Jusqu’au 4 mai 2025, le musée d’art contemporain des Abattoirs à Toulouse laisse carte blanche à Olivio Ordoñez du fameux duo de rappeurs toulousain Bigflo et Oli. À travers une sélection d'œuvres issues des réserves du Frac Occitanie et des créations inédites, les visiteurs déambulent dans le Musée imaginaire d’Oli. Cependant, qu’en est-il du discours scientifique ? Le jeune rappeur peut-il s’inventer commissaire d’exposition ?

Photographie de l’affiche Le Musée imaginaire d’Oli © Moïse Luzolo et graphisme © S.A.C. Studio

Une descente dans l’intime

Avant même de descendre à l’intérieur du Musée imaginaire d’Oli, une notion bien souvent reprise lorsqu’un artiste est invité pour une carte blanche, le visiteur perçoit au sous-sol le titre de l’exposition, immense, accompagné d’une musique au piano inédite, inspirée de Claude Nougaro. Dans les escaliers, Jean-Publik, un personnage crée par Pierre Mortel spécialement pour l’exposition, nous escorte jusqu’en bas. Dessiné sur les murs, il donne le ton de l’exposition : “On a le droit de prendre son temps, de critiquer, d’inventer des explications, de ne pas tout lire, d’aimer”.

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Vues de l’exposition Le Musée imaginaire d'Oli, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse, 5 décembre 2024 - 4 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel


La première salle se situe à la croisée des trois autres, elle introduit l’exposition. La projection d’un clip original occupe un mur entier, dévoilant les coulisses du projet en mettant en valeur les travailleurs invisibles du musée : un gardien de nuit et une agente d’entretien. Des télévisions diffusent des reportages télévisés d’anciennes expositions des Abattoirs qu’Oli a visité lorsqu’il était plus jeune. Une œuvre de Juliette Green nous interpelle dans un coin : Comment peut-on rendre les musées plus accueillants ? Autour de ce titre, un patchwork de réponses originales : pour convaincre Rachel, il faudrait qu’elle ne fasse plus la queue ; pour convaincre Ilona, il faudrait qu’elle soit sûre que l’exposition est adaptée à ses trois enfants ; pour convaincre Otto, il faut réussir à convaincre sa femme, parce qu’il ne veut pas y aller sans elle. Cette œuvre originale créée pour l’exposition souligne de nouveau un discours qui semble probant : le musée doit être accessible à tous et chacun devrait être au courant de ce qui est mis en place pour favoriser l’accessibilité.


Dans un espace nommé “Album de famille”, Oli expose des œuvres qu’il rapproche à son père, sa mère et son frère. Au centre, un grand cube vitré reproduit la pièce dans laquelle il compose ses chansons. Si le visiteur peut voir dans cet espace comme s’il s’agissait d’un aquarium, le message est clair : sa famille l’inspire et le supporte dans sa création. D’un côté, des œuvres accompagnées de commentaires amusants de son père, de l’autre, sa mère peinte à la façon de la Marilyn d’Andy Warhol. La famille est ici celle qui transmet une histoire, une culture et un héritage qui font partie de notre identité.

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Vues de l’exposition Le Musée imaginaire d'Oli, les Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse, 5 décembre 2024 - 4 mai 2025 © Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel


À l’opposé de la famille, un espace nommé “À ciel ouvert” présente l’amour porté par Oli à la culture urbaine et sa jeunesse passée dans les rues, que le texte de salle définit comme « un espace unique d’expression libre et une des premières sources d’inspiration du monde du rap ». Le street art est alors mis à l’honneur, au travers des graffitis, des affiches ou d’une mosaïque de Space Invaders. Des bancs publics et la reconstitution de la façade d’un kebab ouvert en pleine nuit. Dans un coin de la pièce, les portes des réserves sont recouvertes d’un grand texte; démystifiant ce qu’il se passe derrière ces portes. Une base de données accompagne ces portes, permettant aux visiteurs de naviguer virtuellement dans les collections du Frac Occitanie tout comme Oli l’a fait lors de la sélection des œuvres de l’exposition.

