C’est ce que nous propose la galerie Itinerrance et la Mairie du 13ème arrondissement sur le boulevard Vincent Auriol avec le concept de « musée à ciel ouvert ». Depuis une dizaine d’années, la ville de Paris affiche son ambition de devenir l’une des grandes capitales mondiales du street art à l’image de Londres et de New York. Pour cela la ville a décidé d’exposer le street art dans le 13ème arrondissement en pleine évolution et peu pourvu d’équipements culturels. Grâce au street art, ce quartier se dote d’une nouvelle identité culturelle.

 

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Vue du boulevard Vincent Auriol, fresques de Shepard Fairey, Add Fuel, et D*Face. ©galerie Itinerrance 

 

Le street art est un art éphémère en constante évolution, il se veut participatif et performatif car réalisé in situ dans la majorité des cas de façon, ce qui le rend parfois illégal. Il a souvent été vu comme une pratique artistique contestataire et transgressive. En France, le street art a longtemps été perçu comme un acte vandale avant d’être reconnu comme un mouvement artistique à part entière. Dans les années 90, il connaît une reconnaissance institutionnelle, rendant les interventions des artistes tolérables par les autorités publiques.
(Pour une approche générale du street art vous pouvez lire cet article du blog par Cloé Alriquet). 
C’est dans ce contexte que se mettent en place des partenariats entre les municipalités et les artistes ou galeries d’art, à l’instar du projet Boulevard Paris 13. Les œuvres de street art se muent en commandes officielles quitte à perdre leur caractère furtif et frondeur. 
 
Un terreau favorable au projet : l’exposition de la Tour Paris 13
 
Le projet de « musée à ciel ouvert » de Boulevard Paris 13 s’est construit grâce à la relation déjà préétablie entre la mairie du 13ème et la galerie Itinerrance pour l’exposition de la Tour Paris 13. Cette dernière s’est tenue dans un immeuble datant des années 1950 qui devait être détruit. La galerie Itinerrance, installée depuis 2004 dans le 13ème arrondissement et spécialiste du street art, a proposé à la mairie d’organiser une exposition gratuite et éphémère avant la démolition du bâtiment. Le projet a bénéficié d’un contexte favorable, car la mairie du 13ème promouvait déjà le street art depuis le début des années 2000. 
Plus d’une centaine d’artistes internationaux ont pu s’exprimer librement dans 36 appartements. Le succès a été au rendez-vous, entre 15 000 et 30 000 personnes (selon différentes sources) ont visité l’immeuble durant le mois d’ouverture. Le projet a eu un impact positif, puisqu’il a permis aux habitants du quartier d’avoir un moment de transition avant la destruction de l’édifice. Pour les riverains, il s’agissait d’une forme de réappropriation collective de leur lieu de vie. Les artistes peuvent être ainsi considérés comme des acteurs sociaux aidant à mieux appréhender les transformations de la ville.
A la fin du projet, la Tour Paris 13 ainsi que toutes les œuvres ont été détruites, ce qui respectait l’âme éphémère, in situ et performatif du street art. 

 

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Vue de la Tour Paris 13, 2013. ©artstreetic

 

L’importance des acteurs publics et privés 

 

Il est facile de comprendre l’importance du partenariat entre la municipalité et la galerie pour mener à bien le projet de la Tour Paris et celui du « musée à ciel ouvert » de Boulevard Paris 13. Chacun y trouve son compte. La galerie Itinerrance trouve des espaces disponibles pour les fresques après discussions avec les propriétaires d’immeubles et les bailleurs sociaux. Elle est soutenue par des entreprises privées qui financent la réalisation du projet par le biais du mécénat. Le tout sous la supervision de la mairie qui encadre et facilite les différentes démarches. Les habitants des immeubles choisis pour les fresques ne sont pas exclus du processus de création, ils sont consultés sur le choix des motifs proposés par l’artiste pour sa fresque. 
Cette association d’acteurs profite à tous au-delà de la simple mise en place du projet. Les artistes bénéficient d’une importante visibilité dans l’une des grandes capitales culturelles européennes. La galerie Itinerrance diffuse plus largement les artistes qu’elle représente. Cela lui permet entre autres de booster sa réputation, sa visibilité et ses ventes. Les entreprises privées quant à elles, associent leur nom à un projet culturel positif et bénéficient de crédit d’impôt pour leur mécénat. Le projet est avantageux pour l’arrondissement qui gagne à la fois en attractivité touristique et en esthétisation de son environnement urbain.  Enfin les touristes qui découvrent le street art du boulevard Vincent Auriol, jouissent d’une nouvelle expérience visuelle et les riverains d’une mise en scène artistique de leur quotidien. 

