En apprenant que le Louvre Lens tenait une exposition temporaire intitulée Soleils Noirs, j’ai tout de suite été enthousiaste. J’espérais visiter un parcours qui explorerait toutes les symboliques sociales associées au noir, les aventures artistiques menées autour de cette couleur, les problématiques chimiques de l’obtention des pigments nécessaires pour en faire de la peinture, les définitions physiques de la lumière et de l’obscurité... Bref, je m’attendais à une croisée dynamique des savoirs de tous ordres autour de cette teinte fascinante. C’est ce que j’espérais, tout simplement car c’est sûrement ce que je ferais si j’étais en charge d’une exposition sur la thématique du noir.
Pour me renseigner, je consulte alors le site internet du musée, et vois l’exposition décrite comme « poétique et sensorielle », « croisant les époques et les disciplines, entre peinture, mode, arts décoratifs, projections et installations », « de l’antiquité à nos jours ». Exit la physique, la chimie, l’anthropologie, je comprends donc qu’il s’agit avant tout des arts plastiques, avec une incursion – timide – dans le monde social par le biais du vêtement et par l’histoire locale de la mine. C’est un parti-pris intéressant, car plutôt que de partir dans toutes les directions, l’exposition est cadrée sur une thématique présente de manière transversale dans l’art de toutes les époques. Un parcours dans l’histoire de l’art par le biais d’une couleur peut être l’occasion de faire de belles découvertes.
Mais lors de la visite, j’ai trouvé que la multiplicité des périodes était limitée à quelques époques spécifiques (d’un côté, de la 2nde moitié du 18e siècle aux années 1900 en Europe, de l’autre l’art contemporain international). L’art contemporain est présent autant par des œuvres déjà bien inscrites dans le panorama artistique (de Soulages ou Hans Hartung par exemple) que par le recours à des commandes à des artistes en vie, ce qui enrichit considérablement le parcours. Le Moyen Âge, en revanche, est à peine présent via le transi de Guillaume Lefranchois, des collections du musée des Beaux-Arts d’Arras et La chute des anges rebelles du Louvre. Les périodes couvertes sont donc moins nombreuses que ne le laissent penser communiqués de presse et communication internet, et sont aussi les plus mises en avant dans les musées de beaux-arts français en général.
La chute des anges rebelles © Musée du Louvre/A. Dequier - M. Bard
Il me semble qu’au fond, plutôt qu’une question de discipline ou d’époques, ce qui fait la cohérence de l’exposition, c’est l’orientation vers l’esthétique, la beauté forcément sublime d’une couleur abondamment présentée comme ambivalente.
La solitude, Alexander HARRISON, © RMN-Grand Palais, musée d'Orsay, Hervé Lewandowski
Lee BAE, Issu du feu, conservé au FIMAC (Fonds d’investissement et de mécénat en art contemporain) de Lille © MH
un texte de séquence de Soleils Noirs sur la technique de la silhouette © MH
Simon Hantaï, étude I, suite pour Pierre Reverdy conservée au MAC/VAL (détail) © MH
Pour finir, je regrette que Soleils Noirs présente si peu d’œuvres de femmes. En excluant les œuvres d’artistes anonymes, toutes les œuvres présentées antérieures au 20e siècle sont faites par des hommes, et seul l’art contemporain permet d’insérer des œuvres de femmes dans le parcours. J’ai pris des photographies de chaque œuvre de femme artiste pour le compte twitter @accrochee_s, qui recense les œuvres de femmes présentées dans des expositions temporaires ou permanentes en musées : au total, et sauf erreur de ma part, seules 5 œuvres présentées sur 140 en font partie, plus une œuvre réalisée par un couple de photographes mariés qui travaillaient et signaient leurs œuvres ensemble. Ce relevé indicatif ne dit rien de la qualité de l’exposition, mais signale tout de même un problème de diversité saisissant.
Misty Road de Renie Spoelstra (Frac Picardie Hauts-de-France) © MH l’une des rares œuvres de femmes dans le parcours et l’une de mes œuvres favorites de l’exposition
En somme, cette exposition ne m’a pas entièrement convaincue, même si elle m’a donné l’occasion de voir des œuvres variées et parfois très belles, car j’ai eu l’impression de ne pas accéder à des contenus sur le noir mais seulement à des œuvres d’art dont la couleur noire était une composante. Malgré tout, j’ai particulièrement apprécié l’effort mené pour sortir du cadre monographique ou chronologique qui domine souvent dans les expositions de beaux-arts en France.
Marie Huber
#soleilsnoirs
#artcontemporain
#LouvreLens
Lien pour aller plus loin :