On trouve rarement une exposition de ce type dans un musée d’art moderne. Avec Imprimer le monde, le Centre Pompidou adopte une approche semblable à celle des centres d’interprétation. Ce n’est pas tant la proposition d’une exposition thématique - rentrée depuis longtemps dans les habitudes du musée - qui surprend, mais la formalisation d’une réflexion sur un sujet qui dépasse les questions plastiques et politiques pour toucher également les domaines techniques, industriels et scientifiques.
L’exposition présente des objets partiellement ou intégralement conçus et fabriqués grâce aux technologies désignées sous le nom générique d’impression 3D. Lorsque l’on pénètre dans les lieux, leur variété est saisissante.
Stranger Visions, Heather Dewey, 2012 ©ND
Gestation numérique, fabrication automatisée
Les concepteurs donnent dès les premiers mètres la définition de l’impression 3D, également désignée sous le terme de « fabrication additive » et se proposent de retracer son « archéologie ». Une grande frise chronologique, ponctuée d’objets sous vitrine, replace cette invention dans une histoire beaucoup plus ancienne. Aux origines, deux inventions de la seconde moitié du XIXe siècle : la photogravure et les cartes topographiques, qui donnent une vision du relief par « couches ».
Le point commun réunissant ces artefacts est la conception assistée par ordinateur, la modélisation 3D, qui permet ensuite de configurer une machine, « l’imprimante » pour fabriquer, par traçage, dans l’espace, sous forme d’aller-retour, les dépôts de matière, composant finalement le résultat solide. Derrière ce terme, en filigrane, se retrouve donc l’image du robot et de l’intelligence artificielle, mis à contribution d’une production sérielle.
L’exposition réinterroge le statut de l’objet artisanal et artistique. Elle montre le travail des designers et des artisans qui allient la maîtrise de compétences scientifiques (codage, création d’algorithme) ou d’ingénierie (mise au point des machines prenant en charge la fabrication) à leur démarche de plasticien. La conséquence directe de ces pratiques est l’avènement d’œuvres ou d’objets artisanaux reproductibles, sans que le concours de la main humaine ne soit nécessaire à l’étape de fabrication. L’objet, fondé sur le principe de la reproductibilité, acquiert alors une dimension industrielle.
Open source et démarche collaborative
Passé par l’étape de la programmation numérique, le concepteur accouche d’un mode d’emploi en même temps que la machine réalise physiquement l’objet. Conséquence : la réplication de l’objet est possible à partir d’un fichier source. Héritière des idées de « démocratie technique », diffusés autour de la création de fablabs, hackerspaces et markerspace, l’impression 3D s’inscrit dans une dynamique favorisant l’accès en open source des données, autrement dit, la reproduction de l’objet et sa modification par d’autres concepteurs. L’exposition questionne également les usages pernicieux qui peuvent être faits de ce modèle de partage, et présente, par exemple, la première arme imprimée en 3D, dont le fichier numérique source fut diffusé et téléchargé près de 100 000 fois en 2013 avant son interdiction par l’Etat américain.
Outre la libre circulation des fichiers destinés à l’impression, l’exposition montre à plusieurs reprises des situations de créations collectives autour de projets de fabrication additive. Plusieurs objets présentés sont accompagnés d’une vidéo retraçant la genèse et les principales étapes de leur élaboration. Par exemple, on suit la collaboration de graphistes, de développeurs numériques et d’imprimeurs dans leur entreprise de conception et de fabrication d’une typographie produite en résine par impression 3D, utilisées dans une fonte traditionnelle.
A23D,3D-printed letterpress Font, New North Press, A2-Type et Chalk Studios, 2014, © N.D.
Vulgarisation ardue
Si elle montre la fantastique palette des matériaux (résines extrêmement légères, céramique d’argile, titane…), des textures et des tailles des objets imprimés en 3D, on regrette cependant que l’exposition ne lève davantage le mystère derrière la fabrication technique de ces objets.
GrowthTable Titanium, 2016, Mathias Bengtsson, © N.D.
Shapes ofSweden for Volvo, 2015, Lilian van Daal, © N.D.
Bien que les vidéos associées aux objets présentent les étapes de leur élaboration, les techniques et les technologies restent d’une certaine manière abstraites, puisqu’elles n’ont pas été soumises à l’épreuve de l’expérimentation par le visiteur. C’est certainement la limite de cette exposition. La présence de dispositifs d’interprétation -multimédias, manipulations - en complément des audiovisuels, aurait été appréciable pour tenter d’aborder concrètement les dimensions techniques de l’impression 3D : les questions d’algorithme, la gestion et la transformation de la matière première dans la machine, les spécificités techniques des technologies dont les noms restent énigmatiques (stéréolithographie, dépôt de matière fondue, filtrage sélectif par laser, laminage par dépôt sélectif…).
Par ailleurs, si elle soulève des questions sociétales et éthiques en évoquant la démarche de certains artistes (par exemple, la reproduction de monuments détruits en Syrie comme « réparation » de l’histoire ou la recréation de visages à partir de matériaux génétiques collectés dans des lieux publics pour interroger la « surveillance génétique »), l’exposition n’approfondit pas les enjeux scientifiques et évoque certains résultats sans les contextualiser ou les mettre en perspective. Elle expose ainsi des prothèses médicales et évoque la création du premier vaisseau sanguin imprimé en 3D, sans questionner la reproduction d’éléments bio-artificiels comme substituts du vivant, laissant le visiteur perplexe sur la faisabilité du processus et les enjeux éthique des usages.
Work in progress
Cette exposition fait entrer la pratique de l’impression 3D, pour ceux qui la découvrent ou la redécouvrent, dans une histoire déjà en marche. Elle provoque en cela une impression de vertige. Où étais-je pendant que designers, scientifiques, architectes, plasticiens, typographes, s’appropriaient un mode de conception et de fabrication tout droit sorti d’un roman de Philippe K. Dick ?
Dans L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, le neurologue Oliver Sacks, dépeint le cas clinique d’un jeune homme, frappé de troubles de mémoire terribles, resté « bloqué » dans les années 1940 : lorsque le médecin lui montre une image de la terre vue depuis la lune, il ne peut y croire et lui répond : « vous plaisantez docteur ! Il aurait fallu apporter un appareil photo là-haut ! ». La nouvelle exposition du centre Pompidou donne le sentiment d’être dans la peau de ce patient : si l’on se pensait confronté à un avenir à peine imaginable, il faut accepter que celui-ci est déjà en cours !
N.D.
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Imprimer le monde, Galerie 4 Centre Pompidou,
5 mars 2017-19 juin 2017
Le site de l’exposition https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cEo9Br4/rAo9oKd