Si vous aussi vous voulez voir à quoi ressemble un rat-taupe, si vous ignorez ce qu’est un cob de Thomas et si les petites bébêtes et autres parasites tels que le célèbre ténia ne sont pas pour vous synonymes d’effroi, alors le Musée Royal de l’Afrique Centrale de Tervuren vous tend les bras ! Les passionnés de sciences naturelles et d’objets ethnographiques vont se régaler en déambulant dans ce musée, situé à environ 15kms de Bruxelles. Excentré, l’environnement champêtre immédiat du musée vous dépaysera, vous éloignant des quartiers bruyants de la ville. En effet, de vastes jardins à la française représentent le cadre principal du musée. Une fois gravies les marches centrales pour accéder au musée, tournez le dos, regardez face à vous : la profondeur de champ et le tracé rectiligne des jardins pourront vous faire penser à Versailles. A l’entrée, loin des portes automatiques modernes, vous devez pousser le tourniquet manuel. Acte insignifiant certes, mais qui implique déjà le visiteur dans son parcours quand traditionnellement les portes s’ouvrent d’elles-mêmes. Pendant que vous avancez, vous pouvez observer le hall d’entrée aux décors luxueux où se côtoient marbre et statues dorées à l’or fin.
© L.V., 2012
Un musée en mutation
Une visite atypique, pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que ce musée, érigé en son espace actuel en 1910 sous l’impulsion de Leopold II (deuxième roi des Belges), est en travaux depuis 2010. Privilège au public qui d’ordinaire pendant ces moments cruciaux de transformation aurait trouvé porte close en ce privant de cette expérience unique : côtoyer le musée dans son intimité. Le parcours de visite est logiquement impacté, la déambulation modifiée. Des moments de vie interne au musée habituellement effectués à l’abri des regards, peuvent alors être visibles. Le personnel peut par exemple installer des signalétiques amovibles sous vos yeux, alors que vous regardez un diorama de la faune africaine. Outre cet aspect, les curieux du monde muséal et de son histoire y trouveront leur compte. La muséographie est ancienne et certains outils de médiation sont à son image « les dernières grandes adaptations remontent à l’Expo 58, soit il y a plus de 50 ans » annonce le MRAC sur son site internet. Dans certaines salles, des schémas annotés ou animaux sont dessinés et dans d’autres (première salle de l’exposition permanente), la disposition des expôts dans les vitrines latérales est sommaire et classique. Une dizaine d’objets y sont disposés, espacés et référencés par des numéros. D’anciens cartels « vintage » recto-verso (bilingues) sont disposés sur un côté des vitrines ; y figurent numéros et explications respectives. En dessous du texte est reproduite sous forme de dessin la disposition exacte et numérotée des objets dans la vitrine.
Ces outils de médiation peuvent révéler la construction de la pensée et la conception muséographique au cours du temps. Ils mettent en évidence l’évolution des considérations intellectuelles ou morales successives, chaque médiation étant révélatrice de son époque.
Une médiation irrégulière
Dans la première salle, la cohabitation de plusieurs «générations de médiation apparaît anachronique. Des installations multimédia sont installées autour d’une vitrine centrale plus moderne que les autres. Des casques sont à votre disposition et plusieurs interprétations musicales traditionnelles vous sont disponibles au choix. Simultanément au son, l’appréciation de l’espace s’en voit modifié, avec les objets ethnographiques des populations indigènes dans le champ de vision : entre immersion dans la culture africaine et mise à distance liée au malaise propre à l’histoire coloniale. Au cours de la visite, le fait que l’amateur puisse visualiser la prise de recul du musée sur sa propre histoire est positif. Par exemple, dans la « galerie des mammifères » une photographie de l’ancienne muséographie de la pièce est présente et l’évolution de la disposition antérieure vers l’actuelle est expliquée. Il est de nouveau possible de retracer le cheminement intellectuel de la pensée. Aussi, à la fin de la visite, une vitrine de sensibilisation à la maltraitance des animaux est intitulée « Pour éviter ceci». On peut y voir un bébé singe en cage habillé d’un tee-shirt (comme écho certains cirques) un sac en peau de crocodile ou un tissu en peau de léopard. La présence de cette vitrine sous-tend la prise de conscience des plausibles conditions de capture de la faune à l’époque et toujours présentée dans le musée. Mais cet élan de médiation paraît succinct : vitrine étroite comparativement aux dioramas, multiplication de cartels à la typographie réduite et scénographie plutôt basique.
D’autre part, initiative intéressante, un espace destiné aux enfants de 7 à 12 ans, assimilable à un « mini-musée » condensé intitulé FleuveCongo a été construit en 2009. Celui-ci, désormais intégré à l’exposition permanente, est adapté à ce jeune public et rend accessible les informations sur le fleuve grâce à une présentation ludique et interactive. Plusieurs jeux didactiques sont mis à disposition sous des formes attractives : puzzles géants, marelle sur la thématique du courant ou encore « À chaque poisson sa pêche », labyrinthe où un bon agencement des pièces permet de faire correspondre une technique de pêche à un poisson. De plus, une zone axée sur la lecture met à disposition des romans. Inutile de préciser que plusieurs zones de repos ou assises sont proposées dans cet espace.
Des collections variées
Les collections du musée, ressources comme témoignage historique et outil scientifique, sont constituées à la fois à partir des objets récoltés par les administrateurs coloniaux, les militaires, les missionnaires, les commerçants et les scientifiques (avant 1960) et de ceux apportés par les scientifiques en collaboration avec les instituts africains –achats, dons, etc.- (après 1960). Celles-ci concernent l’Afrique centrale et proviennent principalement de la République démocratique du Congo. De nombreux dioramas présentent la faune en taxidermie et un important insectarium est donné à voir. Poissons et autres espèces aux milieux naturels divers sont quant à eux montrés et conservés dans du formol ou de l’alcool.
Enfin le bémol de ce musée, à d’autres égards fécond, c’est un aspect trop peu dynamique et une pauvre interaction avec le public. Mais c’est sans doute ce caractère figé, comme arrêté dans le temps, qui en fait tout son charme. Néanmoins, le visiteur peut être heurté car certaines salles mettant en avant le point de vue belge sur les bénéfices de la colonisation du Congo. Il semble d’ailleurs que la désuétude de ces propos ne soit pas suffisamment mise en exergue par une note explicative in situ. Cependant, de cette manière, le public peut s’immiscer dans une muséographie datée et comprendre ainsi l’enjeu des propos énoncés qu’il est utile de mettre en comparaison avec le discours actuel sur la colonisation. A voir ce que la rénovation proposera en termes de réactualisation de ces discours. En revanche, si la superposition de l’ambiance des travaux et de celle d’un musée, communément plus serein, ne vous dérange pas ou vous intrigue, n’hésitez pas à vous y rendre rapidement, il fermera ses portes mi 2013.
Lucie Vallade