Pour le Festival Normandie Impressionniste le Musée des Beaux-Arts de Rouen présente l’exposition Manet, Renoir, Monet, Morisot... Scènes de la vie impressionniste. Comme l’introduit le musée : « À travers onze thèmes articulés chronologiquement, une centaine de peintures de première importance, mais aussi des photographies, des dessins, des sculptures et des correspondances, l’exposition offre une plongée au cœur d’univers personnels souvent occultés par une œuvre immense. » Le parcours est effectivement composé de onze séquences : Premiers portraits : Monet et la caricature ; Identité artistiques ; Muses et modèles ; L'enfance ; Correspondances ; Jeunes et Julie; En société ; Intimités ; Salle des photos : poser pour l'éternité ; Le temps retrouvé.
Cet événement pose un certain nombre de questions : que peut apporter aux publics une exposition sur les impressionnistes aujourd’hui ? Comment renouveler le traitement dece mouvement ? D’autant plus sur un territoire où l’héritage de ces peintres est « sur-exploité » ; comment justement ne pas tomber dans la facilité ?
Première chose notableet mise en avant dans la communication de cette exposition il y a de trèsnombreuses œuvres … peut-être trop. C’est une chance d’en voir autant réuniesmais peut-être au détriment d’un approfondissement. Comme nous en discutionsavec mon acolyte pendant notre visite pourquoi ne pas montrer moins d’œuvres sur lesquels le discours de l’exposition s’appuierait davantage ? Les œuvres et le discours se renforcent mutuellement et cela permettrait à l’exposition d’avoir une posture plus ouverte, peut-être plus transversale et interdisciplinaire. En effet je n’ai pas eu l’impression que l’exposition dépassait le fait de montrer des œuvres exceptionnelles de peintres marquants, certes sous l’angle de l’intime.
De la même manière il y a de nombreuses informations présentées. Les textes comme l’articulation de l’exposition restent classiques avec des références et jeux de mots dans les titres : « Jeune et Julie », « le temps retrouvé »… Cependant on peut facilement avoir l’impression de rester en surface malgré la richesse des contenus. Les textes de salle et les fréquents cartels élargis autour des œuvres sont soit très généraux soit très précis. Il est trop rare que soit évoqué une réalité plus large autour des peintres ou des œuvres comme le contexte social sinon la place de l’enfant dans la société est abordée. Certes un mur généalogique et chronologique explore les liens de trois familles impressionnistes, les Monet Hoschédé, les Renoir et les Manet Morisot en parallèle avec les évènements historiques et sociétaux.
La scénographie correspond bien à l’exposition. Elle reste dans l’esprit de ce qui s’est fait ces dernières années, notamment au Musée d’Orsay : des cimaises de couleurs pastels, et parfois des motifs. Les titres des œuvres et les textes de salles sont écrits en caractères assez importants pour qu’un maximum de personnes puisse les lire. Il est toutefois troublant que dans chaque salle, en dessous du texte principal, on puisse lire la mention du mécénat pour la peinture des cimaises : le nom de l’entreprise, la référence de la teinte utilisée ainsi qu’occasionnellement l’indication d’un papier peint original ayant servi d’inspiration ou ayant été reproduit des collections du Musée des Arts Décoratifs. S’il fait partie du jeu de citer ses soutiens à la fin de l’exposition, ici ce sont des inscriptions très présentes …
Je suis ressortie mitigée de mes deux visites mais j’ai pu constater que le Musée n’oubliait pas les publics. Trois dispositifs ressortent dans l’exposition, deux dans un premier espace appelé « salle de médiation » qui se trouve pas directement dans le parcours mais à partir d’une des salles principales, pratique pour accueillir des groupes mais peut-être un peu isolé. Le premier est le mur généalogique dont nous parlions plus haut.
Le second est une tablette accompagnée d’une assise pour se prendre en photo puis y appliquer un filtre à la manière de Monet, Renoir ou Cassat. Si on accepte, notre portrait peut être projeté sur le mur d’entrée dans l’exposition, il peut également être partagé. Ce dispositif pourrait être creusé pour avoir une dimension encore plus interactive en renforçant les réseaux sociaux. Mais il faut laisser plus de liberté aux visiteurs : il est actuellement interdit de prendre toute photo dans l’exposition, même des dispositifs de médiations. Pouvoir uniquement se portraiturer avec une tablette est bien limité pour partager l’exposition par ce biais.
© S. Goudal
© S. Goudal
Le troisième ? Juste avant la sortie de l’exposition dans un espace lumineux, un grand tableau représentant un Salon des Artistes Français où de nombreux personnages figurent est sonorisé et théâtralisé. On peut assister à six discussions, entre divers personnages qui sont présentés dans un grand panneau entre le visiteur et le tableau. C’est une idée qui aurait plus de potentiel si les voix et le jeu des acteurs étaient plus naturels et la lecture des pistes plus interactive. Actuellement il est impossible de choisir une scène ou un personnage et il faut se reporter à la droite du tableau, sur un cartel, pour identifier les scènes. Pour une meilleure expérience il aurait été intéressant de choisir la discussion que l’on souhaite entendre et de signaler les personnages activés à l’aide d’un signal lumineux sur le panneau.
Cette exposition est scientifiquement juste et les œuvres sont riches, c’est indéniable, mais elle manque d’originalité et d’innovation. Certes je suis une visiteuse relativement « avertie » et j’ai eu la chance d’étudier le mouvement impressionniste aussi je suis ressortie du musée sans avoir l’impression que cela m’ait apporté quoi que ce soit de nouveau, je n’ai pas été surprise ou étonnée. Peut-être m’a-t-il manqué un lien avec nos réalités, nos vies, notre actualité ou société, un élément qui nous touche et nous fasse rentrer dans l’exposition : l’exposition est trop en vase clos. Cela nous pose la question : qu’attendons-nous d’une exposition ? Et à qui s’adresse-t-elle ?
Alors non, en effet, il ne me semble pas évident d’organiser aujourd’hui une exposition sur les impressionnistes. C’est un mouvement pictural porteur, rassembleur généralement synonyme de succès d’audience. Comment conjuguer ce capital avec un parti-pris, un discours innovant, original ?
Salambô Goudal
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