Enfin, la dernière salle, “L’art de la rencontre”, est la « place publique de [s]on monde où les œuvres et les visiteurs se croisent. » Du mobilier reprenant les caisses de transport d'œuvre permet aux publics de s’asseoir devant un mur qui expose pêle-mêle une soixantaine d'œuvres d’art de la collection entre lesquelles se cachent le maillot de Maradona ou encore un disque du rappeur Eminem. En face, l’ombre de Claude Nougaro joue sur un piano à queue. Enfin, un mur d’expression sur lequel les visiteurs peuvent librement dessiner sur des cartes reprenant des graphismes de Jean-Publik. Ce mur juxtapose trois photomatons. En écho à leur dernier album Les autres, c’est nous, la photo qui est imprimée est celle de la personne qui nous a précédé, on doit alors attendre les prochains visiteurs pour récupérer sa photo. Elle pourra repartir avec nous ou être accrochée au mur, le public prenant alors part à l’exposition.

Donner la parole à un non-spécialiste ?

Quand j’ai entendu parler du Musée imaginaire d’Oli, j’avoue que je ne m’attendais pas à grand-chose. Je n’écoute pas Bigflo et Oli, ce sont surtout des fans qui m’ont vanté cette exposition et je me suis questionné sur le possible culte de la personnalité sous-jacent. Commissaire d’exposition, c’est un métier, ça ne s’invente pas, quoique bien des artistes (chef cuisinier, écrivain, dramaturge, peintre) sont invités à être commissaires et travaillent avec les chargées de collection et conservateur du lieu ; d’ailleurs dans la mise en place de cette exposition, Oli a été aidé par les équipes des Abattoirs et notamment par Lauriane Gricourt, directrice du Musée-Frac Occitanie. Comment Oli pouvait-il proposer un contenu intéressant sans être trop égocentrique ? Et pourtant, dès ma descente dans son musée imaginaire, je savais que cette exposition allait me toucher comme rarement.

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Vues de l’exposition Le Musée imaginaire d’Oli. À gauche, le mur d’expression avec les cartes de Jean-Publik en libre service et les tables pour dessiner. À droite, le mur de photographies laissées par les visiteurs © J.C.


En nous laissant pénétrer dans sa créativité et dans ses sources d’inspiration, Oli a surtout ouvert les portes d’un musée d’art contemporain. Les Abattoirs s’enrichissent de nouveaux publics, des visiteurs qui n’étaient pas habitués à ces salles d'exposition, venus pour voir ce qu’a réalisé un de leurs chanteurs favoris. Mais le contenu de l’exposition essaie de parler à tout un chacun, de valoriser les visiteurs et de les prendre par la main ; cela est fait avec brio grâce à un contenu plus amusant, des références de la culture populaire et un ton moins sérieux que d’habitude. L’exposition s’accompagne d’une très large programmation avec des scènes ouvertes, des performances, des projections ou des concerts qui font vivre le Musée imaginaire d’Oli.

Les cartels sont un outil de médiation particulièrement réussi. Tous les textes de l’exposition sont “doublés” : à gauche, le cartel développé habituel qui explicite l’auteur, le titre et les autres informations scientifiques sur l'œuvre ; à droite, la note d’Oli. Il explique pour chacune des œuvres pour quelle raison il l’a sélectionnée parmi tant d'autres, ce qu’elle raconte, ce pourquoi elle est sortie des réserves. Ceux qui n’aimeront pas lire des informations (trop) sérieuses sur l’histoire de l'œuvre ou de l’artiste trouveront leur compte dans la lecture subjective de Oli. Même lorsqu’on ne connaît pas le jeune rappeur, on se laisse porter par ses explications.

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Scan d’un cartel de l’exposition Le Musée imaginaire d’Oli.
À gauche, le cartel scientifique, à droite, le texte écrit par Oli © J.C.


Contrairement aux artistes qui sont parfois commissaires de leur propre exposition, ici Oli nous parle des œuvres qui ont bercé son enfance et marqué sa vie d’artiste. Sa musique n’est pas particulièrement mise en valeur par rapport à d’autres expôts, même si elle est un fil rouge. Ce qui le berce aussi, ce sont les gens qui l'écoutent. Une véritable place est donnée à l’expression des publics leur donnant le sentiment de participer à l’exposition. Cet espace d’expression n’est pas dans une salle annexe ou en dehors du parcours, il est au cœur de l’exposition. Dessiner, écrire, se prendre en photo, afficher ce que l’on a fait au mur, l’exposition ne cesse jamais d’évoluer. Ceux qui gardent leurs photos où leurs dessins repartent avec un cadeau souvenir gratuit et unique !

J. Crépin


#artcontemporain  #commissariatd’exposition

 

Pour aller plus loin :

Le Musée imaginaire d’Oli sur le site des Abattoirs : https://www.lesabattoirs.org/Expositions/le-musee-imaginaire-doli/

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