Dansun contexte où l'on cherche à faire de l'espace muséal un lieu désacralisé et facilement abordable par tous, le terme de « musée » peut être considéré comme étant trop lourd de signification. Certaines institutions muséales choisissent alors de le bannir, auprofit de termes moins effrayants, tels que « espace » , « cité », ou encore « maison ». C'est le caspar exemple de la Maison du Textile, baptisée ainsi dès son origine. Mais cette volonté d'éviter l'emploi du mot « musée » ne nuit-elle pas à la lisibilité identitaire de l'institution ?
La Maison duTextile : musée vivant de la tradition textile en Vermandois
Créée à l'initiative de l'association « Tisserand de Légende », la Maison du Textile a ouvert en 2003 alors que l'atelier était toujours en fonctionnement. Dans la perspective d'un éco-musée, il s'agissait avant tout de montrer au public le travail des artisans sur les mécaniques à bras Jacquard. Deux ans plus tard, l'entreprise textile ferme et le musée lui survit : l'histoire des établissements « La Filandière » nous est retracée par la présentation de 28 ateliers à tisser Jacquard – tous fonctionnels –, de la reconstitution d'une maison de tisserand et d'un jardin de plantes tinctoriales.
De par sa présentation sur le site internet de l'Office de tourisme du Vermandois, ou bien la signalétique qui indique son emplacement, la vocation muséale du lieu est tout à fait avérée. D'où une certaine surprise en y pénétrant.
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« Oui ? Vous venez pour quoi ? »
Une fois le seuil de la porte franchi, la personne de l'accueil interroge le « visiteur » sur la raison de sa venue : ce lieu abriterait-il une autre activité que celle du musée ? L'entrée se fait effectivement par un espace boutique relativement bien fourni (linge de table, vaisselle, accessoires brodés, tapisseries, jeux pour les enfants, quelques produits régionaux...). La distinction est donc très mince entre le client de la boutique et le visiteur du musée. Certaines personnes viennent uniquement faire des achats, sans même connaître l'existence de la partie muséale. Si la présence d'un espace marchand est susceptible d'attirer du public, et par extension de faire connaître le musée (la responsable de l'accueil les encourage vivement à venir le visiter), la motivation première du visiteur pose la questionde l'identité du musée, et de sa lisibilité auprès du public.
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Il existe donc très nettement un clivage entre la façon dont l'institution elle-même se présente (comme un musée), et la vision qu'en ont certains de ses « clients » (boutique). Cette dernière est peu mise en avant sur le site internet de la Maison du Textile. Elle apparaît uniquement dans la rubrique « service », en tant que « boutique souvenirs en accès libre ». En revanche, sa vocation marchande constitue l'un des points d'appui de la communication du musée : outre la présence de nombreux ateliers créatifs relayés sur les réseaux sociaux, la Maison du Textile accueille également des animations commerciales. Si est vrai que ce genre d'événement est susceptible de faire vivre en quelque sorte le lieu et de lui amener un public potentiel, celui-ci n'est pas forcément intéressé par l'activité textile en elle-même.
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Nul doute que cette dichotomie entre les deux vocations du lieu entraîne un flou identitaire pour l'institution muséale. Et l'utilisation du terme « maison » renforce encore cette imprécision.
D'où l'importance de la terminologie dans la construction de l'identité d'un musée
Même si le terme « musée » est présent dans le sous-titre (« musée de la tradition textile en Vermandois »), le mot « Maison » lui pré-existe dans sa dénomination. Ce terme est parfois utilisé par certains musées, dont le cas le plus fréquent est celui des maisons d'artistes, telles que la Maison Victor Hugo Paris – Guernesey, ou la Maison de Balzac (Paris). Il s'agit alors de muséaliser l'ancienne demeure d'une personnalité connue. Quoi qu'il en soit, il arrive que des éco-musées choisissent également cette terminologie, comme par exemple la Maison du blé et du pain de Verdun-le-Doubs, ou bien la Maison de l'outil et de la pensée ouvrière de Troyes.
Toutefois, la thématique de ces deux musées rend relativement lisible leur vocation... ce qui n'est pas le cas pour la Maison du Textile. Le mot « textile » peut effectivement avoir une connotation plus esthétique : son nom ressemble étrangement à celui d'une enseigne de magasin de décoration (Maison du Monde), ou à celui d'un lieu de création (comme les Maisons de Mode de Lille et de Roubaix, qui ont pour objectif d'encourager la création textile par exemple). Aucune dimension créatrice à proprement parler pour ce qui est de la la Maison du Textile : une partie objets de la boutique provient plutôt des métiers à mécanique Jacquard de Roubaix.
Le terme de « musée » peut donc être capital dans la construction de l'identité d'un lieu culturel. Le contourner par d'autres dénominations ne fait que rendre plus floue sa vocation muséale. Ne vaudrait-il pas mieux que les professionnels du secteur continuent leur travail de démocratisation culturelle, et permettent d'avoir une image moins intimidante et plus sympathique du musée ? Toutefois, il est vrai que le caractère plus large du mot « maison » permet de désigner les différentes composantes d'un lieu hybride, qui propose un ensemble de prestations variées... au risque donc de perdre la lisibilité de l'institution...
Ou de la redéfinir ? L'idée de musée renvoie effectivement à une volonté de conserver le patrimoine. Est-ce à dire qu'en muséalisant un métier, celui-ci est désormais considéré comme appartenantdéfinitivement au monde du passé ? Certains choix de dénomination sont effectivement portés par des convictions : éluder le terme de musée, est-ce lutter contre l'obsolescence de l'activité textile ?
Noémie V.
#identité #maison du textile