En 1946, Marcel Duchamp passe cinq semaines en Suisse et notamment cinq jours à Cully, sur les bords du Léman. Fasciné par la chute d’eau proche de son hôtel, il la photographie et l’utilise pour sa dernière œuvre, l’installation Étant donnés : 1° la chute d'eau, 2° le gaz d'éclairage (1946-1966), conservée aujourd’hui au Philadelphia Museum of Art.
The thought game (le jeu mental), Tom Hackney, 2016 ©KMD
A l’occasion d’un symposium autour de Marcel Duchamp et la cascade du Forestay en 2009, Stefan Banz et Caroline Bachmann créent aussi un lieu d’exposition, baptisé Kunsthalle Marcel Duchamp. La taille de ce lieu ? Une capsule de 45 cm sur 75 cm, perchée à 1m50 de hauteur. Deux étages, ouverts 24h sur 24 et 7 jours sur 7, cinq à sept expositions par an, ce musée n’a rien à envier aux plus grands, ni en termes de fréquentation, ni en termes de programmation. Les artistes exposés à la KMD sont internationaux et pas toujours méconnus : Ai Weiwei, Cildo Meireles… Catalogues et livres d’artistes sont publiés¹ à l’occasion des expositions.
Sunflower seeds, Ai Weiwei, 2011 ©KMD
En moins de 10 ans d’ouverture, le musée a déjà connu une rénovation. Le bâtiment d’inspiration brutaliste (un cube de 35 x 35 cm) a été remplacé en 2016 par une capsule-dôme (45 x 75 cm), en cuivre recouvert d’émail.
Marcel Duchamp - A game in a game, Ernst Strouhal, 2012 et Dialogue with imaginary viewers,
rétrospective, 2016 ©KMD
With a one woman show, Karin Sander, 2016 ©KMD
L’étage supérieur est offert à la vue du visiteur par de grandes baies vitrées, et il peut être aménagé comme on veut à l’aide de cimaises. L’étage inférieur est visible depuis une toute petite fenêtre. Les murs sont en émail blanc, l’espace est totalement modulable selon l’exposition.
Différentes scénographies ©KMD
Ce lieu d’exposition inconventionnel questionne les rapports entre l’art contemporain et l’espace, que ce soit le lieu géographique (Cully, petite ville au bord du Léman) ou la taille des expositions présentées. Il prend le contre-pied des biennales et foires internationales, figures de la mondialisation et de la globalisation de l’art contemporain où le commissaire fait figure de promoteur, où l’artiste exposé est là pour vendre son œuvre (à un acheteur ou pour une exposition), pour lui assurer une visibilité internationale. Cette forme de démesure se retrouve dans la Kunsthalle Marcel Duchamp mais de manière inversée : sa petite taille (3 375 cm² !) ne lui assure pas une visibilité maximale mais une visibilité suffisante, les artistes y sont exposés dans un but purement artistique et sélectionnés pour des projets précis autour de la figure et de l’œuvre de Duchamp.
La KMD renverse aussi le concept de musée, ou du moins elle lui donne une nouvelle dynamique. Le visiteur est un acteur plus important que “l’institution”, qui n’est vraiment que le réceptacle du propos. En outre, cette forme subtile de musée² permet de déclencher plus facilement et plus volontairement la rencontre avec les œuvres, ce que d’autres musées bien plus connus peinent à faire. Faudrait-il réduire tous nos musées immenses au 1 000ème pour leur donner cette dynamique ?
J. Lagny
#duchamp
#miniature
#artcontemporain
Pour en savoir plus :
Le site de la Kunsthalle Marcel Duchamp : https://www.akmd.ch/
Exposition en cours : Foin, Alain Huck, du 22 avril au 18 juin 2017
Prochaine exposition : One hundred years of Marcel Duchamp’s fountain, du 24 juin au 27 août 2017
¹ https://www.akmd.ch/publications/
² Malgré cela, la KMD a les mêmes charges qu’un musée : transport des oeuvres, entretien du bâtiment, publications...