Un soir, ma mère me propose de participer à un événement assez attendu par les habitants de Caen : le Bazarnaom d’Hiver. Cet événement est organisé par un collectif spécialisé dans les spectacles de rue. Tous les deux ans, il imagine un univers extravagant et burlesque pour présenter des créations de compagnies locales ou nationales de théâtre et spectacles de rue. La convivialité et le rire y sont obligatoires !
© Bazarnaom
Un soir, ma mère me propose de participer à un événement assez attendu par les habitants de Caen : le Bazarnaom d’Hiver. Cet événement est organisé par un collectif spécialisé dans les spectacles de rue. Tous les deux ans, il imagine un univers extravagant et burlesque pour présenter des créations de compagnies locales ou nationales de théâtre et spectacles de rue. La convivialité et le rire y sont obligatoires !
La thématique de cette année est « Un monde de fou ! », laissant présager des représentations déjantés. Pour attiser la curiosité et le suspens, le lieu est gardé secret. Nous avons donc rendez-vous sur une place du centre-ville, qui à l’heure dite est assez calme, sans aucune structure présageant que du théâtre va commencer ici.
Et tout d’un coup des sifflets, des cris, des bruits de train et un groupe d’hommes déguisés en cheminots perturbent le calme de la place ! Ils réunissent les gens, un peu chamboulés de ce vacarme inattendu, les font s’installer dans des wagons imaginaires, en rang par deux. Chacun est gentiment bousculé de sa zone de confort. Certains ont du mal à jouer le jeu, n’ayant pas l’habitude d’être impliqués et investis lorsqu’ils assistent à des spectacles. Mais dans l’ensemble, la situation cocasse établit une bonne ambiance.
Une fois le cortège organisé et rangé, le ‘train’ peut quitter sa gare : nous voilà donc entraîné par les comédiens-cheminots de trottoirs en trottoirs. On se laisse guider, on parle avec les autres « passagers » tout en redécouvrant la ville. Le voyage est presque la métaphore d’une traversée des mondes, une épopée initiatique pour pénétrer dans l’univers farfelu du Bazarnaom. Ce parcours devient une sorte d’engagement des participants à lâcher prise, se laisser surprendre et partager un moment divertissant.
Une fois arrivés, une fanfare de non professionnels, ni même réellement amateurs (simplement curieux de nouvelles pratiques), nous accueille dans la cour par un joyeux vacarme désaccordé. Nous découvrons que c’est une ancienne caserne de pompiers qui est réinvestit (d’ailleurs en clin d’œil avec le premier spectacle de la troupe fondatrice du Bazarnaom qui mettait en scène des pompiers).
La fanfare de bienvenue, © Béa Guillot
À l’intérieur, nous découvrons ununivers loufoque propre au Bazarnaom : une boutique d’objets improbables, dite « La charcuterie d’œuvres » (qui est en fait une vitrine des accessoires des spectacles précédents), une boîte à photos (photomaton avec des ornements et chapeaux saugrenus) et un atelier de sérigraphie. Au cœur de ces animations, deux espaces distincts accueillent les spectacles : un podiumde défilé et un petit amphithéâtre.
La bulle ainsi créée suscite l’imagination, la découverte et l’échange de souvenirs d’anciens spectacles. L’environnement semble hors norme : les gens échangent entre eux sans se connaître, racontent leurs souvenirs sur les éditions précédentes alors qu’ils n’auraient probablement pas échangés un sourire ailleurs. C’est la redécouverte du partage et de l’instant présent.
Machine à remonter le temps en vente (2 756€), réellement ancien accessoire, © Béa Guillot
Le premier spectacle de la soirée, Cocktail Party, est presque muet mais très explicite. La société contemporaine y est passée au crible : le rapport à autrui, le bonheur, l’amitié, l’amour, la sexualité, la maladie, la mort, la société de consommation, les apparences ou encore l’entre-aide sont autant de thématiques évoquées dans ce pamphlet au rire grinçant.
Le deuxième spectacle, Défilé Bœuf Mode, évoque, sous couvert d’un défilé, la diversité, la liberté, l’écologie, la religion, le paraître et même la politique avec beaucoup d’humour.
Création pour Défilé Bœuf Mode, © Béa Guillot
Ces propositions théâtrales en apparence absurdes sont très subtiles et clairvoyantes. « Nos idées sont parfois tordues, mais c’est en pliant les idées-reçues qu’on pourra avancer ensemble », nous annoncent-ils. Nous sommes invités à questionner notre environnement, réfléchir en s’amusant et nous éloigner de « notre bulle ». Cette immersion dans un monde annoncé comme fou est surtout un miroir grossissant de notre société.
Finalement cette soirée fut un enchainement de surprises et d’étonnements. L’entrée en matière assez atypique donne un avant-goût : on rit, on discute avec des inconnus, on se laisse transporter et on se déconnecte du quotidien. Sans réellement s’en rendre compte, notre imagination est éveillée et on regarde l’environnement différemment ; l’attitude change.
Le plus épatant, c’est que le Bazarnaom continue d’exister et de s’enrichir à chaque nouvelle édition grâce à l’engouement et l’appui des citoyens, plus que celui des politiques. De fait, le soutien des instances territoriales a longtemps été timide. Aujourd’hui finalement, la ville de Caen, le département Calvados et la région Normandie sont partenaires. Bien que le ministère de la Culture ne soit pas engagé à soutenir l’événement, une certaine forme de démocratisation culturelle s’est développée d’elle-même : les gens, d’âges et catégories socio-professionnelles étendues, se retrouvent sans séparation, unis par les mêmes goûts. La reconnaissance de l’événement par le monde du spectacle vivant au niveau national n’a pas attendu ces appuis ! La liberté de créer et la persévérance des acteurs de ces espaces artistiques alternatifs face au désintérêt des politiques est une belle leçon.
CM
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