À la cour du shogun Tokugawa, en ce début de 1701, ce fût la parole de trop pour Asano Naganori, seigneur d’Akô de la province d’Harima. Kira Yoshinaka, maître de cérémonies, venait encore une fois de le provoquer ! Quel ne fût alors pas son geste lorsque fou de rage, Asano dégaina son sabre et blessa Kira Yoshinaka. Outrage ultime1, Asano est condamné au seppuku, suicide rituel par hara-kiri. Refusant la sentence injustement appliquée à Asano, 47 de ses vassaux vengèrent la mort de leur maître en assassinant à leur tour Kira, dont la tête fût déposée sur la tombe d’Asano.  Ce fait historique, connu sous le nom de légende des 47 rônins2 est l’une des nombreuses histoires que l’exposition temporaire « Samouraï. De la guerre à la voie des arts » nous fait découvrir. Et pour cause, qui n’a jamais souhaité trouver en ces contes et légendes une part de vérité ?

Faisant appel à notre imaginaire, le musée départemental des Arts Asiatiques de Nice retrace l’histoire de ces guerriers du Japon et leur insuffle une nouvelle dynamique. Car si les samouraïs portent en nous l’image de ces guerriers emplis d’honneur à la coiffure si caractéristique, l’exposition s’évertue à confronter mythe et réalité, opérant par la même occasion une remise en contexte de la figure du samouraï - aujourd’hui encore considéré comme l’un des emblèmes historiques de l’Archipel. À travers près de 250 pièces, le musée nous présente les vestiges de ces guerriers - tant dans leur mission première d’homme de guerre que dans leur vie quotidienne.

Affiche de l'exposition "Samouraï, De la guerre à la voie des arts" © Musée départemental des Arts asiatiques

 

 

Armures de samouraïs exposées lors de l'exposition "Samouraï, De la guerre à la voie des arts" © Département des Alpes-Maritimes

 

À mesure que l’on descend les escaliers pour atteindre l’exposition, les yeux s’ouvrent, l’esprit s’éveille. Du rouge criard aux couleurs les plus sombres, ce sont une demi-douzaine d’armures face auxquelles le visiteur se retrouve confronté. Toutes différentes et rivalisant d’originalité, certaines possèdent des motifs en accord avec l’inspiration spirituelle de leur maître, d’autres des casques grimaçants et des barbes hirsutes. Placées en position assises et légèrement surélevées, certaines ont connu des batailles, tandis que d’autres n’étaient revêtues que lors des cérémonies3. Assemblées de manière complexe et en totale opposition face aux armures européennes (faites d’un même bloc), des schémas explicatifs nous permettent de comprendre l’agencement de l’armure du samouraï, dont les minuscules lamelles métalliques et de cuir sont reliées les unes aux autres par des cordons de soie4. Placés face à ces dernières, des écrans tactiles permettent aux enfants de reconstituer l’armure des samouraïs telles que portées jadis, tout en apprenant l’art de la fabrication du sabre de samouraï.  Si tout bushi5 se doit de pratiquer les armes, le sabre, mais aussi le tir à l’arc et - si ses moyens le permettent – l’équitation ; l’armure, plus légère et résistante, est aussi plus chère. Appelée l’ô-yoroi6 et revêtue durant les guerres féodales, seuls les daimyos et samouraïs les plus riches pouvaient s’en fabriquer une. En temps de paix, elle perdait toute valeur guerrière, devenant objet de richesse et de monstration avec force de décors, symboles religieux et matériaux précieux. Les casques et masques en métal, outre leur rôle protecteur, avaient également pour but de renseigner sur le statut du samouraï tout en effrayant les ennemis sur le champ de bataille. Exposées à leurs côtés, certaines des armes emblématiques des samouraïs comme la lame à lance courbe, le naginata - très utilisé par les moines et femmes samouraïs – ou encore le daisho – association du katana et du wakizashi – popularisé à l’époque de Momoyama et durant toute l’époque d’Edo. Les samouraïs sont alors les seuls japonais autorisés à les porter, ils ont le droit de vie ou de mort sur leurs concitoyens.

