Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture » © Gasgar Lucas

 

Les donations architecturales ont longtemps été célébrées comme des gestes de générosité, de patronage culturel, et de véhicule de progrès sociétaux. Des bibliothèques aux écoles financées par des philanthropes, des stades sportifs et des logements donnés dans le cadre d'initiatives diplomatiques, ces cadeaux façonnent la structure même des villes. »
Derrière leur façade se cache un récit complexe et souvent controversé de pouvoir, d'influence, et de contrôle, que ce soit du créateur, ou du donateur de ce bâtiment. L’exposition « The Gift » interroge leur véritable impact sur l'urbanisation des villes, tout en soulignant les liens et les dynamiques complexes entre les donneurs et les receveurs.

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Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture”

 

Le contexte historique des donations architecturales

La tradition du don est profondément enracinée dans les pratiques religieuses et impériales, où ces actes étaient souvent liés à des démonstrations de pouvoir et d'autorité. Que ce soit par la construction de temples, d’églises ou de bâtiments civiques, ces cadeaux ont historiquement servi de symboles de richesse, de prestige et d’influence. Ils étaient des actes stratégiques destinés à renforcer les hiérarchies sociales et à affirmer la domination du donateur.
De nos jours, la tradition perdure, bien que sous des formes différentes et avec de nouveaux acteurs. Les organisations humanitaires, les agences de développement, et les nations jouent des rôles significatifs dans la distribution mondiale des donations architecturales. Dans le contexte de la mondialisation et de la concurrence géopolitique croissante, ces cadeaux sont souvent utilisés comme outils de « soft power », visant à gagner les esprits des régions d'intérêt stratégique.
Pour saisir pleinement l'ampleur des impacts des donations, « The Gift » présente de nombreuses études de cas, qui illustrent la portée mondiale de ses donations et leurs répercussions complexes entre les habitants et leurs territoires.
À Skopje, en Macédoine du Nord, la reconstruction après le tremblement de terre de 1963 révèle comment des dons architecturaux peuvent être intégrés dans des stratégies géopolitiques. Ses soutiens n'étaient pas seulement des moyens de redresser la ville, mais aussi des instruments de rivalité idéologique, influençant durablement l'urbanisme et l'identité de Skopje.
Aidée par plus de quatre-vingts pays, cette petite ville balkanique est devenue une vitrine de la solidarité mondiale sous l’égide des Nations Unies. L’aide reçue variait des couvertures et du plasma sanguin à des maisons préfabriquées, des écoles, des hôpitaux, et des infrastructures de santé, de gestion de la ville, etc.
Un exemple emblématique est celui d’un ensemble de logements préfabriqués construits immédiatement après le séisme, offert par sept pays. Ces bâtiments sont devenus un symbole de la coopération internationale. Il en fut de même avec l’Universal Hall, l’un des premiers bâtiments publics reconstruits, financé par plus de trente-cinq pays.
L’exposition pose également la question de la responsabilité dans l’entretien des infrastructures offertes, notamment après l’effondrement de la Yougoslavie dans les années 1990, et explore l’avenir de ces dons à travers des photographies récentes, des vidéos et des interviews.
D’autre part, la création de l’Université des Sciences et de la Technologie Kwame Nkrumah (KNUST) au Ghana constitue un exemple des dynamiques complexes qui peuvent découler des dons, en particulier dans le contexte postcolonial. Fondée en 1951 sous le nom de Collège de Technologie par le gouvernement colonial britannique, l’université se trouve dans la région Ashanti, un territoire historiquement puissant et influent.
Ce projet a vu le jour avec le soutien de la population locale, en particulier l’Asantehene, le roi des Ashanti, une figure centrale dans la culture et l’histoire du Ghana. L’Asantehene, bien que ne faisant pas un don direct de la terre, a loué celle-ci au gouvernement colonial pour une période de soixante ans.
Après l'indépendance du Ghana en 1957, l’université symbolisait non seulement le progrès technologique et scientifique du Ghana nouvellement indépendant, mais aussi la volonté d’autonomie vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. Le campus devait ainsi incarner une rupture avec le passé colonial et se présenter comme un modèle de modernisation socialiste au service du développement national.
Cependant, l’histoire du KNUST n’est pas simplement celle de la fondation d’une université, mais aussi celle d'une relation entre la donation de la terre et les attentes qui en ont découlé. Même si le terrain avait été loué plutôt que donné, il fut communément décrit comme un « don » par les responsables de l’université, ainsi que par les habitants des communautés voisines. Ces derniers voyaient cette donation non seulement comme un geste symbolique, mais aussi comme une forme de contrat social entre l'université et eux-mêmes. Ils s’attendaient en retour à bénéficier de contre-dons, sous forme de soutien matériel, d’opportunités économiques et d’accès à des infrastructures telles que l’eau, l’électricité, et les routes.
Ainsi, ces exemples soulignent comment les dons architecturaux peuvent façonner non seulement des villes, mais aussi des relations politiques et sociales complexes à travers le temps.

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Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture »

 

D'un côté, ces cadeaux fournissent des infrastructures, des équipements culturels, et des services sociaux nécessaires, améliorant la qualité de vie des communautés et contribuant à leur développement. De l'autre, ils peuvent renforcer les inégalités existantes, imposer des valeurs et des esthétiques externes, et créer des dépendances qui limitent l'autonomie des communautés récipiendaires. Cette relation est rarement égale, elle est plutôt façonnée par les intentions du donateur, les besoins du bénéficiaire, et le contexte sociopolitique plus large dans lequel s’inscrit la donation.

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Vue d’exposition « The gift. Stories of generosity and violence in architecture »

 

La vie des populations

L’une des questions soulevées par l’exposition est celle de la vie de ses donations après leurs dons. Comment s’intègrent-ils dans le paysage urbain, et comment sont-ils perçus, entretenus et utilisés par les communautés au fil du temps ?
La vie d’un bâtiment offert est façonnée par une multitude de facteurs, y compris les intentions du donateur, les besoins et les désirs du bénéficiaire, et le contexte sociopolitique de son époque. Dans certains cas, les bâtiments peuvent être embrassés et célébrés, devenant des parties intégrantes de l’identité de la communauté. Dans d’autres cas, ils peuvent être négligés et réutilisés reflétant des changements de priorités et de dynamiques de pouvoir.
Cela soulève des questions sur les responsabilités des donateurs et des bénéficiaires. Combien de temps ces responsabilités durent-elles ? Le donateur est-il responsable de l’entretien et de la maintenance du bâtiment après son achèvement, ou la responsabilité se transfère-t-elle entièrement au bénéficiaire ? Chaque donation nécessite-t-elle un contre-don, et si oui, qu’est-ce qui constitue une réponse appropriée ? Une communauté peut-elle refuser un don, et quelles sont les implications d’un tel refus ?
Cette exposition souligne que les donations architecturales, bien qu'apparues comme des gestes de générosité, sont des actes complexes impliquant des dynamiques de pouvoir, d'influence et de contrôle entre le donateur et le bénéficiaire. L'exposition du Architekturmuseum der TUM de Munich explore ces paradoxes en illustrant à travers des exemples concrets l'impact global et durable de ces dons sur les communautés. Elle questionne la responsabilité des parties impliquées et l'évolution des relations entre elles, tout en posant la question de l'appropriation, de l'entretien, et même du refus de ces dons dans un contexte sociopolitique en constante évolution.

 

Lucas Gasgar

 

Sources :

#Nuit ; #Hotel ; #Experience

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