Avant toute chose, une petite mise en contexte s’impose. Au programme cette année : 12 lieux d’expositions, près de 200 artistes et des missions culturelles dans toute la Région Auvergne Rhône Alpes ; de quoi réjouir tous les publics. Les commissaires, Sam Bardaouil et Till Fellrath, directeurs du musée d’Art contemporain de Berlin, on eut trois années pour préparer cette exposition, plus monumentale que les Biennales précédentes. Nommée « Manifesto of Fragility », elle est pour eux l’occasion de rallier toutes les voix qui mettent en valeur la fragilité et de créer un dialogue entre les participants. La fragilité est souvent vue dans notre société comme une faiblesse, elle représente ce qui se brise facilement, ce qui ne résiste pas. On dira de quelqu’un qui est fragile qu’il est délicat, voire faible. Ici, elle nous est montrée comme une force de résistance, et comme un passage obligatoire de notre existence. Elle devient un vrai atout. Réussir à montrer et exprimer sa fragilité c’est réussir à s’ouvrir au monde, c’est ne pas avoir peur de montrer qui nous sommes réellement. Aussi, leur volonté de s’inscrire dans un avenir plus durable et équitable passe nécessairement par le partage, et donc par la construction d’un manifeste collectif. Pour cela, la Biennale organise de nombreuses rencontres entre les artistes et les locaux, notamment grâce à Veduta 1.

Image d'intro : Ruines flottantes, Clemens Behr, ©J.D. 

 

Et si, nous aussi, nous écrivions un article collectif ? Si nous passions de l’autre côté, du côté des petites mains de la Biennale ? Ceux qui ont œuvré pour nous offrir cette exposition riche de sens ? Une nouvelle dimension, un nouveau point de vue, pourraient s’offrir à nous. Pléthore d’articles nous disent déjà quelle est l’œuvre à ne surtout pas manquer et qu’ont voulu dire les commissaires et la directrice artistique, Isabelle Bertolotti. Mais qui parle des monteurs et monteuses ? Des régisseurs et régisseuses ? Leur parole est très rarement médiatisée.

Trois employés se sont prêtés au jeu et vont nous permettre de découvrir cette exposition à travers leur parcours et leurs œuvres préférées.

Commençons par Théo, le plus expérimenté. Cela fait déjà 5 éditions auxquelles il participe. Il a toujours fait partie de l’équipe site2, et cela fait 5 ans qu’il s’est spécialisé en soudure et métallerie. Il y a 11 ans, il n’avait jamais mis les pieds dans une exposition de ce genre, et venait uniquement pour faire valoir ses compétences techniques. Aujourd’hui, son rapport à l’Art a évolué. Même s’il ne se considère pas comme adepte de l’Art contemporain, il apprécie visiter les différents lieux et réussit même à se faire surprendre par certaines œuvres. Mohamad Abdouni et Feel Only Fear, lui ont mis « une vraie claque ». Le bâtiment syndical des usines Fagor qui tombe en ruine accueillent les photographies de ce jeune artiste libanais l’a conquis. Dans ces œuvres, Mohamad s’intéresse aux moments d’intimité, et notamment à ceux des communautés queer du Moyen Orient. Pour empêcher que les souvenirs disparaissent, cet artiste archive ces récits de vie et parfois de résilience. Pour la 16ème biennale, Mohamad Abdouni a décidé de se concentrer sur les différentes générations LGBTQIA+ dans les régions d’Asie du Sud-Ouest et Afrique du Nord. A travers quelques photographies, courts métrages et témoignages, le visiteur découvre dans un enchevêtrement de pièces les souvenirs de quelques personnes. Cette œuvre très personnelle et touchante a marqué Théo, et ce n’est pas la seule.

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Feel Only Fear, Mohamad Abdouni, ©J.D.

