Le musée de la danse numérique illustre un dispositif d'innovation culturelle soutenu en 2010 par le programme « Culture Labs » mis en place par le Ministère de la Culture et de la Communication.
Design graphique et interactif : g.u.i.
(Nicolas Couturier,
Bachir Soussi-Chiadmi, Julien Gargot)
Le musée de la danse numérique illustre un dispositif d'innovation culturelle soutenu en 2010 par le programme « Culture Labs » mis en place par le Ministère de la Culture et de la Communication. « Né d'un croisement contre-nature entre le musée, lieu de conservation, la danse, art du mouvement, et le centre chorégraphique, lieu de production et de résidence, le Musée de la danse est un paradoxe qui tire sa dynamique de ses propres contradictions : un espace expérimental pour penser, pratiquer et élargir les frontières de ce phénomène qu'on appelle la danse ; et une opération qui s'actualise à chacune de ses manifestations ».
Le Musée de la danse se caractérise comme une « idée nomade » qui interroge son statut et sa mise en forme. Son exposition permanente intitulée « « Expo zéro » est un projet d’exposition sans œuvres : pas de photos, de sculptures, d’installations ni de vidéos. Zéro chose, aucun objet stable. Mais des artistes, des zones occupées par les gestes, les projets, les corps, les histoires, les danses que chacun a bien voulu imaginer ». Créée à l'initiative de Boris Charmatz, elle accueille dix personnalités (artistes, architectes, chercheurs...) en résidence dans des espaces (Le Garage/Rennes, Le LiFE/Saint Nazaire, TheatreWorks/Singapour) pour présenter leurs visions, subjectives et utopiques, de ce que pourrait être un «Musée de la danse». Original, innovant et surprenant, le Musée de la danse interroge la définition même du musée à partir de l'exposition d'un patrimoine immatériel tel que la danse.
« Expo Zéro » propose une visite virtuelle par une interface interactive Flash/ActionScript 3 afin de créer un parcours vidéo immersif. Considérant le public au cœur des préoccupations du musée, « Expo Zéro » amène une approche participative du visiteur en lui laissant la liberté de son parcours. Dès le départ, on lui demande : « Par où voulez-vous entrer : [l'entrée normale] ou [une porte dérobée] ? ». Selon le profil des publics, deux approches sont offertes : la sécurité d'un parcours traditionnel ou le danger d'un parcours « aventure ». Adapté à la sensibilité de chacun, ce simple dispositif permet de répondre aux attentes du visiteur et de se l'approprier. On se pose alors la question si le contenu varie en fonction des chemins choisis. A fortiori pas complètement, certaines séquences se recoupent et d'autres sont exclusives. Ainsi il n'y a pas de perte de contenu et chacun s'y retrouve à son niveau.
Calquée sur l'expérience du réel, la visite se fait progressivement de l'extérieur vers l'intérieur. La version « aventure » saisi le visiteur dans la spirale de folie de Boris Charmatz qui expose théâtralement ses interrogations sur la naissance du musée de la danse : « par où se fait l'entrée, de quelle manière et que découvre-t-on en premier ? » Le visiteur est aussitôt appelé à réagir : « Que mettriez-vous dans la première pièce : [une sculpture de corps] ou [une danseuse au travail] ? » Toujours présenté sur le ton de l'humour et du décalage, le postulat de l'œuvre se pose alors : objet ou humain ? L'ironie à toute épreuve, la sculpture de corps n'est en fait pas un objet. Il s'agit d'une performance nouant des danseurs entre eux dans des positions insolites et exubérantes. A l'inverse, la version dite « normale » propose « d'écouter une discussion sur les musées » d'un illustre inconnu. Son discours présente au visiteur le principe de l' « Expo Zéro » qui est avant tout conceptuel : « présenter des mouvements, des corps et des chorégraphies sans tomber dans les musées traditionnels, lieux d'accumulation d'objets (costumes, décoration, photo, etc). » L'importance, selon lui, est simplement la transmission du savoir. Ainsi averti, le visiteur peut continuer son parcours en connaissance de cause.