 

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À gauche, le maire du 13ème arrondissement Jérôme Coumet, à droite le directeur de la galerie Itinerrance Medhi Cheikh. ©Le Figaro

 

Les spécificités du projet de « musée à ciel ouvert » du Boulevard Paris 13

 

Depuis la reconnaissance de la valeur artistique du street art, le monde de l’art contemporain mise sur sa valorisation et de sa marchandisation. De nombreux projets fleurissent pour l’institutionnaliser et rendre cette pratique incontournable. Alors en quoi le projet du Boulevard Paris 13 tire t-il son épingle du jeu ?    
La visibilité et la monumentalité des fresques sont des forces majeures du projet. En effet, elles sont mises en valeur, accessibles gratuitement et peuvent être découvertes depuis la rue ou le métro aérien de la ligne 6, offrant un panorama différent. Les œuvres sont dans leur élément, c’est-à-dire la rue, contrairement à d’autres structures accueillant du street art comme l’Urban Nation à Berlin ou le centre d’art urbain Fluctuart. Ces lieux ont pour volonté de conserver et d’exposer les œuvres de grands street-artistes internationaux. Ces dernières sont donc « adaptées » à l’espace muséal et perdent une partie de leur caractère urbain. 
Une autre grande force du projet est de créer une collection d’œuvres d’art à l’échelle de l’arrondissement. Les fresques sont regroupées autour de l’axe central du boulevard Vincent Auriol, ce qui facilite la déambulation des promeneurs. Le MACO à Sète propose aussi une déambulation à ciel ouvert, mais les œuvres de street art sont dispersées sans offrir un véritable parcours.  
Enfin, chaque street-artiste a été libre dans l’expression de son univers artistique. Boulevard Paris 13 est donc un « musée à ciel ouvert » d’œuvres in situ réalisées librement par les artistes dans un espace donné, contrairement aux musées ou expositions de street art plus traditionnels.  En effet, les street-artistes ne sont pas forcément favorables à la conservation de leur œuvre ou à la présence de leur œuvre dans des structures institutionnelles, à l’instar de The World of Banksy à l’Espace Drouot Lafayette qui est allé jusqu’à reproduire les œuvres de Banksy, contre l’avis de ce dernier, qui ne souhaite pas voir ses œuvres exposées.

 

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Vue de l’Urban Nation de Berlin. ©Jaime Em / Vue de l’exposition The World of Banksy, 2019. ©Lise Lanot

 

Une cohabitation réussie de différents univers artistiques 

 

Le projet regroupe 26 street-artistes de 12 nationalités différentes qui ont réalisés 35 fresques, dont 26 uniquement concentrées sur le boulevard Vincent Auriol. Le seul dénominateur commun à ces fresques est le processus de réalisation : elles ont toutes été peintes à main levée. Cette multitude de fresques toutes différentes, s’offrent au promeneur amateur ou non de street art. Il y en a pour tous les goûts, chaque fresque exprimant pleinement la personnalité artistique de leur auteur. Les univers se confrontent, mais ne s’opposent pas. Au contraire, d’importantes têtes d’affiches permettent à des artistes moins connus du public français d’être découverts. 
C’est le cas de l’artiste américain Shepard Fairey connu aussi sur le nom d’Obey, qui est l’une des figures de proue du street art. Il a imaginé cette Marianne « revisitée » en reprenant une affiche qu’il avait réalisé en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre. Il souhaitait partager avec la France ce moment de cohésion perçu internationalement grâce à la diffusion du drapeau français aux quatre coins du monde. Cette cohésion s’exprime surtout par la devise de la France reprise ici comme titre de son œuvre : Liberté, égalité, fraternité. 
Moins connu du public français, l’artiste Dean Stockton alias D*Face né en Angleterre, utilise une imagerie issue de la pop culture et des cartoons. Pour sa fresque Love won’t tear us apart, il s’est inspiré de Paris comme capitale romantique. Il représente un couple s’étreignant, où l’homme défiguré représente les personnes que nous avons aimées et qui vivent encore dans nos mémoires. 
Quant à Conor Harrington, il joue avec les codes de l’art urbain en peignant avec un style inspiré de la peinture classique. Cet artiste irlandais exacerbe la brutalité des rapports de ses personnages et saisit le spectateur par la force de ses œuvres très grand format. Ici sa fresque Étreinte et lutte trouble la compréhension de la relation entre les deux hommes : amicale ou conflictuelle.  
Enfin C215, est une des grandes promesses montantes du street art français, c’est l’un des premiers artistes qui peint une fresque sur le boulevard Vincent Auriol. D’avantage habitué à œuvrer dans des non-lieux de façon clandestine et autonome, c’est ici qu’il crée l’une de ses plus grandes œuvres. Attentif à l’environnement de ses œuvres, il adapte et crée ses pochoirs pour chaque emplacement. Animal à la fois domestique et libre, C215 a souhaité que son chat devienne celui des habitants du quartier. 
En laissant le choix du motif aux artistes, du temps et du matériel pour la réalisation de leur œuvre, Boulevard Paris 13 offre la possibilité de créer des fresques plus travaillées et complexes que lorsqu’ils agissent de façon autonomes et illégales. 
 
