Dans l’exposition Christo et Jeanne Claude au Centre Pompidou (1er juillet – 19 octobre 2020) qui s’intéresse aux années parisiennes du couple d’artistes, le moment central de l’exposition est la projection du documentaire Christo in Paris réalisé par David Maysles, Albert Maysles, Deborah Dickson et Susan Froemke en 1990. Ce film de 58 minutes, tourné pendant six ans, suit les différentes étapes de l’empaquetage du Pont-Neuf. Des premiers repérages en 1979 jusqu'à l'aboutissement du projet en 1985, en passant par l’histoire de cet artiste américain d'origine bulgare, son histoire d'amour avec sa femme et sa lutte pour la réalisation de ce projet gigantesque. Mais le  plus marquant c’est l’ ode à l’art public qu’il représente, avec  toutes les étapes, tous les problèmes auquel un porteur de projet artistique se retrouve confronté, de l’idée à la réalisation, du face à face politique jusqu’aux débats du public...

 

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© Christo et Jeanne Claude, 1985

 

Christo travaille sur ce projet depuis 1975 lorsque le documentaire débute. Le but est de réinterpréter le Pont-Neuf, lieu de rendez-vous du couple au début de leur histoire et maintes fois représenté de manière figée par les artistes en dessin et en peinture d’où la volonté que cela devienne un jour un objet d’art éphémère en soi. Le but est de réaliser une intervention marquante dans l’espace public, ici en utilisant le tissu qui permet de cacher pour révéler et c’est “easy, provocative and inviting”. Christo se rend sur place, imagine les couleurs, prend des photos sous tous les angles du pont et dessine encore et toujours, ce sont d’ailleurs ces mêmes dessins et plans d'implantation que l’on retrouve juste après le film dans l’exposition au Centre Pompidou.

 

Rapidement se pose le problème principal de l’implantation d’une œuvre dans l’espace public: vont-il avoir l’autorisation ? S'ensuit de nombreuses rencontres relatées dans le documentaire jusqu’en 1982 avec pour objectif de convaincre Jacques Chirac alors maire de Paris. Tous les dialogues sont savoureux : une dame conservatrice dit “moi je suis très sectaire quand on touche à mon vieux Paris, j’aime mon pont comme il est”, un homme politique éclairé comme Michel Boutinard Rouelle, directeur des affaires culturelles de la ville de Paris, comprend la démarche artistique de cette œuvre dans l’espace public et déclare : “le débat a une valeur, un intérêt en soit pratiquement égal à la réalisation de l’œuvre” mais il rappelle très vite que la personne à convaincre est Jacques Chirac et que le dossier doit être solide. Le Général de Guillebon rappelle au couple que Chirac pour un projet se demande ce qu’on va penser de lui et au vote des Parisiens puis Michel Debré, ancien premier ministre conseille qu’il faut le rassurer.

 

Christo tente de convaincre en réalisant une maquette de son travail qui est présenté à la Samaritaine pendant 3 semaines. Il est tout suite plus simple d’appréhender un projet en pouvant le spatialiser, l’imaginer physiquement. Avant même de le rencontrer Christo apprend d’une journaliste que Chirac ne serait pas favorable au projet. Les arguments concernent  l’art contemporain, la  façon de prendre le public pour des non-initiés : les gens ne comprendraient pas, ils vont se demander combien ça coute, c’est pas beau, c’est monstrueux, c’est ridicule. On entend Christo dire : mais comment les choses peuvent être si politiques ? Ghislaine Ottenheimer journaliste lui souffle l’idée salvatrice : créer un enthousiasme dans le quartier pour dépolitiser le projet : ce n'est au fond pas le problème du maire de Paris, c’est le problème des Parisiens, il n’a qu’à convaincre les habitants qui convaincront ensuite le maire. Christo part à la rencontre des riverains : dans les boutiques, les entreprises, les associations, il discute avec les boulistes de l’île de la cité ou lors de cafés débats.