Le musée de la danse ne tient pas à retracer l'histoire de la danse, cependant la notion de « patrimoine chorégraphique » est tout de même évoqué. Parmi les grandes figures de la danse sont citées Vaslav Fomitch Nijinski, Pina Bausch et Trisha Brown. Leur œuvres sont amenées à être (re)découvertes soit à travers des ré-appropriations, soit d'une manière encore décalée telle qu'« une partition de Trisha Brown à l'envers ». Par ailleurs, quelques grandes disciplines sont aussi évoquées comme le « contact improvisation », une des formes les plus connues et les plus caractéristiques de la danse postmoderne. Enfin, une rencontre avec Tim Etchells (grand performer contemporain) permet de se questionner sur ce qu'est la performance. La visite permet au spectateur de mettre directement en application cet enseignement en décrivant la performance suivante. Par la même occasion, Tim Etchells interroge le rapport de proximité entre l'œuvre (le danseur) et le public. Quelques séquences plus tard surgit une proposition encore plus déroutante. Le visiteur est appelé à payer un euro symbolique pour « visiter l'expo spéciale de Tim Etchells ». L'artiste explique que « tout le reste est gratuit mais celle-ci est vraiment spéciale » et un message de contribution est alors envoyé à l'écran avec l'adresse postale où l'envoyer. Peut-être incongru, la question est ici d'interroger les politiques tarifaires des musées. Provocation ou véritable test, on ne comprend pas nécessairement la démarche. Quoi qu'il en soit, cela peut être vécu comme une frustration car on passe un premier sas en donnant de l'argent virtuel puis une nouvelle frontière nous rappelle d'envoyer une réelle contribution. Cette fois, c'est la frontière du réel et du virtuel qui pose question d'une façon dérangeante.
Le musée de la danse numérique est d'une qualité plastique remarquable. Tous les cadrages, points de vue et angles de vue sont pris d'une manière intimiste. La notion de spectacle s'efface, on découvre l'envers des décors et on pénètre dans le quotidien des danseurs d'une manière sensible. Le parti-pris cinématographique ne fait qu'accentuer ce caractère immatériel par des compositions d'images complexes (mises en abîmes, interpénétrations de plans, surfaces réfléchissantes, etc). De plus, des effets visuels de floutage dématérialisent les images qui deviennent peu à peu des mirages, des illusions ou même des rêveries. On a l'impression de se réveiller à chaque fois dans de nouveaux lieux. Les espaces ne sont pas clairement identifiables et on se demande souvent où on a été transporté, quelques fois dans les recoins d'une friche, d'autres dans une salle de danse ou alors même perdu dans des couloirs... L'ambiance sensorielle particulièrement bien travaillée reste toujours très subtile et très prenante. Privilégiant le silence à la musique, il y a toujours des sons parasites, des bruitages, des grincements... La séquence « couloir obscur » met le spectateur en position d'aveugle. Un chuchotement intrigant à la respiration lourde fait appel à l'imaginaire du spectateur. On lui demande de se visualiser tout ce qui n'est pas perceptible à l'œil et de se créer son paysage fantasmagorique.
Conçu comme un musée vivant, la médiation privilégiée est celle du « guide-artiste » qui commente les chorégraphies en temps réel ; cela peut être le danseur ou son professeur. La plupart d'entre eux parlent uniquement en anglais mais de façon lente et compréhensible. Cependant, il est dommage que, pour un individu sans aucune notion d'anglais, ces outils de médiations ne soient pas accessibles. A contrario, il est annoncé une version de la visite en anglais et les choix des parcours sont uniquement écrits en français. Il semble que la question des langues ai été malheureusement négligée. Pourtant, ce musée laisse penser à une nouvelle approche de l'accessibilité des musées. La position d'aveugle est directement vécue dans le parcours, (la partie auditive perd de son intérêt si on ne parle pas anglais), l'accessibilité en ligne est gratuite et facile pour chacun. Il peut néanmoins manquer un peu d'informations pour ceux qui n'ont pas de connaissances de la danse contemporaine. Le musée de la danse revendique clairement que l'approche expérimentale doit primer mais doit-on pour autant négliger l'aspect culturel?
Le musée de la danse propose avant tout un bel espace de réflexion sur l'exposition du patrimoine immatériel. Mettant sens dessus dessous les rapports établis entre le public, l'art, ses territoires physiques & imaginaires, le Musée de la danse propose une approche muséographique hybride et ludique. Sa mission de délectation est ainsi assurée. « Expo Zéro » interroge les formes de médiations traditionnelles et nous laisse penser que les voies de l'humour et du décalage permettent de faire passer un discours plus fluidement. Quel bel espoir de voir la conception, la démocratisation culturelle évoluer !
Elodie Bay