Originaire de la région Centre-Val de Loire, inutile de préciser que je demeure une aficionada des châteaux de la Loire depuis ma plus tendre enfance. Je me souviendrai toujours de ses visites qui ont marqué mon imaginaire d’exploratrice, et qui ont été la porte d’entrée vers cette passion pour le patrimoine culturel. Comment ne pas oublier ce majestueux édifice qu’est le Château de Chambord ? Les somptueux jardins de Villandry qui forment des tableaux colorés de verdure ? Ou encore le Château des Dames,plus connu sous le nom de Chenonceau, qui m’a impressionnée par la richesse de ses collections ?

Mais il en est un plus discret face aux bâtisses les plus renommées dela région, et qui pourtant, demeure de loin mon favori :Azay-le-Rideau. Je ne saurais me rappeler l’âge exact auquel je l’ai découvert pour la première fois, mais je me souviens de la somptueuse vue depuis la façade Sud magnifiée par son miroir d’eau. Une véritable révélation, semblable à la description qu’en a fait Honoré de Balzac dans son roman Le Lys dans la vallée, où il le compare à « un diamant taillé à facettes sertis par l’Indre ».

La façade Sud du château d’Azay-le-Rideau © Joanna Labussière

 

Il est fort probable qu’une majeure partie d’entre vous ne le connaisse pas, mais si vous suivez l’actualité de près, il se peut que vous en ayez entendu parler récemment. En effet, le Châteaud’Azay-le-Rideau était sous les feux de la rampe, puisqu’il a bénéficié d’un important programme de restauration entrepris parle Centre des Monuments Nationaux durant presque trois ans. Au total : huit millions d’euros ont été investis dans ce chantier de mise en valeur et de restauration.

Autant vous dire que lorsque j’ai appris le jour de mes vingt-six printemps que j’allais prendre mes fonctions au sein de ce monument, je n’en revenais pas. Je crois même qu’à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai encore du mal à m’en rendre compte.Mais passons ! Le jour de ma prise de poste, quelle ne fut pas ma surprise de revoir ce château qui m’était si cher restauré àla perfection ; le soleil de ce début d’automne se reflétant dans la blancheur de la pierre de Tuffeau si caractéristique de l’architecture régionale.

C’est un château comme neuf que je (re)découvre : rénovation du parc romantique du milieu du XIXème siècle, façade extérieure entièrement restaurée, intérieur remeublé en son état historique. En tant qu’apprentie chargée de médiation culturelle,j’étais d’autant plus intéressée par la refonte du parcours de visite, et plus particulièrement par ce qui se tramait au premier étage. Je remarque alors avec étonnement que plusieurs pièces sont parsemées d’œuvres contemporaines, faisant du château un palais enchanté où se mêlent mythologie, magie et théâtre. Mais avant de vous en dire davantage, une petite explication s’impose !

Tout est parti du Centre des Monuments Nationaux qui a fait appel aux artistes plasticiens Piet.sO et Peter Keene pour concevoir un parcours d’installations oniriques destinées à être exposées au sein du monument. Le duo collabore ensemble depuis seize ans déjà,et parmi les six créations, cinq ont été spécifiquement conçues pour Azay-le-Rideau. Un an aura été nécessaire à la réalisation des esquisses de chaque installation, puis sept mois de conception.

Intitulé« Les enchantements d’Azay », ce projet a pris place parmi les collections le 6 juillet 2017, date de réouverture du château suite aux trois années de travaux. Influencés par l’imaginaire de la Renaissance, les artistes se sont notamment inspirés des personnages d’Armide et de Psyché, toutes deux représentées dans les tapisseries des chambres situées au premier étage : La Jérusalem Délivrée et l’Histoire de Psyché. Tel un hommage aux artifices des arts du spectacle de l’époque où se côtoient installations féeriques et objets fantastiques, ces enchantements envoûtent à différents niveaux antichambres, chambres et salle de bal du premier étage. La magie opère dès lors que les visiteurs passent à proximité, puisque les installations se déclenchent à leur passage. Certaines œuvres sont accompagnées de fonds sonores. Si vous-même, chers lecteurs et chères lectrices, êtes tentés par cette expérience surprenante,suivez le guide !

