Dans le cadre du projet national CURA, les arts visuels s’emparent de la scène. Pour cette saison 2024-2025, le Tandem Scène nationale (Arras / Douai) collabore avec le curateur Mehdi Brit pour proposer quatre événements d’art contemporain. Pour mieux appréhender le projet CURA, nous avons rencontré Fabien Hénocq, secrétaire général du Tandem, et Mehdi Brit.

Logos du Tandem Scène nationale et du projet CURA

 

Le projet CURA au cœur des scènes nationales

La saison 2024-2025 du Tandem Scène nationale met à l’honneur le curateur, directeur artistique et directeur de projets culturels Mehdi Brit, responsable du spectacle vivant de la région Île-de-France. Fort de son expérience dans les domaines des arts visuels et du spectacle vivant, Mehdi Brit a fondé plusieurs festivals et projets culturels sur la scène française et internationale (Festival de la Croatie et In Process en France, Festival Emerge à l’international (Belgique, Irlande)…), le magazine Revue Diapo, et a publié le premier ouvrage sur l’histoire de la performance en France : Interviewer la Performance. Regards sur la scène française depuis 1960 (2014).

Tandem Scène nationale, dirigé par Gilbert Langlois, réunissant le Théâtre d’Arras et l’Hippodrome de Douai, s’associe au projet CURA durant l’année 2024-2025. Ce projet est initié par le Centre national des arts plastiques (Cnap), l’association des scènes nationales (ASN), le ministère de la Culture et la Direction générale de la création artistique (DGCA). Cette première édition de CURA vise à soutenir la présence des arts visuels et de la pratique curatoriale au sein des scènes nationales. C’est pourquoi ces dernières sont mises à l’honneur dans toute la France pour la saison 2024-2025, comme La Maison de la Culture à Amiens, L’ARC scène nationale du Creusot, le Volcan au Havre, le Phénix de Valenciennes, ou encore la Garance à Cavaillon. C’est une occasion pour ces scènes nationales d’expérimenter une programmation d’art contemporain pour une saison et de faire découvrir la création contemporaine à un large public sur un vaste territoire.

Mehdi Brit s’aventure en région inconnue pour créer un projet conceptuel et expérimental pensé uniquement pour Tandem et ses espaces. Que voir durant les temps forts de CURA ? Des espaces exploités différemment, des actes sur des temps éphémères, ou encore différents spectacles dans une journée qui mêlent performance, danse, chant, audiovisuel. Ce changement de rapport, qui est d’investir des lieux durant toute une journée, est expérimental pour le Tandem. Pour cette saison, nouvel enjeu, nouveau défi : présenter au public des arts visuels de manière pluridisciplinaire qui se manifestent par la découverte de 50 œuvres d’artistes nationaux et internationaux spécialement choisis pour ce projet, présentés pendant huit jours, sur quatre temps.

 

CURA IMG1

A gauche : L’Hippodrome de Douai, inauguré en 1904, est inscrit comme Monument historique. Il est l’un des six cirques en dur de France © Tandem.
A droite : Une des salles avec coupole à l’italienne du Théâtre d’Arras. Le bâtiment, situé en plein centre-ville, est inscrit comme monument historique © Tandem.

 

Un événement en quatre actes

Mehdi Brit s’est donné comme fil rouge le tragique et la tragédie : relations humaines, espaces politiques et sociaux… autant de thématiques abordant des sujets sociétaux et associant divers arts, la performance, la musique, la danse, ou encore le chant. Mehdi Brit cite la latiniste et helléniste Florence Dupont, pour qui la tragédie fait figure d’art total car tous les arts sont explorés en son sein. En volonté totalisante de réaliser à travers l’union des arts un rituel impliquant le public, Mehdi Brit invite ce dernier à déambuler dans un spectacle immersif. Établir un lien entre le vivant et le visuel, entre le public et les artistes, ces chapitres jouent à faire dialoguer les corps.

 

CURA IMG2

Cyprien Gaillard, Real Remnants 2, © CG.

 

ACTE I - Entre les deux rives : le regard de la Tempête

Le premier acte s’inspire fortement de la pièce de théâtre de William Shakespeare, La Tempête (1610-1611), qui questionne les questions d’exil, de frontière, de refuge. Ce voyage immersif se tiendra du 22 au 24 novembre 2024 à Douai en compagnie d’artistes tels que Shangguan Zhe ou Korakrit Arunanondchai et de leurs installations en accès libre à l’Hippodrome. Le film du plasticien Cyprien Gaillard, Real Remnants of Fictive Wars I, entre Land Art et romantisme, sera à découvrir au cinéma Paul-Desmarets afin d’appréhender la notion de vandalisme, chère à l’artiste. En salle Obey, durant une trentaine de minutes, la chorégraphe Ola Maciejewska revisitera les danses serpentines inventées par la danseuse américaine du XIXe-XXe siècles Loïe Fuller sous la forme de mouvements changeants, invitant le public à une réflexion sur la métamorphose. Une programmation est associée aux différents actes et proposera en novembre un concert-DJ Set de l’auteur-compositeur-interprète Dominique Dalcan. Le leitmotiv de ces actes sera l’organisation de cycles de rencontres avec la philosophe Fabienne Brugère en lien avec les thèmes abordés dans chaque chapitre. La première table ronde questionnera l’exil.

 

CURA IMG3

Korakrit Arunanondchai, Songs of dying © KA.

