Cyril Blondel est fondateur de la maison d’édition de jeux Flip Flap Editions (2013) et de l’association in philo (2010). Il a été muséographe au Forum des Sciences de Villeneuve d’Ascq de 2001 à 2014.

Aujourd’hui il est muséographe, concepteur de jeuxet animateur d’ateliers philosophiques, activités qu’il porte avec FlipFlap.

Depuis dix ans, Cyril Blondel mène une réflexion basée sur une approche socratique des musées, tant par l’animation que par la muséographie. Rencontre avec ce Socrate du XXIème siècle :

Que porte l’association In Philo ?

J’ai fondé l’association in Philo lorsque j’étais encore au Forum des Sciences, en 2010. L’objectif était de créer une ouverture en proposant des visites à portée philosophique dans les écoles et dans les musées.

L’une des motivations à la création de ces visites était de trouver une valorisation au métier d’animateur, très peu reconnu à l’époque. La réflexion a été de trouver une méthode pour que les animateurs aient une identité propre et qu’ils ne soient pas remplaçables par des audioguides, comme le savoir peut l’être. L’idée était aussi de briser la routine qu’imposent les formats classiques des visites guidées.

Quel est le principe des « ateliers philo » ?

Le principe est d’arriver à mener des visites basées uniquement sur le questionnement. La contrainte de l’animateur est de n’utiliser que des questions. Aucune phrase affirmative. C’est assez radical, en lien avec une formation à l’art du questionnement.

Le choix de la philosophie donne du sens au fait demettre de l’humain dans les expositions. La capacité de répartie de l’Homme s’impose par rapport à la machine. De même, le fait d’être en groupe doit aussi être porteur de sens. Avec le groupe on peut jouer de l’altérité et se poser laquestion de ce que nous renvoie l’autre.

La grande force d’un animateur, hormis l’art du questionnement, c’est l’écoute. L’objectif étant d’avoir des visites les plus interactives possibles pour qu’elles soient impliquantes et ascendantes.

A qui s’adressent ces visites ?

Elles s’adressent à tous, quel que soit l’âge, même aux plus petits. En fait, c’est la réception qui varie en fonction des âges.

De 7 à 14 ans la réception est assez cool et naïve, il y a une propension à donner son avis assez naturellement. Ils se livrent facilement.

Vers la fin du collège, il y a un positionnement un peu plus politique vis-à-vis du groupe, on sent l’importance du regard de l’autre. Et il y a déjà un « formatage » de la pensée par le milieu scolaire : ils cherchent la bonne réponse.

Au lycée c’est un peu plus fluide,  c’est assez facile de discuter, ils sont très à l’aise avec cette formule.

En revanche, chez les adultes, c’est drôle parce qu’on retrouve la crainte du groupe et la recherche des bonnes réponses.

C’est là que l’animateur joue un rôle clef, au-delà de la maîtrise du questionnement, il faut savoir rester un peu « fun » pour mettre le groupe à l’aise, il faut savoir animer ! C’est un vrai métier et fortement identitaire. Aujourd’hui si tu te dis animateur tu dois être capable d’aller n’importe où puisque ta connaissance serait de savoir animer, indépendamment du thème.

Comment prépares-tu la visite ?

Pour un animateur qui possède l’art du questionnement, le sujet qu’il traite est prétexte. Ce qui se prépare n’est pas forcément le Savoir mais plutôt le lieu et ce qu’il offre. Je cherche les « beaux problèmes ». Que peut-on faire dans un lieu, avec des gens, qui sera questionnant ?

J’aime bien jouer sur l’étymologie du mot question, questa, c’est clairement ça, on cherche la quête. Quelle quête vas-tu proposer aux gens qui soit suffisamment mystérieuse et énigmatique pour qu’ils acceptent d’y plonger sans trop de difficultés ? Ça prend du temps. Il faut se plonger dans le lieu ou dans l’exposition pour bien saisir le problème. En fait, je ne bosse quasiment pas le Savoir, pour garder une certaine égalité avec les visiteurs. Le but est plutôt de se demander s’il manque des choses, de trouver les petits paradoxes soulevés, etc. Bien sûr il faut que la structure joue le jeu et accepte que ce qu’elle montre ne soit pas "vérité".

Une autre étape de la préparation est de penser lagestion des flux et du rythme pour que ça ne soit pas trop statique. Comment utiliser les collections et l’espace ?  Après, tout dépend de la dynamique du groupe et des personnes que tu as en face de toi. Par exemple, il y a certains groupes qui sont capables de rester une demi-heure à discuter dans la même salle ! C’est une des contraintes de l’animateur de savoir s’adapter aux personnes qu’il a devant lui.