Si l’on suit le parcours de visite classique, notre déambulation nous mènera en premier lieu dans la grande salle. Lieu de réception par excellence, c’est dans cette partie publique que le maître de maison recevait pour ses affaires ainsi que pour son plaisir en organisant bals et festins. A notre arrivée, trois installations monumentales font face à la cheminée. Au centre trône un imposant banquet, entouré de part et d’autre par un automate (un officie rsur la gauche et une magicienne sur la droite). Ces installations s’animent au fur et à mesure : la magicienne et l’officier tournent sur eux-mêmes, tels les annonciateurs d’un banquet fantastique qui s’ouvre avec des panneaux se levant sur la table.Inspirés par les festins sorciers, Piet.sO et Peter Keene puisent également leurs influences dans l’art cinématographique.Références entre autres au grand banquet dans La belle et la bête de Jean Cocteau (1946), ou encore aux fêtes données dans les jardins dans Vatel de Roland Joffé (2000). Le festin fait aussi écho au palais d’Eros dans lequel Psyché est servie par des esprits bienveillants. Enfin, la mise en scène volontaire des animaux renvoie à la cuisine de la Renaissance, époque où l’on présentait autant la tête que le corps de l’animal.

Le banquet © Léonard De Serres

 

La visite se poursuit en pénétrant dans la Chambre de Psyché.Autrefois chambre du maître de maison, elle était sûrement destinée à Gilles Berthelot, commanditaire du château d’Azay-le-Rideau. Cette pièce s’apparentait à un espace multifonctionnel où l’on se reposait autant que l’on travaillait et recevait. Face aux trois tapisseries qui habillent les murs, se dresse un automate tournant sur lui-même, portant une lanterne et vêtu d’une robe décorée de miroirs. Il s’agit d’une mise en scène de Psyché, symbolisée par la robe aux miroirs, référence au miroir du personnage, tel un écho au labyrinthe proposant plusieurs destinations. Elle semble observer les tapisseries murales qui relatent son histoire. Sorte de quête initiatique, les miroirs servent à éclairer une partie de son vécu, tout en lui indiquant le chemin à suivre. La lanterne éclairée lui sert également de guide afin de l’aider à retrouver son chemin.

 La robe aux miroirs © Léonard De Serres

 

Jouxtant la Chambre de Psyché, la garde-robe est métamorphosée en « Cabinet des petits prodiges » au sein duquel automates, miroir et mondes miniatures se transforment grâce à des effets d’illusion.Trois mécanismes y sont disposés et se mettent en mouvement les uns à la suite des autres : tout d’abord, deux mécanismes en horlogerie fine, puis un miroir représentant des papillons. Bien que celui-ci ne soit pas éclairé, il est tout de même possible d’observer les papillons flotter au travers. Ici, Piet.sO et PeterKeene ont choisi Armide comme source d’inspiration, personnage capable de changer les petits projets en palais.

Cabinet des petits prodiges © Léonard De Serres

 

La déambulation se poursuit dans la chambre Renaissance, qui était probablement la chambre de Philippe Lesbahy, l’épouse de Gilles Berthelot. C’est dans le secrétaire, cabinet de retrait de la chambre qu’est exposé un « Livre aux grotesques »,conférant une apparence féerique à la pièce. Réalisé en papier de jonc, il laisse apparaître des ombres de créatures chimériques de par sa forme et les jeux de lumière. Le jonc fait écho aux murs de la chambre de Philippe Lesbahy restaurée en 2013, qui sont recouverts de nattes de jonc. Cette technique de tressage manuel était d’usage au XVIème siècle, car elle permettait d’isoler la pièce par temps froid, et de conserver la fraîcheur en cas de températures élevées.

