir de lavis peints par l’artiste.
Le Loup et le Loup
La première vidéo, en début de parcours, scénographiée spécialement pour l’exposition, Le Loup et le Loup (2011, vidéo numérique sonorisée, 4 min 44s) est diffusée à l’extrémité d’un couloir rouge se rétrécissant progressivement. Au sein de la cavité quasi organique, le film invite le visiteur à s’avancer légèrement, pour être entouré par le son. Le loup et le loup se présente comme une sorte de jeu d'enfant qui tournerait mal, les images enchaînant les images de chamailleries entre une fille et un garçon avec des têtes coupées, des créatures hybrides, et des animaux étendus qui se superposent et palpitent au rythme de la musique.
Dans le processus de fabrication, son et images sont créés de façon indépendante. C'est le montage qui vient ensuite donner sa cohérence, et apporte une esquisse de narration : "Pour les films, je ne pars pas d'un story-board : je mets en place des ensembles de dessins, rien n'est écrit. Ensuite Hervé Plumet réalise le son, et à partir du son on monte précisément les images. Il ne s'agit pas de dessin animé : c'est l'espace entre un dessin et un autre qui va fabriquer du mouvement et du sens pour celui qui les regarde." (Françoise Pétrovitch, entretien avec P. Neveux, V. Pugin, P. Ripoche et R.-J. Mayer dans Françoise Pétrovitch, op. cit. p.21).
Le rythme de la vidéo est éprouvant. réalisé avec des percussions corporelles, le son imite un battement cardiaque rapide, pouvant créer certains malaises chez les visiteurs. Sommes-nous ici dans un ventre ? Le spectateur en ressort avec l'impression trouble de ne plus savoir tout à fait si c'est son propre cœur qu'il entend ou celui d'un.e autre...
Vue de l’exposition © Sibylle N.
Écho
La seconde œuvre vidéo de Françoise Pétrovitch, Écho, a un statut différent, étant cette fois une installation vidéo numérique sonorisée dont le dispositif est pensé par l’artiste dans sa globalité (2013, installation vidéo, 5 min 15s, en collaboration avec Hervé Plumet, Collection MAC VAL, musée d’art contemporain du Val de Marne). Il s'agit ici de rentrer dans une salle de projection plongée dans le noir. Devant le visiteur, un écran projette une succession de lavis, qui se reflètent dans l'étendue d'eau disposée en dessous. Un moteur vient agiter l'eau, ce qui trouble les reflets des dessins pour leur donner un aspect d'ombre fantomatique. Plus contemplative que la précédente pièce, l'œuvre donne véritablement l'impression de plonger dans les encres de l'artiste : les dessins alternent avec des détails colorés de l'encre diluée, les bruits d'eau rendent l'atmosphère aquatique. Les silhouettes se troublent, s'effacent, se fondent dans les touches de couleur diffuses.
L’œuvre est placée dans une pièce à part au centre de l'exposition. « Comme une charnière », selon la commissaire Camille Morineau, pour qui « cette mise en abyme du geste inaugural, « dessiner », résume l’œuvre en son entier. » (Camille Morineau, « Françoise Pétrovitch, Dessiner pour voir », p. 24 ).
Une autre rétrospective de l’artiste est prévue pour le printemps, cette fois à la Bibliothèque nationale de France. Si les estampes seront mises à l'honneur, il est probable que d'autres dispositifs vidéos, documentaires ou artistiques, favoriseront une scénographie immersive…
Sibylle Neveu
Liens :
Fonds Hélène et Edouard Leclerc, Landerneau : https://www.fonds-culturel-leclerc.fr/En-cours-642-22-0-0.html?
Site de l'artiste : https://www.francoisepetrovitch.com/
L'artiste sur viméo : https://vimeo.com/8453553
Pour approfondir :
Camille Morineau, « Françoise Pétrovitch, Dessiner pour voir », 2021. https://www.francoisepetrovitch.com/wp-content/uploads/2021/10/FHEL-FPetrovitch_Dessiner-pour-voir_Camille-Morineau.pdf
Un autre aspect du travail de Françoise Pétrovitch, non détaillé dans l’exposition : les décors qu’elle réalise pour le théâtre. Lucia Pesapane, « Dans les Coulisses », 2021. https://www.francoisepetrovitch.com/wp-content/uploads/2021/10/FHEL-FPetrovitch_Dans-les-coulisses_Lucia-Pesapane.pdf
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