Le patrimoine et moi, c’est un peu « qui aime bien châtie bien ». Plus je l’aime plus je le maltraite, le renie, le chamboule, et ose tous les blasphèmes : détruire une partie de la conciergerie à grand coup de dynamite pour écrire une nouvelle histoire, je suis pour ! Je vous l’accorde, cet amour vache tourne parfois à la caricature !

Mais face à des budgets de la culture qui s’amaigrissent d’année en année, vous ne m’enlèverez pas l’idée que les vieilles pierres sont de vieilles bourgeoises aigries face aux associations culturelles de banlieue, fraiches et révoltées, mais, fauchées.

Pour cet article j’ai convoqué deux voix, paroles écrites ou radiophoniques, pour tenter de vous convaincre ; celles d’Hassan Fathy dans son ouvrage Construire avec le Peuple et d’une jeune chroniqueuse de France inter, Nicole Ferroni. Avant de vous parler du livre et de la chronique, laissez-moi-vous présenter les auteurs. Hassan Fathy représente souvent le mythe de l’architecte aux pieds nus, le Pierre Rabhi du béton armé, bref le métèque du prix Pritzker[1] ! Il a d’ailleurs reçu le premier prix Nobel alternatif en 1980. Nicole Ferroni, elle est une ancienne professeure de Sciences et Vie de la Terre, devenue humoriste et chroniqueuse à France Inter.

 

Couverture du livre "construire avec le peuple" d'Hassan Fathy

En 1945, l’architecte égyptien Hasan Fathy est chargé de reconstruire le village de Gourna, près de Louxor, en Egypte. Son livre, Construire avec le peuple, est le récit de cette grande réalisation mais c’est aussi pour l’auteur l’occasion d’exprimer ses convictions architecturales et sociales. Les pieds (nus) dans la terre argileuse et la tête tournée vers l’avenir, l’auteur développe sa réflexion au fur à mesure de l’avancement du projet : analyse des lieux, des traditions locales, des systèmes économiques du village et en parallèle réflexion sur l’ensemble du pays et la population égyptienne…

Dès le début du récit, Hassan Fathy montre son attachement à la campagne égyptienne  et souhaite reconstruire ce village selon les traditions constructives et sociales locales.  Cette volonté se traduit par le choix d’un matériau aussi traditionnel que malléable et éphémère : la brique de boue. 

Loin d’être anecdotique ou purement technique, l’importance du matériau de construction montre que la tradition pourrait être un matériau primordial pour l’architecture. La vision d’Hasan Fathy est riche et pourtant extrêmement simple : la tradition est modelable et surtout constructive.

La tradition prend alors un sens particulier dans son discours : en effet, la notion de tradition (et notamment tradition constructive) s’apparente à celle de  patrimoine bâti et pourrait même la remplacer. La tradition devient une matière à travailler sans nécessité d’existence physique. On peut alors se demander ce qu’il en est de l’histoire, souvent prisonnière de ce patrimoine bâti. En effet, beaucoup diront qu’au-delà d’une technique ou beauté constructive, chaque bâtiment véhicule aussi une histoire, un contexte, et témoigne d’une époque.

Il ne renie pas, bien au contraire le lien entre matérialité et histoire. Il le met en évidence pour pouvoir en débattre. Et c’est là tout l’intérêt de ce livre face aux enjeux actuels. Il affirme ainsi que sans aucune référence à la culture ancestrale du pays les architectures contemporaines perdent tout caractère humain et se détachent de la société qu’elles habitent. Il parle ainsi, d’ « enlaidissement progressif de la ville et de la campagne », marquant volontairement le décalage entre l’énergie et le budget alloués à la conservation d’un certain patrimoine bâti et l’indifférence face à l’aménagement de nos périphéries urbaines.

Cette réflexion menée sur la relation entre construction contemporaine et patrimoine bâti  peut s’appliquer à d’autres vecteurs culturels, artistiques et sociaux. Et c’est pourquoi je voudrais croiser l’analyse d’Hasan Fathy à la chronique radiophonique de Nicole Ferroni diffusée sur France Inter le 3 Septembre 2004, et intitulée « A Marseille, je suis partie à la pêche aux subventions ».

Dans cette chronique, NicoleFerroni cherche à définir les objectifs traduits par la répartition des subventions du ministère de la culture. Sur un air faussement naïf, elle interroge avec lucidité le rôle du tout nouveau Muceum dans la vie culturelle marseillaise. Elle dénonce avec subtilité un lien, non négligeable, entre culture et communication et rappelle que l’action culturelle est motivée par une recherche de visibilité. Appliquant la réflexiond’Hasan Fathy au spectacle vivant, cette envie de « Construire avec le peuple » et notamment avec la jeunesse marseillaise peut prendre forme au travers d’actions culturelles de proximité. Nicole Ferroni mentionne d’ailleurs le cas d’un théâtre de la banlieue Nord de Marseille, dont le budget nécessaire à son fonctionnement semble englouti dans les remarquables façades du Muceum ! 

Détail d'une façade du MUCEM - Joran Briand

Ce parallèle pousse à croire qu’à travers de tels projets (celui du Muceum, du Louvre-Lens) nous projetons un nouveau patrimoine bâti, que nous conserverons à grands coups de subventions plus tard.  Ces bâtiments, qui écrasent parfois des lieux culturels existants, ne font-ils pas figure de patrimoine pré-classés avant même qu’ils prennent et prouvent leur sens dans l’espace et la vie publics ? La notion de patrimoine et les raisons de sa conservation doivent demeurer une question toujours ouverte. A l’heure où les politiques actuelles semblent vouloir figer leurs actions dans du béton, de peur que nos traditions culturelles, fruits d’une transmission humaine, soient déjà en voie de disparition… ré-ouvrons le débat !

 

Margot Delobelle

En savoir plus : 

Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Paris, éditions Jérôme Martineau, 1970

Chronique de Nicole Ferroni, à réecouter sur le site de France inter : http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-nicole-ferroni-a-marseille-je-suis-partie-a-la-peche-aux-subventions

# patrimoine bâti# Hassan Fathy


[1] Le prix Pritzker d'architecture est un prixd'architecture annuel décerné par un jury indépendant depuis 1979