 

Toujours sur le site des Usines Fagor, comme de nombreux visiteurs et journalistes, Théo a aimé l’œuvre de Hans Op de Beeck. Cet artiste belge a opté pour une installation complètement immersive dans une halle de près de 2000m². We were the Last to Stay est l’œuvre la plus grande de cette Biennale. Elle plonge le visiteur dans un monde apocalyptique où une grisaille interminable règne. Une couche de cendre s’est déposée sur l’entièreté de cette reconstitution de lieu de vie. Telle une ville fantôme, la vie semble s’être évaporée en un instant et laisse un ensemble complètement figé. Il nous conseille de nous y rendre juste avant la fermeture du site, afin d’être complètement plongé dans cette expérience, plus seul, plus immergé. Cette installation a aussi parlé à Can, mais pour des raisons différentes.

Monteur débutant, c’est comme cela que Can est qualifié au sein des équipes de cette Biennale. A chaque édition, la direction technique permet à une vingtaine de personnes de découvrir le montage. Accompagnés et encadrés par les monteurs pros, ils apprennent très vite et ce n’est pas rare de les retrouver quelques années après, en train de transmettre leur savoir. Pour sa première participation à la Biennale de Lyon, Can a longtemps travaillé sur le projet de Hans Op de Beeck. Entre construction et peinture grise, il connaît par cœur chaque objet de cette œuvre monumentale. Son équipe et lui ressentent une vraie fierté de la voir enfin se concrétiser après près de 2 mois à y travailler. Il se souvient surtout des tonnes de graviers qu’ils ont dû transporter et peindre, un à un, dans ce fameux gris. Il n’avait jamais œuvré auparavant du côté technique d’un tel évènement. Après un Master en Histoire de l’Art, Can a eu la chance de travailler pour le musée d’Art Contemporain de Bordeaux, dans la partie recherches. Cet été, il avait envie de découvrir l’aspect technique, pas seulement d’un point de vue extérieur mais en expérimentant réellement ce qu’est le montage. Avoir l’opportunité de travailler directement sur les œuvres, lui a énormément plu.

C’est d’ailleurs grâce à cela qu’il a découvert en avant-première l’œuvre Virgo de Pedro Gomez Egana. C’est son coup de cœur et il nous recommande vivement de prendre le temps de la découvrir. Certes, le fait de travailler directement sur l’œuvre lui apporte une vision différente du travail produit, d’autant qu’il a été présent du déchargement aux finitions. Cependant, ce qui l’a le plus marqué sont les moments singuliers et rares qu’il a partagé avec les autres monteurs, l’artiste et son assistant, qui travaillaient et œuvraient tous ensemble pour rendre cette installation réelle. En dernier argument, la forme géométrique de l’œuvre et son concept allié à l’approche du sensible et de la fragilité a fini de conquérir Can. Cet appartement séparé par 29 parois modulaires repense l’espace de vie comme dynamique et en évolution constante. Une construction qui semblerait solide et durable se révèle en réalité être suspendu dans un état de fragilité constante. De plus, l’œuvre est animée grâce à des performeurs qui viennent modifier l’aménagement de cet appartement, ce qui renforce évidemment l’idée que même notre intérieur, si protecteur, n’est pas immuable. Cette installation monumentale trône aux Usines Fagor au début du parcours de visite, immanquable : le blanc des parois tranche avec le décor gris de la halle et attire forcément notre regard.

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Virgo, Pedro Gomez Egana, ©J.D.

 

Finissons notre visite de Fagor avant de nous rendre dans Lyon. Lucie n'a pas réussi à choisir une seule œuvre et nous propose d’en découvrir plusieurs. Formée en Histoire de l’Art à l’école du Louvre puis en muséologie, elle souhaitait concrétiser ses connaissances. Après avoir participé à la production du festival de photographies à Arles, elle a rejoint la Biennale en avril 2022 et y travaille toujours actuellement. Ces missions ont été variées. Elle a d’abord été recrutée en tant qu’assistante aux expositions, pour la production d’œuvres, les enjeux scénographiques et la gestion des fournisseurs et des partenaires. A l’arrivée du régisseur général, ils ont formé un duo et se sont occupés de communiquer avec l’ensemble des artistes afin de cerner leurs intentions, leurs demandes. Pendant le montage, il fallait qu’elle soit sur tous les lieux à la fois et en contact avec l’ensemble des acteurs : les artistes, les régisseurs de sites, les commissaires, sans négliger les prestataires et les partenaires. Elle a donc eu le temps de découvrir les œuvres et les artistes sous tous les angles. C’est d’ailleurs sûrement pour cela qu’elle ne peut pas choisir une seule œuvre.

