Le Centre Pompidou accueille jusqu’au 6 décembre la première rétrospective française de l’artiste Georgia O’Keeffe (1887 – 1986). L’exposition présente une centaine d’œuvres de l’artiste américaine et retrace cinquante ans de sa carrière dans un parcours chronologique.
J’aime les rétrospectives. Elles permettent de se familiariser avec les grandes lignes de la carrière d’un artiste grâce à un grand panel d’œuvres. Evidemment, cela reste un résumé assez superficiel, mais j’en ressors toujours avec des bases plus solides. La rétrospective proposée par le centre Pompidou n’a pas eu cet effet escompté : j’ai pu voir beaucoup de belles œuvres, mais je n’ai pas l’impression d’avoir compris les grands moments de la carrière de O’Keeffe. Retour sur un rendez-vous manqué.
Plan de l'exposition : bleu, texte d'introduction ; orange, cimaises de la partie biographie, qui délimitent la salle "Galerie 291".
Une entrée en matière dense
La visite s’ouvre assez traditionnellement par un panneau de salle introductif. Le public emprunte ensuite un couloir gris qui le mène dans la grande (et seule) salle d’exposition. Premier arrêt, la partie « biographie ». Le visiteur est accueilli par des pans de murs remplis de textes répartis dans des carrés. La biographie occupe cinq cimaises, comptant chacune six « carrés d’information ». Ils peuvent comporter une date, une citation ou des indications biographiques, ce qui forment un ensemble assez dense à lire en arrivant dans l’exposition.
Un panneau de la partie "biographie" © Myrrha Bouly
De plus, les visiteurs lisent ces cimaises en déambulant dans un couloir, ce qui est l’espace le moins pratique possible pour commencer une exposition. Les visiteurs se pressent dans cet espace étroit, se gênent, ne restent pas longtemps pour ne pas créer de bouchon… Dès le début de la visite, le visiteur peut facilement perdre le fil !
Vue du couloir qui longe la partie «biographie" et sa longue cimaise © Myrrha Bouly
Fleurs, gratte-ciel et abstraction : un retour confus sur la carrière de Georgia O’Keeffe
La visite se poursuit dans le premier espace thématique « La galerie 291 », situé dans une petite pièce séparée, mais ouverte sur la grande salle. Exposant des œuvres d’artistes phares de l’avant-garde comme Picasso, cette partie revient sur l’importance de la galerie d’Alfred Stieglitz dans la carrière de O’Keeffe.
En sortant de cette pièce, le visiteur fait enfin face à la salle principale, ouverte et décloisonnée. De grandes cimaises grises scandent l’espace en de grands « rayonnages » où sont accrochées les toiles de O’Keeffe. La disposition des cimaises parait d’ailleurs assez étrange. Placées à la perpendiculaire par rapport aux visiteurs, la vue sur les tableaux est assez limitée. Ce vaste espace accueille la majorité des thèmes abordés dans l’exposition : son travail sur le monde végétal, ses paysages de New-York et du Nouveau-Mexique, ses réflexions sur l’abstraction, pour finir par ses synthèses formelles de plus en plus poussées dans ces dernières années de carrière.
Vue de la salle depuis l’espace « La galerie 291 », avec les « rayonnages » de cimaises © Myrrha Bouly
La visite se termine par deux petites salles. La salle de droite diffuse une vidéo de Georgia O’Keeffe. A gauche, une petite salle présente des poupées Kachinas dans une vitrine centrale. O’Keeffe a en effet beaucoup copié ces poupées quand elle vivait au Nouveau-Mexique, comme le montre des petits formats accrochés aux murs de la salle. Si l’ensemble de l’exposition était dans les tons gris, cette salle finale intégralement noire fait contraste.