 Livre aux grotesques © Léonard De Serres

 

Passons à présent à l’antichambre précédant les appartements du roi,où patientaient les visiteurs avant d’être reçus. Ici, le baroque prend tout son sens, avec un théâtre animé faisant apparaître et disparaître plusieurs animations et décors à l’aide de jeux de ficelles, ou encore de poulies. L’aspect brut véhiculé par la boîte réalisée en bois de frêne renvoie à la Renaissance,où le rideau n’existait pas pour la représentation du petit théâtre. Celui-ci fera son apparition au XVIIème siècle avec des rideaux bleus pour symboliser la couleur royale, puis les rideaux rouges sous Napoléon. L’emploi de la ficelle dans les décors était courant à la Renaissance ainsi qu’au XVIIème siècle, avec une scénographie conçue à partir de décors suspendus. Encore une fois, le duo d’artistes a choisi Armide comme référence principale, à travers ce théâtre animé, où trois à quatre décors suspendus apparaissent au fur et à mesure pour raconter une histoire.

 Le petit palais d’Armide © Léonard De Serres

Détail du petit palais d’Armide © Léonard De Serres

 

Pour conclure, direction la chambre du roi, baptisée ainsi en souvenir des quelques jours passés par le roi Louis XIII à Azay-le-Rideau en juin 1619. On y découvre un cabinet « automate », seule installation qui n’a pas été créée spécifiquement pour Azay-le-Rideau. Intitulée « L’entrée ouverte au palais fermé du roi », ce palais-théâtre motorisé a été conçu dans le cadre de l’exposition « Les Chambres des Merveilles »qui s’est tenu au Château-Maisons de Maisons-Laffitte d’octobre 2015 à juin 2016. Dans l’esprit des meubles à secrets, le visiteur s’approche et découvre un théâtre qui s’ouvre où apparaît la reine d’un côté et le roi de l’autre. Surgit ensuite une forêt envahissant un palais qui prend forme petit à petit, avant de conclure par l’ouverture d’un grand tiroir symbolisant un vide poche qui contient des objets d’époque, voire plus contemporains. L’utilisation de l’ébène pour la réalisation du meuble fait référence à l’impact crée par l’arrivée du mobilier au XVIIème siècle.

 L’entrée ouverte au palais fermé du roi © Léonard De Serres

 

C’est quasiment envoûtée que je ressors de cette déambulation originale qui m’a permis de poser un tout autre regard sur les collections du château. J’ai été littéralement charmée par cette œuvre à quatre mains, qui réunit l’impact de la mémoire et la place du corps chez Piet.sO, ainsi que l’exploration de l’utopie et les installations mécaniques et sonores chères à Peter Keene.Redevenue exploratrice dans l’âme, j’ai retrouvé le temps de quelques heures cette curiosité enfantine qui rythmait mes toutes premières visites.

Offrir une nouvelle vision de la Renaissance à travers l’installation d’œuvres contemporaines qui s’intègrent dans les salles du château : tel est l’objectif de ces enchantements. Mission réussie pour les deux artistes qui donnent à voir un aspect décalé des collections, tout en restant cohérent avec les œuvres originales. Banquet animé, meubles à secrets, mondes miniatures et robes immenses : en misant sur l’imaginaire à travers l’automate, cette expérience de visite inédite invite le visiteur dans un parcours féerique où la magie produit son effet.

 

Joanna Labussière

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Pour en savoir plus :

-Sur le château d’Azay-le-Rideau :http://www.azay-le-rideau.fr/

-Sur l’exposition « Les enchantements d’Azay » :http://www.azay-le-rideau.fr/Actualites/Les-enchantements-d-Azay

-Sur le travail des plasticiens Piet.sO et Peter Keene :http://www.pietso.fr/,http://www.peter-keene.com/home.html

-Petit tour d’horizon des « Enchantements d’Azay »guidé par l’artiste Piet.sO :https://www.youtube.com/watch?v=tILcUSMAg_Y

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