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Rudi © Éva Augustine

 

Né en Suisse, Urs Fisher vit et travaille à New York. C’est un artiste prisé par le marché de l’art, connu pour ses sculptures et installations, qui aime travailler des matériaux éphémères et fait souvent appel à une iconographie populaire. L’exposition Untitled, 2011 présente un ensemble de sculptures-bougies faites en cire. L’œuvre centrale est la reproduction de L’Enlèvement des Sabines (1579-1582) de Giambologna, avec sept assises (tabouret africain, fauteuil d’avion, chaise en plastique), que contemple l’effigie doublée de l’artiste Rudolf Stingel. 

Au centre, surplombante et stupéfiante, la reproduction de L’Enlèvement des Sabines (1579-1582) de Giambologna, attire l’œil. Surélevée par un socle inspiré des places italiennes*, l’œuvre répond à la hauteur du cylindre poussant le visiteur à lever le regard vers la coupole trônant à plus de 40 mètres de hauteur. L’ensemble des assises est en discussion avec l’iconographie de la grande toile de la coupole. Les sculptures sont présentées comme des symboles de la mondialisation contemporaine, elles répondent aux représentations du commerce et des échanges entre les continents à la fin du 19ème siècle, incarnant l’idéologie coloniale et la culture folkloriste de cette période.

Le travail de Fisher rappelle la tradition classique des vanités dont le symbole de la chandelle évoque le temps qui passe. La cire s’étire, coule aux pieds du visiteur en un mouvement entropique et saisissant. L’œuvre, par son matériau éphémère évolue. Lors de mon passage, un bras cassé et des copeaux jonchaient le sol. Des morceaux se détachent, et reforment sensiblement la statue qui, à chaque allumage des mèches, est aux prises de l’imprévisible. Lorsque la nuit survient, la lumière émise par les bougies s’intensifie créant un effet hors du temps. 

Un espace édifiant  

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Espace d’exposition avec coupole © photographe Jean-Max Louison

 

L’exposition de l’artiste Urs Fisher inaugure l’ouverture de la Bourse de Commerce-Fondation Pinault. Ouvert en 2021, ce nouveau lieu concentre les acquisitions du collectionneur François Pinault, de plus de 10 000 œuvres de près de 350 artistes : peintures, sculptures, vidéos, photographies, œuvres sonores, installations et performances. Pour accéder à cette collection, il faut payer entre 10€ et 14€. Les tarifs sont relativement onéreux, une carte adhérente gratuite permet cependant aux étudiants de bénéficier d’une entrée gratuite après 16h00. L’effet spectaculaire est d’une certaine façon attendu par le visiteur qui paye autant pour voir la collection que la découverte du nouvel espace. 

Une fois les premières portes passées, le spectateur est saisi par le contraste entre la rotonde patrimoniale habillée par des œuvres contemporaines sous vitrines, et le cylindre contemporain en béton de neuf mètres de haut lui faisant face. L’espace est baigné d’une lumière zénithale naturelle irradiant de la coupole vitrée. Ce geste architectural a été réalisé par Tadao Andō qui investit le centre de l’ancienne Bourse de Commerce, lieu central de la ville de Paris qui accueillit le commerce du blé jusqu'en 1873, avant d’être réaménagé pour devenir la Bourse de commerce de Paris à partir de 1889. L’effet provoqué est édifiant et spectaculaire, les teintes sobres argentées, cobalt, beiges des œuvres subliment l’architecture bétonnée simple et polie à la japonaise. 

Une exposition spectaculaire, un dispositif minimaliste 

Plusieurs entrées jalonnent le cylindre, l’espace fait trente mètres de diamètre. Le spectateur peut entrer par n’importe quelle ouverture, de ce fait le parcours est subtilement suggéré mais aucunement imposé. La circularité pousse le visiteur à se déplacer en rond autour des œuvres. Celles-ci ne sont ni mises à distance, ni présentées par des cartels individuels. Quatre cartels identiques disposés à côté des ouvertures résument de façon succincte le travail de l’artiste. Les visiteurs déambulent, observent, se penchent, s’inclinent librement. Ce choix scénographique univoque illustre la volonté de recréer l’ambiance d’une place publique. Ainsi, il est possible de regarder l’exposition avec une perspective différente depuis l’étage supérieur.  L’exposition est construite par des jeux de miroirs esthétiques et des parallèles conceptuels. Les œuvres répondent à la fresque picturale présente sur la coupole, deux statues se répondent de part et d'autre de la pièce. Cependant, la concision du discours ne permet pas au visiteur de faire des liens avec les détails inaccessibles de la fresque. Par ailleurs, l’artiste a choisi certaines de ces reproductions au musée du Quai-Branly, mais ce n’est pas mis en avant par le propos expographique à l’instar de toute la démarche artistique. 

 

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Cartel d’exposition accroché le long des différentes entrées © Éva Augustine 

 

Lors d’un échange, une médiatrice m’explique que les œuvres se suffisent à elles-mêmes, le choix étant de promouvoir au maximum la liberté du visiteur. Ce que provoque la fonte des œuvres prend le pas sur le discours écrit peu consulté. La présence quasi permanente des médiateurs est justifiée et répond à une forte demande de la part des publics davantage curieux du processus d’allumage et de la technique utilisée que par la démarche artistique. Ainsi, sur le site internet Bourse de commerce, un article est réservé à l’explication et à la démonstration de la technique d’allumage des œuvres. De façon générale, le sentiment d’être dans une galerie d’art plus que dans un musée d’art contemporain ne m'a pas quitté. Le but pourtant n’est pas de vendre, mais de valoriser le travail d’un artiste. 



Œuvre éphémère ou œuvre à matérialité intermittente ? 

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Chaise airplane seat © Éva Augustine 

 

L’esthétique de la détérioration provoque la conscience de ne jamais revoir cette œuvre de la même façon. Cette série s’inscrit dans la tradition des œuvres d’art dites éphémères, qui ont émergé dans les années 60, avec pour prémisses des œuvres du land Art, happenings, œuvres détruites après exposition ou matériaux fragiles de l’Arte Povera. L’éphémérité transforme le rapport du visiteur à l’œuvre créée. Selon la sensibilité, la conscience de la décrépitude de la création comporte une dimension tragique dont seul le visiteur est témoin. Seule la mémoire de l’instant conserve réellement l’empreinte de l’œuvre, le regard devient créateur et est intimement lié à un moment à jamais perdu. 

L’œuvre de Urs Fisher est éphémère dans la mesure où l’écoulement de la matière est indéterminé et hasardeux jusqu’à ce que cire fonde. Néanmoins comme me l’a rappelé la médiatrice, l’œuvre appartient au collectionneur et peut être réactivée au besoin. Elle pourrait être qualifiée d’œuvre à protocole, la matérialité des pièces apparaît uniquement le temps  de leurs expositions, les matériaux sont renouvelés à chaque fois que le détenteur souhaite l’activer. Sa matérialité est intermittente, et sa présentation au public est toujours temporaire. Ce système adopte les mêmes codes qu’une partition de musique qui attend d’être interprétée, ou une pièce de théâtre jouée. 

 

Éva Augustine.

 

Pour aller plus loin : 

 

#artcontemporain #Urs Fisher #Fondation Pinault