C'est naturellement par la rue André Godin que l'on accède au Familistère de Guise. André Godin était un industriel philanthrope qui dirigea l'entreprise de poêles en fonte du même nom, de 1840 jusqu'à sa mort en 1888. Largement influencé par les théories fouriéristes, il prend très tôt conscience des mauvaises conditions de vie des ouvriers et décide d'y remédier en repensant le modèle du phalanstère – cité utopique communautaire imaginée par Fourier et qui serait le socle d'un nouvel État – pour créer le Familistère de Guise, en 1858. Son but premier est de proposer aux ouvriers qui le veulent un mode de vie communautaire, doté de ce qu'il appelle les « équivalents de la richesse » : eau potable, luminosité des appartements, bonne aération, accès à la culture (par l'enseignement, la bibliothèque et le théâtre), bonne forme physique, etc. Le Familistère représente un lieu hautement symbolique puisqu'il est considéré comme la seule réalisation du socialisme utopique ayant réussi en France.
Cet ensemble de bâtiments, classé monument historique, abrite depuis 2010 un établissement labellisé Musée de France. C'est sous la forme d'un circuit que le visiteur est invité à découvrir les lieux du Familistère, comme pour retracer la vie d'un habitant. Deux temps distincts rythment cette visite.
Tout d'abord, et assez étonnamment, c'est dans les bâtiments annexes que le visiteur est accueilli, et plus particulièrement dans les économats. S'en suivront le théâtre, la bibliothèque, la piscine, séchoir/laverie, etc. Ces bâtiments sont comme des îlots entourant le bâtiment principal, qui proposent d'aborder chacun une thématique propre : l'éducation pour le théâtre ou l'hygiène pour la piscine. A chaque fois, l'histoire des lieux, le contenu purement historique, est présenté en vis-à-vis d'idées plus globales et qui touchent à plusieurs disciplines. Ainsi, dans la piscine, on trouve bien entendu la volonté de présenter l'usage des lieux, mais également une mise en lien de celle-ci avec les théories hygiénistes de l'époque. C'est également dans la piscine que l'on trouve une lecture chronologique de l'architecture utopique, de Charles Fourier à Tony Garnier.
Même constat dans le théâtre, où cette salle de spectacle est prétexte à aborder le sujet de l'éducation et de confronter Victor Hugo à Charles Fourier, le temps d'une projection. Cette mise en perspective constante est intéressante et permet de se départir d'une scénographie un peu trop « académique » que représente la mise en vitrine d'objets. La muséographie, d'ailleurs, arrive à trouver un équilibre en alliant exposition classique d'objets et nouvelles technologies. En plus du visio-guide qui est proposé au visiteur, les différents espaces d'expositions sont systématiquement accompagnés de vidéos explicatives qui permettent de replacer les bâtiments dans leur contexte d'origine. Même si cette pratique est aujourd'hui répandue dans la plupart des musées, elle apporte un réel intérêt à ces grands bâtiments qui, de prime abord, paraissent mornes et sans vie. D'autant que les supports sont variés : films, reconstitutions d'interviews, écrans tactiles, ambiances sonores, etc. D'une certaine manière, l'utilisation des technologies qui est faite au Familistère redonne vie au lieu.
Crédits : T.L
A première vue, la richesse et la précision des informations permettent de cerner ce qu'était le Familistère et son fonctionnement jusque dans les moindres détails. En réalité, il s'avère que le trop-plein d'informations rend la visite quelque peu « indigeste ». Cette démarche d'exhaustivité est louable dans le sens ou elle peut apporter un savoir précis, mais elle peut étouffer le visiteur qui se retrouve submergé d'informations. Fort heureusement la scénographie relativement « aérée » contre-balance ce sentiment. A noter également que si les différentes thématiques se répondent tout au long de la visite, il est possible d'en écarter certaines de son propre parcours, sans pour autant que cela nuise à la compréhension globale du musée.
Actuellement le Familistère de Guise est entré dans la deuxième phase du projet Utopia, grand projet visant à faire de ce lieu un espace de culture et de tourisme, et surtout un espace de vie partagée.
Thibault Leonardis