La rétrospective nous présente au total huit thèmes, abordant plusieurs moments de la carrière de O’Keeffe. Mis à part les textes abondants des cimaises d’introduction, il y a assez de peu de choses à lire dans le parcours. Chaque partie est accompagnée d’un court paragraphe d’informations, et des cartels détaillés accompagnent certaines œuvres. Ne connaissant de Georgia O’Keeffe que ses fleurs et les symboles érotiques qui leur sont associées, je note qu’un panneau de salle rappelle que O’Keeffe désapprouve cette constante sexualisation de son œuvrexpositions [1] alors qu’un cartel propose précisément une métaphore érotique sur une œuvre, et ce sans aucune source affichée.
L’exposition affiche clairement son parti-pris : Le parcours de l’exposition, délibérément fluide et ouvert, déroule chronologiquement la trajectoire artistique de Georgia O'Keeffe ; des premiers vertiges « cosmiques » que lui inspire l’immensité des plaines texanes en 1910, aux métropoles et aux paysages ruraux de l’État de New York des années 1920-1930, jusqu’au Nouveau Mexique, où elle s’établit définitivement après la Seconde Guerre mondiale. L’exposition se veut un espace ouvert, décloisonné, sans parcours obligatoire. L’idée est séduisante : un parcours très contraint, où il n’y a qu’un chemin possible est souvent rédhibitoire. Avoir la liberté de circuler, de papillonner d’une œuvre à l’autre au grés de ses envies rend l’expérience de visite bien plus agréable.
Vues de la pièce principale de l’exposition © Myrrha Bouly
Le thème « La galerie 291 » est le seul espace véritablement délimité, avec le panneau de salle et les œuvres associées dans la même pièce. A l’inverse, la pièce principale est complétement décloisonnée. Six thèmes y sont abordés et les œuvres qui les illustrent sont accrochées sur les cimaises dans l’ensemble de la salle.
Il n’y a pas de parcours indiqué ni de distinction visuelle entre les différentes thématiques. Un dépliant fourni à l’entrée indique les parties chronologiques abordées dans l’exposition, mais ce n’est pas retranscrit dans l’espace. Pour ajouter à la confusion, chaque cimaise porte une ou plusieurs dates, couvrant des périodes plus ou moins larges, concernant parfois les œuvres, parfois la vie de O’Keeffe. Les dates peuvent presque se chevaucher, comme sur cette cimaise. Les repères chronologiques correspondent bien au parti-pris initial de l’exposition, mais ce passage de l’un à l’autre oblige à sans cesse s’adapter.
Exemple de cimaise avec plusieurs dates indiquées © Myrrha Bouly
Les espaces sans séparation ni parcours apparent peuvent brouiller leur propre message. L’exposition Georgia O’Keeffe est une rétrospective, avec un parti-pris chronologique revendiqué. La scénographie ouverte dessert cette ambition. Les différentes phases de la carrière de O’Keeffe sont présentées toutes ensembles, côte à côte. Dans ces conditions, comment peut-on comprendre quelle phase artistique précède ou succède à telle autre phase ? Comment comprendre l’évolution de ses inspirations et de ses réflexions ? Il est même compliqué de saisir dans quelle région habitait O’Keeffe à une période donnée, ce qui est problématique quand on sait à quel point son environnement inspirait ses œuvres.
Finalement, à la sortie de l’exposition, le visiteur ressort-il avec une meilleure approche de l’art de Georgia O’Keeffe ? Certes, il a vu des dizaines d’œuvres et l’exposition parvient bien à montrer la diversité des sujets présentés par O’Keeffe. Mais déambuler dans cet espace permet-il vraiment de comprendre l’évolution d’une artiste pendant près de cinquante ans ? Repenser les parcours d’exposition de façon plus libre sans sacrifier le sens suppose d’offrir un cadre intuitif, qui ne nécessite pas de se référer au guide de visite.
Myrrha Bouly
Pour aller plus loin :
- Page de présentation de l’exposition sur le site du Centre Pompidou : https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/60bdJRm
[1]Je cite ici le texte du thème Un monde végétal : "Concédant d'abord que son art traite ''essentiellement des sentiments féminins'', elle dément bientôt avec vigueur l'interprétation obsessionnellement''érotique'' que la critique livre de ses fleurs"↩
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