Quand on fait son stage dans un musée travaillant des questions aussi complexes que « C’est quoi l’Afrique subsaharienne contemporaine ? Qu’est-ce qu’une diaspora ? Quelle mémoire les Belges et les Congolais partagent-ils ? De quelles manières la partager et la transmettre de part et d’autre de la méditerranée ? » L’événement Afropean+ peut apporter des réponses.
Affiche Afropean+ © Bozar
Me voila donc à Bozar, à Bruxelles, par un samedi de janvier particulièrement ensoleillé, prête à m’enfermer pour une journée d’événements culturels autour de la notion d’afropéanité. Le public est au rendez-vous, il est en majorité issu des diasporas subsahariennes et non africaines, j’aimerai voir encore plus de monde, encore plus de métissage. Etpourtant l’ambiance est cordiale, passionnée, aux aguets. C’est la première fois que j’entends, ou plutôt lis le terme afropean inscrit en grosses lettres sur le programme de la journée. Qu’est ce donc que ce néologisme, cette contraction d’africain et d’européen ?
Le premier indice pour tenter d’approcher une définition du terme se trouve dans sa forme même, deux mots tranchés et cousus ensemble.
Bozar, plateforme de rencontres
Le second indice se situe dans la forme même que prend l’événement et dans le lieu où il se déroule. Bozar est une plateforme, une succession de salles où cohabitent une multitude de projets culturels validés par une direction dont la caractéristique principale est de savoir mettre le doigt sur des problématiques sociétales et contemporaines émergentes. La forme que prend Afropean + est pluridisciplinaire. C’est une journée où se succèdent des propositions variés comme un marché créatif, des expositions, des courts et longs métrages, des concerts, des lectures, des débats, des spectacles. L’ensemble venant se télescoper quand le visiteur prend le temps d’assister à plusieurs propositions. Notons au passage que seuls les concerts sont payants.
Continuum of Repair : The light of Jacob’s Ladder, Kader Attia, Bozar, 2015 © O.L
Un lieu d'échanges, de débats et de révélations
Le troisième indice est l’installation de l’artiste Kader Attia. Dans une salle en retrait du majestueux hall Horta où se trouve le marché créatif, l’artiste propose la métaphore d’une situation, celle de l’être traversé par plusieurs cultures, cultures reliées entre elles souvent violemment par la colonisation. L'œuvre est un cabinet de curiosités qui n'utilise pas le principe de l'originalité, du bizarre, de l'extra ordinaire comme historiquement mais est un espace polyphonique où par les objets (essentiellement des livres) les voix scientifique, politique, religieuse trouvent leur place les unes avec les autres. La suture entre les mondes (entre le ciel et la terre reliés par l'échelle de Jacob, entre le pouvoir politique symbolisé par les bustes d'hommes blancs et les textes bibliques et coraniques...) se fait par le regard englobant de l'artiste. C'est une couture entre les différents éléments de l'installation faite avec bienveillance, sans hiérarchisation entre les objets. Leur accumulation forme un constat : le scientifique, le religieux, le politique sont des possibles non hiérarchisés. Ce dispositif offre aux regards la plasticité et la polymorphie d’un monde qui permet une construction des identités.
Continuum of Repair : The light of Jacob’s Ladder, Kader Attia, Bozar, 2015 © O.L
Le quatrième indice est la forme que prend le débat « Being Afropean ». Dans le studio de Bozar, espace oscillant entre la salle de conférence, de cinéma et de théâtre se joue une pièce improvisée d’échanges rebondissant. Ken Ndiaye, anthropologue ayant participé au programme Réseau International des Musées d’Ethnographie (RIME) se propose de questionner la notion d’afropéanité. Il est très vite rattrapé par l’assistance. Celle-ci impose sa parole, chacun et chacune témoignant de son parcours, enfin, je commence à comprendre, à sentir du sens émerger de ces voix. Ce mot afropean, s’incarnant soudain à travers le visage de chacun des intervenants, se transformant selon le vécu des êtres prenant la parole. Afropean est une identité polymorphique, une traduction d’un état singulier : celles des êtres aux cultures africaines et européennes. Comment comprendre le sens d’afropéanité quand on est franco-française vivant entre deux pays européens aux cultures proches ? Blanche dont la voix pense en français ? Quelle place puis-je avoir au cœur des problématiques que soulèvent l’afropéanité ? Quelle place les êtres sans diversité culturelle peuvent-ils avoir avec ces identités polymorphes en constante construction ?
S'exprimer par la scène
Le cinquième et dernier indice est la lecture-spectacle Autrices de « Ecarlate la compagnie » à partir d’extraits choisis du texte Ecrits pour la parole de l’auteure française Léonora Miano. Deux femmes, deux voix accompagnées par une création sonore inédite. Moment fort où la langue de Miano surgit, s’incarne dans le corps blanc des deux actrices. Et c’est cette incarnation du texte interrogeant « le rapport souvent conflictuel qu’entretiennent les afropéens avec les notions d’intégration et de double culture »[1] qui donne sens à l’afropéanité. Afropéanité est un mot dépassant la couleur pour interroger des identités qui restent dynamiques et uniques. En écho j’entends la voix de Léonora Miano dire : « Je sais très bien que je suis le produit de la rencontre entre deux mondes, qui, d’ailleurs, se sont mal rencontrés. Mais, enfin, j’existe. »[2] La voie à tracer pour se reconnaitre, se rencontrer, ne se situerait-elle pas dans ce retour aux conditions de la rencontre entre Afrique et Europe ? Il semble que pour construire les identités contemporaines, il nous faille faire un retour sur notre passé , sur ce que nous avons en commun.
Ophélie Laloy
Pour aller plus loin :
http://www.bozar.com/activity.php?id=15637
#Afropéanité
#Événementiel culturel
#Postcolonialisme
[1] Programme Bozar