Avez-vous déjà étudié vos larmes sous la lentille d’un microscope optique ? Parlé le langage des oiseaux ? Capté l’eau des nuages pour favoriser le développement de la vie organique en milieux désertiques ?
Si ce n’est pas le cas, courrez au Palais de Tokyo découvrir l’exposition « le bord des mondes ». Vous y trouverez des esprits libres, généreux, faisant l’ineffable présent du « pas de côté », de l’invention, d’une présence toujours attentive au monde. Monde de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, monde rêvé, éprouvé, aimé…
A travers cette exposition, le Palais de Tokyo présente des inventions issues de créateurs biologistes, ingénieurs, mathématiciens, architectes, amateurs, travaillant hors des cadres consacrés de l’art. Sa jeune et talentueuse commissaire, Rebecca Lamarche-Vadel, interroge ainsi la définition de l’œuvre, Entoile de fond, les célèbres paroles de Marcel Duchamp « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas "d’art ?" ».
« Le territoire de l’art écrit le président de l’établissement Jean de Loisy dans le magazine Palais n°21 n’est pas limité car l’art n’est pas une discipline, mais un système de connexions entre la totalité des connaissances et des aspirations humaines. Depuis toujours, il embrasse science, philosophie, spiritualité, expériences personnelles, jeux du corps, politique, urbanisme - et probablement bien d’autres domaines - et se joue des frontières. Des pratiques, extérieures au champ de la notion convenue de« Beaux-Arts », ne pourraient-elles prétendre relever de sa souveraineté ?».
Suivant ces réflexions, Rebecca Lamarche-Vadel met en exposition des gestes créatifs forts. Elle nous invite à les regarder attentivement, à nous laisser surprendre par leur dimension poétique.
Bridget Polk, balancing rocks © 2013 Patrice D.
Au niveau 1, à l’entrée de la Galerie Seine, les « balancing rocks » de Bridget Polk ouvrent le bal. Pierres, dalles en ciment et briques brutes sont mises en équilibre, s’élevant à la verticale. Pour cela,l’artiste américaine identifie les points de contact qui permettent aux éléments superposés de tenir, comme par magie. Ephémères, ces équilibres se défont à un moment ou l’autre, dans un bruit assourdissant. Chaque jour l’artiste américaine réitère la performance. Concentrée, elle assemble les pierres devant son public stupéfait.
Quelques mètres plus loin, les photographies de Rose-Lynn Fisher lui succèdent.La photographe a produit près d’une centaine de clichés de larmes observées sous la lentille d’un microscope optique. Ces images s’assimilent à des étendues paysagères. Singulières, elles évoquent tour à tour motifs animal et végétal (troncs d’arbre, fleurs et feuilles), tracés géographiques ou circuits électriques… De ces larmes transparentes émergent des étendues denses, mouvementés, perspectives ouvertes sur des manifestations émotionnelles composites. Rose-Lynn Fisher qualifie ses photos de « vues aériennes de terrains émotionnels ». Chacune d’entre elle porte le nom du type de larmes versées : « Tears ofrelease », Tears of grief », « Tears of laughing till I’m crying », « Onion tears ».
Rose-Lynn Fisher, Tears of release, © 2013 RLF
Rose-Lynn Fisher, Elation at a liminal moment © 2013 RLF
Le parcours de l’exposition se poursuit avec la diffusion de séquences vidéo. Elles montrent les habitants de Kuşköy, un village anatolien où la langue sifflée se transmet depuis près de quatre siècles. Le Kuşdili, littéralement « langue des oiseaux » retranscrit chaque syllabe de la langue turque en un chant d’oiseau spécifique. Il permet aux habitants de communiquer à distance, en toute discrétion.
Habitants de Kusköy pratiquant le kus dili. © Cémil Batur Gökçeer
Dans ce parcours, les transitions nous mènent subtilement d’un instant de suspension à un autre, repoussant les frontières de l’impossible : pierres lévitantes, larmes touffues, homme-animal.
Et ce ne sont que les trois premières œuvres de l’exposition…
N. D.
Pour en savoir plus : http://www.palaisdetokyo.com/fr/le-bord-des-mondesLe bord des mondes jusqu’au 17 mai 2015 au Palais de Tokyo, tous les jours de midi à minuit.