 

En 1982, c’est le grand moment : la rencontre avec Chirac. Celui-ci, écoute Christo lui parler du projet et répond “je ne suis pas sûr que ce soit un excitement pour les Parisiens et je crains que le projet ne soit pas bien reçu”. Quelques minutes plus tard, la terrible question que le monde de la culture craint : “Qu’est-ce que ça coute à la ville de Paris ?”. Christo a la chance de pouvoir autofinancer son projet avec la vente de dessins et collages mais pour de nombreux projets artistiques cela signe souvent la fin de l’aventure. Malgré cette réponse, le couperet tombe : à un an des élections municipales, il ne souhaite pas que cela devienne un cheval de bataille politique, le rendez-vous est pris après avril 1983 et sa quasi sure réélection. Comme dit Jeanne-Claude à la sortie de la réunion : “French politican are playing ping pong and we are the balls”.

 

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Extrait du documentaire Christo in Paris par Deborah Dickson, David Maysles, Susan Froemke, Albert Maysles, 1990

 

Finalement 1985 est l’année de la réalisation, 10 ans après les premières esquisses. Lors du vernissage, Chirac s’exprime : “C’est une réussite” et lorsqu’un journaliste lui demande s’il est d’accord avec ce projet soutenu par Jack Lang, ministre de la culture il réplique :”J’ai été le premier à donner mon autorisation mais cela ne s’est pas fait suite à des problèmes d’ordre juridique sur la propriété du Pont neuf” Sans doute avait-il oublié ses propos recueilli trois années plus tôt dans son bureau...

La franchise est nette  dans les réactions et les débats entre Parisiens à la vue de ces 40 000m2 de tissus recouvrant le Pont Neuf : “C’est affreux, c’est un homme riche et s’il ne sait pas quoi faire de son argent il n’a qu’à me le donner ?”, “J’aimais mieux l’ancien pont” “- Mais qu’es- ce que c’est ? - C’est son idée. - ll y a des farfelus partout”. “C’est gratuit. Non l’art c’est pas gratuit,  ni payant c’est exprimer ce que l’on ressent”. A l’écran, le critique Pierre Restany des gens qui marchent prudemment sur le pont emballé,  un professeur qui donne des petits bouts de tissus à des enfants, des amoureux s’embrassent sur les berges, la vie continue…

 

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Extrait du documentaire Christo in Paris par Deborah Dickson, David Maysles, Susan Froemke, Albert Maysles, 1990

 

Le film se clôt sur le débat public entre trois hommes : le premier n’apprécie pas l’œuvre, et à la question de ce  qu’est l’art pour lui il répond : “C’est une idée, une création de l’esprit qui transpose la réalité de telle façon qu'elle l’exprime pour être sensible aux autres”. Un jeune homme s’interpose et répond : “Et bien moi ça me fait pleurer de voir ça”. La dernière phrase, prononcée par le troisième homme est la dernière du film : “Moi je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas, si il n’y avait pas le pont emballé on ne se serait jamais parlé. Jamais”.

 

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Le projet d’empaquetage de l’Arc de Triomphe sera réalisé à l’automne 2021. André Grossmann / Christo/ AFP

 

Ce documentaire ne montre pas un simple projet artistique dans sa réalisation concrète, c’est un réel voyage à travers les années, les souvenirs de Jeanne-Claude et Christo, qui malgré les obstacles ont réalisé un projet fort ayant eu un impact sur les visiteurs. Dans le documentaire, Christo dit que ce qui est intéressant dans la réalisation de cette œuvre c’est que contrairement à un musée où les visiteurs sont face à un objet final, dans le projet du Pont Neuf et donc par extension dans les projets d’art public, le visiteur est confronté à lui-même, à son goût et au fantasme qu’il entretient tout au long de l’avancement du projet qui permet de lancer et d’entretenir un dialogue avec les autres. Nous n’avons plus qu’à espérer vivre à nouveau cette émulation lors de l’empaquetage de l’Arc de Triomphe qui sera réalisé à l’automne 2021 selon les plans et maquettes laissés par Christo. 

 

Cloé Alriquet

 

#art public

#artcontemporain

#christo

 

Pour découvrir le reportage : https://www.youtube.com/watch?v=WaMxmAv9Au0

 

Pour découvrir l'exposition Christo et Jeanne Claude au Centre Pompidou : https://www.centrepompidou.fr/cpv/agenda/event.action?param.id=FR_R-c0a1759d-b14c-4969-988e-286f48305c75&param.idSource=FR_E-5d4cd406-038e-4c4c-a77d-3266b293a2dd

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