Tu as fait des visites au Palais des Beaux-Arts, au LaM et au Musée d’histoire naturelle de Lille. Tu sembles bien ouvert à n’importe quelle thématique ! Quels sujets te plaisent en particulier, et pourquoi ?

Ah oui ! Moi je suis une vraie prostituée de la philo ! (rires)

En fait, dans la démarche philosophique, si on symbolise  rapidement,  il y a trois principes : problématiser, argumenter et conceptualiser.

La question que je me pose en permanence quand je cherche à problématiser c’est : Comment donner envie de faire de la philo ? Pour ça, on en revient à la base,  c’est de trouver la bonne quête !  Au LaM on a traité de « L’art en question  ». On tournait autour de la question « Que pensez-vous de l’art d’une manière générale ? ». En réalité la question portait surtout sur l’art moderne et contemporain,  l’art brut soulève de lui-même ce questionnement, « Qu’est-ce qui est art ? ».

Au Musée d’histoire naturelle, c’était dans Identités, une exposition sur la représentation des différents continents. Il y avait une vitrine qui manquait, celle de l’Europe. On a donc travaillé à réfléchir aux objets que l’on mettrait dans cette vitrine si on devait représenter l’Europe. Cette réflexion ouvrait à de multiples questionnements très riches sur notre identité, en tant qu’européen. Chacun se sentait concerné. Dans chaque thème que je choisis, mon but c’est de faire raisonner le sujet chez lesvisiteurs, en eux-même.

J’ai beaucoup d’idées de thèmes comme ça que j’aimerais creuser au Musée d’histoire naturelle comme « Pourquoi classer ? »,  « L’exception confirme-t-elle la règle ? », « A partir de quand on sait que quelque chose est vivant ? » etc.

Globalement, je choisis des sujets qui sont assez drôles et poético-absurdes. En fait, quand tu es animateur tu recherches ce qui, dans ton cerveau, va te donner du plaisir en terme de pensée.

Comment se déroule une visite ?

En introduction de la visite je me présente aux personnes en leur disant «  Je vous préviens je n’y connais rien, le but est de prendre le temps de se questionner sur ce qu’on va voir et sur ce que vous pensez de ce qu’on va voir ».

Je commence par la problématisation, avec un élément « perturbateur », problématisant. Au LaM par exemple, je choisis de mettre le public devant une œuvre « questionnante ». Souvent, j’essaie de mettre le public face à un choix binaire, assez fermé, pour qu’il y ait d’entrée de jeu une forme de positionnement qui divise le groupe. Avant ça, quand je faisais des visites je terminais toujours par un débat. Aujourd’hui,  je commence par lui, comme ça il nous porte tout au long de la visite.

Ensuite, il y a le corps de la visite en elle-même qui consiste à travailler l’argumentation et donc de provoquer du questionnement perpétuel. Dès qu’il y a quelque chose qui est annoncé on va le rebasculer avec un autre exemple. C’est là qu’une forme d’improvisation entre en jeu et qu’on voit si on sait animer. C’est à l’animateur de s’adapter à ce que chaque groupe amène, c’est lui qui doit chercher comment il va le provoquer. Il doit sans cesse réalimenter la discussion par des nouvelles questions.

Tout au long de la visite je prends des notes, à la fin ça donne une sorte de carte mentale de toutes les problématiques que nousavons évoquées et on cherche alors à conceptualiser les idées.

Pourquoi avoir choisi le matériel « question » ?

Pour moi, quand tu amènes une belle quête, c’est plus facile d’impliquer les gens. Je pense d’ailleurs qu’on a tous un petit côté comme ça, Sherlock Holmes ou Indiana Jones ! Le travail c'est donc de trouver la plus belle quête et question possible.

La question c’est en même temps un objectif et un outil qui permet de provoquer beaucoup de choses. Bien sûr, rien de nouveau, c’est très socratique ! Ce qui est important, c’est d’avoir conscience de ce que tu peux provoquer.

Dans l’usage des questions il y en a, entre autres, deux types utilisés : les questions fermées et les questions ouvertes. Les deux présentent des intérêts. Les questions fermées sont clivantes, c’est intéressant pour le jeu dans l’espace. Par exemple si je propose oui ou non à un groupe et que je leur dis que ceux qui pensent oui  se mettent à gauche et ceux qui pensent non se placent à droite, ça crée du mouvement, ça dynamise et surtout ça oblige à assumer un positionnement. La question clivante peut très vite être dérangeante, elle impose d’assumer une prise de position et elle peut vite révéler des choses de fond.

Quand on discute, on peut faire appel aux questions ouvertes, mais elles sont plus compliquées à gérer. En philosophie socratique, on dit que « c’est quand tu es contraint que tu réfléchis », donc plus je te mets de la contrainte, plus je t’oblige à réfléchir. La question ouverte est intéressante pour voir dans quel champ sémantique la personne a envie de s’émanciper, mais ensuite il faut refermer un peu. C’est un jeu de dosage et d’alternance entre questions ouvertes et fermées. C’est la bonne mesure entre liberté et contrainte qui fait que tu prends du plaisir.

