Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussé à ouvrir les Centres d’Art Space junk, Jérôme Catz répond qu’il se devait de « rendre la monnaie de sa pièce » au milieu de la glisse.
Rideau métallique de l’espace Spacejunk de Grenoble revisité par le Street artiste Goin ⓒSM
Snowboarder professionnel pendant plus de dix ans sous l’égide de la marque Rossignol, Catz a conscience qu’il a vécu des moments privilégiés. En 2003, après avoir « ridé » aux quatre coins du globe, il ouvre Spacejunk à Grenoble, un espace dédié au Pop Surréalisme*, au Lowbrow*, à la Boardculture* et au Street art. Des mouvements issus de la culture populaire et qui ont en commun un certain goût pour la transgression, des esthétiques que Jérôme Catz a côtoyées durant toute sa carrière et qu’il souhaite faire connaître davantage.
Devanture de l'espace grenoblois ⓒSM
Pour « offrir des murs blancs » à des artistes plutôt habitués aux bars et boutiques de stations, il crée une association, engage ses fonds personnels et reçoit le soutien de Rossignol.
En douze ans, ce sont plus de cent quatre-vingt artistes qui ont défilé dans les « centres d’art et non galeries marchandes » (il insiste) de Grenoble, Lyon, Bayonne et Bourg-Saint-Maurice, dans le cadre d’expositions thématiques collectives ou monographiques. Certains pratiquent eux-mêmes la glisse ou ont fait carrière dans le domaine, d’autres utilisent le ski, le skate, ou le snowboard comme support de création, voire comme médium, à l’instar de Fabien Bonzi qui expose actuellement. Tous sont sélectionnés par Jérôme Catz qui tient seul les rennes de la programmation et fonctionne par coups de cœur « et non pour les retours financiers que les ventes pourraient générer » comme il se plait à le rappeler. Aujourd’hui, s’il reste en veille pour dénicher les nouveaux talents, il est aussi très sollicité par ces derniers.
Damien Hirst, Larry Clark, Olafur Eliasson et Shepard Fairey étaient exposés aux côtés du jeune grenoblois Fabien Bonzi en 2011 pour « Skateboarding is not a crime »ⓒSpacejunk
Un des objectifs de départ du projet Spacejunk est de faciliter l’accès à l’Art du public non adepte de musées ou de lieux d’Art contemporain. Ce fameux public « jeune » que tous les musées cherchent aujourd’hui à attirer. Et le contrat est pleinement rempli : les 16-30 ans composent 50% de la fréquentation du centre de Grenoble. Certes, l’espace est implanté en terrain conquis. La capitale des Alpes dont Catz est originaire est dotée d’un important campus universitaire qui accueille environ 60 000 étudiants chaque année. Parmi eux, certains avouent l’avoir choisie pour sa proximité avec les pistes.
Mais l’ambiance conviviale qui règne dans les espaces est sans doute un facteur essentiel d’attraction. Lors des vernissages, pas de grands discours, pas de parcours imposé. Chacun, bière en main, part à la rencontre des œuvres tout en discutant avec ses amis, avec l’artiste ou le personnel sur fond de musique rock.Spacejunk mise sur la proximité avec le public et « la médiation humaine avant-tout ». Il y a toujours un médiateur pour vous accueillir dans l’espace et vous proposer quelques explications sur l’exposition en cours. Les discussions s’engagent facilement, les connaissances s’échangent.
Pour le fondateur des centres, c’est justement en terme de médiation que le bât blesse dans le monde de l’Art contemporain qui n’a pas à ses yeux réussi à casser son image intellectualiste et élitiste.Le public scolaire est également une préoccupation majeure du centre qui propose des visites des expositions en cours et des ateliers de pratique artistique, parfois animés par les artistes eux-mêmes. Parallèlement, avec le projet Venus, le réseau s’est engagé dans une action de prévention du cancer du sein, fruit d’une collaboration de citoyennes et d’artistes.
Des photos de femmes en bustes customisées par des artistes sont exposées dans des lieux culturels ou sociaux culturels, des hôpitaux, des maisons de quartier, des bibliothèques, ou encore, des cafés et boutiques. Certaines sont vendues aux enchères et les bénéfices sont reversés à une association caritative spécialisée sur la question. Côté fonctionnement, une équipe permanente de sept personnes anime aujourd’hui les différents centres qui ne disposent pas de budgets reconduits annuellement, bien que soutenus par les collectivités territoriales.
Les subventions ne permettent pas de couvrir l’ensemble des frais et il faut trouver des sources de financement pour produire les cinq expositions annuelles. Alors, ici depuis le début de l’aventure on a recours au mécénat. Fabricants de matériel de glisse, de matériel de dessin, brasseurs de bière…Spacejunk a plus d’un tour dans son sac. Il est même arrivé certaines années que le directeur redevienne bénévole pour pouvoir boucler le budget.
L’anamorphose d’Étien’ et de Diseck réalisée dans le cadre du 1er Festival de Street Art à Grenoble (juin 2015) ⓒSM
Sensible à l’Art engagé, Jérôme Catz souhaite apporter aux jeunes une meilleure compréhension de leur environnement afin qu’ils se l’approprient plus facilement et deviennent citoyens.
Aussi peut-on voir en Spacejunk un outil au service de la Boardculture. Une culture qui tend à replacer l’homme au sein de son environnement naturel ou urbain. Une attitude, un état d’esprit, qui prône la complicité entre l’homme et les éléments et refuse de les mettre en opposition bien que la notion de danger soit bien présente dans les différentes pratiques de la glisse. C’est avec maîtrise et prise de risques que Catz aborde le monde de l’Art.
Quoi de plus naturel pour celui qui a fait du free-ride sa spécialité ? Enthousiaste et infatigable, il ne manque pas de projets. L’auteur de Street Art, mode d’emploi est récemment intervenu en tant que commissaire pour l’exposition « #Street Art, l’innovation au cœur d’un mouvement » à la Fondation EDF et a organisé cette année à Grenoble le premier festival destiné à montrer toutes les facettes de cet art.
*Pop surréalisme: Mouvement apparu dans les années 70 aux USA, le pop surréalisme regroupe des artistes de styles différents qui explorent les plaisirs et les cauchemars de la culture américaine dans des peintures figuratives et narratives.
*Lowbrow : Courant pictural du Pop surréalisme, le Lowbrow se réapproprie les codes issus des médias populaires (comics, publicité, graffiti, dessin animé…) dans des œuvres souvent humoristiques, joyeuses, espiègles ou sarcastiques.
*Board culture: l’ensemble des aspects intellectuels et artistiques issus des sports de glisse.
En savoir plus :
Jérôme Catz, Street art, mode d’emploi, Paris, Flammarion, 2013.
https://www.facebook.com/spacejunkgrenoble
https://www.facebook.com/grenoblestreetartfest?fref=ts
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