­Pour un petit tour à Fagor, Lucie nous conseille de voir, dans l’ordre du parcours, Sound of Hatching de Klara Hosnedlova, puis le travail de Clemens Behr. Ce jeune artiste allemand a commencé son travail pratique dès juillet. Il a installé ses structures, des ruines flottantes, dans différents lieux proches de la métropole lyonnaise, avec pour point commun une architecture brute : à Givors, l’auditorium de Lyon, les théâtres romains de Lugdunum et le lycée Sainte-Marie à la Verpillière. A chacun de ses projets, il utilise l’espace extérieur déjà présent pour créer. Il vient y installer des modules monumentaux, les matériaux dépendent des contraintes des lieux. Dans ces 4 lieux, Clemens et une équipe de monteurs déposaient les structures, prenaient quelques photos et tout était démonté dans la journée. A partir de la fin du mois d’août et jusqu’à la date d’ouverture, il a ensuite recréé ses Ruines Flottantes mais cette fois-ci aux Usines Fagor. En y associant sons et néons et les photos prises pendant le premier mois de travail, cette œuvre fait partie de celles dont on se souvient. Puis, nous finissons la visite par un court-métrage de Gabriel Abrantes filmé au Louvre, fait d’animations 3D et d’images de synthèses. Mais, ce qui, pour elle, marque le plus ces usines désaffectées, c’est le dialogue que les commissaires et le scénographe, Olivier Goethals, ont établi entre des collections archéologiques et les œuvres contemporaines, comme « un clin d’œil aux visiteurs lyonnais ».

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musée Guimet et musée Lugdunum, Jean Claracq, ©J.D.

 

Suite à la visite des usines Fagor, Lucie nous propose de nous balader dans 3 autres lieux accueillant la Biennale. Le lieu qui a fait parler de lui cette année, c’est le musée Guimet. Situé dans le 6ème arrondissement, cet ancien musée d’Histoire Naturelle inauguré en 1879, a fermé ses portes en 2007. Complètement transformé pour l’occasion, il offre un décor fragile absolument unique. Les 18 artistes présents dans ce lieu lui offrent une nouvelle vie. Elle nous conseille d’admirer les toiles de Zhang Yunyao mais aussi le film de Kennedy + Swan. Lugdunum est aussi un lieu à visiter pour son architecture si atypique mais aussi pour les toiles de Jean Claracq et Seher Shah, qui donnent envie à Lucie « de partir avec des œuvres sous le manteau ». Et si jamais, vous avez encore le temps, le musée Gadagne et notamment une toile de Chafa Gaddhar vaut le détour.

Vous l’aurez compris, il faudrait bien plus d’un article et de trois témoignages pour faire le tour de cette Biennale astronomique. Pour quelques infos pratiques, n’hésitez pas à vous rendre sur le site de la Biennale, sur lequel la plupart des œuvres et artistes sont référencés et localisés. En espérant que la petite sélection de Théo, Can et Lucie que je remercie chaleureusement, vous y incite.

 

Julie Dumontel

 

Service interne qui s’occupe uniquement de créer des évènements de rencontres, d’échanges et de créations partagées à l’échelle de la métropole et de la région.

L’équipe site regroupe une partie des monteurs qui travaille la plupart du temps au service du lieu et non pas des artistes. Cette année, ils ont participé à la création de socles pour cartels ou encore à l’agencement des échafaudages.

 

Pour aller plus loin : 

#artcontemporain #Lyon #Biennale