La question a aussi une force assez poétique. Jetrouve passionnant de faire découvrir aux gens que simplement avec deux ou trois questions tu peux voir le monde sous un autre angle. Et ça peut changer une trajectoire, c’est ce qui s’est passé pour moi et j’espère pouvoir parfois le révéler chez les autres. J’étais très cartésien, très convaincu par la science et je suis passé de l’autre côté, le côté obscure de la force ! (rires) 

Quels sont les objectifs des visites ?

S’élever, dans le sens d’une élévation de pensée. Et être confronté à ta propre opinion. Il y aussi l’appréhension de l’autre : en quoi ai-je besoin de l’autre pour m’élever ? Et une forme de complexité. Un des premiers chocs philosophiques fut La Complexité d’Edgar Morin. On est tellement habitué à tout découper en morceaux que finalement l’objectif c'est de remettre un peu de transdisciplinaire, de réussir à mettre du lien entre les connaissances. Comment donnes-tu de l’importance aux choses sachant qu’il y a un peu de tout dans tout ? C'est un vrai travail…

Redoutes–tu le silence ?

Non au contraire, je cherche le silence !  En fait c’est ce qu’on appelle les« blancs de pensée ». Quand tu arrives à un blanc c’est que le travail a été fait, la réflexion est en route. C’est à ce moment que se passe l’élévation.

En tant que muséographe, quelle est la place de la question dans les expositions selon toi ?

Là c’est vraiment la recherche de la quête qui s’impose (et oui,encore !), il faut chercher le meilleur objectif. Au début je prenais un thème, et même en trouvant quelques petites curiosités, on faisait plutôt du découpage pluridisciplinaire. C’est en 2007 que j’ai commencé à changer ma façon d’appréhender la conception d’exposition. Ce qui a changé c’est de penser l’objectif sous la forme de question, ça change vraiment tout !

En 2007 justement, je devais concevoir une exposition sur « le cycle de la vie » au Forum. Alors je bosse sur le sujet et je découvre que la notion de vie n'est pas définie précisément par la science ! Il y'a un faisceau de présomptions mais il y a aussi des inconnus…J’ai deux possibilités : soit je montre l’état de la science telle qu’elle est au stade où je travaille le sujet, c’est-à-dire une vérité temporaire, ou alors, et c’est là que j’ai changé ma manière, je fais de l’absence de définition, le jeu de l’exposition.Je suis donc passé à un nouvel objectif, sous forme de question : « A partir de quand peut-on dire que quelque chose est vivant ? ». Ensuite, quand tu crées, tu t’interroges sur les modules à créer pour que cette questionraisonne dans la tête des visiteurs. Ce qui doit s’inscrire c’est la question. Il faut donc trouver les modules devant lesquels les gens se disent « A partir de quand est-ce vivant ? ». Au début, dans la conception c’était : un module, un objectif. Dans cette nouvelle démarche c’est l’inverse, tous les modules révèlent une même question. Il faut alors réussir à définir un parcours général qui inscrit la question dans la personne. Le but est d’arriver à faire partir la personne avec la question, en conscience. La personne doit même pouvoir se dire « Waouh ! Quelle énigme ! ».

Muséographiquement parlant, la grande différence c’est que tu crées avec la volonté de faire repartir les gens avec la question et de manière impliquante, le graal c’est quand ils se disent « Waouh il y'a un de ces champs de recherches qui s’offre à moi ! ».

Une exposition réussie selon toi ?

Pour moi, une exposition réussie c’est quand tu as réussi à inscrire dans la personne une question de qualité et de provoquer une implication citoyenne :  à minima d’induire une prise de conscience et à maxima de provoquer une implication concrète.

Si je devais résumer en un seul mot, c’est de créer une curiosité sur le sujet.

Et quelle différence entre le métier de muséographe et d’animateur ?

Finalement la démarche d’un muséographe est un peu la même que les artistes : on crée des modules pour révéler une question dans la personne.

L’exposition doit être questionnante, et l’animateur lui, vient s’enfoncer dans l’argumentation, il pousse les gens au plus profond de leur capacité à réfléchir.

Entretien mené par Juliette Gouesnard


En savoir plus :

Séminaire « Visitesaux musées » au LaM, tenu le 7 juin 2017

Cyril Blondel intervient parfois comme formateur dans le cadre des stages de l’OCIM, il intervient notamment dans des formations sur la place de la question dans la médiation et dans la conception de jeux pour les expositions.

Découvrez sa maison d’édition de jeu Flip Flap.

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