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Fresque de Shepard Fairey, Liberté, Égalité, Fraternité du 186 rue Nationale, 2016. ©Céline Carrez / Fresque de D*Face, Love won’t tear us apart du 10 place Pinel, 2017. ©Galerie Itinerrance
 
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Fresque de Conor Harrington, Lutte et Étreinte du 85 boulevard Vincent Auriol, 2017. ©Galerie Itinerrance / Fresque de C215, Le chat du 185 boulevard Vincent Auriol, 2013. ©Un oeil qui traîne 

 

Un « musée » à ciel ouvert :  des missions encore assez floues
 
Malgré la qualité des fresques et la pertinence du partenariat entre la mairie du 13ème arrondissement et la galerie Itirnerrance, quelques réserves sont à émettre à propos du projet Boulevard Paris 13. En effet, ce dernier se positionne en tant que musée qui aurait la spécificité d’être à ciel ouvert, mais est-ce vraiment un musée ? 
Vis-à-vis de la définition de l’ICOM de 2007, le Boulevard Paris 13 est bien à but non-lucratif, il est ouvert au public gratuitement, il expose un patrimoine à la fois matériel et immatériel à des fins de délectation. Néanmoins d’autres missions ne sont pas prises en compte comme celles d’études et d’éducation. Rien dans le parcours, n’explique les différentes techniques liées à la pratique de l’art urbain, ni même l’histoire du street art ou son évolution durant les dernières décennies.  Quant à la médiation du projet, celle-ci laisse à désirer. Boulevard Paris 13 délègue cette dernière à une société privée, mais d’autres sociétés emboîtent le pas et proposent des visites pour découvrir le parcours. L’inconvénient de ce système est double : d’une part il rend payant un parcours sensé être gratuit et d’autre part il ne contrôle pas les informations délivrées lors de ces visites. 
De même, des questions relatives à la conservation de ces fresques se posent. Pour l’instant le projet Boulevard Paris 13 est pérenne ce qui, par extension, assure la pérennité des fresques. Mais qu’en sera-t-il lors d’un changement de municipalité ? Cela risque-t-il de mettre un terme au projet ? De plus, la pérennisation de ces fresques compromet le caractère éphémère et transgressif du street art. Les fresques étant en hauteur sont protégées du vandalisme, mais cela empêche l’une des pratiques fondamentales du street art qu’est le recouvrement des œuvres au fil du temps par d’autres propositions artistiques. Ici, ce caractère changeant et fugace est remplacé par l’addition de nouvelles fresques. Certaines fresques ont déjà disparu, la seule trace de leur existence sont des archives laissées accessibles en ligne par la galerie. Ces dernières sont donc sous forme numérique, mais seront-elles encore accessibles dans quelques décennies ?
 
L’instrumentalisation institutionnelle du street art : une menace pour la diversité des propositions artistiques dans l’espace public ? 
 
Les administrations publiques ont compris conscience, suite à la reconnaissance institutionnelle du street art, à quel point ce dernier pouvait contribuer à donner une image attractive à des secteurs périphériques et délaissés. Le street art est donc utilisé à des fins décoratives et d’esthétisation du paysage urbain. D’une part, cette tolérance institutionnelle a permis, à l’instar du projet Boulevard Paris 13, de donner accès aux artistes reconnus à des espaces urbains pour leur création. D’autre part, cette tolérance institutionnelle ne s’applique pas à toutes les initiatives artistiques. En effet, quels espaces publics sont mis à disposition pour des artistes montants encore inconnus des acteurs de reconnaissance institutionnelle ? 
Manifestement, toute la réussite et le soutien de Boulevard Paris 13 reposent sur la visibilité des grands artistes qui participent au projet et qui font office de figures d’appel. Or, ce sont les mêmes grands artistes du street art que l’on retrouve dans d’autres grandes capitales. Ces derniers s’adaptent nécessairement à l’espace qu’on leur attribue, mais il existe une forte standardisation des supports des fresques, ce qui participent à la spectacularisation de leur intervention. Il y a donc un frein au caractère protéiforme du street art et un frein à la créativité, car les artistes se conforment aux projets officiels. Une vraie question se pose alors : les villes pour se donner une image attractive et attirer toujours plus de touristes ne risquent-elles pas d’homogénéiser et de contrôler la pratique artistique du street art ? 
 

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Shepard Fairey, The Peace Waratah, Sydney, 2017. Plus grande fresque de Sydney / Shepard Fairey, Welcome, Costa Mesa, Californie, 2017. Plus grande fresque de Shepard Fairey / Shepard Fairey, Knowledge + Action, Paris, 2019. 100ème fresque mondiale de Shepard Fairey réalisée à Paris. ©Galerie Itinerrance

 

 

Pour une vision plus précise du parcours de street art Boulevard Paris 13 : https://youtu.be/urKXvZiJSAY

 

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