Passant d’un espace circulaire à une salle aux proportions plus intimistes, la deuxième partie de l’exposition aborde le rapport des guerriers à la religion et plus généralement à la spiritualité. Fondés sur des emprunts à différents courants de pensées, le Bushidô – code des principes régissant la classe guerrière des samouraïs7 – tire ses principes du bouddhisme, du shintoïsme et du confucianisme. L’utilisation de photographies, d’objets et de tissus sont alors autant d’éléments permettant de comprendre la dévotion des samouraïs à ce code strict exigeant loyauté et honneur jusqu’à la mort. Respectant les sept vertus du guerrier - la droiture, la bienveillance, la politesse, la sincérité, l’honneur, la loyauté - le symbole de la libellule, présent de nombreuses fois au sein de l’exposition, est également là pour nous rappeler la dernière vertu du samouraï, le courage. Cette vertu, le samouraï doit en être empreint de tout son être ; car une fois son honneur sali, il doit se donner la mort afin de libérer son âme.

Photo de l'exposition © Département des Alpes-Maritimes

Cette ouverture sur la vie des samouraïs permet au visiteur de voir les costumes du quotidien, les activités et les objets particulièrement utilisés et appréciés des samouraïs. Dans la continuité de l’exposition, le visiteur découvre ainsi plusieurs « vitrines » au travers desquelles ont été reconstituées les scènes de vie de ces guerriers. Si le trop grand nombre d’objets de ces scènes empêche une lecture fluide de leur fonction, leur placement et leur rareté palie à cette gêne. Qu’il s’agisse des kimonos portés en dehors du champ de bataille (kashimonos), des ustensiles utilisés lors de la chasse à l’aigle ou encore du théâtre Nô, l’exposition nous ouvre également une porte vers les femmes de samouraïs plus que bienvenue, bien qu’encore insuffisante. S’accompagnant d’un certain nombre d’écrans à l’attention des enfants, le contenu muséographique permet de compléter ces « scénettes » au travers de grands faits historiques ayant marqué le règne de ces guerriers de l’Archipel. Malheureusement, si l’exposition retrace avec intérêt le parcours des samouraïs, la place attribuée aux écrans reste à retravailler. Possédant presque tous un contenu de médiation destinée aux enfants, le public plus âgé se retrouve face à beaucoup de textes, et n’ose participer aux activités ludiques proposées par les différents dispositifs numériques. Ponctués de questions numérotées auxquelles les enfants doivent répondre dans un carnet, cette médiation éloigne d’autant plus les visiteurs avertis que certains supports demandent à ce dernier de se mettre à genoux face aux écrans - position qui, outre les enfants, peut possiblement rebuter. Une grosse partie du contenu informatif, comme le rituel de fabrication du sabre de samouraï, n’est alors pas traité par une partie du public. À contrario, si les écrans sont plus accessibles à un public scolaire, le contenu historique de l’exposition leur est moins compréhensible. L’exposition se retrouve alors comme « tranchée » en deux parcours distincts, qu’il serait intéressant de rassembler afin de donner une meilleure vision du contenu informatif global. Se déroulant du 8 juillet au 7 janvier 2018, l’exposition du Musée des Arts Asiatiques permet de confronter notre regard et notre imaginaire à cette civilisation à la fois si connue, et pourtant si éloignée – tant géographiquement que culturellement – de nos contrées occidentales. Un retour dans le passé nous permettant de prendre conscience de l’articulation intrinsèque entre ces deux notions, qui sont l’art et la guerre.

E. C.

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1 Il est interdit de dégainer son sabre au sein du palais du shogun.

2 Rônins : guerriers qui n’ont plus de maître.

3 Information tirée de l’exposition.

4 Ibid.

5 Cavaliers chargés de la protection de leur clan.

6 Style d’armure correspondant au rang de Samouraï, richement décorée.

7 Ibid.