La France compte plus de 900 000 patients atteints de démences dont 700 000 avec une maladie d’Alzheimer. Malgré l’aide précieuse des aidants et soignants, cette maladie isole, engendre la solitude. Appelés TAU et Béta Amyloïde, ces protéines anormales se font discrètes, aucun dépistage n’est possible. Les symptômes sont identifiés à un stade ou les lésions sont trop importantes. Ces protéines rentrent progressivement, s’accumulent et viennent se nicher à différents endroits du cortex cérébral empêchant la communication entre les cellules nerveuses. Elles insistent sur le lobe pariétal droit et le cœur de l’hippocampe, partie du cerveau en charge du bon fonctionnement de notre mémoire. Il leur faut quelques années à peine pour qu’on les désigne comme des plaques causant la destruction des neurones amenant à une sévère phase de démence sénile.

Image d'intro : William Utermolhen, Galerie Beckel Odille Boicos

 

Les voilà maintenant maladie, maladie neuro-dégénérative et multifactorielle entraînant une détérioration de la capacité de réflexion et de mémoire. La mémoire épisodique, celle reliée aux événements, aux souvenirs personnels est touchée en premier suivi de très près de la mémoire sémantique, mémoire du langage des connaissances de l’apprentissage en éloignant les dates, les noms, les concepts. Quant à la mémoire procédurale, celle des gestes, elle persistera jusqu’au stade terminal. La mémoire sélective est la résultante de l’oubli, le souvenir lui n’est autre que la reconstitution de l’information passée. Vers 65 ans en moyenne la maladie se déclare, pose ses valises et ne quitte plus son domicile. Elle dérange les tiroirs, mélange les documents, fait voler les temps.

La personnalité de l’Homme ne survit pas à la destruction de sa mémoire. Il a beau usé d’un humour bien particulier pour tenter de dissimuler son décalage évident au monde, sans mémoire, il finit par oublier ses mots. Ce n’est pas un vieillissement commun, la maladie empêche la digestion des nouvelles informations et un oubli simple retentit alors sévèrement sur l’autonomie et fait subir divers troubles du comportement. Ne plus se lever, manger, écouter, jusqu’à perdre l’envie de parler. L’Homme malade s’isole, se renferme sur un monde dont il ne comprend plus les codes. Il est incapable de retrouver les informations recueillies au cœur de l’hippocampe, il n’a pas oublié, il a égaré.

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Conversation Pieces – Conversation – 1991 Oil on canvas – 86 x 122 cm, Galerie Beckel Odille Boicos

 

LES MUSÉES OUVRENT LEURS PORTES AUX MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES

 

Fondée en 2008, la fondation Swiss Life s’engage dans des projets solidairess intitulés « art, culture et Alzheimer » et accompagne depuis 2009 les malades aux cotés de l’association France Alzheimer. Ensemble, elles offrent aux patients et à leur aidant la possibilité d’avoir accès à l’art, à la culture. Des visites spécialisées sont organisées dans plusieurs musées de France comme le musée des confluences à Lyon, la cité musicale de Metz, le Musée d’Angladon d’Avignon ainsi que la cité de la musique à Paris.

La Fondation Swiss Life a également initié et soutient depuis 2010 un partenariat novateur entre l’association France Alzheimer et le musée La Piscine de Roubaix. Les participants sont aussi invités à s’allonger pour écouter une bande-son restituant le bruit familier du bassin, avec ses cris d’enfants, son écho particulier. Inspirées par l’expérience du MoMA de New York, les visites-ateliers du musée, proposées tous les mois par Julien Ravelomanantsoa, plasticien-animateur, permettent de stimuler la créativité des malades, accompagnés par leurs aidants.

Des ateliers créatifs sont mis en place au sein des musées et les visites sont accompagnées d’une médiation spécifique.

La maladie d’Alzheimer affecte les compétences cognitives, comme la mémoire, le langage, le raisonnement, la logique, la pensée abstraite mais elle n’altère pas les capacités à ressentir, à éprouver des émotions, à exprimer des sensations. La médiation destinée à ces malades a à cœur de faciliter et encourager l’accès à la culture. Elle se veut la plus compréhensible possible, pour cela l’aspect didactique et pédagogique est en retrait, et une balade naît, balade dans laquelle chacun est libre de s’exprimer. L’équipe de médiation se constitue un vocabulaire approprié, les informations, si nécessaire sont dites avec parcimonie, les questions sont répétées et les réponses ne sont pas arrêtées.

 

Au Palais de Tokyo à Paris, les patients sont accompagnés dans une démarche singulière. L’idée est de se détacher de l’aspect mnésique de la médiation, pour n’en garder que les émotions. C’est le ressenti, l’instant vécu, le plaisir immédiat qui marquent les esprits. Loin des informations relatives aux œuvres et à leur contexte, on accède à la perception du sensible et l’art devient une manière d’accéder à la plasticité du cerveau. On les voit rire, partager, parler et renouer leurs liens sociaux. Un moment à part où la maladie n’a plus la première place.

 

Le jeu de paume à Paris adopte la même démarche et met en place un programme de visite pour le public en situation d’alzheimer, ici on entend stimuler la curiosité, les questions défilent sans se soucier du caractère éphémère des réponses. La visite se fait bulle de protection et d’écoute où chacun est libre de ne pas suivre, de ne pas comprendre, de ne pas se souvenir. Certaines œuvres réveillent chez les patients des souvenirs lointains d’une vie personnelle qu’ils ont bon plaisir à partager.

 

Le Grand Palais de Paris, quant à lui, s'intéresse à l’accessibilité de ces patients en leur proposant de regarder les tableaux et de déambuler de salle en salle avec le groupe pour retrouver une chaleur humaine. La culture permet de retisser des liens sociaux, de renouer le dialogue et l’interaction. Elle vient faire appel à des capacités cognitives mises de côté et tend à toucher le cœur de la réminiscence. Les aidants retirent leur étiquette, la maladie s’éloigne et la complicité prend toute sa place.

 

La mémoire perceptive est la plus résistante à la maladie, elle s’appuie sur les sens, retient des images ou des bruits, établit des repères visuels. Cette mémoire se trouve dans différentes régions corticales du cerveau et engage des émotions qui peuvent moduler la façon dont une information est enregistrée et renforcer l’attention.

Dans les musées, les cinq sens sont sollicités. Si la maladie d’Alzheimer altère la mémoire, elle n’a aucune prise sur les sensations et les interactions sociales influencent le fonctionnement de notre mémoire. La sollicitation des sens et des interactions au musée développent de nombreuses capacités cognitives pour lutter contre l’aphasie et l’apraxie causées par la maladie d'Alzheimer.

Ces approches thérapeutiques non-médicamenteuses sont actuellement en développement et de nombreux musées s'ouvrent à cette nouvelle forme de médiation.

  

Dadure Alexane

 

Pour aller plus loin:

 

 

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