 

ACTE II - Quand la catharsis flirte avec le crépuscule

Pour ce second acte symbolisant l’acmé, moment de tension maximale, Mehdi Brit, du 28 au 30 mars 2025, invite 9 artistes internationaux ainsi que des élèves des conservatoires d’Arras et de Douai à envahir la scène, inonder les espaces du théâtre d’Arras. Acte de débordement avec Fireflies, film de Pauline Curnier Jardin qui explore un univers peu orthodoxe qu’est celui des travailleuses du sexe, ou encore énergie euphorisante grâce à la performance de Tarek Atoui abordant en musique des problématiques socio-politiques actuels, Quand la catharsis flirte avec le crépuscule est un acte de chaos, de tension recherchée, afin d’illustrer de puissants moyens d’expression et de revendication identitaire.

 

CURA IMG4

Dominique Dalcan © DR.

 

ACTE III - Le désenchantement, les ruines et le lointain

Après l’euphorie, la redescente. Alors que l’acte précédent traite de tension et de débordement, dans une joie certaine, ce troisième acte aborde la ruine. Installés à Douai les 12 et 13 juin 2025, les artistes présents s’interrogent sur l’effondrement de notre monde, ces différentes causes, tout en gardant une lueur d’espoir. Marcos Ávila Forero, lauréat du prix Ricard 2019, y présente notamment Un autre « Perses » d’Eschyle, une installation, performance, lieu de débat et film qui rapproche les tensions actuelles au Moyen-Orient et cette tragédie antique narrant la bataille entre les Grecs et les Perses. Cette œuvre cohabitera avec d’autres performances ou projections, comme Untitled (Human Mask) de Pierre Huyghe, où l’on observe ce singe au masque d’humain, abandonné dans les ruines de Fukushima. Il s’agit ici de sublimer le désenchantement, d’appuyer sur ce qui va mal pour espérer mieux, d’où le lointain salvateur du titre de l’acte.

 

CURA IMG5

Untitled (Human Mask), Pierre Huyghe, 2014 © PH.

 

ACTE IV - Sublime or Something to love

Et quel meilleur espoir que l’amour ? Le weekend des 14 et 15 juin 2025, Arras accueille une ode à l’amour. Korakrit Arunanondchai est de nouveau exposée pour son film Songs for living, réalisé au moment du déconfinement, qui redéfinit le lien entre l’humain, son environnement, et l’autre. À travers le rapport amoureux, qu’il soit charnel, platonique ou sublimé, l’intention est principalement de finir sur une note positive. La musique a une place importante dans cet acte, avec des musiciens et artistes protéiformes comme Chenchu Rong ou Erwan Ha Kyoon Larcher. Dans toutes les histoires, l’amour est présent, même si les passions sont parfois des souffrances. Aimer l’autre, c’est le regarder différemment, l’analyser d’une façon singulière, et c’est ce qu’explorent les derniers artistes du projet CURA. Le sentiment amoureux est un moyen de fédérer et de sortir de ces ruines. L’amour vient nous réenchanter.

 

CURA IMG6

Song for living, Korakrit Arunanondchai, 2022 © KA.

 

Mais à quoi s’attendre ?

Le projet CURA est un moyen ambitieux de réunir un grand nombre d’artistes, présentant des œuvres hétéroclites et singulières allant de la vidéo à la mode, en passant par la performance. C’est l’occasion pour le Tandem de présenter des œuvres transdisciplinaires, et non pluridisciplinaires. Le projet CURA invite les visiteurs à lâcher prise, à se saisir d’éléments qui leur feront écho. Le temps d’un acte, le théâtre se transforme en espace d’exposition polymorphe.

Mais quels sont donc les publics ciblés ? Ni Arras, ni Douai, n’ont de centre d’art contemporain et les habitués du Tandem sont majoritairement âgés. Cependant, en plus d’être une occasion d’intéresser un public plus jeune, la réalité est que les propositions de Mehdi Brit s’insèrent parfaitement dans la programmation du Tandem. Depuis plusieurs saisons, cette Scène nationale propose des spectacles hybrides mêlant la danse, le théâtre et les arts visuels. Si « l’art contemporain » peut faire peur du fait d’être conceptuel et parfois difficile à saisir, les quatre actes qui ponctuent cette saison trouveront leur public. L’enjeu pour le Tandem est maintenant de communiquer sur ces événements pour donner leurs repères aux spectateurs. Cela passe également par la gratuité de certaines installations, permettant à tout un chacun de s’y risquer. Les actes sont organisés comme des moments de vie, les visiteurs sont invités à investir l’espace différemment, à sortir de l’évidence du rapport aux salles de spectacle, à rester sur les lieux plusieurs heures en profitant d’une offre de restauration.

Le risque est tout de même présent : les œuvres contemporaines sont ici données au public pour qu’il s’en saisisse, qu’il écrive sa propre histoire au travers de ce qui résonnera en lui. Malgré cette volonté fédératrice de rassembler les publics et les artistes dans une forme de communion, il n’empêche qu’un manque de scénarisation peut déranger certains visiteurs qui ont besoin de trouver du sens et de connecter ces œuvres entre elles. La médiation autour de Cura devra être explicite et accessible pour que le contenu des quatre actes produise les émotions escomptées.

Le projet Cura de Mehdi Brit et du Tandem Scène nationale nous invite à être curieux et à découvrir des œuvres d’artistes contemporains, internationaux et reconnus. C’est un événement unique, et non une simple exposition : temps forts, formes variées, sujets actuels qui touchent tout le monde. Sur scène, l’art vivant prend tout son sens.

Nous souhaitons remercier Mehdi Brit et Fabien Hénocq pour ces temps d’échanges qui ont nourri la rédaction de cet article.

 

Séléna Bouvard & Jules Crépin

En savoir plus :

 

#artcontemporain #artsvisuels #scènenationale

Retour